Chapitre IV. Le prince-roi
p. 97-127
Texte intégral
1Le prince n’est pas le roi. « Les princes ont du pouvoir, et c'est très bien ; mais les princes n’ont pas le pouvoir, ce pouvoir parfait, cette auctoritas, que seule peut donner la souveraineté »1. Ce constat doit admettre une exception, celle des princes d’Anjou-Provence. Celui que les chroniqueurs dénomment « Sicile », le roi Louis II, est à la fois dépendant de l'auctoritas du roi dans ses terres de France, et souverain de facto en Provence, l’Empire n’étant plus à même de faire valoir ses droits, sauf circonstances exceptionnelles. Bien que vassale de la papauté pour le royaume de Sicile, la crise de l'Église laisse à la deuxième Maison d’Anjou une certaine marge de manœuvre. Et surtout le prestige du titre de « roi de Jérusalem et de Sicile », l’éclat du couronnement, confèrent aux princes une aura, que rechercheront en vain les ducs de Bourgogne leur vie durant. La tentation d’être le roi de Sicile dans l’ensemble de leur territoire a fait plus que les effleurer, mais ils se sont heurtés à de dures réalités. Ils ont exprimé dans et par leurs actes leur conception du pouvoir, mais cette conception est-elle restée la même au cours d’un demi-siècle, alors que l’Occident est en proie à l’instabilité et que leur État est lui-même fortement ébranlé ? Le fils a-t-il eu la même idée de la majestas que le père, les reines que les rois ? Qui a pu influencer les uns et les autres ? Entre les modèles français et italien ont-ils choisi ? Hantés par leurs origines ont-ils laissé les rêves prendre le pas sur le réel... ? Une politique dispendieuse requiert des moyens, dont la deuxième Maison d’Anjou-Provence ne dispose pas, en sorte que, quelles que soient ses prétentions, elle est toujours dépendante. Si le prince veut tenir ses territoires bien en main, il faut qu’il soit bien servi, mais aussi qu’il assume une vie itinérante.
I. LA MAÎTRISE DE L’ESPACE
2Le prince se doit d’être présent le plus souvent possible dans ses territoires, aussi éloignés qu’ils soient. Il y va de son image et de la cohésion de son État. Il faut que son peuple puisse le voir, et la mise en scène que sont les entrées royales diffuse sous couvert de fête les thèmes de la propagande « royale »2. Pour parvenir à suivre à la trace les princes et princesses, peu de documents permettent de reconstituer un parfait itinéraire : le journal du chancelier Jean Le Fèvre et le registre de la Chambre aux deniers de la reine Yolande sont de ceux-ci : grâce au premier, nous savons où se trouvent la princesse Marie et les jeunes princes de novembre 1384 à juin 1388, sauf d’octobre 1386 à mai 1387, où le chancelier est en mission en France ; le deuxième accompagne les déplacements de la reine et de ses enfants de février 1409 à décembre 1423 et renseigne aussi sur la présence ou non du roi au sein de sa famille3. Pour le reste, il faut une fois encore mobiliser tous les documents, notamment tous les actes royaux enregistrés par les gens des comptes, et les chroniqueurs, plus imprécis quant aux dates. Et vaincre les problèmes de datation : chancelier et secrétaires se conforment aux usages ambiants ; dans le royaume de Naples, on utilise le nouveau comput, l’année commence le 1er janvier. Dans l’apanage l'ancien style paraît l’emporter et l’année commencer à Pâques : Yolande d’Aragon ne fait-elle pas noter, dans un acte émis au château d’Angers, le 2 février 1427/28 « selon l'usage de la patrie gallicane » ? Mais il y a de notables exceptions, comme le testament rédigé par Louis II avant son expédition italienne, le 10 février 1410, troisième indiction. Malheureusement l’indiction n’est pas toujours précisée. Par contre, des lettres du même prince, conférant à son épouse la lieutenance générale, le 14 février 1409/10 se servent de l’ancienne manière de dater. En Provence, les deux computs sont utilisés, sans qu’il soit possible de dire que l’un l’emporte sur l’autre avec tel prince, ou à partir de telle date, ou dans tel ou tel organe du gouvernement ou de l’administration, ou avec tel type de document. Dès les premières années de la conquête de la Provence, les lettres de la reine Marie sont souvent datées à la moderne, mais quelques décennies plus tard, le lieutenant général Charles du Maine voit ses actes datés à la française, alors que les lettres de Louis III arrivent datées à l’italienne... Chaque fois que le nouveau style semble l’emporter, ainsi avec le gouverneur Pierre de Beauvau en 1433, un exemple inverse rend impossible toute généralisation. Chaque acte est un cas d’espèce.4
3Sept semaines à deux mois pour aller d’Anjou en Provence ; dix à quinze jours pour faire route d’Angers à Paris ; quatre à cinq semaines pour la traversée Toulon-Naples, la durée des voyages reste stable au cours de ce demi-siècle. Partie d’Avignon le 28 janvier 1388, Marie de Blois-Penthièvre arrive début mars à Angers. Yolande d’Aragon quitte Arles le 3 octobre 1412 pour être à Saumur le 10 décembre. En 1410, la même princesse, quittant Saumur le 8 novembre, avait atteint Aix le 6 janvier 1411. Partie d’Angers le 17 janvier 1384, la princesse Marie rallie Paris via Chartres le 8 février. La princesse Yolande parcourt le trajet de Saint-Marcel-lès-Paris à Angers entre le 8 et le 21 février 1414, et son époux va de Paris à Angers en quinze jours (3-18 juillet) la même année. Pressé par le temps, ce prince ne met qu'un peu plus de trois semaines pour aller de Tarascon à Paris en 1411-12 (16 décembre-11 janvier). Voyage par terre et par eau pour les uns comme pour les autres5. La nécessité des itinéraires princiers ne laisse que peu de place à la vie familiale, du moins si l’on en juge par la période bien connue de 1409 à 1417 : Louis II et son épouse ne se rejoignent que à peine deux mois en 1409 et 1410, trois mois et demi en 1411, vingt jours en 1412, un peu plus de deux mois en 1414. Pendant ces années là, les enfants naissent au gré des haltes dans les déplacements de la princesse : René, en janvier 1409 à Angers, Yolande, en août 1412 à Arles, Charles, à Montils-lès-Tours, en octobre 1414. Vers la fin du règne de Louis II, les choses changent : en 1413, les époux passent plus de la moitié de l’année ensemble, en 1415, plus de huit mois, en 1416, laissant les enfants à Angers pendant les dix mois où ils sont à Paris, ils ne se quittent pas et ne se quitteront plus jusqu’à la mort du prince, au château d’Angers, en avril 1417, où ils sont arrivés le 8 janvier.
4Le nomadisme des princes ne paralyse pas la vie politique : autour d’eux, chevaucheurs et messagers assurent les liaisons indispensables et portent le courrier dans toutes les directions. Et ils vont vite, deux fois plus vite que les princes.6
5L’idéal pour les princes eût été d’adopter un rythme saisonnier qui leur aurait permis de se partager équitablement entre l’apanage et la Provence ; ce n’est pas faute d’avoir essayé, comme Louis II pendant la première partie de son règne personnel : il n’est pas une année, si l’on excepte 1402 et 1407, où le prince n’aille en Anjou, et où il n’ait honoré ses terres « de par delà » d’un séjour de quelques mois ou quelques semaines. En 1402, il s’attarde en Provence plus de neuf mois, prolongés par cinq mois en 1403. En 1405, il y séjourne cinq mois, en 1406, cinq mois et demi. On le trouve souvent dans ses terres méridionales en hiver et au printemps, en été au château d’Angers. Mais les obligations politiques l’emportent sur les considérations climatiques, sauf peut-être pour son épouse et les enfants, qui peuvent jouir du charme du château de Tarascon en hiver et au printemps, de celui d’Angers au printemps et en été et de celui de Saumur à l’automne. Tout bascule pour le roi Louis II à son retour de Naples en août 1411 : les affaires du royaume de France passent au premier plan, la Provence est abandonnée en 1412 et 1413 ; en 1414, le prince n'y arrive qu’en fin d’année pour rester, il est vrai, jusqu’au mois d’août 1415. Il n’y reviendra plus et il exprime ses regrets dans une lettre adressée aux Présidents du Parlement de Provence, le 10 octobre 1416, de Paris7. Pendant cette deuxième partie de son règne, l’Anjou figure toujours en bonne place dans l’itinéraire du prince, mais le royaume de France hors apanage envahit sa vie. La guerre civile et la guerre franco-anglaise font que le prince « chevauche » contre Alençon en 1412, participe à l’élaboration de la paix d’Auxerre la même année, se traîne, malade, incapable de se battre, jusqu’à Rouen à l’heure d’Azincourt, en octobre-novembre 1415. Beaucoup d’actes émanent de l’hôtel de la Verrerie, à Paris, qui est la propriété de la deuxième Maison d’Anjou. En 1412, les affaires de France absorbent le roi Louis plus de cinq mois, plusieurs mois aussi en 1413 et 1414 ; en 1416, il reste plus de dix mois à Paris, où, après la mort du duc de Berry, en juin 1416, il n’a plus de rival8. Ajoutons que le comté du Maine, avant qu’il ne connaisse les malheurs de la guerre et de l’invasion anglaise, n’a guère reçu la visite de son prince, sinon à l’occasion de préoccupations extérieures au dit comté : à part février 1400, où, au retour de son premier voyage en Italie, Louis II fait halte au Mans, s’y arrête, en avril 1412, lors de l’expédition contre Alençon, et en octobre 1415, sur le chemin de Rouen. Ajoutons, en mai 1413, des conférences tenues à Sablé avec les gens d’Orléans9.
6Au total, même si Louis II n’a pu respecter le partage annuel entre Anjou et Provence, et sachant que le royaume de France hors apanage a accentué ses contraintes au fil des ans, le prince a honoré de sa présence ses territoires assez équitablement : sur dix-sept ans, soit deux cent quatre mois, déduction faite des vingt mois passés sur mer et outre mer et des quarante mois environ d’allées et venues, il a consacré quarante-sept mois de sa vie au royaume de France hors apanage, quarante-quatre à l’Anjou et cinquante-trois à la Provence (chiffre amplifié sans doute par les passages obligés vers les ports d’embarquement).
7Auparavant, le jeune roi avait quitté la Provence pour son royaume de Naples après son couronnement de novembre 1389, et était resté absent neuf ans de juillet 1390 jusqu’à l’automne 1399. Enfant au départ, homme à l’arrivée. Sur trente-trois années de règne, Louis II en a passé onze hors de France et de Provence. Après sa mort, le délicat équilibre est définitivement rompu. La reine Yolande d’Aragon partage son temps, d’avril 1417 à juin 1419, entre Angers, Saumur, Loudun, Chinon, et, aux heures tragiques du déchirement du royaume de France, elle trouve refuge en ses terres de Provence de juillet 1419 à juin 1423, où elle se partage entre Aix et Tarascon. Son fils, Louis III, s’il a bien « chevauché » au royaume de France en 1418 et au début de 1419, rejoint aussi la Provence au cours de l’été 1419. Est-ce un hasard s’il s’embarque pour Rome en juillet 1420, alors que s’étend, après le traité de Troyes, l’ombre de la double monarchie sur les terres de France ? De retour de Rome (où il est reçu par le pape Martin V, mais non couronné), où il n’est resté que quelques semaines, il se manifeste à deux ou trois reprises à Aix ou à Tarascon en 1421 et 1422. En juin 1423, c’est le départ définitif pour Rome et pour le royaume de Naples, où Aversa et Cosenza deviennent ses résidences permanentes. Quoi qu’on en ait dit, le prince n’est revenu, à partir de cette date, ni en Provence, ni en France, malgré les appels réitérés de son beau-frère : il n’assiste pas au traité de Saumur, le 7 octobre 1425, qui scelle la réconciliation Maison d’Anjou et Maison de Bretagne-Montfort, pas plus qu’il n’est présent au sacre de Reims, le 17 juillet 1429. Il meurt à Cosenza, en novembre 1434. Sur dix sept années de règne, y compris sa minorité, le prince en a passé plus de onze hors de ses terres d’outre-mont10.
8Une question demeure posée : pourquoi, si cela ne s’explique pas par la politique intérieure du royaume de Naples ni par les opérations militaires, le jeune roi, qui réside d’abord à Aversa, aux portes de Naples, s’enfonce-t-il au cœur de la Calabre en 1428/29 ?
9À partir de 1423, Yolande d’Aragon étant rentrée en France (où, jusqu'en 1427, son itinéraire sera très proche de celui de son gendre Charles VII, et où, après 1427, elle reste sur ses terres d’Anjou jusqu’à sa mort à Saumur en 1442) et Louis III parti en Italie, la Provence connaît un certain vide, d'où le trouble de son gouvernement, qui amplifie le désarroi de l’attaque aragonaise et du sac de Marseille. L’entrée en jeu – pas forcément bénéfique – du jeune Charles, encore mineur, s’explique par l’impératif de la présence d’un membre de la famille d’Anjou-Provence.
10D’aussi longues absences que celles de Louis II et de Louis III imposent aux princes la recherche d’une solution pour éviter le naufrage du pouvoir.
II. RÊVE ET RÉALITÉ
A. Contexte
11Ces dernières années, nombre d’études ont porté sur le prince et son image, la royauté et sa représentation, les rapports entre ces deux formes de pouvoir11. Que reste-t-il à dire sur les princes de la deuxième Maison d’Anjou-Provence ? Et d’abord, ont-ils usé de la propagande pour s’imposer ? Oui, si on prend en considération le cérémonial du sacre et des entrées royales. Mais il est impossible de trouver auprès de ces princes un groupe d’idéologues comparable à ceux de la première Maison d’Anjou-Provence, qui ont imposé leur conception du pouvoir et dont les écrits sont parvenus jusqu’à nous12. Le contexte n’est plus le même : le Grand Schisme et la crise conciliaire ont modifié beaucoup de choses, et l’impact des Clémentistes sur le comportement du jeune Louis II n’est pas allé au delà du sacre de 1389. Par ailleurs, les intellectuels de la principauté dispersent souvent leur intérêt entre les affaires du royaume de France et la crise de l'Église, quand ils n’expriment pas la nostalgie de la défunte chevalerie ou ne rêvent pas de réformer le monde. Rien ne concerne directement la Maison d’Anjou-Provence. Les « batailles » d’Honoré Bonet ne font qu’effleurer les terres provençales13 ; Guillaume Saignet a-t-il influencé Louis II ou bien a-t-il été le porte-parole du prince quant à son hostilité aux Cabochiens ? Les propos qu’il tient dans sa harangue à Pontoise, en juillet 1413, concernant le rôle des princes n’est sans doute pas pour déplaire au duc d’Anjou14. Lorsque Yolande d’Aragon, après le décès de son époux, prépare la justification des droits de son fils sur le royaume de Naples devant le concile de Constance, en août 1417, elle a recours à des « scientifiques », professeurs de droit civil et de droit canon, susceptibles de plaider sa cause15. Est-ce à dire que les princes et princesses font appel aux compétences au coup par coup ? Pragmatique, Louis II restitue, en août 1402, son obédience au pape Benoît XIII essentiellement parce que l’assemblée des États de Provence a vivement exprimé son mécontentement de la soustraction16. Même si d’autres voix s’étaient fait entendre et si l’intérêt du prince allait dans ce sens, ne peut-on dire que ce dernier n’a pas été insensible à l’opinion publique, toute idéologie cessante17 ? Trois hommes cependant pourraient avoir joué le rôle de « maîtres à penser » des princes : Jean Le Fèvre, évêque de Chartres et chancelier, docteur en droit canon, impose son franc parler de 1380 à 1388. Son journal est malheureusement peu disert quant à sa philosophie, et c’est dans la conduite des opérations qu’il faut chercher sa marque. Son rival, Raymond Bernard Flaminges, docteur ès-lois, prend le relais et occupe le devant de la scène jusqu’en 1405. Sous Louis III, le docteur utriusque juris Jordan Brice (ou Brès), dont les avis sont requis depuis le Dauphiné, a un incontestable rayonnement intellectuel18. Mais, jusqu’à preuve du contraire, aucun des trois n’a laissé de traité politique, ni même une « proposition » susceptibles de nous éclairer. Les théologiens sont-ils laissés sur la touche ? Les canonistes affrontés aux civilistes ? Les laïcs aux ecclésiastiques ?
12Il ne semble pas que l’influence des confesseurs des princes soit allée au delà d’une direction spirituelle. Nous ne savons pas grand chose sur eux : conformément aux rites de la fin du Moyen Âge, Louis Ier et Louis II ont des confesseurs appartenant aux Ordres Mendiants : Dominique de Florence, de l’ordre des Frères Prêcheurs, qui deviendra évêque de Saint-Pons par la suite et frère Jean l’ermite pour le premier ; frère Jean Coteron, franciscain, puis en 1410 frère Pierre Rigaut, Maître en théologie, de l’ordre des Frères Prêcheurs, pour le second, ainsi que Thomas Faverel, in sacra pagina confessor en 1417. Au chevet de Louis III, un simple prêtre, Antoine Mabricoli, en 1434. En 1442, Yolande d’Aragon laisse à son confesseur, Guillaume Herault, une pension de 100 livres, à prendre sur le grenier de Loudun, et songe à lui régler les 500 livres qu’elle lui doit19.
13Originale ou non, la religiosité des princes et princesses d’Anjou-Provence est bien connue. La vie littéraire s’épanouit dans la principauté comme dans les autres États princiers, et l’humanisme s’affirme à la faveur des liens avec l’Italie. L’entourage du prince est séduit, et le roi René deviendra lui-même écrivain20. L’intérêt des princes pour la vie intellectuelle a pris une double forme : un mécénat, non dépourvu d’arrière-pensée, chez Louis Ier, qui, dans son testament fait à Tarente, en septembre 1383, exprime sa volonté de fonder un collège d’écoliers en « grammaire, arts, décret et théologie, de plus grande rente de tous ceux qui sont à Paris ». Il souhaite que ce collège égale celui de Navarre – il souligne d’ailleurs que ce dernier n’a pas d'enseignement en décret – et qu’il ait trois nations :
- royaume de Sicile ;
- Anjou-Touraine-Maine ;
- Provence-Forcalquier.
14Il devra compter autant d’officiers que le collège de Navarre, et six chapelains et six clercs assureront le service divin, et célébreront deux messes par jour pour le repos de son âme et celui de son épouse. On reconnaît bien là l’orgueil du fondateur de la dynastie et son programme mi-intellectuel mi-politique21. Ses héritiers, plus modestes, ont choisi de privilégier l’essor des universités d’Angers et d’Aix.
15Le studium d’Angers existe déjà depuis longtemps lorsque, aux XIVe et XVe siècles, il devient université par la grâce du roi de France et des papes Jean XXIII et Eugène IV : en 1364, à la demande de Louis Ier, Charles V lui confère les mêmes privilèges que ceux de l’université d’Orléans ; en 1373, il évoque « notre amée fille l’université d’Angers », et en 1376, le duc donne ses instructions à ses officiers, prévôt d’Angers et sénéchal d’Anjou-Maine, afin qu’ils respectent les privilèges octroyés ; en 1389, et surtout en 1398, après un conflit entre les écoliers et le « maître d’école » Brient Priouré, l’université obtient de nouveaux statuts, plus démocratiques ; en 1408, la nation du Maine vient s’ajouter à celles d’Anjou, Normandie, Bretagne, Aquitaine ; en 1432, Eugène IV institue les facultés de théologie, médecine et arts, qui complètent celle de droit (civil et canon). Les princes ne sont pas les créateurs de l’université d’Angers. Leur rôle, qui n’est pas mince, consiste à solliciter le roi de France, ou le pape, ainsi que le fit Louis II auprès de Jean XXIII en 1411, pour obtenir statuts et privilèges. Cependant, en 1428, Yolande d’Aragon prend sur elle de confirmer que les membres de l’université ne sont pas tenus de faire le guet pour la défense de la ville... qui est pourtant en péril extrême22.
16Par contre on peut dire que l’université d’Aix est le fruit de la volonté de Louis II et la récompense du ralliement du prince et du pays aux papes de Pise, la ville étant associée à cette entreprise : l’acte concédé par Alexandre V le 9 décembre 1409 marque la naissance d’un « centre culturel sans éclat ». A côté des arts, l’enseignement principal de la nouvelle université est l’un et l’autre droit, l’enseignement de la théologie étant lié aux studia des Ordres Mendiants. La culture de ces maîtres nous est connue grâce aux bibliothèques de certains d’entre eux : par exemple, Jean Martin, docteur utriusque juris, sur ses cent trente-quatre manuscrits, a une écrasante majorité d’ouvrages de droit civil (40 %), au premier rang desquels, les juristes italiens du XIVe siècle, et décret (un cinquième) ; les reste, à côté des auteurs grecs et latins (physique d’Aristote, César, Cicéron, Sénèque, etc.) et d’Averroès, tient dans des exempta, les étymologies d’Isidore de Séville et le très célèbre De regimine principum de Gilles de Rome. Sans oublier l’Ancien Testament23.
17Mon propos n’est pas de réécrire ce qui a déjà été écrit, et bien écrit, mais, une fois ces faits rappelés, de chercher ce que les princes ont attendu ou obtenu de ces centres culturels. Ont-ils été un séminaire de serviteurs de l'État ? Relevons qu’en 1394, Etienne Fillastre, licencié in utroque jure, reçoit procuration des nations de l’université d’Angers pour porter au pape Benoît XIII un message à la suite de son élection. Ce maître sera conseiller de Louis II et Juge ordinaire d’Anjou. Quatre conseillers de la Chambre des Comptes d'Angers sont passés par l’université : l'évêque d’Angers, Harduin du Bueil, et l’abbé de Saint-Aubin figurent sur la liste des régents et des écoliers bénéficiant de l’exemption (l’abbé de Saint-Aubin pour son monastère) en 1411. Mieux vaut dire qu’ils font toujours partie de l’université, tout en étant au service du prince. Jean d’Escherbaye est mentionné en 1394 comme gradué utriusque juris et Brient Priouré, en 1397, comme « écolâtre » et legum professor, lorsqu’il affronte l’opposition des écoliers. Faut-il voir dans cet Alanus de Esnigueyo ( ?), chanoine de cette église, et bénéficiant de l’immunité en 1411, le secrétaire de la reine Yolande24 ? C’est peu et c’est beaucoup. L'université d’Angers n’a pas vocation de former des serviteurs du prince qui y prendraient leurs grades, sauf sans doute les gens des Comptes. Elle demeure avant tout un centre culturel du royaume de France, au même titre que celle d’Orléans. Il en va tout autrement de l’université d’Aix, fréquentée par les seuls Provençaux et en proie à la concurrence de l’université d’Avignon : la faculté de droit civil s y « confond avec les hautes juridictions et le conseil du Roi25 ».
B. Un révélateur : la diplomatique princière
18Les princes font donc grand cas de la culture des légistes. Leurs références sont davantage perceptibles à travers leurs propres actes, car, à l’instar des autres grands, ils ont beaucoup écrit ou fait écrire. Sur parchemin ou sur papier, en latin ou en français (le provençal étant réservé aux rapports avec les Etats provençaux). Le journal de la Chambre des Comptes d’Angers mentionne, le 6 décembre 1405, que le receveur d’Anjou, reçoit « une douzaine de grand parchemin et deux rames de papier de Troie »apportées de Paris26. Les serviteurs multiplient les écrits suivant les instructions. Cependant, on ne saurait décrire, à la différence d’autres chancelleries, une officine bien structurée où s’élaboreraient les actes du roi de Sicile : tout repose sur le chancelier. Jean Le Fèvre travaille avec quelques secrétaires « volants », Harduin de Bueil, en symbiose avec la Chambre des Comptes d’Angers. Jean le Fèvre, né à Paris, a fait des études de droit canon à Paris et de droit civil à Orléans. En 1379, il est docteur en droit canon (l’est-il aussi en l’autre droit ?) ; en mars 1380, il devient évêque de Chartres. Il a donc eu une première vie avant de devenir chancelier de Louis Ier en juin 1380. A la mort du prince, il se voit confirmé dans ses fonctions par la reine Marie, à qui il prête serment le 5 novembre 1384. On sait qu’il est intimement lié à l’histoire de la conquête de la Provence ; son journal s’interrompt en juin 1388 et il meurt en janvier 139027. Nonobstant ses autres qualités, Jean Le Fèvre est un bourreau de travail : par exemple, en septembre 1385, à l’arrivée à Marseille, il scelle cent quatre actes en six jours ! La règle s’est imposée d’une seule question traitée par acte, et le chancelier se fait reprendre pour ne pas l’avoir respectée. Les dons, confirmations de dons faits par la reine Jeanne, le roi Louis Ier et le sénéchal de Provence de biens pris (ou à prendre) ou non sur les rebelles constituent une bonne partie de ces lettres (vingt-huit), avec les promesses et concessions d’offices (vingt-sept), offices de viguiers, sous-viguiers, bayles et juges d’une part, écuyers d’écurie ou « d’honneur » de l’autre. Quatre actes modifient le découpage des vigueries et baylies au détriment de celles de Saint-Maximin, Toulon et Aix. Neuf Massaliotes sont retenus à conseil, trois deviennent des familiers des princes ; cinq lettres accordent des privilèges aux notaires. Le chancelier scelle aussi des rémissions de peines ou de dettes – la communauté de Tourves se voit dispensée de payer son dû aux Juifs d’Aix et de Saint-Maximin —, l’octroi d’immunités et de franchises, le droit d’ouvrir un marché ou d’utiliser certains pâturages. Un seul acte a trait à la chevauchée et deux au droit de garde. Une création de chapellenie, deux rentes pour des religieux complètent la série avec cinq mandements aux clavaires pour payer les gages de certains officiers. Une partie de ces actes sera annulée deux ans plus tard lors du ralliement de la Ligue d’Aix. Le rythme de travail du chancelier n’est pas toujours aussi intensif. Il l’est cependant encore d’octobre 1386 à avril 1387, quand Jean Le Fèvre, ambassadeur et courrier de la reine, accomplit un voyage en France, et en septembre 1387, où les Aixois sont les bénéficiaires de nombreuses lettres28.
19L’évêque de Chartres scelle de son propre sceau ses lettres personnelles. Il scelle du grand sceau les lettres de Marie de Blois et de Louis II, et, quand il part en voyage, il dépose, sur ordre de la reine Marie, le grand sceau et le sceau du roi dans le coffre du sceau secret du pape à Avignon, et il emporte des lettres scellées. Il reçoit un moment, à la mort de Foulques d’Agoult, les sceaux de la sénéchaussée, mais la princesse garde celui de la finance. En décembre 1384, alors qu’ils sont encore en Anjou, la princesse lui confie les sceaux des Grands Jours. En octobre 1385, Robert de Dreux lui apporte à Avignon le sceau du secret pour sceller les trêves avec « Balthazar ». À la Chambre des Comptes d’Angers, en mai 1387, il s’étonne que l’on utilise le sceau de simple justice pour sceller « aultre chose touchant graces ». À Orléans, en avril 1388, il scelle une lettre destinée à Jean de Bretagne « par emprunt du seel de Madame ». Il lui arrive de sceller des actes qu'il n’approuve pas, mais il s’incline devant la volonté princière. Jouissant de l’absolue confiance de Marie de Blois, il a entre les mains au cours de ces quatre années, tous les sceaux de première importance a un moment ou à l’autre, et, s’il emporte au cours de ses ambassades des lettres toutes scellées, c’est que le grand sceau de majesté doit demeurer là où est le roi ou à proximité. Pour ce travail gigantesque, le chancelier s’est vu promettre les gages de 2 000 francs par an ; il inscrit méticuleusement dans son journal les versements de ses gages, auxquels s’ajoutent les émoluments du sceau et le supplément de quatre francs par jour de voyage, ce qui ne l’empêche pas de prêter de l’argent à « Madame », qui lui rembourse 566 francs en mars 138829.
20Harduin de Bueil, évêque d’Angers, qui devient chancelier de Louis II en 1398, n’a pas le brillant de Jean Le Fèvre. Il semble avoir été un honnête gestionnaire et un fin diplomate dans le cadre du royaume de France. Associé aux grands événements de l’histoire de la principauté et jouant un rôle dans l'Église de son temps, il travaille le plus souvent au cœur de la Chambre des Comptes d’Angers, mais il est absent des comtés de Provence et de Forcalquier30. Est-ce pour cette raison que, bien qu’il soit chancelier du prince devant œuvrer partout où ce dernier se trouve, et qu’il ne disparaisse qu’en 1439, à un âge avancé, le besoin s’est fait sentir de nommer un chancelier de Provence ? Ce n’est pas un hasard si c’est Yolande d’Aragon qui prend cette décision en 1419, date à laquelle elle se réfugie avec Louis III dans les comtés méridionaux, coupée momentanément de ses terres de France. Elle choisit un féal parmi ses conseillers, Ligier Sapor, d’Eyragues, évêque de Gap depuis 1412. En 1425, la reine étant rentrée en Anjou, Louis III destitue l’évêque de Gap31. Question d’homme ou question d’institution, il y a un malaise certain au sein de la chancellerie des princes d’Anjou-Provence, qui feront de plus en plus confiance à leurs secrétaires. Cependant, à la fin de l’an 1432 ou au début de 1433, Guillaume Saignet devient chancelier de Provence, et Jean Martin sera le chancelier du roi René32.
21Malgré les défaillances du système, les actes des princes sont là pour témoigner de leur action et de leur philosophie : à l’énumération, dans le journal de la Chambre des Comptes d’Angers, des mandements, ordonnances, lettres closes ou patentes, lettres « en queue double et cire verte », lettres scellées « en laz de soie rouge et cire blanche et rouge » etc., il appert que les princes et princesses ont usé de toute la gamme des actes possible. Les grandes lettres patentes, amputées de l’invocation, subsistent, mais la facture souple des lettres « par le roi » répond sans doute mieux aux exigences du pouvoir. Lettres per regem, per regem in consilio, per regem ore proprio, per regem manu proprio. De plus en plus souvent s’ajoute la signature du roi : per manus nostri regis Ludovici, pour corroborer l’authenticité de l’acte. Cependant, les grandes décisions politiques ont été prises sous diverses formes : lettres « par le roi » pour les pleins pouvoirs donnés à Yolande d’Aragon, par son époux, le 14 février 1410, scellées du grand sceau et signées par Louis II ; Louis III crée, le 20 novembre 1424, le Conseil Éminent par ordonnances, avec grand sceau pendant, suscription manuelle et la formule per regem in consilio ; l’acte non moins important d’Aversa du 22 août 1427, rédigé par Concoricio sur parchemin, a un grand sceau pendant de cire rouge et la signature du roi ; la création du Parlement par Louis II, le 14 août 1415, à Nîmes, revêt la forme de lettres patentes adressées à tous les officiers et non de lettres per regem. Les décisions princières peuvent avoir la caution des dames : per Regem in presencia Domine Regine, et lorsqu’elles exercent la vice-royauté, comme Yolande d’Aragon en l’absence de son mari, elles délivrent des lettres per reginam33.
22L’originalité des lettres per regem – les Valois aînés ont montré le chemin – tient au fond plus qu’à la forme, qui garde les mêmes articulations que les lettres patentes. Elles affirment que tout pouvoir procède du roi, dont la majestas est exaltée. Nostra majestas apparaît dans les lettres royales, comme par exemple dans les lettres per regem données à Paris le 18 mai 1416, par Jean Louvet, concernant l’obligation des officiers majeurs de résider à Aix34. L’atteinte à la majesté, la « lèse-majesté » est le plus impardonnable des crimes. On assiste à une incontestable montée de l’autoritarisme à travers les actes des princes, au cours de la deuxième partie du règne de Louis II et pendant le règne de Louis III : le 28 août 1433, de Saint-Marc, sous signet secret, Louis III expédie à Bertrand de Beauvau, gouverneur des comtés de Provence et Forcalquier, une lettre « au commandement du roi », « car ainsi nous plaist estre faict, toutes oppositions cessantes... » Le rêveur d’Aversa serait aussi un autoritaire ? Avec lui interviennent les lettres « de nostre certaine science », affirmation du pouvoir absolu...35.
23Ces réminiscences du droit romain, ce sentiment de grandeur supra-humaine sont sensibles dans la facture des sceaux princiers et royaux. Au début du règne de Louis II, le chancelier a « porté le seel de feu monseigneur en la chambre des comptes en la maison des Prédicateurs, et ledit seel » a « enclos en un sac de toile » et le « lié tres bien » en y faisant apposer les signets de quelques fidèles conseillers, tandis que la fabrication des sceaux du jeune roi – grand sceau de majesté, sceau du secret, petits sceaux ou signets ronds ou carrés – est la préoccupation majeure de la reine Marie, qui demande conseil au duc de Berri à ce sujet. « La fourme du grand li pleust assés : il dit que le secret estoit trop grand et conseilloit qu’il fust ramené à la grandeur du contresigné »36. Bien que Louis Ier ait reçu du pape une bannière aux armes de Sicile et de Jérusalem, et qu’il ait pris le titre le 30 août 1383, ni l’écu ni le sceau du prince n’en portent les armes. Louis II, après son couronnement de 1389, et Louis III font passer au premier plan les armes de Jérusalem et Sicile, « qui occupent la place d’honneur comme dans l’écu de la reine Jeanne », laissant à l’Anjou ancien et moderne la deuxième partie. On ne peut qu’admirer le magnifique sceau de majesté de Louis II, où le roi, sur fond de fleurs de lys et de croix de Jérusalem, les pieds reposant sur un bélier et un loup, couronne en tête, tient le sceptre de la main droite et le globe dans la main gauche. Et, sur le même modèle, le sceau de majesté de Louis III, dont le globe est surmonté de la croix double, le contre-sceau équestre comportant des L couronnés, et la mer sous le cheval37...
24À quel moment les ducs d’Anjou se ressentent-ils comme rois ? À la mort de leur prédécesseur ? Après leur couronnement ? Si Louis Ier n’a pas laissé de sceau royal, est-ce parce qu’il attend un succès définitif ou parce qu’il n’a pas été couronné ? « Vendredi XVIe jour d’octembre [1383] vindrent nouvelles à Paris que le XXXe jour d’aoust monsegneur le duc de Calabre avoit pris le nom et titre de Roy de Secile et de Jherusalem, presens plusieurs barons comtes et ducs du royaume », rapporte le journal du chancelier, qui, bien informé, ne manquerait pas de noter le couronnement s’il avait eu lieu. Louis II, s’il prend le titre à la mort de son père, ne porte les armes qu’après le couronnement. De même pour la frappe des monnaies. Louis III prend le titre de roi de Jérusalem et Sicile au décès de son père, reçoit l’investiture dudit royaume par Martin V à Rome en 1420, mais quand porte-t-il les armes de Jérusalem ? Après l’accord avec la reine Jeanne II en 1425 ? Après l’adoption définitive en 1433 ? Le grand sceau de majesté existe avant, semble-t-il. Louis III n’a été couronné ni en 1420 ni par la suite, la reine Jeanne II étant en vie. Quant à Marie de Blois-Penthièvre et Yolande d’Aragon, leur écu est partagé entre les armes de l’époux et les armes du père38.
C. L’imaginaire et ses entraves
25Que les princes fassent passer au premier plan leur titre de roi est également sensible à travers le cérémonial des « entrées royales ». En juin 1388, Marie de Blois s’apprête à faire son entrée solennelle à Paris avec son jeune fils, et, nous rapporte Froissart,
avant que la dame entrât dans Paris, elle signifia à ses frères, les ducs de Berry et de Bourgogne, qu’elle venoit à Paris et amenoit son jeune filz en sa compaignie... Si vouloit savoir si elle entrerait à Paris qui est cité si authentique et le chef du royaulme de France, en état comme roi ou simplement comme Louis d’Anjou. Les deux ducs lui remandèrent, eux bien avisés et conseillés, qu’ils vouloient qu’il entrast comme roi de Naples, de Sicile et de Hierusalem ; et, quoique pour le présent il n’en fust pas en possession, ils lui aideraient et feraient le roi de France aider, tant et si avant qu’il aurait et tiendrait la seigneurie et possession paisible des terres dont il avoit pris le titre, car ainsi l’avoient-ilz juré en France à leur frère, le roi Louis39.
26Même quand ils ne tiennent pas entre leurs mains ce royaume convoité, la légitimité de leur possession virtuelle est mise en avant. C’est sur un cheval blanc que le jeune roi fera son entrée dans la capitale du royaume de France. À Aix, le 21 octobre 1387, Louis II porte une cote aux armes de Jérusalem et de Sicile, et son cheval est paré de même. Timidement d’abord, le rouge apparaît au cours de ce cérémonial, à Sisteron en juillet 1386, et à Angers, en mars 1388, les « bonnes gens » portent la livrée rouge. Triomphalement ensuite, à Bologne, en mai 1410, où Louis II, vêtu de vermeil, monté sur un destrier paré de même et orné de clochettes, est entouré de cinquante chevaliers vêtus à sa parure. Allusion à la pourpre impériale pour l’homme que la foule salue du cri de victor rex Sicilie Ludovicus en même temps qu’elle acclame le pape Jean XXIII40 ? En août 1385, à Marseille, le roi de Sicile a un poêle d’or porté au-dessus de lui, poêle brodé à ses armes à Apt, à ses armes, à celles de la reine et à celles de la ville à Aix ; la reine Yolande, en décembre 1400, à Arles, voit le sien brodé aux armes du roi, à ses propres armes et à celles de la ville. Toutes les entrées provençales font mention de ce dais, qui disparaît à Angers et à Paris. Ancienne coutume provençale, réminiscence de l'« adventus impérial » et de l’entrée « messianique », comment ne pas souscrire à ces conclusions, qui cadrent parfaitement avec l’image du roi que souhaitent imposer la première et la deuxième Maison d’Anjou-Provence. Et avec le caractère original d’Arles, ville impériale41.
27S’il est un moment privilégié où devraient apparaître les références de la monarchie angevine, c’est le couronnement de Louis II à Avignon, à la Toussaint 1389, qui s’inscrit, avec quelques variantes, dans le rituel de ses prédécesseurs, le roi Robert ayant été sacré, en 1309, dans la même ville. Car c’est bien d’un sacre et couronnement qu’il s’agit. Rappelons que cette cérémonie intervient après la victoire de la reine Marie en Provence et sa réconciliation avec les princes du royaume de France, ses rivaux, et précède le départ du jeune Louis II pour son royaume à conquérir. Les nuages qui avaient obscurci les rapports des princes d’Anjou avec Clément VII sont également dissipés. Jour faste pour la nouvelle dynastie qui s’ouvre sur le cadre de la chapelle du palais pontifical, où un échafaud a été dressé avec « un petit lict et courtines » à l’entrée du chœur pour le prince et sa mère, la chaire destinée à Clément VII étant devant l’autel. Le cérémonial se déroule en trois temps : hommage-lige – le royaume de « Sicile » étant vassal du Saint Siège – et serment ; onction ; couronnement. L’hommage, suivi de Voris osculum, témoigne de la dépendance de Louis II, qui s’agenouille aux côtés du pape et des cardinaux pendant que retentit le Kyrie eleison. L’onction est faite par le cardinal d’Ostie « a qui appartient de son office sacrer pape, empereur et roy de Sicile », qui « enoint les mains, puis le pis et derriere aussi et les espaules aussi ». Le couronnement, qui est la plus longue des trois phases, revient naturellement au pape : les regalia, portés par les grands de l’entourage du roi, sont déposés à droite de l’autel, où ils restent pendant que le pape commence la messe et dit le confiteor. Après l'épître et la révérence des cardinaux, Louis II, conduit par les seigneurs, s’agenouille devant le Pontife pour recevoir le glaive, que le pape a pris en mains en prononçant l'accipe gladium, pour ensuite, après avoir fait lever le roi, et avoir brandi trois fois l’épée hors du fourreau, l’en ceindre. Louis II s’agenouille alors à nouveau, reçoit le sceptre dans la main droite, la pomme d’or dans la main gauche. Enfin, le pape pose la couronne, que le roi de France a prise sur l’autel et lui a donnée, sur la tête du jeune prince. Fraîchement couronné, Louis II donne au pape et aux cardinaux un baiser sur la bouche, retourne sur son échafaud, où sa mère l’accueille et l’embrasse. L’évangile dit, le roi, couronne en tête, mais sans les insignes de son pouvoir, que portent les seigneurs, remet en offrande au pontife un reliquaire, qu’apporte son frère Charles. Après quoi, devant l’autel, avec les diacres cardinaux, sans couronne ni autres regalia, il reste jusqu’à l'Agnus Dei, puis il communie de la main du pape, et demeure devant la chaire pontificale jusqu’à la fin de la messe. Revêtu d’un manteau aux armes de Sicile et des insignes du pouvoir, Louis II reçoit alors la bénédiction pontificale qui clôt ce cérémonial. Un banquet solennel met la touche finale a ces festivités42.
28À ces trois phases du cérémonial, dont le couronnement est non seulement la plus longue mais aussi la plus importante, correspondent trois costumes du jeune Louis ; ou plutôt un costume pour les deux premières phases – hommage et onction-, un costume pour la troisième phase – le couronnement – et un pour l’épilogue du banquet. En signe de « pureté et d’innocence », il est d’abord
vestu de blanc a une cote longue aboutans devant et derriere jusques au pies, et par dessus avoit un mantel fendu devant et un lacs en maniere de hospitalier, et estoient la dicte cote et mantel de samit blanc comme dit est fourrez dermine,
29manteau que la coutume abandonne au chambellan du pape, l’archevêque d’Arles. C’est cette cote immaculée qui est abaissée pour découvrir les épaules et permettre l’onction. Dans un deuxième temps, le roi est dépouillé de la cote blanche et vêtu de
tunique et dalmatique comme soubzdyacre et dyacre et chaussé de mesmes tretout a fleurs de lys aux armes de Secille... et par dessus avoit une estolle tres riche... et par dessus les espaules venoit la dicte estolle et pendoit en bas a deux costez a la maniere des empereurs.
30Après le couronnement, à la fin de la messe, on lui met un manteau ouvert devant et fermé sur les épaules, aux armes de Sicile. A la fin du cérémonial, en sortant de la chapelle, le roi Louis est dévêtu de ses habits en une chambre et « vestuz en habit royal de veluau vermeil, surcot et mantel » et le roi de France pareillement43. La symbolique de ces costumes est claire : le roi tient à la fois du clerc et de l’empereur, et il est à la fois prince aux fleurs de lys et roi de Sicile. Doublement sacré, et doublement présent parmi les grands d’Occident.
31Les insignes du pouvoir royal de Louis II sont les mêmes que ceux de la première Maison d’Anjou et diffèrent sensiblement des regalia du roi de France : l’épée, « la pomme d’or à une petite croix dessus », le sceptre « qui estoit a une petite double fleur de lys », le diadème définissent la plenitudo potestatis du roi, sa puissance, son pouvoir judiciaire et son rôle chevaleresque. Ce sont les seigneurs escortant le prince qui portent ces objets symboliques : Henri de Bar, l’épée, Pierre de Navarre, le globe crucifère, le duc de Bourbon, le sceptre, le duc de Touraine, la couronne, et qui les déposent sur l’autel, en attendant que le pape en investisse Louis. L'accipe gladium oblige le jeune roi à s’engager dans la défense de la sainte Église de Dieu, la protection de ses fidèles et la lutte contre ses ennemis. L'accipe signum glorie diadema regni, s’il appelle sur le roi toutes les bénédictions et les prospérités, l’engage pour le salut de « notre peuple », conformément aux acteurs de la Bible, le peuple chrétien prenant la suite du peuple hébreu. La bénédiction des galées à Marseille le 20 juillet 1390 par le cardinal de Thury autorise l’évocation de l’arche de Noé, et l’expédition du jeune roi, David luttant contre Goliath44.
32« L’ordonnance et mystère du sacre et Coronation du Roy Loys de Sicile, duc d’Anjou et comte de Provence » est conforme, à peu de choses près, aux stéréotypes antérieurs, dans la forme et dans le fond. On peut y voir en effet « le modèle du sacre impérial » et le passage « du fief d’Église au modèle de la monarchie chrétienne »45. Cependant un élément insolite et perturbateur intervient dans le cérémonial de 1389 : la présence et le rôle de Charles VI, roi de France et cousin de Louis II. « Et touzjours le Roy de France presens », escorte tout au long de la cérémonie le jeune roi. Sa chaire est auprès de la chaire pontificale. Lorsque les regalia sont déposés à droite de l’autel, « à la part senestre fu le tyare dont les papes sont couronnez, lequel tyare pour solempnité de la dicte coronation en presence du Roy de France fu sur ledit autel ». À l’instant du couronnement « par ledit Roy de France fust prinse la couronne sur l’autel et baillée au Pape, lequel la mist au dit Roy Loys sur la teste ». Enfin, c’est lui qui « donne à laver » les mains du pontife, après l’offertoire. Au sortir de la chapelle, Louis II est suivi de Clément VII et de Charles VI. Au banquet, le pape est seul à une table, les deux rois à une autre table, « le Roy de France premier et le Roy Loys après »46. Bertrand Boysset, citoyen d’Arles affirme même dans sa chronique : « dis l’évangile lo rey de Franscia... » à cette coronation. Même si ce fait n’est pas mentionné dans l'ordo, l’erreur du chroniqueur montre l’importance accordée au rôle du roi de France dans ce cérémonial47. Comment interpréter la place et le comportement de Charles VI ? Simple accord entre la papauté d’Avignon et la monarchie française pour patronner la conquête du royaume de Naples par le jeune Louis, conquête qu’elles soutiennent aussi financièrement ? Faut-il aller plus loin et voir dans le geste du roi qui prend la couronne sur l’autel pour la donner au pape une certaine limite de l’absolue liberté du pontife de disposer de cette couronne ? Geste très différent de celui des pairs au couronnement du roi de France à Reims qui soutiennent la couronne que l’archevêque pose sur la tête du roi48. Louis II, mineur, semble étroitement encadré par ses deux protecteurs : « ledit Roy Loys entre eux deux furent en piez par un petit espace... », « le pape et le roy de France se levèrent contre luy », etc. ; l’ordonnance du sacre établit une stricte hiérarchie entre les trois pouvoirs, comme entre les trois hommes, pape, roi de France et roi de Sicile. Si Charles VI sert le pape à l’autel, en lui versant l’eau sur les mains, n’est-il pas assimilé par là à l’empereur, qui assistait jadis le pape ? Le pouvoir impérial serait-il passé entre les mains des rois, de France et de Sicile ? L’initiation du jeune Louis, la révélation du « mystère du sacre et coronation » comprennent le privilège de communier sous les deux espèces. Bien au delà de l'oris osculum vassalique, les baisers échangés avec le pape et les cardinaux scellent l’admission du jeune Louis dans un ordre supérieur, et affirment que c’est l'Église qui en détient les clefs49.
33Ces fastes se déroulent devant un public paradoxalement assez restreint – les dimensions de la chapelle du palais pontifical n’ont rien à voir avec celles de Notre-Dame-des-Doms, où Bertrand Boysset situe à tort le couronnement. Y figure d’abord la famille de Louis II : sa mère, Marie de Blois-Penthièvre, son jeune frère, Charles de Tarente, son oncle maternel, Henri de Blois, qui a le titre de despote de Romanie ; la place d’honneur revient au roi Charles VI et à son frère, Louis, duc de Touraine, qui a été choisi pour porter la couronne « en ses deux mains » et la déposer sur l’autel ; à leurs côtés, trois grands du royaume : le duc Louis II de Bourbon, messires Henri de Bar et Pierre de Navarre, à qui, on l’a vu, sont confiés les regalia ; à un rang plus modeste, les sires d’Albret et de Coucy, qui servent de panetier et d’écuyer tranchant à la table des rois, avec Henri de Bretagne, maître-queux, et le comte de Genève, frère du pape, échanson. Ni le duc de Berry ni le duc de Bourgogne ne sont présents. Si le citoyen d’Arles, Bertrand Boysset, mentionne Philippe, frère du roi de France, confond-il avec Louis ? Car Philippe de Bourgogne, oncle de Charles VI, n’est pas cité dans l'ordo, pas plus que le roi d’Arménie, Léon V de Lusignan (confondu avec le despote de Romanie ?). Parmi les grands ecclésiastiques, écrin de la papauté d’Avignon, on trouve, à côté des cardinaux et cardinaux-diacres restés anonymes, ceux qui figurent au conseil de Marie de Blois et qui officient dans ce sacre et couronnement : le cardinal d’Ostie, à qui appartient l’onction, le cardinal de Saint-Marcel, prieur des cardinaux, qui se tient à la gauche du pape, l’archevêque d’Arles, chambellan de Clément VII, le cardinal Faydit d’Aigrefeuille évêque d’Avignon, premier cardinal-prêtre recite le Pater Noster ; le cardinal de Thury, légat pontifical, bénira les galées en juillet 139050.
34Le grand absent est le royaume de Sicile, ou plutôt le royaume de Naples : pas un seul grand, ecclésiastique ou laïc, n’assiste au couronnement de « leur » roi. Ils sont sans doute trop occupés, du moins les seigneurs laïcs, à se battre contre les Duras. Au moins, en 1384, à la mort de Louis Ier, le comte de Potenza était-il venu exhorter le jeune prince à continuer l'œuvre de son père. Le roi qui vient d’être couronné est un roi sans royaume. Tous les ors du cérémonial, les insignes sacralisés du pouvoir entretiennent le rêve jusqu’à l’obsession : il faut conquérir et reconquérir ce royaume, qui fascine les princes d’Anjou autant qu’il leur échappe. Mais le sacre et la coronation ne traduisent-ils pas aussi le rêve de l'Église : faire les rois et coiffer les hiérarchies ?
35Jusqu’à quel point Louis II s’est-il senti engagé par la conception du pouvoir exprimé à travers ce cérémonial religieux subi par l’enfant qu’il était alors ? À son retour, momentanément vaincu, de son expédition dans le royaume de Naples, majeur, il ouvre son règne personnel par un acte significatif : il choisit Arles, la ville impériale, pour épouser, en l’église Saint-Trophime, Yolande d’Aragon, le 2 décembre 1400. Et, qui mieux est, il affirme, quelques années plus tard, lorsqu’il confère la vice-royauté à son épouse (dont nous reparlerons), que si Yolande est « dame » des mêmes terres que lui, c’est en vertu du « couronnement » commun à Arles. Que s’est-il passé exactement ? Bertrand Boysset écrit que
lo Rey Lois esposet madama Violant sa molher la regina novela en la gleisa de sant Trofeme d’Arle e los donet lo cardenal d’Albano, lo camerlenc del papa present e motos avesques e prelatz e contes e grans senhos presens a qui foron.
36Pas question de couronnement chez le chroniqueur, mais il ajoute que les nouveaux mariés reçurent, au palais, les ambassadeurs d’Avignon, Marseille, Aix et Tarascon, et d’autres lieux de Provence, et que les syndics d’Arles leur offrirent quantité de vaisselle d’or et d’argent, francs, florins, écus, acceptés à grand honneur par le roi, qui les remercia beaucoup51. L’orientation plus réaliste du règne voulue par Louis II associe les communautés provençales, absentes du sacre de 1389, et la ville d’Avignon à sa gloire, comme s’il entrevoyait que son seul et vrai royaume était la Provence, et comme s’il s’émancipait de toutes les tutelles.
37La dimension imaginaire ne s’efface pas pour autant. La représentation de la royauté obéit, à la fin du Moyen Âge, à des règles qui laissent peu de place à l’originalité. Sur deux points seulement, les princes d’Anjou peuvent y prétendre : d’abord par la tentation, pour ne pas dire la volonté, d'englober tous leurs territoires dans l’acception monarchique, et par la création de la vice-royauté, les deux étant liées. Lorsque Louis II s’apprête à partir, une fois encore, pour l’Italie, il donne, par lettres du 14 février 1410, à Angers, à sa
tres amée compaigne la royne desdiz royaume, duchesse et comtesse des duchié et comtez dessusdiz, la ministration générale... tant en fait de justice comme de finances... avecques plaine puissance et autorité de remettre et pardonner touz crimes, deliz et malefices... de donner tous benefices appartenans a nostre colacion... de mettre et instituer touz officiers en noz diz pays... de quiconque estat auctorité ou puissance qu’ilz soient et de destituer oster et desappointer ceulx qui y sont et les remettre et instituer ou autrement ordonner selon son bon plaisir... et aussi... pouvoir et auctorité de faire assembler les gens de troys estas de noz diz pays... de vendre engaiger aliener et transporter de noz baronnies, chasteaulx, terres et possessions telles et tant et tout ainsi en la forme et maniere que bon lui semblera...
38Il s’agit là d’une lieutenance générale qui, si elle respecte les nuances de la titulature, accorde un pouvoir uniforme dans l’ensemble de la principauté, sans tenir compte des termes de la concession de l’apanage d’Anjou-Maine, notamment en matière de justice, et qui met l’accent, avec les pleins pouvoirs, sur le « bon plaisir » de la reine. Le nom change, mais non la chose, dans l’acte de 1423 par lequel Louis III, de Rome, donne à sa mère la vice-royauté des royaume, duché, comtés et terres adjacentes avec un pouvoir comparable à celui conféré à la même reine en 1410 : nomination et destitution d’officiers, ventes et aliénations, exigence des droits fiscaux, rémission des délits et crimes, y compris celui de lèse-majesté... à condition qu’elle exerce ce pouvoir en son nom à lui, restriction que Louis II n’avait pas imposée à son épouse. Le respect des coutumes de chaque territoire serait-il implicite ? Ou volontairement ignoré ? Mais, en 1423, Yolande d’Aragon reprend le chemin de la France, et Charles, jeune frère de Louis III, mineur, reçoit la vice-royauté, circonscrite aux comtés de Provence et de Forcalquier. En 1401, Charles de Tarente, frère de Louis II, flanqué d’un lieutenant, avait exercé aussi la vice-royauté. Palliatif de l’absence des princes, ces concessions entérinent la partition entre le royaume de Naples et les terres d’outre-monts, tout en laissant à ces dernières l’ombre du pouvoir royal52.
39L’autre marque d’originalité des princes, ou plutôt du seul Louis II, tient en un mot contenu dans un acte de février 1415, à Arles : il évoque ses « silentiaires », conseillers et hommes de sa Grand-Chambre, qu’il privilégie à tous égards. Rêve-t-il, petit empereur d’Arles, à ce conseil, le silentia créé au Bas Empire ? Gouverner avec et par un conseil restreint (et secret ?) sera la conclusion à laquelle s’arrêtera le roi, après diverses tentatives, à la fin de son règne. Ce n’est pas hasard s’il a employé ce terme53.
40Chaque fois que les princes d’Anjou-Provence croient prendre leur envol, leur sujétion est brutalement rappelée. Le 29 décembre 1403, Louis II prête serment de fidélité à Charles VI, serment qui avait été requis le 26 avril :
que nostre tres chiere et tres amee compaigne la Royne, noz tres chiers et très amez oncles et frère les ducs de Berry, Bourgongne, d’Orléans et de Bourbonnois et tous autres de nostre sang et lignage et les autres gens de nostre conseil Nous facent solennel serement de Nous estre bons, vrais et loyaulx subgés et obeissans envers tous et contre tous qui pourroient vivre et mourir, comme a leur droit Souverain et naturel Seigneur... de tenir pour leur Roy, Souverain et naturel Seigneur apres Nous nostre tres chier et tres amé aisné filz le duc de Guienne, Dalphin de Viennois...
41Louis II prête donc serment, en présence du roi, entre les mains du connétable et du chancelier, « comme duc d’Anjou et comte du Maine et de Roucy et per de France et subgiet de mon dit seigneur le Roy... » Qu’un pair se reconnaisse sujet devrait ajouter à la grandeur de la royauté. À moins qu’il ne s’agisse d’une manœuvre du duc de Bourgogne, ce qui en restreindrait singulièrement la portée54. Le prince doit admettre qu’il n’est pas souverain dans tous ses États.
42Les troubles du Grand Schisme et de la crise conciliaire, la course éperdue pour obtenir l’investiture de « leur » royaume face à leurs concurrents rappellent aux princes leur dépendance à l’égard de la papauté. En outre, en 1416, réapparaît le spectre de l’empereur, ou du Roi des Romains : reçu à Paris, le duc d’Anjou l’escorte jusqu'à Saint-Denis le jour des Rameaux. En plein Parlement, Sigismond arme chevalier Guillaume Saignet, qui avait un procès contre Gui de Pesteil à propos de l’office de sénéchal de Beaucaire. Lorsque s’annonce le concile de Constance, la deuxième Maison d’Anjou ne peut se passer de Sigismond, à qui elle s’adresse, en même temps qu’elle prépare – c’est le fait de Yolande d’Aragon après le décès de Louis II en avril 1417 – la défense de ses droits sur le royaume de Sicile, et qu’elle compose soigneusement sa délégation55. Elle obtient gain de cause à ce prix.
Conclusion
43Les princes n’ont pas totalement glissé du côté du rêve, du moins ni Louis II ni les reines. La référence à l’utopique royaume de Jérusalem et de Sicile confère à leur pouvoir une dimension insolite et une charge affective, qui se répercutent sur la pratique gouvernementale. Louis III lui même, dans son obstination à conquérir et à maintenir le royaume de Naples, ne fait-il pas en sorte que coïncident mythe et réalité ? Au prix de l’abandon des autres terres. Les influences qui ont pu s’exercer sur eux sont plus proches des arcanes du droit, romain essentiellement, que des impératifs de la théocratie pontificale. Une certaine laïcisation de l’idéologie est perceptible, qui coexiste avec la religiosité du traditionnel culte royal. La conception du pouvoir des princes s’alimente à deux sources : la race qui donne l’aptitude à gouverner et les réminiscences de la grandeur impériale. La recherche de l’accroissement du « royal honneur », la crainte de son « apetissement », mais aussi la défense de l’honneur du roi de France et la fidélité à la famille (peut-être moins sensible chez Louis III), la volonté de promouvoir le « bien commun » vont de pair avec l’exaltation de la « majesté ». Louis II et Louis III ont aussi beaucoup légiféré et la justice du roi est au cœur de la contestation provençale des dernières décennies56.
III. LE PRIX DE LA GRANDEUR
44Les sombres forêts des finances de la deuxième Maison d'Anjou-Provence se laissent difficilement pénétrer. Et pourtant il faut bien se demander si le roi de « Sicile » a les moyens de sa grandeur, s'il les trouve sur ses terres, s'il les demande et les obtient de ses sujets, ou s'il est contraint de chercher ailleurs et, dans ce cas, où ? Pour « tenir son estat », le Domaine ne suffit plus, à la fin du Moyen Âge, ni pour le roi de France ni pour les princes, pas plus que les contingents féodaux ne leur permettent d'affronter une guerre moderne. Le recours à l'impôt « extraordinaire », qui deviendra permanent après une période de rodage, dans laquelle s'inscrit le gouvernement de Louis II et de Louis III, va devenir la norme, non sans remous. Outre leur train de vie fastueux et leurs dépenses somptuaires, les princes doivent affronter le coût de la guerre en France et en Provence. La collecte des fonds pour les expéditions italiennes demeure la priorité des priorités, sauf peut-être quand l'offensive anglaise vient battre les murs des forteresses mancelles et angevines. Après avoir usé de tous les palliatifs, grande est la tentation de puiser dans les richesses du royaume de France, à la faveur de la « fêlure » de l'État57.
A. Ressources et train de vie
45Le compte du trésorier Nicolas de Mauregard, qui couvre la période 1375-1379, nous apprend que l'apanage a rapporté annuellement 40 000 livres tournois : divers subsides y entrent pour 31 %, les fouages cédés par le roi pour 22 %, les recettes ordinaires 15 % seulement en raison des charges de pensions, gages etc. Du revenu de l'apanage, Louis Ier est parvenu à mettre dans ses coffres, par divers versements, 55 000 livres. Le compte d'Etienne Langles, de 1385 à 1388 met en évidence la grande irrégularité des recettes, lui-même et le receveur de Guise ayant versé la grosse somme de 192 000 livres tournois à la princesse Marie, ce qui fait monter exceptionnellement, avec divers dons, la moyenne annuelle à 73 000 livres tournois. Sous Louis II, vers 1412-14, 22 à 26 000 livres tournois des recettes de l'ordinaire et de la gabelle, auxquelles s'ajoutent 20 à 25 000 livres tournois des aides, soit environ 45 à 50 000 livres tournois, voilà ce dont dispose le prince, alors que pour « tenir son estat », il lui faudrait une bonne centaine de milliers de livres. Un éclairage supplémentaire : lorsque le duc de Bedford reçoit de son neveu le duché d'Anjou, le comté du Maine et la vicomté de Beaumont, en septembre 1430, il promet de les restituer contre une rente annuelle de 30 000 livres tournois58...
46Bien qu'insuffisantes, les sources de revenus des princes d'Anjou sont convoitées, notamment les revenus de la gabelle du sel de Provence qui, après l'instauration du monopole comtal en 1259, par Charles Ier, rapportait déjà en 1263,10 000 livres de bénéfice annuel59. Surchargée en temps normal d'assignations, et de décharges, entrant même parfois dans la composition du douaire d'une princesse, ladite gabelle fait par deux fois l'objet d'une association avec le royaume de France : en 1401, la « société » constituée deux ans plus tôt, avec l'accord de Marie de Blois-Penthièvre, entre les officiers de Charles VI et ceux de la comtesse de Provence « par rapport à la vente du sel qui se faisoit dans le Languedoc et la Provence et que transportoit par le Rhône et les terres d'Empire », est prorogée. Elle a pour but avoué de lutter contre la fraude, d'établir des points de vente et des tarifs communs, et d'instaurer un partage des émoluments entre le roi de France et la comtesse de Provence. Quelques années plus tard, en janvier 1413, la « compaignie des gabelles de la Rivière Rosne » voit le jour, en principe pour trois ans, en association avec le duc de Berry60. Quelles destinées ont eu ces deux « sociétés » ? Éphémères sans doute. Par ailleurs, cette imposition n'échappe pas aux aliénations : entre les mains du marquis de Cotrone (en 1410), qui a prêté 21 000 francs à Louis II ; entre celles d'Andrea de Pazzi vers la fin du règne du même prince en remboursement d'une avance de 4 000 francs, ce qui entraîna un long procès, Louis III voulant revenir sur cette concession. Apparemment il y parvint, puisque Pierre de Bournan, déjà visiteur général des gabelles et des greniers de sel des rives du Rhône en 1413, a, en 1430, le contrôle de la totalité des gabelles du sel de Provence61.
47Sous l'empire de la nécessité, la politique fiscale des princes d'Anjou-Provence témoigne de contradictions certaines. Cependant Louis II, au début de son règne personnel, a fait preuve d'une volonté de clarification et de justice : d'abord, comme pour les hommages, il ordonne que les receveurs ordinaires d'Anjou et Maine recensent à part, rentes, vinages, cens et autres « devoirs », et que ces droits soient enregistrés en « livres à mémoire perpétuel ». La perception de ces droits étant affermée aux mains des prévôts, par la « négligence » desquels au temps passé « lesdictes fermes sont moult diminuez ». Lesdites prévôtés, en ce qui concerne la justice et ces droits, seront désormais « gouvernées en nostre main par certaines personnes qui ad ce seront commis de par nous ». Au lieu d'un seul procureur pour l'Anjou, dont la charge est trop lourde, trois procureurs prendront place dans les trois ressorts d’Angers, Saumur, Loudun. Pour corriger les abus des commissaires sergents sur le fait des aides et de la gabelle, « peu savans », « par quoy le peuple de nosdiz pais est moult greve et oppresse », Louis II s'en remet aux gens de son conseil à Angers. Mais le prince ne se contente pas de ces mesures, il s'octroie un droit de regard sur les registres du roi de France, qui lui a « par ordenance » donné « le proufit des aides en nosdiz pais » : il demande que les receveurs des aides et les grenetiers,
après que ils aront compté en la chambre des comptes de monsegneur le Roy, apportent leurs comptes en nostre dicte chambre à Angiers pour savoir leur estat et la distribucion des deniers de leurs receptes62.
48Périodiquement Louis II amorce des « réformations », stigmatise les malversations et ordonne la mise à jour de la comptabilité. Les gens des comptes d'Angers récapitulent tout ce qui aurait dû rentrer dans les caisses du prince et qui n'y est pas parvenu : Guillaume Aignen, trésorier de la reine, qui a eu des versements des receveurs du Maine et de Loudun, doit en 1405, 141 livres. D'où procès, après sa mort, entre sa veuve, qui conteste les chiffres, et le duc d'Anjou63. De même, à l’autre bout de la principauté, Guillaume Aymeric, trésorier de la viguerie d'Aix, et trésorier général de la levée de 20 000 francs pour lutter contre Raymond de Turenne, en 1391, se voit l'objet de la suspicion du prince, qui crée en 1402 une commission chargée de vérifier ses comptes : il devrait 2 970 florins 8 sous 2 deniers64. Négligence ou malversation ? Serait-ce possible qu’il y ait des retards de plus de vingt ans dans les versements ? En 1405, les gens des comptes s'inquiètent des 1 075 livres 19 sous 10 deniers obole du receveur ordinaire de Touraine, Gilet Rochelle – la Touraine avait été cédée à vie seulement à Louis Ier – et son successeur, Guillaume Herne, doit évaluer les revenus annuels de la Touraine et rendre des comptes65. Le désordre, les dispenses n'expliquent pas tout : si le domaine comtal provençal a perdu, en un siècle, les deux tiers de sa valeur fiscale, il le faut imputer aux années tragiques de la fin du XIVe siècle, où le pays exsangue, dépeuplé a du mal à faire face aux exigences fiscales des princes et où ces derniers aliènent leurs terres et leurs droits. Le tableau ne doit pas être trop noir cependant : un léger redressement est perceptible, les revenus de l'apanage sont en progression de 1412 à 1414, et, sous la reine Yolande, une spectaculaire reconstitution du Domaine se produit66. Et les princes d'Anjou Provence ont eu aussi d'excellents officiers des finances. Parmi les receveurs ordinaires de l'apanage, mentionnons Jean Guoyme, receveur du Maine en 1403, encore présent en 1407, et dont il est dit, en 1416 « naguères receveur ordinaire du comté du Maine et de la baronnie de Chastel-du-Loir ». On a requis ses services pour rendre compte de l'aide levée pour « feu monsegneur le prince de Tarente « Lui succède Jean Morin, qui fut aussi des années durant receveur du Maine. Le record de longévité appartient au receveur ordinaire d'Anjou, Girart Chrestien, qui exerce cet office de 1405 à 1427, et peut-être au-delà, et qui, après avoir été l'homme de Louis II, est reconduit par la reine Yolande et confirmé par Louis III en 1425. Jouissant de la confiance de trois membres de la famille royale, il avait en outre été commis, en 1411, pour le Trépas sur la Loire avec d'autres, dont Jean Loheat67.
49Les princes n'ont pas unifié leur trésorerie générale, mais ont gardé deux trésoriers généraux, un pour l'apanage, l'autre pour les comtés méridionaux. L'Anjou est dominé par les fortes personnalités de Jean Dupuy et d'Étienne Bernard, deux Tourangeaux. Le premier occupe l'office de trésorier d'Anjou de 1398, date à laquelle il est qualifié de « trésorier général es parties de France », jusqu'à la fin du règne de Louis II. Conseiller du roi de Sicile, il est présent dans les grandes occasions, et se voit désigné comme exécuteur testamentaire en 1410 et 1417. Curieusement, il est présent en Provence, il fait partie de la commission créée pour vérifier les comptes de Guillaume Aymeric en 1402, mais cela s'explique par sa compétence en la matière. Il est aussi témoin du grand acte sur les statuts de Provence en 1416. Étienne Bernard, dit Moreau, est le trésorier général des pays et terres de France de Louis III. Nommé en 1425, il est toujours en fonction au début du règne du roi René. Anobli sous Louis III, il terminera sa carrière au service du roi de France, après avoir eu la redoutable tâche de trouver de l'argent pour les princes d'Anjou-Provence68. Du côté provençal, François François, « trésorier royal » en 1385 ; Jean Le Maître, trésorier royal de Provence de 1387 à 1413, qui a commencé sa carrière comme secrétaire royal, de même que Jean Hardouin, qui est à la fois secrétaire de Louis III et trésorier général des comtés de Provence et Forcalquier de 1432 à 1434. Celui qui domine la période est incontestablement le damoiseau Philippe de Vieta, châtelain du Bouc : trésorier royal de Provence en 1415, il l'est toujours en 1428. Avec lui, et suite aux instructions princières de 1416, les comptes des recettes et des dépenses du trésorier général sont rendus, et bien rendus69.
50Plus modestement, mais non moins efficacement œuvrent les Maîtres de la Chambre aux Deniers : c'est d'ailleurs dans l'office de Maître de la Chambre aux Deniers de « monseigneur de Ponthieu » qu'Étienne Bernard a fait ses débuts. Sont parvenus jusqu'à nous les comptes de Jean Porcher, qui occupa cet office pour la reine Yolande, de 1408 à 1427, et ceux de Jean Dupont de 1431 à 1438. Ils nous renseignent, du moins ceux de Jean Porcher, sur l'itinéraire de la princesse et des enfants princiers qui sont avec elle, sur leur train de vie, sur l'Hôtel de la princesse, puisque la Chambre aux Deniers a pour tâche d'alimenter les revenus dudit Hôtel et gère ses finances. Si le détail en est complexe, le plan des comptes est clair et s'articule autour de trois parties : recettes, dépenses, dettes. Lorsque le roi Louis est présent, ce n'est plus la Chambre aux Deniers qui a la charge de la famille ; et quand la reine Yolande se réfugie en Provence, le troisième compte de Jean Porcher ne fonctionne que de janvier à juin 1419 : du 30 juin 1419 au 26 juin 1423, les finances de l'Hôtel de la princesse sont confiées à la gestion de la Chambre « de la Raison », et alimentées par les soins du Trésorier de Provence, Philippe de Vieta. Il dut y avoir un problème, car la Chambre des Comptes d'Angers rapporte, en 1421, que Jean Porcher a envoyé en Provence la somme de 43 150 livres.70 Lorsque, en 1412, il est décidé que les gens de l'Hôtel ne prendront plus leurs repas ni leurs livrées à l'Hôtel, une compensation de 339 livres 19 sous 1 denier leur est allouée. Un travail minutieux donc, qui note, mois par mois, les rentrées, et la « despense ordinaire » – ou non – de « ladite Dame et messeigneurs ses enfants » et additionne le tout en fin de chaque compte. Si le premier compte de Jean Porcher, qui couvre la période du 19 février 1409 au 19 septembre 1414, soit cinq ans et sept mois, accuse un déficit certain : 89 349 livres de dépenses, auxquelles il faut ajouter au moins 11 513 livres de dettes pour 77 836 livres de recettes, le deuxième compte (du 19 septembre 1414 au 31 décembre 1418, soit quatre ans et trois mois) s’approche de l'équilibre : 79 480 livres de recettes pour 74 100 livres de dépenses plus 4 596 livres de dettes, et ceci malgré la dépense extraordinaire liée aux funérailles de Louis II. Le troisième compte est léger, pour les raisons que l’on sait : pour six mois, 10 864 livres de recettes et 10 680 livres de dépenses, auxquelles il faut ajouter 805 livres du compte précédent. Dans le quatrième et dernier compte de Jean Porcher, du 26 juin 1423 au 31 juillet 1427, où la reine n’a plus la charge de ses enfants, 54 782 livres de recettes pour 64 207 livres de dépenses et 7 883 livres (ou 12 347 ?) de dettes71.
51L'approvisionnement en espèces de la Chambre aux Deniers est pour le moins composite : revenus des châtellenies, des fermes, des bois, des péages, rachats féodaux, recettes des aides, amendes, compositions judiciaires, droits de sceau, vacants des évêchés, vente des vins et des blés, dons des villes, versements du trésorier général d'Anjou et du trésorier des gabelles de Provence etc., sans oublier les dons des Juifs des villes des comtés de Provence et de Forcalquier. En 1412, les Juifs de Provence paient à la reine pour les gages de leur conservateur 500 écus, soit 562 livres 10 sous. Aix offre 200 florins pour l'entrée de Monseigneur de Guise dans la ville le 10 janvier 1411, et Arles pour les relevailles de Yolande d'Aragon en 1412 (naissance de sa fille Yolande), 180 florins. Beaucoup de petites sommes et quelques grosses72. Les rentes et revenus du douaire constitué par Louis II pour son épouse s'inscrivent-ils dans les recettes ? Oui, notamment pour le péage de Tarascon, la ville de Brignoles et la châtellenie de Saumur.
52Les dépenses ordinaires et extraordinaires sont recensées séparément ou ensemble, mois par mois. Les dépenses ordinaires correspondent au coût de l'entretien de la reine, seule, ou avec ses enfants, au quotidien ; au paiement des gages des officiers et des fournisseurs de l'Hôtel. Les déplacements de la famille entrent dans les dépenses ordinaires, mais l'escorte, non. Ni les festivités ni les cérémonies, du moins en principe.
53Par exemple, « la despense de monsegneur d'Anjou (le jeune Louis III) par quinze jours derreniers du dit mois (avril 1418), quil fut hors Dangers cestassavoir a Saumur et à Candé avec le duc de Bretaigne pensant aller en France monte mil XLIIII. 1. XI d. » « Item au dit Armentier (Antoine Hermentier) cappitaine de trois hommes darmes et cent arbalestriers pour la paye : de lui et eulx pour un mois commencé le XVIIe jour dudit moys davril (1418) VIIIe IX lt. » Et l'évêque d'Angers, qui accompagna le jeune prince dans ce même voyage, à raison de VIII livres par jour, 240 livres tournois. Faisaient aussi partie du voyage : le juge d'Anjou (à 60 sous par jour, 90 livres), Jean Dupuy (90 livres). Le doyen du Mans, pour un voyage accompli en mai auprès du duc de Bretagne, reçoit 67 livres 10 sous. Enfin, la reine a donné à monseigneur d'Anjou, en mars-avril 45 livres « pour faire a son plaisir ». Au total, Yolande d'Aragon a signé une décharge pour 1 395 livres 10 sous tournois. La caisse de la Chambre aux Deniers sert donc aussi à rémunérer les ambassades. D'Angers, la reine dirige tout, après la mort de son époux et pendant la minorité de son fils. Même du vivant de Louis II, ce genre de dépenses incombait en partie à ladite Chambre : en mars-avril 1415, 126 livres 15 sous sont payés pour « l'hostelaige » de deux mois des gens de monseigneur de Ponthieu, le futur Charles VII, à Nîmes. Les funérailles de Louis II entraînent, comme il se doit, des dépenses accrues, où l'acception d’« ordinaires »et d’« extraordinaires » est sujette à caution. Le compte de Jean Porcher mentionne :
- La dépense ordinaire de la Reine de Sicile et messeigneurs ses enfants à Angers, en mai 1417 « comprenans aussi despense... pour le fait de lenterrement du Roy... » : 1 260 livres 11 sous 1 denier.
- La dépense ordinaire pour le mois de juin, comprenant le dîner de l'obsèque et autres dépenses d'hôtel, notamment pour la venue du Dauphin, du duc de Bretagne et plusieurs autres seigneurs : 2 876 livres 8 sous 11 deniers.
- La dépense extraordinaire faite pour ledit enterrement : 1 507 livres 13 sous 6 deniers.73.
54Les dons divers et les dettes alourdissent les dépenses, comme on l'a vu. Car les princes ont beaucoup emprunté, même s'ils ont aussi prêté, et ils ont du mal à payer dans les délais leurs fournisseurs et leurs officiers. Voilà pourquoi de longues listes de créanciers, toutes classes sociales confondues, ayant ou non « cédules » attestant la dette, s'étalent dans les registres de la Chambre aux deniers de la reine74.
55Une différence qui devrait s'imposer dans les dépenses de l'Hôtel tient à la présence ou non, aux côtés de la reine des enfants du couple royal et des fiancés de l'un (une) ou l'autre d'entre eux. C'est Yolande d'Aragon qui en a la charge, sauf à laisser les trop jeunes aux bons soins des gens de son Hôtel. Or, pour une raison ou pour une autre, ce n'est pas évident : en mars 1412, à Tarascon, où la reine a emmené trois enfants seulement : monseigneur de Guise, futur Louis III, et Madame de Guise, Catherine, fille de Jean sans Peur, et Madame Marie, fille de la princesse, la dépense ordinaire s'élève à 951 livres ; en juin, à Tarascon et Arles avec les mêmes, elle atteint 1 414 livres, et 1 315 livres à Arles, en septembre, alors que les « extraordinaires » pour les mois de juin-juillet font 391 livres seulement. Le retour de la famille en Anjou, du 8 octobre au 30 novembre (arrivée à Nevers) coûte 2 169 livres pour octobre et 3 147 pour novembre. En septembre 1414, avec les enfants et monseigneur de Ponthieu, douze jours à Saumur, 949 livres ; en octobre à Tours, 2 069 livres, et, en décembre, dans la même ville, 3 031 livres. La reine Yolande seule, en Anjou, a, en juillet, une dépense ordinaire de 1 867 livres, 721 livres en septembre et 1 300 en novembre. Dans le compte de Jean Dupont, qui lui a renoncé à séparer la dépense ordinaire de l'extraordinaire pour ne mentionner que la dépense, on note 1 114 livres en octobre 1431, 792 livres en janvier 1432, 3 035 livres en décembre de la même année et 432 livres en janvier 143375. Que conclure sinon que la présence des enfants royaux n'est apparemment pas une cause sensible de dépenses supplémentaires ; qu'il est difficile, en dehors du prix des déplacements, qui constitue une grosse dépense, d'expliquer les sautes d'un mois à l'autre. Retenons que la dépense de l'Hôtel de la reine est en moyenne de 20 000 livres tournois par an.
56Faut-il extrapoler et estimer que l'Hôtel du roi de Sicile ne peut pas dépenser moins que celui de la reine ? En outre, les princes et princesses d'Anjou-Provence ont-ils jamais eu un train de vie ordinaire ? Ils dépensent plus que ce que les comptes de l'Hôtel ne laissent apercevoir : bâtiments, guerre et aventure italienne requièrent des dépenses permanentes. Si Louis II vend l’hôtel de Bohème à Charles VI – qui le cède à son frère – 12 000 francs en 1388, et celui de Bicêtre au duc de Berry, il acquiert, en 1408, pour 6 000 écus l'hôtel Saint-Marcel. Le journal de la Chambre des Comptes d'Angers est plein des travaux entrepris en Anjou ou dans le Maine, construction ou réparation, des châteaux d'Angers, Saumur, Sablé, de la chapelle du château d'Angers, des halles d'Angers, des Ponts-de-Cé, d'Épinard, etc., travaux qui durent des années : 842 livres pour les Pont-de-Cé en 1403, 850 livres pour ceux d’Épinard. Le charpentier Jamet Rouxigneul, qui a consenti des rabais sur les fournitures, touche 22 livres 10 sous et 40 écus en 1408 ; chaque pierrier a droit, en 1406, à 2 sous 8 deniers par jour, quelle que soit la saison ; la réparation des deux ponts-levis et deux ponts dormants du château de Saumur est évaluée à 50 livres ; recouvrir d'ardoises le château et les halles d'Angers (maître d'œuvre J. Guillot) doit revenir cher, puisque la couverture d'ardoises d'une seule salle de la forteresse de Dissay coûte 20 livres tournois76. Dans le même temps, la Provence fait l'objet une politique identique, notamment au château de Tarascon. Après la perte du royaume de Naples, le roi René a sans doute dépensé plus que son père pour les bâtiments et le décor de ses résidences77.
57La guerre endémique sur les territoires des princes d'Anjou exige beaucoup d'argent. Ce qui est sans doute le plus dispendieux est la garde des forteresses confiée à des mercenaires : en 1415, la garde des châteaux de Loudun et de Mirebeau, par six hommes d'armes payés 15 francs par homme et par mois, et par 29 arbalétriers, payés 10 francs par homme et par mois s'élève à 380 livres pour le mois de septembre. Quelques jours avant Azincourt, l'Anjou est en alerte. Si le prince paie les gages des capitaines, choisis parmi ses proches, c'est au roi de France qu'incombe, directement ou non, le paiement de la garnison. Pour la guerre offensive comme pour la défensive, les sommes requises sont parfois considérables : en 1412, le journal de la Chambre des Comptes d'Angers signale que le roi Louis II a reçu de Renaud de Longueil, trésorier des guerres de France 43 070 livres tournois pour 1 200 hommes d'armes et 400 hommes de trait « qu'il a eus sous son gouvernement et à sa retenue de service » (en 1411 ?). Comme nous le verrons, le tout ne va pas sans suspicion quant à l'utilisation des dites sommes. Le renforcement du pouvoir et du contrôle du roi de France, ou de ceux qui gouvernent le royaume en son nom, en temps de guerre réserve au prince apanagiste le rôle d'intermédiaire, du moins tant que le chaos ne triomphe pas. La guerre franco-anglaise demeure l'affaire du roi de France. Ce qui peut apparaître comme un allégement des charges incombant aux finances propres au duc d'Anjou, mais non comme un soulagement pour ses sujets, puisque de toutes façons, ce sont eux qui paient78. Ce sont eux aussi qui paient en Provence, mais le prince a la responsabilité de la défense du pays. En accord avec l'assemblée des trois États. La guerre a sévi de 1384 à 1400, elle revient, moins tenace, de 1423 à 1434 et au-delà ; des troubles perturbent le pays en 1411, 1414, 1425-28. La Maison d'Anjou ne peut se passer des subsides votés par l'assemblée. Le nombre des soldats à lever est fixé en harmonie ( ?) par les États et le prince ou son représentant. Le financement suit, non sans peine ; les élus voudraient décider de l'utilisation et de la destination des armées, mais ils se heurtent souvent à des fins de non recevoir. Trois armées coexistent : l'armée féodale, issue de la cavalcade, en voie de lente disparition, l'armée « nationale » aux effectifs encore modestes (au maximum 300 hommes d'armes et 600 arbalétriers), et de petites compagnies de mercenaires. En plein combat contre Raymond de Turenne, l'assemblée de Marseille, en 1394, avait décidé que chaque viguerie et chaque baylie devrait fournir un contingent d’hommes d’armes, et manifesté la volonté de faire concourir les terres adjacentes aux charges militaires. Le prix d'un homme d'armes ou d'une lance s'élève à 18 ou 20 florins par mois. La lance provençale comprend un homme d'armes, trois chevaux, un valet, un page. Parmi les hommes de pied, les arbalétriers sont les mieux payés, 5 florins par mois (ils sont donc moins bien payés qu'en France). Les Provençaux ont recours aussi aux mercenaires : en 1397, ils introduisent cent lances de « forestiers » armés et montés de vrais roncins qu'ils auront toutes les peines du monde à « vuider » des forteresses. Le financement de ces armées est couvert par des fouages de quelques gros à quelques florins par feu, ou par crue de la gabelle du sel. La défense des lieux maritimes s’impose dans le contexte de la guerre avec l'Aragon, surtout après le sac de Marseille en 1423, tâche dont le commandement revient au maréchal. Auparavant à l'heure de la tension avec la Savoie, Louis II avait implanté une garnison dans la forteresse de « Mourgues », qu'il eut le plus grand mal à solder : en 1415, il doit encore 3 250 florins, mais il a versé 1 250 florins au capitaine. C'est le sénéchal qui commande les armées ; le morcellement des opérations et des contingents implique de nombreux sous-commandements, y compris aux mains des seigneurs locaux. Le journal du chancelier indique que, de mai 1385 à janvier 1386, la guerre en Provence a coûté 31 461 francs. Les quatorze années de guerre (ligue d'Aix et Raymond de Turenne) représentent donc une énorme dépense de plusieurs centaines de milliers de francs79. Et le reste à l'avenant.
58Si les sujets du roi de Sicile sont directement concernés par la défense de l'Anjou et de la Provence et donc leur douloureux financement, le sont-ils autant par l'éternelle reconquête dudit royaume ? Le prestige du titre, l'honneur du prince font qu'il n'y a pas de contestation en ce qui concerne le but des opérations, mais seulement quant aux modalités et à l'équité du financement. Une expédition militaire de Louis Ier en 1383 pour venger sa mère adoptive ; deux de Louis II, l'une en 1390, suivie de neuf ans de présence à Naples, l'autre en 1410-1411, quinze mois dans la péninsule ; une incursion en Italie centrale du même prince en octobre-novembre 1409 ; un aller à Rome pour Louis III en 1420, puis le départ définitif en 1423 jusqu'à sa mort en 1434. Deux de ces rois sont morts dans leur royaume. Ces conquêtes et reconquêtes sont un gouffre pour les finances de la deuxième Maison d'Anjou-Provence : 200 000 francs sont prévus pour l'expédition du jeune Louis II en 1390, dont le pape Clément VII s'engage à verser le tiers si le roi de France veut bien lui céder les décimes du royaume80. Marie de Blois est assiégée par les créanciers de son défunt époux, et, entre autres, elle sort de ses coffres 2 180 ducats en 1385 pour un marchand génois, Luc de Mar. Pour le service de gens d'armes, Louis Ier laisse une dette à l'égard de Th. Tomelin de 7 079 florins. Louis II et son fils ayant opté pour le transport par mer, ils n'en finissent pas de régler la note des patrons de navires : si l'on excepte le Marseillais Thomassin Frédéric, associé à Jaime Bonet pour la nef « La Saint-Jean », à qui Louis II fait verser, en 1406, 1 700 florins (de 12 gros la pièce) et « l'hispanus » Jean Gonsalvi de Morancia, à qui le prince, par lettre de Naples en 1393, cède le castrum d'Antibes, en paiement des 1 600 florins (de Florence) pour deux galées, la traversée des gens du prince revient aux Génois : un accord conclu le 5 octobre 1406, entre le roi et Pierre de Catane, « citoyen génois », prévoit la location de la nave « Saint-Nicolas » pour 800 francs (soit 1 000 florins.) avec une avance ( !) de 2 500 florins et, en cas de départ retardé, 625 florins pour l’entretien du bateau. L'année 1406 semble avoir été assez fiévreuse, Louis II a dû envisager de repartir outre mer, mais a été contraint de remettre ce projet. En 1417, l'année de la mort du roi, les dettes de l'expédition de 1410-11 ne sont pas encore liquidées : les Génois Battista de Turrillia et Bartholomeo Sacchi, qui ont vendu une galée au prince, réclament 1 665 florins, dont il faut déduire 300 florins versés par le grenetier de Grasse. Le solde a-t-il été réglé avec 110 000 ouïes de sel ? De leur côté, les alliés florentins de Louis II laissent une note de 28 390 florins81. On a vu ce que Louis III a offert en paiement de deux galées aux frères Flisco de Gênes en 1428. Et, auparavant, en 1424, à Crappacio de Ischia et à son fils82.
59Si l’on admet que chaque expédition n’a pas coûté moins que celle dont on connaît le prix total, si toutefois celui-ci n’a pas été majoré, et si l’on tient compte de l’envoi des renforts dans le royaume de Naples lorsque les princes s’y trouvent, on ne serait sans doute pas loin de la vérité en estimant à près d'un million de francs la dépense engagée entre 1382 et 1434.
B. Crédit, palliatifs et exploitation
60Des rentrées irrégulières et insuffisantes, de grosses dépenses voilà qui oblige les princes d'Anjou-Provence à contourner leur impécuniosité. Leur politique matrimoniale, on l'a vu, va dans ce sens, leur politique domaniale aussi. Il ne faudrait pas pour autant chercher une logique d'économie dans leur comportement : princes et princesses dépensent, non sans compter il est vrai, ou faire compter, et ils persistent à faire des dons dans le même temps où ils s'efforcent de se procurer de l'argent. Tous les grands de France et d'ailleurs se conduisent de façon identique. Et d'abord, ils empruntent beaucoup, de petites ou de grosses sommes, à leurs proches, à leurs officiers, à leur famille, à la noblesse d'Occident, etc. Le recours au prêt hypothécaire est fréquent, dans les temps forts où se prépare une expédition, et après, pour en régler les dettes, et en toute autre circonstance. L'emprunt peut être sans hypothèque, mais avec d'autres garanties : en 1386, le comte de Foix, sollicité par la princesse Marie, lui prêterait 10 000 florins d'Aragon, à rembourser dans un an, sinon il doublerait la somme. Des otages devraient garantir la transaction. Devant ces conditions draconiennes et humiliantes, Marie de Blois renonce83. Reste à engager ou à vendre vaisselle et joyaux, ce que font aussi bien créanciers que débiteurs : pour financer l'expédition de Louis Ier, le roi de France confie à son receveur des aides, Jean Chanteprime, le soin d'engager sa vaisselle d'or et d'argent et, en mars 1385, la veuve du prince, après avoir énuméré les coupes, hanaps, aiguières, salières, etc., mis à la disposition du duc d'Anjou, restitue le tout. Reste à acquitter la somme dépensée. La très riche orfèvrerie de Louis Ier n'aurait-elle pas suffi ? De même, quand Marie de Bourbon prête, en 1412, 15 000 francs à Louis II par l'intermédiaire du comte de la Marche, c'est en or, monnaie, vaisselle et joyaux qu'elle le fait. Il arrive que les joyaux soient doublement engagés : en 1382, pour acquérir les terres de la comtesse de Roucy, Louis Ier avait engagé ses joyaux pour 30 000 francs, mais auparavant il fallait prélever 5 000 francs sur leur valeur à destination de Pierre de Craon, dont l'expédition d'Italie dévoilera les trafics84. La fascination des nobles pour les bijoux, l'orfèvrerie, la vaisselle d'or et d'argent, qui font partie du décor de leur vie et de l'ornement de leur personne, ne leur interdit pas d'exploiter le capital qu'ils représentent. Si la reine Marie, aux abois, en pleine guerre de l'Union d'Aix, engage sa vaisselle à Apt, en juillet 1386, à peine la paix revenue, en octobre 1387, elle achète de la vaisselle d'or au comte de Potenza, à qui elle doit 2 069 francs. Le comte a vraisemblablement les mêmes problèmes que son roi, mais ce n'est pas uniquement pour lui rendre service que la reine s'est laissée tenter. Le pape Clément VII ne fait pas exception à la règle et engage, en août 1385, des joyaux pour armer des galées, mais la reine préfère utiliser cet argent pour contenter les Marseillais, fidèles alliés. En 1410, Yolande d'Aragon aura recours pour hypothéquer ses bijoux, aux bons offices de Michel de Passis. Offrir un bijou est une manière de flatter sa clientèle : Louis II offre, en janvier 1386, un rubis balai au cardinal d'Embrun et un saphir au cardinal de Cosenza, qui valent 260 francs, note le chancelier. C'est sans doute avec émotion que la veuve de Louis Ier reçut des mains du trésorier Nicolas de Mauregard « deux biaux perles un annel ou avoit un rubi », que son époux avait en Italie. Et c’est certainement à contre-coeur que Louis II fit restituer au duc de Bourgogne le somptueux trésor que la jeune Catherine avait apporté avec elle85.
61Les besoins de la deuxième Maison d'Anjou-Provence la conduisaient tout droit entre les mains des marchands-banquiers. Les « Passis », « Pacis » ou « Passy », de la célèbre famille florentine des Pazzi, sont quatre à apparaître dans les documents : Michel ou Michelet, le plus célèbre, demeurant à Paris, banquier sans rival de Louis II, qui l'admet dans son Hôtel comme écuyer panetier, et de Yolande d'Aragon ; Pierre et Paul (frères ?), changeurs de Florence et citoyens d'Avignon : sont-ils aussi parents de Michel ? Vraisemblablement ; Andrea, dont on peut se demander s'il est resté à Florence ou s'il est installé à Marseille, et qui est qualifié de marchand. À certains égards, Michel de Passis est la providence du roi Louis II : combien de quittances à son nom rejoignent les coffres du château d’Angers ? Il a avancé de grosses sommes : en 1407, il est question de 2 700 livres tournois ; en 1411, il reçoit du trésorier Jean Dupuy une obligation faite à Angers de 24 000 francs, obligation sur laquelle l'évêque d'Angers, l'abbé de Saint Aubin et Etienne Fillastre, soit trois notabilités de l'Anjou, s'engagent, mais seulement pour 18 546 livres tournois. En 1412, il accepte de payer la solde des 1 200 hommes d'armes et des 800 hommes de trait que Louis II va conduire sous les murs de Bourges, 43 070 livres tournois, et c'est lui directement que le trésorier des guerres du roi de France Renaud de Longueil remboursera. Par lettre de change entre Michel, à Paris, et Paolo à Avignon s'opère le paiement de 2 300 livres tournois à Gilet Guesdon, capitaine de Mourgues, en 1418, sur les 8 000 florins qui lui sont dus. En 1420, le trésorier de Provence, Philippe de Vieta, lui rend 1 250 florins en déduction des 23 270 livres tournois avancées, en 1416, à Louis II. Tous ces prêts non sans garanties ou contreparties : la moitié de l'héritage du bâtard de Sissonne (dans la châtellenie de Roucy), lui revient par la grâce du prince ainsi qu'une partie des recettes de Chailly et Longjumeau ; la dette partiellement remboursée par Philippe de Vieta est assignée sur le grenier de Berre. Le banquier se fait remettre des joyaux en gage, et non les moindres : en 1413, lors de la restitution de la dot de Catherine de Bourgogne, il manque « une certaine couronne garnie de pierrerie », qui est entre les mains du banquier, contraint alors de la restituer. On a vu qu'Andrea de Passis fait payer ses services en assignations sur la gabelle du sel de Provence. Les Pazzi sont-ils rentrés dans leurs débours ? Il n'est question ouvertement d'intérêt que dans un acte de 1420 : la reine Yolande ayant voulu revendre à Andrea 177 marcs d’argent doré pour 2 000 florins, ce dernier ne lui en offrit que 1 600..., à moins de payer des intérêts. Les Pazzi ont néanmoins été très utiles aux princes et princesses, par leurs lettres de change et par les transferts d'argent qu'elles autorisent en direction de l'Italie. Ajoutons qu'un changeur d'Avignon, Jean Tegrini, usa aussi de la lettre de change au service du roi de Sicile86.
62Le recours aux banquiers est entré dans les mœurs : il facilite les choses mais il ne peut tout solutionner. Les princes comptent aussi sur les dons des villes, parfois considérables – on se rappelle les trésors offerts en 1400, à Arles – et sur la taille des Juifs : en 1390, affaiblie par la guerre et la mortalité, la communauté des Juifs de Provence doit payer 125 florins, ce qui n’exclut pas les versements individuels, les dons réservés aux grandes occasions, dont témoigne le registre de la Chambre aux Deniers de la reine Yolande87. Le clergé de la principauté est aussi mis à contribution, notamment en 1387 : un « don grâcieux » est collecté dans les diocèses de Sisteron, Gap et Senez, et la question de la participation du clergé (et de la noblesse) à l’effort fiscal sera au cœur des débats de l'assemblée des trois États. Les princes et princesses sont surtout attentifs aux bénéfices ecclésiastiques : la soustraction d'obédience effectuée, en novembre 1398, par la reine Marie de Blois-Penthièvre, a facilité la main-mise sur certains droits pontificaux, comme le droit de dépouille, mais la tentation de s'emparer du revenu des bénéfices vacants est permanente. Et lorsque Louis II restitue au pape Benoît XIII l'obédience de ses Etats méridionaux, il obtient, en remboursement d'un prêt dont je reparlerai, le revenu des bénéfices vacants dans les comtés de Provence et de Forcalquier. Cette concession n'est pas reconduite par les papes issus du concile de Pise, malgré le ralliement de Louis II, qui obtient néanmoins, outre la création du studium d'Aix, l'abandon d'une double décime en 1409 par le pape Alexandre V88.
63Les princes de la deuxième Maison d'Anjou-Provence n'oublient pas qu'ils sont des princes aux fleurs de lys et se tournent dans le besoin vers le puissant royaume de France. C'est par la grâce de Charles VI que deux mille cinq cents marcs d'argent sont fabriqués à la monnaie de Paris en avril 1382 au profit du duc d'Anjou, et, le 5 août de la même année, des deniers d'or fin aux fleurs de lys et des blancs deniers d’argent. C’est par la même grâce que la reine de Sicile et son fils, le 15 mars 1393, reçoivent le don de la moitié des aides
tant de gabelles du sel comme autres, qui ont et auront cours pour le dit fait de la guerre pour ceste presente année... pour aidier à supporter les grans fraiz et despenses que noz diz tante et cousin dessus diz soutiennent pour le fait de la conqueste dudit royaume de Sicile...
64La concession est-elle devenue définitive en 1397 ? Il semble que oui, et les tailles extraordinaires de la fin du XIVe et du début du XVe siècles grossiront la somme sans doute à quatre reprises. Le journal de la Chambre des Comptes d'Angers ne laisse apercevoir que la partie émergée de l'iceberg : une aide levée sur l'Anjou et le Maine, « comme le roi en a levé pour le mariage de la reine d'Angleterre » pour la dépense du voyage du prince de Tarente à Naples « par devers le roi Loys » en 1399. Ce voyage Charles l'a-t-il seulement fait ? Une aide en don de joyeux avènement pour le début du règne personnel de Louis II : quelle somme ? Elle ne se confond pas avec l'aide accordée par les États d’Anjou et confirmée par le roi, en 1400, de 44 000 livres tournois à lever sur l'apanage. En 1411, « de par le Roy pour résister aux ennemis de ce royaume décharges de Jehan de la Fontaine, receveur général dudit royaume ont été prises pour et au profit du Roy de Sicile par Regnaudin de Longueil, trésorier des guerres de France » : 4 200 livres sur les recettes du receveur particulier de l'élection d’Angers, et 800 livres sur celles du receveur de l'élection de Saumur, 800 livres sur les recettes du receveur de l'élection de Loudun et 4 200 sur celles du receveur du Mans, soit 10 000 livres, dont la moitié sont à la disposition du duc d'Anjou. Mais il s'agit, en cette année où Louis II a remporté une victoire dans son royaume d'utiliser cette somme contre les ennemis du royaume de France et non ailleurs. Jean Jacques Rouxelet, secrétaire de Louis II, qui porte à Paris la « certification » de ces décharges, se voit admonesté :
que il se garde bien comment il la emploiera et que si le Roy de Sicile a loctroy des aides et de la dicte taille et des 5 000 lt dessusdits soit assigné ailleurs, il fauldroit rendre la dite quitance et audit tresorier seron renduz les descharges dont dessus est fait mention....
65Relevons encore qu'en 1419, Etienne de Fay, de Saumur (receveur ?) doit 1 590 livres tournois pour les aides destinées au roi de Sicile89. Le tout accompagné de dons pour faire patienter les princes : 2 819 livres tournois en 1399, 4 000 en 1400,18 000 en 1404 pour la garde des châteaux, sans parler du chantage exercé sur la princesse Marie quelques années auparavant : de l'argent contre l'abandon de la Provence90. Entre autres. La levée des aides en Anjou et châtellenies adjacentes se fait dans cinq élections : Angers, Saumur, Loudun, la vicomté de Beaumont et le comté de Vendôme. Non sans que ne s'élèvent des plaintes : à propos de l'aide de 44 000 francs, le collecteur d'une paroisse signale que ladite paroisse a été taxée à 30 livres tournois, alors qu'elle n'aurait dû l'être que pour 15. Louis II a-t-il abusé de son pouvoir ? En octobre 1411, des lettres du roi de France parviennent à Angers, transmises par le trésorier Jean Dupuy, qui enjoignent au roi de Sicile « de non contraindre ses hoirs et subjiz a paier aucube taille, aide ou subvention oultre les aides ». En 1412, il se fait payer 6 000 francs pour les gens d'armes qu'il avait avec lui aux négociations d'Auxerre. Dès 1414 et a fortiori après la mort du duc de Berry, en 1416, a-t-il succombé à la tentation de confisquer à son profit les richesses du royaume de France91 ? Notons simplement qu'il ne doit pas être aisé de lever et de percevoir des impôts après l'offensive anglaise de 1415 et l'occupation d'une grande partie des terres du duc d'Anjou. Mais c'est surtout Louis III qui en subira les conséquences.
66Ce qui fait la faiblesse des princes d'Anjou est aussi leur force : ils se tournent vers la Provence pour obtenir de l'argent des trois États « per honor de la senhoria et per utilitat del pays » et en vertu de « l'obligation ancienne et vague » du consentement à l'impôt. Les terres méridionales ont déjà beaucoup donné pour les guerres contre Raymond de Turenne. Elles sont aussi sollicitées pour subventionner les diverses expéditions : en 1399, l'assemblée d'Aix accorde 50 000 florins et 400 marcs d'argent au roi Louis II, payables en deux termes. On parle de rébellion et de trahison dans le royaume de Naples. Cette somme est-elle destinée à une nouvelle traversée pour le dit royaume, alors que le roi en revient, battu provisoirement ? Faut-il en outre « vuyder les forestiers », le vice-roi, Charles de Tarente ayant le souci primordial de libérer le castrum d'Hyères ? En 1420, Pons Cays fait mention de 100 000 florins promis à Louis III par l’assemblée d'Aix, lors de son passage dans la cité, 60 000 sous forme d’un fouage de 10 florins 29 sous 6 deniers par feu, 40 000 obtenus de la vente du sel à l'encan pour dix ans. Eu égard à la pauvreté du pays, l'évêque de Digne, en 1419, n'en proposait que 30 000... En 1423, les États d'Aix supplient le seigneur de Venterol, l'un des quatre commissaires élus pour lever l'imposition nouvelle, de ne pas exiger les 16 500 florins avant la Saint-Michel et ils obtiennent le « placet » avec soulagement. Encore 20 000 florins, pour la guerre, en 1429, et, en 1432, l'annonce du mariage du roi avec Marguerite de Savoie et l'espoir de la venue du prince et de la réception de l'épousée suscitent un don de l'assemblée d'Aix de 100 000 florins en trois termes, complétés par 3 000 florins en remerciement au lieutenant général, Pierre de Beauvau pour ses bons offices92.
67Ces impôts sont perçus, on le voit, sous forme de taxes indirectes, mais aussi – et c'est le plus lourd – de fouages, de quelques gros à quelques florins par feu. Les provençaux se plaignent, demandent allégements, délais, etc. Ils obtiennent, en raison de la dépopulation, des recours de feux, sur lesquels Louis III et sa mère sont en désaccord93 ! Les députés veillent jalousement à ce que la ville d'Aix compte toujours quatre cent cinquante feux.... après ladite réduction.
68L'oppression fiscale, le sentiment d'injustice ont amené le tiers ordre à une réflexion novatrice sur ce thème : à partir de 1401, son offensive se développe dans deux directions : égalité devant l'impôt et maîtrise de l'impôt. Égalité en trois points : contribution des terres adjacentes (on l'a vu pour l'aide militaire dès avant 1401), ce qui va à l'encontre des privilèges d'Arles et de Marseille ; contribution des laïcs et des ecclésiastiques, ceux-ci devant payer des impôts sur leurs biens patrimoniaux et leurs acquêts ; le problème de la contribution des nobles est au cœur des débats, et le roi ne défend pas forcément l'immunité des nobles, mais celle de ses officiers ; enfin, une juste répartition, ou « l'un ne paye pas plus que l'autre ». Maîtrise de l'impôt sous deux formes : stabilité sur cinq ou dix ans, liberté des communautés de choisir la forme de fiscalité qui leur convient ; par exemple, en 1420, pour acquitter les 60 000 florins, dont il a été question, que chaque communauté ait la liberté d'opter, à son gré, entre impôt direct, indirect, emprunt, etc. Mais le Maître Rational Pons Cays a déjà imposé les modalités. Et les agents du prince évincent peu à peu les élus. Le « sobeyran senhor » écoute, mais n'entend pas94.
69Le Languedoc mérite une mention particulière dans les finances des princes d'Anjou-Provence, et dans l'histoire même de ces princes et de leurs territoires. Le grand prédateur que fut Louis Ier a été gouverneur du Languedoc de 1365 à 1380, et l'oppression qu'il fit peser sur le pays fut telle qu'il dut faire face à la terrible révolte de Montpellier en 1379, révolte qui valut à la ville l'énorme amende de 130 000 francs. Le duc a-t-il touché la totalité de la somme ? Sans cette spoliation, comment Louis Ier aurait-il pu prêter de l'argent aux papes Grégoire XI et Clément VII ? A moins que ce ne soit avec les trésors volés à la mort de son frère, le roi Charles V, dans son « aveugle cupidité » et son « avidité dévorante », trésors estimés à 15 000 écus d'or par le Religieux de Saint-Denis, qui se refuse d'ailleurs à croire à ces allégations. Car ce n'est pas la moindre surprise que de voir un prince, réputé besogneux et éternel débiteur, être un créancier d'importance. On l’a vu, il eut des remords. Dans son testament, il laisse 50 000 francs aux sénéchaussées de Beaucaire, Carcassonne et Toulouse
qui seront donnez, distribuez en la maniere que dit est en retour des pertes et dommaiges que le peuple a soustenus et euz tant que nous y avons tenuz. et aussi par execucion rigoreuses sur le fait des aides et des subsides que nous y avons fait lors, pour le salu des âmes de ceulx qui mors y ont esté... ou renduz fuitifs de leur pais dont nous pourrions avoir esté cause...95.
70Et si les 50 000 francs d’« économies » se trouvant dans les coffres du prince provenaient de la spoliation du Languedoc ? Les premières années de la conquête de la Provence s'opèrent sous la menace du sénéchal de Beaucaire, Enguerrand d'Eudin, qui, jouant le jeu du roi de France ou son propre jeu, a fait occuper plusieurs forteresses au-delà du Rhône. À l'heure de la paix, Louis II ne dédaigne pas de recruter des serviteurs dans ce pays voisin. A-t-il rompu avec les brutales méthodes paternelles ? On peut en douter à la lecture d'un document en date du 23 décembre 1411 : Guillaume de Vienne, seigneur de Saint-George, sans doute chargé d'une enquête, après avoir rencontré à Pont-Saint-Esprit le sénéchal de Beaucaire, Ermite de la Faye, qui va se rendre à Paris en compagnie du roi Louis, exprime d'abord la joie du pays d'être repris directement en mains par le gouvernement du roi de France et l'espoir d'y demeurer ; affirme que des mesures ont été prises pour que le dit pays soit bien gardé ; s'étonne, après avoir consulté Jean de la Barre, qui fut receveur général des finances, et après s'être rendu à Tarascon pour rencontrer la reine de Sicile, que le roi Louis ait pu avoir 18 000 francs, 10 000 des « deniers du nouvel aide » et 8 000 des « deniers des aides ordinaires », « lesqueulx les receveurs ont bailliez et payez sens mandemens de vous ne de ceulx qui ont le gouvernement de toutes les finances de vostre royaume dont nous avons esté moult esmarveilliez... ». La lettre adressée, de Nîmes, au roi Charles VI est portée par un messager et transmise aux gens des comptes de Paris, qui l'ont en mains le 11 janvier 141296. Louis II aurait donc puisé dans les aides imposées au Languedoc sans respecter la souveraineté du roi de France ? A son retour de la seconde expédition dans son royaume de Naples, où il a cru la victoire à portée de la main, il semble plus obsédé que jamais par l’obtention des moyens qui lui manquent. En 1412, il se fait autoriser, lors de l’expédition punitive contre le comte d'Alençon, à jouir de tout ce qu’il pourra conquérir dans les domaines de ce dernier, qui est aussi son vassal. A-t-il perdu toute retenue et justifie-t-il le jugement du chroniqueur Michel Pintoin, porté à la fin de son règne ?
Depuis la mort du duc de Berri, ce prince exerçait la plus grande influence dans le conseil du roi, au grand mécontentement de beaucoup de Français, qui tout en reconnaissant son habileté et son éloquence, disaient hautement qu'il n'aspirait qu'à s'enrichir à l'aide des taxes royales, afin d'entretenir son faste plus que royal et de payer grassement ses compagnies de gens de guerre, auxquelles il avait confié la garde de plusieurs villes du royaume... Mais, vers la fête de Noël, ledit duc, après s'être largement approprié le produit des taxes de la ville (Paris), retourna en Anjou avec ses troupes97.
71Faut-il prendre en compte les revenus du royaume de Naples ? Revenus qui assureraient l’autonomie des princes pendant leur séjour outre mer et qui allègeraient d'autant la pression fiscale sur les terres cismontaines. Les recettes de l'Etat angevin de Sicile s'élevaient, en 1271, à 200 000 onces. Mais un siècle et demi après ? Le royaume s'est rétréci, a traversé de nombreuses crises, la redoutable machine fiscale mise en place par Frédéric II et la première Maison d'Anjou n'est plus ce qu'elle était98. Les rentrées de la fin du XIVe et du début du XVe siècles ne sont pas comparables à celles des siècles précédents. L'Italie du sud est en guerre le plus souvent, les princes ont été contraints d'aliéner une partie de leurs revenus entre les mains de leurs partisans. Impossible d'avancer un chiffre. Du moins Louis III, qui réside en permanence dans son royaume, a-t-il moins demandé à ses possessions françaises entre 1420 et 1430 : mais que pouvait-il espérer d'un pays en proie à la guerre et à l'occupation ? Il a quand même veillé à la non aliénation de son Domaine – pas toujours il est vrai. Et il a continué à solliciter les Provençaux. Il faudrait bien connaître son règne à Naples...
72Pour répondre à la question initialement posée, les princes d'Anjou-Provence n'ont pas, avec les revenus ordinaires de leur État, les moyens de leur politique. Mais si, à ces revenus ordinaires (ca 40 à 50 000 livres tournois par an) s'ajoutent les impositions extraordinaires, ils peuvent avoir, certaines années, 100 000 livres tournois. Sans oublier la pension de 12 000 francs versée – irrégulièrement – par le roi. Et surtout Louis II a eu les moyens de sa politique au prix de l'exploitation de ses sujets, de la spoliation du royaume de France, et de dettes laissées à ses héritiers. Surprise de l'histoire : ces moyens, il a été, après 1411, contraint de les investir dans la politique française... Pour finir, disons que le prix de ses serviteurs coûte au prince de 15 à 20 000 francs par an.
Fidèle pendant toute sa vie aux exemples de ses pères, il avait toujours été bienveillant et affable pour tous, et s'était fait un devoir de veiller à ce que chaque jour une grand-messe fut célébrée dévotement en sa présence. Il avait toutefois pris soin d'amasser beaucoup plus de richesses que son père, et il laissa une immense fortune à son fils, monseigneur Louis et à sa fille, madame Marie, qui avait épousé le fils aîné du roi.
73Telle est l'oraison funèbre que Michel Pintoin consacre à Louis II, qui, comme son père, a donc thésaurisé. Le 12 novembre 1442, à Saumur, sa veuve, la reine Yolande, dicte son testament :
Nous disons et déclarons que le plus bel et le meilleur (de l'or, argent, vaisselle et joyaux) a esté employé pour le fait du Royaume Ditalie et baillé au Roy Loys, nostre ainsné filz – dont Dieu ait lame – pour sa conqueste. Autre partie cy acquict de doibtes de nostre feu seigneur et espoux dont nous demourasmes chargée et aussi en avons mis grant nombre pour la deffense du pays durant que avons eu le bail de noz enfans... Et au regard d'or et d'argent, nous prenons sur nostre conscience que nen avons point en reserve, tresor ne autrement...99.
74Le 18 juillet 1434, Louis III, sans doute déjà malade, s'adresse au trésorier de Provence, Jean Hardouin. Les huit comptes, chacun de six mois, dudit trésorier, de juin 1430 à mai 1434, témoignent des grosses dépenses engagées pour les châteaux de Tarascon, Toulon, Brégançon et au palais d'Aix ; pour les noces et la réception de la princesse Marguerite ; pour les multiples allées et venues de ses serviteurs entre la Provence, la Calabre, la France, la Savoie ; pour le paiement des gages des officiers et des capitaines ayant la garde de places-fortes. Au total plus de 200 000 florins annoncés, mais dont le détail ne se retrouve pas toujours. Le huitième et dernier compte s'envole au delà du total prévu, avec 133 138 florins et un gros payés à Guillaume ( ?) et Pierre de Pacis, demeurant à Avignon et associés à Jacob Venturi, changeurs dont le prince est devenu de plus en plus dépendant ; ces créanciers auraient avancé en outre plus de 80 000 ducats (un ducat = deux florins de Provence) pour le paiement des gages et des travaux d'architecture. Jean Hardouin est contraint de justifier ses comptes, ce qu'il fait de manière convaincante, puisque, par lettres du 19 octobre 1434, à un mois de sa mort, le roi augmente ses gages qui passent de 400 à 500 florins annuels. Nonobstant les tares connues des finances des princes d'Anjou-Provence, ce document révèle une tension, jusqu'alors invisible, entre Louis III et Pierre de Beauvau : le gouverneur de Provence a fait engager des dépenses au trésorier de son propre chef, ce qu'il considère sans doute comme inhérent à sa fonction. Désormais il ne pourra le faire, au coup par coup, qu'avec l'aval du prince100. Jusqu'au bout l'argent aura été pour les princes une hantise.
Conclusion
75L'envers du décor peut choquer. Il ne saurait surprendre, indissociable de l'endroit. Les ors et les fastes du cérémonial royal nécessitent des finances adéquates. « Tenir son estat » est chose dispendieuse et obligatoire ; les princes en sont là. Leur train de vie, leur représentation coûtent cher. Et la guerre ajoute son prix exorbitant, l'aventure italienne, le sien. L'exploitation des ressources et des hommes, la tentation autoritaire mettent à mal le dialogue avec les sujets. Mais ils n'empêchent pas l'adhésion d'un petit nombre de serviteurs qui vont travailler aux côtés du prince.
Note sommaire sur les monnaies : à côté des monnaies du roi de France, ayant cours dans le royaume, la Provence a :
1. Comme monnaie de compte le denier provençal qui vaut, au début du XVe siècle les 3/4 du denier tournois ; le sou, qui vaut 12 deniers provençaux.
2. Comme monnaie réelle d’or : le florin d'or (de 16 sous en 1386 et de 32 sous en 1416 : A.D. BdR., B 589 et B 628) ; le franc, dans le rapport de 8 francs pour 10 florins : A.D. BdR., B 772, p.19 ; l'écu d'or, pour 22 sous 6 deniers la pièce en 1414 : A.N., P 1348, no 504 ;
3. Comme monnaie réelle d’argent : le gros, valant 12 deniers.
Rappelons que l'atelier monétaire de Tarascon subit la concurrence de celui d'Avignon, ce qui nécessite une enquête du Maître Rational Jean Drogoli en 1411-12 et l'affaiblissement des monnaies sous Louis III : H. Rolland, Les Monnaies des comtes de Provence, Paris, 1956, p. 81-99 et 160-182.
Notes de bas de page
1 B. Guénée, Conclusion du XXIIIe congrès de la S.H.M.E.S. (Brest 1992), Les Princes et le pouvoir au Moyen Âge, Paris, 1993.
2 N. Coulet, « Les entrées... », art. cit., p. 63-82.
3 Le journal du chancelier couvre la période 1380-1388 ; A.N., KK 243 ; très utiles aussi le journal de la Chambre des Comptes d’Angers (A.N., P 13344) et la chronique de Bertrand Boysset, citoyen d’Arles.
4 Cf. Registrum Ludovici tertii, Ms 538, Bibl. Méjanes, Aix-en-Provence ; A.D. BdR., B 11, p. 82 ; A.N., P 133417 no 42 ; A.D. BdR., B 9, p. 183 et 185, etc.
5 Ajoutons 25 jours de Prato à Marseille. Le roi Louis II « chevauche » lorsqu’il est en bonne santé, mais voyage par eau, notamment pour entrer et sortir de Paris, lorsqu’il est malade : « gravi egritudine detentus » note le Religieux de Saint-Denis en 1414, rééd., t. III/1, p. 382 ; en 1415, « et se parti de Paris tout malade et s’en ala à Angers », E. de Monstrelet, Chronique, t. III, p.128.
6 Les courriers font de 30 à 50 kms par jour : M.-R. Reynaud, « L’absence du prince : un problème de gouvernement de la deuxième Maison d’Anjou-Provence (ca 1384-ca 1434) », dans État, société et spiritualité du XIe au XXe s. Mélanges René Fédou, Lyon, 1990, p. 45-46.
7 A.D. BdR., B 9, p. 307. Cf. infra, chap. VI, p.172 et note 22.
8 Cf. infra, p. 126 et note 97, la présence de Louis II au conseil du roi de France et la réflexion du Religieux de Saint-Denis.
9 A.N., P 133418 no 67. L’itinéraire du roi Louis II sera publié ultérieurement dans la revue Provence Historique.
10 Le Livre d’Heures du roi René date du 24 juillet 1419 le départ de Louis III de Marseille pour son royaume ( ?), Bibl. Méjanes, Rés. 1/19(620). R. Favreau, Atlas historique, l’Anjou, Paris, 1973, commentaire de la carte VIII/4, p. 63 : c’est à tort qu’il est dit que Louis III rentra en France de 1427 à 1431. L’étude de V. Lieutaud, Le registre de Louis III, comte de Provence, roi de Sicile et son itinéraire (1422-1434), Aix-en-Provence, 1905, Bibl. Méjanes, 44 389, reconnaît que l’on ne peut se prononcer sur la présence ou non de Louis III au sacre de Charles VII à Reims, le 17 juillet 1429. Ajoutons que l’on peut même être assuré de son absence à cette cérémonie, ainsi que de celle de ses frères et de sa mère. Un doute subsiste cependant concernant René : la Chronique de la Pucelle mentionne la présence du « duc de Bar et de Lorraine » à Reims le 16 juillet 1429, veille du sacre, mais curieusement pas le 17, jour du sacre..., G. Cousinot, Chronique de la Pucelle, Reprints, Genève, 1976, p. 321. Quant à Monstrelet, bien qu’il affirme que « toute la baronnie et chevalerie » était présente au sacre, il ne mentionne pas René, Chronique, t. IV, p. 337. Et laissons de côté le récit hautement romanesque de J. de Bourdigné, Hystoires agregatives des annalles et cronicques d’Anjou, éd. Quatrefages, Angers, 1842,1/13, p. 160-164, qui fait affronter au jeune roi « un grant et puissant Angloys nommé Lancelot... » De nombreuses lettres émanant de Louis III, et envoyées de Cosenza, Montis Leonis, etc. sont à noter pendant la période cruciale du couronnement de Charles VII : notamment une, de Cosenza, du 18 juillet 1429, des mains du secrétaire Charles de Castillon, en présence de Tristan de La Jaille, Jacques Rumbo, Vital de Chabannes : de mandatoprefatiDomini in suo consilio (même si la certitude absolue est liée à la formule ore proprio..., Bibl. Méjanes, ms 538, RLT, p. 305).
11 Entre autres : B. Guénée, L'Occident aux XIV et XVe siècles, Paris, 1971, rééd. 1998 (Nouvelle Clio) ; J. Krynen, Idéal du prince etpouvoir royal en France à la fin du Moyen Âge (1380-1440), Etude de la littérature politique du temps, Paris, 1981 ; Les princes et le pouvoir au Moyen Âge, XXIIIe Congrès de la S. H. M. E. S. (Brest 1992), Paris, 1993 ; Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge, Actes du colloque organisé par l’Université du Maine (mars 1994), Paris, 1995, etc.
12 J.-P. Boyer, « Ecce Rex tuus, le roi et le royaume dans les sermons de Robert de Naples », dans Revue Mabillon, nlle série, t. 6,1995, p. 101-136 ; Id., « Sacre et théocratie : le cas des rois de Sicile Charles II (1289) et Robert (1309) », dans Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1997, p. 561-607.
13 H. Millet et M. Hanly, « Les batailles d’Honorat Bovet, essai de biographie », dans Romania, t. 114, 1996, p. 135-181.
14 A. Coville, La Vie intellectuelle dans les domaines d’Anjou-Provence, 1380-1435, Paris 1941, p. 327-329. Si le roi est la tête, les princes sont les yeux.
15 M.-R. Reynaud, « La deuxième Maison d’Anjou-Provence et la Papauté... », art. cit., p. 170. Les « scientifiques » choisis par la reine Yolande sont deux professeurs de droit civil : Henri Abatis et Thibault Regis, et un professeur de droit canon, Pierre Nicolas de Brancace.
16 M.-R. Reynaud, « La politique de la Maison d’Anjou et la soustraction d’obédience en Provence », dans Cahiers d’Histoire, t. XXIV, 1979, p. 146-147.
17 Ibidem, p. 146.
18 Pour Raymond Bernand Flaminges, surnommé « sac de lois » cf. A. Coville, op. cit., p. 42-94 ; pour Jean Le Fèvre, ibidem, p. 94-139, mais est-il docteur utriusque juris ? Pour Jordan Brice ou Brès cf. infra chap. V et VI.
19 A.N., P 133417 no 33, 44 et 52 ; A.D. BdR., B 168, p. 74-86 et 89-93 ; B 212, p. 144. Guillaume de Jumièges, chapelain de la chapelle d’Angers, a pu jouer un certain rôle : A.N., P 13344, p. 27, 30, 98-99. Le Dominicain qui « enseigne » le jeune Louis II sur les miniatures ornant le Livre d’Heures du prince serait-il Dominique de Florence ? B.N.F. 33 783 ms 18 014, f. 8 et 9. Et cf. infra p. 132, note 11 ; p. 140, note 39. Rappelons que pendant ses séjours italiens, le roi René eut quelques années Bernardin de Sienne comme confesseur.
20 F. Robin, « La politique religieuse des princes d’Anjou-Provence et ses manifestations littéraires et artistiques, 1360-1480 », dans La Littérature angevine médiévale, Actes du colloque de l’Université d’Angers (mars 1980), Angers, 1981, p. 156-175.
21 A.N., P 133417, no 33. Ce collège devra donner autant de bourses que le collège de Navarre.
22 A.D. Maine-et-Loire, D 7 pp. 96-111. Ordonnances des rois de France de la troisième race, t. VII, p. 218-248. S. Guénée, Les Universités françaises des origines à la révolution, notices historiques, Paris, 1982, p. 59-60.
23 N. Coulet, Aix-en-Provence..., op. cit., p. 530-577.
24 A.D. Maine-et-Loire, D 7 p. 30 et D 8. L’abbé de Saint-Aubin est Thibaut Ruffier.
25 N. Coulet, Aix-en-Provence..., op. cit. p. 561 et cf. infra chap. V.
26 A.N., P 13344, p. 24.
27 La chancellerie des princes d’Anjou-Provence n’est pas aussi bien structurée que celle des rois de France : R.-H. Bautier, « Le personnel de la chancellerie royale sous les derniers Capétiens », dans Prosopographie et genèse de l'État moderne, Paris, 1986, p. 91-115 ; R. Cazelles, « Une chancellerie privilégiée, celle de Philippe VI de Valois », dans B.E.C., t.124, 1966, p. 355-381.
28 J. Le Fèvre, p. 159-168. M.-R. Reynaud, « L’absence du prince... », art. cit., p. 147. La période privilégiée avec Jean le Fèvre, où le chancelier du prince œuvre en Anjou et en Provence, ne se retrouvera pas.
29 J. Le Fèvre, p. 274 ; p. 216, 77 et 178 ; p. 337 : il ajoute, quand il s’étonne que l’on utilise des sceaux de simple justice pour des grâces : « Dixi quod erat contra mentent Domine », ce qui en dit long sur sa compréhension de l’esprit de « Madame » et sur sa conception du pouvoir, les lettres de grâce relevant de la majesté royale.
30 Dix ans s’écoulent entre la disparition de Jean le Fèvre et la nomination d’Harduin du Bueil. Ce dernier est le troisième fils de Jean, comte de Sancerre, seigneur de Bueil. Il est un exemple de ces carrières mixtes, au service du roi de France et du duc d’Anjou... et de l'Église : cf. Gallia Christiana, t. XIV, c. 579 ; Gams, Series episcoporum, p. 553 ; A.N., P 13344, no 12 et p. 64, 88, 150, etc. En 1403, il reçoit 600 livres tournois de gages, mais ce n’est qu’une partie de ce qui lui est dû. F. Lebrun (ss dir.), Histoire du diocèse d’Angers, Paris, 1981 (coll. Histoire des diocèses de France, 13), p. 77 sq.
31 Cf. infra, chap. VI.
32 Guillaume Saignet serait devenu chancelier entre le 12 novembre 1432 et le 6 août 1433 : A.D. BdR., B 774, p. 51-52. Il préside le Conseil royal d’Aix à la fin du règne de Louis III : Bibl. Méjanes, ms 538, RLT, p. 376. Jean Balard, évêque de Fréjus, ne fut pas chancelier.
33 A.D. BdR., B 9, p. 184-185 ; B 10, p. 171-172 et 220 ; B 8, p. 305-306 ; A.C.M., FF 16. Les princes ont aussi usé des lettres de rémission : C. Gauvard, « De grâce espécial », crime, état et société en France à la fin du Moyen Âge, t.1, Paris, 1991, p. 61 sq.
34 A.D. BdR., B 628.
35 A.D. BdR., B 11, p. 113v. Louis III, qui a usé des lettres de nostra certa scientia, serait-il sur la voie de l’absolutisme législatif ? : J. Krynen, « De nostre certaine science... Remarques sur l’absolutisme législatif de la monarchie française », dans Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l'État, Montpellier, 1988, p. 131-144.
36 J. Le Fèvre, p. 56 : la Chambre des comptes n’est pas encore à cette date installée dans l’enceinte du château d’Angers ; p. 60.
37 Ch. de Mérindol, Le roi René..., op. cit., planches X, XI no 24 et XVII no 148 et 149. L. Blancard, Iconographie des sceaux et bulles conservés aux archives départementales des Bouches-du-Rhône, Marseille, 1860, p. 32-38, pour la deuxième Maison d’Anjou.
38 J. Le Fèvre, p. 49. Ch. de Mérindol, « L’imaginaire du pouvoir à la fin du Moyen Âge. Les prétentions royales », dans Représentation, pouvoir et royauté..., op. cit., p. 66 : l’auteur suppose que « très vraisemblablement » Louis Ier ne put être sacré. Même évolution dans l’iconographie monétaire : cf. Idem, Le roi René..., op. cit., planche XVII no 50-51.
39 J. Froissart, Chronique : cf la miniature illustrant l’entrée royale à Paris : B.N.F., ms fr. 26 145, f. 321v
40 J. Le Fèvre, p. 446-447, 303 et 511. E. de Monstrelet,. op. cit., t. II, p. 66. Louis II est accueilli à Bologne le 31 mai 1410 par 22 cardinaux, 2 patriarches, 6 archevêques, 20 évêques et 18 abbés.
41 N. Coulet, « Les entrées solennelles en Provence... », art. cit., p. 70-77. Plus mythique encore que le royaume de « Sicile », le royaume de Jérusalem est présent dans le journal de la Chambre des Comptes d’Angers : une croix de Jérusalem a été dessinée en marge de l’annonce du décès de Louis II : A.N., P 13344, p. 138.
42 A.N., P 13341, no 6, p. 11-15 ; B.N.F., n. acq. fr. 7 232 ; B.M. Avignon, ms 2 778, p. 246-248. Et Ph. Labbé, L'Abrégé royal de l’alliance chronologique de l’histoire sacrée et profane, t. 1, Paris, 1614, p. 640-648 : cette édition comporte quelques inexactitudes de transcription. Le ms (moderne) d’Avignon est une copie de Labbé. Une miniature illustrant la chronique de Froissart évoque non le couronnement, mais la réception du jeune Louis II, couronne en tête et manteau fleurdelysé, par Clément VII : B.N.F., ms fr. 2646, f. 14v
43 D'autres princes ont soigné leur image à travers leur costume : M. Jones, « En son habit royal le duc de Bretagne et son image à la fin du Moyen Âge », dans Représentation, pouvoir et royauté...,op. cit., p. 253 sq. F. Piponnier, Costume et vie sociale à la Cour d’Anjou-Provence, Paris-La Haye 1970, p. 176-177. Pour l’habit royal cf. Ch. de Mérindol, « Le prince et son cortège. La théatralisation des signes du pouvoir à la fin du Moyen Âge », dans Les Princes et le pouvoir..., op. cit., p. 314-315.
44 J.-P. Boyer, « Sacre et théocratie... », art. cit., p. 565 sq., sur l’imitation du sacre impérial ; le souverain rassemble sur sa personne les regalia et les pontificalia, p. 592-593. Quelle couronne a été posée sur la tête de Louis II ? Celle du couronnement de la reine Jeanne, confiée au pape d’Avignon ? Ou bien le trésor est-il resté aux mains de Charles de Duras, comme le pense J.-P. Boyer ? Les joyaux de la couronne aliénés par Louis Ier ne sont pas forcément ceux de la couronne du sacre. Cf. aussi R.A. Jackson, « Le pouvoir monarchique dans la cérémonie du sacre et couronnement des rois de France », dans Représentation, pouvoir et royauté..., op. cit., p. 237-252. Y-a-t-il une onction derrière les épaules dans le sacre de Louis II qui serait identique à celle du sacre du roi de France ?
45 J.-P. Boyer, ibidem, p. 565 et 575.
46 A.N., P 13341, no 6, p. 15.
47 B. Boysset, Mémoires, op. cit., p. 341-342.
48 R.A. Jackson, « Le pouvoir monarchique... » art. cit., p. 245 : le roi et ses pairs comparés au Christ et à ses apôtres.
49 « Et puys après fu menez le Roy à l’autel par lesdiz diacres cardinaulx prendre et recevoir le sang Nostre Seigneur » : A.N., P 13341, no 6, p. 15.
50 B. Boysset, ibidem, cf. supra note 37. Le cardinal d’Ostie, Bertrand Lagier de Figeac, OM, qui fut évêque de Glandevès ; le cardinal de Saint-Marcel, Jacques de « Mentoneyo », qui est aussi chambellan de Clément VU ; l’archevêque d’Arles, François de Conzieu ; le cardinal d’Avignon, Faydit d’Aigrefeuille, évêque d’Avignon : C. Eubel, Hierarchia Catholica, t. 1, Münster, 1898, p. 26-27 et 21 ; Gams, op. cit., p. VI, 549, 494. La Touraine est, à cette date, entre les mains du frère de Charles VI, Louis.
51 A.D. BdR., B 9, p. 184-185 ; B. Boysset, ibidem, p. 361. La présence du cardinal d’Albano (Nicolas de Brancace, qui fut évêque de Cosenza : Eubel, ibidem, t. I, p. 26) peut faire penser au cérémonial du couronnement : cf. J.-R Boyer, « Sacre et théocratie... », art. cit., p. 565. De même, pour corroborer les affirmations de Louis II, rappelons le couronnement double du roi Robert et de son épouse Sancia : ibidem, p. 565.
52 A.D. BdR., B 9, p. 184-185 ; A.N., P 13341, p. 45-46. M.-R. Reynaud, « L’absence du prince... », art. cit., p. 147-149.
53 A.D. BdR., B 9, p. 268-269 et cf. infra, chap. V, p.146, note 68.
54 A.N., J 375, no 7 ; cité. dans F. Autrand, Pouvoir et société en France XIVe-XVe siècles, Paris, 1974, p. 35-36. Rappelons que Marie de Blois avait prêté un serment « vassalique », au nom de son fils mineur en mars 1385 : A.N., P 13344, p. 26v. A. Demurger, « Carrières normandes : les vicomtes 1350-1450 », dans L'État moderne et les élites XIIIe-XVIIIe siècles, apports et limites de la méthode prosopographique, Paris, 1996, p. 105.
55 A. Coville, op. cit., p. 233 (référence au Journal de Nicolas de Baye I/244).
56 Cf. infra, chap. VI.
57 P.S. Lewis, « The Failure of the French Medieval Estates », dans Past and Present, 23, 1962, p. 3-24.
58 Le regretté Maurice Rey, dont on connaît les travaux sur les finances de Charles VI, avait eu l'obligeance de me communiquer en son temps l'ébauche d'un article intitulé « La grande misère de la Maison d'Anjou », qui, à ma connaissance, n'a pas été publié. C'est à lui que j'emprunte ces renseignements. Rappelons que le chancelier Jean Le Fèvre évaluait l'Anjou à 4 000 livres tournois par an (cf. supra, chap. II). Pour Bedford : A.N., X la 8 604, acte 584, p. 16v-11v
59 E. Baratier, Les Enquêtes..., op. cit., p. 44-45 et supra, chapitre II.
60 Ordonnances des rois de France..., t. IX, p. 422-426. A.N., P 13344, p. 25v. Cet accord vise-t-il à renforcer la réconciliation d'Auxerre fraîchement conclue (1412) ?
61 A.N., P 1351, no 667 ; A.D. BdR., B 647 et B 190, p. 261 ; B 177, p. 181-186.
62 A.N., P 13344, no 12.
63 A.N., P 13344, p. 79v et 81. En-1408, procès en Parlement pour cette affaire.
64 A.D. BdR., B 202, p. 108.
65 A.N., P 13344, p. 80.
66 M. Rey, art. cit., p. 10-11. Et cf. supra, chap. II.
67 Recettes ordinaires : Angers, Le Mans, Baugé, Loudun, Château-du-Loir, Mirebeau : A.N., P 133416. Elles correspondent aux prévôtés-châtellenies. La baronnie de Mirebeau et la châtellenie de Loudun, pour distincte qu'ait été leur acquisition, sont intégrées « administrativement » (et féodalement cf. supra) A.N., P 13344, p. 63, 85,132 ; P 13344, no 12 ; P 133417, no 52 ; P 13344, p. 80, 113, 135, 148 ; P 1335, no 191 ; A.D. BdR., B 1387, p. 7v, etc. Il y a aussi des receveurs pour telle châtellenie ou ville appartenant directement au prince (ex. La-Roche-sur-Yon, Longjumeau, Guise, hors apanage), un groupe de receveurs pour le Trépas sur la Loire ; les receveurs particuliers sont chargés de lever une aide : par exemple, la taille de 1411 en Anjou, quatre receveurs dans quatre élections.
68 A.D. BdR., B 212, B 628 ; A.N., P 133418, no 68-69 ; P 13344, p. 113v, 120,121v ; A.D. BdR., B 1387, p. 7 ; A.N., P. 13542, no 859 ; P 1339, no 449, etc.
69 A.D. BdR., B 763, p. 85v ; B 190 ; B 10, p. 151v ; B 770 ; B 1527 ; A.D. BdR., B 774, p. 50v ; Bibl. Méjanes, 538, RLT, p.101-103 et 393-395 ; A.D. BdR., A.D. BdR., B 627 ; B 272 ; B 628, 632, 636 ; A.N., P 133418, no 70. Notons que ces trésoriers sont aussi « utilisés » dans le cadre de la levée des aides. A.D. BdR., B 1528 : les comptes des recettes et dépenses du damoiseau Philippe de Vieta en 1419 : il recense soigneusement les recettes des claveries, et les autres recettes : gabelle du sel, péages, laudimium et trezenium, compositions des Juifs, lates, dons, extraordinaire, etc., et les dépenses : gages des officiers, remboursement (partiel) de Michel de Passis etc. et signale que Jean Porcher, Maître de la Chambre aux Deniers de la reine Yolande a reçu 1 800 florins.
70 A.N., KK 243 et KK 244 ; KK 243, p. 62 ; A.N., P13344, p. 143. Les autres déplacements de la famille en Provence ont été couverts par la Chambre aux Deniers.
71 A.N., KK 243, p. 48v, p. 14v et 26 ; p. 45 et 50 ; p. 60v et 61 ; p. 69v et 79.
72 A.N., KK 243, p. 6, 7, 8, 9v et 10. Quant aux grosses sommes, un acte du 16 mars 1423/24, inséré dans le registre de Jean Dupont, fait état qu'à la réunion de Selles, une aide de 8 000 livres tournois a été ordonnée pour être levée dans l'élection de Saumur, et que Charles VII a fait don à sa belle mère de 18 000 francs à prendre sur l'Anjou. En fait, la reine n'aurait eu (pour sa Chambre aux Deniers ?) que 7 158 livres 8 sous tournois au total : A.N., KK 243, p. 23.
73 A.N., KK 243, p. 49r-v ; p. 46 et 48 : les gages de Jean Porcher sont passés, au cours de ces différents exercices, de 112 à 212 livres tournois annuelles.
74 A.N., KK 243, par exemple p.27-28, d'octobre 1409 à avril 1410,34 « ayant cédules » et 61 n'en ayant pas. Parmi eux, des ecclésiastiques, des « sires » et des sans titre.
75 Pour les enfants du couple Louis II/Yolande d'Aragon, cf. supra, chapitre II et cf. infra généalogie. Et surtout, Le Livre d'Heures du Roi René, Bibl. Méjanes, ms Réserve 1-19(620). A.N., KK 243, p. 21-22 ; p. 45v ; p. 70v-71 ; A.N., KK 244, p. 27.
76 A.N., P 13344, p. 89, 71, 60, 85, 89, 90, etc. F. Robin, La Vie artistique..., op. cit., p. 367. Pour les Ponts-de-Cé, les réparations sont partagées entre le duc et Notre-Dame d'Angers.
77 Abbé G. Arnaud d'Agnel, Les Comptes du Roi René, Paris, 1908-1909 : par exemple, dépenses du roi René à Aix de 1476 à 1480 : 3 704 florins 170 gros ; à Tarascon, de 1416 à 1419 : 2 448 florins 64 gros, dont 1 000, le 22 octobre 1418, « pour l'achat d'une maison avec ses appartenances située à Tharascon, en laquelle le Roy a acoustumé de se loger... » p.14-23 et 43-49. L'aménagement des résidences princières : 5 000 florins en 1441 : F. Robin, op. cit., p. 443. R. Planchenault, L'Apocalypse d'Angers, Paris 1966. On sait que ce fut la grande commande de Louis Ier
78 A.N., P 13344, intercalaire 96 bis et f. 91 et 124. Ph. Contamine, Guerre, Etat et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées du roi de France, 1331-1494, Paris-La Haye, 1972, annexe p.630-632.
79 M. Hébert, « L'armée provençale en 1314 », dans Annales du Midi, t. 91, 1979, p. 5-21. V.-L. Bourrilly et R. Busquet, Encyclopédie des Bouches-du-Rhône, II, Paris, 1924, p. 637. A.D. BdR., B 627 et B 628 ; Mourgues = Monaco aujourd'hui. J. Le Fèvre, p. 301.
80 J. Le Fèvre, p. 338. Et cf. supra, « La maîtrise de l'espace ».
81 J.Le Fèvre, p. 194 et 266 ; A.D. BdR., B 772, p. 17 ; B 646 ; B 772, p. 19-21v ; B 190, p. 213 ; B 177. M. Rey, ibidem, p. 17.
82 Cf. supra, chap. II, notes 71, 72, 73. Et relevons que la location d'une galée est passée de 1 000 florins en 1406 à 1 500 en 1428 (à moins qu'il ne s'agisse d'une vente à cette date ?).
83 J. Le Fèvre, p. 248 et 258.
84 A.N., J 375, no 6. Reste à acquitter : 94 marcs 2 onces 11 esterlins d'or et 1 075 marcs 7 onces 11 esterlins obole d'argent. Moranvillé, Inventaire de l’orfèvrerie et des joyaux de Louis Ier d’Anjou, Paris, 1906. A.N., P 13344, p. 124v ; J. Le Fèvre, p. 6 : Louis Ier s'engageait, en contrepartie, à soutenir la comtesse dans son procès contre Louis de Namur.
85 J. Le Fèvre, p. 296 et 446 ; A.N., P 13344, p. 113v ; J. Le Fèvre, p. 152, 227 et 93 ; A.N., P 133418, no 68 et cf. supra, chapitre IL L’inventaire de l’ornement du trésor de la jeune Catherine de Bourgogne comprend : vaisselle d’argent doré, vaisselle d’argent blanc, joyaux d’or (parmi lesquels colliers, ceintures, fermails, et « floquart vert garni d’un fermail auqual a quatre perles, quatre rubis et un diamant », entre autres), robes (dont « un mantel pour espouser de drap d’or fourré dermines »), chambres, dont une « semée de motez des armes de Madame de Guyse », ornements pour la chapelle et chevaux et fournitures pour l'écurie.
86 A.N., P 1351, no 668 ; P 13344, p. 92 ; A.D. BdR., B 10, p. 63 et 177 ; A.N., P 13344, p. 86., 115,124v ; A.D. BdR., B 628 et 636 ; B 1528, p. 21 ; A.N., P 13344, p.82 et 110 : A.D. BdR., B 772, p. 47-48. M. Rey, ibidem, p. 23 sq. et 27 sq. Par comparaison, le montant des emprunts du duc Philippe le Bon au cours de son règne a été estimé à 2 760 000 livres tournois, dont 1 314 000 auprès des banquiers, italiens le plus souvent. Le même duc aurait eu un revenu annuel de 900 000 ducats, donc infiniment plus que le duc d'Anjou : A Van Nieuwenhuysen, Les Finances du duc de Bourgogne Philippe le Hardi (1384-1404). Économie et politique, Bruxelles, 1984, p. 512 et 513.
87 A.D. BdR., B 8, p. 22. Et cf. supra, les dons de la ville d’Arles à l’occasion du « couronnement » de 1400.
88 J. Le Fèvre, p.354, 387 et 402 ; A.D. BdR., B 8, p. 22. M.-R. Reynaud, « La Maison d'Anjou et la soustraction d'obédience... », art. cit., p. 48, 49 et 56. La dépouille de l'archevêché d’Arles s'était élevée à 15 000 florins. M. Rey, ibidem, p. 17. Louis III distribua lui aussi de nombreux bénéfices ecclésiastiques à ses serviteurs, avec l'accord du pape Eugène IV. Cf. infra, chap. VI.
89 Ordonnances des rois de France..., t. VII, p. 577 et 612 ; L. Douët d'Arcq, Choix de pièces inédites relatives au règne de Charles VI, t. 1, Paris, 1863, p. 110 ; M. Rey, ibidem, p. 18 (référence à B.N.F., ms fds fr. 25707). A.N., P 13344, p. 25 (montant de la dot d’Isabelle de France : 800 000 francs, cf. J. Favier, La Guerre de Cent Ans, Paris, 1980, p. 408), 55v, 76, 121-122,140. La reine Yolande fit frapper par l'atelier de Tarascon des monnaies semblables à celles de la reine Jeanne : A.C. Aix-en-Provence, AA 17.
90 A.N., P 13344, p. 30. M. Rey, ibidem, p. 20-21 ; (référence à A.N., KK 27, no 36 et B.N.F., ms fds fr. 35510, p. 336v)
91 A.N., P 133416 ; P 13344, p. 56v, 78 et 120. M. Rey, ibidem, p.22 (référence à B.N.F., Nlles acq. fses, 20528, p. 254. Quel pourcentage des aides accordées par les États de la « France centrale » de 1423 à 1434 ? Les États de Languedoil auraient accordé une aide d’un million de livres tournois à Selles en mars-avril 1424 ( ?) : A. Thomas, Les États provinciaux de la France centrale sous Charles VII, t. 1, Paris, 1879, p. 186.
92 J. Denizet, Les États de Provence des origines à 1481, Paris, 1921, p. 112. G. Gouiran et M. Hébert, Le Livre Potentia..., op. cit.„ p. 191, 203, 225, 227, 228, 229, 259, et p. LXVII. A.D. BdR., B 49, p. 172, 175, 178v, 198, 215, 239, 244. À noter un doute quant à la date du décès de Pons Cays : fin 1419 ou milieu 1420 ? Cf. infra, chap. VI, p.174, et note 26.
93 Cf. infra, chap. VI.
94 A.D. BdR., B 49, p. 181v, 202, 237 et 199v. Cf. supra, chapitre III.
95 J. Le Fèvre, p. 289 ; A.N., P 133417, no 34 ; Religieux de Saint-Denys, rééd., t. I/1, p. 27-29. Archivio Segreto del Vaticano, Instr. Miscel., 3782. M.-R. Reynaud, « Foi et politique..., » art. cit., p.164 et 167.
96 B.N.F., ms fds fr. 20437, p. 44. L'état fourni par le dit de la Barre ne mentionne que 2 500 francs... C'est le chapelain de Guillaume de Vienne, Richart Guillaume, qui porte en personne ces lettres à leur destinataire. L'itinéraire de Louis II confirme ce document : le roi est à Tarascon de la mi-octobre jusqu'à la mi-décembre, à part une brève incursion à Aix le 30 octobre, et il part pour la France le 16 décembre 1411. Qui a ordonné cette enquête ? Charles VI en principe, mais qui gouverne réellement ? Le duc de Berry ?
97 Religieux de Saint Denys, rééd., t. II/2, p. 635.
98 J.-M. Martin, « Fiscalité et économie étatique dans le royaume angevin de Sicile à la fin du XIIIe siècle », dans L'État angevin, pouvoir, culture et société entre XIIIe et XIVe siècle, Rome, 1998, p. 624-625.
99 Religieux de Saint Denys, rééd., t. III/2, p. 77-79 ; A.N., P 133417, no 5 p. 21.
100 Bibl. Méjanes, ms 538, RLT, p101-103 ou 393v-395v. Ajoutons que la reine Marie aurait amassé un trésor de 200 000 écus d’or « sur les revenus de ses domaines » À son fils qui s’étonnait qu’elle ne l’ait pas secouru plus généreusement « dans le temps où il avait été presque réduit à la détresse », elle avoua à l’heure de sa mort avoir gardé cet argent pour le cas où, prisonnier, il aurait eu besoin d’une rançon, « pour lui épargner la honte de mendier sa rançon de tous côtés... », Religieux de Saint-Denys, rééd., t. II/1, p. 215.
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