Chapitre 2. L’habitation paysanne en Bourgogne médiévale
p. 397-413
Texte intégral
1L’étude des matériaux de construction, esquissée par Mme Chapelot, a introduit dans l’histoire de la construction rurale en Bourgogne médiévale la dimension économique. Il faut maintenant aborder l’objet même des efforts des constructeurs paysans : l’habitation. La maison paysanne dans cette recherche représente cependant davantage un fait de civilisation et un fait social. Elle témoigne d’un certain niveau technique, en même temps qu’elle traduit des conditions de vie. La variété de ses dimensions, de sa distribution, les différences de qualité dans le mode de construction et les aménagements peuvent aussi refléter des écarts sociaux. Les modifications qu’elle subit au cours des temps ne peuvent manquer enfin de refléter une évolution de la civilisation et de la société rurales.
2Les recherches françaises sont cependant trop neuves pour qu’il soit possible d’aborder ces divers chapitres d’une histoire de la maison paysanne, même dans le cadre restreint d’une province. D’autant que l’essentiel de notre information nous est apporté par les sources archéologiques et que nous ne pouvons faire état que d’un seul chantier, au mieux de deux, pour la Bourgogne médiévale. Il ne saurait donc être question d’une synthèse : ce qui a été possible en Angleterre ne l’est ni pour la France ni pour la Bourgogne. Quand, en France, pourra-t-on s’appuyer sur un nombre de chantiers comparable aux 86 sites du bas Moyen Âge étudiés par les archéologues anglais ?
3Il reste que même isolées et ponctuelles les recherches archéologiques françaises méritent de retenir l’attention : elles permettent des reconstitutions précises, éloquentes et d’une totale authenticité qu’aucune autre source n’autorise. En outre, il n’est pas interdit d’établir des comparaisons avec les résultats obtenus en Angleterre ou ailleurs et d’apercevoir des constantes comme aussi des différences significatives.
4Le chantier de Dracy, même inachevé comme il l’est encore, a l’avantage de présenter un ensemble de bâtiments assez bien conservés pour visualiser le village médiéval en Bourgogne, pour en restituer les habitations, leur mode de construction, leurs aménagements, la distribution et l’usage des pièces. La répartition des bâtiments dans l’espace habité se dégage également, révélatrice des structures du village. Le matériel archéologique, qui accompagne les constructions mises au jour, restitue le mobilier paysan, l’outillage, l’alimentation et avec eux les activités, les genres de vie, les échanges. Enfin le cimetière permet d’atteindre les hommes, d’apprécier leur état physique, leurs maladies, leur espérance de vie. Toutes ces données qui sont normalement celles que procure une fouille attentive et étendue sur un site d’habitat, ne seront pas évoquées ici. Seule, la maison elle-même sera présentée, avec les réserves qu’impose une fouille encore partielle. Ainsi, la diversité des dimensions, les différences qui apparaissent dans la qualité de la construction et dans certains détails d’aménagement n’ont pas encore reçu d’explication définitive : on ne sait encore s’il faut y voir l’effet d’écarts chronologiques ou celui de distances sociales. En outre la poursuite des recherches peut réserver des surprises : les dernières campagnes ont ainsi révélé des bâtiments d’une dimension inattendue et montré des reprises de construction, des transformations qui n’avaient pas encore été observées.
5Six campagnes de fouille ont été conduites à Dracy depuis 1965 dans le cadre d’une recherche associant la 6e section de l’École Pratique des Hautes Études et l’Institut d’Histoire de la culture matérielle de Varsovie, et bénéficiant de l’aide du C.N.R.S.1. Le site est celui d’un petit village des Hautes Côtes du Beaunois : Dracy, village sans église, appartenait avec trois autres villages à la paroisse de Baubigny. Cet habitat n’apparaît pas dans les sources écrites avant le XIIIe siècle, et c’est seulement en s’appuyant sur les interprétations traditionnelles de la toponymie qu’un érudit a pu lui assigner des origines antiques2. Mais, en dépit de son suffixe en -y, Dracy ne semble pas devoir son nom à un grand domaine gallo-romain dont les fouilles n’ont retrouvé aucun vestige. S’il y a bien les traces d’une occupation du début de notre ère, elles ne se rapportent pas à une villa mais à un habitat indigène et un hiatus considérable sépare cette occupation précoce du village médiéval. Celui-ci compte quinze feux en 1285, se vide de sa population au cours du XIVe siècle et sans doute à la suite de la crise démographique pour être totalement abandonné entre 1400 et 1420. Établi au pied d’une falaise rocheuse, sur des terres ingrates au sol peu profond et aux pentes accentuées, Dracy apparaît comme un village de défrichement tardif, aventuré sur un terroir répulsif et d’ailleurs étroit. Il a été rapidement déserté à la faveur des crises qui ont laissé des vides dans les villages voisins mieux pourvus en terres cultivables. De l’habitat médiéval, les fouilles ont retrouvé et dégagé partiellement douze maisons qui font sans doute quatorze ou quinze habitations. Elles ont aussi commencé à explorer un cimetière dont la présence dans ce village sans église fait problème, mais qui, chronologiquement, est en relation avec l’habitat médiéval. Les bâtiments ne sont pas tous exactement contemporains : des reprises de construction et divers autres indices permettant d’établir pour certains d’entre eux une chronologie relative. Cependant les preuves archéologiques et historiques ne permettent pas d’affirmer une très longue durée d’occupation, un siècle et demi ou deux siècles au plus. Les monnaies trouvées en place sont du XIIIe ou du XIVe siècle.
6Il faut y revenir : la fouille de Dracy ne constitue pour la Bourgogne qu’une entreprise isolée, même si la fouille de Villy-le-Moutier peut offrir certains éléments de comparaison. L’établissement de Villy-le-Moutier, à peu près contemporain du Dracy médiéval, présente l’intérêt d’être localisé également dans le Beaunois mais dans la plaine, dans une zone où l’habitat rural fait traditionnellement appel à d’autres techniques et d’autres matériaux. Mais le site de Villy est celui d’une maison-forte, d’une habitation rurale encore mais qui fut celle d’un noble. Et même si cette demeure seigneuriale apparaît comme très modeste, la comparaison entre les deux sites ne peut se faire, terme à terme3.
7De la fouille d’un site unique est-on en droit de tirer des enseignements valables à l’échelle de la province ou de la région ? Sans doute non, mais il y a d’autres sources qui permettent de généraliser plus largement les observations archéologiques. Ce sont les sources ethnographiques et les sources écrites. Leur concours a d’ailleurs été précieux à un autre titre : pour éclairer et interpréter les résultats de la fouille. C’est la connaissance des types de construction traditionnels qui a permis de reconnaître des pierres de couverture dans les amas de pierres rencontrés dans les ruines des maisons médiévales : l’interprétation était ici assez aisée et immédiate. Il n’a pas été aussi facile de comprendre que des couches argileuses observées au-dessus du sol intérieur de certaines pièces correspondaient au sol de l’étage effondré après la destruction du plancher qui le supportait : mais certaines demeures anciennes montrent des sols d’argile à l’étage. Les sources écrites, d’autre part, ont aidé à interpréter comme les vestiges d’une cheminée de bois, tapissée d’argile, une situation stratigraphique complexe où des poutres calcinées étaient mêlées à des masses argileuses diversement marquées par le feu.
8Des sources iconographiques qu’il faudrait cependant mettre en œuvre, il ne sera pas question ici. Leur dispersion, leur rareté aussi rebutent la recherche. La maison paysanne y est rarement figurée : elle n’est le plus souvent que suggérée. La crèche de la Nativité est, il est vrai, un thème fréquent, mais sa représentation obéit à des stéréotypes ; aussi bien ne s’agit-il pas vraiment d’une demeure. On sera moins sévère pour les sources écrites et pour ma part, je serais moins pessimiste que Mme Chapelot sur les données qu’offrent, par exemple, les terriers. Lucien Febvre disait lui-même,
… avoir trouvé jadis beaucoup de données sur la maison rurale du XVIe et du XVe et du XIVe siècle en Franche-Comté… Ceci dans d’authentiques documents d’archives : les terriers, les rentiers, les dénombrements, etc.4
9Il est vrai que ces données demeurent toujours très en deçà de ce que l’on souhaiterait, mais outre des indications sommaires sur les matériaux et les modes de construction, ces documents introduisent la notion de dimension en relation avec le niveau social. En Angleterre les « court rolls » du Worcestershire ont ainsi permis de distinguer, en fonction de leurs dimensions évaluées en travées (bays), des différences dans les types d’habitation en rapport avec les écarts de situation sociale5.
10Le site de Dracy offre des vestiges relativement bien conservés : les murs ont encore souvent plus d’un mètre de haut et assez souvent près de deux mètres. À cet égard, les recherches françaises, si on en juge par Dracy et Rougiers, par exemple, ont été plus favorisées que les recherches en Angleterre où les constructions ne présentent plus que des vestiges très arasés. Des murs d’un mètre de haut, c’est assez pour qu’on puisse affirmer, sans doute possible, qu’il ne s’agit pas de simples soubassements de pierre. À Dracy, les vestiges ont été d’abord préservés par leur situation dans une zone d’accès difficile, longtemps abandonnée à la friche et aux broussailles. Lorsque le site a été reconquis par les cultures auXIXe siècle, sous l’effet d’une pression démographique très forte dans les villages des Hautes Côtes, l’abondance des ruines comme le caractère accidenté des lieux ont découragé les agriculteurs de raser les vestiges des constructions et d’en déplacer les matériaux : les maisons abandonnées ont recueilli les pierres dont on nettoyait les parcelles voisines, ou encore elles ont servi de base pour édifier des terrasses, leurs murs jouant le rôle de murs de soutènement. Les bâtiments médiévaux ont sans doute souffert de ces travaux, mais leur enfouissement pratiquement total les a probablement préservés d’une ruine plus complète. Dans l’état où la fouille les découvre, ils permettent d’étudier leurs murs, leur sol et ce qui est plus rare, leur couverture.
11Le matériau dont sont faites les demeures de Dracy est donc la pierre. Cela déjà doit retenir l’attention : même au bas Moyen Âge, il n’est pas si fréquent que l’habitation paysanne soit entièrement construite en pierre. Il semble que toutes les solutions se rencontrent à cette époque, depuis la maison de poutres, caractéristique de l’Europe orientale, jusqu’aux murs plâtrés, fréquents en Ile-de-France, en passant par les maisons à pans de bois, aux parois en torchis, si largement répandues en Allemagne, en Angleterre, ou même sans doute en France6. En Bourgogne même, bois et torchis sont fréquents, jusque dans les demeures seigneuriales : comme beaucoup de maisons-fortes, celle de Layer n’offre qu’une seule construction en pierre, la tour ; les autres bâtiments, même à usage d’habitation, sont à pans de bois7. À Perrigny, une maison neuve, que possède le duc et qui comporte quatre logis, a des murs de torchis8. Et à Villy-le-Moutier seul le troisième état montre des murs de pierres : les états antérieurs correspondent à des parois de bois. Mais à Dracy, la pierre abonde, sans même qu’il soit besoin de l’extraire d’une carrière : au pied de la falaise comme sur toutes les hauteurs de la région, de gros murs d’épierrement, édifiés sans doute depuis très longtemps, attestent l’abondance de ce matériau et la facilité de s’en procurer. Au contraire dans la plaine, là où étaient édifiées ces maisons seigneuriales et princières, se procurer de la pierre de construction nécessitait d’importants charrois. Il y a donc une évidente relation entre les ressources strictement locales et le choix du matériau. Mais il faut sans doute aussi faire intervenir d’autres considérations. Madame Chapelot a évoqué cette question à la suite des observations de John Hurst pour l’Angleterre. À Dracy même, les cabanes de l’époque celtique n’ont pas été construites en pierres : l’asservissement aux conditions locales n’est pas total, ni universel…
12La preuve en est peut-être fournie par la toiture des maisons de Dracy. À l’intérieur des constructions, la fouille a rencontré, en effet, très régulièrement, une couche assez épaisse de pierres, calcaires encore, mais différentes de la roche qui constitue la falaise et dont sont faits les murs. Dans les bâtiments incendiés, ces pierres qui se présentent comme des fragments de dalles larges et plates étaient rubéfiées par le feu : il n’était pas difficile d’y reconnaître des « laves », du nom qu’on donne en Bourgogne aux pierres plates qui constituent encore aujourd’hui la couverture de nombre de vieilles demeures ou de granges. La toiture de laves présente l’avantage d’être très efficace et de durer longtemps. Mais ce mode de couverture exige de grandes quantités de matériaux, de laves d’abord, les laves empilées tenant simplement par leur propre poids ; ces couvertures très lourdes impliquent aussi des charpentes puissantes. Les fermes doivent être peu distantes les unes des autres, de 3 à 4 mètres au plus et les chevrons et les lattes sont plus nombreux que pour une toiture de tuiles ou de paille. La couverture de laves représente donc un luxe par rapport à la toiture de chaume.
13En fait, il semble y avoir eu une sorte de hiérarchie entre les différents modes de couverture. Le choix du matériau dépendait sans doute des ressources régionales, mais aussi de la richesse du propriétaire et de la destination du bâtiment et il semble qu’on ait préféré la tuile à la lave et celle-ci à la paille. Les documents mentionnent des toitures de laves dans les villages voisins de Dracy. À Évelle, en 1460, un habitant a fait démolir une maison et « de la lave en a fait recouvrer le toit de son treul (pressoir) »9. À Baubigny, dès 1339, une « cheminée » est couverte de laves10. À Baubigny encore, en 1539, non seulement la maison du curé mais aussi la grange voisine ont une toiture de laves11. Dans la plaine de la Saône où la pierre est rare, les maisons paysannes et les bâtiments d’exploitation sont, à la fin du Moyen Âge ou encore au XVIe siècle, couvertes de paille, la lave et la tuile étant réservées aux demeures seigneuriales. Vers 1360, à Villy-le-Moutier, la maison du sire est couverte de laves, mais sa grange est couverte « d’estouble »12.
14À Varanges. en 1554, la maison seigneuriale, pourtant en bois, a une toiture de tuiles, mais la grange du château est couverte de paille comme le sont aussi les maisons des laboureurs13. La tuile semble d’ailleurs avoir eu la préférence sur la lave, et cela même dans des régions où on pouvait se procurer aisément des laves. En 1355 on construit une tuilerie sous le château de Montbard, destinée à approvisionner ce château avec ceux de Semur, de Villaines et de plusieurs autres résidences princières14. Au château de Perrigny, si le toit du pressoir est restauré avec des laves vieilles et neuves, la toiture des trois tourelles est refaite en tuiles « pour ce que pour la pesanteur de ladite layve, lesdits tois s’envenoient par terre »15.
15La couverture de laves des maisons de Dracy constitue donc un luxe relatif que la présence de carrières de laves, les lavières, dans la « montagne » beaunoise ne suffit pas à expliquer. D’une part, comme l’a noté Mme Chapelot, les lavières les plus proches étaient à assez grande distance pour nécessiter des transports toujours difficiles. D’autre part ces toitures impliquaient une grande consommation de bois de charpente que les paysans ne pouvaient se procurer sans débours.
16La construction des maisons de Dracy, montre, à côté de cela, des) signes de rusticité certains, l’absence fréquente de fondations enterrées, l’ignorance du mortier, l’absence aussi de liaisons entre les murs d’un même édifice. Les murs sont montés en moellons bruts, de dimensions très diverses – certains sont de véritables quartiers de roc – mais fort ingénieusement assemblés en assises à peu près régulières. Ils ne présentent pas de véritable blocage entre les parements extérieur et intérieur, mais plutôt une imbrication de deux ou trois assises parallèles. Cependant, on ne rencontre pas de ces fortes pierres disposées en travers du mur, destinées à assurer une plus forte cohésion et qui font saillie sur la paroi des maisons construites suivant les techniques traditionnelles dans les villages voisins. Surtout les constructions de Dracy ignorent le mortier, même le mortier très sableux et friable qu’on voit aux maisons les plus anciennes de la région. Ce ne sont pas non plus des murs à sec. Ceux-ci semblent réservés, au Moyen Âge, aux murs de clôture. La construction à Dracy fait appel à un liant qui est la glaise jaune qu’on trouve en place sur le site. John Hurst note de même que, dans les constructions rurales de l’Angleterre médiévale, si le mortier est absent, les véritables murs de pierre sèche sont l’exception, si même il s’en trouve16. La glaise jaune se retrouve dans la stratigraphie du site à Dracy, où mêlée aux pierres des murs elle souligne les couches de destruction.
17Édifiés sans mortier et cependant destinés là supporter le poids considérable d’une couverture de pierre, les murs sont naturellement assez larges. Les murs portants sont en général épais de 0,90 m, mais cette largeur tombe parfois à 0,70 m, ce qui paraît bien peu : il faut croire cependant que c’était suffisant. Et cela, en l’absence de fondations enterrées. En fait cette dernière affirmation n’est pas entièrement exacte et doit être, au moins, nuancée. Il y a tout d’abord des exceptions. Les maisons se répartissent en deux lignes dont l’une est établie immédiatement au pied de la falaise, l’autre plus bas sur la pente. Les bâtiments de la ligne haute sont accolés au roc qu’ils utilisent comme mur de fond ; il y a là la recherche d’une économie de moyens qui ne va pas sans problème car la liaison entre la falaise et la construction ne pouvait être parfaite. En outre la falaise ne pouvait constituer un point d’appui pour les bâtiments établis sur une terrasse gagnée sur la pente. Au contraire, toute la construction devait avoir tendance à glisser, en s’écartant de la paroi rocheuse : aussi plusieurs de ces bâtiments, mais non pas tous, présentent-ils un mur de façade, celui qui est parallèle à la falaise, enterré sur plusieurs assises, D’autre part, pratiquement toutes les maisons sont plus ou moins excavées. Les maisons de la « rue » haute sont légèrement enterrées dans la terrasse qui les supporte, de sorte que les cours ou les passages qui séparent les habitations sont toujours à un niveau plus élevé que les sols intérieurs. Les murs latéraux sont donc construits contre les parois de ces excavations et présentent souvent de ce fait un parement intérieur plus bas que le parement extérieur dont la partie enterrée est d’ailleurs construite avec moins de soin, sans recherche de régularité. Dans certains bâtiments l’épaississement du mur à sa base vient équilibrer l’inévitable pression des terres sur la paroi ; dans un sas, un contrefort intérieur bâti dans un angle peut avoir eu pour rôle d’empêcher le déversement du mur à l’intérieur du bâtiment.
18Les maisons de la rue basse sont plus profondément enterrées, mais leur assise est, en fait, plus solide, car elles s’établissent entre deux affleurements rocheux, l’un plus élevé et saillant plus haut sur la pente, l’autre en contrebas. Le mur pignon est lui tourné vers le haut et alors accolé au rocher, l’autre mur pignon est ancré sur le roc le plus bas dont la surface a été parfois martelée pour recevoir la construction. D’autres affleurements rocheux peuvent servir de points d’appui aux murs latéraux. Pour ces maisons, on ne peut imaginer naturellement de fondation plus solide que celles-là, fournies par la nature du site. Mais d’autres défauts se manifestent dans les techniques de construction. En particulier, les murs de refend, où les parois intérieures ne sont jamais liées aux murs principaux mais simplement appuyées contre eux17. Cette disposition est d’autant plus grave que les cloisons parallèles aux pignons devaient être, compte tenu de la toiture de pierres, des murs portants. On notera encore d’autres faiblesses techniques, comme l’emplacement des accès, très fréquent, dans un angle de la construction ce ; qui devait offrir une assise un peu courte aux linteaux.
19Avec de telles solutions la construction présente encore des murs d’une verticalité relative, et des alignements qui ne sont qu’approximativement rectilignes : tout cela n’évoque pas une grande science des techniques de la construction. On peut penser que pour l’édification de ces maisons, il n’était pas fait appel à des artisans spécialisés, et que le paysan pouvait bâtir sa propre demeure. Pourtant il faut admettre au moins l’intervention de certains artisans dans cette construction : cette architecture assurément sans architecte, et, peut-être, sans maçon, ne pouvait se passer ni du charpentier, ni du couvreur. La couverture de laves suppose une charpente très solidement construite et aux pentes soigneusement calculées ; elle exige de la part du couvreur une grande habileté dans l’art d’équilibrer les laves et de répartir également le poids sur les pentes du toit, une technique au total qui ne s’acquiert que par un long apprentissage. L’art de couvrir en laves s’est d’ailleurs à peu près perdu aujourd’hui.
20Construites et couvertes de pierres, les maisons de Dracy avaient des sols en terre battue. L’archéologue les dégage généralement sans trop de peine sous les couches de destruction18. Ces sols sont faits de la même argile qui sert de liant aux murs. Assez soigneusement égalisés et plans, au moins dans les pièces d’habitation, ils sont généralement établis sur un dispositif de petites pierres dressées qui évoque assez un hérisson. Les niveaux d’habitation sont parfois légèrement concaves, phénomène également observé par les archéologues du village en Angleterre et que John Hurst explique par de fréquents nettoyages19. Et il est vrai qu’à Dracy les sols sont parfois usés jusqu’à faire apparaître les pierres du hérisson sous-jacent. Ou ils montrent des rechargements qui témoignent de réfections. Cette usure des sols, si elle atteste comme le remarque John Hurst, une assez grande propreté de la demeure paysanne, a empêché la formation d’une véritable couche d’occupation, ce que l’archéologue ne peut que déplorer.
21Un sol en terre battue n’a rien qui puisse surprendre au rez-de-chaussée d’une demeure paysanne médiévale, puisque longtemps l’habitation traditionnelle n’a rien connu d’autre. Au Moyen Âge, même l’habitation seigneuriale pouvait présenter des sols de terre : c’est ce que montrent très fréquemment les fouilles de manoirs anglais. C’est ce qu’a montré aussi la fouille de la maison-forte de Villy-le-Moutier dont les états du XIIIe siècle correspondent à des sols de cailloutis ou d’argile damée. Mais à Dracy, l’étage présente aussi des sols d’argile : cela est attesté pour trois maisons au moins et peut-être admis pour d’autres.
22Les documents écrits, s’ils mentionnent parfois la dimension des bâtiments au sol, indiquent très rarement leur élévation. Il arrive cependant qu’ils précisent le nombre d’étages. Ainsi à Vergoncey, au XVe siècle, une maison neuve est décrite comme « contenant trois estages » : il faut, sans doute, comprendre deux étages au-dessus d’un rez-de-chaussée20. Fait exceptionnel et mentionné à ce titre ? C’est possible, mais les maisons de Dracy, pour lesquelles les terriers du XVe siècle ne parlent pas d’étage, comportent assez régulièrement une chambre haute établie au-dessus d’une autre pièce à usage de resserre ou de cellier.
23Bien qu’encore assez élevés, les vestiges des maisons ne le sont pas assez pour qu’on puisse en déduire deux niveaux d’habitations superposés. En fait la preuve de l’existence d’un étage a été apportée par la stratigraphie et plus précisément par la rencontre d’une couche d’argile au-dessus du sol de certaines pièces. Dans la maison VIII cette couche, d’épaisseur irrégulière et de texture variée, n’aurait pas été comprise si on n’avait noté dans les deux bâtiments incendiés II et XII, une couche semblable, mais cuite et rubéfiée par l’incendie : l’argile cuite, ici, était fragmentée en blocs d’épaisseur constante (9 cm) portant sur leur face inférieure les traces ligneuses de planches de bois. Il fallait donc voir dans ces couches d’argile le sol de terre établi sur le plancher de l’étage et effondré avec lui.
24Cette pratique, qui peut paraître paradoxale, et qui alourdit encore une construction déjà très pesante, est attestée pour les bâtiments anciens des villages voisins de Dracy. Elle peut aussi contribuer à éclairer certaines mentions peu intelligibles, ou en tout cas équivoques, des documents d’archives. Au château de Saint-Romain, les comptes enregistrent des salaires destinés aux « ornes qui ont traité la terre pour ledit plainchier » et à un « homme qui hay fait le mourtier de ladite terre et mis sux ledit plainchier » : il n’est pas aisé de décider dans ce cas si le plancher reposait sur la terre ou si c’était l’inverse21. D’autres comptes mentionnent au XVe siècle des transports de « sablon » pour paver des chambres, ce qui est clair, et de « la terre pour terrer » des planchers, ce qui l’est moins22.
25Les maisons de Dracy, lourdes et massives, étaient peut-être également passablement obscures et enfumées. Des ouvertures, comme il arrive souvent en archéologie, on ne connaît bien que les portes. Celles-ci sont marquées par des seuils ou au moins par des interruptions franches des parois. Des murs arasés, en revanche, ne permettent pas de situer des fenêtres. Aucune n’a pu être notée à Dracy : il est vrai que les murs de façade, ceux qui ont le plus de chance d’offrir des ouvertures, sont malencontreusement aussi les plus mal conservés. Les rares documents iconographiques souvent tardifs qui représentent la maison rurale lui donnent des fenêtres mais, il est vrai, petites et situées très haut sur les façades ; il y a là sans doute un souci d’affaiblir le moins possible la construction et d’alléger le poids reposant sur les linteaux. Dans l’état actuel de la fouille, il reste qu’on ne peut décider si les maisons de Dracy avaient ou non des fenêtres.
26Les portes sont de dimensions variées : de près de deux mètres pour la porte nord de la maison IV à moins d’un mètre pour une porte mettant en communication deux pièces du bâtiment I. Deux maisons seulement, jusqu’à présent, offrent des seuils de pierre, bien aménagés. Dans les deux cas, ils sont composés de deux marches séparées par une pierre plus élevée barrant l’accès. Des gorges taillées dans ces seuils étaient destinées à recevoir l’huisserie des portes. La porte nord de la maison VI est, elle, accompagnée de deux pierres semi-circulaires creusées d’une alvéole centrale : dans ces alvéoles jouaient sans doute les pivots verticaux d’une porte à deux battants. On a retrouvé auprès d’autres ouvertures des gonds, des ferrures, des clés, des serrures et des chaînes qui évoquent des portes solides et des systèmes de fermeture relativement perfectionnés et sûrs.
27La diversité de Dracy est mise en évidence par les solutions adoptées pour les foyers. À côté d’une cheminée en pierre, aménagée dans une paroi, on a rencontré une cheminée de bois revêtue d’argile et quatre foyers ouverts. Les âtres étaient constitués par le sol même des pièces, c’est-à-dire faits d’argile, mais un des foyers ouverts était fait de petites pierres placées sur chant et disposées en cercles concentriques à l’intérieur d’un encadrement de pierres plus fortes. À ce foyer peut sans doute s’appliquer l’expression rencontrée dans les textes de foyer « en manière de hérisson »23.
28Il est difficile d’apprécier la fréquence des cheminées dans le village bourguignon médiéval. Les documents sont, à ce sujet, ou muets ou difficiles à interpréter. Le terrier de Vergoncey de 1445, relativement riche d’informations sur les maisons paysannes, mentionne par exception une « maison neusve a chemynée » au village de Monthelon, près d’Autun : on peut penser que la rareté du fait autant que l’accroissement de valeur apportée à la maison par cet élément a retenu l’attention du scribe24. Un terme revient, en revanche très fréquemment, dans les terriers bourguignons, c’est celui de chaufour. Cet élément de l’habitation est toujours énuméré avec la maison, sans qu’on puisse savoir si c’est une construction intégrée à la maison ou séparée d’elle. Il ne peut s’agir vu sa fréquence et sa présence dans des enclos paysans du four à chaux. Celui-ci est désigné simplement par l’expression « fourneau à chaux ». Doit-on y voir un four, ou peut-on interpréter le chaufour comme le chauffoir des monastères : une pièce où l’on fait du feu, où l’on se chauffe ? La cheminée est parfois aussi, comme le chaufour, mentionnée comme un bâtiment plus ou moins indépendant : en 1232, on vend, dans un village proche de Dijon, une cheminée contiguë à une maison, avec la cuisine et les chambres qui sont derrière cette cheminée25. Tout cela ne suffit sans doute pas, dans l’état actuel de nos recherches, à assimiler chaufour et cheminée ni à affirmer la présence fréquente de la cheminée dans les demeures paysannes.
29L’archéologie peut être à cet égard plus décisive, mais cela même n’est pas sûr. Ainsi, à Dracy, les foyers ouverts, hors celui construit de pierres dont la forme exclut à peu près l’existence d’une cheminée, posent un problème. De forme rectangulaire et allongée, ces foyers n’occupent pas le centre des pièces, mais sont établis contre une paroi. Il est vrai que les parois sont ici de pierre et non de bois. Mais on peut aussi se demander si ces foyers ne correspondaient pas à une cheminée de bois. En fait, seul l’accident qui a détruit la cheminée de bois de la maison V, en endommageant en même temps toute la pièce, a permis de repérer ce type de construction : ses vestiges apparaissent sous la forme de poutres calcinées mêlées à des couches d’argile plus ou moins rubéfiées et cuites. Sans cet accident, il est probable qu’on n’aurait retrouvé aucune trace de la cheminée de bois et de terre : dans d’autres maisons elle a pu être démontée sans laisser de vestiges.
30Variées aussi apparaissent, à Dracy, les dimensions et la distribution intérieure des habitations, mais cette diversité s’inscrit dans des limites assez étroites et importe peut-être moins que certaines constantes. Aux deux extrêmes, dans l’état actuel des recherches, se situent la maison XI longue de 7 m et large de 4 m (dimensions intérieures) et la maison VI, longue au moins de 9 m et large de 7 m. La maison VI apparaît d’ailleurs comme exceptionnellement vaste, d’autant qu’à la différence des maisons I, II et V, elle n’est constituée que de deux pièces : elle correspond bien à l’habitation d’une famille, à un « feu ». Sa construction, semblable à celle des autres bâtiments dans ses techniques, paraît aussi plus soignée. Pour l’instant, il n’est pas possible de décider si ces différences dans les dimensions et le mode de construction tiennent à des différences dans la date d’édification de ces bâtiments ou à des écarts dans les conditions sociales des habitants. Une autre explication reste d’ailleurs à envisager. Certains bâtiments, comme les maisons I et V, semblent avoir été construits en deux temps, par addition de pièces adjacentes. D’autres, les plus petites comme la maison I, semblent avoir été bâtis dans un espace libre entre deux maisons. N’a-t-on pas affaire à un fractionnement de l’enclos, du « meix », résultant de l’augmentation du nombre des feux ? Les grandes maisons seraient alors celles qui n’auraient pas subi de modifications de plan.
31La maison de Dracy comporte régulièrement deux pièces. En apparence, les exceptions sont nombreuses. Les maisons I, II et V en comptent quatre et les maisons VIII et IV une seule. Mais les premières réunissent sous un même toit deux habitations de deux pièces, et la maison VIII compte en réalité deux pièces mais marquées seulement par une différence de niveau. Même la maison IV pourrait bien appartenir à une construction plus vaste que ce que nous en connaissons pour le moment.
32Les deux pièces de la maison de Dracy ont manifestement une destination différente. La maison II incendiée, a permis d’apercevoir clairement cette distinction. Les pièces de façade de chacune des deux habitations de ce bâtiment présentaient des sols plans et réguliers, comportaient un foyer et ont procuré peu de trouvailles. Les pièces du fond, dont l’une au moins ne peut avoir comporté de fenêtres, avaient un sol plus irrégulier, étaient plus riches en matériel, vases, outils, instruments divers, et renfermaient de grandes quantités de grains (blé, orge, seigle) et de légumes (pois, fèves, lentilles). C’est aussi dans ces pièces du fond que la fouille a rencontré les vestiges de l’étage effondré. La maison se compose donc, semble-t-il, d’une pièce d’habitation en façade, celle qui comporte le foyer, et d’une chambre haute établie au-dessus d’un cellier ou grenier.
33La diversité des maisons de Dracy est donc relative. La dimension des pièces et de l’habitation, assez uniforme, peut sans doute être mise en relation avec les techniques de construction et, en particulier, avec celles de la toiture qui est toujours l’élément déterminant dans la construction ancienne. La largeur de l’édifice ne pouvait dépasser certaines limites imposées par la lourde couverture de laves. Quant à la longueur, c’est-à-dire l’espace entre les deux pignons, elle était fonction du nombre de fermes de la charpente. On peut supposer que chaque cloison parallèle aux pignons supportait une ferme intermédiaire. Dans ces conditions, les maisons de Dracy sont des maisons à deux travées, si on entend par ce terme l’espace compris entre deux fermes.
34Or c’est aussi en travées que les documents évaluent la dimension des bâtiments. Pour les régions de construction en pierres et en laves, il devient ainsi possible d’estimer la dimension réelle des maisons. Le terme employé par les documents bourguignons pour travée est celui de « chas ». Il correspond très sûrement au terme de « bay » qu’utilisent les documents anglais, les « court rolls » notamment. Aussi bien une expression comme « maison à trois chas, à quatre chas » ne peut-elle désigner qu’une maison comportant trois ou quatre travées. Et si c’est de cette façon que l’on comptait c’est que la travée avait toujours approximativement les mêmes dimensions : cela suffisait à apprécier la taille d’une construction.
35À la lumière des informations fournies par les documents, les maisons de Dracy apparaissaient comme relativement petites, si on les compare à d’autres. Les villages de l’Autunois, décrits par le terrier de Vergoncey, comportent des maisons de plus grande dimension. Ainsi à Muse, un certain Jehan Cure tient « une maison à deux pignons et deux fettes, l’un contenant quatre chas de maison et est devant sur le grand chemin, et l’autre pignon contenant deux chas de maison est derrière les premiers quatre chas ». Dans ces villlages, les maisons ont presque toujours trois ou quatre « chas ». À Vergoncey même, une habitation comporte six « chas »26.
36La relative modestie des maisons de Dracy apparaît plus nettement encore, si on ne tient plus compte seulement des dimensions de l’habitation mais si l’on prend en considération l’enclos où s’élèvent la maison et les constructions annexes qui peuvent s’y trouver. À Dracy, les maisons sont très voisines les unes des autres. Les murs ne sont jamais mitoyens mais ils ne laissent entre eux qu’un espace exigu, de quelques dizaines de centimètres, destiné, comme on a pu le noter à certains indices, à recueillir les eaux de pluie tombées des toits. Au mieux cet espace s’élargit aux dimensions d’un passage d’à peine plus d’un mètre de large. Au fond de ce passage, dans trois cas, on a dégagé un petit édifice de pierre qui semble avoir été également couvert de laves. Le plus vaste de ces édifices ne compte encore que deux mètres sur deux, et l’accès est toujours extrêmement étroit. On ne peut guère voir dans ces constructions exiguës que des abris pour des animaux de basse-cour. Ce sont là les seules dépendances des maisons de Dracy et elles sont parfois totalement absentes.
37Par comparaison, la maison paysanne de l’Autunois semble importante et par le nombre des bâtiments d’exploitation qui l’accompagnent elle mérite le nom de « ferme ». Ainsi à Moloy, un certain Estienne Delavaulz tient avec sa maison, un cellier « à mettre vin », un « chaufour », un « toit à couchier brebis et un autre petit toit » au-dessus du cellier, le tout « en pourpris de maison et avecques la cour d’icelle maison, toit, celier et autres, close de paliz de bois »27. L’enclos de la maison comporte au moins une grange ou une étable et très souvent un « chaufour », un cellier, une aire à battre le blé. Rien de tel à Dracy où la parcelle bâtie, le « meix » apparaît comme très étroite. L’exploration des terres qui s’étendent entre les maisons et le chemin n’a rien révélé d’autre jusqu’à présent que des murs de terrasse et que des sols de culture.
38À quoi tient cette différence de dimensions et de structure de l’habitation ? Sans doute pas à une différence de statut juridique : si les habitants de Dracy sont des serfs, ceux de l’Autunois le sont parfois aussi. En fait on ne peut songer qu’à un écart dans les conditions sociales et les niveaux de fortune. La distance qui sépare la maison de Dracy de celle de l’Autunois évoque la différence qui s’établit en Angleterre entre la « long house » ou le « cottage » et la « farm », entre l’habitation du « villain », tenancier peu pourvu en terres et soumis aux corvées et à de lourdes prestations en nature, et celle du « yeoman » indépendant à l’égard du manoir et maître de sa récolte28. Les situations sont en France plus complexes et variées : terriers et comptes permettront peut-être d’apercevoir des relations entre l’importance de l’habitation et la mode de tenure, le poids des redevances et des rentes ou les ressources économiques, la dimension de l’exploitation et l’importance des revenus. L’habitant de Dracy cultivait la vigne, le blé et les légumes : les trouvailles d’instruments agricoles, serpes et serpettes de vigneron, faucilles et houes l’ont montré comme aussi les réserves de grain, de pois, de fèves, de lentilles, découvertes dans les maisons incendiées. Mais les fers à âne, la relative rareté des ossements animaux avec l’absence d’abris pour le gros bétail ne suggèrent qu’un élevage limité. Les trouvailles de monnaies relativement nombreuses mais de faible valeur, d’un matériel de cuivre, d’appliques en cuivre doré, demeurent d’interprétation difficile, en l’absence d’éléments de comparaison29. La maison seule, en fin de compte, témoigne d’une relative médiocrité de condition. Sur ce point, comme sur d’autres, les questions sont posées ; les réponses ne sont qu’esquissées. Il faut sans doute attendre beaucoup encore de la poursuite des recherches sur le terrain et dans les documents.
39Si médiocre qu’ellle soit, la maison de Dracy, est pourtant une vraie maison, ses matériaux solides, sa lourdeur même, en font autre chose qu’une cabane. Son foyer, son cellier, sa chambre haute montrent qu’elle est plus qu’un abri pour la nuit : c’est le lieu où l’on vit et le centre d’une exploitation. Bien individualisée, nettement séparée de ses voisines, bien munie de fortes portes, elle est l’habitation d’une famille, et – ses dimensions, sa distribution le suggèrent – d’une famille étroite. Elle est aussi construite pour durer : ses murs de pierres, sa couverture de laves peuvent abriter plusieurs générations successives. Les remaniements qu’elle a parfois subis, pièces ajoutées, portes aveuglées ou ouvertes, témoignent d’une histoire assez longue, comme aussi les monnaies découvertes dont les dates sont assez étagées. Il y a là sans doute des caractères spécifiques : que l’on songe à la « long house » anglaise reconstruite à chaque génération, et qui au XIVe siècle, au moins, apparaît plus sommairement construite, avec des parois de torchis et une couverture de chaume.
40La maison du paysan vigneron de la Côte ressemble assez au XIVe siècle à ce qu’elle était au XIXe siècle, voire à ce qu’elle est encore parfois de nos jours. Mêmes murs de moellons, même toiture de laves. Et la maison du vigneron n’a pas toujours des dimensions plus considérables que celle de Dracy. Dans les plus vieilles demeures des villages voisins de notre site, on retrouve aussi des niches ménagées dans les parois intérieures, ces placards de pierre dont presque tous les bâtiments de Dracy sont pourvus. Ces ressemblances supposent une filiation, une tradition continue. Mais la maison paysanne n’est pas demeurée immuable. Même les plus vieilles des constructions épargnées par le temps montrent des murs liés au mortier : leurs portes et leurs fenêtres ont des linteaux et des piédroits faits de grandes pierres taillées qu’on ne voit jamais aux maisons de Dracy.
41Surtout leur distribution a changé : la pièce d’habitation, avec cheminée, désormais en pierre, avec un âtre de pierre ou en brique, est à l’étage au-dessus d’un cellier voûté. Ces maisons traditionnelles sont difficiles à dater : les plus vieilles ne sont certainement pas, cependant, antérieures au XVIe siècle. Une transformation s’est donc introduite, et assez radicale en ce qui concerne le plan, quelque part entre le XIVe et le XVIe ou le XVIIe siècle. On voit donc le danger qu’il y aurait à restituer la maison médiévale d’après l’habitation traditionnelle. C’est dire aussi l’intérêt de la méthode archéologique. Mais les fouilles françaises n’ont mis au jour jusqu’à présent que des villages du bas Moyen Âge, et plus récemment du très haut Moyen Âge. Entre la cabane excavée de Brebières, qui date au plus tard du VIe siècle et la maison de pierre de Rougiers ou de Dracy, l’écart est considérable : à quel moment ou selon quelle évolution s’introduisent les progrès de la construction ? Quels étaient les matériaux et les structures de la maison paysanne du XIe siècle ? Ce sont là des questions qui appellent de nouvelles recherches et de nouveaux chantiers.
Notes de bas de page
1 Fouilles dirigées par J.-M. Pesez, A. Nadolski et A. Abramowicz. Les résultats des premières campagnes ont fait l’objet d’une publication provisoire dans Archéologie du village déserté, Paris, A. Colin, 1970. Dracy : Côte-d’Or, commune de Baubigny.
2 E. Thévenot, « Lieux détruits du Beaunois », Bulletin trimestriel de la Société d’archéologie de Beaune, oct.-déc. 1948.
3 Le site de Villy-le-Moutier (Côte-d’Or) a fait l’objet de trois campagnes de fouilles de 1968 à 1970. Il faut mentionner aussi en Bourgogne le site de Champy fouillé depuis plusieurs années par l’Association Archéologique de Fontaine-Française : les structures assez semblables à celles de Dracy sont encore mal datées.
4 L. Febvre, Pour une histoire à part entière, Paris, 1962, p. 75.
5 R. H. Hilton, A Medieval Society, Londres, 1966, p. 97.
6 Pour l’Europe orientale voir par exemple W. Hensel, Die Slaven im Frühen Mittelalter, Berlin, 1965. Pour l’Île-de-France : G. Fourquin, Les Campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge, Paris, 1964, p. 92. Pour l’Allemagne, W. Janssen, Königshagen, Hildesheim, 1965. Pour l’Angleterre, M. Beresford et J. Hurst, Deserted Medieval Villages, Londres, 1971.
7 Arch. Dép. Côte-d’Or, E 504 bis, fo 91 vo.
8 Ibid.
9 Arch. Dép. Côte-d’Or, B 516, fo 136 vo.
10 Arch. Dép. Côte-d’Or, B 3133, fo 52.
11 Arch. Dép. Côte-d’Or, G 3897, fo 16 vo, 17.
12 Arch. Dép. Côte-d’Or, B 2154.
13 Terrier de Varanges, 1554. Arch. Dép. Côte-d’Or, E 369 fo 23 sq, 57 vo, 82.
14 Arch. Dép. Côte-d’Or, B 5305, fo 21.
15 Arch. Dép. Côte-d’Or, E 504 bis, fo 31, 31 vo.
16 M. Beresford et J. Hurst, op. cit., p. 94.
17 Si cela se présente parfois, très exceptionnellement d’ailleurs, cela tient au fait qu’à la suite de remaniements, un mur de façade s’est trouvé devenir simple mur de refend.
18 Toutefois, certains accidents qui ont fait disparaître de larges parties de ces sols demeurent encore mal expliqués.
19 M. Beresford et J. Hurst, op. cit., p. 99.
20 Arch. Dép. Côte-d’Or, E 359, fo 11 vo.
21 Arch. Dép. Côte-d’Or, B 3135, fo 26 et 26 vo.
22 Arch Dép. Côte-d’Or, B 6418, fo 25 vo.
23 Cf. Archéologie du village déserté, p. 160.
24 Arch. Dép. Côte-d’Or, E 359, fo 174.
25 Arch. Dép. Côte-d’Or, G 132, fo 146.
26 Terrier de Vergoncey, Arch. Dép Côte-d’Or, E 359, fo 95 vo 72 vo, 24 vo, 174.
27 Ibid., fo 60.
28 Cf. J. Hurst : « Medieval Village Excavation in England « , Siedlung Burg und Stadt, Berlin, 1969.
29 En fait, des éléments d’appréciation, sinon de comparaison, existent ; ils sont fournis par les sources écrites, du moins par les inventaires après décès qu’étudie pour la Bourgogne Françoise Piponnier.
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