Chapitre 3. Une maison villageoise au xive siècle : les structures
p. 415-430
Texte intégral
1L’archéologie du village médiéval multiplie en France ses entreprises. Beaucoup de provinces sont aujourd’hui concernées : celles du Nord, avec Brebières, celles de l’Ouest, avec Pen-er-Malo et les Fosses-Saint-Ursin, celles du Centre-Est avec Dracy, celles du Centre avec Saint-Victor-de-Massiac et Le Bourdalat, celles du Sud-Est, avec Rougiers et Condorcet, celles du Sud-Ouest, avec Montaigut et Saint-Jean-le-Froid1. Mais les recherches sur ces sites sont diversement avancées, les unes achevées comme à Rougiers, les autres à peine commencées, comme à Saint-Victor-de-Massiac. Et ces travaux, à une exception près, qui concerne le village mérovingien de Brebières, n’ont encore fait l’objet d’aucune publication complète2. Aussi est-il bien difficile de parler en archéologue de la maison paysanne au Moyen Âge : les données restent trop fragmentaires et disparates et aussi bien trop ponctuelles et isolées pour permettre les généralisations.
2C’est à peine si les comparaisons – entre les sites français ou avec les recherches dans les pays voisins, Angleterre et Allemagne essentiellement – suggèrent quelques lignes directrices qui ne s’inscrivent encore qu’en pointillé. La maison paysanne paraît d’ores et déjà plus diversifiée en France médiévale qu’elle ne l’est en Angleterre à la même époque, où sa diversité semble réductible à trois types essentiels3. En France, la maison de Rougiers n’est pas celle de Dracy : les oppositions essentielles ne semblent pas être celles qui séparent les catégories sociales, mais celles qui définissent des aires économiques et culturelles, France du Nord et France du Midi, par exemple. De même la maison de Dracy n’est pas celle de Brebières : il n’y a aucun point commun entre l’habitation paysanne du XIVe siècle et celle du VIIe siècle. Entre les deux, il y a comme une révolution des techniques et des mœurs qu’on ne sait trop à quelle date situer, à moins qu’il ne s’agisse de « chaînons manquants ». En tout cas, l’habitation paysanne au Moyen Âge finissant s’affirme comme une vraie maison : construite pour durer, en pierres assez souvent, elle abrite aussi bien les activités du jour que le repos de la nuit. Mais il s’agit là de simples indications procurées par des recherches trop peu nombreuses, que de nouvelles recherches peuvent mettre en question. Il est trop tôt pour tirer des conclusions et bâtir des synthèses.
3Pour éviter même toute généralisation prématurée, j’ai choisi de présenter une seule maison. La démarche paraîtra peut-être excessivement prudente et l’intérêt de cette étude d’autant plus limité. Mais la maison choisie l’a été parce que relativement exemplaire ; chacun de ses éléments pourra fournir le point de départ de comparaisons permettant d’élargir l’horizon.
4Surtout, cette maison offrira l’occasion de nous interroger sur nos méthodes : comment, à partir de vestiges plus ou moins ruinés, restituons-nous un bâtiment ? Comment d’une partie passons-nous au tout ? Et quelles sont dans nos connaissances sur la maison paysanne au Moyen Âge la part des certitudes et la part des hypothèses ?
5J’ai naturellement emprunté mon exemple au site de Dracy où, avec l’aide de nos amis polonais, mon équipe a conduit à l’automne de 1972 une septième campagne de fouilles4. Dracy peut sans doute se définir comme un habitat de la fin du Moyen Âge, comme un village bourguignon, et comme une petite agglomération habitée uniquement par des paysans. Son existence s’étend du XIIe siècle au XIVe siècle, ce qui le fait rentrer dans le lot des villages désertés à la faveur des crises de la fin du Moyen Âge, comme nombre de Wüstungen européens, allemands notamment. C’est un village bourguignon de la côte viticole, mais par sa civilisation matérielle, il appartient davantage à l’Europe du Nord qu’à l’Europe méridionale. C’est enfin un petit village de l’ordre du hameau, sans église et sans rempart et qui est voué à des activités purement agricoles ; en cela donc plus proche de tel village anglais tué par les enclosures que du village méditerranéen, perché et fortifié et qui abrite dans ses murs quelques artisans, tels Rougiers et Brucato5. C’est peut-être finalement en s’adressant à de petites localités purement rurales comme Dracy qu’on a le plus de chance d’atteindre la civilisation matérielle du village.
6Les fouilles dans leur état actuel ont mis au jour, outre une quinzaine de sépultures, douze bâtiments datant de la dernière phase de l’histoire du village et composant quatorze ou quinze habitations. Ces bâtiments sont répartis en deux lignes parallèles distantes d’une cinquantaine de mètres ; les bâtiments de la ligne ouest sont appuyés à une haute falaise calcaire qui domine la pente sur laquelle sont établis un peu en contrebas la deuxième rangée de constructions, et le cimetière (si les tombes découvertes appartiennent à un cimetière). Le bâtiment dont il sera question ici et que nous appelons le bâtiment II, appartient à la ligne haute, celle qui s’appuie à la falaise. Ce bâtiment présente l’intérêt d’avoir été détruit par le feu. L’incendie a d’une certaine façon fossilisé ce microcosme qu’est une maison habitée. Il a souligné pour l’archéologue les relations entre les structures, entre les murs, les sols et la toiture, tous également marqués et donc identifiés par le feu. L’incendie a également conservé pour l’archéologue tout le mobilier que le feu n’a pas détruit : l’inventaire est de ce fait infiniment plus riche et varié que pour d’autres bâtiments où on n’a affaire qu’au matériel abandonné par les hommes et qu’un long séjour dans la terre n’a pu faire disparaître. Aussi le bâtiment II a-t-il servi également de point de départ pour les recherches de Françoise Piponnier sur le mobilier de la maison paysanne en Bourgogne médiévale6.
7Il est important d’observer sous quelle forme se présentaient avant la fouille les vestiges d’une construction. Pour deux raisons : de telles observations peuvent nourrir l’expérience de l’archéologue et le guider dans son étude du site ou dans la prospection d’autres sites. Ensuite, la restitution qu’on pourra tenter de la construction étudiée dépend beaucoup du soin avec lequel on relève ses vestiges et la couche de destruction dans laquelle ils sont inclus. À Dracy, en règle générale, les bâtiments sont noyés dans leurs propres ruines : comme ces bâtiments étaient assez voisins les uns des autres, le site présente des zones d’amas de pierres, les lignes hautes correspondent généralement aux murs et les points déprimés au centre des pièces. C’est ainsi que se présentent souvent les sites de villages désertés dont les constructions étaient en pierre, mais non maçonnées : ce sont ces mêmes amas de pierres que nous avons notés sur le site du Vieux Rully ou à Saint-Germain-des-Buis, où les masses de pierres étaient plus isolées cependant qu’à Dracy, et plus informes, que nous avons trouvés également à Brucato, où les pierres étaient peut-être plus mêlées de terre7. À Dracy, cette topographie des vestiges a permis de repérer l’emplacement et l’extension de certains bâtiments, dont cependant aucune structure encore en place n’était visible.
8Ce n’était cependant pas le cas de la maison II ni des bâtiments voisins. Ici, des aménagements récents avaient remanié la topographie des ruines pour y édifier une petite terrasse de culture. Au-dessus de la moitié ouest du bâtiment II, on avait nivelé les vestiges jusqu’à une certaine hauteur pour les recouvrir de terre arable ; au contraire, on avait rejeté les pierres sur la partie est du bâtiment jusqu’à édifier une de ces larges murailles de pierres meubles qu’on appelle en Bourgogne « murgers ». Ces remaniements, intervenus entre l’abandon du bâtiment et la fouille, interdisent pratiquement de restituer l’élévation primitive de la construction à partir du volume de la couche de destruction : ici en effet les pierres du murger peuvent provenir de plusieurs bâtiments ; le murger peut même s’être grossi des matériaux procurés par l’épierrement des lopins de terre voisins.
9Il est important également d’isoler le matériel mobilier provenant de la couche de destruction qu’il ne faut pas rapporter, au moins pas sans réflexion ni précaution, au bâtiment et à son occupation. Une part, très faible d’ailleurs, de ce matériel peut provenir des murs : petits tessons de céramique inclus avec la terre ou glissés avec les pierres lors de la destruction des murs. Le reste a été jeté dans les ruines après l’abandon ; les ruines, on le sait bien, deviennent très vite des lieux d’élection pour les déchets et se transforment ainsi en dépotoirs occasionnels.
10À Dracy, les vestiges des bâtiments situés au pied de la falaise comme le bâtiment II ont, sans doute, accueilli les déchets divers jetés du haut de la barre rocheuse. De là vient sans doute l’abondance des ossements animaux trouvés dans la couche de destruction et qu’on aurait le plus grand tort d’utiliser pour étudier la consommation du village médiéval.
11Dégagée de sa couche de destruction, réduite à son sol intérieur et à ses murs dans leur état actuel, la maison II de Dracy apparaît comme un bâtiment de pierre relativement bien conservé. Le niveau d’arase est assez irrégulier : il s’abaisse du nord-ouest vers le sud-est, de près de deux mètres (mur I) à moins de cinquante centimètres (mur 5). Cependant, il suffit qu’une des parois soit sur deux mètres de haut construite en pierre, pour qu’on estime que la maison était entièrement bâtie en pierre ; et les vestiges des autres maisons montrent qu’il en était ainsi de tout le village à la fin du Moyen Âge.
12La maison de pierre est d’ailleurs présente sur d’autres sites de la même époque : à Rougiers et à Condorcet, comme à Saint-Jean-le-Froid, comme aussi aux Fosses-Saint-Ursin ou à Saint-Victor-de-Massiac. Et il ne s’agit pas, comme le plus souvent en Angleterre, de simples soubassements de pierre destinés à supporter des parois en matériaux plus légers. Les murs conservés au moins sur un mètre de haut, et souvent plus (Rougiers, Condorcet), la masse des décombres de pierres, tout prouve que ces maisons villageoises du Centre, de l’Ouest ou du Sud-Est étaient, comme celles de Dracy, des maisons de pierre. Est-ce l’effet du hasard qui a orienté les recherches vers ces bâtiments de pierres ? Est-ce précisément l’abondance des vestiges laissée par ces constructions qui a attiré l’attention des archéologues ? Il serait hasardeux de faire de la maison de pierre le modèle de l’habitation villageoise quand les sources écrites et les traditions attestent d’autres types de construction faisant appel au bois, au torchis, au plâtre, dans les provinces pauvres en pierre de construction. Mais au moins la fréquence de la maison de pierre permet-elle de mesurer la distance qui sépare l’habitation villageoise de la fin du Moyen Âge, de la cabane des temps mérovingiens, vite construite sans doute et aussi vite détruite.
13La maison de Dracy est une construction massive. Avec quatre pièces, le bâtiment II au plan proche du rectangle mesure de 8,70 à 9 m du nord au sud, sur 10,75 à 11 m d’ouest en est, ce qui représente une superficie de 96 mètres carrés ; mais l’espace habitable ne représente que 61,80 mètres carrés, soit 64 % de la superficie totale : l’encombrement des murs épais est considérable et le paraîtrait encore davantage si les constructeurs n’avaient fait l’économie d’un mur en élevant la maison contre la falaise qui sert ainsi de paroi ouest. En général à Dracy, la superficie habitable est de l’ordre de 60 % de la superficie totale. L’exiguïté relative des pièces et l’épaisseur des murs sont, sans aucun doute, en relation avec le mode de construction. Les murs, construits en gros moellons bruts ou grossièrement équarris, présentent des assises à peu près régulières, aux pierres ingénieusement assemblées, mais ignorent le mortier. Le liant est ici une glaise jaune qui constitue sur le site le sol en place.
14Les archéologues anglais l’ont constaté également : la construction villageoise en pierre ignore aussi bien le mortier que la pierre sèche. Les murs maçonnés au mortier sont ceux des bâtiments ecclésiastiques ou princiers ; la pierre sèche est réservée aux clôtures. En France, les constructions de Saint-Jean-le-Froid, de Pen-er-Malo, celles aussi, semble-t-il, des Fossés-Saint-Ursin, présentent de même des murs de pierres liés d’argile, la pierre sèche n’apparaissant que pour des constructions annexes ou des clôtures. Mais à Condorcet et à Rougiers, villages du Sud-Est, le mortier est présent dans les habitations villageoises : trait qui caractériserait les civilisations méditerranéennes ? Mais à Brucato, en Sicile, on retrouve, fin XIIIe-XIVe siècle, les murs liés d’argile. Il est trop tôt pour conclure.
15Bien que construites suivant le même principe, les murs de la maison II de Dracy montrent une certaine diversité ; l’épaisseur, les fondations, la dimension des matériaux utilisés varient d’un mur à l’autre. Les parois principales de la maison (murs 1, 3, 4, 5 et 8) sont plus larges que les murs de refend : de 0,80 à 1,10 m au lieu de 0,50 à 0,60 m. Ces dimensions semblent à peu près celles que présentent partout les constructions en pierre non maçonnées où les murs portants ont rarement moins de 0,70 m de large.
16Pour comprendre la construction de la maison II de Dracy, il faut se souvenir de sa situation au pied d’une falaise et au sommet d’une pente. Un système plus ou moins cohérent de terrasses découpe la pente en un escalier dont la maison II et ses voisines occupent la marche la plus haute. Du bâtiment II, seule la paroi est (mur 8) présente une fondation enterrée. Cette fondation n’est d’ailleurs pas uniforme le long des neuf mètres du mur : à l’est, sous une assise en saillie qui prend appui sur le sol d’occupation, la fondation est profonde de sept assises et de 0,60 m. Au nord, moins profonde (0,40 m) la fondation enterrée s’étale pour prendre appui sur un rocher. Sans doute le mur est doit-il cette fondation profonde et solide à sa fonction qui est de retenir toute la construction établie sur un terrain en pente. Les murs nord et sud (1 et 3, 4 et 5) n’ont pas de fondation enterrée : au contraire dans leur partie occidentale (murs 1 et 4) ils présentent une anomalie assez singulière. Là, en effet, leur base interne est à un niveau plus profond que leur base externe comme s’ils étaient construits à cheval sur une dénivellation. Et c’est bien ce qui se passe en effet : ces murs, dans leur partie ouest, sont établis à la limite d’une légère excavation pouvant atteindre 0,70 m de profondeur et qui correspond au niveau intérieur du bâtiment. Dans leur partie est, au contraire, ces murs sont assis sur le même remblai qui supporte le sol d’habitation intérieur. C’est que la maison II est établie en partie dans une excavation et en partie sur un remblai. Et le système de fondation des murs principaux montre que cette terrasse, gagnée sur la pente, a été édifiée pour recevoir la maison, mais avant la construction de celle-ci.
17On retiendra que pour un seul des murs de ce bâtiment, une fondation enterrée a été jugée nécessaire. C’est là encore, semble-t-il, une constante en matière de construction rurale au Moyen Âge ; les tranchées de fondation sont l’exception, mais on cherche le plus souvent – c’est le cas non seulement à Dracy, pour la plupart des constructions, mais aussi à Saint-Jean-le-Froid, et semble-t-il aussi à Rougiers – à asseoir les bâtiments directement sur un roc qui, plus ou moins aménagé, servira aussi de sol d’occupation.
18L’examen des autres murs de la maison II amène à distinguer deux « générations » dans les murs de refend et à préciser l’histoire de la construction de ce bâtiment. Les murs de refend sont édifiés directement sur le niveau d’argile compactée et damée qui constitue le sol du bâtiment : le sol a donc été soigneusement établi avant la construction des murs de refend. Il y a plus : tout montre que les murs nord sud (9 et 10) ont été construits dans un dernier temps et qu’ils n’appartenaient pas au projet initial ; ces murs sont faits de moellons plus petits et plats (jusqu’à quinze et dix-sept assises pour un mètre de hauteur, au lieu de onze à douze assises par mètre) ; ils sont d’ailleurs plus étroits (0,50 et 0,55 m) ; ils ne sont pas liés aux murs portants non plus qu’aux autres cloisons ; enfin, bien qu’ils séparent la maison en deux parties sans communication entre elles, ces murs ne sont pas tout à fait dans le même axe. On peut se demander s’il ne s’est pas écoulé un certain laps de temps entre la construction des murs de refend ouest-est et celle des murs nord-sud ; en somme, la question, qui a son intérêt, comme on le verra, est de savoir si la division du bâtiment en deux pièces, une au nord, une au sud, n’a pas précédé la partition de la maison en deux habitations, une à l’ouest, l’autre à l’est, deux habitations séparées sans communication entre elles.
19En faveur de cette interprétation, on peut relever plusieurs faits, notamment la différence de structure que présentent les seuils et les foyers de la maison II et la présence d’une porte murée dans la paroi nord.
20Des quatre seuils que présente le bâtiment, deux sont simplement en terre et n’ont reçu aucun aménagement spécial : c’est le seuil extérieur de la pièce sud-est et le seuil qui sépare les deux pièces ouest. En revanche, le seuil extérieur de la pièce sud-ouest montre une construction de pierre assez complexe : une haute et étroite marche, faite de trois pierres de chant, sépare deux marches plus basses faites de grandes dalles posées à plat ; en outre, au pied des murs, deux pierres étroites, perpendiculaires à la marche haute, sont vers l’intérieur creusées d’une gorge de trois ou quatre centimètres. Ce seuil de pierre permettait de fixer solidement le bâti de la porte que les gorges taillées dans la pierre étaient, sans aucun doute, destinées à recevoir. Il barrait également l’accès de la pièce aux immondices de la cour. On peut s’étonner que l’autre seuil extérieur ne présente pas ce type de construction. Le seuil qui met en relation les pièces est présente également un dispositif construit, quoique moins complexe : il s’agit simplement d’une ligne de pierres plates, mais elle était sans doute destinée à recevoir, encore une fois, le bâti de la porte et à l’isoler d’un contact direct avec l’argile qui aurait pu provoquer un trop rapide pourrissement du bois. À Dracy, plusieurs bâtiments présentent de ces seuils construits de pierre et ceux qui comportent une pierre de chant mettent en communication deux pièces : cela doit être en relation avec la destination d’une des pièces qui peut avoir été, par exemple, une étable.
21Dans la maison II on n’a trouvé de foyer que dans les pièces sud, mais les deux foyers sont de structure bien différente. Dans la pièce sud-ouest, il s’agit d’une cheminée. Le mur sud (mur 4) présente à l’intérieur un évidement large de 1,40 m à la base pour une profondeur de 0,33 m. Cet évidement, qui se rétrécit vers le haut, ne peut guère être interprété que comme un conduit de cheminée. Les traces de feu sont intenses sur ses parois, mais elles ne le sont guère moins sur les autres murs, car il faut se souvenir qu’il s’agit d’une maison incendiée. L’incendie, moins intense dans la pièce sud-est, n’a pas empêché d’y repérer un autre foyer. Il s’agit, cette fois, d’un âtre en terre battue, appuyé contre le mur sud, dans une position identique à celle de la cheminée de la pièce voisine, mais c’est un foyer ouvert.
22En fait, la cheminée de la pièce sud-ouest est tout à fait exceptionnelle. C’est la seule du site, jusqu’à présent. Les autres foyers sont faits d’un âtre en terre battue ou établis sur un hérisson de petites pierres. Mais il est vrai qu’on les rencontre presque toujours au pied d’un mur, situation qui annonce, semble-t-il, la construction de véritables cheminées. Presque contemporaine de Dracy, et bourguignonne elle aussi, la maison forte de Villy-le-Moutier avait à la fois des âtres ouverts et une cheminée8. Les textes, à partir du XIIe siècle, mentionnent de temps à autre des cheminées dans les villages bourguignons, mais encore au XVe siècle, cette mention demeure exceptionnelle9. Sur les sites villageois qui ont fait l’objet de fouille, le foyer ouvert semble la règle, ainsi à Rougiers où il est même fréquent que le foyer soit extérieur à la maison.
23Ainsi, le bâtiment II de Dracy présente deux types de seuils et deux types de foyers. Il serait assez étrange, on en conviendra, que ces structures différentes appartiennent les unes et les autres au projet initial et qu’on ait, au départ, prévu de construire une cheminée dans une habitation et non dans l’autre. Sur un site où il n’y a pas de murs mitoyens, où les bâtiments sont soigneusement individualisés, il serait d’ailleurs surprenant qu’on ait construit une double habitation sous un même toit. Il est plus vraisemblable que la partition de la maison en deux habitations séparées constitue une adaptation, et la transformation, d’un bâtiment conçu d’abord comme une seule habitation à deux pièces, une pièce nord et une pièce sud. Si l’histoire de ce bâtiment comprend deux phases, à laquelle rapporter chacun des éléments examinés, seuils et foyers ? En fait, il semble bien que les structures les plus construites, seuils de pierre et cheminée appartiennent au projet initial : il paraît difficile d’admettre que la cheminée a été aménagée après coup ; par ailleurs les pierres du seuil sud-ouest sont engagées dans le mur même qui comporte la cheminée.
24On peut aller plus loin et constater que le bâtiment II a connu non seulement deux phases mais trois. À un certain moment, en effet, la porte qui s’ouvrait au nord a été condamnée (mur 2). On doit admettre que cette opération se place après la partition du bâtiment en deux maisons. Les portes sud-ouest et nord occupent dans la maison une position symétrique et le tracé des murs de refend nord-sud semble avoir été calculé pour que chaque habitation dispose de l’un de ces deux accès. La raison pour laquelle on a muré la porte nord apparaît clairement : c’est la construction du bâtiment III qui est en cause. Le mur du bâtiment III, édifié à quelques centimètres au nord du bâtiment II, rendait la porte nord sans objet.
25Ainsi s’affirme une chronologie relative entre les structures du village médiéval. Les bâtiments voisins de la maison II – bâtiments X, XI et I – montrent aussi des travaux d’agrandissement, des constructions nouvelles, s’installant dans les espaces libres entre les maisons. Avec les transformations de la maison II et la construction de la maison III, il y a là les preuves d’une densité d’occupation en accroissement, qu’il faut sans doute mettre en relation avec l’augmentation de la population du village, avec une certaine poussée démographique. Il serait dès lors intéressant de dater cette phase de construction intense et de passer d’une chronologie relative à une chronologie absolue. Les éléments de datation ne manquent pas, mais comme toujours ils sont d’utilisation un peu délicate. Neuf monnaies ont été trouvées groupées dans la couche d’incendie : il s’agit de deniers ou de doubles tournois de Jean le Bon ou de monnaies du duc de Bretagne, Charles de Blois, frappées à l’imitation des deniers tournois10. Ces monnaies sont de dates très voisines : entre 1354 et 1358. Naturellement, ces monnaies ne fournissent qu’un terminus post quem pour l’incendie, mais on peut admettre que la destruction de la maison par le feu est intervenue peu après 1358.
26Peut-on dater la construction de la maison ? La seule monnaie trouvée dans le remblai sous le sol d’habitation donne une date très haute, car il s’agit d’une monnaie du duc de Bourgogne, Hugues III (1162-1192). Le matériel céramique et métallique trouvé dans le même contexte, sans procurer de date rigoureuse, comme il est normal, conduirait cependant à dater la construction de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe siècle : il s’agit en particulier de deux clous de ceinture, que leur type situe entre ceux du gisant d’Adelaïs de Champagne (première moitié du XIIIe siècle) et ceux du trésor de Colmar (XIVe siècle)11. La date de la construction de la maison II risque de rester assez imprécise ; celle de la maison III est mieux cernée par les deux monnaies trouvées dans la terre rejetée entre les deux bâtiments au moment de l’édification du bâtiment III. Ce sont deux oboles bourgeoises de Philippe le Bel, dont l’une est datée des années 1311 à 1313. Ainsi, l’édification de la maison III et, avec elle, la période de la plus forte densité d’occupation de ce secteur du village prennent place entre la fin du règne de Philippe le Bel et 1358. Et, sans doute peut-on estimer que cette période prend fin avant la Peste Noire de 1348. Et ainsi, le village de Dracy ne semble pas atteint par la première récession démographique du début du XIVe siècle qui, il est vrai, soulève de plus en plus de scepticisme chez les spécialistes de l’histoire de la population12. C’est au contraire à la veille de la Peste Noire, et de ses retours, à la veille de la véritable dépression démographique qui allait finalement tuer le village, que Dracy connaît, semble-t-il, son plus fort niveau de peuplement.
27Cette histoire est inscrite dans les constructions du village : il suffit d’y prêter attention. C’est en tout cas à partir d’observations du même type que Gabrielle Démians d’Archimbaud a pu suivre l’abandon progressif puis le repeuplement du village perché de Rougiers-Saint-Jean, avant sa désertion définitive à la fin du Moyen Âge.
28L’observation des vestiges conservés a permis d’étudier le plan et l’histoire de la construction, dans une restitution où les certitudes l’emportaient sur les hypothèses. À partir des mêmes vestiges, mais en utilisant en outre les données des couches de destruction, et en faisant appel aux sources historiques et ethnographiques, on peut également tenter de restituer la maison en élévation ; mais dans ce tableau, la part des hypothèses sera un peu plus large.
29Si l’interruption des parois permet toujours de repérer les portes dans les vestiges d’une maison, il n’en va pas de même des fenêtres. En général, les vestiges de maisons villageoises ne montrent pas de fenêtres ; on n’en a noté ni à Saint-Jean-le-Froid, ni à Pen-er-Malo, ni à Condorcet. Mais sur ces sites comme sur d’autres, les murs sont trop arasés pour qu’on puisse avoir la moindre certitude. Même à Dracy, où les vestiges atteignent généralement plus d’un mètre de haut, on ne pourrait affirmer le plus souvent que les maisons ne comportaient pas de fenêtres : les miniatures montrent régulièrement des fenêtres s’ouvrant très haut sur les murs. Cependant, on peut tenir pour assuré que l’une des deux habitations qui composent la maison II de Dracy n’avait pas d’autre ouverture que sa porte extérieure. Il s’agit de la partie ouest, dont la paroi ouest est constituée par la falaise, la paroi est par les murs qui la séparent de l’habitation voisine, dont la paroi nord, haute encore de deux mètres, sans ouverture, donne sur le bâtiment voisin ; enfin, dans la paroi sud sont aménagées la porte et la cheminée, de sorte qu’il n’y a plus place pour une fenêtre qui, aussi bien, donnerait sur un petit bâtiment annexe. Si une habitation pouvait ne pas avoir de fenêtre, pourquoi n’en irait-il pas de même pour d’autres ? Au mieux, on doit sans doute imaginer de ces fenêtres étroites comme des archères que montrent les vestiges exceptionnellement bien conservés des maisons de Rougiers : encore les rez-de-chaussée sont-ils le plus souvent aveugles.
30On est en général mieux renseigné sur la toiture, au moins sur les matériaux de la couverture que la couche de destruction a souvent conservés. Ainsi sur le site de Saint-Victor-de-Massiac, apparaissent à la fois les « lauzes » (pierres de couverture en basalte ou micaschiste dans ce cas), les tuiles rondes, et une couverture végétale, peut-être de genêts13. À Dracy, c’est dans le bâtiment II que la fouille a, pour la première fois, repéré et identifié comme éléments de la couverture des dalles plates accumulées en « paquets » au fond de la couche de destruction, et marquées par le feu. C’est de ces dalles calcaires, appelées « laves » en Bourgogne que sont encore couverts nombre de vieux bâtiments de la région de Dracy. Les laves, qui ne tiennent que par leur propre poids et doivent de ce fait être empilées sur une grande épaisseur, constituent une couverture et impliquent une charpente puissante. De ce fait, même si les niveaux géologiques fournissent le matériau à proximité du village, c’est un luxe que cette couverture de pierre. Et les maisons de Dracy toutes couvertes de laves ne sont donc pas des chaumières, aux murs et à la toiture faits de matériaux légers, périssables, et qui supposent de fréquentes reconstructions. Construite et couverte en pierres, la maison II, comme les autres maisons de Dracy, est une solide bâtisse, faite pour durer.
31S’il est possible souvent de déterminer le type de couverture, il est plus malaisé de restituer la forme, les pentes et le profil de la toiture. Dans le cas du bâtiment II, comme dans celui de la plupart des autres constructions du site, on peut au moins situer les pignons et la ligne de faîtage : les étroits espaces ou couloirs ouest-est ménagés entre les maisons étaient sans aucun doute destinés à recueillir l’eau tombée des toitures. Dans un cas, on a noté dans un de ces couloirs une rigole creusée dans le rocher et jouant le rôle d’un caniveau. On peut donc supposer que les faîtages étaient orientés dans le même sens, ce que suggère aussi le fait que la plus grande longueur des bâtiments est également ouest-est.
32Reste à savoir si les toits présentaient une ou deux pentes. En ce qui concerne le bâtiment II, on est obligé d’admettre un toit à une pente tombant du nord vers le sud. En effet, il apparaît que la maison II avait un étage, mais seulement au-dessus des pièces nord. Il est dès lors difficile de concevoir pour la toiture un autre profil que celui présenté par un toit à une seule pente ménageant un comble élevé au-dessus des pièces nord.
33Il est assez exceptionnel que les murs soient conservés sur une assez grande hauteur pour qu’on puisse constater la présence d’un étage dans les vestiges d’une maison médiévale. C’est pourtant le cas à Rougiers, mais à Dracy ce n’est pas l’élévation des murs ou les trous d’encastrement des poutres et des solives qui ont permis d’affirmer que certaines maisons comportaient un étage. L’existence de l’étage y est inscrite, en fait, dans la stratigraphie. C’est dans la maison II que l’incendie, une fois de plus, a permis de mieux interpréter une couche d’argile rencontrée également dans d’autres bâtiments sous les pierres de la toiture. Assez riche en mobilier, cette argile, malgré certains indices, comme son épaisseur irrégulière, aurait pu être comprise comme une couche d’occupation. Dans le bâtiment II, rubéfiée et partiellement cuite par le feu, elle a été trouvée au-dessus de la couche d’incendie proprement dite, au-dessus des cendres et du matériel calciné reposant sur le sol de la maison. Cette couche grumeleuse qui parfois se détache en blocs, où restent imprimées des traces ligneuses, ne peut que provenir de l’étage : elle représente l’argile damée étendue sur le plancher de l’étage. À ma connaissance, on n’a rien trouvé de semblable sur d’autres sites, en France au moins. Les références, ici, doivent être cherchées dans l’ethnographie et les documents bourguignons. Ces références existent qui attestent que, de la fin du Moyen Âge jusqu’à une date récente, on a en Bourgogne « terré » des planchers14. C’est cette technique qui a permis d’attribuer un étage à la maison II de Dracy, mais seulement au-dessus des pièces nord : la couche d’argile cuite est absente des pièces sud.
34Sur les autres sites manquent les indices permettant de restituer la maison en élévation. À Montaigut et à Condorcet pourtant, on a pu supposer que le niveau d’habitation était établi au-dessus d’une cave. À Montaigut, les profondes fosses à grains qui s’ouvrent à l’intérieur d’un bâtiment ne peuvent qu’appartenir à une cave et à Condorcet, des éléments de voûte ont été trouvés dans les vestiges d’une maison. Aussi bien, les sources écrites attesteraient sans doute que, même dans les villages, des maisons à étage, parfois à plusieurs étages, n’étaient pas rares. C’est vrai au moins de la Bourgogne, où les documents, terriers ou comptes, prennent rarement la peine de décrire les maisons villageoises, mais précisent parfois le nombre d’étages15.
35Dans la maison II de Dracy l’absence d’un étage au-dessus des pièces sud répond à une autre différence qui sépare les pièces nord des pièces sud. Elle concerne les sols d’habitation. Ils sont dans les pièces sud parfaitement plans et réguliers : en terre damée, ils sont établis sur un lit de pose d’argile, recouvrant un hérisson irrégulier de pierres de dimensions diverses. S’il arrive que de petits objets plats, des clous par exemple, ou de petits tessons de céramique ont été enfoncés dans ces sols d’argile, il ne s’est pas formé de véritable couche d’occupation sur ces niveaux durcis, cela malgré un usage qu’on peut estimer à plusieurs dizaines d’années. Cet état de choses, que l’archéologue ne peut que regretter, est sans doute attribuable à des réfections de sol qui, au lieu de procéder par rechargement, procèdent par nettoyage ou décapage. C’est une situation assez fréquente sur les sites villageois, lorsque les sols s’établissent à proximité du roc en place ou en partie sur celui-ci, comme à Rougiers, à Saint-Jean-le-Froid, à Dracy ou encore à Brucato. Les sols montrent alors de fréquentes traces d’usure, jusqu’à faire apparaître les pierres du hérisson sous-jacent, jusqu’à user les pierres devenues partie intégrante des sols. Il arrive même que le sol, à la suite de décapages répétés, finisse par s’établir plus bas que la base des murs. Contrastant avec la régularité du niveau d’occupation des pièces sud, les pièces nord du bâtiment II présentent des sols à la topographie tourmentée : déprimés au centre, ils forment des cuvettes irrégulières dont le fond est jusqu’à quarante ou cinquante centimètres plus bas que la dernière assise des murs. En outre, ces sols des pièces nord sont encombrés de grosses pierres, les unes engagées dans l’épaisseur de l’argile, d’autres reposant à plat sur le niveau. Cette irrégularité du sol est très sûrement en relation avec la destination de ces pièces surmontées d’un étage. Seule l’étude de la nature et de la répartition du matériel mobilier rencontré dans la maison II pourra suggérer quelle était la destination de chacune des pièces.
36Arrivés à ce point, nous connaissons tout de la maison II de Dracy : son plan, ses dimensions, sa construction, son histoire, ses ouvertures, ses sols, ses foyers, sa couverture et le profil de sa toiture et sa distribution en un rez-de-chaussée et un étage. Il ne manque à ce tableau qu’un élément, qu’une dimension : la hauteur. Il ne suffit pas de savoir que la maison comportait un étage ; il serait mieux de connaître la hauteur des murs et la hauteur de plafond des pièces au rez-de-chaussée et à l’étage. Est-ce possible ? Ici, on ne peut se fier au volume de la couche de destruction, comme on l’a fait pour d’autres bâtiments : en partant de la surface au sol des constructions, le volume des parties conservées des murs, augmenté du volume de la couche de destruction, permet de calculer approximativement l’élévation primitive de la maison. Naturellement, le profil des pignons, la possibilité d’ouvertures autres que les portes, l’ignorance où l’on est de la hauteur même des portes, le « foisonnement » aussi des matériaux de construction, dissociés lors de leur effondrement, sont autant de causes d’erreur. Aussi ne doit-on tenir le chiffre obtenu que comme une simple indication, un ordre de grandeur. En faisant varier une ou plusieurs des inconnues, on obtient une fourchette à l’intérieur de laquelle doit raisonnablement se situer la réalité.
37Mais, pour le bâtiment II, on dispose peut-être d’éléments d’appréciation supplémentaires d’autant plus précieux qu’ici on ne peut guère se fier, comme on l’a vu, à la couche de destruction, trop remaniée par les aménagements récents apportés à cette région du site. La falaise qui sert de mur de fond a, elle aussi, subi le feu et elle en porte les marques : la paroi des pièces y est inscrite en rouge, les parties hautes des murs qui s’appuyaient à la falaise s’y inscrivent en blanc. On obtient ainsi une hauteur minimale de 2,20 à 2,40 m (le niveau variable du sol d’occupation ne permet pas de donner un chiffre unique). À cette hauteur, en effet, la falaise marque un retrait qui découvre un replat de forme triangulaire. Ce replat, n’ayant été léché par les flammes que sur son rebord, on peut en conclure qu’un mur avait été édifié au-dessus de ce rocher. On peut penser aussi que le sommet de ce replat correspondait au niveau de l’étage, que des poutres prenaient appui sur cette base particulièrement solide, ce qui donnerait donc pour les pièces du rez-de-chaussée une hauteur de plafond de 2,20 m à 2,40 m, ce qui est fort acceptable. Pour l’étage, il faut peut-être tenir compte d’encoches ou plutôt de surplombs de la falaise, dont certains s’ordonnent en escaliers renversés et dans le sens supposé de la pente du toit. Si l’on estime que ces surplombs ne sont pas accidentels et qu’ils ont été aménagés pour protéger la surface de rencontre entre la falaise et la toiture, surface exposée à des ruissellements, alors on peut estimer la hauteur maximale (au nord) de la maison à 5,40 ou 5,60 m. La pente du toit serait inférieure à 25 %, ce qui est admissible même pour un toit de laves et enfin la hauteur sous plafond de l’étage varierait entre 1 mètre et 2,80 m (en supposant une épaisseur de 0,40 m pour la charpente, le plancher et la terre), ce qui est également acceptable. On ne se dissimulera pas que, dans cette restitution d’une maison villageoise, tout n’est pas d’égale solidité. La dernière touche, celle qui vise à lui rendre sa hauteur, est particulièrement douteuse, même si elle procure une estimation vraisemblable et acceptable. Mais des circonstances particulières au site et à la maison présentée ici ont fourni des données solides, difficilement récusables : ces données intéressent non seulement la distribution, la construction, les sols, les foyers, éléments procurés par toute fouille attentive ; elles concernent, en outre, pour la maison II de Dracy, la toiture et l’étage. Et le résultat total est somme toute moins hypothétique que ces restitutions de cabanes ou autres habitations des villages francs, saxons, Scandinaves du haut Moyen Âge, qui n’ont laissé d’autres vestiges que des structures « en creux », trous de poteau, fosses et excavations diverses. Restitutions qu’on ne reprochera d’ailleurs pas aux spécialistes d’avoir tentées, car l’archéologie n’est pas une science abstraite qui puisse se nourrir uniquement de schémas intellectuels. Elle doit donner des choses du passé des images concrètes, mais honnêtement, sans fraude, sans gommer la marge entre le certain et le supposé. Aussi, si fastidieux que cela puisse être, faut-il, ouvertement et dans le détail, communiquer les sources d’information telles qu’elles sont, et d’autre part, exposer sans fard les démarches qui les interprètent et les exploitent.
38On sait ainsi dans quelle mesure est fiable l’image proposée de la maison du village bourguignon à la fin du Moyen Âge : une construction lourde, massive, entièrement en pierre, avare d’ouverture, et passablement basse malgré son étage ; mais une habitation solide, demeurant en usage pendant plusieurs décennies et probablement plusieurs générations puisqu’elle se transforme pour accueillir plus d’habitants. Le tableau ne vaut sans doute que pour quelques siècles et pour une région fort limitée, mais on a vu qu’il n’est pas non plus aberrant, ni même exceptionnel : les caractéristiques de la maison II de Dracy pourraient se retrouver, au moins partiellement dans bien d’autres maisons villageoises de la France du bas Moyen Âge. Mais le trop petit nombre des entreprises archéologiques oblige à la plus grande prudence et interdit encore de généraliser.
Notes de bas de page
1 Brebières : village des VIe-VIIe siècles dans le Pas-de-Calais. Pen-er-Malo : village du XIIe siècle, sur la côte bretonne, à Guidel, dans le Morbihan. Les Fosses-Saint-Ursin : habitat qui correspond sans doute au village de Courtisigny, disparu à la fin du Moyen Age, près de Coursculles, dans le Calvados. Dracy : village déserté au début du XVe siècle, à Baubigny, en Côte-d'Or. Saint-Victor-de-Massiac : village de la fin du Moyen Âge, à Massiac dans le Cantal. Le Bourdalat : dans le Cantal également, à Saint-Bonnet-de-Sallers, habitat pastoral de date encore indéterminée. Rougiers-Saint-Jean : premier site, abandonné au cours du XIVe siècle, du village de Rougiers, dans le Var. Vieux-Village de Condorcet : site primitif, abandonné au cours du XIXe siècle, du village de Condorcet, dans la Drôme. Montaigut : château et village détruits au cours de la croisade des Albigeois, définitivement abandonnés au XIVe siècle, à l’Isle-sur-Tarn, dans le Tarn. Saint-Jean-le-Froid : ancien prieuré et site primitif abandonné au XIVe siècle d’un village réduit aujourd'hui à une ferme, dans la commune de Salles-Curan, dans l'Aveyron. À cette liste, il faudrait ajouter des villages qui ont fait l’objet de recherches plus anciennes ou limitées, comme Les Chazaloux, en Auvergne ou Aynard, en Saône-et-Loire, ainsi que la maison de Varnes, à Bruères-Allichamps, habitation rustique mais isolée.
2 Parmi ces publications, on citera : Pierre Demolon, Le Village mérovingien de Brebières, Arras, 1972 ; R. Bertrand, « Un habitat rustique du XIIe siècle : Pen-er-Malo en Guidel », Société Lorientaise d'Archéologie, 1971 ; pour Dracy, Condorcet, Montaigut et Saint-Jean-le-Froid : Archéologie du village déserté, Paris, 1972 (2 vol.) et W. Hensel et J.-M. Pesez, « Recherches archéologiques franco-polonaises sur les villages désertés en France (1963-1969) », Archeologia Polona, XIII, p. 23-57. Sur Rougiers, G. Démians d’Archimbaud, « Archéologie et villages désertés en Provence : résultats des fouilles », Villages désertés et histoire économique, Paris, 1965, p. 287-301 ; ead., « Problèmes d'archéologie rurale en Provence », Actes du 90e Congrès des Sociétés Savantes (1965), Paris, 1966, p. 125-137 ; ead. « L'habitation rurale en Provence occidentale », Congrès d’histoire médiévale, Besançon, 1973. Voir aussi les chroniques de Archéologie Médiévale, ainsi que E. Hugoniot, « Une aire d’habitation à Bruère-Allichamps (Cher) », Revue Archéologique du Centre, avril-juin 1969 p. 111-132 ; Julien A. et Bleynie de Chateauvieux, « Mémoire sur les villages en ruine de Villars et des Chazaloux », Mémoires de l’Académie de Clermont, 1878, p. 429-451 ; F. Jarreau, « Les fouilles d'Aynard en 1950 », Annales de l’Académie de Mâcon, t. XL, 1950-51, p. 15-23 et XLII, 1954-55, p. 1-7.
3 Cf. notamment J. G. Hurst, « Medieval Village Excavation in England », Siedlung, Burg und Stadt, Berlin, 1969, p. 258-270, et M. Beresford and J. G. Hurst, Deserted Medieval Villages, Londres, 1971, notamment chapitre 2.
4 Les fouilles de Dracy, organisées depuis 1965 par l'E.H.E.S.S. et l’Institut d’Histoire de la Culture Matérielle (Varsovie) sont dirigées par A. Abramowicz, A. Nadolski et J.-M. Pesez.
5 Brucato : site d’un ancien village fortifié sicilien (commune de Sciara, province de Palerme), où, depuis 1972 sont organisées des fouilles, confiées par la Surintendance des Antiquités de Palerme à l’École Française de Rome et à l’E.H.E.S.S.
6 Cf. F. Piponnier, « Une maison villageoise au XIVe siècle : le mobilier ».
7 Rully : site primitif abandonné de l’actuel village de Rully en Saône-et-Loire ; Saint-Germain-des-Buis : village et paroisses abandonnés dans la commune de Jugy, en Saône-et-Loire également.
8 Cf. J.-M Pesez et F. Piponnier, « Villy-le-Moutier, recherches archéologiques sur le site d’une maison-forte », Château-Gaillard, VI, Venlo, 1972.
9 Cf. J.-M. Pesez, « L'habitation paysanne en Bourgogne médiévale », supra.
10 Cf. J.-M. Poisson, « Un groupe de monnaies de Jean le Bon et Charles de Blois trouvé sur le site médiéval de Dracy (Côte d’Or) », Bulletin de la Société Française de Numismatique, février 1973, p. 341-342.
11 Cf. infra.
12 Voir par exemple, La Démographie médiévale, sources et méthodes, Actes du Congrès de l'Association des Historiens Médiévistes, Nice, 1970, Monaco, 1972 ; notamment M. Gramain, « Un exemple de démographie méridionale : la viguerie de Béziers dans la première moitié du XIVe siècle », p. 33-51.
13 D'après la conférence donnée par le directeur du chantier de Saint-Victor-de-Massiac, M. Luc Tixier, au séminaire de J.-M. Pesez en mars 1973.
14 Cf. J.-M. Pesez, « L’habitation paysanne... ».
15 Ibid.
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