Chapitre 1. Villages désertés
Le cas français : vue d’ensemble
p. 151-276
Texte intégral
1Outre-Manche, les désertions de villages ont, très tôt, suscité des plaintes, des pamphlets dénonciateurs, voire des couplets vengeurs, et corrélativement, des enquêtes royales et des procès. En Sardaigne, où le nombre des villages abandonnés l’emporte sur celui des localités vivantes, on a, dès le XVIe siècle, dressé des listes de paroisses disparues. En France, rien de tel. Seuls, ou à peu près, les documents fiscaux dressent parfois des constats de désertion, avec la sécheresse qu’on devine ; à notre connaissance, les villages disparus n’ont ému ni le pouvoir souverain, ni le prédicateur, ni le philosophe. Dès l’abord, c’est ce silence des textes qu’il faut souligner.
2Mais on a fait observer, avec finesse, que si les documents ne mentionnent guère les désertions de villages, c’est sans doute qu’elles constituaient aux yeux des contemporains un événement normal, parce que fréquent. L’argument a silentio peut donc servir deux thèses. Mieux vaut ne pas y insister.
3Existe-t-il d’autres moyens de prendre rapidement la mesure du phénomène des désertions en France ? Peut-on, sans recourir aux analyses de détail, aux enquêtes régionales, décider s’il s’agit ou non d’un fait de masse ? Les désertions ne sont-elles que des accidents d’une portée historique limitée ou constituent-elles un phénomène majeur de l’histoire rurale française ? À cette question, il existe déjà une réponse, formulée depuis trente ans : le grand article de Ferdinand Lot1 sur la population de la France au seuil du XIVe siècle témoigne pour la stabilité de l’habitat rural français. Ses additions patientes donnent sur un total de 32 500 paroisses en 1328 un déchet qui sera seulement de 900 cinq siècles plus tard, soit 2,77 %.
4Les données régionales confirment cette tendance à la pérennité. Typique est le cas d’un vaste ensemble de diocèses situés dans la région parisienne ou peu éloignés de celle-ci : diocèses de Reims, Soissons, Châlons-sur-Marne, Noyon, Arras, Senlis, Beauvais, Amiens, Thérouanne, Laon, Sens, Auxerre, Troyes, Meaux, Langres. Pour ces diocèses, pris en bloc, des documents permettent d’établir des comparaisons à longue distance : d’une part, les pouillés médiévaux, généralement du XIVe siècle, parfois légèrement antérieurs ou postérieurs2, d’autre part, les chiffres d’Expilly, valables pour le XVIIIe siècle.
5Les pouillés donnent, aux environs du XIVe siècle, et pour les quinze diocèses en question, un nombre de paroisses compris entre 5 931 (chiffre minimum) et 6 694 (chiffre maximum). Les mêmes diocèses, vers 1750, comptent 6 790 paroisses. Le réseau des habitats a donc tenu bon : il est même possible qu’il se soit légèrement renforcé d’une ou plusieurs centaines de villages nouveaux.
6D’une façon générale, les comparaisons instituées par F. Lot entre le nombre des paroisses, emprunté, d’une part, aux pouillés médiévaux, d’autre part, aux dénombrements de Saugrain et d’Expilly, indiquent presque toujours une stabilité, voire un accroissement : qu’il s’agisse de la région parisienne, ou de la Picardie, du Val de Loire (diocèses de Tours, Orléans et Angers), de la région Rhône-Saône, du pays manceau, de la Bretagne (où, il est vrai, les renseignements sont très douteux).
7Seules feraient exception à cette règle quelques zones assez étroitement délimitées, où il semble possible de déceler une certaine « érosion » ; d’une part à l’extrême sud du Bassin Parisien, ou aux marges nord du Massif Central, le diocèse de Nevers perdrait 10 % de ses paroisses entre 1370 et 1720, le diocèse de Bourges à peu près autant. D’autre part en Normandie : les diocèses de Bayeux, de Rouen et d’Avranches perdraient respectivement 10 % environ (Bayeux et Rouen), et 22 % (Avranches) du nombre de leurs paroisses entre 1350-1400 et 1720-1750.
8Mais une étude plus précise des documents nous a rendu très prudents : pour le diocèse d’Avranches, un pointage nominatif des paroisses démontre qu’entre le XIVe siècle et le XIXe siècle elles ont toutes survécu comme groupements humains réels – villages ou hameaux – même si certaines d’entre elles ont effectivement disparu en tant qu’unités ecclésiastiques3.
9Des chiffres de F. Lot, en dehors de cette impression largement majoritaire de stabilité, il faut donc retenir surtout, pour le moment, que la paroisse disparue ne fait pas nécessairement le village disparu ; et il faut en venir à des méthodes plus précises, nominatives. Les comparaisons de F. Lot ont en effet l’inconvénient d’être globales. La vraie recherche des villages disparus ne peut évidemment se faire que sur liste nominative d’habitats, et par pointages individuels : dans ce cas, même si le chiffre total des villages ou paroisses tient bon ou même augmente, d’une période à l’autre on verra néanmoins disparaître certains noms, se produire certains vides, en nombre plus ou moins grand.
10En Languedoc, les statistiques globales de paroisses peuvent être confirmées grâce à un important sondage nominatif.
11L’état des feux de 1328 dénombre dans les sénéchaussées de Nîmes-Beaucaire et de Carcassonne un total de 2 076 paroisses. Or, les divers dénombrements du XVIIIe siècle, ceux d’Expilly ou des intendants indiquent, pour l’ensemble des diocèses coïncidant avec les limites des deux sénéchaussées en question, un chiffre compris entre 1 800 et 1 900 paroisses. Il y a donc un déchet, qui peut osciller autour de 10 % du total des paroisses médiévales : ces 10 % ayant disparu entre 1328 et 1720. S’agit-il, comme à Avranches, d’une disparition fictive ? ou bien d’une disparition réelle ou au moins partiellement réelle ? Un sondage sérieux permet de pencher avec les réserves d’usage pour la seconde hypothèse. Louis J. Thomas4 a publié en 1908 une liste de villages de la région de Lunel et Nîmes, dressée pour des raisons fiscales ; en 1293, 104 villages sont signalés. Or sept d’entre eux disparaîtront effectivement par la suite, rayés de la liste des agglomérations à des dates diverses et parfois inconnues, au cours de la longue période qui va de 1295 à 19115.
12Il s’agit toujours, sauf dans un cas, de villages parmi les plus petits, et souvent de quasi hameaux, ayant moins d’une centaine d’habitants en 1295.
13Sondage plus restreint6 et qui démarre un peu plus tard : sur 29 paroisses du diocèse de Narbonne, connues en 1404 par les visites pastorales de l’évêque, deux se sont rétractées en ferme isolée, au cours de l’évolution qui mène du XVe siècle au XXe siècle ; il s’agit de Saint-Martin-de-Tréviac (5 communiants en 1404 ; commune de Talayran) et de Buadelles, déjà dépeuplé par les guerres en 1404, et qui après une phase de résurrection, finira en ferme isolée en 1666. Deux paroisses mortes sur 29, soit 6,5 %, si tant est qu’un tel pourcentage ait un sens.
14Conclusion (modeste et modérée) : dans l’état actuel des recherches, il n’est pas déraisonnable de penser que, dans le Languedoc oriental, 5 à 7 % des paroisses ont pu effectivement disparaître en tant que lieux réels d’habitat, entre 1328 et notre époque. Ces chiffres ne sont pas absolument dérisoires, mais on voit qu’on est bien loin des taux de 40 % observés par W. Abel en Allemagne, et aussi des pourcentages calculés par M. Beresford.
15Pour la région parisienne, un autre sondage nous est fourni par une étude portant sur les localités de l’actuel département de Seine-et-Oise, qui faisaient partie de l’ancien diocèse de Paris7. L’auteur a relevé les noms des localités dans une liste fiscale exhaustive, constituée en 1370, en vue de payer la rançon du roi Jean8. Il a tenu compte des changements de noms, des « disparitions fictives » ; si l’on totalise les données qu’il présente, on s’aperçoit que sur 304 villages recensés en 1370, 25, soit 8 % ont disparu en 1720, lors de la publication des listes de Saugrain, qui seront reprises par Expilly. 8 % de disparitions en trois siècles et demi : taux faible (qu’on retrouve un peu partout en France) et qui est fort compatible avec une certaine stabilité de l’habitat ; taux pourtant qui n’est nullement négligeable. D’autres statistiques indiquent quelle catégorie de villages – petits ou grands – est la plus frappée.
16Dans un article paru en 19579, Guy Fourquin a étudié, pour le XIVe siècle, les villages et hameaux du nord-ouest de Paris (région de Poissy, Pontoise et Beaumont-sur-Oise) : une liste d’habitats, établie en 1332, lui a permis des comparaisons rigoureuses, lieu-dit par lieu-dit, avec l’époque contemporaine. Le tableau ci-dessous résume les résultats de cette enquête.
A | B | C | D | |
Localités | Nombre de localités recensées en 1332 | Nombre de celles qui ont disparu depuis 1332 | Localités devenues ferme isolée ou château avant 1815 | Total des localités perdus (C+D) |
Plus de 50 feux | 69 | 2 avant 1815 | 0 | 2 (3 %) |
De 21 à 41 feux | 54 | 5 avant 1815 | 3 | 8(15 %) |
De 5 à 20 feux | 54 | 10 avant le XXe siècle | 7 | 17 (30 %) |
Total | 177 | 17 | 10 | 27 (17 %) |
17Des conclusions évidentes en ressortent : c’est d’abord la forte longévité des villages dignes de ce nom, des localités qui comptent plus de 50 feux ; 2 d’entre elles seulement, sur 69 – soit 3 % – disparaissent en cinq siècles.
18Voilà qui confirme les tendances à la stabilité qu’on pouvait inférer des statistiques globales de F. Lot. Mais en même temps, on voit qu’il y a un seuil d’importance et de population, au-dessous duquel se produisent, en pourcentage, cette fois significatif, les désertions. 15 % des petits villages (de 21 à 49 feux), 30 % des hameaux (de 5 à 20 feux), disparaissent entre le XIVe siècle et l’époque actuelle. C’est donc à ce niveau des petites unités d’habitat que l’enquête sur les villages disparus prend un sens, et se charge vraiment d’un contenu historique appréciable ; c’est à ce niveau, en particulier, que se produisent les faits de remembrement capitaliste ou nobiliaire, qui transforment un habitat groupé, un terroir parcellaire, en ferme isolée ou en château.
19Toutes les recherches effectuées, toutes les études exploitées pour d’autres régions françaises, confirment à la fois ces pourcentages relativement faibles de désertions, et, à l’intérieur du nombre de celles-ci, l’écrasante majorité des hameaux et des plus petits villages. En Artois, par exemple, les rôles des cinquantièmes de 1296-129910 énumèrent 3 villes, 40 villages et 5 hameaux : seuls les cinq hameaux n’ont pu être identifiés, ce qui n’implique pas nécessairement leur disparition ; les quarante villages existent toujours. Le terrier du domaine d’Artois de 1299 cite 31 villages qui se retrouvent tous aujourd’hui sur la carte contemporaine. Le dénombrement de 1414 pour la châtellenie de Lens donne les noms de 63 localités. On ne constate qu’une désertion, celle de Fontenelle, petit hameau près de La Beuvrière, réduit à une ferme par la suite.
20Dans le diocèse de Lyon, les visites pastorales de 1378-1379 signalent un certain nombre de paroisses fort diminuées – ce qui n’a rien de surprenant, en cette fin du XIVe siècle. Pourtant quatre paroisses seulement semblent avoir disparu entre cette époque et le XIXe siècle11.
21En Normandie, l’assiette du comté de Beaumont-le-Roger, au moment de la constitution de l’apanage en faveur de Robert d’Artois, donne la situation de l’habitat en 1321 pour toute une région de la Normandie comprise entre Lisieux et Évreux12. Des pointages opérés pour trois sergenteries (Beaumont, Le Neubourg et Orbec) ne laissent pas apercevoir de véritables disparitions.
22Dans la région ardennaise, en 1636, le « contrôle des rolles des menages et dependants de l’élection de Rethel »13 énumère 226 localités totalisant 17 698 feux. Trois des villages cités n’existent plus : Montmarin (prévôté de Rethel) n’avait que 18 feux en 1636, Theline (prévôté de Bourg) en comptait 20, et Regnicourt avec 27 feux était cependant le plus petit des huit villages de la prévôté du Chastellet. La date est sans doute tardive, mais reste antérieure aux mauvaises années de la Fronde.
23Pour la région mi-champenoise mi-bourguignonne comprise aujourd’hui dans les limites du département de l’Yonne, le Dictionnaire topographique de Max Quantin14 abonde en mentions de localités disparues. Une fois éliminés les anciennes chapelles, les morceaux de terroir (climats), les fermes isolées et autres lieux qui n’ont sans doute jamais constitué de véritables agglomérations, même au sens le plus humble du terme, restent 146 villages disparus. Mais s’agit-il de vrais villages ? Les paroisses ou annexes ne sont pas plus de dix. Les autres localités sont des hameaux. Hameaux à l’existence éphémère, semble-t-il ; la plupart ne sont signalés que par des documents récents, l’État général du Bailliage de Troyes (1553), surtout la Description de la Bourgogne, par Courtépée, l’État général du duché de Bourgogne de 1783 et les registres d’état civil du XVIIIe siècle.
24De même pour le département de Seine-et-Marne, le Dictionnaire topographique paru en 195415 permet de relever les noms de 87 localités disparues : quatre seulement sont données pour paroisses ou villages ; les autres sont des hameaux ou encore des écarts de trois ou quatre maisons. Dans ce groupe la plupart des désertions semblent récentes : XVIIIe ou XIXe siècle16.
25Enfin pour les départements de la Haute-Marne et de l’Aube, les chiffres que permettent d’établir les dictionnaires historiques et les dictionnaires topographiques17 sont respectivement de 55 villages désertés dont 11 paroisses ou annexes dans le premier département, de 78 localités disparues dont 14 paroisses ou annexes pour le second. Ce n’est que dans les provinces de l’Est, essentiellement l’Alsace et dans les régions montagneuses du Sud-Est qu’en étudiant les désertions des XIVe et XVe siècles nous aurons l’occasion de constater des disparitions relativement nombreuses de paroisses ou de villages importants.
26À propos du village disparu de Malzey18 (là encore, une très petite agglomération), Pierre Marthelot fait observer que :
La fin du Moyen Âge puis l’époque moderne fourmillent de ces créations d’habitat qui se glissent un peu à la sauvette dans le semis fondamental de l’habitat et qui du reste résistent mal aux diverses crises, guerres, crises économiques et surtout démographiques.19
27Les résultats que nous avons obtenus jusqu’ici confirment dans l’ensemble cette façon de voir. L’intérêt des recherches sur les villages disparus en France n’en est pas diminué, mais précisé, situé.
28Peut-être faudrait-il d’ailleurs envisager l’histoire de l’habitat dans son ensemble ? Les villages disparus en France ne constituent, semble-t-il, que le déchet accidentel d’une évolution complexe : elle favorise tel centre aux dépens de tel autre ; elle se traduit, là, par une progressive concentration, ici, par une dispersion accentuée.
29En appréciant les désertions dans l’histoire rurale française, nous avons de propos délibéré évité de prendre des exemples dans certaines provinces, qui se singularisent par un plus grand nombre de localités disparues : ainsi l’Alsace. D’autre part nous n’avons jusqu’ici établi que des comparaisons à longue distance, enjambant quatre siècles : or les désertions prennent une signification bien différente suivant la date à laquelle elles interviennent, suivant la façon dont elles se répartissent sur l’échelle chronologique. Le fait « village disparu » ne présente d’uniformité ni dans le temps ni dans l’espace. Il faut donc se poser maintenant les questions de la répartition géographique et temporelle.
30À ce stade de l’enquête, les sondages ne suffisent pas : il faut entreprendre des recherches exhaustives. Mais le matériel documentaire à mettre en œuvre est énorme : la topographie historique trouve son bien partout et ne peut ignorer aucun type de document. Les recherches ne peuvent prendre la forme que d’un patient travail d’érudit portant sur une aire étroitement limitée : une connaissance vraiment intime de la région est nécessaire, tant il est facile de confondre deux villages portant le même nom ou de négliger au contraire un changement de nom. Des études de ce type ont été réalisées en France ; et depuis 1840, les revues des sociétés savantes en ont accueilli de temps à autre. Nous ne les avons pas toutes repérées ; elles se cachent parfois sous des titres inattendus. Mais ces travaux ne couvrent qu’une petite portion du pays et, souvent, ne répondent pas à ce qu’on en espère. Il faut toutefois rendre hommage à l’article de Gabriel Debien, « Fermes et villages disparus en Haut-Poitou »20 et à l’album de A. Humm et A. Wollbrett sur les villages disparus de Basse-Alsace21. Ces deux études témoignent d’une information scrupuleuse ; et elles éclairent les désertions par l’histoire économique et sociale22. Qualités rares. Trop souvent les érudits, auteurs de monographies ou de recueils sur les villages disparus, négligent d’indiquer leurs sources, de justifier les dates ou les causes d’abandon qu’ils avancent. Quand deux études portent sur la même région, il est fréquent de relever entre elles des contradictions ; et, faute de preuves, il est impossible de trancher23.
31En dehors de ces travaux, précisément consacrés à notre sujet, on peut faire appel à certains instruments d’érudition. Le Dictionnaire topographique de la France est utile pour repérer les sites désertés mais il ne permet guère de dater les abandons ; il est vrai qu’il n’a pas été conçu pour cet usage et qu’il mériterait plutôt le titre de dictionnaire de toponymie. Les dictionnaires historiques régionaux sont plus riches : il en est de bons24. Il en est de moins bons, consacrés essentiellement aux recherches de généalogie féodale. Enfin, il n’est guère de travaux – de thèses notamment – d’histoire rurale (voire urbaine) ou de géographie humaine qui n’apportent, même incidemment, de précieuses indications sur l’objet de nos recherches.
32Des sources d’information nombreuses donc, mais diverses, inégales, incomplètes surtout, voilà ce qui, avec parfois des sondages dans les documents eux-mêmes, constitue les bases de notre étude. En présentant un tableau, aussi complet que possible, des villages disparus en France, nous prenons consciemment un risque : celui d’être démentis, sur plus d’un point, par des recherches exhaustives et localisées. Mais toute synthèse est prématurée : la raison d’être de celle-ci est de provoquer de telles recherches.
33Une remarque : dans les pages qui suivent il sera fort peu question des pays de l’Ouest. Ce n’est pas, de notre part, volonté délibérée, ni faute d’avoir interrogé la documentation. L’Ouest aurait-il été épargné par les désertions ? Pour le Poitou, au moins, les travaux de Gabriel Debien, de Raveau et de Merle témoignent qu’il n’en est rien. Il est cependant remarquable que parmi les dictionnaires topographiques, fort rares pour les départements de l’Ouest, les quelques volumes parus ne citent pas de villages disparus25 ; et à notre connaissance, Poitou mis à part, il n’y a pas pour ces régions d’études consacrées aux villages disparus. On croit connaître la raison de cet état de choses : les provinces de l’Ouest sont pays d’habitat dispersé, en règle générale. L’unité rurale que les textes laissent saisir c’est la communauté villageoise plus que le village : à cette communauté correspond la paroisse qui est ici davantage un terroir qu’un habitat. Villages (le mot, ici, désigne en fait des hameaux) et mas ou bordes sont des réalités trop infimes, trop fragiles aussi pour que les documents les retiennent. Seuls, les terriers ou les compoix les situent ou les définissent et ces registres sont souvent de date tardive. Dans le Sud-Ouest où l’habitat, le plus souvent, est également fort dispersé, le fichier topographique du Tarn-et-Garonne26 fait mention d’environ 60 hameaux disparus ; mais leur existence n’a été révélée que par des terriers du XVIe siècle ou par des cadastres du XVIIe siècle, ou par les minutes des notaires27. L’étude du destin de ces « masages », de ces « villages » qui ne comptent parfois qu’une maison, est inséparable de celle du terroir, de son morcellement à partir des manses primitifs, des modes d’exploitation et des systèmes de culture. Indispensable pour la connaissance du paysage rural et de son évolution, elle ne peut être ici qu’évoquée.
34L’examen des cartes, la consultation des registres de visites diocésaines, révèlent aussi un autre trait des pays d’habitat dispersé et qui, peut-être, est en rapport étroit avec notre sujet : c’est le grand nombre des églises isolées. Ailleurs l’église isolée demeure en général le seul témoin d’un village disparu : l’édifice religieux, dans ce cas, doit sa longévité à la piété des fidèles, aux matériaux solides dont il est construit, enfin et surtout à la routine de la hiérarchie ecclésiastique, trop conservatrice pour déplacer le siège d’une paroisse. Une église peut, dans ces conditions, subsister plusieurs siècles après la disparition de l’agglomération qui l’entourait. Après la destruction du village d’Aisy, près d’Avallon28, l’église demeura et servit de lieu de culte pour le village voisin d’Étaules. À Dommartin-aux-Fours29, détruit au temps de la Fronde, l’église subsista jusqu’au XVIIIe siècle. Mieux l’église de Théline30 fut reconstruite après la destruction du village au XVIIe siècle et ne fut démolie qu’en 1790.
35Faut-il en conclure que les églises isolées du Sud-Ouest étaient jadis entourées de maisons ? Non, sans doute : en pays d’habitat dispersé, le chef-lieu paroissial a pu être choisi de façon à desservir plusieurs hameaux voire plusieurs communautés, et, de ce fait, être établi sur un site désert. Mais il serait assez surprenant que l’édifice religieux n’ait pas attiré à lui une partie des habitants, n’ait pas fixé au moins un hameau. Dans certains cas, on peut affirmer que l’église aujourd’hui isolée et souvent en ruine (lors de la réorganisation des paroisses qui suivit la création des départements, ces églises isolées furent assez fréquemment interdites) était autrefois le centre d’une petite agglomération : dans le Lot-et-Garonne, l’église de Najejouls, isolée sur une butte, avait autrefois groupé un village, disparu avant la fin du XVIe siècle31. Dans le Tarn, le lieu-dit « Saint-Eugène » vit disparaître le village puis l’église : il y reste un cimetière32. Les églises de Saint-Jean-du-Vigan et de Saint-Pierre-de-Bercille qui subsistèrent jusqu’au XIXe siècle étaient les chefs-lieux de deux paroisses abandonnées au XIIIe siècle33. De même les églises de Saint-Étienne-des-Brés et de Notre-Dame-de-Lagarde34, devenues simples chapelles de dévotion au XIXe siècle, marquent l’emplacement de deux villages disparus au XIIIe siècle. Il en va de même encore pour l’église désaffectée de Montaigut35, seul témoin aujourd’hui d’un château et d’un village ruinés et abandonnés au cours du XIIIe siècle. On voit que même lorsque l’isolement du sanctuaire est constaté à une époque ancienne, cette situation peut être le résultat d’une désertion plus ancienne encore.
36Les causes des désertions de villages se laissent malaisément percevoir. Sur ce point, les documents sont souvent muets. La tradition populaire est généralement plus éloquente, mais on ne peut guère s’y fier. Tradition et documents invoquent d’ailleurs toujours, à l’origine des abandons, les mêmes faits : la destruction violente par un agent naturel ou par les hommes, inondation, ensablement, incendie, guerre, et encore l’épidémie ou l’insalubrité.
37Certaines désertions relèvent effectivement de la « Théorie des catastrophes » chère aux historiens allemands. Des inondations répétées, enlevant régulièrement le village proche d’un fleuve brutal, finissent par avoir raison de l’attachement des habitants au site natal. Le long du Rhin, on connaît quelques localités qui furent abandonnées pour ce motif36. Le village d’Épineau souvent détruit par les crues de l’Yonne finit par se déplacer, vers 1667, au hameau de Voves37. Dans un autre ordre d’idées, la crue glaciaire alpine qui prit place à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle fut néfaste à quelques hameaux très exposés : vers 1600-1602, la Mer de glace détruisit (par chute de séracs ? inondation ? ou écrasement ?) les hameaux du Châtelard (20 feux environ) et de Bonanay, qui dépendaient de la paroisse de Chamonix38.
38Sur les côtes, nombreux sont les villages qui furent abandonnés devant l’invasion progressive des sables. Vers le XVe siècle, sur la côte du Boulonnais, disparurent Bellefontaine, Flammes et Rombly39. Ce dernier village figure encore sur la carte de Cassini avec la mention « couvert par les sables ». Ses habitants se sont établis un peu plus à l’intérieur des terres, à Lefaux. Sur l’Atlantique, on connaît l’histoire d’Escoublac-le-Vieil, bourgade de paludiers, ensablée au cours du XVIIIe siècle. Sur la côte du Médoc, de nombreuses localités ont disparu ou se sont déplacées : le vieux Soulac, Artigue, Anchises40. Fait significatif : l’abbé Beaurein pour composer ses Variétés Bordelaises demande dans le questionnaire qu’il adresse aux curés vers 1783 :
Si les habitants n’ont point été forcés de transporter ailleurs leur église ?… s’il n’existe pas des restes de cette dernière ou si son local a été entièrement couvert par les sables ou par les eaux de la mer ?
39Parfois, en effet, le village s’est effondré dans la mer : cela semble avoir été le destin de Chatelaillon et de Montmeillan, près de La Rochelle. En Bretagne, l’affaissement des régions littorales qui, commencé vers le XIIIe siècle, se prolongea jusqu’au XVIIe siècle, amena la disparition des bourgs et villages de Tourneu, en face de Cancale, et de Mauny, de Saint-Louis, de Sainte-Marie, de Saint-Nicolas, de Bourgueil, entre Cherrueix et Le Couesnon41.
40Ces abandons de village ne posent guère de problème42 : leur cas est trop exceptionnel pour être lié au problème général des désertions. Le plus souvent, d’ailleurs, le site, seul, est déserté. Le village se déplace, se « replie », et ne cesse pas pour autant d’exister : la disparition n’est qu’apparente.
41Il est d’autres cas de désertions de sites qui n’entraînent pas non plus la disparition de la communauté : ainsi certaines localités qui abandonnent un site élevé et s’établissent à un niveau plus bas, sur un emplacement plus commode. Ces déplacements vers le bas, ces « déperchements », offrent davantage matière à la recherche raisonnée d’explication ; ils ne peuvent être simplement attribués à des forces naturelles ennemies.
42Même les régions de relief peu accusé ont connu des cas isolés de descente d’habitat. Souvent on peut mettre en cause à ce propos le déplacement du réseau routier. En Artois, Étréelles43 était encore au XVIIe siècle un hameau important. Une miniature de 1610 nous le montre sous l’aspect d’un village-rue. Il devait son existence et son nom à une vieille route romaine, « la chaussée Brunehaut », qui menait en ligne droite de Thérouanne à Arras. Mais au XVIIIe siècle, le vieux tracé rectiligne fut abandonné pour éviter la côte que dominait Étréelles ; et petit à petit le hameau s’est déplacé à la rencontre de la nouvelle route jusqu’à se confondre avec le village de Camblain établi en contrebas.
43L’exemple de Gevrey-Chambertin44 est célèbre : au village de plateau, succède un autre village établi sur la pente ; celui-ci à son tour est attiré plus bas par le « chemin de la cote » qui court au pied du versant ; enfin, au XVIIIe siècle, quand est tracée la route royale, le village s’établit dans la plaine (mais il est vrai que le premier glissement avait été sollicité par le développement du vignoble… ; on mentirait à trop simplifier : la route, le chemin peuvent aussi modifier leur tracé en fonction du déplacement des villages).
44Il n’est pas toujours aisé de rendre compte des déperchements qui interviennent fréquemment en pays de montagne : les Préalpes de Provence en offrent de nombreux exemples. D. Mouralis a étudié les migrations de villages dans les Baronnies45 : les véritables désertions, accompagnées d’une disparition de la communauté rurale, ne se produisent qu’aux XIXe et XXe siècles46. Mais sur 53 sites perchés qui furent abandonnés, 36 l’ont été avant le XIXe siècle. Les descentes commencent dès le XIVe siècle, mais elles ne deviennent fréquentes qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles ; elles s’accompagnent alors d’une dispersion en multiples « granges ». La première cause à laquelle on songe pour expliquer ces déplacements, c’est évidemment le retour à la sécurité : il permet d’abandonner un village éloigné des portions les plus productives du terroir, un site malcommode où l’eau manque. Mais les premiers déperchements se produisent dès les XIVe et XVe siècles et les villages descendus à cette époque restent groupés et fortifiés, sauf dans les vallées très écartées… Peut-être faut-il invoquer alors la surcharge pastorale, très forte à la fin du XIIIe siècle : elle a entraîné la dégradation des herbages, des forêts, des terroirs en altitude47. D’autre part aux derniers siècles du Moyen Âge, l’anarchie, la moindre emprise de l’autorité seigneuriale ont pu permettre aux paysans de s’approprier les terres des fonds de vallée, jusque-là réservées à l’exploitation domaniale. Le manque d’hommes a contribué aussi à faire sauter ces interdictions, en contraignant les seigneurs à des concessions.
45Les déplacements de villages ne s’effectuent pas toujours du haut vers le bas. La vallée du Viaur offre quelques exemples de villages accrochés aux flancs abrupts de la vallée, et abandonnés pour des sites de plateau. L’abandon définitif est généralement récent, mais le processus était déclenché depuis longtemps. On doute que l’étroite vallée, gorge assez sinistre, sciant le plateau du Ségala, ait jamais pu drainer un courant commercial, dont le déclin expliquerait les désertions. C’est même le contraire qui est vrai ; les routes anciennes traversant difficilement les gorges du Viaur, les points de passage, seuls, avaient donné naissance à des villages de vallée : les routes modernes, elles, évitant la région, ou franchissant l’obstacle par des viaducs, ces villages ont dépéri : c’est sans doute ce qui s’est passé pour Las Planques48. Dans d’autres cas, à Landorre, à Thuriès49, l’abandon d’un château a pu entraîner la désertion du village. Mais le plus souvent il semble que ce soient les terroirs plus faciles du plateau qui aient attiré la population, à une époque où la sécurité offerte par les villages d’éperon ne présentait plus le même intérêt50.
46Dans la plupart des cas, la chronologie de l’abandon est indispensable, pour éclairer les causes du phénomène. La date permet de circonscrire plus étroitement les circonstances, la conjoncture de la mort villageoise. Dater précisément une désertion, quand manquent les documents précis, est une entreprise impossible ; mais on peut, à force de patience et de précautions, déterminer une aire chronologique comprise entre deux dates limites, terminus a quo, terminus ad quem : quelques décennies, un siècle, constituent souvent une approximation suffisante. Toutefois, l’époque de la désertion ainsi circonscrite, tout risque d’erreur n’est pas éliminé, car les villages meurent lentement : il faudrait pouvoir déterminer à quelle époque a commencé le processus d’abandon. En Artois, près d’Aire-sur-la-Lys, le village de Mussent fait place à la fin du XIXe siècle à une ferme unique. Sur la carte de Cassini, il est figuré comme un hameau mais en 1739 c’était encore un chef-lieu de paroisse. En 1698, selon l’intendant Bignon, ce village ne comptait que 25 habitants. En 1475, un texte le tient pour « povre », et « y soloit avoir 12 ou 16 maisnages, n’en y a ad present que 5 ou 6 mesnages de povres gens »51. Mais 12 ou 16 ménages, ce n’est pas non plus bien considérable pour une paroisse. Les textes antérieurs parlent de la « villa de Mussehem » en 1304, et plus haut encore en 1181, mais sans permettre d’apprécier son importance. Alors, à quelle date situer le fait décisif ? au XVIIIe siècle où la paroisse est supprimée ? au XVe siècle où l’on voit sa population diminuer des deux tiers ou de la moitié ? ou à une plus haute époque puisqu’au XVe siècle, la paroisse était déjà fort petite ? Dirons-nous que la guerre a donné le véritable coup de pouce, ou est-ce l’exode rural de la fin du XIXe siècle qui a été déterminant52 ?
47En fait, il est bien difficile de tuer un village ; il y faut souvent diverses séries causales qui convergent sur un même lieu. Voici le cas d’un village poitevin, Milly, définitivement disparu en 1872, date à laquelle il est réduit à une maison, abandonnée elle-même en 1896 : ce village enclavé en Poitou appartenait au duché d’Anjou : de ce fait, il était difficile de s’y procurer du sel et selon un document du XVIIIe siècle ce serait la cause du départ d’un certain nombre d’habitants. Autre motif plausible d’abandon : Milly était situé dans un fond de vallée, inondable et insalubre. Ajoutons que la grande ressource des habitants était l’élevage du mouton, mais que les pacages étaient sur le plateau et assez éloignés du village. Enfin, au XIXe siècle, les routes évitèrent les fonds de vallée et passèrent sur le plateau, avantageant le village voisin de Liniers qui finit par absorber la population de Milly53. Toutes les causes ont joué ; leur réunion a été nécessaire pour mettre à mort ce village.
48Encore s’agit-il, dans ce cas précis, d’une époque récente : le risque d’erreur est beaucoup plus grand pour les désertions achevées à des dates plus anciennes. Ce risque, aggravé des lacunes de notre information, ne doit pas néanmoins nous paralyser : la tâche est maintenant d’esquisser une chronologie des désertions de villages en France.
I – Villages désertés avant le début du xivE siècle
49Les désertions les plus anciennes (avant le XIXe siècle) sont les plus mal connues. La pauvreté, le caractère disparate du matériel documentaire interdisent pratiquement toute évaluation statistique et n’autorisent que des présomptions sur les causes, sur les dates, sur la répartition géographique. Peut-être, d’ailleurs, a-t-on minimisé jusqu’ici l’importance de ces désertions anciennes. Ce qu’on peut savoir sur quelques rares régions montre que leur nombre n’est pas négligeable. En Artois, nous avons relevé les noms de 12 villages (dont 5 paroisses) disparus avant 1340 et de 16 autres (dont 3 paroisses) vraisemblablement abandonnés à la même époque. En Champagne également les désertions anciennes semblent nombreuses : en Haute-Marne, elles concernent 14 des 55 villages disparus dans ce département54.
50Les siècles des grands défrichements furent avant tout un temps de créations où se multiplièrent les villages neufs et une époque de progression démographique. Mais ce grand mouvement de conquêtes s’est accompagné aussi, dans certains cas, de disparitions de localités : les créations eurent souvent une allure anarchique, elles provoquèrent autant de méfiance et d’hostilité que d’enthousiasme, elles furent parfois inconsidérées ; enfin, au XIIIe siècle, elles furent, par endroits, suivies d’un mouvement de reflux55. Leur temps fut, au total, celui de la mobilité du monde rural. La plupart des désertions anciennes peuvent être attribuées à cette mobilité de la société paysanne, et mises en liaison étroite avec les défrichements.
Désertions de villeneuves et auprès des villeneuves
51Les villeneuves par exemple, n’ont pas seulement accueilli les habitants en surnombre des anciens villages. Elles n’offraient pas seulement de nouvelles terres. En fait, dans bien des cas, leur création ne se justifiait nullement par la conquête de nouveaux terroirs. Pour le fondateur il s’agissait d’accroître ses revenus en multipliant le nombre de ses censiers et contribuables, fût-ce aux dépens de seigneurs voisins et d’anciennes localités. Les libertés offertes aux habitants des villages nouveaux étaient octroyées dans ce but, et le furent d’autant plus largement que les hommes étaient rares. Quant aux bastides royales, elles furent créées dans l’intention d’accroître le nombre des défenseurs d’une province ou d’une « frontière », fût-ce en soustrayant les hommes à d’autres autorités ou à d’autres princes. Des villeneuves ont ainsi créé un appel susceptible de diminuer la population de villages voisins. Ce mouvement d’émigration très localisé a-t-il pu provoquer des désertions totales ? On n’ose l’affirmer. Au moins voit-on parfois disparaître des villages dans le voisinage de villeneuves ou de bastides, et à une date contemporaine de la fondation de celles-ci.
52Dans le Sud-Ouest, il est aisé de repérer des villages disparus à proximité de bastides : il est plus difficile de décider si les nouveaux établissements ont tué les habitats plus anciens ou si, au contraire, la disparition de ces villages a justifié la fondation des bastides. Les deux processus ont pu d’ailleurs interférer ; ainsi à Montaigut : le château et le village furent d’abord détruits par Simon de Montfort, et les murailles furent ensuite rasées à la suite du traité de Paris (1229) ; ainsi s’explique, sans doute, la création de la villeneuve de Lisle-sur-Tarn sur un terrain appartenant aux chevaliers de Montaigut. Mais il se peut que la concurrence de la villeneuve, située sur le fleuve et bénéficiant du courant commercial qui empruntait la voie d’eau, ait achevé de vider le petit village qui s’était reconstitué à Montaigut après les événements dramatiques de la croisade56. Le même schéma vaut sans doute pour d’autres villages détruits par les croisés (suivant une tradition qui prête peut-être trop à la croisade des Albigeois). Ils sont situés dans les environs immédiats de bastides, créées dans la première moitié du XIIIe siècle : Queye et Saint-Denis, petits villages détruits, proches de Castelnau-de-Lévis, bastide construite par Sicard Alaman ; Saint-Étienne-des-Brés et Notre-Damede-Lagarde, paroisses disparues aux environs de Villeneuve-sur-Vère. En revanche il semble bien que les paroisses de Saint-Jean-du-Vigan et de Saint-Pierre-de-Bercille aient été abandonnées au profit de la bastide de Técou et que la création par Doat Alaman de Labastide (de Lévis) ait amené la désertion du village de Pléaux dont l’église demeura longtemps le chef-lieu paroissial de la villeneuve57.
53Mais des bastides ont également disparu en nombre assez considérable, et bien qu’abandonnées à des dates diverses, et généralement mal connues, on est tenté de leur faire un sort à part : leur création tardive, en effet, peut en avoir fait des établissements fragiles, des proies plus faciles offertes aux divers agents de destruction. Bastides disparues, celle de Beaulieu, en Périgord, qui comptait pourtant 76 feux au XIVe siècle58, celle de Saint-Clair, près de Pompignan, dont l’emplacement est aujourd’hui occupé par le canal du Midi, la route nationale de Montauban à Toulouse, et la voie ferrée59, la Bastide-Normandie, près de Léojac, inhabitée au moins depuis le XVIIIe siècle60, la bastide de Rojols qui existait dès 1212, mais qui au XVIe siècle n’était déjà plus qu’un hameau61, la bastide du Bourguet sans doute disparue dès avant le XVe siècle62, la bastide de Lacenne, fondée en 1283 et qui n’est plus citée après 1320, date à laquelle elle reçut ses privilèges63. Il est possible que certaines de ces villeneuves ne soient pas vraiment disparues, dans la mesure où toutes n’ont pas réellement existé, si ce n’est sur le parchemin de quelque charte de fondation. C’est ce qui est arrivé à la bastide de Castelréal en Périgord : vers 1267, les Anglais décidèrent de fonder, sur un coteau escarpé dominant la rive droite de la Dordogne, une bastide destinée à faire pièce à celle de Domme. Mais le site appartenait à l’abbé de Sarlat qui s’opposa vigoureusement à la construction projetée et les Anglais durent abandonner leur bastide avant qu’elle fût terminée64.
54Villages désertés au voisinage de villeneuves, villeneuves disparues ou simplement avortées, ces trois types de désertion se rencontrent fréquemment en Champagne.
55Aux environs immédiats de Reims deux villeneuves naissent vers 124065. La Neuville-les-Pomacle, création du chapitre Notre-Dame, et Beaumetz, fondée par Thomas de Beaumetz, prévôt du chapitre et futur archevêque. Dans la même région (située dans un rayon de 15 kilomètres, autour et au nord de Reims) plusieurs villages disparaissent au XIIIe siècle : Bavisy près de Brimont, Anserières près de Fresne et de Pomade, Mairy sur le territoire de Witry et près de Caurel, Coulevreux et peut-être aussi Courtmartin mentionné encore en 1263 mais qui ne Figure pas dans des listes de villages du début du XIIe siècle66. On ne saurait affirmer que la concurrence des deux nouveaux villages a tué ces cinq localités : les preuves font défaut. Mais les deux fondations sont de date tardive : c’est l’extrême fin des défrichements collectifs par création de villeneuves. Elles interviennent d’ailleurs dans une région où le réseau des habitats est particulièrement dense, surtout à cette époque : aux cinq villages disparus cités plus haut, s’ajouteront par la suite dix autres désertions (et quinze villages existent encore). Les deux villeneuves ne peuvent donc prospérer qu’aux dépens des habitats voisins. Leur création soulève d’ailleurs de graves différends entre le chapitre de Reims ou son prévôt et les autres seigneurs ecclésiastiques, maîtres des anciens villages. Les Bénédictins de Saint-Thierry se plaignent de la fondation de Beaumetz. Vingt de leurs mansionaires sont allés s’établir dans le nouveau village :
Noverint universi – dit Thomas de Beaumetz dans la charte qui mit fin au différend – quod cum controversia esset inter nos, ex una parte et ecclesiam Sancti Theoderici, ex altera, super eo quod nos inceperamus construere et fundare quandam novam villam inter villam de Chalon, de Chenay et de Merfi, contra jus ejusdem ecclesie…
56Finalement l’accord de 1249 décide qu’en dehors des vingt familles déjà établies à Beaumetz, le village ne pourrait plus recevoir d’hommes dépendant de l’abbaye.
57De même l’archevêque, seigneur de Burigny, et le chapitre Saint-Symphorien, seigneur de Witry, protestent contre la nouvelle création du chapitre Notre-Dame. L’archevêque, Thomas de Beaumetz, est cette fois du côté des plaignants. En 1258, cependant, il règle son différend avec le chapitre Notre-Dame :
Super eo videlicet quod ipsi decani et capituli quamdam villam novam construxerant, seu construi inceperant, juxta viuam nostrum de Burigneio prope Remis.
58Il cède Burigny au chapitre et en 1262 accorde les dîmes de Burigny au chapitre de Saint-Symphorien, et celles que doivent les habitants du village installés à La Neuville. L’acte de 1262 prévoit également que dix personnes seront désignées pour dresser les limites de Witry, Caurel et autres lieux environnants. On saisit ici, à plein, le climat qui préside aux dernières fondations de villages, aux derniers défrichements. Les églises se disputent les novales ; les derniers obstacles de forêts ou de friches entre les terroirs tombent ; les populations se déplacent ; les rivalités entre seigneurs prennent un tour plus âpre.
59Finalement, ces créations tardives se révèlent peu solides. Beaumetz n’est plus en 1278 qu’une villula et disparaît par la suite. La Neuville survivra plus longtemps, mais disparaîtra à son tour entre 1522 et 153367. Une note ajoutée en 1539 à un procès-verbal de visites précise : « Neuville-lez-Pommacle non stat amplius ». Ce ne sont pas les seules villeneuves champenoises qui tôt ou tard furent finalement désertées. En Champagne, on peut encore citer La Neuville, fondée en 1206 près de Villers-en-Argonne par la comtesse et l’abbaye de Saint-Remy, La Neuville, près de Herpont, attestée en 1274, La Neuville, près de Sept-Saulx, attestée en 1220, La Neuville, près de Warmeriville, attestée en 1189, La Neuville-au-Temple sur le territoire de Dampierre, sans doute disparue au XVe siècle68 et La Villeneuve-des-Molières, attestée encore à la fin du XIIIe siècle et dont l’emplacement est inconnu. Un certain nombre de ces villages neufs, ceux de création tardive surtout, étaient sans doute trop peu peuplés, trop mal pourvus en terres pour résister aux crises des XIVe et XVe siècles. Mais il est probable que d’autres n’eurent jamais d’existence réelle et ne furent que des villages mort-nés : la fondation ne répondit pas aux espoirs des seigneurs et échoua rapidement. Si les villeneuves de la région rémoise obtinrent finalement le droit à l’existence, d’autres sans doute se heurtèrent à une opposition irréductible, telle cette villeneuve proche de Moret que cite Marc Bloch69.
Accaparements fonciers
60Il y eut aussi des erreurs dans le choix du site ou du terroir, des défrichements imprudents sur des sols trop pauvres et vite épuisés70. Il semble bien que certains des villages désertés au XIIe ou au XIIIe siècle sur les plateaux de la Haute-Marne appartiennent à cette catégorie des tentatives avortées.
61Dardru n’est attesté que par un acte de 1137 mais le village était déjà détruit puisque à cette date le comte de Clermont, Robert Guiscard, faisait donation à l’abbé de La Crête du « lieu d’aucun desert où souloit avoir anciennement rues et village appelé par les habitants voisins de Dardruth »71. Le village de Montcignon, situé sans doute près de Saint-Vallier sur un des points les plus élevés du plateau de Langres n’est connu que par l’acte d’association que conclurent pour sa fondation le chapitre de Langres et le prieuré de Saint-Geosmes72. Poisat, près de Langres également, fut fondé au XIIe siècle conjointement par le seigneur de Marac, les Templiers de Morment et l’évêque de Langres. Mais les seigneurs, ou leurs héritiers, ne s’entendirent pas : Poisat apparaît pour la dernière fois dans un acte de 1269 destiné à apaiser leur différend. Les habitants peu après quittèrent leur village pour s’établir à Marac73. Dans ce dernier cas, la création sans être avortée s’était révélée peu durable.
62Dans la vallée du Rognon, Villecet n’est connu que par un texte de 1120 qui en parle comme d’un vicus et Saint-Julien-sur-Rognon est une villeneuve dont on connaît seulement la fondation par l’abbaye de la Crête entre 1220 et 1240 : fondation tardive, une fois de plus. Enfin, en 1220, la comtesse de Champagne et l’abbé de Septfontaines conclurent un accord pour la construction de deux villages à l’emplacement des granges de Bugnémont et de Roidon, mais il semble bien que ces deux fondations avortèrent : ces deux localités ne sont connues que comme fermes74.
63Ces échecs des défrichements n’ont rien de bien surprenant sur les terres froides des plateaux de Langres, du Bassigny et de La Montagne, encore largement couverts de forêts, aujourd’hui. Ces hauteurs peu hospitalières ont fixé de nombreuses abbayes cisterciennes : outre Clairvaux et Morimond, citons Auberive, Beaulieu, La Crête, Troisfontaines, Vaux-la-Douce pour s’en tenir aux abbayes d’hommes. Les moines blancs qui ont choisi de s’établir dans ces solitudes ont-ils encore étendu les déserts, y ont-ils ajouté leurs propres destructions ?
64Dès le XIIIe siècle, en tout cas, on les accusait d’accaparer les terres, de faire le vide autour de leurs granges. Dans une étude récente75, notre ami Jean Batany a montré que les Clunisiens, dans leur longue querelle avec Cîteaux, en ont fait un grief essentiel, reprochant aux moines blancs de supprimer des paroisses pour y établir leurs granges.
Je conteroie mil eglises
Ou ils ont lor grainges assises
65dit le moine Guiot. Faut-il y voir seulement un argument polémique ?
66En Angleterre, au moins, l’accusation était parfaitement fondée76. Nous pensons qu’elle l’était aussi pour la France, sans pouvoir apporter de preuves absolument décisives. Dans la région considérée, et, plus au nord, en Argonne, nous avons noté quelques villages désertés sur les domaines cisterciens. Bien sûr, il ne suffirait pas de relever un site déserté à proximité d’une abbaye pour attribuer aux moines le rôle essentiel77. Mais quand à partir d’une certaine date, un village, dans les chartes, n’est plus mentionné que comme une simple grange, il y a semble-t-il, à défaut de preuve décisive, une présomption forte ; et de même quand un village, donné à une abbaye, disparaît rapidement après la donation – post hoc ; ergo propter hoc ?
67Une partie du terroir de Chavagnes78 est donnée en 1136 à Auberive : dès le début du XIIIe siècle, il n’est plus question ni de paroisse, ni de village mais seulement du finage ; et celui-ci appartient alors presque entièrement à Auberive. Une partie du hameau d’Espauthères, tout proche de Chavagne, est donnée à la même abbaye en 1198 ; il disparaît des textes après 1214. Magnil, qui appartient à La Crête, en 1121, est détruit à la fin du XIIe siècle79. Près de Clairvaux, Perrecin, propriété de l’abbaye depuis 1145, disparaît après 118980. La paroisse de Villenesse est donnée d’abord à Molesme puis à l’abbaye cistercienne de Mores81 très proche du village : dès la fin du XIIe siècle il n’est plus question que du finage de Villenesse.
68Mais voici des cas plus nets : Vière, village avec église, figure dans le cartulaire de Montiers-en-Argonne dès 1148 : en 1154 il n’existe plus ; apparaît alors une grange de la même abbaye nommée Outrivière, grangia que dicitur Ultravera82. Enfin, on connaît, près de l’abbaye de Pontigny, le cas de Saint-Porcaire, dans l’Yonne : dès 1119, Saint-Porcaire est détruit, réduit à une grange de cette abbaye… Le moine Guiot exagérait peut-être ; mais il n’accusait pas à tort les moines de Cîteaux83.
69On trouve, cas isolés, des désertions par accaparements fonciers, où les seigneurs laïcs ont joué le premier rôle. L’étude de M. Grosdidier de Matons, sur la Woëvre84 en fournit quelques exemples.
70Le destin des villages disparus signalés à Woëvre présente certaines ressemblances avec celui des villages anglais étudiés par Maurice Beresford. En Angleterre, les terroirs furent reconvertis en pacages ; dans la Woëvre les champs furent mis en eau ; car la pêche en étang procurait de grosses ressources, sans exiger beaucoup de main-d’œuvre. Ainsi disparut le village de Géry en 1306, à la suite de la mise en eau du grand étang de Vargévaux décidée par le seigneur de Bouconville.
71Quant à l’étang de La Chaussée, sa création en 1272 par le comte de Bar, Thiébaut II, puis ses extensions successives en 1277 et 1278 amenèrent la disparition des petits villages de Givrauval, Bouzainville, Rouvroy et Cholloy et celle de Francheville, villeneuve établie par Thiébaut II lui-même en 1249. Les habitants de Francheville durent quitter leur village pour aller s’établir à La Chaussée, autre villeneuve, tirant son nom de la digue qui barrait les eaux. On pourrait croire que les habitants, s’ils perdaient maisons et champs tiraient au moins profit de l’étang. Mais tout laisse à penser que ces créations de nappes d’eau les lésaient sans compensation : en 1277 après la première extension « aquatique », le comte promit aux manants de ne plus créer d’autre étang ; dès l’année suivante pourtant, il augmentait encore la superficie de ses viviers et pour dédommager les expulsés de Francheville il les dispensait simplement du terrage et du gerbage.
72Ces exemples sont trop rares pour qu’on puisse voir dans ce type de désertion une caractéristique universelle des régions humides, mal drainées. Ils permettent pourtant d’estimer que, pour la Dombes, les affirmations de M. C. Guigue ne sont pas totalement dépourvues de fondement.
73Cet auteur, dans son Essai sur les causes de la dépopulation de la Dombes85, attribue au régime des étangs les plus grands méfaits : selon lui, pour mettre en eau des terres cultivables on a chassé la population de plusieurs hameaux ; et les étangs par la suite ont entretenu l’insalubrité, responsable du faible peuplement de la région. Guigue explique ainsi le succès des étangs : les guerres, incessantes jusqu’à la fin du XVIe siècle, dépeuplèrent le pays ; l’exploitation des étangs, demandant peu de main-d’œuvre, représenta une solution originale, pour la mise en valeur des terres. Par la suite elle se révéla fort rentable, incitant les seigneurs et les propriétaires à mettre en eau des surfaces toujours plus étendues. Et ainsi les créations d’étangs, après avoir été la conséquence de la dépopulation, en devinrent la cause.
74Mais on pourrait souhaiter que ce raisonnement, intéressant, soit étayé par des faits irréfutables. M. C. Guigue établit, certes, que les créations d’étangs furent nombreuses à partir du XIIIe siècle ; il en cite 31 au XIVe siècle et près de 95 au XVe siècle. Il montre aussi quelles eurent pour première conséquence de faire disparaître les vieilles routes de la Dombes. Il ne prouve pas qu’elles aient amené la destruction de villages. Il a une phrase négligente pour s’excuser de ne pas nommer tous les villages disparus : « leur nombre est trop considérable ». Voire ! Les paroisses prétendument disparues qu’il a repérées dans les cartulaires de Cluny, de Savigny et d’Ainay ont été presque toutes identifiées par A. Longnon dans son édition des pouillés du diocèse de Lyon86 : elles existent encore aujourd’hui ; pour les autres rien ne prouve qu’elles aient été englouties sous l’eau des étangs87.
Désertions sur front de colonisation
75En Artois, les défricheurs des XIe et XIIe siècles eurent à conquérir deux pays de nature bien différente : au nord la région amphibie de la plaine maritime, au centre les bas plateaux couverts de forêts du comté de Saint-Pol et du Haut-Boulonnais.
76Le pays des marais ne fut pas colonisé avant le XIIe siècle. Les premières abbayes ne s’y établirent qu’à l’extrême fin du XIe siècle (La Capelle, 1090). Et dès le XIIe siècle des villages disparurent dans cette région.
77Le pays de Bredenarde compte aujourd’hui quatre paroisses : Audruicq, Nortkerke, Zutkerque et Polincove. Une charte du comte Charles le Bon révèle l’existence en 1119 d’une cinquième paroisse « in parrochiis de Bredenarda, scilicet de Nortkerke, de Sutkerke, de Ouderwich, de Pullingahove et de Furfres ». C’est la seule mention connue de ce « Furfres ». En outre de Loisne pense que Bredenarde avant de désigner le petit « pagus » d’Audruicq était aussi le nom d’une paroisse et cite à l’appui deux chartes du début du XIIe siècle88. Ces deux villages, nés au plus tôt vers 1090, semblent donc avoir disparu dès le XIIe siècle ; victimes non pas tant de défrichements aventureux que de la mobilité des hommes : elle les portait toujours plus en avant, vers le nord, au cœur du marais. Il ne s’agit donc pas de villeneuves avortées, mais de villages abandonnés, car dépassés par le front de colonisation.
78Plus à l’ouest, dans la région de Guînes et d’Ardres, la colonisation est partie d’une étroite bande de terres adossée à la forêt de Guînes et de Licques, et affrontée aux marais de la zone maritime : là encore ont disparu très tôt des hameaux comme Courtalon, Rorichove, Ophove, Rigewogue, Selnesse… Plus tard, au cours des XIVe et XVe siècles disparurent d’autres hameaux, des paroisses aussi, au total plus de vingt habitats ; et cependant la région conserve encore une remarquable densité de villages. Il semble donc qu’au fur et à mesure des progrès de la colonisation sur le marais se soit produit une sorte de décompression des habitats, par déplacement de la population vers les régions nouvellement conquises.
79En revanche, la zone des défrichements forestiers est presque vierge de villages disparus. Il est vrai qu’on a contesté l’importance de ces défrichements89 et il peut sembler paradoxal que le plateau calcaire et limoneux ait été (sauf entre Arras et Bapaume) plus tardivement colonisé que la plaine flamande (aux sols lourds et difficiles) ou que les vallées marécageuses et inondables. Mais la toponymie, l’examen sur la carte des lambeaux de forêts subsistants, de la fréquence des villages-rues en opposition aux villages étoilés des régions anciennement habitées, tout vient confirmer la colonisation tardive du Haut-Boulonnais et du comté de Saint-Pol, déjà mise en lumière par le docteur Feuchère90. Dans ces régions les désertions de villages semblent avoir été relativement rares, à toutes les époques et spécialement aux XIIe et XIIIe siècles. Il faut cependant faire deux exceptions :
80– Dans la région de Mouriez, plusieurs hameaux semblent avoir disparu à une époque ancienne : Réduelle, Selvegny, Haspres, Bamereuil, peut-être Crépigny si ce fut vraiment un village, et Soibermetz et Mont-de-Kersuin dont on peut attribuer la disparition aussi bien au XIIIe qu’au XIVe siècle. On est ici à la limite de la zone défrichée du Ponthieu : le morceau de plateau entre les vallées de la Canche et de l’Authie reste au début du XIe siècle couvert de forêts. Des abbayes s’y établissent au XIIe siècle et leur nom est significatif : Saint-Josse-au-Bois et Saint-Rémy-au-Bois. Mais il reste actuellement de nombreux témoins de l’ancienne couverture forestière, notamment les forêts de Dompierre et de Labroye. Ces lambeaux attestent un défrichement lent et incomplet et on peut penser pour expliquer ces disparitions de hameaux à des hésitations, à des échecs de la colonisation.
81-On peut mettre encore en relation avec les défrichements quelques désertions observées au sud-ouest d’Arras. Le front de colonisation devait se trouver ici entre le Crinchon, dont la vallée était occupée depuis une époque ancienne, et la vallée de l’Ugy. Là, d’ailleurs, abondent les toponymes tels que « Buisson chaud », « Voie brûlée », « Villers-Brûlin », qui attestent des défrichements temporaires par brûlis à la limite des terroirs, ainsi que d’autres noms de lieux évoquant des lisières de forêts tels que « l’Épinette », « le Buisson »… Et c’est plus à l’ouest seulement que commencent les toponymes qui indiquent les vrais défrichements au cœur de la forêt : « le Sartel », « Sars-le-Bois », « Béthonsart »… C’est dans la zone des défrichements temporaires et du front de colonisation que l’on note quatre villages disparus au XIIe et au XIIIe siècle. Sur les territoires de Dainville et d’Achicourt91 : La Neuville-Robert (du nom de Robert le Roux, seigneur de Béthune et avoué de Saint-Vaast) et Neuvillette (villeneuves avortées ?). Sur le territoire de Rivière, le hameau de Morcourt dont le cartulaire de Saint-Vaast parle en ces termes « Morcurz villa fuit juxta Offinnont » et dont le lieu-dit La Vielville rappelle sans doute le souvenir. Enfin, près de Simencourt, l’ancien village de Mainbodville ; lui aussi rappelé par un lieu-dit La Vieille-Ville, il semble avoir été abandonné à la fin du XIIe siècle pour la nouvelle curtis créée par un certain Simon vers 1070.
82Plus à l’ouest c’est sans doute à des échecs du défrichement qu’il faut attribuer la disparition, au plus tard au XIIIe siècle, des villages de Bais et de Noristel.
83Il est peut-être plus difficile de rendre compte des quelques désertions constatées à l’est d’Arras, dans une zone colonisée bien avant l’an mil. Elles concernent des paroisses : Farlu, Hervin et Mofflaines. Farlu était le chef-lieu d’une paroisse dont Athies n’était qu’un secours. Dès le XIIe siècle, le moine Guiman, dans le cartulaire de Saint-Vaast, en parle comme d’un village disparu : « Farluz villa fuit juxta Athies ubi erat et mater ecclesia capelle de Athies ». De même Mofflaines, à la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe siècle, fut remplacé comme chef-lieu paroissial par Tilloy-les-Mofflaines et réduit à une ferme ou un domaine, domus, de la puissante abbaye arrageoise. La maison de Saint-Vaast disparut également par la suite et un bois s’éleva sur le terroir de l’ancien village ; une des miniatures du duc de Croy (1610) le représente à l’arrière-plan de Tilloy92. Ce bois ne fut défriché à nouveau qu’à la fin du XVIIe siècle. Hervin était également une paroisse, placée sous le patronage de l’abbaye et réduite également à une ferme de Saint-Vaast dès le XIIIe siècle.
84Les moines bénédictins de l’abbaye arrageoise auraient-ils comme les Cisterciens regroupé les terres autour de leurs domaines et expulsé les tenanciers ? Ce n’est conforme ni à leurs traditions ni à l’économie générale de leur fortune. Mais ce n’est pas impossible, surtout pour des domaines proches de l’abbaye. Proches d’Arras, en même temps, et ce fait ne doit pas être négligé. La prospérité de la ville, avec ses marchés et sa puissante industrie textile, les avantages juridiques aussi que procurait la résidence urbaine, attirèrent dès le XIe siècle un afflux de nouveaux venus originaires de la campagne voisine. Et cette émigration rurale a eu, peut-être, des répercussions néfastes sur les localités voisines d’Arras. On s’expliquerait ainsi non seulement les désertions citées plus haut, mais les nombreux hameaux disparus aux portes même d’Arras, notamment sur le territoire d’Achicourt où on en compterait une dizaine. On peut d’ailleurs invoquer les mêmes faits pour expliquer les nombreuses désertions constatées dans les environs immédiats de Reims. Mais ce sont là de fragiles hypothèses : il faudrait pouvoir prouver qu’un certain nombre des immigrants, au moins, étaient originaires des localités désertées.
85À partir du XIVe siècle, la documentation est plus abondante : états des feux, pouillés permettent de dresser des listes de villages et d’y repérer les vides creusés par le temps. Les documents du début du XIVe siècle donnent la situation des habitats, à la veille de la grande crise de la fin du Moyen Âge : crise économique aggravée par les famines, la peste noire et la guerre anglaise. Il paraîtrait normal que ces fléaux, et d’abord la dépopulation, aient amené une importante rétraction du réseau des habitats ; et Wilhelm Abel, en se fondant sur cette vraisemblance, a englobé les pays français dans sa problématique des Wüstungen. Mais l’essentiel de sa documentation semble valoir presque uniquement pour l’Alsace, où la disparition d’un nombre important de villages au cours des XIVe et XVe siècles est incontestable.
II – Désertions des xivE et xvE siècles
L’Est : émigration rurale et concentration de l’habitat
86L’Alsace est la province française où les villages disparus ont suscité le plus grand nombre d’études. Les historiens et érudits y sont nombreux qui ont dressé des listes de localités désertées, ou qui en ont signalé fortuitement quelques-unes : après Schoepflin, au XVIIIe siècle, citons Horrer, J. F. Aufschlager, Baquol et P. Ristelhuber, A. Stoeber, F. X. Kraus, G. Stoffel, Walther, B. Stehle, Beemelmans, A. Straub, L. G. Werner, Fritz, Schlosser, Ch. Schmidt, J. Levy et parmi les contemporains, F. Langenbeck, F. Eyer, E. Herr, J. Himly, A. Humm et A. Wollbrett93. Cette liste impressionnante a sans doute un sens : elle signifie qu’on ne peut, en Alsace, entreprendre des recherches d’histoire locale sans rencontrer la trace de localités disparues. Malheureusement, ces enquêtes ne sont guère allées au-delà des répertoires ou des monographies ; elles débouchent rarement sur de véritables études d’ensemble replaçant les désertions de villages dans leur contexte événementiel, économique, social. Straub et Werner, qui ont dressé les répertoires les plus complets, se contentent dans de brèves introductions de déplorer « l’oublieuse mémoire des hommes » et de souhaiter que des croix commémoratives soient plantées sur les sites abandonnés. Werner, il est vrai, fait parfois des remarques intéressantes sur la concentration de l’habitat et sur la répartition géographique des localités disparues.
87Mais, en dehors des quelques pages que Etienne Juillard consacre à notre sujet dans sa thèse sur la vie rurale en Basse-Alsace94, c’est dans la brève mais dense introduction de A. Humm qu’il faut aller chercher les seules vues d’ensemble, les seules interprétations véritables sur les villages disparus d’Alsace.
88Encore l’étude de Humm et Wollbrett est-elle pleine de réticences, de précautions de style. Les causes des disparitions sont rarement indiquées et pas toujours suggérées. Pourtant les recherches ont été menées aussi loin que possible, épuisant la documentation connue. C’est donc une invitation à la prudence qu’il faut en retenir. Est-il possible pourtant d’évaluer l’importance des désertions en Alsace, de les chiffrer même approximativement ? Les articles de L. G. Werner95 pour la Haute-Alsace, et l’étude de Humm et Wollbrett pour la Basse-Alsace, (limitée aux cantons du Bas-Rhin situés au nord de la Bruche) fournissent respectivement les noms de 156 et de 78 villages disparus.
89Compte tenu de la lacune représentée par la partie méridionale du Bas-Rhin on reste encore assez loin des cinq cents disparitions couramment admises. Mais nous avons systématiquement refusé toutes les assimilations abusives, toutes les identifications douteuses. La tradition, la légende, en Alsace enrichissent exagérément la liste des désertions. Elles créent, si l’on peut dire, des villages disparus, sinon des villes : le point de départ est souvent une simple ferme ou encore une villa gallo-romaine. Au surplus les chiffres retenus ne sont-ils pas déjà fort élevés ? Il faut en outre souligner la forte proportion des paroisses disparues : sur les 234 villages désertés, 66 au moins étaient des paroisses ou des annexes possédant une église.
90Exceptionnellement aussi, il est possible pour l’Alsace de dater la majorité des désertions. On a dû, bien sûr, prendre parfois des décisions en partie arbitraires : les villages détruits au XVe siècle mais qui ne disparaissent totalement qu’au siècle suivant ont été tenus pour disparus à la fin du Moyen Âge96.
91On peut ainsi attribuer aux XIVe et XVe siècles 137 désertions sur les 213 qu’il est possible de dater. De même dans le comté de Montbéliard, au sud de l’Alsace, sur 18 villages disparus, 13 ont été abandonnés à la fin du Moyen Âge97. Le comté de Bitche a été étudié par J. Thilloy98 : sur les 58 localités disparues repérées par cet auteur, 12 seulement peuvent être considérées comme de véritables villages et réellement désertées, mais ces 12 villages ont été vraisemblablement abandonnés au cours des XIVe et XVe siècles ; mentionnés au XIIIe ou au XIVe siècle, ils sont absents de la description du comté de Bitche par le président Alix en 1577.
92Par ces chiffres, les désertions de l’Alsace prolongent celles des pays allemands et de l’Europe centrale. La théorie de la crise agricole, magistralement exposée par Wilhelm Abel, peut aider à rendre compte de ce phénomène massif, caractérisant dans ces pays les deux derniers siècles du Moyen Âge99. Pour Wilhelm Abel, la déflation démographique n’est pas la cause directe de l’abandon des villages : ni les pestes, ni les famines, ni la guerre ne tuent les villages. L’essentiel c’est l’effondrement des populations urbaines qui provoque d’une part la montée des salaires et d’autre part la baisse, lente mais continue, du prix des grains.
93Saluée avec joie par les chroniqueurs, qui appartiennent aux classes uniquement consommatrices, la baisse signifie pour le paysan le rétrécissement de son profit. La crise agricole ouvre largement les ciseaux profits-salaires et réduit la rentabilité de l’entreprise agricole. Quand l’équilibre est rompu, elle provoque l’émigration rurale, le départ vers la ville. L’émigration creuse les vides constatés dans le réseau des habitats, mais là encore, souvent de façon indirecte : l’émigration s’effectue de proche en proche, des terroirs les plus pauvres vers les plus riches, et aboutit à la ville.
94Les désertions de villages en Alsace vérifient cette théorie de la crise agricole, mais en partie seulement ; dans certains de ses aspects, non pas dans son développement intégral. Les historiens de l’Alsace s’accordent à souligner le recul important de l’espace cultivé aux XIVe et XVe siècles (bien qu’une bonne étude sur les désertions agricoles fasse encore défaut). Dans un certain nombre de cas les désertions de localités semblent s’accompagner de l’abandon des terroirs : le ban du village disparu devient alors propriété indivise des communautés environnantes. Cela suppose à défaut d’un système complexe de rotation entre villages, assez peu probable, l’abandon de l’ancien terroir aux friches, ou encore sa conversion en pâturages, de toute façon une exploitation moins intensive.
95Ce qui semble le plus net, c’est l’émigration rurale. Mais il faut noter qu’elle est moins attestée par les documents urbains100 que prouvée, indirectement, par la ceinture de villages abandonnés entourant bon nombre de villes, localités importantes comme Colmar ou Guebwiller, ou bourgades comme Soucht, Ingwiller ou Rouffach101. Dans les environs immédiats de Rouffach, il n’y a pas moins de dix villages désertés.
96En revanche il ne semble pas qu’à la faveur de la crise agricole se soit opérée une « sélection naturelle des localités ». Dans le détail, A. Humm note qu’on peut, pour le village de Giebichweiler (disparu entre 1391 et 1461) incriminer l’humidité excessive de son terroir, pour Elbersfort (disparu dès 1367) mettre en cause au contraire le manque d’eau, et pour les villages de Kaltwilser et de Konigshofen (disparus entre 1343 ou 1351 et 1416), attribuer leur abandon à l’infertilité du sol et au relief accidenté des terroirs102. Mais ce ne sont que des hypothèses. À l’échelle régionale on constate sans doute le grand nombre des villages désertés dans le Sundgau, une des zones les moins fertiles de la plaine alsacienne ; à la suite de J. Thilloy on peut aussi attribuer aux Wüstungen des XIVe et XVe siècles la grande tache blanche constatée sur la carte des habitats à l’est de Bitche, dans les Vosges gréseuses. Mais il y a d’autres constatations qui viennent contredire les précédentes. En Basse-Alsace les plus fortes proportions de désertions sont atteintes dans le Kochersberg, c’est-à-dire dans les pays du lœss entre Bruche et Zorn103. En Haute-Alsace inversement, le versant des Vosges ignore pratiquement les villages abandonnés.
97Enfin, la désertion du village ne signifie pas toujours l’abandon des terres, ni surtout l’abandon du métier de la terre. L’exode s’est fait aussi bien au profit de certains villages qu’au profit des villes et assez souvent le ban de l’ancienne localité, réuni au finage du village voisin, continue d’être cultivé par les anciens habitants104. On peut même soutenir que l’ancienne communauté subsistait parfois puisque dans certains cas, à l’intérieur du village où ils s’étaient installés, les nouveaux venus formèrent un groupe distinct, ayant son église séparée. En outre, l’exode rural peut bien avoir eu au Moyen Âge un sens différent de celui qu’il a pris aujourd’hui. « Les petites villes – fait remarquer A. Humm – restaient… largement agricoles, et les nouveaux venus ne changeaient pas de genre de vie » : ils ne cessaient pas d’être des paysans.
98Il faut donc faire intervenir, à coté de la chute des prix agricoles signalée par Abel, d’autres facteurs d’abandons. Le malaise rural des XIVe et XVe siècles peut agir sans aucun doute par des voies très diverses. Les contemporains ont invoqué, pour expliquer la désolation des campagnes, la peste et la guerre, surtout la guerre. Leur opinion ne doit pas être totalement méprisée ni rejetée. La guerre ne peut, seule, tuer les villages – on le verra plus loin. Mais elle peut constituer l’élément provocateur : en entretenant à certaines époques une insécurité presque permanente, elle pousse le paysan à abandonner le village ouvert, pour la plus proche localité fortifiée. Thomas Basin fait le tableau de ces contrées inquiètes où les paysans n’osent trop s’éloigner des murailles, où même le bétail a pris le réflexe de regagner l’abri des murs quand sonne l’alerte105. Et la localité fortifiée n’est pas toujours une ville ; ce peut être, et à partir du milieu du XIVe siècle, c’est assez souvent, un village.
99Contre les routiers, contre les brigands, il n’est pas indispensable d’élever de puissants remparts : une grossière muraille suffit à protéger le village ; une église fortifiée offre souvent un refuge suffisant. On cite fréquemment les habitants d’Arpajon brûlés dans leur église ; mais en août 1373, la grande armée du duc de Lancastre fut incapable de s’emparer de l’église de Roye, en Vermandois106. Partout au XIVe siècle on fortifie les églises, les monastères et les villages107. Mais pour élever ces remparts, si grossiers soient-ils, il faut des ressources relativement importantes ou au moins une main-d’œuvre nombreuse. Le village trop petit ou trop pauvre est ainsi condamné. Ses habitants vont grossir le nombre des défenseurs du village voisin, possesseur de murailles108. En Alsace, c’est autour des localités fortifiées que les sites désertés sont les plus nombreux : Ingwiller, Soutch, Sainte-Croix, Eguisheim, Ammerschwihr qui recueillirent la population des paroisses et hameaux voisins étaient des bourgs ou villages fortifiés.
100On peut, en outre, affirmer que parfois les abandons ne furent pas volontaires. A. Humm cite le cas de bourgades qui pour des raisons stratégiques contraignirent les habitants des localités voisines à venir s’établir à l’intérieur de leurs remparts : Sélestat, en 1338, et Soultz-sous-Forêts, en 1346, obtinrent de l’empereur le droit d’obliger les paysans du plat pays à quitter leurs villages et même, dans le cas précis de Sélestat, de détruire un de ces villages109. Le rôle joué par l’insécurité générale, aux deux derniers siècles du Moyen Âge, ne doit donc pas être sous-estimé.
101Reste à savoir pourquoi – en Alsace, au moins – la sécurité revenue, les paysans n’ont pas restauré les villages abandonnés. Faut-il invoquer une tendance à la concentration de l’habitat qui serait un trait permanent des sociétés rurales de l’Est ? Tendance qui répondrait à l’organisation collective du terroir et des travaux110 ou à une mystérieuse attitude psychologique poussant les hommes à se grouper111 ? Il est de fait que les crises des XIVe et XVe siècles aboutirent en Alsace à une concentration accentuée de l’habitat rural ; mais une concentration qui se traduit non pas seulement par l’abandon de hameaux112, mais aussi par l’effacement de véritables villages : c’est assez différent et l’on ne peut se contenter de mettre en cause des tendances psychologiques ou la force contraignante des traditions rurales. Peut-être, en revanche, pourrait-on invoquer la puissance de la communauté paysanne. Elle se manifeste par l’impérialisme de la communauté toujours prête à absorber les terroirs vacants. On a noté l’importance exceptionnelle des communaux en Alsace113 : peut-être prédisposait-elle les villages à recueillir hâtivement les finages des localités abandonnées pour accroître les pâturages ? De toute façon, que le « vieux ban » fût maintenu en culture ou converti en terrain de parcours pour les bestiaux, qu’il restât indivis entre plusieurs communautés ou annexé par une seule, ou encore partagé, cette disparition officielle du terroir avait toutes chances d’empêcher la restauration future du village lui-même. L’annexion du ban entérinait prématurément la désertion et, par là, la rendait définitive. On a donc affaire sans doute dans l’Alsace des XIVe et XVe siècles, comme ailleurs et comme en d’autres temps, à un processus de concentration foncière ; mis en œuvre ici non par un rassembleur individuel, mais par une collectivité : la communauté rurale.
102La Lorraine connaît-elle une évolution du même type que l’Alsace et l’Allemagne ? Notre documentation, réduite, en l’absence de travaux sur les destructions et la crise de la fin du Moyen Âge, à quelques sondages dans les archives de la Meuse et aux dictionnaires topographiques départementaux, ne nous permet pas de l’affirmer. Seul le dictionnaire de l’ancien département de la Meurthe abonde en mentions de villages disparus ; mais il se risque trop rarement à dater les désertions. Son auteur, Henri Lepage, a, dans un vieil article114, attribué au XVIe siècle et plus précisément à la guerre de Trente Ans, la moitié environ des abandons constatés dans ce département. Nous donnerons plus loin les raisons qui nous font douter de ces attributions115. En fait, de très nombreux villages, d’après les mentions du Dictionnaire topographique, sont attestés pour la dernière fois au XIIIe ou au XIVe siècle ; on a donc l’impression d’un retrait important des habitats à la fin du Moyen Âge. On n’ose avancer des chiffres ; mais la Lorraine impériale semble avoir connu à cette époque les mêmes phénomènes de désertions et de concentration que l’Alsace voisine.
103Dans la région de Metz, les villages détruits ne sont pas inconnus. Les patriciens de Metz rassembleurs de terre sont peut-être responsables de la disparition de quatre ou cinq villages, devenus de simples domaines116. Cependant J. Clercx (« Mémoires sur quelques villages indiqués dans l’histoire de Metz et qui sont maintenant inconnus »)117, tout en affirmant qu’il y a dans la campagne lorraine de nombreux villages disparus, n’en cite qu’un seul : Verchy, mentionné pour la dernière fois en 1328118. Dans un dénombrement de la région messine effectué au début du XVe siècle119 on ne relève qu’un nombre très limité de désertions : sur 160 villages ou « gagnages » (exploitations) énumérés par ce document, 5 seulement ont disparu et ce sont d’infimes localités, des gagnages plutot que des hameaux : Montigny, près de Ay, n’a que 3 feux, Generey et Bourey sont comptés avec Rugy120 pour 3 feux au total, Leirs, disparu, et Maizières, qui existe toujours, sont comptés ensemble pour 37 feux, ce qui ne permet pas d’apprécier l’importance du premier ; enfin Ruppigny est mentionné avec Sainte-Barbe (20 feux au total), mais peut-être s’agit-il d’Épergny, aujourd’hui hameau de Sainte-Barbe121. Il est vrai que la date de ce dénombrement est relativement tardive, mais on sait aussi que de tels documents mentionnent, longtemps après leur abandon, les villages sans habitants, en précisant simplement qu’ils sont déserts.
104En Lorraine occidentale, les comptes des diverses recettes du Barrois, prévôtés de Gondrecourt, Sancy, Souilly, Pierrefitte, Étain, Saint-Mihiel, domaine de Bar… offrent de précieux renseignements sur les dévastations des deux derniers siècles du Moyen Âge. L’inventaire des archives de la Meuse122 a permis de relever les noms de quarante-deux localités détruites ou abandonnées. Dans ce nombre dix semblent avoir disparu, au moins en tant que villages123. Elles appartiennent presque toutes aux prévôtés septentrionales : Étain, Sancy, ou Longuyon. Le sud semble moins touché ; plus exactement la reconstruction y fut complète. Dans le compte de la prévôté de La Chaussée pour 1422 figurent les noms de quarante-neuf villages de la Woëvre méridionale124. L’examen de la carte contemporaine permet de les retrouver tous125.
105De même les Vosges semblent avoir été à peu près épargnées (ou plus rapidement repeuplées). Même sur le versant alsacien, nous l’avons noté, les sites désertés sont presque totalement inconnus126. Les montagnes vosgiennes, et sans doute aussi les forêts et les terres humides de la Woëvre, avaient une population moins dense que les pays environnants : les vides sont moins sensibles dans un réseau plus lâche. Cependant, il est assez surprenant que les pays marécageux et les terroirs difficiles des régions gréseuses ou granitiques n’aient pas été abandonnés. Les Vosges en outre ont été colonisées plus tardivement que les régions environnantes : l’implantation humaine était donc plus fragile, plus susceptible de lâcher prise en présence de difficultés économiques ou d’un appel de main-d’œuvre venu des pays voisins. Mais encore une fois, il faut peut-être incriminer l’indigence de notre information. La descente vers les basses régions qui semble bien établie en Provence nous incite à la prudence. Bornons-nous à souhaiter que les Vosges bénéficient des mêmes recherches attentives que l’Alsace.
Provence : descente des habitats
106Au Sud-Est du royaume de France, mais hors de ses frontières médiévales, la Provence, aux XIVe et XVe siècles, est-elle une terre à désertions de villages ? Les travaux en cours de Georges Duby et de Gabrielle Démians d’Archimbaud127 (qui prépare un pointage nominatif des Wüstungen provençales) apporteront sur ce point des données de base nouvelles et des précisions importantes. Dès maintenant, cependant, et dans l’état présent des recherches, la réponse à une telle question semble affirmative.
107Le livre d’Édouard Baratier128 offre les éléments d’une première statistique encore insuffisante, mais suggestive : celle-ci indique, pour chacune des circonscriptions de la vieille Provence, le nombre des communautés, vivantes en 1305, inhabitées en 1471, vivantes en 1765. Nous en avons tiré le tableau suivant129 :
Circonscription (Baillie ou Viguerie) | Nombre de communautés en 1315 | Dont inhabitées en 1471 | Nombre de communautés en 1765 | Différence 1765-1315 |
Bayons | 27 | 11 | 26 | -1 |
Hyères | 11 | 2 | 11 | 0 |
Toulon | 5 | 1 | 7 | +2 |
Aix | 90 | 22 | 88 | -2 |
Apt | 44 | 20 | 44 | 0 |
Tarascon | 27 | 4 | 26 | -1 |
Saint-Maximin | 17 | 3 | 16 | -1 |
Colmars | 4 | 0 | 4 | 0 |
Seyne | 12 | 11 | -1 | |
Moustiers | 30 ou 31 | 9 | 27 | -3 ou 4 |
Forcalquier | 58 | 16 | 54 | -4 |
Sisteron | 52 | 8 | 49 | -3 |
Brignoles | 18 | 3 | 16 | -2 |
Grasse | 43 | 14 | 35 | -8 |
Draguignan | 65 | 25 | 53 | -12 |
Castellane | 44 | 16 | 35 | -9 |
Digne | 68 | 19 | 35 | -33 |
Val de Barrême | 10 | 4 | 6 | -4 |
TOTAUX | 625 | 177 | 543 | -82 ou 83 |
108Un second tableau synthétise les résultats précédents : il permet de distinguer nettement entre deux groupes de vigueries et baillies : un groupe A, très éprouvé par les disparitions ; et un groupe B, qui l’est beaucoup moins :
Nombre total de communautés en 1315 | Dont inhabitées en 1471 | Dont disparues en 1765 | |
A. Baillies ou vigueries fortement affectées par les disparitions de communautés (Grasse, Draguignan, Castellane, Digne, Val de Barrême) | 230 | 78 soit 34 % | 65 soit 28 % |
B. Autres baillies ou vigueries | 395 ou 396 | 99 soit 25 % | 16 ou 17 soit 4 % |
109Ces deux tableaux constituent seulement une première approximation : certaines des « disparitions » qu’ils indiquent peuvent en effet signifier des rattachements administratifs de communautés, déchues au rang de hameaux-satellites. Mais d’autres correspondent bien à des désertions effectives : et, dans l’ensemble, les deux tableaux ont le mérite de suggérer une localisation massive des Wüstungen provençales. Celles-ci se produisent un peu partout ; elles interviennent aussi, en petit nombre, dans le bas-pays ; mais pour l’essentiel, elles concernent les régions montagneuses de l’est, la Provence orientale ou Haute-Provence. Et dans celle-ci : d’une part, les montagnes littorales et sublittorales, Estérel, Maures, et Alpes maritimes – vigueries de Grasse et de Draguignan, où 19 communautés sur 107 disparaissent des listes entre le XIVe siècle et le XVIIIe siècle. D’autre part, et surtout, plus en retrait vers le nord, le haut-pays de l’intérieur, entre le massif du Mercantour, les monts de Lure et le plateau de Valensole : dans les vigueries de Castellane et de Digne, et dans le Val de Barrême, la proportion d’usure des villages, entre 1315 et 1765, atteint 45 communautés sur 121, soit 37 %, taux le plus fort que nous ayons rencontré sur l’actuel territoire de la France ; un tel pourcentage approcherait en effet des proportions atteintes par les Wüstungen allemandes.
110Le tableau peut également servir à suggérer une chronologie. C’est en effet dans le groupe A, le plus sinistré dans la très longue durée (XIVe-XVIIIe siècle), qu’on rencontrait dès 1471 le pourcentage maximum (34 %) de lieux totalement inhabités, après les pestes et les destructions du fait de guerre de la période 1330-1450. Les autres régions (groupe B), et notamment la Basse-Provence, Arles, Aix ou Marseille, furent beaucoup moins ravagées par ces crises (qui sont contemporaines des épisodes de la guerre de Cent Ans dans la France voisine) ; dans le groupe B, 25 % seulement des localités sont inhabitées en 1471 ; un quart, au lieu d’un tiers en zone A.
111Beaucoup – la majorité – de ces « lieux inhabités », en A ou en B, refleuriront après 1471. Néanmoins, ces ravages du XVe siècle laisseront des traces indélébiles ; ou bien ils déclencheront certains processus de stérilisation irréversible : car la zone A est la plus sinistrée à la fin du Moyen Âge ; mais c’est elle aussi qui comptera, en 1765, le maximum de disparitions définitives (28 %, au lieu de 4 % dans le groupe B).
112Tout comme ces statistiques massives, cinq monographies affirmeront, pour la Provence, le caractère traumatique de certains épisodes, aux XIVe et XVe siècles. Cinq monographies, cinq noms de villages perdus : Saint-Geniès, Montégut, Beauvillar, Château-Royal, Rougiers…
113Dans le bas-pays, Saint-Geniès130 était, depuis le Xe siècle au moins, l’un des prieurés de l’abbaye de Montmajour. Situé sur les collines qui bordent, au sud, les rives de l’étang de Caronte, ce castrum, sis à mipente, comptait d’après un registre de reconnaissance de 1308, 173 maisons : donc, près d’un millier d’habitants. Le village et les hameaux voisins, Jonquières – port de pêche au bord de l’étang – Maneguète, et La Couronne, avaient respectivement 93, 76 et 32 maisons.
114Saint-Geniès même avait un rempart, percé d’une grande porte (portale), un faubourg (barri), une rue importante ; les censitaires y étaient tous résidents et villageois ; ils possédaient chacun une ou deux maisons ; deux d’entre eux seulement, plus riches, avaient par tête quatre maisons. On ne trouvait pas de grande propriété foraine. Il s’agissait donc d’un habitat groupé égalitaire, assez typique du Midi méditerranéen. Dans le terroir, autour de l’enceinte, s’étendait un paysage de polyculture classique : 136 terres à grain, 50 vignes, 58 jardins étaient recensés, l’an 1308, aux reconnaissances de Saint-Geniès.
115Un siècle plus tard (1408), un cadastre permet de mesurer le déclin.
116À cette date, les villageois de l’étang de Caronte et des coteaux voisins ont subi, comme le reste de la région, l’assaut des malheurs provençaux. Et d’abord celui des épidémies de peste, à commencer, bien sûr, par celle, affreusement meurtrière, de 1348 (il n’est plus possible, depuis les travaux de Baratier, Prat, Vilar, Wolff, de minimiser la mortalité de la Peste noire, au moins pour l’ensemble Provence-Languedoc-Catalogne : la pandémie de 1348, dans cette zone du golfe du Lion, est bien l’événement décisif, qui rend catastrophique la récession démographique)131.
117À ces pestes, il faut joindre – sans qu’on puisse mesurer exactement les parts d’influence, et les causalités réciproques – les difficultés économiques, sensibles à Marseille dès avant 1348132 ; et les violences militaires : pillages des routiers, guerres civiles des Angevins et des princes de Duras, atrocités de Raymond de Turenne133.
118De tout cela, ont pâti Jonquières et surtout les localités voisines. Sur les quatre habitats, castrum, village et hameaux, recensés en 1308, trois (Saint-Geniès, Maneguète, La Couronne) ont disparu, sont totalement effacés en 1418. La perte de Saint-Geniès est particulièrement lourde : de ce bourg d’un millier d’habitants, il ne restera qu’un nom de lieu-dit, marquant un replat désert à flanc de coteau.
119Que s’est-il passé ? Très précisément, nous l’ignorons. Mais les documents font connaître le contexte général de la désertion. Il tient en quelques mots :
régression démographique : la population globale des quatre habitats de 1308, réduits à un seul en 1418, est tombée de 3 500 habitants à 1 200 ;
concentration du peuplement : pour des raisons de sécurité, Jonquières, où sont venus s’entasser les survivants des trois autres habitats et leur descendance, augmente sa population et passe de 850 à 1 200 habitants. À l’intention de ces habitants en surnombre, on a construit un four neuf. Et Jonquières (qui était encore ville ouverte en 1308) possède maintenant une muraille, non sur l’étang, mais du côté de la terre, en 1418 ;
descente de l’habitat, qui dissimule, en fait, l’abandon des terres marginales du coteau : le site perché (Saint-Geniès) a en effet été délaissé pour la ville basse (Jonquières). Et en même temps, terres incultes, garrigues et friches ont étendu leur emprise sur les collines ; tandis que le vignoble, fortement rétréci, s’est concentré avec les emblavures, dans les bonnes terres de la plaine, où se construisent, dès 1418, quelques mas isolés.
120L’évolution du complexe Saint-Geniès-Jonquières est-elle exemplaire ? Dans la région de Manosque en tout cas, le site perché de Montégut, tarn castrum quam uilla, est signalé en 1411 comme totalement détruit et abandonné depuis trente ans134. On n’y trouve plus « ni homme, ni femme, ni coq, ni poule » ; et ce Montégut-là, comme quelques autres, ne revivra plus jamais.
121Dans l’extrémité nord de cette Haute-Provence, qui fut tellement sinistrée par les désertions, on rencontrait, l’une près de l’autre, en 1316-1329, deux bourgades : Seyne (320 feux) et Beauvillar (88 feux). En 1471, lors du recensement des « allumant feux », plus trace de Beauvillar135. Que s’est-il passé ?
122Des érudits locaux ont tenté de débrouiller cette énigme136. Beauvillar, déjà mentionné au XIIe siècle, s’étageait en gradins, à flanc de coteau, au-dessus de la plaine et rivière de Blanche : on y comptait trois seigneurs (en 1146) ; 80 maisons ou cabanes ; un notaire y fonctionnait en 1385 ; mais ce petit groupe humain est victime, dans le demi-siècle qui suit, de l’habituel complexe : dépopulation plus catastrophe.
123Dépopulation : elle est telle, qu’au terme d’une série de décisions administratives (1414-1437), ce village, rétrogradé au rang de hameau, est uni, par le roi René, à la communauté de Seyne.
124Quant à l’épisode catastrophique, il aurait revêtu, à Beauvillar, une forme extraordinaire, du moins si l’on se fie au récit qu’en a fait – sans références d’archives, hélas – l’abbé Albert, historien du diocèse d’Embrun. Le récit est-il révélateur de certaines mentalités ? Celles-ci en tout cas respecteraient bien peu (comme on le verra aussi, plus tard, par l’exemple de Versailles, et par la répression des Camisards) les habitats paysans.
125Les faits seraient les suivants : Beauvillar et Seyne ne s’aimaient pas, raconte, d’après des sources qu’il ne cite pas, l’abbé Albert. Les deux « villes » se disputaient à qui élirait les consuls de la nouvelle communauté « jumelée ». Aux élections du 1er janvier 1446, les gens de Beauvillar et Seyne en vinrent aux mains ; le sang coula. Le pouvoir se saisit de l’affaire ; et « la Cour » reconnaissant que les habitants de Beauvillar étaient les agresseurs rendit un arrêt terrible par lequel ils devaient être expulsés de leur pays, et leurs maisons rasées137…
126Que vaut cette histoire ? Nous l’ignorons. Mais une chose est certaine : Beauvillar, d’après un cadastre de Seyne, était en effet disparu vers 1450. En 1880, J. Delmas ne trouvera sur le site, au nom significatif de Villevieille, que des bois de petits chênes mêlés à des pommiers sauvages, des pans de murs, avec quelques débris de céramique, des pierres à aiguiser, des calels (lampes à huile). Une tradition veut que les expulsés soient allés s’installer sur les bords de la Méditerranée, et qu’ils aient fait ainsi, à leur façon, de la « descente d’habitat ».
127Château-Royal138 était en 1315-1316 un village fortifié, perché, qui comptait 22 « feux de queste » (une centaine d’habitants, au bas mot) ; en 1471, les désastres y ont fait place nette : le site est totalement inhabité. En 1540 encore, Château-Royal est désert, détruit, dirrupt. Mais un fait nouveau s’est produit : des hommes sont revenus s’installer, beaucoup plus bas ; car, disent-ils aux enquêteurs, le vieux « castrum est ault et malaisé, les hommes se sont habités en bas et appellent les dites habitations Carnolles ». Ce jeune village qui remplace ainsi l’ancien nid d’aigle est promis au plus bel avenir : de 60 maisons en 1540, il passe à 160 ou 170 aux XVIIe et XVIIIe siècles139.
128Dans ce cas, le mécanisme de la désertion est parfaitement clair. La crise des années 1350-1400 a été le catalyseur qui, dès la Renaissance, fait passer d’un habitat de coteau ou de piton à un habitat de plaine ou de vallée.
129Le même glissement plus étalé dans le temps s’est produit à Rougiers140 : là vécut, du XIe au XIVe siècle, un château avec donjon et tour ronde, au pied duquel s’abritait un village fortifié ; pauvre groupement, où les paysans vivaient dans de petites maisons tassées, rustiques, littéralement posées sur des rochers rugueux et boursouflés, que leurs constructeurs avaient négligé d’aplanir et d’équarrir. Entre 1315 et 1471, Rougiers perd ses habitants pour plus de la moitié ; et quand le peuplement augmente à nouveau, à la Renaissance, c’est dans un site beaucoup plus bas qu’il s’installe, au village qui porte actuellement le nom de Rougiers. L’ancien groupement perché, château et village, est délaissé141.
130Les cinq cas que nous venons de présenter – grâce aux travaux des érudits d’autrefois, ou des chercheurs modernes – révèlent certaines tendances, qui semblent communes aux désertions les plus précisément connues. Trouvent-elles appui dans ce que nous savons de l’histoire agraire provençale, aux XIVe-XVe siècles, et plus largement du XIVe au XVIIIe siècle ?
131Il semble que la réponse soit positive : les tendances qui se sont fait jour, dans le Sud-Est actuel de la France, et spécialement en Haute-Provence, de 1350 à 1750, n’ont pas été favorables à une implantation solide des habitats traditionnels.
132Ce sont notamment :
1331) La descente progressive du peuplement : ce n’est pas seulement à Rougiers que le choc des pestes a servi de catalyseur ; dès le XVe siècle, une évolution différentielle est perceptible, dans la géographie générale des populations de Provence. Les hauts plateaux des Préalpes du Sud perdent les trois quarts de leur population de 1315 à 1471, alors que la Basse-Provence centrale baisse seulement de 30 à 50 %. Et la reconstruction elle-même accentuera ce déséquilibre, et soulignera la descente déjà irrémédiable du peuplement, attiré par les pôles de croissance modernes du bas-pays : Marseille, Toulon, Nice, Aix, Arles, Tarascon. La Haute-Provence, qui possédait, surpeuplée, 43 % des feux provençaux en 1315, n’en comptera plus que 23 % en 1765. Ce reflux démographique compromet évidemment la résurrection d’un certain nombre de villages hauts-provençaux, morts de mort violente aux XIVe ou XVe siècles, et qui sont incapables – faute d’un minimum de candidats à la résidence – de renaître aux siècles suivants.
1342) La multiplication des bastides (équivalentes aux fermes isolées du Nord), qui tend à disperser l’habitat villageois, et parfois à dévitaliser complètement son noyau central, lors de la reconstruction des Temps modernes. En 1471, en 1540 surtout, les enquêteurs trouvent souvent l’habitat médiéval – tours éventrées, maisons en ruines, et remparts crevés – encore dirrupt et inhabité. Mais tout autour du vieux site mort, ils notent la floraison d’un habitat dispersé : bastides céréalières ou bien dans les zones d’élevage prédominant, « granges à tenir bétail », dont les transhumants, proches ou lointains, feignent parfois d’ignorer qu’ils occupent indûment le terroir d’un ancien village ; ainsi à L’Esperel, Aurent, Aubenas, Beaudument, Niozelles, Troins, Chandol, Saumelongue, Bezaudun, Favas142.
135Les désertions provençales, aussi importantes en nombre que les désertions alsaciennes, se traduisent donc par une évolution inverse du dispositif de l’habitat : dans la plaine d’Alsace les crises du bas Moyen Âge laissent un paysage nettoyé des habitats les plus petits, dans lequel s’affirme la concentration des hommes en gros centres ruraux ; au contraire dans les monts de Provence, ces crises contribuent puissamment à l’éclatement des vieux bourgs, en bâtiments isolés et dispersés : considéré région par région, le phénomène des Wüstungen des XIVe et XVe siècles n’offre donc pas – en dépit de son unité originelle – d’uniformité dans ses manifestations, pas plus qu’il n’en présente en volume ou en intensité.
1363) La concentration spontanée en gros domaines, qui se sont installés vers 1450-1550, à la place d’habitats paysans vidés par les crises. Ainsi à Pontevès (63 feux au total, en 1315-1316 ; lieu inhabité en 1471), il n’y a toujours pas de village en 1540143 ; mais le seigneur, seul occupant, y a construit une bastide ; il a des métayers pour le grain, produit en abondance ; en outre, ce seigneur possède un « pasturage fort bon, et aussi grand bouscage où il y a beau glandage » ; il y nourrit « un grand troupeau de porceaux lesquels lui valent chaque année mille florins et plus ».
137Même monopole seigneurial à Cadarache, inhabité en 1379144, et où, en 1540 :
Il n’y a dans le lieu autre habitant que le chasteau où demeurent les serviteurs du rentier (fermier), et non aultre ; le terroir peut contenir environ… de long et demye de large, et n’y a de cultivé environ une lieue que le 8e partie ; le demeurant est tout bois et y a bon pasturaige. Tout lequel terroir appartient au seigneur, qui peut en avoir de rente 850 florins145.
138Mais n’exagérons pas ces phénomènes. Malgré certaines analogies, on est très loin, même dans ces cas, de l’extrémisme des seigneurs anglais qui, au temps de la guerre des Deux-Roses, chassent les paysans de leurs terres. Le seigneur provençal de Pontevès ou Cadarache, comme le seigneur languedocien de Coussergues146, se borne, lui, à prendre acte de l’absence des paysans, et à occuper leur terroir vacant. Et cette disparition de l’ancien village, elle-même, n’est pas toujours définitive. À Coussergues, à Cadarache, elle est sans remède jusqu’au XIXe siècle ; Pontevès en revanche refleurira aux XVIIe et XVIIIe siècles, à l’ombre du grand domaine qui, quelque temps, fut seul à porter son nom147.
1394) L’influence croissante de l’élevage, au déclin du Moyen Âge, et à l’orée des Temps modernes. Dès 1246, les pacages s’installent sur des castra détruits, en Haute-Provence148 ; et la baillie de Digne, qui sera tellement sinistrée par les disparitions de communautés, est victime, dès 1300-1350, des abus de la transhumance149. La surcharge pastorale aboutit, en 1319, à la disparition momentanée du village d’Entrepierres150.
140Dans la seconde moitié du XVe siècle, les diverses transhumances, invasions cycliques des troupeaux étrangers, prennent un très vif essor, et la région comprise entre la mer, le Var et le Verdon, dès 1471, compte bien davantage d’ovins et de caprins que l’I.N.S.E.E. n’en recensera en 1956151.
141Un tel essor est le produit, paradoxal, de la dépopulation qui s’achève, et de la Renaissance qui débute. Mais quel qu’il soit, il tend à compromettre l’équilibre fragile des sols de montagne ; et il consolide définitivement certaines désertions, qui, sans cette transhumance impérialiste, n’auraient été que transitoires. Fait frappant : les zones où le dépeuplement semble irrémédiable, ou bien celles où les villages évanouis, jadis groupés, ne reviennent à la vie, vers 1540, qu’après une sorte d’éclatement, sous forme de bastides ou granges à bétail dispersées, correspondent précisément aux grandes aires d’estivage (Digne, Méailles), ou d’hivernage (Pontevès), ou de relargage152 du bétail transhumant ; on trouve des pâturages relarguiers autour de Digne, Entrevaux, Castellane153.
142La comparaison s’impose, évidemment, avec l’Espagne de la Meseta, et avec l’Angleterre des « moutons mangeurs » d’hommes. Mais il ne faut pas pousser trop loin cette comparaison. Georges Duby a nuancé raisonnablement les thèses de Thérèse Sclafert. Le triomphe de la laine, en Haute-Provence, au XVe siècle finissant, est loin d’être aussi total qu’il l’est dans certains lost villages des Midlands. Car le blé, dans les Alpes du Sud, gardera longtemps une importance décisive : à preuve, entre autres, le très grand nombre des bovins, bêtes aratoires, en 1471, dans la région comprise entre Grasse, Castellane, et Puget-Théniers154. Une telle permanence des céréales implique l’accrochage au sol d’une population paysanne, qui, même réduite, ne saurait être expulsée, ni remplacée purement et simplement par des bergers : ce paysannat est un élément de stabilité, qui limite l’ampleur des désertions.
1435) L’inaptitude de la Haute-Provence à une politique du bois ; inaptitude qui s’explique par la fragilité climatique des sols, mais aussi par l’impuissance des autorités, face aux empiétements des usagers de la forêt.
144L’histoire forestière des Alpes du Sud, depuis le XIIIe siècle, est marquée par des phases alternées de reboisement et déboisement, qui correspondent, très grossièrement, aux oscillations majeures de la démographie paysanne.
145Que les désertions villageoises du XVe siècle s’accompagnent de certains épisodes de reboisement, c’est certain : les visites prieurales des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, en 1411, 1429 (commanderies de Manosque, de Comps)155, indiquent bien qu’un peu partout, des pasturages, mais aussi des glandages oblitèrent les parcelles abandonnées ; qu’il étouffent les anciens vignobles, cernent les moulins et les castra détruits, recouvrent les emblavures défuntes. La période 1350-1450, qui voit mourir tant d’habitats, est marquée en Provence par une offensive de la vieille chênaie-climax, forêt d’yeuse ou de rouvre, chênaie verte ou chênaie blanche. Un terroir comme celui de Champourcin, abandonné en 1471, à peine réoccupé en 1765, est encore tout en bois et en rouchiers, avec quelques prairies seulement, au début du XVIe siècle156.
146Survient la renaissance économique : le déboisement inévitable qui l’accompagne n’est pas effectué de façon rationnelle et limitée (comme il l’est au contraire dans la région parisienne : où, en dépit de fluctuations marginales, les massifs forestiers restent intacts, du XIIIe siècle au XIXe siècle)157. Les forêts provençales, à partir du XVIe siècle, sont saignées à blanc, détruites sans pitié par la dent des chèvres, par les industries du bois, par les chercheurs d’écorce à tan, par les artisans des fours à chaux et des meules charbonnières ; et à la place de ces massifs d’arbres ruinés, s’installent, non pas de bonnes emblavures, mais un terroir stérilisé, brûlé, la terre gaste, à peine trouée de temps à autre par les essarts momentanés des rompides.
147Ce déboisement prédatif d’humus détruit un capital foncier sans en créer aucun autre en contrepartie : il contribue sans nul doute à expliquer la déchéance démographique de très longue durée, « interséculaire », des hautes régions montagneuses et rocailleuses de Provence ; au point extrême atteint par cette déchéance, intervient l’abandon définitif de certains sites…
148En somme la désertion des villages, en Provence, pourrait, provisoirement du moins, se résumer dans le schéma suivant : au XVe siècle, les divers traumatismes infligés par les pestes et les guerres laissent sans vie 177 villages provençaux. Ceux-ci en très grand nombre renaissent dans la période suivante. Mais les nouvelles tendances longues, après 1470-1500 – descente du peuplement, dispersion de l’habitat, prédominance momentanée des gros domaines, essor de l’élevage transhumant, mobilité des forêts fragiles – sont incompatibles avec la renaissance intégrale de tous les villages désertés : et parmi ceux-ci, certains, du fait précisément de ces nouvelles tendances, sont spécialement mal situés, peu engageants, ou trop exposés. Ils sont incapables de ressusciter ; et leurs cadavres restent sur le terrain, au milieu de la renaissance générale.
Artois : les ravages de la guerre
149A. Humm écrit, dans son introduction aux Villages disparus de Basse-Alsace : « On ignore le plus souvent l’époque précise de l’abandon mais quand on la connaît, c’est presque toujours les XIVe et XVe siècles ». C’est vrai (en partie seulement) pour l’Alsace. Ce ne l’est plus pour d’autres provinces françaises. Il est certes pratiquement impossible d’établir une chronologie des désertions pour la France entière. Nous ne possédons d’éléments statistiques de datation en nombre suffisant que pour l’Artois (plus exactement le département du Pas-de-Calais) et trois départements champenois. Le tableau ci-contre institue donc une comparaison chronologique entre ces provinces d’une part, l’Alsace de l’autre et il établit clairement par contraste avec la tendance « germano-alsacienne » deux faits, valables pour Champagne et Artois :
les désertions antérieures aux épisodes de la guerre de Cent Ans y sont importantes ;
les abandons des trois derniers siècles de l’Ancien Régime l’emportent en nombre sur ceux des XIVe et XVe siècles.
150Pour l’Artois (y compris le Boulonnais, le Calaisis et la région de Montreuil) les documents utilisés par le comte de Loisne158, essentiellement les chartes des abbayes, les cartulaires de Saint-Vaast, de Saint-Bertin la chronique d’Andres, etc., attestent la disparition d’un assez grand nombre de villages bien avant le début du XIVe siècle. De même, des documents assez complets, comme les listes des coutumiers d’Artois du XVIe siècle, les miniatures du duc de Croÿ, le mémoire de l’intendant Bignon (1698), les Coutumes générales d’Artois d’Adrien Maillart (1739) ainsi que la carte de Danckert et celle de Cassini159 permettent d’affirmer la survie, aux XVIe ou XVIIIe siècles, d’une autre série de villages qui ont cependant fini par disparaître. Reste environ une trentaine de villages dont la désertion au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge est certaine ou au moins vraisemblable (cf. tableau ci-après).
151Par ailleurs, une remarquable étude sur la démographie de l’Artois, au temps de la domination bourguignonne, permet de prendre la mesure de la crise des XIVe et XVe siècles dans cette province160.
152Des documents exploités, les plus importants encadrent bien la période : ce sont d’une part un terrier du domaine d’Artois de 1299, et le rôle du cinquantième de 1296-1299, d’autre part les dénombrements de 1469 et 1475161, les premiers couvrant, malheureusement, une région moins large que les deux derniers. De plus des documents de date intermédiaire, comme le dénombrement de 1414 et, pour quelques villages seulement, les comptes du « gavenne » et de l’« assise », permettent de serrer d’assez près l’évolution démographique de l’Artois ; pas assez larges ni précis pour qu’on puisse tracer une courbe démographique, ils indiquent au moins des tendances, des fluctuations162.
153Le niveau le plus bas semble se situer vers 1385, après quoi on constate un relèvement à la fin du XIVe siècle165, relèvement compromis par un retour de peste au début du XVe siècle (1399-1406). Entre les deux dénombrements de 1414 et de 1469, il y aurait ensuite un accroissement de l’ordre de 42 % (1 125 feux en 1414 contre 1 602 en 1469, pour 52 localités). Mais les chiffres de 1414 sont assez suspects : le dénombrement fut effectué dans une période de troubles et à un moment où une partie de la population s’était enfuie. On peut néanmoins affirmer une nette reprise démographique entre les deux dates. Vers 1456-1460, Philippe le Bon ordonna un « recollement des aides » ; le résultat du dénombrement est perdu (le registre fut sans doute détruit avec tous ceux de la série H du dépôt d’Arras en 1915) mais on sait que les commissaires proposaient de répartir l’aide de 8 228 livres à raison de 6 sols 3 deniers par feu : cela suppose un chiffre de 26 330 feux imposables166. Or le dénombrement de 1469 donne un total de 28 750 feux imposables : dans la décennie 1460-1470, il y aurait donc une augmentation de 9 %. Ces années 1460-1470 sont d’ailleurs parmi les plus heureuses du siècle, « c’est l’époque où le chroniqueur Jacques du Clercq s’étonne du nombre peu commun de mariages ». Entre 1469 et 1475, la progression se confirme quoiqu’un peu ralentie : la comparaison ici est possible pour 110 villages qui comptaient en 1469 3 764 feux et 3 901 en 1475, soit un accroissement de 3,6 %.
154Néanmoins, malgré la remontée démographique du XVe siècle, et de la période bourguignonne dans son ensemble, les vides créés au siècle précédent sont loin d’être comblés et, dans l’optique particulière de notre sujet, c’est là ce qui importe. Entre 1299 et 1469, la comparaison est possible pour 31 villages qui comptaient 2 067 feux à la fin du XIIIe siècle et seulement 1 149 en 1469. Ces chiffres naturellement demeurent incertains ; il n’est pas de document statistique médiéval à qui on puisse se fier totalement. Dans leur brutalité, ils attestent quand même une dépopulation catastrophique.
155Pourtant, on a jusqu’ici contesté l’ampleur de la crise démographique en Artois167. La gravité des épidémies, en particulier, a été mise en doute168. En fait, il est difficile d’apprécier ce qui, dans la crise, revient à la peste de ce qu’il faut attribuer à la guerre ou à la famine. Il est possible que l’Artois ait été relativement épargné par la Peste noire de 1348 ; mais les retours de peste de 1400, 1405, 1438, 1450, furent certainement meurtriers169 ; ils justifièrent de fréquentes remises ou allégements d’impôts.
156La famine n’aurait joué, elle aussi, qu’un rôle restreint. Cela semble mieux établi, au moins pour le XVe siècle. Au XIVe siècle, la production agricole fléchit sévèrement dès 1332, surtout dans les années 1340-1342 ; elle reste basse jusque vers 1370 ; après quoi, la situation se rétablit progressivement170. Au XVe siècle, les blés sont, dans l’ensemble, à bas prix, sauf en 1437-1438 où ils quadruplent brusquement ; mais il s’agit seulement d’une crise « cyclique » ; le mouvement séculaire des prix reste orienté vers une baisse profonde.
157Certaines analyses de W. Abel s’appliquent donc bien : les éléments d’une crise agricole de longue durée, par défaillance du revenu (bas prix), sont réunis en Artois.
158Cette crise pourtant n’entraîne pas (comme elle fait en Allemagne) l’émigration vers les villes. En fait, la population urbaine d’Artois a diminué, en proportion, davantage que celle du plat pays ; et au cours du XVe siècle, les villes les plus importantes, Arras et Saint-Omer, continuent de se dépeupler alors même que la population rurale est en accroissement.
159Déclin différentiel, imputable au marasme des cités artésiennes, lors des XIVe-XVe siècles. La draperie depuis la fin du XIIIe siècle produit moins et vend peu. La perte de l’étape des laines a mis un terme à la prospérité de Saint-Omer. Les villes drapantes ont à lutter contre la concurrence de l’industrie rurale et elles souffrent de l’introduction des draps anglais : elles tentent de résister au déclin par de sévères mesures de protectionnisme mais finissent par appeler les marchands étrangers à s’installer chez elles171. Arras, pourtant, sait se tourner vers une autre activité en développant l’industrie de luxe de la tapisserie. Mais, née au début du XIVe siècle, la tapisserie arrageoise, malgré sa réputation, est déjà en déclin au XVe siècle et les ouvriers partent vers les centres du Brabant et du Hainaut.
160On voit mal, dans ces conditions, comment les villes d’Artois pourraient attirer la main-d’œuvre rurale. Les recherches d’André Bocquet sur les déplacements de population ne lui ont pas permis de déceler une véritable émigration paysanne vers les villes : il a au contraire constaté une tendance au départ chez les habitants des villes. Quant aux migrations proprement rurales, elles se font plutôt de village à village sans qu’on puisse apercevoir de grandes directions, ni discerner des zones de répulsion ou d’appel : l’impression qui domine est celle d’un mouvement tourbillonnaire, « brownien ».
161L’émigration n’est donc pas responsable de la dépopulation de l’Artois ; en réalité il faut incriminer, en plus des fléaux habituels (peste, accessoirement famine, crise agricole), les classiques ravages de la guerre. Sur ce point encore, le scepticisme est fréquent. Mais les faits parlent : la guerre en Artois (comme en Guyenne) a commencé avec les campagnes de Philippe le Bel : elles ont amené la ruine de 80 villages dans les bailliages de Lens et de Béthune ; l’Artois s’est trouvé ensuite sur le passage de toutes les chevauchées anglaises partant de Calais ou y aboutissant ; enfin la guerre de Cent Ans s’est prolongée dans la province par les luttes de la France contre la Maison de Bourgogne et, presque sans interruption, par les guerres contre la Maison d’Autriche. Quant à l’alliance anglo-bourguignonne, au XVe siècle, elle n’a pas protégé l’Artois au-delà de 1435, date du traité d’Arras.
162Les ravages de la guerre ont été de fait, considérables. La région la plus dévastée – le père Denifle l’avait déjà souligné172 – fut sans aucun doute le Calaisis et les pays environnants, Ardrésis, comté de Guînes, Brédenarde, pays de Langle et le nord du bailliage de Saint-Omer. C’est aussi dans cette zone que se situent les désertions les plus nombreuses et les mieux attestées des XIVe et XVe siècles.
163Après la campagne de Crécy et de Calais (1346), et la chevauchée du duc de Lancastre en 1369 qui conduit Anglais et Flamands à Guînes, Ardres, Boulogne, Thérouanne et jusqu’à Aire-sur-la-Lys, les Anglais s’établissent solidement dans le Calaisis et de là mènent, dans l’auréole de châtellenies et de petits pays qui l’entourent, d’incessantes opérations de pillage. En 1370, la baillie de Tournehem affirme que les pays de sa circonscription « sont demeurés et demeurent wastes et ne y porta on riens avoir, les dictes guerres durans, pour ce que nulz ne oze reparer ne habiter »173. Dans le pays de Langle, les canaux n’ont pas été entretenus : les terres ont été inondées et les biens que possède l’abbaye de Blendecques dans cette région n’ont absolument rien apporté et « il n’est aucune apparance ne espérance, veu l’estat du lieu que ledit monastère se puis jamays remettre car il est tout désolé »174 (fin du XIVe siècle). Le compte de la recette du pays de Langle de 1438-1439 signale que les rentes n’ont pu être perçues « pour ce qu’il n’y demeure personne, pour les Engloix qui marchissent audit pays et y courent de jour en jour » ; et encore : « les terres sont demourées gastes et n’a esté personne qui les ait volu cultiver ne labourer et meismement les gens dudit pays se sont absentez d’icelle et n’y a demouré que povres femmes »175.
164Dans le nord de l’actuel département du Pas-de-Calais, qui correspond à cette zone soumise aux entreprises des Anglais, quinze villages ont disparu aux XIVe et XVe siècles. Une seule paroisse toutefois parmi eux : Markene, près de Guînes, mentionnée comme paroisse du diocèse de Thérouanne dès 1166, figurant encore dans le rôle des décimes de 1372 et dans le pouillé du XVe siècle (sans doute dès cette époque, le nom survit-il seul ?) mais qu’on ne voit pas sur le plan anglais de 1556. Le hameau de Bonham disparut à fin du XIVe siècle, en même temps que l’abbaye autour de laquelle il s’était formé176. Un autre hameau, Édequines177 (près de Wizernes) mentionné encore en 1414 n’existe plus en 1547 : à cette date un procès-verbal parle du lieu « où fut le village d’Édequines ». Ernonval ou Arnonval, près de Thérouanne, est en 1475 « ville inhabitée et totalement destruite passe à l’espace de 28 à 30 ans »178. Au XVIe siècle, ce n’est plus que le nom d’une ferme et d’un fief. Enfin Hébergues, petit village mentionné pour la dernière fois au début du XIVe siècle, vit son terroir abandonné et repris par la forêt : c’est un des rares cas de terroir définitivement abandonné que nous ayons rencontré en France179. Pour les dix autres hameaux abandonnés, leur disparition aux XIVe et XVe siècles ne constitue qu’une présomption. Mieux : pour les trois hameaux disparus aux portes de Boulogne-sur-Mer (Beaumont, Caieu, Dringhen) il n’est même pas tout à fait sûr qu’ils aient jamais été autre chose que des fermes isolées.
165Peut-être aussi faut-il ajouter à cette liste cinq villages du Calaisis qui figurent pour la dernière fois dans le plan ou le terrier anglais de 1556. Cette chronologie peut paraître paradoxale, puisque ces documents confirment leur existence au milieu du XVIe siècle ; mais à cette époque, ils semblaient en général mal en point. La paroisse de Boderickes180 était en 1556, attachée à celle de Coquelles. Celles de Sclives et d’Espellecke181, si elles existaient encore en 1556, ne furent plus mentionnées lors de la constitution du diocèse de Boulogne en 1566. Il est vraisemblable que ces trois villages ainsi que les hameaux de Bowere et de Dirlingthun182 furent sérieusement traumatisés au XVe siècle et achevèrent de disparaître au siècle suivant.
166On ne rencontre pas de disparition aussi importantes dans le reste de l’Artois : les paroisses disparues, surtout, sont exceptionnelles. Pourtant, si le comté de Saint-Pol semble avoir été à peu près épargné, tous les bailliages méridionaux eurent à souffrir de la guerre. Au début du règne du duc Philippe le Hardi, 58 héritages sont sans possesseur à Béthune et dans six villages voisins, une quarantaine dans treize villages de la région de Bapaume. Une redevance appelée « le gaule », perçue dans les villages environnant Arras, ne rapporte presque rien parce que le plat pays est « presque tout desert et gaste, les heritages et terres qui doivent le dit gaule, mis en reuine et le peuple escachié, amenrizet »183. Les dévastations du XVe siècle sont mieux connues. Elles reviennent si fréquemment dans les comptes qu’on ne peut les énumérer toutes. Après l’invasion française de 1414, suivie d’un retour de peste, Hamel et Beaumetz-lès-Loges, « arsez et destruittes au Siège d’Arras », demeurent en ruines. Dans les bailliages de Lens et de Béthune, 52 villages sont déserts en 1414184 ; sur 1 142 feux que compte habituellement la région, on n’en relève plus que 872 en avril 1414, 684 en mai, 179 en juin (ce n’est pas tant la mort qui a dépeuplé la région, qu’un exode rapide devant l’approche des armées de Charles VI).
167En 1437, Talbot incendie une quinzaine de villages proches d’Hesdin et sept demeurent longtemps totalement abandonnés. Parmi ceux-ci, un ne se relèvera pas : il s’agit de Cressonnières, près de Frevent, à vrai dire un hameau plus qu’un village. Un compte de 1460 signale que « passé longtemps, les manoirs (maisons) sont tous en ruynes et n’y demeure personne »185. Une des miniatures du duc de Croÿ montre que vers 1610 on ne désignait plus sous le nom de Cressonnières qu’une simple auberge.
168Mais des cas aussi nets de désertion aux XIVe et XVe siècles sont très rares. Quatre ou cinq hameaux autour d’Arras disparaissent des textes après le XIVe siècle. Un petit village (situé entre Arras et Bapaume), Contehem186, est encore mentionné comme lieu habité en 1323 : par la suite, ce n’est plus qu’un fief. Henencourt autre petit village, près d’Estrée-Cauchy (canton d’Houdain), compte encore 11 feux en 1469 ; mais on ne le retrouve sur aucun document postérieur ; un autre Cressonnières187, ancienne succursale de l’église d’Éterpignies est mentionné pour la dernière fois au XVe siècle. Et dans les vallées de La Canche et de l’Authie quatre ou cinq villages – dont deux paroisses : Mont-de-Kersuin et Soibermetz188 – ne sont plus signalés après le XIIIe siècle, sans qu’on puisse affirmer avec certitude que leur disparition intervienne précisément dans le cours des deux siècles suivants.
169Des villages d’Artois présentés comme ruinés et désertés par les comptes du XVe siècle ou par le dénombrement de 1469, quelques-uns en effet disparaîtront définitivement, mais longtemps après. À Bellavesnes, à Baillescourt189, le dénombrement de 1460 n’indique aucun feu. Or ces deux villages, réduits de nos jours à deux fermes, étaient encore vivants, le premier en 1698 (Mémoire de Bignon), le second au XVIIIe siècle : Baillescourt figure encore comme paroisse sur la carte de Cassini. À Tréhout, selon les comptes des aides « il n’y demeure personne »190. Ce village aujourd’hui n’existe plus ; il formait une commune, cependant, lors de la création du département (1790). Biencourt191 n’a plus qu’un habitant en 1440, et n’est compté que pour un feu en 1469 ; mais en 1698 il y a douze habitants et le hameau de Biencourt figure encore sur la carte de Cassini, à côté du prieuré du même nom.
170Peut-on légitimement faire remonter aux XIVe et XVe siècles la cause de l’abandon final de ces localités ? En fait d’autres villages qui n’ont pas disparu furent, eux aussi, déserts au XVe siècle ; et d’autres qui furent abandonnés au XVIIe ou au XVIIIe siècle ne figurent pas parmi les localités détruites des XIVe et XVe siècles.
171Au total peu de plaies irréparables, peu de villages définitivement rayés de la carte. Peut-être même, en attribuant aux XIVe et XVe siècles des désertions difficiles à dater, risquons-nous d’exagérer l’influence des fléaux et des crises de la fin du Moyen Âge.
172Si l’on vérifie la liste des paroisses et annexes mentionnées par le compte des décimes de la province de Reims de 1372192, on ne relève qu’un nombre réellement très limité de villages disparus : dans le diocèse de Thérouanne, Markene, Sclives et Emy (détruit au XVIe siècle) ; dans le diocèse d’Arras : Pestivillers (disparu vraisemblablement au XVIIe siècle), Tréhout déjà cité et Mauville, autre commune de 1790 ; dans le diocèse d’Amiens : Querrieu et Ricquebourg, absorbés par les villages voisins à une date récente.
173Encore les dévastations du Calaisis et du nord de l’Artois sont-elles suivies d’un certain « déchet » dans le réseau des villages. Mais d’autres ravages créés par la guerre dans d’autres régions ne s’accompagnèrent d’aucune désertion définitive, ou peu s’en faut. Dans les diocèses de Laon, Reims, Noyon et Cambrai, la première campagne d’Édouard III (automne 1339) laissa 174 paroisses ruinées, incendiées ou pillées. Benoît XI chargea alors Bertrand Carit, archidiacre d’Eu, de répartir une somme de 6 000 florins d’or entre les habitants les plus éprouvés des régions sinistrées. L. Carolus-Barré a publié et analysé le procès-verbal de cette mission193. Il constate que tous les villages sinistrés, même les plus touchés, ont été reconstruits. Un seul, et peu important, Bocenoves194 n’existe plus. Sans doute l’aumône pontificale et les allègements fiscaux consentis par le roi ont-ils, dans ce cas, aidé à la reconstruction.
174Mais voici dans le sud de l’Artois des ravages plus considérables et répétés dans la même région à quelques années d’intervalle. En 1472 une armée française pénètre en Artois et dévaste les vallées de la Canche et de l’Authie. En juin 1475, une nouvelle expédition suit le même chemin, mais étend ses destructions jusqu’à Arras et Bapaume. Un compte de 1473195 et une enquête de 1475196 nous renseignent sur l’étendue des désastres. La première expédition a dévasté 25 villages ou hameaux, la seconde 150. Douze localités ruinées en 1472 le furent à nouveau trois ans plus tard. Par ailleurs, l’enquête de 1475 est remarquablement précise. Elle ne se contente pas de formules vagues, dont l’exactitude et la sincérité resteraient douteuses. Il s’agit d’un véritable document statistique précisant pour chaque localité le nombre des maisons détruites et de celles qui demeurent habitables, le cas échéant. D’après ces chiffres, 31 villages ont été détruits à 100 %. Or, même dans cette liste de localités totalement sinistrées, nous ne relevons aucun village définitivement disparu.
175La même région du sud de l’Artois revoit au début du XVIe siècle (1525) le passage des armées françaises : venant de Flandre, les Français traversent la région d’Arras et de Bapaume et regagnent le royaume à travers le comté de Saint-Pol et les pays entre Canche et Authie.
176Le receveur des Aides, à la suite de ces événements, fait observer qu’il est impossible de rien percevoir dans les villages traversés « attendu que toutes ces localités avoient esté destruites et qu’il n’y restoit plus personne ». Au total 168 villages sont de nouveau détruits, parmi lesquels beaucoup l’avaient déjà été en 1475. Enfin en 1538, et encore en 1545, les Élus d’Artois sur l’ordre de Charles Quint procèdent à des enquêtes sur les ruines laissées par les campagnes de 1536-1537 et de 1542-1544197 : ils dressent de nouvelles listes de villages déserts dans le comté de Saint-Pol, et dans les bailliages d’Arras, Bapaume, Aire et Lillers.
177Les sinistres avant 1550 sont donc très nombreux. Bien peu, cependant, sont définitifs. Un cas pourtant : le village de Vrin, situé près de Blangy-en-Ternois. Il avait 180 habitants en 1536, et possédait château et église. Détruit en 1537, il ne s’est jamais relevé de ses ruines. À Vrin peut-être faut-il ajouter la paroisse d’Emy qui, selon de Loisne198, fut incendiée en 1544 : le village fut reconstruit, mais sur un autre site, auprès du château de Montcavrel dont il prit le nom. La nouvelle localité, à son tour, absorba le hameau voisin de Fordres.
178Ainsi, les destructions de la fin du XVe et du XVIe siècle n’ont rien d’irréparable. Il est vrai qu’elles se situent en pleine progression démographique. Dès lors, les vides sont rapidement comblés ; la reconstruction s’explique plus aisément à une époque de repeuplement.
179D’une façon plus générale, on peut dire que la guerre seule ne suffit pas à tuer les villages. Faut-il ajouter, paradoxe, qu’il est peut-être plus facile de détruire définitivement une ville ? En voici un exemple : sur l’ordre de Charles Quint, Thérouanne, place forte du roi de France, isolée au milieu des provinces de la Maison d’Autriche, fut rasée en 1553. Le hameau qui a repris le nom un siècle plus tard n’a rien de commun avec l’ancienne ville et s’élève d’ailleurs sur un autre site. Mais Thérouanne était une ville : le fait urbain, ce sont les murs, les édifices. Leur destruction peut entraîner la mort de la cité, surtout si d’autres centres ont annexé les fonctions jouées autrefois par la ville détruite199. Au contraire un village, c’est d’abord un terroir, peuplé d’habitants. Les guerres, en général, laissent le terroir intact. Les maisons peuvent être détruites, les villageois qui se sont enfuis reviennent ; ils commencent par remettre le finage en culture : la reconstruction vient après.
180Ainsi en 1475 : certains villages d’Artois, rasés trois ans auparavant, retrouvent déjà une part de leur population. Après la deuxième vague de destructions, et dès 1476, le receveur d’Hesdin affirme que « iceulx brûlés se sont commenchié a ramaser (habiter à nouveau) esdis lieux et rédiffier leurs places »200. Quelques mois après le passage des armées, le sol est remis en culture et les villages sont relevés.
Guyenne, Normandie, Région parisienne : Repeuplement et reconstruction
181Robert Boutruche a donné un exemple, particulièrement frappant, de cette vitalité villageoise201. Dans la région bordelaise au temps des guerres franco-anglaises, chaque retour des armées, chaque atteinte de l’épidémie venaient ajouter des ruines, à celles qu’avaient laissées les précédentes vagues de destructions et de mortalités. Chaque phase de la guerre voyait des villages abandonnés et déserts dont les habitants étaient morts, ou s’étaient enfuis et n’osaient revenir : quinze ans après la peste noire, les maisons de Saint-Julien « étaient encore à l’état d’emplacements déserts »202. Après les expéditions françaises de 1374 et 1377, 18 paroisses des pays de la Basse-Dordogne et de l’Isle étaient abandonnées et bien d’autres dans l’Entre-deux-Mers203. L’expédition de 1403-1405 laissa de nouvelles ruines dans les mêmes régions : de nouveau, 11 paroisses y furent désertées204. Après les raids des Écorcheurs et les campagnes victorieuses de Charles VII, l’Entre-deux-Mers et les régions de Blaye et Coutras demeuraient exsangues, les terres en friches, les héritages vacants, les habitations abandonnées, les villages déserts205. Pourtant et malgré l’abandon prolongé de certaines localités (quarante ou cinquante ans, à Dardenac) très peu de ces désertions furent sans retour. Robert Boutruche en note une seule : la paroisse de Guibon, dépeuplée en 1377, ne se releva jamais de ses ruines.
182Dans le Bordelais, repeuplement et reconstruction furent donc efficaces et complets, témoignant de la vitalité d’un monde rural.
183En Normandie, sans doute, les ravages ne furent pas moindres : les guerres navarraises, les conquêtes d’Henry V puis la reconquête française ne laissèrent aucune région indemne. Dévastations et mortalités eurent-elles des effets durables sur le réseau des habitats ? Jusqu’ici, pas de réponse satisfaisante à cette question. Le Dictionnaire topographique du Calvados206 ne donne aucun village disparu. Celui que préparent pour la Seine-Maritime Dom Jean Laporte et Dom de Villers, d’après les manuscrits de Beaurepaire, n’en indiquera pas davantage207. Quant à L. Delisle et C. de Beaurepaire, ils soulignent pour cette époque la dépopulation des campagnes, signalent quelques paroisses en détresse, mais n’indiquent aucune désertion définitive208. En soi, ce n’est pas une preuve, même si le silence des érudits normands fait contraste avec les nombreuses études consacrées aux villages disparus d’Alsace.
184Mais deux importants articles de Michel Nortier autorisent une opinion mieux étayée, en même temps qu’un peu nuancée209. Michel Nortier révèle l’existence de plusieurs documents, d’origine fiscale, couvrant d’assez larges portions du sol normand, et montre quel usage peut en faire l’historien de la population : or comptes de fouage et assiettes des aides sont parmi les sources les plus précieuses d’une enquête sur les villages désertés. Des documents fiscaux révélés par M. Nortier, les plus nombreux, ceux qui recouvrent l’aire la plus large, datent des années 1365 à 1372 : ils donnent des listes de 52 paroisses rurales pour la vicomté de Coutances, de 199 pour la vicomté de Caen, de 374 pour celle de Falaise. De ces 685 paroisses, plusieurs par la suite se sont rabougries en hameaux, d’autres plus nombreuses ont été réunies à des paroisses voisines (en général vers le début du XIXe siècle), aucune n’a matériellement disparu.
185Naturellement, sauf exceptions très rares, les paroisses seules, et non les écarts, apparaissent dans les documents de M. Nortier ; et les régions concernées sont pays d’habitat dispersé. Mais il s’agit souvent de petites paroisses (ce qui justifiera les réunions de communes du XIXe siècle). Leur énumération ne laisse donc échapper qu’un nombre assez restreint d’habitats.
186Quant aux dates de ces listes fiscales, elles sont relativement « tardives », étant situées bien après le début des guerres anglaises, et postérieures d’environ quinze ans à la peste noire. Mauvaise époque… ; en face de certaines paroisses, le rédacteur de 1365 a porté la mention « néant ». Et d’une façon générale cette année-là, les chiffres de feux et d’impositions sont singulièrement faibles, surtout dans les vicomtés de Coutances et de Caen. Comparés avec les chiffres donnés pour quelques paroisses par des comptes du début du siècle, ils indiqueraient une dépopulation réellement surprenante. Dans la vicomté de Coutances, le nombre des feux, après 1360, serait trente à quarante fois plus faible qu’avant 1330. Dans la sergenterie de Villers-Bocage, 15 paroisses sur 29 sont désertes en 1365.
187Dès 1368, cependant, la situation s’améliore : nombre des feux et montant des impositions sont en augmentation sensible. Il est vrai qu’inversement les chiffres des paroisses urbaines en 1365 sont très gonflés, indiquant un exode temporaire, provoqué par la peur des soldats. En 1368, la situation redeviendra moins anormale : Saint-Lo perdra 200 feux, les deux sergenteries rurales voisines retrouveront 110 feux : les paysans réfugiés en ville auront donc regagné leurs foyers. Un compte de 1370 pour la vicomté de Falaise dira les choses clairement : « le hamel de Boisville qui est auprès de Sées dont les gens se sont retraiz durant la guerre à Sées et à présent sont retraiz à Boisville ».
188La date de 1365 vient donc après une période critique ; d’où peut-être un contraste : alors que les désertions normandes, on l’a vu, sont pratiquement milles entre 1365 et le XIXe siècle, elles ne semblent pas absolument négligeables dans la période, assez courte pourtant, qui va de la fin du XIIIe siècle à 1365. Pour les vicomtés de Caen et de Falaise, Michel Nortier compare constamment les comptes du XIVe siècle à une liste de paroisses, annexée à un coutumier de Normandie, qui date, vraisemblablement, du siècle précédent210 ; cette confrontation fait apparaître un certain « déchet » : quatorze localités211, qui vivaient au XIIIe siècle, ne sont plus comptées en 1365. Mais là encore il faut être prudent : certaines de ces localités sont difficiles à identifier ; et puis s’agit-il toujours de paroisses ? Au total d’ailleurs, la proportion des villages perdus du XIIIe siècle à 1365 resterait assez faible : environ 2,5 %.
189La situation des campagnes de la région parisienne aux derniers siècles du Moyen Âge commence à être bien connue, grâce à d’importants travaux d’histoire et de géographie consacrés à l’économie et aux paysages ruraux de ces régions actives212. Les données qu’on peut en retirer pour notre recherche sont pourtant rares, sans doute parce que les désertions définitives ne constituent qu’une infime exception. Là encore, la reconstruction l’emporte de beaucoup sur les destructions sans remède. Guy Fourquin tente d’en dresser un bilan ; il estime que la région parisienne a été l’une des plus gravement touchées ; mais en même temps, il insiste sur la rapidité de la reprise, favorisée par la viticulture, et par le voisinage attrayant de la capitale : l’immigration, s’ajoutant au croît naturel, a rapidement reconstitué la population, après les désastres. On ne s’étonnera donc pas de trouver fort peu de villages qui, à partir de cette époque, disparaissent définitivement.
190Dans l’archidiaconé de Jouy-en-Josas, pourtant terriblement frappé, 3 paroisses seulement vers 1458 sont totalement désertes, sur les 51 que compte la circonscription. Ce sont Jouy-en-Josas, Limours et Saint-Lambert : le taux des désertions momentanées est donc bien plus faible qu’en Bordelais ou en Provence. En outre, ces trois paroisses, elles-mêmes, refleuriront sans exception aux Temps modernes.
191Guy Fourquin ne signale qu’un cas d’habitat multiple, disparu pour faire place à une exploitation agricole unique213 : celui du hameau de Vignole dont les masures et les 600 arpents de terre sont accensés à une seule personne en 1515214. Michel Devèze note quelques autres destructions définitives qu’on peut attribuer au temps des guerres anglaises : le hameau de Rocourt, près de Poissy, qui n’a plus en 1512 que « bois, taillis, friches et genèvres », les hameaux de Garenne et de Freminville réduits à des exploitations isolées, et le village d’Hennemont mangé au XVe siècle par la forêt de Saint-Germain-en-Laye215.
192Pour les plateaux de l’est et du nord, le livre de Pierre Brunet offre des exemples un peu plus nombreux, mais qui restent encore en proportion bien faible216. Dans le Valois, les villages de Balizy et de Grigny au pied du Mont Cornon, ne laissent après les guerres anglaises que des noms de lieux-dits, tandis que le hameau de Chavercy se réduit à une ferme. Dans le Multien, Saint-Saturnin217, ancien chef-lieu de paroisse, n’est pas rebâti et la paroisse est transférée à Chauconin ; la paroisse de Rieux n’est qu’une ferme après le XVe siècle218, tandis que celle de Chanois219 se réduit à un hameau. Mais rappelons que pour le diocèse de Meaux, Ferdinand Lot relève, dans le pouillé de 1353, 205 paroisses, qui seront 263 dans le pouillé de 1513 et 227 au milieu du XVIIIe siècle. Il est donc probable que de nouvelles recherches ajouteraient peu à cette maigre liste et qu’il s’agit bien de cas isolés.
193Dans le Montois, tout proche du Multien, les hameaux du Jardel, de Beaulieu, du Petit Chanzy, de Villenavotte auraient été détruits au XIVe ou au XVe siècle ; mais reportons-nous au Dictionnaire topographique de Seine-et-Marne : les mentions de ces lieux-dits paraissent bien se rapporter dès l’origine à des exploitations isolées (sauf Villenavotte, mais ne s’agit-il pas d’une Villa Nova avortée ?)220.
194Dans la Brie septentrionale, entre Marne et Grand-Morin, selon Pierre Brunet, de nombreux hameaux ont disparu, totalement rayés de la carte, ou remplacés par des fermes isolées. Cette modification des habitats (en Brie comme dans le Montois ou le Multien) s’accompagne d’une transformation du paysage : les champs en lanières faisant place à un « openfield-mosaïque » à larges mailles. Ici joue sans aucun doute le regroupement des terres par le capitalisme des seigneurs, des bourgeois ou des fermiers-laboureurs. Mais, comme bien souvent221, les destructions du XVe siècle n’ont eu qu’un rôle préliminaire ; l’opération même de regroupement terrien s’effectuera plus tard, à la fin du XVIe siècle ou au XVIIe siècle. Un seul cas de concentration précoce, empêchant la restauration du village : celui des terres et du hameau du Grand-Couroy. Après les dévastations, l’abbesse de Jouarre ne trouve personne pour prendre ces terres à cens ; elle les vend donc en 1468 à un gentilhomme qui les remet en culture et qui édifie une ferme222. Cas isolés : la guerre de Cent Ans dans l’ensemble se borne à infliger un traumatisme initial et le vrai drame du remembrement se jouera plus tard.
Languedoc : hameaux disparus dans les zones marginales
195Si l’on abandonne les riches pays du Bassin Parisien, les régions densément peuplées de la Normandie et du Bordelais, pour le Languedoc, on rencontre, si limitées qu’elles soient en pourcentage du nombre total des paroisses, des Wüstungen, en quantité non négligeable, dans certaines zones marginales : plaine palustre ou terres peu fertiles des garrigues et des montagnes.
196Dans la zone littorale languedocienne, il semble qu’on ait abandonné de préférence les terres sujettes à la morsure du sel, et les habitats infectés par le mauvais air. Ce sont les plus proches de la mer et des étangs, de la salure, des moustiques et des fièvres. Des paroisses, nées ou confirmées lors de la grande expansion du XIe siècle, disparaissent ou se rabougrissent en ferme isolée, à partir du XIVe siècle. C’est le cas d’Exindre, de Saint-Michel-de-Grémian, de Saint-Jean-de-Cocon, de Maurin, de Saint-Marcel-de-Fréjorgues ; c’est le cas, beaucoup mieux connu, près de Lunel, d’Obilion et de Saint-Denis-de-Ginestet (respectivement 22 et 41 feux) disparus entre 1295 et 1520, dates limites.
197Tous ces épisodes sont inséparables d’une certaine déchéance de l’économie côtière : dans la plaine littorale languedocienne, au XVe siècle, les canaux de drainage, laissés à eux-mêmes, se remplissent d’eaux mortes, séjours préférés des anophèles, vecteurs des maladies paludéennes. Les sansouires renaissent, et la lèpre du sel ronge les sillons abolis ; le salicor, herbe à soude, revient en force : il est prétexte à dîmes, nombreuses dans les années 1480. Sur ce littoral agonisant, les ports ont presque cessé de vivre : ainsi Narbonne ; Lattes, port de Montpellier, dont seul un chevet roman et un fragment de rempart évoquent l’ancienne splendeur ; Aigues-Mortes fossilisée par une décadence précoce dans le plan géométrique dessiné au XIIIe siècle par ses fondateurs. Mort d’un rivage : les disparitions de villages ne font que tirer la conséquence d’une baisse profonde de l’activité des hommes. Les villages n’ont pas été assassinés, c’est la grande différence avec l’Angleterre ; ils sont morts de l’asphyxie, de l’agonie générale.
198Cela dit, leur mort a bien facilité, aux siècles suivants, la transformation capitaliste du paysage : le capitalisme foncier n’est pas comme en Angleterre le fruit d’une préméditation des seigneurs ; mais il s’installe quand même aisément sur les habitats décédés, et le résultat involontaire n’est pas totalement différent des phénomènes britanniques.
199Aux emplacements des villages morts, des mas souvent s’installent ou subsistent : Cocon, Maurin, Fréjorgues, Coussergues ; ces mas deviendront aux XVIe ou XVIIe siècles, les résidences attitrées de nobles de robe ou de chanoines, tous volontiers rassembleurs de terres. Coussergues entre Agde et Béziers constitue un bon exemple de ces sites où le dépeuplement favorise l’emprise d’un rassembleur de terres, interdisant par suite une éventuelle restauration223. Ancienne villa romaine, au sol criblé de monnaies et d’éclats d’amphores, c’est au XIIIe siècle, un village fortifié, un castrum à tours et murailles, à la petitesse caractéristique : 24 chefs de famille en 1317, une église dédiée à saint Martin, des parcelles d’orge et de froment, quelques vignes, des prés, des garrigues d’où l’on tire les fagots de bruyère pour la boulangerie, et les troncs de chêne vert ou blanc. Cet habitat démocratique coexistait avec quelques grands domaines à fermes isolées.
2001348-1355, où les catastrophes s’abattent sur Coussergues : la peste noire et l’expédition du Prince Noir. L’une dépeuple en partie ; et l’autre saccage le castrum, qui est dès lors évacué par les survivants. À la fin du XVe siècle, l’emplacement du village mort appartient à un notaire de Pézenas ; en 1496, un noble, Pierre Raymond de Sarret, soldat des guerres d’Italie, riche de ses biens familiaux, qu’il tient en indivision avec ses parents, acquiert la seigneurie et peu à peu tout l’ancien terroir de Coussergue, où s’installe une grande propriété à moutons, à chèvres et à blé, louée à un fermier.
201Car le paysage se modifie lui aussi, quoique de façon bien moins délibérée qu’en Angleterre, où les moutons « mangent les hommes » et remplacent les emblavures. En Languedoc littoral, les nombreuses petites paroisses du XIIe ou ΧΙΙIe siècle appelaient une polyculture parcellaire, où la vigne jouait un rôle non pas décisif, mais important. Au contraire, les grands mas qui relaient les villages morts s’entoureront, après 1500, de champs relativement vastes, semés de blé, couverts de moutons pendant la jachère, exploités par de gros fermiers, et où la vigne ne jouera plus qu’un rôle dérisoire. La vigne ne reviendra en force dans la plaine littorale qu’au XVIIIe siècle et surtout au XIXe siècle.
202Sur l’autre frange pionnière des vieux défrichements, sur la garrigue et la montagne, les Wüstungen des XIVe et XVe siècles ont respecté en général les gros centres villageois ; mais elles détruisent souvent les petits hameaux. À Cessenon-sur-Orb, en 1374, six écarts sont signalés : Casedarnes, Prades, Lugne, Berilles, Chavardes, Vessatz. Dans le compoix du XVIe siècle – 1560 – les trois premiers survivent, les trois derniers ont totalement disparu.
203Les bourgeois de Cessenon confirment le fait, qui se plaignent en 1401, à un commissaire royal, en tournée dans la Montagne Noire et l’Espinouse : les nombreux masages (écarts), disent-ils, en effet sont déserts, la dépopulation est à son plus haut degré, la moitié des terres est en friche ; les chevreuils, cerfs, sangliers et autres « fauves » ravagent les récoltes : la forêt qui est à un quart de demi-lieue du bourg envahit tout, même les pâturages…
204L’obsession d’une nature luxuriante accompagne, dans ce cas précis, ces menues désertions d’habitat. Tandis que meurent certains hameaux, le paysage retrouve une partie de sa sauvagerie primitive. Mais n’exagérons pas cette invasion. En Languedoc, comme dans d’autres provinces françaises, le réseau des paroisses, lui, tient bon.
En France : le réseau des paroisses tient bon
205À la recherche des Wüstungen du bas Moyen Âge, nous avons parcouru un certain nombre de provinces françaises. Non pas toutes : notre enquête a dû laisser dans l’ombre de vastes zones, Bretagne, Bourgogne, Auvergne, notamment224. Les recherches ultérieures peuvent réserver des surprises. Mais dès à présent, on peut être affirmatif sur un point : à travers une répartition géographique inégale, les désertions définitives de villages, datées des XIVe et XVe siècles, restent d’importance médiocre pour la majorité des pays français. Bien souvent, elles sont égalées ou dépassées en nombre par les désertions postérieures.
206On admettait généralement pour la France des désertions, et même des disparitions massives au cours des siècles de crise du bas Moyen Âge. Nous en trouvons encore l’écho dans des ouvrages récents. « La France… a dû connaître des pourcentages (de disparitions) comparables à ceux de l’Allemagne »225. En fait, les pourcentages français n’atteignent pas même l’ordre de grandeur admis pour l’Angleterre. Les pays français prennent ainsi une place originale dans le tableau européen du Moyen Âge finissant.
207Ceci n’est vrai que si l’on considère les seules désertions définitives. Car les pays français ont été, comme leurs voisins, malades de la peste et, plus qu’eux, meurtris par la guerre. Ils n’ont donc pas ignoré les villages détruits, les hameaux déserts, les friches et les champs en broussailles. Mais tôt ou tard, et en général assez tôt, avant la fin du XVe siècle, les ruines ont été relevées, les localités repeuplées, les friches remises en culture. Et cette reconstruction du village et du terroir s’est faite dans les cadres anciens226. Un village du même nom, retrouvant le rôle de l’ancien, s’est reconstruit sur le terroir.
208En Allemagne au contraire, la désertion a été définitive. La forêt a pris la place de l’ancien terroir ; elle a effacé jusqu’au souvenir du village disparu. Et si un jour la forêt de nouveau a été défrichée, ce travail n’a pas pris l’allure d’une résurrection mais d’une conquête sans lien avec le passé. Il n’en est pas ainsi en France et il est peut-être plus difficile de savoir pourquoi. En revanche, on peut sans doute écarter le problème que pose l’absence en France de disparitions de type anglais. Le destin du village du Yorkshire ou du Norfolk, enfoui sous la pelouse à mouton, semble, de fait, exceptionnel en Europe. Les villages allemands, norvégiens, italiens n’ont pas été tués par le mouton « dévoreur d’hommes ». Ils sont morts d’ailleurs plus tôt, avant cette fin du XVe siècle qui voit s’évanouir les villages anglais. En fait, sans le mouvement des enclosures, l’Angleterre ne semblerait-elle pas, comme la France, sensiblement épargnée par les désertions du bas Moyen Âge ?
209Il ne s’agit pas de minimiser la dépopulation de la France au XIVe siècle et dans la première moitié du XVe siècle. C’est l’ampleur et la rapidité de la reconstruction qu’il faut expliquer, même si c’est un paradoxe dans une étude portant sur des destructions et des disparitions. On voit trop bien ce qui expliquerait des désertions massives. En les attribuant un peu rapidement à la France, W. Abel ne s’appuyait pas seulement sur ce qu’on peut savoir de l’Alsace : il partait d’une présomption normale, fondée sur la chute brutale de la population européenne et française. Aussi c’est encore une étude de la population qui doit fournir une solution à notre problème, mais une étude qui porterait, non sur la tendance démographique, mais sur la densité du peuplement. Un exemple à cet égard sera peut-être éclairant.
210Le père Denifle227 considère qu’au XIVe siècle la province française la plus gravement touchée par la dépopulation fut le Quercy. La conquête anglaise, violente, accompagnée de massacres, y coïncida, à peu près, avec la peste noire. Vers 1387, des enquêteurs pontificaux interrogeaient des ecclésiastiques originaires du Quercy sur les causes de la dépopulation des paroisses dans l’évêché de Cahors : était-ce la guerre ou la peste ? « L’une et l’autre », répondirent les témoins228. Pourtant, l’émigration joua également un rôle important, une émigration intense qui peupla d’autres régions du Midi et commença très tôt, dès 1351. Un des témoins de l’enquête pontificale de 1387 rapporte que les habitants de Cardaillac furent en grand nombre tués par les Anglais ou brûlés dans l’incendie de leurs maisons, et que les autres, depuis, sont allés s’installer à Avignon, à Montpellier ou à Carcassonne229. Un autre témoin assure que les gens du Quercy ont quitté le pays et qu’ils ont ailleurs acheté maisons, champs, « pattus » et vignes230. Chacun des clercs interrogés énumère longuement les villages pris par les Anglais, les paroisses réduites à la plus grande misère, les localités désertes enfin. Les villages voisins de Cahors, en particulier, sont presque tous abandonnés et « on n’y entend plus chanter le coq »231.
211En complétant ces renseignements par les notes marginales que les collecteurs ont ajoutées aux rôles des décimes, le père Denifle a dressé une liste de 150 paroisses ou établissements du diocèse de Cahors détruits ou abandonnés. Si l’on s’en tient aux paroisses qui, seules, correspondent à des villages, 78 sont désertes ou ruinées vers 1380-1390. Or il est aisé de retrouver 76 de ces villages sur la carte contemporaine ou, au moins, dans le pouillé du diocèse de Cahors du XVIIe siècle232. Les deux exceptions sont Grandmont que nous ne sommes pas parvenus à identifier et Poicastel, ancienne paroisse, mais qui n’était peut-être plus qu’une église isolée au XIIIe siècle233.
212Il est donc permis de penser qu’en dépit des massacres, des épidémies et de l’émigration, le Quercy n’a pratiquement pas connu de désertions définitives234. C’est que cette province, à son tour, a bénéficié de l’émigration des habitants de provinces voisines. Les actes notariés, par les achats de terres, éclairent assez bien ce mouvement d’émigration : sur les terres abandonnées du Causse du Quercy affluent les paysans originaires des diocèses de Mende, de Saint-Flour, de Rodez surtout. Et tandis que les Rouergats viennent repeupler le Haut-Quercy, les gens du Causse, de Caylus, de La Capelle, de Loze, de Saint-Projet, vont cultiver les terres de la plaine235. Au total un courant d’émigration qui se traduit par une descente des hautes terres ingrates du Massif Central vers les plaines plus fertiles de la région garonnaise236.
213Est-il nécessaire de rappeler les faits étudiés par Robert Boutruche dans le Bordelais237 ? L’Entre-deux-Mers, en particulier, viticole et portuaire, a attiré une immigration intense qui s’est poursuivie pendant toute la guerre de Cent Ans : les nouveaux habitants venaient de partout, d’Espagne même, mais surtout de Saintonge, de Poitou, et de Bretagne. Et leur nombre a été en fin de compte suffisant pour repeupler toutes les paroisses désertes, sinon pour rendre à la culture tous les champs en friches. Nous l’avons déjà observé : des villages détruits, Robert Boutruche n’en signale qu’un seul qui n’ait jamais repris vie. Avec une remarquable obstination, les hommes reconstruisent après chaque désastre, et cela bien avant la fin des troubles.
Grâce au labeur humain, des maisons neuves se dressent en 1436 sur des emplacements ruinés par les guerres de 1377 et repeuplés seulement après1407238
214Entre 1438 et 1453, les Écorcheurs et les campagnes des armées françaises laisseront de nouvelles ruines, mais l’effort précédent aura au moins servi à maintenir la vie, la continuité de l’habitat et permettra sur ces bases une véritable reconstruction. Les textes écrits, les inventaires antérieurs à la dépopulation, les pouillés, sur le parchemin au moins, maintiennent l’existence des paroisses. La reconstruction permanente, elle, empêchera que se perde à jamais le souvenir des villages momentanément désertés.
215De fait le repeuplement s’accomplit au XIVe siècle et au XVe siècle non sur table rase, mais à l’intérieur des cadres anciens. Tous les textes témoignent que l’ancienne distribution des terres n’est jamais perdue de vue, que les droits du seigneur et même ceux de l’ancien exploitant ne sont pas oubliés239. Les réaccensements sont parfois l’occasion de procès qui montrent que les anciens droits ne se laissent pas aisément prescrire. À défaut de pièces écrites, on produit les témoignages de personnes âgées240.
216Quand une terre est remise en culture, l’ancien parcellaire ne peut être toujours respecté ; mais lorsqu’une région est repeuplée, c’est dans le cadre des anciennes paroisses. C’est parfois un village entier qui est offert aux immigrants, et on leur laisse le soin de s’en partager le terroir. Ainsi vers 1450, le village abandonné de Saillagol est attribué à quatre familles, celui de Jamblusse à trois frères241. Ceux-ci partagent le terroir de Jamblusse en 1477, l’année même où la cure du village retrouve un titulaire.
217Le repeuplement par des émigrants n’a sans doute pas rendu du premier coup aux localités leur ancienne importance ; une poignée d’hommes cependant suffisait pour ramener la vie dans le village déserté et empêcher sa disparition. Mais remontons le courant de l’émigration jusqu’à ses sources, jusqu’à ces provinces d’où sont partis les nouveaux habitants du Quercy ou du Bordelais, le Massif Central, les pays du Centre-Ouest : l’émigration n’y a-t-elle pas aggravé la dépopulation, n’y a-t-elle pas créé des vides dans le réseau des paroisses et des villages ? Il ne le semble pas, dans le Rouergue du moins242.
218Nous possédons la liste de toutes les localités du Rouergue à la veille de la guerre de Cent Ans et de la Grande Peste : elle nous est donnée par l’état des feux de 1341243 (dressé en fait vingt ans auparavant : il s’agit probablement d’un des documents qui servirent de base à l’état général des paroisses de 1328)244.
219Les villages qu’il est impossible de retrouver sur la carte d’état-major ou sur celle de Cassini sont très rares : c’est peut-être le cas de Manhaval (région de Mur-de-Barrez ?), d’Aynières (près de Sainte-Radegonde), de la Roumière (près de Montjaux). Mais un assez grand nombre des localités énumérées au XIVe siècle ne correspondent plus qu’à d’insignifiants hameaux. Parfois, là où le document médiéval dénombre 20 ou 30 feux, on ne voit plus qu’un hameau de trois ou quatre maisons. Il s’agirait donc sinon de désertions totales, du moins de rétrécissements accentués ?
220Mais nous sommes en pays d’habitat dispersé. Un document du XVIIIe siècle, l’État du diocèse de Rodez245, éclaire parfaitement la géographie de l’habitat en Rouergue. En réponse au questionnaire établi par l’archevêché, les curés distinguent la population du chef-lieu de la population de la paroisse, et l’on constate qu’en règle générale les paroisses sont constituées en fait de nombreux hameaux, appelés villages en Rouergue, comme dans tout le sud-ouest de la France. Citons deux cas extrêmes : La Fouillade, paroisse de 758 habitants en 1771 et qui est composée de 33 villages différents, ou Sanvensa dont les 950 habitants de 1771 se répartissent en 40 hameaux. Il faut donc tenir compte de cette extrême dispersion de l’habitat et comprendre que les noms figurant dans la liste de 1341 correspondent non pas à des lieux habités, mais à des communautés.
221Ces communautés coïncident presque toujours avec les paroisses du XVIIIe siècle. Dans la liste ancienne, beaucoup sont d’ailleurs désignées expressément comme paroisses. Or, au XVIIIe siècle, le chef-lieu paroissial ne correspond pas toujours, il s’en faut, au village le plus important : au contraire, dans plusieurs cas il n’est représenté que par l’église. À Calmont d’Olt et à Saint-Pierre-de-Bessuejol près d’Espalion, à Tredon et à Sainte-Eulalie-du-Causse dans la région d’Estaing et de Rodelle, à Sainte-Eulalie-du-Larzac et à Vezouillac (commune de Verrières, canton de Saint-Beauzély), si l’église est isolée, le nom paroissial est aussi porté par un village plus ou moins important. Mais dans d’autres cas, le nom de la communauté ne désigne que l’église seule, ou les deux ou trois maisons qui l’entourent ; ainsi à Cogulet (canton de Bozouls), à Segonzac (commune de Villecomtal), à Sermur (sur le Viaur), à Crouzet (près Prades d’Aubrac), enfin à Saint-Jean-le-Froid et Fijaguet. En était-il de même dès 1341 ? L’exemple de Saint-Jean-leFroid (3 feux à la fin du XIIIe siècle) tendrait à le prouver246. Il est d’ailleurs un autre exemple, très caractéristique, celui de Notre-Dame-de-Dosaygues (près de Trémouille), qui n’est compté en 1341 que pour deux feux : en 1771, l’enquête diocésaine y note deux maisons.
222Il ne semble donc pas qu’on puisse conclure à des désertions qui se seraient produites entre le XIVe et le XVIIIe siècle. En fait, la désertion serait intervenue avant le XIVe siècle. S’agit-il même de désertion ?
223Charles Higounet, étudiant la seigneurie rurale en Rouergue247, estime que la dispersion a été « le mode primitif et général » de l’habitat médiéval en Rouergue et il y voit l’effet de la résistance et de la survivance du manse jusqu’au XIIIe siècle.
224Le Rouergue n’offre donc pas davantage de villages désertés que le Quercy. Le père Denifle admet, il est vrai, que le diocèse de Rodez a été moins dépeuplé que celui de Cahots, mais ajoute « pourtant on y trouvait également des villages avec peu ou pas d’habitants »248. Si l’occupation anglaise s’est effectuée pacifiquement, après le départ des Anglais, il n’est guère d’année où la province ne soit parcourue par des routes de pillards gascons ou français249.
225La dépopulation du pays pourrait être assez facilement mesurée par l’étude des « reconnaissances de pagésie » du fonds de l’évêché de Rodez250. Les premiers procès-verbaux de reconnaissances datent souvent de la fin du XIIIe siècle. Quelques sondages nous ont montré qu’en général une « affar » – c’est-à-dire pratiquement un manse auquel correspond soit un mas, soit un petit hameau – partagée au XIIIe siècle entre trois ou quatre familles, n’est plus au XIVe siècle tenue que par deux ou même une seule. La chute démographique se laisse donc saisir, même au niveau d’aussi minces centres d’habitat. Néanmoins, on peut sans doute admettre que le Rouergue, comme le Massif Central en général, a été moins touché par les fléaux que les basses terres voisines. La guerre surtout a pu être moins meurtrière dans ces pays d’accès difficile : les hommes à défaut de centres fortifiés pouvaient trouver refuge sur les hauteurs. Il est fréquent de rencontrer dans les parties incultes des régions montagneuses des ruines d’habitations construites en pierres sèches ; quelquefois ces ensembles ruinés sont entourés d’un grossier rempart. Ces « échazaioux », comme on les appelle souvent en Auvergne, ont intrigué les chercheurs depuis longtemps. On les a considérés comme des camps ou des villages gaulois, ou comme des oppida protohistoriques sinon comme des cités mégalithiques. Mais il semble bien établi qu’il s’agit d’habitats temporaires (retrouvant peut-être des sites habités à plus haute époque) de la fin du Moyen Âge251.
226Le document de 1341 n’est pas seulement une liste de villages, c’est avant tout un document démographique. On peut bien entendu évoquer, à son sujet, tous les problèmes que posent à l’ordinaire ces statistiques anciennes : sincérité des chiffres donnés et problèmes des feux non dénombrés notamment. Cependant, si l’on veut se servir de ces renseignements, mieux vaut accepter les chiffres tels qu’ils sont : toute interprétation, toute manipulation serait encore plus arbitraire que les chiffres ne sont incertains. Reste toutefois le problème de la valeur numérique du feu252. On a parfois estimé trop fort le coefficient de 4,5 pour un feu, admis par Ferdinand Lot. On peut pourtant admettre que les feux « célibataires » sont compensés par les foyers abritant un ou plusieurs célibataires, que les foyers jeunes, sans enfant, sont équilibrés par d’autres qui réunissent plusieurs générations, que le feu correspond, en gros, à une famille normale. Dès lors, en dessous du coefficient 4, le taux de remplacement n’est plus atteint, ce qui est invraisemblable, au moins en milieu rural. Les travaux de Baratier et de Bautier autorisent à conserver le coefficient 4,5 en le considérant même comme plutôt faible253.
227La somme des feux de 1341 est d’environ 54 404, ce qui donne le chiffre de 244 818 habitants254. On ne peut guère établir de comparaison avec un autre chiffre avant le XIXe siècle. Au XVIIIe siècle, d’une part le Rouergue fait partie de la généralité de Montauban qui comprend aussi le Quercy ; d’autre part les feux dénombrés dans cette généralité sont des feux de compoix et non des « feux allumants ». Mais le recensement de 1801 donne pour l’Aveyron le chiffre de 326 340 habitants. La région de Saint-Antonin ayant été attribuée au Tarn, le département a une superficie légèrement inférieure à celle de l’ancienne province. C’est dire qu’en 1341 le Rouergue avec ses 245 000 habitants était nettement surpeuplé. La densité de la population était donc suffisante pour que la province même après la guerre et la peste ait pu alimenter une émigration importante sans pour autant voir se contracter le réseau des villages et des paroisses255.
228La Normandie semble avoir joué pour la région parisienne le rôle tenu par les provinces du Massif Central à l’égard du Sud-Ouest. Or, si l’en en croit un article de R. Strayer, la surpopulation au début du XIVe siècle y aurait été encore plus marquée qu’en Rouergue256. Utilisant les données fournies par l’assiette du comté de Beaumont-le-Roger, établie entre 1313 et 1321, l’auteur estime que la population de la région située, en gros, entre Lisieux et Évreux (aux limites des départements du Calvados, de l’Eure et de l’Orne) n’était pas inférieure à ce qu’elle était en 1936. La comparaison porte d’une part sur les paroisses du XIVe siècle et d’autre part sur les communes correspondantes en 1936. Le procédé, critiquable dans le détail, puisque les limites entre paroisses et communes ne coïncident pas nécessairement, est acceptable s’il est appliqué, comme c’est le cas, à un grand nombre de localités : R. Strayer obtient pour le XIVe siècle le chiffre minimum de 20 024 (en donnant au feu une valeur numérique très faible : 3,5) et maximum de 22 884 (feu = 4) contre 22 759 habitants en 1936.
229En Languedoc, les densités rurales d’avant la peste sont également très comparables à celle de l’époque contemporaine257.
230Ce qui est vrai du Rouergue, de la Normandie, du Languedoc, l’est de la France au début du XIVe siècle en général. Même si l’on estime comme MM. Reinhard et Armengaud que Ferdinand Lot a eu tort d’étendre aux régions non dénombrées les densités révélées par l’état des feux de 1328, il faut admettre que le royaume avait une population bien supérieure aux pays voisins et même que la population rurale de la France n’était guère inférieure en 1328 à ce qu’elle était au XVIIIe siècle. Avec l’ancienneté de l’implantation rurale cette surpopulation nous semble susceptible d’expliquer le faible pourcentage des désertions de la fin du Moyen Âge. Bien sûr la chute démographique des XIVe et XVe siècles a fait plus qu’éponger les surplus de population ; mais elle n’a pu dépeupler assez le pays pour tuer les villages, en règle générale. C’est seulement dans les montagnes les plus pauvres, dans les Alpes et en Provence, que la crise démographique a pu déterminer une plus forte rétraction du réseau des habitats258.
III – Période moderne
231Après l’époque des pestes, des crises et des guerres anglaises commence, pour les paysans français, une période faste : la Renaissance, le beau XVIe siècle. Les disparitions d’habitat groupé s’y font extrêmement rares ; ou si l’on préfère, la mortalité des villages tombe pratiquement à zéro. Il se rencontre pourtant quelques cas de ce genre : La Tillardière (en Gâtine poitevine), peut-être effacée par une métairie vers 1520-1540259 ; La Boissière – minuscule hameau de Magny – dont on n’a plus de nouvelles (malgré l’abondance des textes locaux examinés par Tulippe), après sa première et dernière mention de 1521260. Peut-on dire que ces cas sont presque négligeables ? Ce sont, à notre avis, des disparitions de routine, sans rien d’important ni de significatif.
232À cela, quoi d’étonnant ? La période qui va, en dates larges, de 1480 à 1560, est favorable au paysan, même parcellaire : les forêts reculent à nouveau ; les franges pionnières s’élancent ; les emblavures s’étendent au détriment de l’élevage ; le blé gagne sur la laine ou la viande. Le phénomène des enclôtures autoritaires, l’impérialisme du mouton, l’expulsion des paysans par les seigneurs n’ont guère de sens dans une société qui cherche d’abord à faire des « bleds ». Si l’Angleterre jusque vers 1520 marque une tendance à devenir une grande entreprise lainière, la France de François Ier reste ou devient essentiellement une fabrique à grains. En outre, et jusqu’au commencement des guerres civiles, les rassembleurs de terres, en dépit de quelques progrès, et malgré des positions déjà fortes, sont bien loin de l’influence qu’ils détiendront au XVIIe siècle. La tendance reste longtemps au morcellement des tenures parcellaires ; et cette tendance ne se retournera vraiment, et pour une longue période, qu’au dernier tiers du XVIe siècle261, parfois plus tard. Or qui dit paysan parcellaire proliférant, dit village sinon heureux, du moins solide et bien enraciné. Le moraliste Jean de l’Espine, dans un texte tardif de style conventionnel, mais charmant, a-t-il gardé le souvenir de ces petits paysans point trop malheureux du XVIe siècle, « qui chantent tous les jours aux champs et ronflent la nuit en leurs petites maisons » ? On est bien loin en tout cas, avec ce texte, de ces animaux farouches que peindra La Bruyère un siècle plus tard, en évoquant les ruraux de son époque262.
233Quant au fisc sous François Ier, sous Henri II encore, il n’est pas dévorant : la courbe de l’impôt, au moins de l’impôt direct, traîne ; et elle a bien du mal à suivre, dans son ascension, celle des prix nominaux, stimulée par l’inflation du siècle263. Si l’on met à part les révoltes contre les gabeleurs, celles des Pétaulds de Guyenne ou d’Angoumois, on sait bien, du reste, qu’il n’y a guère de révoltes antifiscales dans la France d’avant-guerre, jusqu’en 1560. Le paysan grogne, mais il est peu pressuré par le Pouvoir.
234De même, le fardeau des dettes paysannes (au moins des dettes libellées en deniers – car il y a tout le vaste problème des dettes en blé), est allégé progressivement, entre 1530 et 1570, par la révolution des prix : la terre villageoise est ainsi, partiellement au moins, garantie des saisies.
235Ces conditions relativement favorables vont graduellement se détériorer à partir d’une date qu’on peut fixer, rondement, autour de 1560-1570.
236La cause occasionnelle en est fournie par les destructions des guerres civiles successives. Mais des causes non guerrières, plus profondes, et d’effet plus durable, sont, elles aussi, à l’œuvre ; elles déstabilisent vraiment, dans certains cas, l’habitat rural (alors que les guerres anglaises n’avaient fait bien souvent que le perturber momentanément).
237De ces causes (qui sont, d’une part, l’affaiblissement des positions paysannes, d’autre part, l’impérialisme accru des rassembleurs), on prendra bonne mesure autour de Paris.
Paris et son aire d’influence : guerres et fisc, dettes et rassembleurs
238La région parisienne, si calme dans la première moitié du XVIe siècle, est de nouveau cruellement ravagée à partir de 1562. Trois épisodes sanglants émergent de la foule des combats et des atrocités : une première fois, entre 1562 et 1568 les soldats protestants de Condé livrent bataille autour de Paris ; et la décennie 1560 laisse derrière elle, sur l’emplacement futur des hameaux ou villages qui seront portés disparus (à Rouillon et autour de Magny), quantité de masures (maisons en ruine) qui ne seront pas relevées.
239Second épisode guerrier : les combats qui, de 1588 à 1593, ont lieu dans le plat pays, tandis qu’Henri IV organise le siège de Paris ligueur. Ces guerres de la Ligue, sont responsables, elles aussi, de toute une série d’habitats perdus : les ruines définitives de Chevrigny264 sont signalées en 1599 ; et d’autres, nombreuses, sont attestées, vingt ans après les faits, en 1612 dans le terrier de Magny-les-Hameaux265.
240Troisième épisode : la Fronde, surtout la Fronde princière : en 1652, l’armée des Princes, les troupes levées par Gaston d’Orléans et le Parlement, enfin celles du duc de Lorraine exercent les sévices habituels des mercenaires ; elles pillent, détruisent, et contraignent à l’exode les paysans épouvantés266.
241Au total, trois catastrophes belliqueuses, en moins d’un siècle (1562-1652),
… avec leur habituel cortège d’exactions, pillages, incendies, vol de chevaux et de bétail, destruction de récoltes ; poids des impôts et des contributions de guerre ; fuite des habitants qui délaissent leurs champs : famines et épidémies.
242Trois catastrophes localisées, pour l’essentiel, au sud de la capitale. Rien d’étonnant si les disparitions d’habitats, elles aussi, interviennent principalement dans la partie méridionale de la région parisienne.
243Une telle densité chronologique de désastres ne s’était pas vue, en Île-de-France, depuis les guerres de Cent Ans. Elle ne se retrouvera plus jusqu’au XXe siècle, jusqu’à cette guerre de 1914-1918, qui, elle aussi, achèvera des villages malades, exécutera quelques sentences de mort généralement impliquées par l’histoire économique antérieure, et déracinera définitivement certains habitats267, prédisposés par l’atonie démographique.
244Quoi qu’il en soit, la période 1562-1652 a un caractère traumatique : et d’autant plus que les positions paysannes, autour de Paris, sont en plein recul, au moment où s’ouvre le XVIIe siècle.
245Recul, d’abord, dans le domaine démographique. Certains indices, encore incomplets, laissent présumer, dans les campagnes parisiennes, une tendance marquée à la régression du peuplement, après les sommets du XVIe siècle. Morangis compte douze naissances par an vers 1563-1575, mais huit en moyenne, et de façon constante dans les années qui vont de 1602 à 1701268. De même à Magny-les-Hameaux, on recense 96 maisons vers 1550 ; mais 68 en 1612, et 51 en 1702. Et, dans cet ordre d’idées, les mortalités de 1652-1653 (qui ont pu, la guerre aidant, faire périr 25 % de la population rurale autour de Paris)269, celles de 1661-1662, 1693-1694, contribuent à démanteler la démographie malsaine du XVIIe siècle.
246Certaines charges, d’autre part, s’aggravent beaucoup : c’est le cas, évidemment, pour la fiscalité. L’impôt, au moins l’impôt direct, la taille, était longtemps resté indexé, approximativement, sur la courbe des prix du blé parisien. Or, sous Richelieu, les tailles décollent de la courbe des prix. En valeur réelle, elles doublent presque, vers 1635-1640.
247Pression fiscale accrue, néfaste aux ruraux : d’une part, ces grandes tailles pompent l’argent des campagnes, et le refoulent vers Paris, vers le Trésor, et vers les caisses de financiers ; de ce fait la bourgeoisie parisienne est d’autant mieux armée pour s’emparer des terres, autour de la capitale.
248D’autre part, dans le bassin de Paris, la taille est personnelle ; et les privilégiés ne payent pas l’impôt direct, qui tombe en grosse partie sur le paysan.
249Il est vrai que les fermiers des nobles, eux, sont frappés par le fisc ; et cette obligation, en fin de compte, porte préjudice aux propriétaires privilégiés puisque ces fermiers, chargés d’impôts plus lourds, sont hors d’état de payer à leurs maîtres une rente plus élevée.
250Les gentilshommes tentent d’échapper à ces inconvénients. Et leurs ruses mêmes ont pour conséquence imprévue de compromettre l’habitat paysan. L’article 33 de ledit de 1634 n’autorise en effet les nobles, ecclésiastiques, et autres personnes privilégiées, « à ne faire valoir par leurs mains qu’une seule de leurs terres et maisons » ; et il ordonne que les receveurs ou serviteurs dirigeant leurs autres exploitations soient taxés « tout ainsi que pourraient l’être des fermiers ». Du coup, les nobles ou clercs ainsi visés sont amenés à pratiquer certaines formes de concentration foncière ; ils mettent toutes leurs fermes sous la main de leur seul régisseur exempt d’impôt, et pour cela, « réunissent trois ou quatre fermes ensemble, et achètent les maisons des paysans pour les abattre ». De telles méthodes, qu’utilise, par exemple, le conseiller d’État Lemaître de Bellejame, sont néfastes aux villages ; et elles paraissent avoir eu le maximum d’ampleur entre 1634 et 1667. Les lettres patentes d’août 1664 les autorisent même expressément. Mais le Règlement de mars 1667 s’efforce de les interdire270.
251D’autres charges s’aggravent au début du XVIIe siècle : la dîme était fortement contestée, même en cantons catholiques, à la veille et à l’époque des guerres civiles ; au point que de véritables grèves décimales éclataient un peu partout dans le Bassin Parisien, en 1562-1563, 1565-1567271. Après 1600, au « siècle des saints », au temps de Bérulle et de Vincent de Paul, et dans l’esprit de la Contre-Réforme, cette contestation n’est plus tolérée, ni mise en avant ; les paysans, de gré ou de force, par peur ou par piété, redeviennent décimables soumis. Et c’est autant de prélevé sur leur revenu.
252Enfin, problème des lourdes rentes : sans doute la rente foncière (concurrencée par le prélèvement fiscal) monte-t-elle assez peu, au moins dans les pays de taille personnelle, pendant le XVIIe siècle.
253Mais les rentes du capital-argent, fondées sur le jeu des emprunts, ne connaissent pas cette modération. Au XVIe siècle encore, les dettes paysannes s’effilochaient, au rythme d’une inflation galopante. Au XVIIe siècle, au contraire, les pentes des prix nominaux du blé montent très lentement. À certaines périodes, elles baissent. Du coup, toutes les créances d’argent (pour peu qu’on calcule leur valeur réelle en grain), sont consolidées ; et même, à l’écroulement des prix, sous Colbert, ces créances sont rajeunies, réévaluées, momentanément regonflées272. La baisse progressive du taux d’intérêt ne compense que très partiellement cette insolente sécurité du capital. Monsieur Dimanche n’est pas à plaindre ; et Don Juan ne le lui envoie pas dire.
254Les paysans de l’époque de Colbert, souvent cousus de dettes, sont pris à la gorge par leurs créanciers ; et ils doivent rembourser, en quantités inchangées de livres tournois, les dettes de Fronde et d’avant-Fronde : or leur blé, principale denrée commercialisable, a perdu, entre 1650 et 1665, 50 % au bas mot de sa valeur nominale (en livres tournois).
255Colbert, bien loin de soulager ces endettés, par un procédé de New Deal (moratoire, ou inflation), choisit précisément ce moment pour faire rembourser d’autorité, à chaud, les dettes des communautés paysannes ! Les paysans doivent se libérer d’un passif, dont la valeur réelle, en denrées qu’ils produisent, a doublé depuis quinze ans.
256C’est une bonne affaire pour les créanciers ; mais c’est aussi l’un des non-sens économiques du Ministère. Un tel maintien des charges, combiné avec la baisse du revenu brut, compromet, dans les faits, la rentabilité de l’exploitation (même si, cas général, cette rentabilité n’est pas consciente, les intéressés ne tenant pas de comptabilité régulière). Et du coup se créent pour l’expulsion des tenanciers les plus obérés, et pour l’effacement de leurs parcelles et de leurs maisons, certaines conditions très propices.
257Guerres, dépopulation, fisc, dîme, dettes, déficit d’exploitant : brochant sur tout cela, profitant de tous ces malheurs, voici maintenant l’attaque citadine. En l’occurrence, c’est d’une très grande ville qu’il s’agit : Paris, soit 400 000 habitants, au moins, vers 1630-1690273. Paris, ses notables, privilégiés ou non, ses officiers, sa bourgeoisie montée en graine, et qui se renie pour la Robe, et qui se laisse guider par le snobisme du titre, et par l’obsession de la terre ; Paris où survit ainsi, en pleine grande ville, une mentalité paysanne : les bourgeois et les notables remodèlent le plat pays parisien, concentrent les lopins, remembrent les finages, effacent des maisons et parfois des hameaux. En dépit de cette offensive, le réseau des paroisses, trop fortement implantées, reste intact ; mais, localement, l’habitat intercalaire est parfois nettement modifié, dans la période longue qui commence aux guerres de religion.
258La désintégration de certains hameaux est donc inséparable du bond en avant des rassembleurs de terre. Parmi ceux-ci, d’abord, il y a les bourgeois parisiens, de robe et de marchandise, déjà signalés, qui achètent à la fois terres et seigneurie274 ; ensuite certains monastères, comme Port-Royal ; enfin, minoritaires, divers éléments non citadins : fermiers-laboureurs, marchands de grains, officiers de villages. L’impérialisme terrien de tous ces groupes semble spécialement vif à partir de la fin du XVIe siècle, à partir des crises et combats de la Ligue275.
Hameaux radiés
259Ainsi, les séries causales convergent. Dans certains cas, elles peuvent conduire à de pures et simples disparitions, au retour à la forêt, d’habitats et défrichements marginaux : ainsi, à Trappes, la « ferme et métairie » du Désert avait été fondée en 1507, par des pionniers sur des sols de terres froides, calcinées l’été, « battantes » et détrempées l’hiver ; dès 1644, le Désert est signalé comme détruit et abandonné ; son finage retourne à la friche276.
260Dans d’autres cas – les plus suggestifs – guerre et crise peuvent non pas grossir les terres abandonnées, mais fournir l’occasion d’agir aux rassembleurs des labours.
261Magny-les-Hameaux277, à la veille des guerres de Cent Ans, était un « atome » classique, parmi les habitats de type anciens : vieux « noyau » central (Magny), environné de hameaux périphériques, dont un certain nombre étaient assez récents, issus des grands défrichements. Au total, douze localités encore, vers 1400, formant le village total.
262Tout cela est déserté au milieu du XVe siècle ; tout cela au début du XVIe siècle est repeuplé, avec une exacte et touchante fidélité aux normes de l’habitat médiéval. Des douze habitats précédemment attestés, puis abandonnés (le centre et les onze hameaux), un seul – La Croix du Chapitre – change de structure avec la reconstruction de la Renaissance : ce hameau de 1420, « désoccupé » en 1483, revient à la vie en 1521, mais sous la forme d’une ferme isolée de 50 arpents. En revanche, le centre (Magny), et les dix autres hameaux parmi lesquels La Couperie, Broissy, Cressely, Les Granges de Port-Royal, Marmosson, Mérantais-Mérancis restent fidèles à leur vocation primitive ; ils redeviennent, sous François Ier, à peu près ce qu’ils étaient sous Charles VI, avant leur disparition momentanée : des groupements, plutôt lâches, de chaumières paysannes.
263En somme la fin du Moyen Âge, dans ce petit pays, a créé, momentanément, des vides atroces ; elle a marqué, localement, une solution provisoire de continuité ; mais elle n’a pas consacré la rupture définitive d’une tradition, la rupture à l’anglaise, que Maurice Beresford a constatée au contraire dans les Midlands ; en Ile-de-France, la tradition médiévale est renouée sous François Ier ; mieux, elle est exacerbée, car les essarteurs de Magny, entre 1480 et 1550, ne se bornent pas à restaurer l’ancien état de choses ; ils fondent, en outre, de nouveaux hameaux, écarts typiques de défrichements marginaux, localisés pour la plupart à la bordure extrême de la grande clairière villageoise : par exemple, La Boissière, L’Étang Coignet, Fontaine-de-Magny, La Frontaudière et La Giroudière (aux toponymes caractéristiques, et dérivés du nom de famille des pionniers Frontaud et Giroud) ; enfin Fleurance et la Haute Tasse. Vers 1550, Magny-les-Hameaux mérite plus que jamais son nom : au lieu de douze écarts avant les catastrophes des guerres anglaises, Magny, une fois ces catastrophes effacées, compte désormais vingt-huit écarts. En somme le village épanoui de la Renaissance semble avoir restauré, et même accru les structures de l’époque gothique. Le Moyen Âge recommence.
264Mais non. Tout cela n’est qu’un faux départ, un bref interlude. L’âge classique de la propriété, – celui des rassembleurs bourgeois à prétentions nobiliaires, des grandes fermes et des châteaux – n’est pas éloigné. À Magny, à partir de 1560, c’est le massacre des hameaux : parmi les écarts de première origine, déjà attestés au Moyen Âge, cinq disparaissent ou peu s’en faut : La Couperie, où, dès 1612 (terrier), il n’y a plus de maisons ; les terres ont été acquises par des rassembleurs, par des forains ou bien par l’abbaye de Port-Royal, qui, de seigneur à censives, devient propriétaire direct.
265Broissy-le-Vieil, déjà fortement rétréci à la suite des destructions du XVe siècle, disparaît complètement après 1550 : en 1579, on n’y trouve plus que des masures. Les tenanciers ont émigré et leurs terres seront acquises par Port-Royal, et par le seigneur de Buloyer.
266Cressely manque de peu la destruction : en 1576-1577, le Collège de la Marche expulse les tenanciers, faute de paiement de cens : le hameau qui comptait dix maisons en 1550 n’en aura plus que deux au milieu du XVIIe siècle.
267Aux Granges de Port-Royal, il y avait, outre la ferme de l’abbaye, 8 maisons avec tenures vers 1550 ; dès 1663, les maisons ont disparu… mais la ferme de l’abbaye a plus que doublé en superficie de terres appropriées.
268Marmosson a 3 maisons en 1521, 7 maisons vers 1545-1565. En 1612, ce hameau est mort (tout comme son voisin Mérancis, qui avait 3 maisons au XVIe siècle, tout comme Fontaine-de-Magny, tout comme Fleurance, qui dénombrait 3 maisons en 1521) : le « Marmosson » de 1612 n’est plus qu’une maison, bâtie sur une tenure de 15 arpents. En 1667, R. Bontemps, seigneur de Mérautais, receveur de tailles et conseiller du Roi, acquiert cet ultime habitat. Marmosson est rayé de la carte ; et la famille Bontemps ne s’arrête pas là : en 1702, elle efface un autre hameau, Mérautais.
269Toujours à Magny, les hameaux de fondation récente (fin XVe-début XVIe siècle), ne connaîtront pas meilleure fortune : La Haute Tasse (4 maisons en 1521), La Boissière, et L’Étang Coignet disparaissent silencieusement dans la seconde moitié du XVIe siècle.
270La Payennerie (qui comptait au moins 3 maisons en 1514-1526) est absorbée par Port-Royal à partir de 1550 : en 1608, tout le hameau est « en ruine et en non-valué ». Un maçon demande en vain qu’on rebâtisse le site.
271L’absorption et la disparition de La Frontaudière s’effectuent entre 1568 et 1612. Celle de La Giroudière entre 1589 et 1612.
272Au total, sur 28 localités que comptait Magny entre 1520 et 1550, 17 disparaissent entre 1550 et 1702 ; et la plupart du temps, entre 1550 et 1612. Le tableau suivant résume, pour cette grosse paroisse, les fluctuations de l’habitat intercalaire, dans la longue durée :
Nombre de sites habités à Magny-les-Hameaux :
XIVe siècle | 12 |
1463 | réoccupés |
Vers 1550-1560 | 28 |
1702 | 11 |
1934 | 9 + 3 écarts récents |
273La période 1560-1702, est bien celle du grand traumatisme : réduisant de plus de moitié, et pour toujours, le nombre des habitats ; aux époques suivantes (XVIIIe-XXe siècles), quelques phénomènes d’érosion se font sentir encore, mais modestes, limités, somme toute normaux.
274Hors de Magny, on note, pour cette période spécialement dangereuse des Temps modernes, des disparitions de type analogue : un texte de 1650 présente « la ci-devant localité de la Petite Tasse, a village de 4 ou 5 feux, lesquels ont été démolis et mis en culture »278. Ce « village » était situé sur le terroir actuel des Essarts-le-Roi, décidément fort éprouvé : une autre localité du terroir, ex-paroisse, Les Layes, disparaît à une date indéterminée, entre 1370 et 1709 ; et, toujours aux Essarts-le-Roi, le hameau de Malassis (3 maisons au XVIe siècle) sera compté comme ferme isolée au XVIIIe siècle.
275Au village de Clairefontaine, quatre hameaux disparaissent, sans autres précisions, dans un intervalle compris entre 1612 et le XVIIIe siècle279.
276Dans la commune actuelle de Senlisses : le hameau de La Barre280 était ruiné une première fois, au terme des guerres anglaises ; une seconde fois (après sa renaissance) aux guerres de religion : la destruction totale est attestée en 1599. La Barre, au XVIIe siècle, revivra, mais seulement comme château, remise, et ferme isolée.
277Des six villages de la châtellenie de Chevreuse, attestés en 1370, un seul, Chevrigny281, aura disparu en 1709. Chevrigny, mentionné en 1332, 1370, 1500, est encore en plein bourgeonnement et morcellement au XVIe siècle ; mais le site est en ruine en 1599, à la suite des combats de la Ligue. Le chapitre Notre-Dame de Paris vend le terroir déserté, qui s’intègre alors à un grand domaine.
278L’éradication totale d’un site important peut exiger un très long délai : dans bien des cas, en effet, il faut du temps pour que la population d’un village ou d’un hameau se rétrécisse au point d’offrir une proie facile aux rassembleurs.
279Exemple : Montéclin, sur la commune de Bieires282, n’est aujourd’hui qu’une grande propriété – or en 1518, Montéclin comptait 13 familles ; en 1549, 20 familles ; en 1678, dans 12 période de démographie contractée, 10 maisons ; en 1711, 8 feux. La courbe continue à descendre, et au milieu du XVIIIe siècle, un inventaire de titres prononce l’oraison funèbre de Montéclin :
La terre de Montéclin était originairement une ville (sic) composée de plusieurs grandes rues. Cette ville de Montéclin n’est plus aujourd’hui qu’une grosse ferme.
Les châteaux et les parcs
280La construction des châteaux, la création et l’agrandissement des parcs posent également des problèmes aux habitats paysans. À la Renaissance, les châteaux de la Loire étaient bâtis en pleine forêt, ou sur le site d’un ancien château-fort ; ils respectaient les villages qui continuaient à vivre de leur vie propre, près du palais nouvellement construit. Il n’en est pas de même au XVIIe siècle.
281Des dix-huit paroisses de la circonscription de Saint-Cloud, attestées en 1370, deux disparaîtront par la suite, victimes de châtelains ou de rois : l’une, c’est La Marche283, remplacée par le château de ce nom ; l’autre : Trianon, effacée par le palais du Grand Trianon.
282Trianon n’est pas seul en cause, les villages de Choisy-aux-Bœufs et Versailles, le hameau de Musceloue, eux aussi, sont évincés par les chantiers versaillais.
283L’ancien Versailles, d’avant le château, était attesté des le XIVe siècle ; il est bien connu par un plan de 1662 ; c’est, comme d’autres habitats disparus284, un groupement humain assez important, mais plutôt pauvre, perdu parmi les bois, les étangs, les marécages ; son église est flanquée d’une léproserie ; ses maisons sont en ordre lâche, aéré ; séparées les unes des autres, elles sont disposées parallèlement au chemin axial. C’est une sorte de village-rue, né d’un défrichement peut-être assez récent. Derrière les maisons se trouvent les jardins ; et, plus en retrait encore, les coulures ou quartiers d’un openfield à lanières, celles-ci extrêmement minces et morcelées. Il y a aussi des ruches, des vignes, des prés, des taillis, une châtaigneraie, une garenne à lapins.
284Depuis toujours assiégé par la forêt, Versailles est un vieux relais pour la chasse, bien avant l’éviction du site par le château. Henri IV y court le cerf. Et Louis XIII, qui plus tard y fera les premiers achats royaux de terres et d’immeubles, y vient, petit enfant, pour tirer cailles, levrauts, perdrix.
285À l’écart de ce village, peuplé de petits laboureurs et manouvriers, voici la grosse ferme de Gally, aux bâtiments disposés en ordre carré : juxtaposition classique de l’habitat parcellaire (Versailles) et de l’écart capitaliste (Gally). Mais cette ferme, elle aussi, disparaîtra, balayée par Le Nôtre et Mansart.
286Plus au sud, les villages de Trianon et Choisy-aux-Boeufs étaient bien visibles encore en 1668 ; un tableau de Patel285, peint cette annéelà, les présente comme des habitats de défrichement et clairière : leurs openfields sont disposés aux bords extrêmes de la forêt.
287Le cas de Choisy-aux-Bœufs, bonne paroisse à auberges et à troupeaux, est connu de façon précise : en 1370, taxé à 768 sous, c’était le plus gros village de la châtellenie de Châteaufort, et bien plus important que Versailles et Trianon (respectivement taxés à 80 sous et 10 sous)286. Signalée comme totalement ruinée, une première fois, en 1474, puis rebâtie, cette « ville » de Soizy-le-Saint-Cyr prend à la fin du XVe siècle son nom moderne de Choisy-aux-Bœufs, quand elle devient étape sur la route du bétail mené au marché de Poissy, pour la consommation parisienne : ce bétail file le long des chemins aux bœufs, jalonnés de mares et d’étangs, qui font office d’abreuvoirs.
288Quand s’affirme la prédilection de Louis XIV pour Versailles, Choisy n’a plus longtemps à vivre.
289C’est pourtant un village important : une quarantaine de maisons, certaines en ordre serré, parallèles à la voie principale ; les plus nombreuses en ordre lâche, perpendiculaires à ce même chemin, et flanquées de gros vergers et de champs ouverts.
290En 1684, Choisy est, comme nous dirions aujourd’hui, « frappé d’alignement », inclus dans le périmètre d’abandon, qu’on a dessiné au profit des futurs parcs. La destruction effective est accomplie l’année suivante. L’abbaye de Sainte-Geneviève, non sans arrière-pensée peut-être, avait acheté des terres et des immeubles à Choisy : elle est indemnisée de 260 000 livres. Et le village est rasé, la terre de son cimetière étant portée aux cimetières des paroisses voisines qui, elles, sont épargnées.
291Quant à Trianon, ce n’était qu’un petit groupement. Sa minceur (terroir de 105 arpents, dont 86 de labours ; 1 de fustaye ; 17 hectares de maisons, jardins, enclos, bâtiments de ferme ; et un peuplement réduit de manouvriers) ne le sauve pas de la destruction, vers 1670.
292L’éradication de ces villages, opérée par les architectes ou jardiniers de Louis XIV, n’est pas seulement une entreprise esthétique. Elle s’inscrit dans un dessein plus vaste, qui l’apparente aux projets des bourgeois rassembleurs de terres. Abattant les villages, réunissant les terroirs, les rois de France achevant eux aussi, à l’époque moderne, de constituer un énorme ensemble foncier. Bien plus tard encore Louis XV fait raser la paroisse de Retz, « gênante pour le Roi » ; et sur l’emplacement de celle-ci, François de Monville fera édifier un jardin anglais287. En 1778, cette masse de domaines comprendra 34 fermes, et 10 000 arpents, dont les revenus annuels montent à 1 600 000 livres.
293Inversement, le goût des résidences luxueuses n’est pas le propre des rois. Les particuliers eux aussi peuvent être de petits potentats.
294En 1481, au lendemain des guerres de Cent Ans, le village de Rouillon288 s’était fondé dans la zone dévastée du Josas : loin de la route et des routiers, parmi les bois, des pionniers y avaient pris, en bail à cens, une clairière. Vers 1550, au terme du « beau XVIe siècle », Rouillon compte 10 à 12 maisons, dont 2 ou 3 chaumières. Mais voici les premiers traumatismes : en 1562, le site est pris, pillé et saccagé par les reîtres de Condé. Et les rassembleurs fonciers accourent de Paris : Denis Thévenin, procureur au Parlement, achète les emplacements des masures (maisons ruinées). En 1609-1613, Rouillon compte une dizaine de masures, et encore quelques habitants ; en 1621, 2 ou 3 maisons valides. La localité disparaît tout à fait entre 1621 et 1652 : le châtelain de Plessis-Saint-Père a fait raser les restes du village ; il y installe son parc, et les allées de son château.
295Mésaventure analogue, sans doute, pour le hameau disparu d’Avron, sis sur le plateau du même nom : cet habitat est victime de la construction d’un château, entre 1634 et 1649289.
296À Morangis290, l’habitat paysan est érodé (mais non pas détruit en totalité) par l’agrandissement d’un parc, et par le développement d’une demeure seigneuriale. Les documents étudiés par Jean Jacquart permettent de restituer le contexte social de l’opération. C’est Anne Laubigeois qui s’en charge : elle épouse le seigneur et châtelain de Louans, Jean de Baillon (fils de Guillaume de Baillon, conseiller du Roi et maître ordinaire en la Chambre des Comptes, lui-même étroitement lié à la bourgeoisie parisienne). Jean de Baillon est couvert de dettes : pour les régler, il vend à sa femme le château de Louans. Devenue maîtresse du logis, Anne se met à l’œuvre, achète les maisons voisines de sa résidence, les enclôt dans le parc, les démolit, les convertit en prés, entre 1618 et 1650 environ291.
297L’éradication « moderne » (fin XVIe-XVIIe siècle) d’un certain nombre d’habitats paysans, dans les campagnes parisiennes, s’accompagne de modifications dans le paysage, dans les structures sociales, les mentalités.
298Paysage : l’habitat qui régresse, en général, n’appartient pas aux villages dignes de ce nom, dont les nombreuses maisons sont contiguës, étroitement serrées l’une contre l’autre ; les habitats mourants sont situés loin de ces gros centres paroissiaux ; dans les écarts, dans les hameaux en ordre lâche, formés de chaumières, et bâtis en torchis ; la guerre aux chaumières s’accompagne alors (sauf en cas de destruction universelle, comme à Versailles) d’une promotion des grosses fermes, en ordre carré, flanquées souvent d’un château.
299Dans le plat pays parisien, une progressive simplification du parcellaire se fait jour, aux terroirs touchés par le complexe concentration-désertions : on passe des lames de parquets de l’openfield laniéré, au grand damier de l’openfield-mosaïque.
300Simplification aussi du réseau des chemins : car les petites routes, qui desservaient les hameaux défunts, tombent en décrépitude, labourées dès que possible par les fermiers292.
301En revanche (et c’est à nouveau une différence très sensible avec l’Angleterre, et aussi avec la France de l’Ouest), – la concentration foncière du XVIIe siècle, en région parisienne, ne s’accompagne pas d’une apparition des bocages et des enclôtures293. L’openfield est transfiguré, remembré ; mais il subsiste, plat et nu ; la grande culture n’aura jamais, dans cette région, jusqu’à nos jours, à s’embarrasser de haies vives.
302Le mouton anglais avait profité au maximum des enclôtures de la grande époque (1450-1520). Au contraire l’élevage parisien bénéficie peu des disparitions d’habitat, et des modifications du parcellaire, postérieures à 1560 : sans doute quelques jeunes prairies s’emparent de la terre grasse et bien fumée des jardins supprimés ; et elles s’installent de-ci, de-là, en lieu et place des maisons et hameaux détruits, des enclos, des vignes, des vergers, des maraîchages minuscules, des étangs qui entouraient ces hameaux ; ainsi près de Magny, au Val de Gironde ; et à Morangis, vers 1650. Mais dans l’ensemble, les nouveaux maîtres, les rassembleurs-destructeurs parisiens sont différents de leurs homologues britanniques : ils font surtout du grain, non de la laine ; et ils restent fidèles au vieux système des petits tenanciers qu’ils évincent : blé, avoine, jachère. Ce système durable, ils le pratiquent simplement à plus grande échelle, et sur des champs plus vastes.
303Le contenu social des villages se modifie, lui aussi, en cas d’ablation des hameaux par les rassembleurs : à Magny, en 1702, les propriétaires forains sont 47 (dont une majorité de bourgeois, et seulement 13 laboureurs) ; les propriétaires indigènes ne sont plus que 22.
304L’effacement de hameaux par les grands domaines, au XVIIe siècle, est inséparable d’une psychologie des nouveaux maîtres : sens naissant de l’organisation capitaliste, goût du domaine isolé, tranquille, « tout uni et joint en une seule pièce de figure carrée ou ronde »294, sans paysans propriétaires indépendants, qui troubleraient la quiétude des maîtres du sol.
305L’un des principaux destructeurs de hameaux, jusqu’à Louis XIV, c’est le monastère de Port-Royal : la maison des Solitaires est donc logique avec les vocations de ses hôtes ; elle a dépeuplé plus que quiconque. Remarquable coïncidence, qui peut n’être pas entièrement fortuite : Port-Royal contribue de façon décisive à former en France l’esprit bourgeois ; mais Port-Royal est aussi, au détriment des vieilles cellules d’habitat paysannes, l’un des pionniers du capitalisme agraire.
306Autre fait de mentalité, typique lui aussi du classicisme : le goût du grand parc à la française, qui sacrifie, à une géométrie impitoyable, le paysage et l’habitat rural. Cette rigueur classique est de longue durée : Frédéric II, lui, sauvera le meunier de Sans-Souci, menacé d’expulsion par l’agrandissement de Potsdam ; et il annoncera, l’un des premiers peut-être, une évolution, qui s’accorde avec la « sensibilité » naissante du XVIIIe siècle. Mais les Wüstungen versaillaises, ordonnées par Louis XIV et par Le Nôtre, sacrifient allègrement le « petit homme » au tracé des parcs et à la rectitude des allées.
307Aux XVIIIe-XIXe siècles, l’extinction de certains hameaux se poursuivra ; mais à un rythme plus lent que dans la phase traumatique (1560-1715). Les exemples d’habitats dépéris concernent en général, dans cette période, des localités minuscules (3 ou 4 maisons295.) Sur le tard, après 1850, grâce à l’exode rural qui vide sans douleur les habitats campagnards, les hameaux peuvent connaître une mort très douce (alors qu’au XVIIe siècle, c’étaient souvent les vides cruels créés par les massacres et les famines qui permettaient aux rassembleurs de réduire des hameaux entiers).
308L’ex-hameau des Petits-Claux296 offre un bon exemple de ces processus d’euthanasie contemporains ; il y avait là, dans une clairière marginale de la forêt de Rambouillet, 4 ou 5 maisons en ordre lâche, vers 1880. Deux sont détruites, une seule est encore habitée, en 1960, par le garde-chasse du château voisin : c’est que le hameau a été acheté, à la fin du siècle dernier par de riches Parisiens. Exemple aussi du petit village, aujourd’hui défunt, de Saint-Lubin-d’Isigny297. Bien marqué encore, avec ses maisons, sur le cadastre de 1806, il disparaît totalement, remplacé par de grands labours, au cours des décennies suivantes : car la famille Soult (qui deviendra Reille-Soult) acquiert tout le finage ; et les ruraux résidents, privés de droit d’usage dans les biens communaux, meurent ou décampent ; aujourd’hui les charrues tractées butent sur les tombes du cimetière de Saint-Lubin.
309La crise paysanne, l’offensive capitaliste ne sont pas seules en cause. Il faut tenir compte d’un troisième facteur de désertion : la mort progressive de l’énorme viticulture qui entourait et abreuvait Paris.
310La Fontaine-Saint-Georges était, au XVIe siècle, une sorte de village-rue, courant tout au long d’une interminable crête ; les maisons étaient assez écartées les unes des autres ; le terroir en arêtes de poisson ; les coteaux sous-jacents couverts de vignobles : le site fut brûlé une première fois, aux guerres de religion, dans la décennie 1560298 ; la régression viticole, signalée dans ces régions par Robert Dion, a dû l’achever. En 1830 (cadastre) La Fontaine-Saint-Georges a disparu ; il n’en subsiste qu’un hameau au point extrême de l’ancienne « rue » ; ailleurs, seulement des ruines et des friches, sortes de gâtines. C’est un village mort marginal, comme on en voit beaucoup au Midi de la France, mais assez peu dans le Bassin Parisien : la concentration capitaliste, en effet, n’a guère joué sur ces terres rocailleuses de l’extrême Sud beauceron ; délaissées par les vignerons, elles n’ont pas tenté les rassembleurs ; elles sont simplement retournées à la friche.
311Aux Plissons299, les séries causales se sont combinées de façon un peu différente : il s’agit d’une mort purement naturelle, sans accident belliqueux. En 1834, ce hameau comptait, en plus d’une grosse ferme à blé, huit maisons de paysans et de vignerons300. Vers 1850-1880, les crises et maladies de la vigne (de l’oïdium au philloxera), le déclin de la petite culture, les débuts de l’exode rural débilitent cet habitat : vignoble et hameau sont rayés de la carte. D’immenses labours, d’un seul tenant, recouvrent l’emplacement des Plissons. Les grandes fermes voisines ont effacé le vieux parcellaire.
312Reste enfin à examiner un cas particulier, qu’on rencontre aussi bien au XVIIe siècle qu’aux XIXe-XXe siècles : celui des disparitions non point physiques, mais « morales » de villages et de hameaux d’Île-de-France.
313Ces disparitions, d’un genre très spécial, sont-elles imputables aux dynasties des fermiers-laboureurs, pratiquant la grande exploitation ? Une telle hypothèse est plausible : car ces capitaines de culture ont intérêt à concentrer les terres, mais non pas à dépeupler les villages. Certes dans la période de démographie décadente (XVIIe siècle), ils ont pu se rendre complices, avec les propriétaires – rassembleurs, de destructions complètes d’habitats. Mais en temps normal – au moins jusqu’à la période, toute récente, où l’ultra-mécanisation permet de débaucher les ouvriers –, ces gros fermiers ont besoin de forces de travail, abondantes. Et où les prendraient-ils, sinon dans les villages et les hameaux ? Leur tendance n’est pas tant de vider l’habitat rural ancien, que d’en évincer, d’une façon ou d’une autre, le paysan parcellaire, pour mettre en place un peuplement totalement prolétarien, et qu’ils tiennent à leur discrétion.
314Ainsi dans la Brie septentrionale (entre Marne et Grand Morin, Jouarre et Coulommiers) : une structure de hameaux disséminés (8 à 10 feux) s’était reconstituée – comme à Magny301 – au lendemain des guerres anglaises ; à partir de 1600 (date large), elle se laisse plus ou moins absorber par les grosses fermes voisines, qui sont propriétés nobiliaires ou citadines. Une enclave de grands champs se crée donc à l’époque moderne dans les terroirs de la Brie du Nord. Certains des hameaux mis en cause disparaissent complètement : ainsi La Guillonerie ; et l’écart de La Choqueuse, « phagocyté » par la ferme de La Marserie. D’autres paraissent garder une survie physique : mais leurs habitants cessent d’être tenanciers indépendants ; des familles de manouvriers et valets de fermes leur succèdent : ainsi évoluent, toujours dans cette région, La Borde Jeannelle, au XVIIe siècle ; La Masure Michel, et La Borde aux Bois, au XVIIIe siècle ; et, au cours d’un long processus, qui s’étend de 1480 à 1750, le hameau du Petit Couroy, au profit des fermes proches de la Commanderie, La Brosse, Hideuse302.
315Ce processus original « d’inclusion » culminera aux XIXe-XXe siècles dans la création des ferme-villages, qui seront aussi des ferme-usines.
316L’un de ces cas extrêmes est bien connu. À Puiseux-Pontoise (village du Vexin français) Théophile Thomassin, fermier entrant de la réserve seigneuriale, est signalé pour la première fois en 1766 : en moins de deux siècles les descendants de ce Théophile s’emparent de tout le village : inlassables couseurs de parcelles, les Thomassin acquièrent d’abord, à la Révolution, les Biens Nationaux du terroir ; puis au XIXe siècle, les terres du marquis de Girardin ; enfin les parcelles paysannes. Dès 1856, ils installent une usine pour le traitement de leurs betteraves. Propriétaires presque uniques du finage, maires pratiquement héréditaires, les Thomassin ont su créer un ensemble terrien d’une grande efficacité. Mais Puiseux-Pontoise, peuplé seulement des ouvriers de la ferme, n’était plus, aux dernières nouvelles303, qu’un habitat-satellite, village-robot télécommandé par un grand domaine autocrate.
L’Ouest : du hameau à la métairie bocagère
317Loin des openfields nord-orientaux, les problèmes de l’Ouest ont une coloration particulière. Dans l’Ouest de la France, en effet, l’effacement des villages ou des hameaux, quand il est signalé, accompagne assez souvent les progrès de la métairie bocagère, ou parfois de la grosse ferme. Comme dans le Bassin Parisien, c’est à partir de 1550, à la fin du XVIe siècle, et pendant le XVIIe siècle, que ces transformations interviennent : elles ne sont pas seulement, ni surtout, le fait d’une bourgeoisie ascendante (comme c’est le cas, ailleurs, avec la bourgeoisie parisienne) ; mais elles sont mises en œuvre par la noblesse de l’Ouest, y compris la plus « féodale » ; cette noblesse dispose en effet de moyens nouveaux ; elle est enrichie et comblée, au XVIe siècle, par une hausse des prix agricoles et par l’afflux d’argent. En dépit de son dynamisme, cette vieille noblesse reste figée dans certains cadres juridiques du passé ; elle n’encourage nullement les formes les plus modernes du fermage capitaliste utilisées dans la Beauce ou dans la Brie ; elle utilise les vieux contrats à mi-fruit, les métayages et les métairies, qui resteront jusqu’au XXe siècle caractéristiques des sociétés les moins développées. Elle manie aussi l’arme vénérable – et toujours efficace – du retrait féodal, ce droit d’option prioritaire du seigneur sur toutes les terres de son fief. Le XVIIe siècle est l’âge d’or de cette noblesse, ancienne par le titre, mais nouvelle par l’agressivité foncière. (Quant aux paysans d’Ouest, qui vendent ainsi leur lopin aux nobles ou notables rassembleurs, ils y sont poussés par les dettes ou même par la faim, par le besoin à tout prix d’argent ou de pain, comme dans l’année-récolte de 1630-1631.)
318La métairie, qui triomphe des hameaux, apporte avec elle son paysage caractéristique : le bocage envahit tout : les haies et les fossés font disparaître les dernières traces d’openfields et de vaine pâture, disparaître aussi des étangs et des boqueteaux.
319À une telle évolution, la démographie malsaine du XVIIe siècle n’est pas étrangère. Les variations démographiques de l’Ouest français, à l’époque moderne, sortent un peu de l’ombre, grâce à quelques travaux récents ; déjà certains trends semblent perceptibles : montée probable des populations au XVIe siècle jusque vers 1580 ; déclin par la suite, qu’affirment les courbes d’état civil, dessinées dans le Maine-et-Loire et dans le Calvados304.
320Qu’elles soient relativement paisibles, comme à Port-en-Bessin, ou au contraire hachées par les famines comme à Saint-Lambert-les-Levées, ces courbes de baptêmes ou de mariages présentent en effet un trait commun : elles descendent, au siècle de Louis XIV. Cette baisse est spécialement grave aux pays de la Loire, inférieure et moyenne, qui sont l’épicentre français des grandes famines, en 1661-1662 ; et elle est notée, au passage, par les voyageurs attentifs : John Locke, traversant l’Ouest atlantique, en 1678, voit quantité de maisons croulantes et vides d’habitants : d’où il déduit, raisonnablement, que la population n’a guère tendance à augmenter305.
321Donc, les Wüstungen de l’Ouest, au XVIIe siècle (chronologie large), peuvent être tenues, dans un certain nombre de cas, pour l’effet combiné d’une agression des métairies, et d’une régression des peuplements. Cela dit, les habitats sacrifiés, du moins dans l’état présent des recherches, ne sont ni très nombreux, ni très importants.
322Dans la Vienne, le hameau de La Reygondonnière306, est acquis, puis effacé par des rassembleurs de terres, vers 1600. Le hameau ou village de Rouflamme, peuplé de tenanciers indépendants, en 1563, 1571, 1596, devient après 1600 ferme isolée. Le hameau de L’Herpinière comptait 5 à 6 familles, paysans parcellaires, jusqu’en 1601 ; par la suite, il se transforme en grand domaine : l’évolution, dans le cas de L’Herpinière, paraît s’être opérée sans douleur ; et les anciens tenanciers de ce hameau, séparés de leur vieux finage, ne semblent pas devenus pour autant prolétaires ou vagabonds, mais petits bourgeois de Montmorillon : c’est contre écus qu’ils ont cédé leurs lopins au rassembleur.
323La commune de Saulgé, ou étaient situés Rouflamme et L’Herpinière, s’affirme comme une place de prédilection pour les mutations d’habitat : un troisième « village », celui des Gats, s’y transforme en ferme isolée vers 1600-1620.
324Dans la Gâtine poitevine, la « digestion » des hameaux par les grands propriétaires nobles, qui les remplacent par des métairies, est quelquefois amorcée au XVIe siècle, mais pleinement réalisée, en général, au XVIIe siècle : on le constate, quand on dispose d’une chronologie précise.
325Dans la commune actuelle de Secondigny, deux hameaux (ou villages ?) sautent : La Poussonière, qui existait comme habitat groupé aux XIVe-XVe siècles, est absorbée par la métairie de La Gaschère ; et une autre métairie, celle de La Mortière fait subir le même sort vers 1520-1540, au « village » et « tènement » de La Tillardière, dont seuls des labours profonds révèlent encore quelques traces307. Dans la commune de Chatillon-sur-Thonet, le village de Sunay, entre 1576 et 1664, perd progressivement son indépendance, puis son existence ; il éclate en trois métairies créées par la famille des Chapelain, seigneurs locaux, qui deviennent seuls propriétaires du terroir.
326Le hameau de La Petite-Barre308 subit, dès 1458, quelques assauts d’un rassembleur. Puis, après une longue phase de latence, nouvelle attaque à partir de 1595 : la ruine du village « phagocyté » par la famille des Légier, seigneurs de La Barre-Poivreau, se consomme entre 1662 et 1719309.
327Le hameau de L’Écutadière310 (6 feux vers 1520) est réduit ou « réuni », par une série d’actes successifs, datés de 1529, 1604, 1650. Au terme, un métayer unique, mis en place par une famille tenace de rassembleurs, les Darrot, occupe les maisons des tenanciers311.
328Dans le Bocage normand, le hameau de Pianton et le manoir tout proche de Bréaulté forment l’un des multiples écarts de la grosse paroisse de Moutiers312. En 1539-1541, Jean de Bréaulté, maître du manoir, s’endette, tue sa femme, prend la fuite. Dès avant ce meurtre, un riche voisin et seigneur, Roland Patry, a profité de la gêne de Jean pour acheter une partie des terres. En 1541, Jean de Bréaulté étant parti sans retour, Patry peut s’emparer de tout le manoir, acquérir les champs, la laiterie, les meubles, les chauffepieds… et il laissera tomber en ruine cet habitat, transformé en champ ou pré. Quant au hameau voisin, Pianton, les descendants de Roland Patry, et notamment la riche Madeleine Patry – amie de Mme de Maintenon – l’achèteront parcelle par parcelle, par versement d’argent, ou par échanges à l’amiable, vers 1620-1670. Au XVIIIe siècle, il n’en restera qu’une ferme, aujourd’hui disparue313.
329Ces divers exemples, tirés de l’Ouest bocager de la France, semblent assez proches de certaines enclosures anglaises : on y retrouve en effet, la coutumière progression des haies314. Mais la comparaison doit être précisée : il ne s’agit pas d’enclosures à laine, d’enclosures extensives, telles qu’elles se pratiquèrent en Grande-Bretagne à la fin du XVe siècle, faisant disparaître les paroisses par dizaines. En fait, par la chronologie (XVIIe siècle essentiellement) et par le contenu économique, les clôtures, destructions d’écarts, et créations de métairies dans l’Ouest français, se rapprochent bien davantage des enclosures à blé, des enclosures intensives, signalées en Angleterre aux XVIIe et XVIIIe siècles : car les métairies remembrées de la Gâtine poitevine comportent en majorité des terres à grains315.
330Les désertions bocagères françaises peuvent bien rayer de la carte un certain nombre d’écarts ; mais les remembreurs, tout comme jadis les tenanciers parcellaires, persistent à consacrer leurs efforts, majoritairement, à la production de grains, très exigeante en main-d’œuvre ; pas plus que les fermiers du Vexin, ils ne cherchent à détruire les bases géographiques du peuplement : ils respectent, eux aussi, le réseau fondamental des paroisses.
L’Est : guerres, fisc, émigration rurale
331Les désertions d’Île-de-France et de l’Ouest ont en définitive un point commun : elles sont, en partie au moins, le fait des rassembleurs fonciers.
332À l’Est, au contraire c’est la tendance catastrophique, nettement, qui prédomine.
333Au XVIIe siècle, l’Est actuellement français (tout comme l’Allemagne voisine) devient la terre classique des cataclysmes guerriers. Notre enquête ouvre donc à nouveau le vieux débat, qu’évoquait Georges Livet : des villages ont-ils disparu définitivement, dans cette région, à cette époque, et par exemple à l’occasion de la guerre de Trente Ans ? Après tout, la guerre de 1914-1918 suggère bien, dans les zones dévastées, des destins de ce genre au XXe siècle : au recensement de 1954, on comptait dans le département de la Meuse, chef-lieu Verdun, cinq communes vides316 : Beaumont-en-Verdunois, Bezonvaux, Fleury-devant-Douaumont, Hautmont et Louvemont.
334En Alsace, la guerre de Trente Ans est indiscutablement traumatique : vagues d’atroces destructions militaires en 1633, 1636-1639, 1652 ; intercycle du blé très cher et des famines, en 1634-1644 (maximum des prix en 1636-1638) ; et corrélativement, mortalité géante de 1636-1638. La population alsacienne est saignée, vidée plus qu’à moitié de ses effectifs, dans les décennies 1630-1650 ; elle ne marquera la reprise qu’à partir de 1660317.
335Mais ce repeuplement, encouragé par les autorités françaises, semble avoir été fort efficace : la guerre de Trente Ans a-t-elle neutralisé, ruiné, les rassembleurs de terre en puissance, qui, seuls ou presque, auraient pu transformer les abandons momentanés en désertions définitives, et en remembrements durables ? Une chose est certaine : en dépit de quelques exceptions, les villages alsaciens ont été réanimés, une fois passé leur « coma » des guerres de Trente Ans. Quant aux rassembleurs, ils n’ont jamais eu dans cette région qu’une influence dérisoire ; à preuve, l’incroyable morcellement des finages d’Alsace, dénoncé par les géographes318 : on sait que dès les premières statistiques cadastrales (sous Napoléon), le Bas-Rhin se révèle, avec une parcelle moyenne de 17 ares, comme le département le plus morcelé de France après la Seine319 ! On ne connaît guère que deux cas de disparitions pacifiques dues à des rassembleurs de terres, en l’occurrence de très grands seigneurs : le duc Léopold-Éberard de Montbéliard acheta, au début du XVIIIe siècle, pour près de 21 000 livres, tout le territoire du village de Clémont dont les habitants (une dizaine de familles) allèrent s’établir à Montéchéroux320. À la même époque, près de Saverne, c’est pour agrandir sa résidence que le prince-évêque de Strasbourg acquit le petit village de Zornhofen, déjà nettement diminué par les guerres françaises de 1675 : le prélat acheta une à une les sept ou huit fermes qui restaient et les fit démolir321.
336Pour le XVIIe siècle en tout cas, A. Humm et A. Wollbrett s’accordent à considérer que les désertions de villages sont peu de chose ; la plupart des abandons de sites habités seraient antérieurs à la guerre de Trente Ans. On peut admettre que ces auteurs l’ont démontré, au moins pour la région de Basse-Alsace qu’ils ont étudiée : des quarante-cinq villages disparus signalés par A. Humm, trois seulement furent abandonnés au XVIIe siècle. Pour F. J. Himly, pourtant, les XVIIe et XVIIIe siècles auraient vu disparaître de nombreux hameaux et des maisons isolées, et ce serait la phase essentielle de la concentration de l’habitat en Alsace322. Mais aussi bien chez L. G. Werner que chez Straub les disparitions postérieures à 1500 sont beaucoup moins sûrement attestées que les désertions de la fin du Moyen Âge. Et la guerre de Trente Ans n’est pas seule en cause, mais aussi la guerre des Paysans (1525), les guerres de religion et les campagnes de Turenne. Dans le comté de Montbéliard, le hameau de Charmontet, près de Grand-Charmont, est brûlé en 1588 par les Lorrains du duc de Guise : les six familles qui composent toute la population du hameau se réfugient à Montbéliard. Autre exemple d’une disparition de hameau, favorisant la concentration : Veloreille, près de Sainte-Marie, hameau de sept ou huit familles, brûlé d’abord par les Guise en 1589 et définitivement détruit par les Impériaux en 1636 ; les habitants s’établissent à Sainte-Marie qui s’accroît de tout le terroir de Veloreille. Il y aurait d’autres exemples, mais au total, les disparitions des XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles sont hors de proportion avec les Wüstungen du bas Moyen Âge.
337Hors d’Alsace, pourtant, le XVIIe siècle, surtout dans sa première moitié, pourrait bien constituer dans l’histoire de l’habitat, comme du peuplement rural de l’Est, une période de retrait ; une guerre prolongée sévit, en effet, menée par des armées de mercenaires ; elle est accompagnée d’épidémies mortelles qui surviennent par vagues successives.
338Et la famine s’ajoute à ces deux fléaux, suivante de l’un, servante de l’autre. Ces calamités ont une durée moindre qu’aux XIVe et XVe siècles ; mais elles possèdent une intensité comparable. La Lorraine d’ailleurs, les connaît et les subit trente ans durant. Facteur aggravant : les ravages des guerres, aux temps de Richelieu et Mazarin, en Lorraine, interviennent après les conflits religieux de la fin du XVIe siècle.
339Par ailleurs, au XVIIe siècle, la montée démographique s’essouffle ; dans les provinces les plus touchées par la guerre, elle fait place à une chute brutale, à un recul au moins momentané.
340Il reste donc à examiner, là où c’est possible, les effets des années difficiles du XVIIe siècle sur le peuplement rural, et à vérifier, en Lorraine et Champagne notamment, les données admises pour l’Alsace.
341Les érudits lorrains ont fréquemment insisté sur la dépopulation de leur province au XVIIe siècle : ils y ont vu surtout le résultat des épidémies323. Après une dysenterie contagieuse, qui, selon des mémoires du temps324, aurait tué le tiers des habitants dans la région d’Étain en 1622, après le typhus qui ravagea en 1623 quelques villages du Verdunois, la « peste hongroise » apportée, dit-on, par les troupes impériales décima la province entière de 1627 à 1632. S’agissait-il d’une épidémie de peste bubonique, ou bien à nouveau du typhus ? Il est probable que le typhus suivit la peste, mais de si près que les contemporains confondirent les deux épisodes sous un même nom. Signalée d’abord dans la vallée de la Meurthe, la peste hongroise se répandit dans le Toulois et le Barrois, gagna Metz et Verdun en 1630 en même temps qu’elle pénétrait dans les Vosges jusqu’à Épinal.
342En 1633, la Lorraine fut envahie par les Français, et par les Suédois de Bernard de Saxe-Weimar. Après un hiver doux et pluvieux, éclata au printemps de 1636 une épidémie meurtrière qui reçut le nom de « peste suédoise ». Plutôt que de peste, il s’agissait cette fois encore de typhus ; et les victimes d’une terrible famine, qui, en plusieurs bourgades, ressuscita le cannibalisme, furent mises au compte de la peste suédoise. Toute la province fut frappée, mais surtout Metz et Verdun, et leurs environs. Entre ces deux grandes crises, d’autres épidémies avaient assuré le relais : notamment la dysenterie, provoquée par la famine et la consommation de blés verts.
343Selon M. Klippfel325, à la suite de ces « pestes », le pays messin aurait perdu les trois quarts de sa population. Ce chiffre – exagéré, faut-il le dire ? – trouve sa justification dans une supplique adressée au roi, par les habitants de Metz, en 1643 :
Qu’il plaise à Sa Majesté mettre en considération que la ville de Metz depuis quelques années a perdu les deux tiers de son peuple et le pays messin composé petit nombre de villages plus de trois quarts de ses habitants.
344Les épidémies, la famine, les massacres – la mort, en un mot – ne sont pas seuls en cause : mais aussi l’émigration. Les habitants fuient vers l’Alsace et, aux dires des magistrats messins en 1648, le comte palatin les attire chez lui.
Il a envoyé icy un trompette exprès pour conduire ceux qui pourront estre persuadés d’aller dans ses terres, entre lesquels il fait prendre soin d’emmener nos meilleurs laboureurs et vignerons.326
345Il n’est pas impossible de suivre les effets de ces départs et des mortalités sur le peuplement rural. Les fonds des Chambres des Comptes de Lorraine et de Bar offrent de riches séries, où s’inscrivent les désastres. Henri Lepage a utilisé les registres des receveurs particuliers de Lorraine pour dresser le tableau des désertions du XVIIe siècle, dans les limites de l’ancien département de la Meurthe327. Il a relevé les noms de près de cinquante villages qui sont donnés par les comptes comme totalement déserts à un moment quelconque de la période 1632-1660, et souvent pendant de longues années : ainsi Bathelémont abandonné de 1642 à 1663, Givricourt désert dès 1637 et dont le terroir était encore en friches en 1735, Maizières abandonné pendant vingt ans.
346La carte que nous avons établie, à partir de ces données, montre l’étendue de la dépopulation : il s’agit d’un fait massif qui méritait d’être mis en lumière et mieux qu’il ne l’a été jusqu’à présent328. Cependant tous les villages déserts, dont Henri Lepage a trouvé les noms dans les registres des receveurs des prévôtés lorraines, ont été repeuplés depuis le milieu du XVIe siècle. C’est seulement dans deux notes de son article que l’auteur énumère trente-sept autres villages définitivement abandonnés et quelques localités réduites à une seule exploitation : il lie expressément leur histoire à celle des villages temporairement abandonnés et les donne pour détruits au cours des mêmes années.
347Mais les noms de ces villages, Henri Lepage les a-t-il trouvés aussi dans les comptes du XVIIe siècle ? Il ne le précise pas. On peut d’ailleurs remarquer qu’en rédigeant le Dictionnaire topographique de la Meurthe329, postérieur de vingt ans à son article, Lepage s’est montré beaucoup moins affirmatif : il ne précise que rarement la date de désertion et ne mentionne pas quelques-uns des villages désertés cités dans son article.
348Au surplus, les sondages que nous avons effectués dans les séries de comptes du Barrois nous ont révélé une proportion beaucoup plus faible d’habitats définitivement abandonnés au XVIIe siècle. Ainsi dans la prévôté de Souilly330, le chef-lieu, Souilly, est abandonné dès 1636 ; en 1642, presque tous les villages sont déserts ; en 1652, Landrecourt, Rambluzin, Souilly sont encore vides d’habitants ; les maisons y tombent en mines ; en 1658, quelques habitants reviennent s’installer à Souilly, et en 1671 seulement à Rambluzin. Mais, au total, de ces villages détruits, pas un seul qui, tôt ou tard, ne finisse par être reconstruit.
349Nous avons étudié, de plus près, les comptes du domaine de Bar. Le domaine de Bar qui, en fait, consiste en une multitude de droits et de revenus divers, correspond géographiquement à une petite région de l’étendue de quatre ou cinq de nos cantons. Outre la ville de Bar-le-Duc, il comprend 78 villages si l’on tient compte de tous ceux qui, à un titre quelconque, figurent dans les registres du receveur. Les deux types de recettes les plus instructifs, parce qu’intéressant le plus grand nombre de villages sont les fouages, exigés de 38 communautés, et les mairies qui sont affermées séparément dans 42 localités. Aucun des 78 villages cités n’a été définitivement déserté, mais au cours de la guerre de Trente Ans et des guerres de la Fronde quelques-uns, plus durement touchés, ont été abandonnés totalement pendant plusieurs années : l’un d’eux, désert dès 1639, n’est pas encore repeuplé quand, en 1671, se termine la série des comptes de Bar.
350L’année 1637331 est la dernière où toutes les recettes soient entrées normalement. Le compte de 1638332 dresse, en revanche, un véritable bilan de désastres. « À cause des gens de guerre », à Condé, à Laheycourt, à Revigny, il n’y a pas eu de foire. Aucun des fours et des pressoirs banaux n’a pu être amodié. Dans la presque totalité des villages, les offices de maire, de greffier et de sergent n’ont pas trouvé acquéreur. Les fouages n’ont pu être levés que dans sept localités, et encore partiellement. Si pour les tailles et l’aide Saint-Rémi le comptable inscrit la somme globale des recettes escomptées, il ajoute :
De laquelle somme il ne compte cy d’aultant qu’il n’en a peu rien recepvoir a cause des guerres qui ont renduz la pluspart des villages… desertz par la fuitte des habitans, pour partye, et la mort des aultres de contagion, ou de maladie provenant de nécessité333.
351Peste, fame, bello : ainsi retrouve-t-on au XVIIe siècle la trilogie qui fut la toile de fond des XIVe et XVe siècles.
352Toutefois le receveur de Bar force un peu la note : si les fouages et la taille n’ont pu être levés, c’est en partie parce que les sergents collecteurs ont refusé de courir le plat pays parcouru par les armées. Tous les villages ne sont pas déserts ; l’abandon total n’est spécifié par le document que pour deux localités : Rancourt où le tonlieu n’a rien rapporté « le village ayant esté désert toute l’année, les maisons ruynées et le finage en friche »334 et Lignières « bruslé par les gens de guerre et déserté »335.
353En 1639336, la situation s’aggrave encore. Le comptable déclare ne rapporter les fermes que pour mémoire : il a été impossible d’en tirer argent « à cause des guerres et de la contagion des années passées qui ont amené la fuite des habitants de presque tous les villages ». De fait, le compte de 1639 précise de nouvelles désertions : il n’y a plus d’habitants à Rembercourt-sur-Orne, à Béhonne, à Heippes, à Cousances-aux-Bois337.
354L’année 1641338 semble marquer un début de reprise. Vingt mairies ont été amodiées et 17 villages ont pu payer le fouage ; ceux qui n’ont pu le faire ont obtenu un sursis : la situation est en somme régularisée, sinon rétablie. Si quatre villages sont toujours déserts, à Behonne, à Cousances-aux-Bois, le four banal a trouvé preneur. La reprise est vite compromise par de nouvelles destructions. À partir de 1648, les comptes signalent de nouveaux villages abandonnés : Veel en 1648, Sommeilles en 1651, Vassincourt en 1653339 qui s’ajoutent aux deux localités désertes depuis 1639, Heippes et Rembercourt-sur-Orne. L’année 1653 marque le fond de la nouvelle dépression : 5 villages sont donc totalement abandonnés, 15 autres n’ont pu payer les fouages, plus de 20 offices de maire sont sans titulaire, les fours et les pressoirs banaux qui ne sont pas détruits n’ont pu être amodiés.
355La situation, ensuite, se rétablit lentement. En 1658, sept villages seulement ont obtenu un sursis pour s’acquitter des fouages340. En 1665, il n’y en a plus que deux. Veel, toujours en difficulté, obtient un sursis des trois quarts, et Rembercourt, toujours désert « n’y ayant personne audit lieu qu’un homme aagé de soixante et dix ans »341. 1671 est le dernier compte du domaine de Bar, que nous possédions. Toutes les plaies ne sont pas encore cicatrisées : Rembercourt-sur-Orne n’est pas encore repeuplé et il y a encore quelque difficulté à trouver des acquéreurs pour les différentes fermes. Mais, si huit villages ont été, au cours des troubles, totalement abandonnés et détruits, tous ont finalement retrouvé vie : même ce Rembercourt-sur-Orne qui figure sur la carte de Cassini au XVIIIe siècle et qui est encore un hameau aujourd’hui (c’était déjà au début du XVIIe siècle, un des plus petits villages du domaine de Bar, si l’on en juge par sa cote dans le rôle des fouages).
356Les comptes du domaine de Bar sont trop succincts pour éclairer le mouvement démographique pendant et après ces années difficiles. Après comme avant les désastres, les sommes exigées des communautés au titre des fouages, des tailles, des aides demeurent inchangées. Mais il se trouve que pour la prévôté voisine de Louppy-le-Château, nous disposons de documents plus détaillés342 : les rôles de l’assise, nominatifs, permettent de constater une chute démographique réellement catastrophique à partir de 1640 : Louppy qui comptait, en 1620, 121 feux, tombe à 41 feux en 1642, 30 en 1653, 23 en 1657343. Mais le fait capital, c’est la désertion définitive des Bordes. En 1640 et 1641344 il ne reste aux Bordes que quatre familles. En 1642, l’abandon est total. Désertion sans retour : aujourd’hui à Louppy-le-Château, on a perdu le souvenir de cet ancien village. Ou le situer d’ailleurs ? La carte de Cassini indique au nord-est de Louppy une ferme, appelée la Vieille Ville : doit-elle son nom au village disparu ? Mais c’est au sud-ouest de Louppy que le plan cadastral du XIXe siècle place les lieux-dits Les Grandes Bordes et La Fin des Bordes345. Dans un cas comme dans l’autre, le village était fort proche de Louppy : et cela peut expliquer sa disparition définitive car Les Bordes n’avaient jamais été, en fait, qu’un hameau de Louppy.
357La chute démographique du milieu du XVIIe siècle n’a pu éteindre tout à fait le village mais elle a tué le hameau : elle a accéléré la tendance permanente au regroupement. Dans l’ensemble des provinces de l’Est, tout accident démographique se traduit par une accentuation de la concentration de l’habitat.
358Ne perdons pas de vue, cependant, que le hameau des Bordes constitue le seul cas d’un village totalement abandonné au XVIIe siècle, dans la région de Bar-le-Duc. Au total, en Lorraine, les destructions du XVIIe siècle furent considérables, la dépopulation profonde, mais les désertions définitives furent assez rares.
359Avons-nous insisté trop longuement sur cette crise aux effets sinon peu marqués, du moins peu durables ? Nous sommes-nous trop attardés à étudier les cas de villages abandonnés seulement pendant quelques années ? C’est qu’il fallait bien souligner une fois de plus l’ampleur de la reconstruction, la vitalité impressionnante du village français, la permanence de l’habitat. Une fois de plus, nous cherchions des désertions définitives, et c’est une reconstruction presque totale que nous rencontrons. Le déchet laissé par la restauration des anciens habitats semble encore plus minime qu’au XVe siècle. Il est vrai que si les ravages de la guerre et les hécatombes de l’épidémie sont comparables aux désastres du bas Moyen Âge ils n’atteignent, en France du moins, que des régions relativement limitées. À partir des provinces épargnées, les hommes ont donc pu venir pour repeupler et reconstruire. En Alsace, le gouvernement royal a mis au point une politique de repeuplement : elle explique sans doute, entre autres facteurs, que les abandons définitifs y demeurent si rares346. En Lorraine, des familles picardes s’établissent à partir de 1633 dans les villages abandonnés de la châtellenie de Dieuze : en 1697, elles sont au nombre de quarante et davantage347. Certaines localités au nom germanique sont aujourd’hui habitées par une population francophone : c’est là un effet de la colonisation du XVIIe siècle et qui témoigne de son ampleur.
360Parmi les provinces que les guerres du XVIIe siècle laissèrent couvertes de ruines, la plus cruellement ravagée fut peut-être la Champagne septentrionale, tout le pays entre la Vesle et l’Aisne, entre Reims et Châlons au sud, Rethel et Vouziers, au nord. Il se trouve, en tout cas, que les abandons définitifs d’habitats vers le milieu du siècle, sont dans cette région plus nombreux ou, du moins, plus sûrement attestés qu’en Lorraine. Ils ont d’ailleurs provoqué des recherches et suscité d’assez nombreux articles parus dans les revues des sociétés savantes locales, ce qui peut être, en soi, révélateur. Le Dictionnaire topographique de la Marne est, de même, très attentif aux désertions de villages et, contrairement à la plupart des ouvrages de ce type, se risque assez souvent à dater les abandons. Enfin, il nous a été assez facile d’opérer quelques vérifications dans les documents notamment sur les cartes anciennes de Champagne.
361Au cours de la Fronde des Princes dont les opérations incohérentes se compliquaient de la poursuite de la guerre contre l’Espagne, la Champagne du Nord connut un sort semblable à celui que devait connaître quelques années plus tard, le Palatinat ; à ceci près que ses plus grands malheurs lui vinrent de ses propres défenseurs.
362En 1649, les troupes du baron d’Erlach reçoivent pour mission de tenir la province contre les Frondeurs et leurs alliés espagnols. Les mercenaires du baron, germaniques ou Scandinaves, laissent dans tout le Nord-Est de la France, de la Picardie à la Lorraine, le souvenir le plus sinistre. À l’époque en effet, les armées ne sont jamais ravitaillées, et rarement payées ; la soldatesque est obligée de vivre sur le pays, et de se payer elle-même, aux frais des habitants ; et elle peut ainsi libérer, sans frein ni remords, ses instincts sadiques. Ce déficit chronique de la solde s’explique sans doute par la malhonnêteté de certains capitaines ; mais aussi plus généralement peut-être, par la pénurie d’argent, qui s’aggrave peu à peu en Europe depuis 1620348. Famine monétaire, et Wüstungen de la guerre de Trente Ans – deux des phénomènes caractéristiques de la « crise européenne » du XVIIe siècle – seraient liées, ainsi, par une relation imprévue et indirecte. Inversement, les armées mieux soldées du temps de Louis XV pourront se permettre, elles, de faire la guerre en dentelles, ce luxe des époques riches et des troupes réglées.
363Il y a autre chose, qui explique la rage de destruction des mercenaires en Champagne : ces reîtres luthériens de Suède et d’Allemagne sont sans doute alliés valeureux du Cardinal ; mais ils n’oublient pas qu’ils sont protestants. Et ils n’ont aucun scrupule à « manger du papiste », à profaner les églises comme à piller les villages.
364De fait les destructions perpétrées par les Derlaches sont systématiques, comme le sont aussi les massacres des paysans qui n’ont pu fuir.
Tout le pays compris entre Sainte-Menehould, Châlons, Reims et Rethel est horriblement foulé. Witry-lès-Reims, Sept-Saulx, Beine, Pontfaverger, Beaumont-sur-Vesle flambent comme des torches.349
365Rosen-Worms qui succède à d’Erlach, affirme que tous les villages entre Aisne et Meuse lui sont abandonnés par le roi pour être pillés. En 1650, la Champagne est traversée à la fois par l’ennemi (l’archiduc Léopold et Turenne, son allié), et par l’armée royale qui marche au siège de Rethel. En 1652, Charles IV de Lorraine et ses bandes d’aventuriers s’avancent jusqu’aux faubourgs de Reims ; dans la région de Witry, déjà si fortement ravagée par d’Erlach et Rosen, on est réduit à couper les blés verts : aux massacres et à la famine s’ajoute la dysenterie. À la fin de cette même année 1652, Condé, de Paris se replie en Champagne et s’y conduit, à son tour, en véritable brigand, pillant et rançonnant villes et plat-pays. En 1653, c’est le second siège de Rethel dont s’empare Turenne, maintenant au service de la Cour. Mais Condé tient encore Rocroi : de là, il fait encore de fréquentes incursions en Champagne jusqu’à la fin de 1657.
366Quand la paix des Pyrénées vient mettre un terme aux opérations et aux mouvements de troupes, la Champagne septentrionale offre le spectacle d’un pays épuisé, couvert de ruines et plus qu’à demi désert. Les paysans ont fui dans les villes. Witry-lès-Reims, dès 1650, est complètement abandonné. Suivant Audry, lieutenant général à Reims, en 1651,
… la ville avait à sa charge un nombre infini de pauvres enfants de la campagne, dont les pauvres parents avaient péri dans la mortalité, et la plus grande partie de nos villages étaient déserts, ou démolis, ou brûlés350.
367Et la chronique de Reims pour ces années :
Nous assurons avoir vu de nos propres yeux, entre Reims et Rethel des troupeaux, non pas de bêtes, mais d’hommes et de femmes, aller aux champs remuer la terre comme des pourceaux pour y trouver quelques racines351.
368C’est déjà, en moins littéraire, le célèbre tableau de La Bruyère.
369Les historiens de la Champagne admettent, dans leur ensemble, que la province ne s’est jamais totalement relevée de ces ruines, que du XVIIe siècle datent son appauvrissement et sa dépopulation. Les villages définitivement désertés traduisent cette difficile et incomplète restauration.
370Près de trente villages furent à jamais abandonnés avant le XIXe siècle dans le pays entre Vesle et Aisne352. Ces abandons ne peuvent être tous attribués aux désastres de la Fronde. En fait, comme toujours, les auteurs varient sur la date de la disparition. Ainsi le Cahier de doléances de la communauté de Brimont, en évoquant l’ancien village de Brimontel, le dit détruit depuis 1635, ce qui n’empêche pas l’éditeur de ce texte d’ajouter froidement en note : « Brimontel aurait été détruit en 1359 », sans autrement justifier cette opinion353. Autre date, celle fournie par les auteurs du Répertoire archéologique de la Marne354 selon qui Brimontel fut détruit par les guerres du XVIe siècle. Le recours aux documents n’éclaircit guère le problème : aucun texte n’est vraiment décisif. En 1676, l’archevêque de Reims prescrit la démolition de l’église du village « vu qu’on n’y a pas célébré la messe de mémoire d’homme et que depuis plus d’un siècle, il n’y a plus aucune maison au triège »355. Mais l’évaluation du temps est, à l’époque, assez sujette à caution. D’ailleurs la carte de Sanson au XVIIe siècle, celle de Robert au XVIIIe siècle portent encore le nom de Brimontel. Toutefois, il est au moins certain qu’en 1676 le village n’existait plus, mais qu’en 1556, lors de la révision des coutumes de Vermandois, les habitants de Brimontel se firent représenter. Le village peut donc aussi bien avoir été détruit pendant les guerres de la Fronde qu’avoir été déserté à la fin du XVIe siècle.
371Le cas de Brimontel constitue un bon exemple des difficultés rencontrées dans notre enquête. On voudrait s’en tenir là et ne pas multiplier de pesantes justifications. Mais ne pouvant renvoyer le lecteur à aucune étude qui soit à la fois complète et suffisamment sûre, il nous faut bien produire nos preuves. La place que nous attribuons aux ravages de la Fronde n’a de sens qu’à ce prix. Passons sur le cas des villages d’Ausson-lez-Reims, de Ruffy, de Boulençon, disparus avant 1600 et presque sûrement au XVe siècle…, sur celui des villages de Beaumetz, de Villeneuve, de Chagny, qui ne sont plus mentionnés après le XIIIe siècle, sans doute parce qu’ils furent abandonnés pendant la période suivante. Restent une quinzaine de villages, disparus vers le milieu du XVIIe siècle.
372Le dictionnaire topographique du département des Ardennes n’a jamais vu le jour. Dans une certaine mesure deux ouvrages d’Albert Meyrac peuvent en tenir lieu : Villes et Villages des Ardennes356 et Géographie des Ardennes357. Ces deux répertoires signalent une grande quantité de lieux détruits, notamment pour la région qui nous occupe ici : la partie méridionale du département, au sud de l’Aisne. Meyrac, cependant n’est pas sûr : il accepte trop aisément de tenir pour ancien village tout lieu détruit et ne cite jamais ses sources. De ses notes, nous n’avons pu retenir que les informations vérifiables par ailleurs : les villages de Gerson, Somme-Arne, Germiny-Pend-la-Pie et Nepelliers358 furent, selon Meyrac, détruits vers 1650 au temps du premier siège de Rethel.
373D’autres auteurs permettent de compléter (et de corriger) les données de Meyrac : les docteurs Vincent et Guelliot ont écrit pour la Revue historique ardennaise plusieurs notices sur les villages disparus et toutes concernent ces localités détruites du sud du département359. Pour le Dr Guelliot, Théline fut détruit vers 1650 et seule son église fut reconstruite360. De fait le « Controlle des Rolles et des Menages dependants de l’election de Rethel » de 1636 donne à Theline 20 feux imposables : le village existait donc encore à cette date. Pour le Dr Vincent, un autre village, Warny existait encore à la fin du XVIe siècle : en 1644 un dénombrement déclare ce village brûlé « à l’occasion des guerres survenues en Champagne »361.
374Un article fort copieux d’Henri Jadart362 restitue totalement l’histoire du village natal du « Docteur très chrétien », qui naquit à Gerson le 14 décembre 1363.
Ce village comptait, en 1541, 36 feux, mais il avait déjà souffert de la guerre de Cent Ans et au XVIe siècle une partie de la localité, appelée la Vieille Ville, était en labours. Gerson et Barby, le chef-lieu de la paroisse, furent détruits au cours de l’un ou l’autre des deux sièges de Rethel. Au XIXe siècle encore, les vieilles gens du pays attribuaient aux guerres de la Fronde la destruction de Gerson. De fait, après 1653, les documents ne citent plus à Gerson que des terres, non des habitations. Du village, il ne resta que quelques pans de mur, attribués à la maison natale du théologien, et à des remparts grossiers qui entouraient le village disparu et qui… devinrent bientôt avec les chènevières et les jardins les seuls indices des anciennes habitations.
375La partie de notre région comprise dans le département de la Marne n’est pas moins bien servie en instruments d’érudition. Le Dictionnaire topographique de Longnon signale la plupart des villages dont nous allons parler. Il y ajoute celui d’Heudreliscourt qu’il situe près de Pontfaverger ; mais il ne fait que reproduire une mention d’un atlas cantonal selon lequel cette ancienne succursale de Pontfaverger aurait été détruite vers 1650. Aucun document, à notre connaissance, ne cite ce village.
376L’étude la plus importante – non la plus claire, ni la plus sûre – est celle de l’abbé Dessailly sur les villages disparus de la région de Witry-lès-Reims363. L’auteur tire ses sources essentiellement du fonds de l’archevêché de Reims364. Près de Witry, l’abbé Dessailly signale deux villages désertés au XVIIe siècle : Burigny et Marqueuse. Ces deux localités figurent encore dans le registre des tailles de 1625 et 1627 et jusqu’en 1632 on possède pour Burigny des baux de la ferme de la Chairie (un droit frappant les habitations). Mais en 1663 les procès-verbaux de visites diocésaines ne mentionnent plus Burigny ; en 1669 un autre procès-verbal de visite précise qu’à Marqueuse, il ne reste que l’église.
377Les articles du Dictionnaire topographique sont utilement complétés par le Répertoire archéologique de l’arrondissement de Reims365. Cet ouvrage ajoute à notre liste le village de Saint-Aubeuf366 : une ordonnance de l’archevêque de Reims du 20 septembre 1674 unit la cure de Saint-Aubeuf à celle de Bouvancourt et prescrit la démolition de sa chapelle. L’histoire de Saint-Aubeuf nous permet d’évoquer le cas de Mont-Saint-Pierre367, paroisse mentionnée encore en 1571, mais dont le siège fut transporté à Thillois en 1675, le village étant abandonné « de manière que n’y ayant eu de mémoire d’homme aucun vestige de bastiments ez environs »368.
378Des listes de villages attestent jusqu’au milieu du XVIe siècle l’existence de villages aujourd’hui disparus : elles fournissent un terminus à quo fort précieux : ce sont les listes annexées aux différentes éditions de la Coutume de Vermandois, après la révision de 1556369 : on y voit figurer Burigny, Gerson, Saint-Aubeuf, Somme-Arne, Warigny ainsi que Tourizet et Ardenay. Ces deux derniers villages ne sont par ailleurs signalés que par le Dictionnaire topographique, qui date de 1655 la disparition d’Ardenay370.
379Enfin, il existe une dernière catégorie de documents susceptibles de préciser l’histoire des villages disparus : les cartes anciennes de la Champagne371. Le tableau ci-contre montre qu’un grand nombre de villages disparus, entre Vesle et Aisne, figurent sur une ou plusieurs de ces cartes. Ce tableau manifeste également quelques contradictions apparentes : des villages désertés, selon nous, vers 1650, sont encore portés sur les cartes du XVIIIe siècle. Mais les cartes doivent comme tout document être soumises à une critique attentive. Il ne faut ajouter foi qu’aux cartes originales. Des graveurs comme Robert ou le Hollandais Blaeu ne font que reproduire plus ou moins correctement des documents plus anciens ; les graphies défectueuses prouvent qu’il s’agit de copies et d’assez mauvaises copies : Brimontel et Théline deviennent sur la carte hollandaise Primonstier et Peline ; et Robert écrit S-Omme Arve pour Somme-Arne. En revanche l’excellente carte de Sanson est considérée comme authentique et dressée d’après des levés originaux. Mais en 1661 la plupart des villages étaient encore en ruines : Sanson ne pouvait décider que telle localité serait restaurée et telle autre resterait à jamais déserte.
380Deux nouveaux villages désertés apparaissent sur ces cartes : Saint-Anne ou Villers Sainte-Anne372, mentionné par les textes jusqu’à la fin du XVIe siècle et qui figure encore sur la carte de Jubrien373 ; et Puiseaux situé par Damien de Templeux entre Ham et Saint-Hilaire-le-Grand, et par toutes les autres cartes entre Dontrien et Saint-Souplet. À notre connaissance, ce village de Puiseaux ne figure dans aucun texte : le Dictionnaire topographique l’ignore374.
381Il nous reste à faire état de la carte la plus sérieusement établie, celle de Cassini. Elle date de la deuxième moitié du XVIIIe siècle mais elle porte mention de villages ruinés : « Bois et croix de Germigny, village détruit », « Croix et ruines de Mouchery »375, « Buisson et ruines de Saint-Georges » (il s’agit d’Ardenay dont l’église était dédiée à saint Georges). Somme-Arne est, de plus, figuré comme ruiné. Ces mentions de la carte de Cassini sont très précieuses ; pour que le souvenir de ces localités détruites se soit conservé jusqu’à l’époque où furent dessinées les feuilles de Cassini, il faut que la disparition n’ait pas été trop ancienne : il ne peut s’agir que de désertions du XVIIe siècle au plus tôt.
382Voilà achevée cette trop longue démonstration ; on pourrait sans doute la souhaiter plus décisive. Pourtant, mis à part quelques cas douteux (Heudreliscourt et peut-être ce mystérieux Puiseaux) tout concourt à dater des années de la Fronde la disparition de ces villages champenois.
383Au total de quatorze à seize villages ont été détruits à cette époque et n’ont pas repris vie. C’est peu en soi : la même région compte encore cent cinquante villages ; c’est beaucoup si l’on tient compte de la faible proportion générale des désertions en France, et si l’on songe que les désertions du XVIIe siècle sont, à l’ordinaire, tenues pour négligeables.
384La destruction par la guerre une fois établie, les historiens locaux mettent un point final à leurs recherches. Un seul est allé plus loin : Henri Jadart, observant que Gerson n’était qu’un hameau de Barby, suppose que les habitants, après la destruction de leurs demeures, sont allés s’établir à Barby. Il voit essentiellement, à l’origine de ce déplacement, des motifs spirituels : Gerson n’avait qu’une chapelle ; ses habitants étaient baptisés et enterrés au chef-lieu paroissial, à Barby ; ils ont pu souhaiter se rapprocher de l’église paroissiale. Mais ce qui est valable pour Gerson ne l’est pas pour tous les autres sites désertés, pour les paroisses comme Théline, Mont-Saint-Pierre, Germigny, pour les annexes ou succursales, comme Marqueuse, Saint-Aubeuf, Ardenay. En outre l’attachement au village natal, à son site, aux terres qui l’entourent, la force de l’habitude aussi, ne devaient-ils pas être autrement agissants sur la mentalité paysanne ?
385Toutefois, la terre champenoise pouvait-elle retenir le paysan ? Si l’on met à part le Vallage d’Aisne, le pays riche en sources auquel appartient le seul site de Théline, toute la région qui est ici en question fait partie de la Champagne Pouilleuse, du pays de la craie. Les sols, minces, y sont médiocres ou franchement mauvais ; les paysans du temps de Louis XIII n’en tirent que de maigres ressources ; leur misère et leur ignorance sont proverbiales. Entre les vallées, où les villages sont un peu plus nombreux, l’habitat est clairsemé, les villages groupent de méchantes chaumières faites de bois et de carreaux de terre ou d’un grossier torchis, proies faciles pour la flamme et la hache. Détruites, ces demeures laissent peu de ruines apparentes : les murs abattus, en peu de temps retournent à la terre et se confondent avec elle.
386Au sud de la Vesle, les pentes de la Montagne de Reims offrent un tout autre paysage : les villages y sont nombreux et prospères. On n’y connaît pas de villages disparus, du moins à l’époque moderne. Les destructions de la Fronde ont peut-être davantage épargné ce canton, mais plus sûrement la vigne a retenu le paysan. Au nord de Reims, quelques coteaux, les hauteurs de Cernay, de Berru, de Merfy, produisent aussi du vin ; mais les vignobles sont peu étendus ; le vin, de médiocre qualité, se vend moins cher que celui de la Montagne376. La plaine crayeuse n’offre, en fait, d’autres ressources que la culture des blés et l’élevage du mouton. Et comme dans toutes les régions où le mouton tient une grande place dans l’économie, il crée en Champagne d’incessants conflits entre propriétaires et usagers : les communautés se disputent les pacages en invoquant des coutumes différentes ; celles du plateau revendiquent par exemple d’anciens droits de parcours sur les terroirs des paroisses des vallées de la Suippe et de la Retourne.
387Faut-il penser que les moutons champenois furent eux aussi agents de destruction des villages ? À strictement parler, non. Aucun texte n’autorise vraiment cette interprétation ; et le précédent anglais ne saurait s’appliquer exactement : puisque ces troupeaux sont propriété de la communauté ou du paysan. Au reste, ce sont les Suédois, non pas les moutons, qui mangent les paroisses de Champagne.
388Mais on peut admettre, à titre d’hypothèse provisoire, que la disparition d’un certain pourcentage des villages champenois, à partir de 1650, s’est accompagnée du passage, dans les zones concernées, à un mode d’exploitation plus extensif, où le mouton, effectivement, est devenu plus important qu’autrefois par rapport au blé. Les terroirs pauvres et l’ancien système de culture, blé-mouton, s’accommodaient bien d’une évolution de ce type.
389Beaucoup plus certaine, pourtant, est l’action du complexe misère-émigration : à lui seul, il n’aurait pu suffire à vider totalement quinze villages. Mais il peut fort bien expliquer l’abandon total d’un site après la destruction brutale des maisons. Le paysan qui a fui devant les armées et les pillards n’est pas retourné à une terre ingrate, à une vie difficile : d’autant que, si la terre lui reste, il a quand même perdu ses instruments de travail, ses bêtes de trait et son bétail.
390Le paysan s’est réfugié dans les villes, à Reims notamment, comme nous l’avons vu. Reims lui offre, au temps des troubles, des murailles à peu près sûres, un ravitaillement précaire mais préférable à la famine qui règne dans le plat pays. Les difficultés passées, Reims lui offre encore des ressources, un moyen d’existence grâce aux activités de l’industrie textile. Sans doute, dès cette époque le tissage s’est implanté dans les campagnes champenoises mais la condition du tisserand du village reste nettement inférieure à celle de l’ouvrier urbain.
391Le fait est, en tout cas, que les désertions les plus nombreuses se rencontrent dans un rayon de moins de 15 kilomètres autour de Reims. L’émigration rurale peut constituer une explication acceptable à l’abandon définitif de villages, comme Mont-Saint-Pierre, Burigny, Saint-Aubeuf et même de localités plus éloignées : dès le XIVe siècle, le livre de réception des étrangers signale à Reims des habitants originaires de Burigny, mais aussi de Warny. Depuis longtemps le chemin de Reims est connu des paysans de la Champagne Pouilleuse.
392Mais il faut envisager aussi des déplacements de village à village, déplacements à sens unique qui finissent par vider une localité au profit de sa voisine : c’est, sans doute, le cas de Gerson et de Barby. Henri Jadart, dans son étude sur Gerson signale, en passant, un fait qui a pu être décisif, mais dont il ne semble pas avoir mesuré l’importance : Gerson suivait la coutume de Reims (dite aussi de Vermandois) alors que tous les villages voisins, Barby et Sorbon par exemple, appartenaient au bailliage et à la coutume de Vitry. La carte montre que plusieurs de nos villages désertés se trouvaient dans la même situation : Warny était une enclave isolée du bailliage de Reims ; Somme-Arne qui appartenait à ce même bailliage avait pour voisin Saint-Étienne-à-Arne divisé entre les deux coutumes de Reims et de Vitry ; Ardenay appartenait au bailliage de Reims et suivait la coutume de Vermandois, mais son chef-lieu paroissial, Prosnes, partagé entre les bailliages de Châtillon et d’Épernay, ne connaissait que la coutume de Vitry ; et Puiseaux (s’il a existé effectivement un village de ce nom) devait également se trouver à la limite du bailliage et de la coutume de Reims, limite singulièrement capricieuse englobant des localités des Ardennes aussi bien que des villages de la Montagne de Reims, mais laissant entre eux de larges cantons à la coutume de Vitry.
393Or il n’était pas indifférent d’appartenir à l’une ou à l’autre circonscription. La coutume de Vermandois passait pour plus sévère377. Dans les paroisses où elle était en vigueur, on exigeait notamment des droits de lods et ventes ignorés des villages des bailliages voisins378 : droits fort lourds et impatiemment supportés comme en témoignent les cahiers de doléances de 1789. Line étude comparative plus poussée des deux coutumes ferait, sans doute, apparaître d’autres différences et au désavantage de la coutume de Vermandois.
394Statut juridique, régime fiscal, d’une paroisse à l’autre, la condition des hommes variait, la limite entre un régime et l’autre traversant parfois le terroir d’un village : peut-on négliger ce trait essentiel de l’Ancien Régime en étudiant les villages disparus ? Car de quoi s’agit-il le plus souvent, si ce n’est de rendre compte d’une sélection qui s’est opérée aux dépens de certains centres d’habitats et de ceux-là seulement ? Les villages désertés en temps de guerre, par exemple, n’ont pas été les seuls détruits, mais la reconstruction les a oubliés. Des motifs que les textes nous laissent ignorer ont joué contre eux. Il faudrait de minutieuses études des sols pour décider que ces motifs sont d’ordre naturel et géographique : ils peuvent être aussi bien d’ordre juridique et fiscal.
395À l’époque des grands défrichements, le désir d’échapper à la servitude, de se libérer des charges les plus arbitraires, avait poussé des paysans à fuir leurs anciens villages. Aux temps modernes, après les destructions de la guerre, le souvenir de vieilles injustices a pu dissuader les ruraux de reconstruire un village perdu. L’impôt trop vite exigé après le désastre, une cote calculée sans tenir assez compte des pertes subies, de la misère nouvelle, ont pu chasser pour toujours les habitants d’un site encore en ruines. La communauté diminuée par le massacre, la peste ou la famine, se trouve dans l’impossibilité de s’acquitter de ses charges : les arriérés s’accumulent, les saisies appauvrissent encore les habitants ; le villageois fuit cette paroisse maudite, va s’installer dans une paroisse moins éprouvée, s’intégrer à une communauté mieux partagée. Les départs alourdissent d’autant la part de ceux qui restent : petit à petit, le village se dépeuple.
396Bien davantage que dans toutes les périodes antérieures en effet, la fiscalité doit être mise en cause au XVIIe siècle, notamment à partir de Richelieu : malgré la stagnation du produit brut, les exigences du fisc sont beaucoup plus âpres, après l’énorme tour de vis du Cardinal. Et d’autre part, les dégrèvements, pour cause de calamités, les remises d’impôts (dont la monarchie devenue plus sensible et plus éclairée, ne sera pas avare, au siècle des Lumières), ne sont encore accordées qu’exceptionnellement au XVIIe siècle.
397La dureté du fisc, son indifférence à l’égard des communautés rurales les plus touchées par la guerre, nous les observons bien dans ce domaine de Bar dont nous avons évoqué plus haut les vicissitudes. Dès 1641, le receveur reprend les anciennes listes des tailles et des fouages, sans changer quoi que ce soit aux cotes, quitte bien sûr à ouvrir au chapitre des dépenses un article pour « les deniers comptés et non reçus »379. Mais les villages déserts, ou partiellement dépeuplés, les tient-on quittes de leurs contributions ? Nullement. Ce qu’on leur accorde, c’est simplement un sursis. Encore ce sursis est-il ensuite discuté par les « gens des comptes » qui en limitent l’effet à trois mois, exigent la production des mandements. En 1665, Rambercourt-sur-Orne et Veel, pourtant totalement abandonnés, n’obtiennent remise que des trois quarts des fouages. Le reste est dûment exigé et finalement payé : cela signifie nécessairement que les sergents poursuivent les assujettis jusque dans les lieux où ils se sont réfugiés. Le village retrouve-t-il une partie de son ancienne population, tout de suite la totalité de l’impôt est requise. Le cas le plus significatif est celui de Heippes : ce village est demeuré désert de 1639 à 1658 au plus tôt. En 1665, il n’obtient déjà plus de sursis pour les fouages et en 1671, comme la mairie de Heippes n’a pu être amodiée, le receveur crie au complot :
Ne s’estant présenté personne pour la mettre à prix, quoyque publiée, ce qui fait connoistre que c’est un monopole fait par les habitans du dit lieu ce qui doit obliger Messieurs (des comptes) à taxer la communauté380.
398Les habitants sont ainsi rendus solidairement responsables de ce qu’aucun d’eux n’est assez riche pour acquitter le prix de la ferme. Les particuliers sont en revanche poursuivis pour les arrérages d’impôts dus par la communauté381. C’est cette pratique que l’intendant Beaubourg dénonce au chancelier Séguier en 1646 ; il demande aussi que la Lorraine française bénéficie de la loi de 1595 qui interdit les saisies de bêtes de trait et de matériel agricole. Si l’on ne soulage un peu le pays, l’intendant annonce la désertion du pays lorrain : déjà le duc Charles IV, par des ordonnances secrètes attire la population dans ses provinces de l’Empire, ou même la contraint par force à émigrer382. Ainsi aux yeux mêmes des contemporains, les moins suspects d’exagération – s’agissant des serviteurs les plus dociles du pouvoir – l’émigration, la désertion des campagnes sont liées aux excès d’une fiscalité aveugle.
399Là encore, nous ne voulons pas proposer d’explication moniste. Le fisc, à lui seul, ne peut vider un village. Dans certains cas, il donne le coup de pouce ; et il transforme de grands malaises en maladie mortelle.
400La Champagne Pouilleuse n’est pas seule en cause. Dès les guerres de religion (dont on a vu déjà qu’elles constituent bien souvent pour l’époque moderne, le traumatisme initial), le plateau de Langres, plus précisément le Val de Rognon, secteur marginal de la vieille province de Champagne, connaît des Wüstungen significatives.
401Le Val de Rognon désigne une courte section de l’étroite vallée du Rognon, encaissée dans les plateaux du Bassigny. Les plateaux sont couverts de forêts et la zone cultivée reste limitée à la vallée.
402Au XVe siècle, le Val de Rognon comprenait sept villages : Doulaincourt, Saint-Brice, Saint-Èvre, Villainecourt, Bettaincourt, Cultru et Roches. En 1445 ces sept communautés obtinrent la propriété d’une partie des bois entourant la vallée et des droits d’usage dans la plupart des autres. De ces sept établissements, trois ont été abandonnés : Saint-Brice, Saint-Èvre et Villainecourt383. Saint-Brice a été jusqu’à la Révolution, le nom d’une chapelle proche de Doulaincourt, remplacée par une croix au XIXe siècle. Saint-Èvre reste le nom du cimetière de Bettaincourt, situé sur le plateau dominant la rive gauche, assez loin du village. De Villainecourt on ne connaît aucune trace.
403Le Dictionnaire topographique de la Haute-Marne, le Dictionnaire historique de Jolibois, l’article plus récent de J. Abraham s’entendent pour assigner une date précise à la disparition de ces villages : l’année 1567. La date est d’ailleurs vraisemblable : en 1567, les Huguenots brûlèrent les villages du Val de Rognon. Cette entreprise de destruction s’explique d’autant mieux que le Val de Rognon appartenait à cette époque à la Maison de Guise. Et de fait, en 1572, un procès-verbal d’arpentage des bois de la vallée du Rognon déclare détruits nos trois villages :
Par le temps passé soulait avoir au Val de Rognon, sept villages étant usagers esdits bois et a présent ne sont que quatre : Doulaincourt, Bettaincourt, Roches et Cultru parce qu’il y en a trois qui sont ruinés par le passé, assavoir : Saint-Brice, Saint-Èvre et Valaincourt.
404L’un d’eux au moins, Saint-Brice, était encore paroisse et communauté au début du XVIe siècle. Mais les ruines laissées par les guerres de religion apportent-elles une explication entièrement satisfaisante ? Doulaincourt, lui aussi totalement détruit par les Huguenots, est aujourd’hui un village florissant, chef-lieu d’un canton de la Haute-Marne. Et cependant avant les événements de 1576 Doulaincourt avait déjà souffert des guerres entre France et Bourgogne au XVe siècle et devait encore en 1636 être pillé par les Suédois !
405Les trois agglomérations de Bettaincourt, Roches-sur-Rognon et Cultru se rejoignent. Doulaincourt n’est guère éloigné de cet ensemble de plus de trois kilomètres ; c’est dans ce vide relatif que s’élevaient Saint-Brice, Saint-Èvre, et Villainecourt. Un autre village, Villecet, également disparu, était établi au XIIe siècle près de Bettaincourt.
406La densité de l’habitat dans cette étroite vallée était donc remarquable. Il est possible et même probable que les Huguenots ne se sont pas contentés de détruire les habitations et qu’après les événements de 1576 la population de la vallée s’est trouvée sensiblement diminuée. Et sans doute les habitants échappés au massacre ont-ils préféré se grouper : ceux de Saint-Brice par exemple ont pu reconstruire leurs maisons dans un Doulaincourt dépeuplé. Ceux de Saint-Èvre ont peut-être préféré quitter le plateau et s’installer sur le site, plus commode, de Bettaincourt.
407D’autres facteurs ont pu jouer, en empêchant le Val de Rognon de retrouver son ancienne activité. Les ressources de la région sont très limitées : prairies de la vallée, forêts du plateau. L’exploitation des bois, à en juger par les nombreux procès qui ont opposé les habitants à leurs seigneurs et les seigneurs entre eux, jouait un rôle essentiel dans l’économie de cette petite région. Au XVIe siècle, et au XVIIe siècle, les seigneurs qui avaient succédé aux Guise ont essayé, semble-t-il, d’accaparer les bois pour alimenter des forges. En 1578, les habitants de Bettaincourt s’opposèrent à la construction d’une forge que Monsieur de Toulongeon devait, en vertu de lettres patentes du roi, construire entre ce village et Doulaincourt. Les paysans du Val de Rognon protestaient que la construction de cet établissement causerait la ruine du pays. Ils obtinrent satisfaction. Mais au XVIIe siècle, des forges fonctionnaient à Roche et, pour les exploiter, le seigneur du lieu, Monsieur de Ponts, avait acquis de grands espaces boisés. Là encore, les habitants protestèrent et purent obtenir, un moment de se saisir de ces bois. Mais le procès ne se termina pas à leur satisfaction384.
408On voit donc ici un autre aspect d’un certain capitalisme s’exerçant au détriment des communautés rurales. Si l’on ne peut accuser les maîtres de forges du Val de Rognon d’avoir dépeuplé des villages, on peut au moins penser qu’en accaparant les forêts affouagères, ils ont empêché ces villages de reprendre vie, après leur destruction brutale.
409Au XVIIe siècle, même les zones relativement épargnées par la guerre de Trente Ans – la région troyenne, toute la Champagne méridionale385 – voient leur population rurale diminuer à diverses reprises sous le règne de Louis XIV. Et cette dépopulation du plat-pays champenois se traduit par de nombreuses désertions de villages, pendant le cours des XVIIe-XVIIIe siècles386.
410Il s’agit le plus souvent d’abandons de petits hameaux ; la dépopulation rurale éteint d’abord les plus petites agglomérations : il est rare qu’elle puisse vider de toute substance de vrais villages où l’église, un four banal, divers offices ruraux, entretiennent longtemps une étincelle de vie. On le constate aujourd’hui : l’émigration rurale contemporaine a totalement dépeuplé des hameaux387, mais les communes même très amenuisées se maintiennent.
411Un autre indice qui nous permet de mettre en cause l’émigration rurale, c’est la lenteur du processus d’abandon. Assez souvent la désertion définitive n’intervient qu’au début du XIXe siècle comme c’est le cas pour Blives, pour Mondeville, ancienne paroisse qui au XVIIIe siècle n’a plus qu’une chapelle sans titre et dont la dernière maison n’est démolie qu’en 1825388
412.L’histoire du village de Moirey est assez bien connue389. C’était encore une paroisse en 1553 ; en 1680, Moirey ne comptait plus que 27 habitants et le curé de Dierrey-Saint-Julien n’y célébrait qu’une messe par semaine. Puis l’église fut abandonnée ; en 1748 elle tombait en ruines. On la transforma en chapelle et l’on se contenta d’y célébrer la messe le 1er mars de chaque année, jour de la fête patronale (le destin de l’église que les registres de visites permettent généralement de suivre aisément est toujours un assez bon indice de l’évolution régressive de l’habitat). À Moirey, en outre, un plan cadastral de 1744390 montre encore à l’emplacement de l’ancien village outre la chapelle, trois bâtiments et quelques chènevières. En 1761, il ne restait plus qu’une seule habitation. L’abandon, en cours dès le milieu du XVIIe siècle, n’est total qu’à l’époque de la Révolution391.
413Les documents pour une fois nous informent assez bien sur l’abandon progressif du village. Mais ils ne nous disent pas quel fut le destin des habitants émigrés, quel motif les poussa à quitter leur ancienne demeure. Les contemporains de ces événements sont, en tout cas, unanimes à dénoncer le poids excessif de la fiscalité : la généralité de Châlons était une des plus imposées et l’élection de Troyes était spécialement défavorisée. À l’assemblée de cette élection en 1787, on annonçait que la plus légère augmentation d’impôt ferait déserter la terre à tous les cultivateurs : propos exagéré, sans doute ; chantage habituel pour obtenir des allégements fiscaux, peut-être ; mais aussi manifestation d’une tendance dont on pouvait voir les effets tous les jours. La menace n’était pas vaine, parce qu’elle avait reçu un commencement d’exécution. Les intendants eux-mêmes reconnaissaient la situation difficile du paysan champenois : en 1759, l’intendant de Troyes écrivait :
En Champagne, le champ et le cultivateur offrent le spectacle de la plus profonde misère. Le cheval peut à peine se soutenir. Le cultivateur n’a pas la subsistance de première nécessité. La moisson est grêle, en seigle, orge, avoine et blé noir392.
414C’est que la Champagne était pays d’élection et subissait le régime de la Grande Gabelle et des cinq grosses fermes, quand la Bourgogne voisine était « province réputée étrangère » et pays d’État. On s’explique ainsi l’émigration de ces 4 000 familles champenoises qui, aux dires de Le Fèvre de Caumartin, allèrent s’installer en Bourgogne, au XVIIe siècle393.
415Il est en revanche plus difficile d’apprécier les incidences du développement de l’industrie textile sur les mouvements de population de la campagne troyenne. D’une part il est certain que le développement du travail à domicile, favorisé par la création d’écoles de filature dans des bourgades comme Origny-le-Sec et Estissac, est venu freiner l’émigration rurale. Cette extension de l’industrie troyenne eut d’heureuses conséquences sur la condition paysanne, faisant régresser le nombre des indigents dans les paroisses394. Mais dans les campagnes, le succès de l’industrie textile, surtout après l’introduction des « métiers à faire bas » de la bonneterie vers 1765, fut tel « que l’agriculture finit par manquer de bras ». Le travail de la terre passa au deuxième plan : Plancy qui comptait 63 laboureurs en 1777 n’en comptait plus que 3 en 1788 contre 63 ouvriers. Finalement les terres furent délaissées et des fermes abandonnées : ce mouvement pourrait bien avoir atteint de petits hameaux, habités surtout par des manouvriers. Il faut enfin tenir compte des règlements qui ont longtemps entravé le développement de l’industrie rurale et ont attiré à Troyes une partie de la population des campagnes. En 1789, sur 22 000 habitants environ, Troyes comptait au minimum 12 000 ouvriers et artisans : parmi eux, combien descendaient d’habitants des hameaux perdus ?
416Dans toute cette étude sur les causes des disparitions de villages en Champagne, il y a un grand absent : le rassembleur de terres. Absence réelle de ce grand coupable ? ou bien carence sur ce point des historiens champenois ? Un seul cas de ce genre est connu : celui du hameau du Boulin395 ; ses sept maisons de manouvriers furent démolies au XVIIIe siècle pour faire place à un domaine avec manoir396. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps : le problème des concentrations foncières en Champagne, à l’époque moderne, demeure une question ouverte.
Languedoc
417Le cas du Midi français – spécialement celui du Languedoc que nous avons pu étudier d’assez près397 pour l’époque moderne – est intéressant à divers titres.
418D’abord, il s’agit d’une région tout à fait différente des pays jusqu’à présent prospectés par les chercheurs de lost villages : Allemagne, Angleterre ; les problèmes ne s’y posent pas dans le contexte habituel des enquêtes de ce type : on n’a guère à évoquer, par exemple, dans le Midi méditerranéen, la dialectique openfield-bocages.
419En second lieu, les désertions de villages ou d’habitats peuvent y être assez clairement rattachées à un certain nombre de phénomènes précis, qui sont parfois reliés les uns aux autres et, d’autres fois, totalement indépendants les uns des autres. Parmi ces phénomènes figurent : les épidémies paludéennes dans la zone des étangs ; l’abandon des terres et le rétrécissement des finages, provoqués par le déclin agricole, entre 1675 et 1720 ; le retrait de la propriété parcellaire à partir de 1670-1690 environ, et jusque vers 1760-1770 ; et, en contrepartie, l’action (relativement modeste et sans commune mesure avec l’Angleterre ou même l’Île-de-France) des rassembleurs de terre ; la vague de dépopulation également assez limitée, qui prend place, pour l’essentiel, entre 1677 et 1745 ; enfin, derniers facteurs, les destructions autoritaires, opérées par l’armée royale sur l’ordre de Versailles, dans le bastion cévenol des Camisards. Chaque désertion importante d’habitat intègre un ou plusieurs de ces phénomènes, à titre de séries causales.
420En Languedoc « moderne » (XVIe-XVIIe siècles), la disparition intégrale d’un village au profit d’une ferme isolée, ou du néant, est un phénomène rare ; Émile Appolis, étudiant, avec quelle conscience, les cinquante-trois communautés du diocèse de Lodève, ne relève qu’un seul cas398, pour un site caussenard ; et il est possible de généraliser ses conclusions. Comparons en effet, d’un siècle à l’autre, les listes de « communautés », villages languedociens : au XVIe siècle (1540-1580), et au milieu du XVIIIe siècle ; diocèse par diocèse, centaine de villages par centaine de villages. Examen rassurant : le réseau des villages tient bon jusqu’au XVIIIe siècle, et même jusqu’au XXe siècle. Aux diocèses d’Agde, Albi, Comminges, Lavaur, Lodève, Bas-Montauban, Saint-Papoul, toutes les communautés mentionnées aux « assiettes » diocésaines de 1560 passent le cap du XVIIe siècle et de Louis XIV, ce cap fatal d’un règne dur ; et elles se retrouvent toutes vivantes sur le registre de l’Intendant, au temps des Lumières.
421Contraste, donc, en Languedoc du moins, entre les Wüstungen des XIVe-XVe siècles, portées aux extrêmes, aux déracinements des villages ; et les Wüstungen de la seconde vague (1680-1740), plus modérées, ravageuses des terroirs, mais respectueuses du réseau fondamental des paroisses.
422Cet optimisme, pourtant, n’est vrai qu’en première analyse ; il faut dépasser ces statistiques trop larges, ce coup de filet sur quelques centaines de terroirs ; il faut en venir à des analyses plus fines, monographiques. Alors on verra, comme au microscope, apparaître des désertions de villages – parfois seulement des débuts de désertions –, sinon très nombreuses, du moins significatives.
423Il est clair, d’abord, qu’un certain nombre de villages ont frôlé la mort, esquivé d’extrême justesse la désertion intégrale : résultat cumulé de l’abandon des terroirs et de la dépopulation. Ainsi, en 1676, la paroisse d’Alban (au diocèse d’Albi) est déguerpie, terres et village, par les habitants, qui n’en peuvent payer les charges. Alban pourtant refleurira au XVIIIe siècle. Vers 1710-1720, au fort de la crise, Avignon et Montsaunès, Mazères, Brousse, Vendémien, Vic399 envisagent le déguerpissement total. Finalement toutes ces communautés survivent après 1720-1730 : mais elles sont restées quelque temps dans un état « comateux ».
424Le cas de Vic, dans la plaine paludéenne du Montpelliérais, est net. Drame des fièvres et drame du fisc. En 1520, ce village comptait 191 taillables, pêcheurs, laboureurs, vignerons, bergers. Bonne terre, gros peuplement : Vic avait reçu sa lourde part d’impôts, dans le compoix diocésain, confectionné vers 1520, et resté en vigueur jusqu’en 1789. On sait la mécanique implacable de ces cadastres, coriaces et multiséculaires : qu’un village s’affaiblisse, sa cote d’impôts reste néanmoins calculée, indexée sur sa splendeur passée ; et le village s’écroule, victime d’une histoire dont il n’est plus capable d’assumer le poids.
425C’est bien ce qui se produit à Vic, vers 1700 : anémié après 1670 par la crise et par la malaria, le village est achevé par le fisc. Les habitants meurent ou émigrent. Vic comptait 360 communiants en 1669 (et une seule famille d’hérétiques), 350 en 1677 ; 250 en 1689 ; 140 en 1698 ; 65 en 1740. En deux générations, la paroisse, frappée d’hémorragie, s’est vidée aux quatre cinquièmes.
426Au point que les derniers habitants, en 1716, envisagent le suicide de la collectivité, comme ultime solution pour la survie des individus qui la composent : en décembre 1716, ils font acte de déguerpissement. Décision extrême, qui n’est pas appliquée. Un petit noyau humain subsiste à Vic en 1734, mais dans quel état : illettrés totaux, malades, languissants ; leur vigne n’est plus qu’une vignasse ; ils n’ont pas de moutons ; leurs labours sont abandonnés ; et ils manquent de blé, crevant de faim sur une plaine fertile ; c’est un groupe de gueux sans initiative, ni ressort, psychologiquement tels que les ont façonnés les grandes crises de 1680-1730.
427Vic renaîtra (100 communiants en 1779). Mais elle aura témoigné, dans la pire période, sur la profondeur d’une crise et sur la stupidité d’un système fiscal.
428Lattes subira une éclipse pire encore : c’est entre 1676 et 1744 que s’achève la désertion totale (mais non définitive) du bourg central, miné par la crise, la malaria, les rassembleurs.
429Autre naufrage ou quasi-naufrage : Saint-Victor, au diocèse de Rieux, qu’un témoin décrit vers 1720 : la population y a diminué d’un tiers depuis 1694 « par les maladies qui régnèrent à la suite de la disette qui arriva ladite année ». En 1705, le pays fut fracassé par la grêle, et « tout le public de quitter la paroisse », les garçons pour être valets, les filles servantes, les pères ailleurs, leurs petites maisons sans personne. Depuis 1712, vingt maisons sont tombées et démolies. La communauté devient absente… On n’y paie pas de tailles, mais la capitation, trop lourde, oblige les pauvres habitants qui n’ont pas de grains pour un mois « dès qu’ils ont deux garçons de mettre l’un pour valet qui s’en va gagner sa vie et s’établir où il pourra ».
430Voilà décrite à Saint-Victor une Wüstung de l’Ancien Régime, avec ses aspects sociaux caractéristiques : mortalité, fiscalité, migration des jeunes vers le prolétariat des mas, ou dans la valetaille des cités. D’autres désertions de ce type, rayant de la carte une dizaine de paroisses, sont probables, aux diocèses de Rieux, de Toulouse entre 1550 et le XVIIIe siècle.
431Dans l’Aude, à Buadelles, la désertion du village (déjà fort rétréci depuis les guerres de Cent Ans) s’accompagne d’une opération capitaliste au profit d’un puissant seigneur, l’abbé de Lagrasse : en 1666, il oblige tous les tenanciers de Buadelles à déguerpir ce qu’ils possèdent ; et il réunit leurs terres à la mense abbatiale, métamorphosant un village en ferme isolée. L’abbé de Lagrasse était du reste par tradition, solide mangeur de paroisses : son prédécesseur avait réduit Tréviac – sans doute au XVIe siècle. Son successeur réunira Bubas, au début du XVIIIe siècle.
432À Saint-Martin-de-Castries, paroisse médiévale, sise au Causse du Larzac, même opération : ce village dépeuplé vers 1700 devient une simple métairie à moutons, propriété du seigneur local.
433Au diocèse de Montpellier, sur 83 villages encadastrés en 1520, trois au moins, parmi les plus petits, disparaîtront dans les siècles suivants, pour faire place à des fermes isolées, ou au néant400. Deux d’entre eux, Sainte-Colombe et Montels, sont à inscrire en tout ou partie, au « tableau de chasse » de la dépression Louis XIV-Régence (1680-1730).
434Sainte-Colombe-de-Nissargues, gros village médiéval (XIe siècle) déjà fort affaibli vers 1440, compte encore 5 maisons en 1520, 48 taillables et un terroir à blé fort morcelé. En 1654, le village existe encore : on y confectionne un compoix. Mais en 1720, désertion et concentration ont fait leur œuvre : les paysans sont morts ou disparus ; une grosse métairie a mangé tout le terroir. Elle a du reste bien du mal à payer les impôts, toujours calculés sur la cote élevée de l’ancien village.
435À Montels (toujours dans ce pays de Lunel, où nous comptons deux villages disparus401 au XVe siècle, et un autre402 perdu vers 1700), la chronologie est un peu plus tardive : vers 1520 encore, Montels possède une église, 10 maisons, 36 taillables, un terroir fragmenté producteur de grain. Au siècle suivant, le village (malgré une démographie plutôt léthargique dans la longue durée) reste bien vivant : le sol de Montels se couvre de vignes ; et l’on y compte 45 communiants en 1657, 50 en 1677.
436Brusquement, entre 1677 et 1689, c’est la catastrophe : le village perd les quatre cinquièmes de ses habitants : 50 communiants en 1677 ; 10, en 3 familles en 1689. Et ce chiffre ne bougera plus guère jusque vers 1777. Que s’est-il passé ? Révocation ? Mais non : Montels ne compte qu’un seul huguenot, le seigneur de Farges, qui ne réside pas.
437Alors, disettes ? épidémies ? mortalités ? crise viticole ? atonie économique induite par la Révolution, qui stérilise le commerce, dans les régions protestantes voisines ? Un peu de tout cela sans doute. Une certitude : la mort et l’émigration ont vidé le village dans la funeste décennie 1680. Il vivotera pourtant encore un siècle, puis disparaîtra dévoré par un rassembleur, aux environs de 1850.
438La typologie des villages perdus implique souvent une distinction des stades successifs d’évolution : stade initial d’affaiblissement démographique ou économique qui réduit le village à n’être plus, en fait, qu’un hameau (stade I) ; puis, longtemps après parfois, stade vraiment mortel, estocade finale : le village rétrécit, disparaît entièrement, ou bien se transforme par concentration foncière, en ferme isolée403 (stade II).
439Quant à la crise louis-quatorzienne, ses effets néfastes peuvent s’appliquer, tantôt au stade I, tantôt au stade II. Cette crise peut achever un village mourant, par « phagocytose » capitaliste ou seigneuriale (Buadelles, Sainte-Colombe) ; ou bien elle peut communiquer à un village encore sain, une maladie de langueur, qui le fait déchoir au rang de hameau : ce hameau recroquevillé ne mourra tout à fait qu’un siècle plus tard (Montels).
440Comme les villages, et plus qu’eux, les hameaux meurent aussi. En 1677, l’évêque de Montpellier visite, dans la paroisse de Montaud, le hameau de Dourni : vide d’habitants, tellement vide, qu’il a disparu, depuis, de toutes les cartes (Cassini, carte d’état-major, etc.). Déserté depuis peu aussi, en 1666, le hameau de Peyrebrune ancien castrum du XIIe siècle, qui prospérait encore à la Renaissance, parmi ses chênes, ses cochons, sa glandée ; nous retrouvons Peyrebrune (sous Colbert), déboisé et pelé, déserté.
441Certains de ces hameaux fragiles ont une vie clignotante, intermittente au gré de la conjoncture : à La Font-des-Pierres404, pas d’habitant, dit l’évêque en 1677. Mais les cartes de 1760 ou de 1950 signalent de nouveau cet habitat comme vivant. À Mujolan405, vieille paroisse médiévale, décatie en hameau à l’époque moderne, l’abandon semble proche en 1677, « pas de fonts baptismaux, note l’évêque ; on n’y a jamais baptisé, ni enterré car il n’y a qu’une femme qui ne fait point d’enfants ». Eh bien, elle a dû en faire un, après la visite de l’évêque. Ou bien des immigrants sont venus. Car Mujolan vivra encore, avec quelques habitants, aux XVIIIe et XIXe siècles.
442Vie et mort des hameaux sont connues par les visites épiscopales ; mais aussi par les compoix, dont la chronologie est précise : Joncels, vaste paroisse à 18 hameaux ; l’un d’eux se nomme Mas-Nou (Mas Neuf) : c’est un écart de défrichement récent, marginal et rabougri, pauvre et peu peuplé ; il compte 5 petits taillables en 1651 ; il disparaît, entre 1651 et 1675. Mais 17 hameaux subsistent encore : ils survivront.
443Villemagne-l’Argentière, outre le bourg, possède entre 1586 et 1717 quatre hameaux : L’Aguisse, Le Pradal, Clairac, Nissergues. Plus tard, Cassini les signalera tous, sauf un : L’Aguisse. Et en effet, l’Aguisse se dépeuple : 13 taillables en 1620, 10 en 1678, 7 en 1717, 0 en 1729. Ce drame dérive probablement du paupérisme. En 1679, dans ce hameau voué à une mort prochaine, nous comptons, pour 10 taillables propriétaires (dont 2 ou 3 sont mendiants secourus), 12 indigents non propriétaires, aidés d’aumônes par l’abbé de Villemagne. L’indigence prépare la désertion qui va suivre.
444Les rassembleurs languedociens de l’âge moderne, quoique moins voraces que leurs congénères britanniques, sont fort capables, à l’occasion de la crise, de réduire un hameau tout entier. À Capestang, l’écart de Cannac comptait huit taillables et six maisons en 1559. On le retrouve en 1705, « avalé » par M. de Villeraze, le bien nommé, qui transforme Cannac en ferme isolée.
445Mais ce cas ne semble pas général. Les hameaux qui meurent, disparaissent souvent de mort naturelle, par épuisement, économique et démographique. Ils n’ont même pas besoin qu’un rassembleur les achève. La crise et le fisc s’en chargent tout seuls.
446Des hameaux meurent. La grande majorité, pourtant, survit. Dans diverses paroisses, elles aussi parsemées d’écarts, tous les hameaux tiennent bon et parviennent à traverser sans périr les XVIIe et XVIIIe siècles, malgré crises et catastrophes diverses : ainsi, quand les documents sont disponibles, à Lauroux, au Bosq, aux Plans406.
447En bref, l’habitat rural méditerranéen est mis à l’épreuve par la dépression agricole et démographique qui s’ouvre sous Louis XIV. Quelques cadavres de hameaux et de villages parsèment les époques les plus rudes : vers 1680, vers 1710-1715. Mais l’ensemble des habitats résiste mieux (en Languedoc) qu’aux XIVe-XVe siècles : il est vrai qu’à cette époque l’épreuve démographique était plus rude ; la population avait diminué de moitié, au bas mot ; alors qu’elle perd seulement 18 % de ses effectifs, de 1677 à 1741.
448Le réseau des habitats est comme une immense molécule, aux chaînes ramifiées, où chaque village fait figure d’atome : à la fin du XVIIe siècle, au début du XVIIIe siècle, quelques atomes sautent ; d’autres perdent de leur nuage périphérique, un électron (un hameau). Ces pertes sont historiquement significatives, mais elles ne concernent au plus que quelques pourcents ; elles ne sont pas statistiquement importantes. Les trames du réseau, très solidement tissé (du fait d’un système agricole relativement intensif, arboricole, et parcellaire), restent intactes ; et bien plus résistantes qu’en Angleterre ou en Allemagne.
449Ou plutôt, intactes, elles le resteraient, s’il n’y avait, dans les Cévennes lozériennes en 1703, la grande déchirure des Camisards, « la Saint-Barthélemy des habitats »407, ordonnée par Basille. Dejà en 1622, lors des troubles de Montauban, le Parlement de Toulouse avait fait raser l’agglomération protestante et perchée de Cuq-Toulza. Les habitants s’étaient vu interdire de reconstruire sur place (l’actuel bourg de ce nom occupe en fait le site de l’ancien village de Cadix, au pied du plateau)408.
450En 1703, c’est bien autre chose ; 53 villages cévenols, qui comptent des centaines de hameaux, sont démolis et brûlés par les soldats, dont les yeux et les poumons sont aveuglés de poussière et de fumée ; tandis qu’en files lamentables on évacue les habitants, femmes enceintes et vieillards humanitairement juchés sur des bourricots. De ces 53 villages, neuf ne réapparaîtront pas ; on les chercherait en vain dans les listes d’habitats agglomérés du XIXe siècle409.
451Hécatombe importante : les dévastations militaires sont la cause initiale, mais non la seule. En Haute-Cévenne en effet (tout comme en Haute-Provence), la population, dès cette époque, cherche à descendre vers le bas pays. Et d’autre part la dépression démographique sévit, de 1680 à 1740. De telles tendances freinent, mieux que n’importe quelle dragonnade, la reconstruction des sites camisards. On s’explique mieux qu’une dizaine d’entre eux ne se soient jamais relevés ; et qu’ils soient restés définitivement oblitérés.
452Nous connaissons maintenant un peu moins mal, du XIVe au XVIIIe siècle, la France des villages disparus. Nous pouvons situer, en ce qui la concerne, certains processus essentiels ; ceux-ci ressortiront d’autant mieux, par une comparaison avec les nations les plus proches et les mieux connues.
453En pays germaniques, Wilhelm Abel incrimine, pour la fin du Moyen Âge, la crise agricole, fille de la décompensation démographique, des pestes, des catastrophes : cette crise ouvre les « ciseaux » prix-salaires, gains-dépenses, grains-bétail, au détriment des prix, des gains, des grains ; elle compromet ainsi la fruste « rentabilité » des terroirs cultivés ; elle concentre l’habitat et les superficies exploitées ; elle supprime, au profit des pacages ou des forêts, les villages marginaux et les terroirs incommodes ou peu fertiles, dont les occupants disparaissent d’eux-mêmes, par la mort ou l’émigration vers des zones plus riches.
454En Angleterre, à la même époque, le style des désertions diffère, et Maurice Beresford met en cause une géographie volontaire, et la dictature des seigneurs à moutons ; ces seigneurs sont mus, peut-être, par des motivations économiques – par le bon prix, commun alors à toute l’Europe, de la laine et de la viande ; ils expulsent les tenanciers, pour faire du troupeau ; et ils remplacent, par une bergerie, l’agglomération des chaumières.
455En France, les villages ou hameaux perdus sont proportionnellement moins nombreux qu’en Angleterre et qu’en Allemagne ; le phénomène n’est pas si massif, il est minoritaire et nuancé ; les problèmes qu’il pose sont plus complexes, en chronologie et en typologie, que dans les pays voisins.
456Les désertions, dans le Royaume, ont pu commencer très tôt, dès les XIe-XIIIe siècles, par le simple jeu des franges pionnières : celles-ci progressent, et elles dévalorisent du même coup les vieux habitats de l’ancienne « frontière » désormais dépassée.
457Les désertions françaises, pourtant, ne prennent un tour dramatique qu’avec la période des crises, des pestes, et des guerres de Cent Ans. Le complexe catastrophes-dépression joue alors, comme en Allemagne, le rôle décisif ; quant aux seigneurs, s’ils profitent de certains abandons, ils ne cherchent pas, systématiquement, à déraciner le village. Souvent, c’est tout le contraire : ils tentent d’attirer, dans les masures, sur les terres retournées à la friche, de nouveaux cultivateurs, pour remplacer les villageois disparus. Et la reconstruction, dans la majeure partie des régions (excepté l’Alsace et la Haute-Provence) fait refleurir la quasi-totalité ou la grande majorité des paroisses un moment perdues.
458Après l’intermède heureux de la Renaissance, les désertions de la seconde vague interviennent, pour l’essentiel, entre 1560 et 1720.
459Elles aussi dérivent souvent, en première analyse, des catastrophes guerrières (combats de la Ligue ou de la Fronde, guerre de Trente Ans ou des Camisards) ; et elles s’inscrivent simultanément dans un vaste complexe d’adversité paysanne, tel qu’il s’instaure de façon progressive, à partir du dernier tiers du XVIe siècle ; parmi ces éléments d’adversité, il faut citer : les tendances fréquentes à la décroissance démographique ; la stagnation des prix et celle de la production, qui rendent plus sensible le poids des charges et des dettes ; enfin les prétentions accrues d’une fiscalité anti-paysanne.
460Mais, sur ce fond de circonstances défavorables, va jouer cette fois, et en plus, contre l’habitat traditionnel, la volonté explicite, rationalisante, simplificatrice des maîtres du sol. Les méthodes anglaises, avec un décalage de quelques générations (l’habituel retard du Continent), trouvent, non sans différences substantielles, des imitateurs dans la France moderne. Châteaux, parcs seigneuriaux ou royaux, grosses fermes du Nord-Est limoneux, métairies de l’Ouest bocager, grands mas du Midi effacent, par dizaines, les hameaux et quelquefois les paroisses. Les dégâts sont très significatifs, quant aux difficultés agraires et quant aux tentations du capitalisme foncier. Ils sont néanmoins modérés ; car le réseau villageois ne craque pas. La masse paysanne est entamée ; mais dans l’ensemble, elle tient bon.
461Elle tient bon du fait même de ses vastes dimensions, de son importance démographique, sans commune mesure avec les paysanneries plus clairsemées de l’Allemagne et de l’Angleterre. La France n’est-elle pas, à toute époque, du XVe au XIXe siècle, une grande fabrique à grains, accessoirement à vins, très exigeante en main-d’œuvre agraire ? Les villages, extrêmement peuplés, y sont autrement solides que dans les nations lainières, comme à certaines époques sont l’Angleterre ou l’Espagne.
462Et puis les malheurs n’ont qu’un temps ; après le siècle noir de Louis XIV, vient une époque de longue durée, plus favorable pour les villageois. Des facteurs stimulants réveillent les campagnes ; comptons, parmi eux : la reprise économique qui se fait progressivement sentir à partir de Law ; l’essor démographique, après 1740-1750 ; l’affranchissement paysan, et les conquêtes sociales de la Révolution francaise ; le morcellement parcellaire du XIXe siècle ; enfin, la sollicitude des gouvernants, qui, de Turgot à Méline, se montrent souvent soucieux d’assurer le « bon prix » du blé ; tout cela insuffle aux villages français une nouvelle vigueur.
463Depuis la fin du XIXe siècle, s’esquisse une troisième vague de désertions ; elle est provoquée, pour l’essentiel, par l’exode rural. Elle multiplie, dans les Alpes, le Jura, le Massif Central, les villages vides et les hameaux déserts, en nombre plus grand, sans doute, que lors des épisodes antérieurs d’abandon.
464Mais là aussi, des éléments compensateurs – d’un ordre tout nouveau – commencent à jouer : les citadins de 1965 achètent les maisons qui croulent, remettent en état les bicoques au toit percé. Et l’habitat défunt, parfois, ressuscite artificiellement.
465L’influence urbaine a changé de sens ; au XVIIe siècle, les villes, peuplées de rassembleurs, tuaient des villages et hameaux du plat-pays, métamorphosés en champs, prés, parcs, châteaux ou fermes isolées. Au XXe siècle, au contraire, dans certains cas privilégiés, des villages mourants connaissent la survie : ils doivent celle-ci aux besoins d’évasion des grands centres, à la recherche universelle des résidences secondaires, au snobisme des bourgeoisies citadines410.
Notes de bas de page
1 F. Lot, « L’État des paroisses et des feux de 1328 », Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 90, 1929.
2 Les chiffres médiévaux ne sont pas absolument unifiés puisqu’on possède souvent pour le même diocèse, confectionnés à quelques décennies de distance, deux pouillés dont les totaux de paroisses ne concordent pas exactement.
3 Seul le village de Bois-Benâtre ne figure plus sur les cartes ; encore se peut-il qu’il ait été absorbé pat le village voisin (Manche, commune de Coulouvray-Boisbenâtre).
4 L. J. Thomas, « La Population du Bas-Languedoc (XIIIe-XVIIIe s.) », Annales du Midi, 1908.
5 Voici les noms, avec le nombre de feux en 1296 ou 1300 : Saint-Jean-de-Roque (18 feux, commune de Quissac) ; Aleyrac (11 feux, commune de Claret) ; Montels, près Lunel (16 feux) ; Saint-Denis-de-Ginestet (41 feux, commune de Saint-Nazaire) ; Ardezan (4 feux, commune de Saint-Côme) ; Polverières (4 feux, commune de Bouillargues) ; Obilion (22 feux, commune de Lunel).
6 V. Chomel., « Visites pastorales du diocèse de Narbonne », Bibliothèque de l’École des Chartes, 1957.
7 A. Gravier, Villes et villages de Seine-et-Oise au Moyen Âge, Revue de l’histoire de Versailles, 1927
8 L. Dessalles, « La Rançon du roi Jrean », Mélanges de Littérature et d’Histoire recueillis et publiés par la Société des Bibliophiles français, t. I, 1850, p. 144 sq.
9 G. Fourquin, « Villages et hameaux du Nord-Ouest de la région parisienne en 1332 », Paris et Ile-de-France t. IX, 1957-1958, p. 141 sq.
10 Sur ces documents, analysés par A. Bocquet, cf. Villages désertés et histoire économique.
11 Abbé Merle, « Visites pastorales du diocèse de Lyon (1378-1379) », Bulletin de la Diana, t. XXVI, 1937, n°3. Les quatre paroisses, sans doute disparues en tant qu’agglomérations, sont : Pouilly-le-Chatel (Rhône, commune de Denicé), paroisse supprimée à la Révolution, Chaussage (Rhône, commune de Saint-Alban-et-Montchat) ; Malatrait (Isère, commune de Janneyrian) et Vacieu (Isère ?). Toutes les autres paroisses « disparues » sont en fait devenues des hameaux qui figurent au Dictionnaire des postes de l’Empire.
12 B. N. F., Paris, ms français 8764. Publié par H. de Frondeville, Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XLV, 1937.
13 H. Jadart, Statistique de l’élection de Rethel en 1636, Reims, 1884.
14 1862.
15 Par H. Stein, revu et publié par J. Hubert.
16 Trois des quatre « vrais » villages semblent disparus à une date ancienne, avant la fin du XIIe siècle, et 18 hameaux semblent, d’après les mentions, en ruine dès la fin du XIVe siècle ou le début du XVe siècle.
17 Essentiellement Th. Boutiot et E. Socard, Dictionnaire topographique du département de l’Aube, 1874 ; A. Roserot, Dictionnaire historique de la Champagne méridionale, 1942-1948 ; E. Joubois, La Haute-Marne ancienne et moderne, 1858 ; J. Abraham, Anciens villages ou hameaux détruits sur le territoire du département de la Haute-Marne, 1930.
18 Malzey, Meurthe-et-Moselle, commune d’Aingeray.
19 « Géographie et histoire agraires », Mémoires des Annales de l’Est, t. 21, p. 42.
20 G. Debien, « Fermes et villages disparus en Haut-Poitou », bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 3e série, t. XIV, 1947, p. 246-291. Cet article fournit en outre une bibliographie sur les travaux se rapportant à notre sujet.
21 A. Humm ET A. Wollbrett, De la Bruche à la Sana, des Vosges à la forêt de Haguenau, villages disparus d’Alsace, (Société d’Histoire et d’archéologie de Saverne et environs 37-39), 1962.
22 Jean-Gabriel Gigot, directeur des services d’Archives des Pyrénées-Orientales, a effectué récemment une enquête sur les désertions en Roussillon. Mais le Fascicule du Centre d’Études et de Recherches Catalanes qui doit exposer le résultat de ses recherches n’est pas encore paru à ce jour.
23 Ainsi le village de Varennes (Yonne, commune de Cisery) est donné pour détruit au XVIe siècle par le Dictionnaire topographique de M. Quantin et L’Histoire des sites de Montréal d’E. Petit, mais comptait encore 90 habitants en 1720 suivant l’abbé Parat. La destruction ne signifie pas nécessairement une disparition immédiate, mais les deux premiers auteurs le laissaient entendre.
24 Par exemple, celui de Roserot pour l’Aube. Sur les dictionnaires topographiques, cf. J.-M. Pesez, « Sources écrites et villages désertés », Villages désertés et histoire économique, p. 91-93.
25 C’est le cas des dictionnaires consacrés au Calvados et au Morbihan. Le Dictionnaire de la Sarthe, pourtant excellent, ne cite que des lieux présumés détruits, sans précision sur leur nature, de même les dictionnaires de type analogue consultés pour les Deux-Sèvres ou la Loire Atlantique. Le directeur des Archives de la Loire-Atlantique nous a aimablement communiqué le nom du seul village disparu dont il ait connaissance : Escoublac-le-Vieil. Les directeurs d’archives de plusieurs départements normands nous ont également dit ne pas connaître de vrais villages désertés dans leur région.
26 Manuscrit (aux Archives du Tarn-et-Garonne).
27 Exemples : As-Bregaires, ancien village (1782, cadastre de Bloule) ; Les Cades, ancien hameau (« Au mazage des Cades, une maison », 1648, notaire de Montech). Mondons, ancien village (XVIIe siècle, cadastre de Cazes-Mondenard). Les notices de Ribault de Laugardière sur l’arrondissement de Nontron (Dordogne) signalent aussi quelques mas et hameaux disparus.
28 Yonne, commune d’Étaules.
29 Meurthe-et-Moselle, commune de Boucq.
30 Ardennes, commune de Sainte-Marie-sous-Bourq. On peut encore citer dans le département de la Côte-d’Or : Courtangy, commune de Crépand, où l’église survécut au village et Vergy dont le sanctuaire, encore en usage, reste le seul témoin, avec un pan de mur du château, d’un village qui s’éteignit peu à peu du XVIIe au XIXe siècle (commune de Reulle-Vergy).
31 Najejouls, commune de Cazideroque (Lot-et-Garonne). Cf. visites de Mgr de Villars, A.D. Lot-et-Garonne, série G-C1 (communiqué par le directeur des services d’archives du département). Même cas, sans doute, à Montantejac, commune de Monségur. À Saint-Jean-de-Camp, près de Feneyrols (Tarn-et-Garonne), le cas est moins clair : le comte d’Armagnac y résida en 1353 et on a trouvé des restes de substructions (abbé Galabert, « Identification de quelques églises du canton de Saint-Antonin », Bull. archéol. et hist. du Tam-et-Garonne, 1885, t. 15, p. 286-291).
32 Tarn, commune de Brens (canton de Gaillac).
33 Tarn, commune de Cadalen.
34 Tarn, commune de Villeneuve-sur-Vère.
35 Tarn, commune de Lisle-sur-Tarn. On peut encore citer dans le même département Notre-Dame-d’Oliviège isolée dès 1700 et détruite au début du XIXe siècle (commune de Florentin) et l’église de Ratayrens (commune de Le Riols) qui groupait autrefois un hameau.
36 Dumenheim, Hundsfelden, Gugelingen, Neukirch, cités par A. Humm et A. Wollbrett ; Sappenheim, Hammerstatt, Thierheim, indiqués par L. G. Werner.
37 Yonne, commune d’Épineau-les-Voves.
38 Mougin, « Études glaciologiques en Savoie », Ministère de l’agriculture – Direction des Eaux et Forêts – Etudes glaciologiques, t. III, 1912 ; G. Letonneuer, « Documents relatifs aux variations des glaciers dans les Alpes françaises », Comité des travaux historiques et scientifiques, t. 28, 1913.
39 Bellefontaine, commune de Condette ; Flammes, commune de Neufchatel ; Rombly, commune de Lefaux, tous trois dans le Pas-de-Calais.
40 Anchises constitue un cas un peu particulier. C’était, semble-t-il, un port important situé sur un permis de l’étang de Lacanau ou plutôt d’Hourtin. Il est figuré encore sur les portulans, sur la carte de Mercator, celle de Jolivet et de Bouguerauld à la fin du XVIe siècle. La rivière d’Anchiges est seule mentionnée par d’autres cartes au siècle suivant. Au XVIIIe siècle, la carte de Jaillot, au contraire, situe Anchises dans les terres. Est-ce l’envasement du pertuis qui a tué ce port ? (Cf. Dutrat, Dictionnaire topographigue du Médoc.)
41 P. Lebescomte, Époque et mode de formation du « Pas-de-Calais », Paris, 1899.
42 On pouvait lutter contre l’envasement d’un port, non contre l’invasion du sable, ou l’érosion marine.
43 Pas-de Calais, commune de Camblain-l’Abbé.
44 Cf.G. Roupnel, Histoire de la campagne française, Paris, 1932, p. 208-209.
45 D. Mouralis, « Les phénomènes d’habitat dans le massif des Baronnies », Revue de Géographie alpine t. XII, 1924, p. 547-644. On trouverait bien d’autres renseignements dans l’œuvre de Raoul Blanchard. Le Dictionnaire topographique de la Drôme ajoute aussi quelques sites à ceux qu’étudie D. Mouralis.
46 Entre 1801 et 1901 disparaissent Condorcet et Bésignan (Drôme).
47 Cf. Th. Sclafert, Cultures en haute-Provence, Paris, 1959.
48 Tarn, commune de Tanus.
49 Landorre (Aveyron), commune de Flavin ; Thuriès (Tarn), commune de Pampelonne.
50 Autres villages déplacés ou abandonnés : Saint-Georges-de-Camboulas (Aveyron), commune de Pont-de-Salars ; Sermur (Aveyron), commune de Sainte-Juliette ; Mirandol (Tarn), commune de Mirandol-Bourbougnac ; église de Ratayrens (Tarn), commune de Le Riols. Cf. E. Cabié, « Les gorges du Viaur ».
51 Cité par A. Bocquet, cf. Villages désertés et histoire économique, p. 169, n. 4.
52 On voit d’ailleurs que l’estimation du nombre des habitants avant les événements de 1474-1475 est assez vague.
53 A. Dernier, « Un village disparu au XIXe siècle : Milly », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest t. IX, 1931, p. 50-56.
54 Dans l’une et l’autre région, les cartulaires des abbayes ont été abondamment exploités par des auteurs fort attentifs aux désertions de villages. Le comte de Loisne, en composant le Dictionnaire topographique du Pas-de-Calais, surpris du grand nombre de localités disparues qu’il relevait, leur a consacré un important article dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France (1906). Il s’est refusé à considérer qu’une localité impossible à identifier était nécessairement une localité qui avait changé de nom et il a réussi à établir que dans la majorité des cas, il s’agissait d’un site abandonné. Pour le département de la Haute-Marne, après le Dictionnaire historique de Joubois (La Haute-Marne ancienne et moderne), pas toujours très sûr et l’excellent Dictionnaire topographique d’Alphonse Roberot, un article de J. Abraham, 1927-1930, a recensé dix-huit villages désertés. Ces deux articles, celui de de Loisne et celui d’Abraham, étudient essentiellement des désertions des XIIe et XIIIe siècles.
55 Cf. l’article de Ch. Higounet, Villages désertés et histoire économique, p. 253.
56 Église de Montaigut, Tarn, commune de Lisle-sur-Tarn. Cf. Rossignol, t. IV, p. 338 ; Bastie, t. I, p. 293, et II p. 286-287 ; Compayré, p. 149 ; Cabie, « Droits et possessions du comté de Toulouse dans l’Albigeois au milieu du XIIIe siècle », Archives historiques de l’Albigeois, t. VI, 1900 ; Devis et Vaissette, Histoire du Languedoc, t. III et VIII, l’« Historia Albigensium » de Pierre des Vaux de Cernay (Historiens de France, t. XIX), etc.
57 Queye et Saint-Denis (Tarn), commune de Castelnau ; Saint-Étienne-des-Brés et Notre-Dame-de-Lagarde (Tarn), commune de Villeneuve-sur-Vere ; Saint-Jean-du-Vigan et Saint-Pierre-de-Bercille (Tarn), commune de Cadalen ; Pléaux (Tarn), commune de Labastide-de-Lévis (renseignements communiqués par M. Greslé-Bouignol, directeur des services d’archives du Tarn).
58 Beaulieu (Dordogne), commune de Sigoules. Cf. Testut, La Bastide de Beaumont-en-Périgord, Bordeaux, 1920.
59 Bastide de Saint-Clair (Tarn-et-Garonne), commune de Pompignan. Cf. communication de l’abbé Galabert, Bull, archéol. du Tarn-et-Garonne, t. 26, 1898, p. 251.
60 La Bastide-Normandie (Tarn-et-Garonne), commune de Léojac. Cf. L. D’alauzier, « Une bastide perdue, la Bastide-Normandie », Bulletin de la Société archéologique du Tarn-et-Garonne t. 81, 1954-55, p. 46-48.
61 Rojols, aujourd’hui Roujos, maison (Tarn-et-Garonne), commune de Beaumont-en-Lomagne. Cf. F. Moulenq, Documents historiques sur le Tarn-et-Garonne, Montauban, 4 vol., 1879-1880 t. 4, p. 263-264.
62 Le Bourguet (Tarn-et-Garonne), commune de Verlhac-Tescou. Cf. communication de l’abbé Galabert, Bull. archéol. du Tarn-et-Garonne, t. 26, 1898, p. 326.
63 Lacenne (Lot-et-Garonne), commune de Sembas. C. M. Gouron, Catalogue des chartes de franchise de la France – Les chartes de Guienne et Gascogne, Mâcon-Paris, 1935, p. 416-419.
64 Castelréal, maison (Dordogne), commune d’Urval. Cf. Testut, 1920.
65 Trois même, si l’on en croit A. Longon (Dictionnaire topographique de la Marne, p. 199) qui distingue une Neuville-lès-Burigny de La Neuville-lès-Pomacle.
66 Sur ces villages voir le Dictionnaire topographique de Longnon, l’étude de l’abbé Dessailly sur Witry-lez-Reims et le Répertoire archéologique de Jadart et de Demaison. En ce qui concerne Crépy sur le territoire de Witry-lez-Reims, il n’est pas sûr qu’il y ait jamais eu un village de ce nom.
67 Cf. A. D. Marne, G 1101. La chapelle Saint-Léger de l’église de Caurel est construite en 1533 avec des matériaux de l’église de La Neuville.
68 Les cinq localités appartenant au territoire du département de la Marne ; la suivante est indiquée par le Dictionnaire topographique de la Haute-Marne.
69 Caractères originaux, p. 18-19.
70 Cf. G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, Paris, 1962, 2 vol., p. 18-19.
71 E. Jolibois, La Haute-Marne ancienne et moderne, Chaumont, 1858. La Crête y établit une grange. Dardru, ferme (Haute-Marne), commune d’Audeloncourt.
72 J. Abraham, « Anciens villages ou hameaux détruits sur le territoire du département de la Haute-Marne », Bulletin de la Société haut-marnaise des études locales 1927-1930, p. 499-505.
73 Ibid. (Marac : Haute-Marne, canton de Langres). Un autre village proche de Marac, Rosières, disparaît au XIIe ou au XIIIe siècle.
74 R. A. Bouillevaux, Notice historique sur Benoîtevaux et les villages de Val-de-Rognon, Chaumont, 1851.
75 J. Batany, « Les Moines blancs dans les états du monde (XIIIe-XIVe siècles) », Citeaux, t. XV, 1964, p. 5-25.
76 Cf. R. A. Dokin, « Settlement and Depopulation on Cistercian Estates during the Twelfth and Thirteenth Centuries, especially in Yorkshire », dans bulletin of the Institute of Historical Research, 1960. L’Allemagne aussi a vu les Cisterciens dépeupler certains villages. Cf. Duby, 1962 (d’après Epperlein). Enfin des cas semblables se rencontrent en Italie, au moins dans le Patrimoine de Saint-Pierre (d’après P. Toubert) et en Pologne (cf. S. Trawkowski, Gospodarka wielkiej wLasnosci cystcrskiej na dolnym slqsku w XIII wieku– L’Exploitation de la grande exploitation cistercienne en Basse-Silésie au XIIIe siècle –, Varsovie, 1959).
77 Lors de sa fondation en 1131 l’abbaye cistercienne de La Bussière (La Bussière : Côte-d’Or, canton de Pouilly-en-Auxois), s’installa sur le site d’un ancien village Très Valles. Ce village avait-il totalement disparu à cette date ? Par la suite, l’abbaye s’étant déplacée, le site fut occupé par une de ses granges. De même l’abbaye de Fontenay (Côte-d’Or, commune de Marmagne, canton de Montbard) semble avoir occupé le terrain où s’était élevé un village plus ancien. Ce village avait une église ou au moins une chapelle, dédiée à saint Laurent. Cf. Richard, 1953.
78 Haute-Marne, près de Chameroy.
79 Cf. aussi le cas de Dardru, p. 114.
80 R. Fossier (« Le Plateau de Langres et la fondation de Clairvaux », Bernard de Clairvaux, Paris, 1953, p. 68-69) signalant cet ancien village ne met pas en cause l’abbaye de Clairvaux ; il énumère, en outre, dix-huit autres localités disparues autour de Clairvaux, mais attribue la destruction de la plupart de ces localités aux ravages de la guerre de Cent Ans.
Près de l’abbaye bourguignonne de Malzières (Saône-et-Loire), J. de Chevanne note également deux villages disparus : Muz et Bretennière. Mais le premier semble déjà en ruines quand est fondée l’abbaye, le second existait encore au XIVe siècle. Cf. J.de Chevanne, « Le site primitif de labbaye de Maizières – la paroisse disparue de la Bretennière », Les débuts des abbayes cisterciennes dans les anciens pays bourguignons, comtois et romands, Dijon (24e Congrès de l’Association bourguignonne des Sociétés savantes) 1953, p. 13-18.
81 Mores (Aube), commune de Celles. Un autre village, Chenevières, dont l’église est encore mentionnée en 1232 par le cartulaire de Montiers, n’est plus au XIVe siècle qu’une grange, avec une maison et une chapelle (Marne, commune de Givry-en-Argonne).
82 Dictionnaire topographique de la Marne, s. n., « Outriviere » et « Vière » (Outrivière, Marne, commune de Noirlieu).
83 Il est cependant probable que les villages nés des granges cisterciennes l’emportent en nombre sur les localités détruites par les moines blancs.
84 Grosdidier de Matons, « La Woëvre, étude de géographie humaine », Bulletin de Géographie historique et descriptive du Comité des travaux historiques et scientifiques, t. 40, 1925, p. 87-109.
85 M. C. Guigue, Essai sur les causes de la dépopulation de la Dombes et l’origine de ses étangs, Bourg-en-Bresse, 1857.
86 A : Longon, Pouillés de la province de Lyon, Paris, 1904.
87 Le Dictionnaire topographique de l’Ain (par Éd. Philipon, 1911) est pratiquement inutilisable pour notre enquête. Il cite de nombreuses localités disparues qui ne sont souvent que rochers, sources, fontaines, au mieux des fermes ; assez souvent le nom d’une localité n’est attesté que par un nom de personne et ne devait désigner qu’une terre ou qu’un fief. Par ailleurs, l’examen de la carte de Cassini, l’étude du Dénombrement d’amelot de Chaillou, de la Statistique du département de l’Ain, par le préfet Bossi (1808) ne révèlent pratiquement pas de hameaux ou d’écarts disparus dans la Dombes alors que la Bresse voisine en compte plusieurs. L’article de M. Grosdidier de Matons parle aussi de 35 (ou 50, le texte n’est pas clair sur ce point) paroisses disparues dans la Woëvre, mais sans les nommer : villages disparus ou simplement paroisses supprimées ? Nos sondages en tout cas ne nous ont pas permis de repérer des localités totalement effacées de la carte.
88 A. de Loisne,« Les anciennes localités disparues du Pas-de-Calais », Mémoires de la Société des Antiquaires de France, t. LXVI, 1906, p. 57-133 (s. n. Brédenarde).
89 Le Dr Martel refuse, mais sans arguments capables d’entraîner la conviction, l’idée que le comté de Saint-Pol ait pu n’être que tardivement colonisé. Il semble curieusement y voir une sorte de déshonneur pour cette région (Martel, 1956).
90 Dr Feuchère, « Le Défrichement des forêts en Artois, du IXe au XIIIe siècle », Bulletin de la Société des Antiquaires de la Morinie, t. XVIII, 1952, p. 33-45.
91 Notons dans cette région un toponyme intéressant : le Terroir Perdu.
92 Cf. R. Berger et R. Dubois, Quatre cents vues des villages d’Artois en 1605-1610, Arras (Mémoires de la Commission départementale des Monuments historiques du Pas-de-Calais) t. X-2, 1960
93 On trouvera dans l’étude de A. Humm et A. Wollbrett une bibliographie qu’il faut espérer exhaustive.
94 E. Juillard, La Vie rurale dans la plaine de Basse-Alsace, Paris, 1952.
95 L. G. Werner, « Les Villages disparus de Haute-Alsace », Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse, 1914, p. 292-323 ; 1919, p. 49-91 et 175-230 ; 1921, p. 88-126 et 376-424, complété par A. Straub, 1887 et G. Stoffel, Dictionnaire topographique du Haut-Rhin, 1868.
96 Ainsi Rimlenheim qui ne comptait plus que 6 maisons au XVIe siècle et Betbur, encore mentionné en 1484 mais qui n’existait plus en 1553. En revanche, il a paru impossible d’attribuer aux crises de la fin du Moyen Âge la disparition de villages détruits sans doute au XVe siècle mais qu’on ne voit mourir totalement qu’au XVIIIe siècle. Un exemple remarquable est celui de Biblenheim dont on peut, d’après A. Humm, retracer ainsi l’histoire : 1° dès le XIVe siècle, le village est petit à petit acquis par l’Œuvre Notre-Dame ; 2° en 1375, il loge les routiers anglais et sans doute est-il détruit ; 3° le village s’éteint lentement au cours des XVIe et XVIIe siècles ; 4° il est détruit par le canon au cours de la campagne de Turenne et à la fin du XVIIe siècle, il n’en reste qu’une ferme, propriété de l’Œuvre Notre-Dame ; 5° au XVIIIe siècle, un hameau se reconstitue autour de la ferme ; 6° cette renaissance échoue : en 1754, la cure est supprimée et en 1781 l’église est démolie. Bel exemple de la résistance des villages aux divers agents de destruction.
97 C. D., Les Villages ruinés du comté de Montbéliard, 1847. Le comté de Montbéliard correspond à peu près à trois cantons du Doubs (Montbéliard, Audincourt, Hérimoncourt) et à un canton de la Haute-Saône (Héricourt). Des 13 villages désertés au XVe siècle, deux ont repris vie mais seulement au XVIIIe siècle.
98 J. Thilloy, « Les ruines du Comté de Bitche » (topographie de 58 localités disparues), Mém. Acad. Metz, 1861-1862. En dehors des 12 villages retenus, il s’agit de villages ayant changé de noms, de villages détruits pour faire place à la ville de Bitche ou d’habitats temporaires. Il faut ajouter que deux des villages étudiés figurent également dans l’étude de A. Humm et A. Wollbrett.
99 W. Abel, 1943, 2e partie surtout.
100 « Parmi les personnes reçues bourgeois à Strasbourg entre 1440 et 1530 un nombre infime est originaire de villages disparus », A. Humm et A. Wollbrett, p. 6, n. 15.
101 Les habitants de Soucht sont surnommés par ceux de Rosteig Kallenburger parce que la population de Kalenberg a trouvé refuge à Soucht (ibid., p. 9).
102 A. Humm et A. Wollbrett, p. 4, 7, 9, 16 et 17. Giebichweiler (Bas-Rhin), commune d’Ingwiller ; Elbersfort (Bas-Rhin), commune de Balbronn et Westhoflen ; Kaltwiller et Königshofen (Bas-Rhin), commune de Saverne.
103 Ibid. p. 3.
104 Une excroissance du territoire d’une commune, formant comme une hernie au milieu des communes voisines, est assez souvent le signe qu’on a affaire au ban d’une localité disparue annexée par le village subsistant. Voir en particulier le plan de la page 23 dans l’album de A. Humm et A. Wollbrett.
105 T. Basin, Histoire de Charles VII (éd. Samaran, p. 84-89), cité par R. Boutruche, « La dévastation des campagnes ».
106 Delachenal, Histoire de Charles V, t. IV, p. 490.
107 Cf. H. Stein, « La Désolation dans les campagnes gâtinaises pendant la guerre de Cent ans », Annales de la Société historique et archéologique du Gâtimais, t. 33, 1917, p. 127-147 et S. Luce, Histoire de Bertrand Duguesclin et de son époque, 1876, p. 499-502.
108 L’abbé Galabert signale le village disparu d’Esclapats que ses habitants abandonnèrent en 1371 d’abord pour le monastère de Saint-Aignan, puis pour 1e fortalice du même nom. Ce déplacement donna lieu à un accord écrit entre les religieuses de Saint-Aignan et les habitants réfugiés (abbé Galabert, 1901).
109 Humm et Wollbrett, p. 6, n. 16.
110 Juillard, 1952, p. 131.
111 Grosdidier de Matons, 1925, p. 107-109.
112 Au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle ce sont davantage des hameaux qui disparaissent. C’est un autre type d’évolution vers la concentration. Cf. F. J. Himly, 1948, p. 27.
113 Juillard, 1952, p. 72 et suiv. Si l’auteur songe surtout aux XIXe et XXe siècles, il montre aussi que les communaux furent plus vastes encore dans le passé ; ce dont témoignent les lieux-dits en -allmend subsistant dans des régions intégralement appropriées aujourd’hui.
114 Annuaire de la Meurthe, 1841.
115 Cf. Villages désertés et histoire économique, p. 211.
116 Signalés par Jean Schneider à la fois dans sa thèse sur la ville de Metz (1950) et dans une communication donnée au colloque de Nancy (Géographie et Histoire agraires). Les fermes disparues dans la région messine sont en bien plus grand nombre.
117 1846-1847.
118 D’après cet article, ce village a fait l’objet de fouilles qui ont permis de retrouver le plan général de la localité.
119 Publié et analysé par Mardigny, 1854-1855.
120 Rugy, commune d’Argancy (Moselle).
121 Sainte-Barbe (Moselle), canton de Vigy.
122 A. Marchal, Inventaire sommaire de la série B. Quelques vérifications permettent de penser que l’auteur n’a guère laissé échapper de mentions de villages désertés ou détruits. Cependant, la moitié seulement du fonds de la Chambre des Comptes de Bar a été inventoriée jusqu’à ce jour.
123 Un village du domaine de Bar, désert en 1422-1423, n’a pu être identifié : Saint-Loup. Dans la prévôté de Sancy, quatre villages disparus : Thor, Amelanges, Lendremanges (est-ce Landrevange, Moselle, commune de Lommerange ?) et La Grange-au-Sart, déserts en 1478-1479 (mais ce dernier était-il vraiment un village ?). Dans la prévôté d’Étain, Sept-Fontaines et Moranges (est-ce Morlange-les-Fameck, Moselle, arrondissement de Thionville ?), abandonnés en 1417-1419, n’ont pu être retrouvés sur la carte. Enfin, dans la recette de Longuyon, deux ou trois localités, détruites en 1398-1399, Dietry et Mons-et-Vauls, n’ont pu être identifiées (pour la seconde, s’agit-il de Montvaux, bois près de Montigny-devant-Sassey ?), A.D. Meuse, B 501, 1757, 1139, 1960.
124 A.D. Meuse, B 1634 (Compte de Jean de Ville, prévôt et receveur de La Chaussée).
125 Un seul n’est pas absolument identifié : Bersancourt ; est-ce La Bertancourt, simple ferme aujourd’hui, mais qui n’était peut-être pas autre chose en 1422 : Bersancourt est toujours compté avec Villers-sous-Pareid. Rappelons que si l’on en croit M. Grosdidier de Matons, les villages désertés sont légion dans la Woëvre aussi bien après que pendant ou avant la guerre de Cent Ans : les textes ne permettent pourtant pas de les repérer.
126 A. Humm confirme d’ailleurs ce point (op. cit., p. 3). Signalons toutefois le village de Neustadt près de Dabo (Moselle), canton de Phalsbourg : cette « ville neuve » ne reçut sa charte de liberté qu’en 1290 ; elle n’apparaît plus dans les textes après cette date. Au XVIIIe siècle un hameau s’y reconstitua autour d’un moulin et d’une scierie (Fischer, 1871).
127 Références p. 237 et dans Villages désertés et histoire économique p. 13 et 287.
128 E. Baratier, La Démographie provençale du XIIIe au XVIe siècle, Paris, 1961.
129 Sont marquées en italique les circonscriptions les plus affectées par un effacement des communautés.
130 J. Juglas, « La Vie rurale à Jonquières », Provence historique, t. 8, 1858.
131 Voir à ce sujet les graphiques saisissants d’E. Baratier, p. 127 ; de même : statistiques de G. Prat, « Albi et la Peste noire », Annales du Midi, 1952 ; P. Vilar, La Catalogne dans l’Espagne moderne, Paris, 1962, t. 1, p. 462 ; Ph. Wolff, « Trois études de démographie en France méridionale », Studi in onore di A. Sapori, Milan, 1957, p. 495-502.
132 Histoire du commerce de Marseille, II, p. 39.
133 Baratier, p. 83.
134 Sclafert, p. 88.
135 Baratier, p. 163.
136 J. Delmas, « Une ville morte bas-alpine : Beauvillar », Annales des Basses-Alpes t. 11, 1903, p. 278-283.
137 On pratiquait légalement au Moyen Âge, en punition de fautes civiques l’arsis et l’abattis de maisons. Mais ici c’est un village entier qui serait détruit par décision de justice.
138 Var, canton de Cuers.
139 Baratier, p. 116, 154.
140 Var, canton de Saint-Maximin.
141 G. Démians d’archimbaud, « L’Archéologie du village médiéval », Annales ES.C. 1962, p. 483-488, et dans Villages désertés et histoire économique, p. 287 ; Baratier, p. 91 et 148.
142 Cf. Sclafert, p. 103 (bastides céréalières d’Aubenas), p. 162 et suiv. Baratter, p. 90,168 et suiv.
143 Baratier, p, 89, n. 1, 92 et 145 ; Sclafert, p. 104.
144 Baratier, p. 137.
145 Cité par Sclafert, p. 102.
146 Villages désertés et histoire économique, p. 182.
147 Baratier, p. 145.
148 Sclafert, p. 47.
149 Baratier, p. 81 ; Sclafert, p. 54-58.
150 Basses-Alpes, canton de Sisteron ; cf. Sclafert, p. 56.
151 Sclafert, cartes, p. 146.
152 Relargage : étape de repos intermédiaire entre l’estive et l’hivernage.
153 Sclafert, p. 133-140, et cartes, p. 131-135 ; comparer avec les cartes significatives du dépeuplement haut-provençal, dans Baratier, p. 206-207.
154 G. Duby, compte rendu de l’ouvrage de Th. Sclafert dans Annales E.S.C., sept.-oct. 1961, p. 1028 ; cf. aussi un texte significatif de la fin du XVIIIe siècle, cité par R. Baehrel, p. 77, no 1 : « Les personnes médiocrement âgées ont toutes vu les marchés de la Basse-Provence abondamment pourvus des blés de la montagne ; elles ont été les témoins de la répugnance que le peuple témoignait pour les blés étrangers ; le seul nom de denrées de mer ne pouvait être prononcé sans dégoût ; cette délicatesse a disparu, et avec elle s’est anéanti le signe de la prospérité de la montagne. » Pour les cartes des bovins de Haute-Provence en 1471 et 1956, voir Sclafert, p. 147.
155 Sclafert, p. 87-92.
156 Baillie de Digne ; dans la commune actuelle de Blégiers, canton de La Jaire.
157 G. Fourquin., Les Campagnes de la région parisienne à la fin du Moyen Âge, Paris, 1964, p. 75.
158 A. de Loisne, 1906.
159 Listes publiées en annexe de diverses éditions des Coutumes d’Artois (ces éditions sont du XVIIe siècle mais reproduisent un texte original du XVIe siècle. Il faut d’ailleurs utiliser ces listes avec prudence). Le mémoire de l’intendant Bignon appartient à la série des mémoires rédigés pour l’instruction du duc de Bourgogne. Il comprend une liste des villages d’Artois et donne le nombre des habitants de chacun (Ms 45 des A. D. du Pas-de-Calais). Quatre cents vues des villages d’Artois en 1606-1610, publ. par R. Berger et R. Dubois, 1960. La carte de Danckert date du XVIIe siècle, mais il s’agit sans doute d’une copie d’un document du XVIe siècle. Cf. J.-M. Pesez, Villages désertés et histoire économique, p. 97.
160 A. Bocquet, Recherches sur la population de l’Artois et de ses annexes pendant la période bourguignonne, 1384-1477 (D.E.S. Lille 1956). Avec l’autorisation de l’auteur nous avons largement utilisé ce travail : tous les dénombrements, tous les comptes du domaine d’Artois, toutes les enquêtes fiscales, correspondant à la période étudiée, ont été exploités et soumis à une critique sévère.
161 Terrier du domaine d’Artois, A. D. Nord, B 13643 ; Rôles du cinquantième A. D. Pas-de-Calais, A 150 : dénombrement de 1469, A. D. Nord, B 17689 ; dénombrement de 1475, A. D. Nord, B 16782 et 16783.
162 Tout ce qui suit est emprunté au travail d’A. Bocquet, p. 247 et suiv.
163 C’est-à-dire la partie du département du Bas-Rhin située au nord de la Bruche, y compris les cantons situés à l’ouest des Vosges et quelques territoires de communes de la Moselle.
164 C’est-à-dire approximativement dans le Doubs, les cantons de Montbéliard, Audincourt et Herimoncourt, et dans la Haute-Saône, le canton d’Héricourt.
165 Les observations d’André Bocquet permettent de préciser la chronologie proposée par MM. Reinhard et Armengaud pour qui la baisse se prolonge jusqu’en 1399. Cf. aussi A. Verhulst qui estime qu’en Flandre, le redressement a commencé dans le dernier quart du XIVe siècle (p. 72).
166 A. Bocquet, p. 170 et suiv.
167 Nous renvoyons à l’analyse critique des documents, effectuée tout au long de l’étude d’A. Bocquet : elle emporte la conviction.
168 Cf. J. Lestocquoy, Histoire de la Flandre et de l’Artois, Paris, 1949 et R. et L. Fossier, 1955.
169 Cf. A. Verhulst, « Économie rurale de la Flandre au Moyen âge », Études rurales, 1963 p. 70 et 72.
170 R. et L. Fossier, « Aspects de la crise frumentaire en Artois et en Flandre gallicante », Recueil de travaux offerts à Clovis Brunei, Paris, 1955 et Verhulst, 1963.
171 P. Bertin, Une commune flamande-artésienne : Aire-sur-la-Lys, Arras, 1947, p. 309-313 ; G. Espinas, La Draperie dans la Flandre française, Paris, 1923 et A. Bocquet, p. 300 et suiv.
172 H. Denifle, La Désolation des églises de France au XVe siècle, Paris, 1897, t. II, p. 46-47 et 339.
173 A. D. Pas-de-Calais, A 736 ; A. Bocquet, p. 78.
174 A. Bocquet, p. 80.
175 A. D. Nord, B 20142 ; A. Bocquet, p. 90.
176 À moins qu’il ne soit conservé actuellement dans le hameau de La Bistade – l’abbaye s’était appelée aussi Notre-Dame-de-Lelbistade. Mais nous voulons faire la part belle aux désertions.
177 Courtois, Dictionnaire géographique de l’arrondissement de Saint-Omer, 1869, p. 77.
178 A. Bocquet, p. 260.
179 Le bois d’Hébergues existe encore, entre la forêt de Tournehem et celle d’Éperlecques (commune d’Enguinegatte).
180 Pas-de-Calais, commune de Coquelles.
181 Pas-de-Calais, communes de Sangatte et de Guines.
182 Pas-de-Calais, commune de Sangatte.
183 A. Bocquet, p. 64 sq.
184 A. Bocquet, p. 103.
185 A. Bocquet, p. 261.
186 Pas-de-Calais, commune de Cherizy.
187 Pas-de-Calais, commune d’Étaing.
188 Mont-de-Kersuin (Pas-de-Calais), commune de Loison, canton de Campagne. Soibermetz (Pas-de-Calais) commune de Portefontaine.
189 Pas-de-Calais : Bellavesnes, commune de Lattre-Saint-Quentin ; Baillescourt, commune de Puisieux.
190 A. Bocquet, p. 259. Tréhout (Pas-de-Calais), commune de Vitry.
191 Biencourt (Pas-de-Calais), commune de Labroye.
192 A. Longon, Pouillés de la province de Reims, Paris, 1907-1908, 2 vol
193 L. Carolus-Barré, « Benoît XII et la mission charitable de Bertrand Carit dans les pays dévastés du Nord de la France », Mélanges d’Archéologie et d’Histoire t. 62, 1950, p. 165-232.
194 Près de La Neuville-aux-Tourneurs (Ardennes).
195 A. D. Nord, B 999 (cf Bocquet, p. 119 sq.).
196 Analysée par E. Mannier en appendice à son édition des Chroniques de Flandre et d’Artois, de Louis Brésin, Paris, 1880.
197 Ces documents sont également analysés par E. Mannier, op. cit.
198 Il ne cite pas ses sources (de Loisne, 1906).
199 Comme ce fut le cas pour Thérouanne dont Boulogne et Saint-Omer se partagèrent l’ancien diocèse.
200 A. Bocquet, p. 123-124.
201 R. Boutruche, La Crise d’une société : seigneurs et paysans du Bordelais pendant la guerre de Cent Ans, Strasbourg, 1947
202 Ibid, p. 200.
203 Ibid, p. 214 et n. 5.
204 Ibid, p. 228.
205 Ibid, p. 423 et suiv. Cf. aussi la carte 2.
206 C. Hippeau, Dictionnaire topographique du département du Calvados, Paris, 1883
207 C’est au moins ce que les auteurs disaient à l’un de nous en 1962.
208 Beaurepaire, Notes et documents concernant l’état des campagnes de la Haute-Normandie dans les derniers temps du Moyen Âge, Evreux, 1865, indique (p. 325) comme inhabités Sainte-Colombe (Seine-Maritime), canton de Saint-Valery-en-Caux et Beaufrene, canton d’Aumale. S. Deck, La Ville d’Eu, son histoire, ses institutions, Paris, 1924, qui décrit minutieusement les malheurs et les ruines du pays de Caux, ne signale pas non plus de localités disparues.
209 « Aperçus sur la population de la Vicomte de Coutances vers 1365-1368 », et « Recherches sur l’étendue, les subdivisions et la population des Vicomtés de Caen et de Falaise au XIVe siècle ».
210 B. N. F., Paris, Manuscrit latin 4651.
211 En voici les noms : Le Monsoir-Goubett, dans la banlieue de Caen ; Criquetot (sergenterie d’Argences) ; Courtisigny (sergenterie de Bernières. Là sans aucun doute un village disparu, mais dès le XIIIe siècle son nom est juxtaposé à celui de Courseulles) ; Bourg-Vieux-de-Rots (sergenterie de Cheux) ; Bruyes (sergenterie de Falaise) ; Crévecœur (sergenterie de Tournebu), « Mortereia » et, ajoutés par un compte de 1303, Le Val-de-Vire et Sur-Radiguel (sergenterie aux Bruns) ; Saint-Ouen (sergenterie de Montagu et diocèse de Sees) ; « Graves » et « Moca Valle » (sergenterie d’Argentan) ; « Haye de Montanos » (sergenterie du Breton) ; La Forêt (sergenterie du Homme).
212 Y. Bézard, La Vie rurale dans le Sud de la région parisienne de 1450 à 1550, Paris, 1929 ; G. Fourquin, 1964 et P. Brunet, Structure agraire et économique rurale des plateaux tertiaires entre la Seine et l’Oise, Caen, 1960.
213 À Magny-les-Hameaux, malgré une désertion touchant presque tous les habitants au XVe siècle, les disparitions définitives interviennent toutes après 1570. Les seuls habitats qui ne furent pas réoccupés après le XVe siècle sont deux fermes : La Mare-Cochereau et La Croix-Brisée.
214 Vignole, près d’Andresy.
215 M. Devèze, La Vie de la forêt française au XVIe siècle, Paris, 1961.
216 Ces données de Pierre Brunet sont toujours intéressantes ; mais, comme il est normal dans un ouvrage de géographie, elles ne proviennent pas directement des archives ; et elles sont dues à des auteurs, parfois peu sûrs, du XIXe siècle, qui ne fournissent pratiquement jamais de références aux sources : L. Graves, Essai sur la topographie géognostique du département de l’Oise, Beauvais, 1847 ; F. A. Denis, Lectures sur l’histoire de l’agriculture dans le département de Seine-et-Marne, Meaux, 1880 ; Delettre, Histoire de la province du Montois, Nogent-sur-Seine, 1849 ; L. Benoist, Notice historique et statistique sur May-en-Multien, Meaux, 1884 et G. A. Réthoré, Recherches historiques sur Jouarre et ses environs, Meaux, 1895
217 Saint-Saturnin (Seine-et-Marne), communes de Chauconin et de Villenoy.
218 Rieux (Seine-et-Marne), communes de Crouy-sur-Ourcq et de May-en-Muitien.
219 Chanois, hameau de May-en-Muitien.
220 Au surplus l’ouvrage de Delettre, qu’utilise Pierre Brunet, mériterait une étude critique. Petit-Chanzy, Villenavotte et Beaulieu (Seine-et-Marne), commune d’Égligny.
221 Magny-les-Hameaux, notamment.
222 Ferme depuis détruite, commune de Jouarre (Seine-et-Marne).
223 A. Chéron et G. de Sarret de Coussergues, Coussergues et les Sarret, Bruxelles, 1963.
224 Pour la Bourgogne, le Dictionnaire topographique de la Côte-d’Or (par Roserot), ne permet d’attribuer au XIVe ou XVe siècle que trois désertions : celles de Bessey (commune de Dampierre-sur-Vingeanne), de Chandolans (commune de Corgoloin) et de Prale (commune de Lusigny). Un article d’E. Thévenot (« Lieux détruits du Beaunois », Bull, trimestriel de la Société d’archéologie de Beaune, t. 50, 1948, no 5) nous fait ajouter Dracy (commune de Baubigny). Dans l’Avallonnais les études déjà citées de l’abbé Parat et d’E. Petit n’autorisent à dater des XIVe et XVe siècles que deux désertions : Villiers-le-Tournois (Yonne), commune de Civry ; Aizy, commune d’Étaules. Le Dictionnaire topographique de l’Yonne donne les noms de deux autres villages désertés à la même époque : Montille (Yonne), commune d’Angely et Préjouan, commune d’Étaules-le-Bas. Pour Froideville (ou Frigids Villa) il est faux que ce village ait disparu au XIVe siècle. Enfin en Puisaye, si A. Vathaire de Guerchy (1925) insiste sur l’importance des dévastations, il ne cite qu’un village définitivement disparu : Chassin (Yonne), commune de Treigny. Tout cela reste insignifiant, mais les vraies recherches, utilisant notamment les nombreux documents fiscaux des Archives de la Côte-d’Or, comptes et états des feux, n’ont pas encore été tentées.
225 Ph. Contamine, Azincourt, Paris, 1964, p. 11.
226 Pour autant qu’on puisse en juger : pour le village, au moins, un déplacement de site, étant donné l’indigence de la documentation sur la topographie ancienne, peut passer inaperçu.
227 H. Denifle, La Désolation…, t. II, p. 600, 607, 625.
228 « Interrogate… si dicta loca fuerunt depauperata et impotentia reddita propter guerram aut pestilentiam aut mortalitatem, dixit quod ex utroque », Informatio Caturcensis (2e et 3e témoins, in Denifle, La Désolation…, p. 821 sq.).
229 Ibid., 3e témoin.
230 Il ne s’agit donc pas uniquement d’une émigration vers les villes, Ibid., 7e témoin.
231 Ibid., 5e témoin.
232 A. Longnon, Pouillés du diocèse de Cahors, Paris, 1874.
233 Ibid., p. 145.
234 N’est-il pas déjà significatif qu’on ne trouve aucune allusion aux villages désertés dans la thèse de Robert Latouche, La Vie en Bas-Quercy du XIVe au XVIIIe siècle, Toulouse, 1923 ?
235 Galabert, 1881 ; voir aussi : L. d’alauzier, 1960. Le village de Caruac est entièrement repeuplé au XVe siècle par des Rouergats.
236 Cf. C. Higounet, « Mouvements de population dans le Midi de la France, du ΧIe au XVe siècle », Annales E.S.C., 1953, p. 1-24, notamment la carte p. 23.
237 R. Boutruche, Les Courants de peuplement dans l’Entre-deux-Mers et La Crise d’une société, notamment p. 188 sq. et p. 230.
238 R. Boutruche, La Crise d’une société, p. 230.
239 Lorsque, cependant, les limites des propriétés et des fiefs sont effacées, les nouveaux habitants n’osent pas s’installer ou, s’ils le font, leur audace ne les laisse pas sans inquiétude. Cf. Y. Bézard, 1929, p. 49-50 et Plaisse, 1961.
240 Cf. le différend entre l’abbaye de la Sauve et le seigneur de Pardaillan au sujet de la paroisse abandonnée de Dardenac, dans Archives historiques de la Gironde, LII, 1918, p. 1-33, cité par R. Boutruche, La Crise d’une société.
241 Abbé Galabert, « Le Repeuplement du Bas-Quercy après la guerre de Cent ans », Bulletin archéologique du Tarn-et-Garonne, t. 9, 1881, p. 198-212. Saillagol (Tarn-et-Garonne), commune de Saint-Projet ; Jamblusse (Lot), commune de Saillac.
242 Le Rouergue n’a pas seulement alimenté le repeuplement du Quercy. À la fin du XVe siècle, une véritable agence d’émigration vers l’Agenais fonctionnait à Aubin : un changeur de cette ville par ses relations auprès de la cour pontificale obtenait à des Rouergats des bénéfices ecclésiastiques presque tous situés dans le diocèse d’Agen. Les bénéficiaires amenaient avec eux parents et amis qui à leur tour appelaient en Agenais d’autres concitoyens (L. Massip, 1909).
243 Édité par Auguste Molinier, Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 44, 1883.
244 Cf. F. Lot, 1929, p. 55.
245 Publié par Lempereur, Rodez, 1906.
246 A. D. Aveyron, G 800. Le hameau de la fin du XIIIe siècle était sans doute l’héritier d’un village plus important. Il y avait là, en tout cas, à la croisée de deux voies importantes traversant le Levézou, un prieuré de Moissac, attesté dès la fin du XIe siècle. Cf. J. Bousquet, « La fondation de Villeneuve d’Aveyron (1053) et l’expansion de l’abbaye de Moissac en Rouergue », Annales du Midi, 1963, p. 517-542. Sur Saint-Jean-le-Froid, voir aussi le compte rendu des fouilles, p. 327.
247 C. Higounet, « Observations sur la seigneurie rurale et l’habitat en Rouergue, du IXe au XIVe siècle », Annales du Midi 1950, p. 121-134.
248 H. Denifle, La Désolation…, t. II, p. 602.
249 Cf. J. Rouquette, Le Rouergue sous les Anglais, Millau, 1887
250 A. D. Aveyron, Série G.
251 Cf. A. Julien et Bleynie de Chateauvieux « Mémoire sur les villages en ruine de Villars et des Chazaloux », Mémoires de l’Académie de Clermont, 1878, p. 429-451. L’étude archéologique effectuée par les auteurs semble avoir été menée avec toutes les garanties de sérieux. Leurs conclusions sont décisives et leurs contradicteurs n’ont à leur opposer que des arguments indigents, relevant plutôt d’une option sentimentale en faveur de la civilisation gauloise. Voir aussi : P. F. Fournier, « L’Archéologie en Auvergne », dans Clermont-Ferrand et sa région (recueil publié à l’occasion du 68e congrès de l’A.F.A.S., 1949), p. 125.
252 En 1341 il ne s’agit pas de feux fictifs.
253 L’étude de M. Bautier sur la population de Carpentras au XVe siècle montre qu’en ville le feu a une valeur moyenne de 5,2 chez les chrétiens (cf. E. Carpentier et J. Glénisson, 1962). Et Ferdinand Lot estime que la valeur numérique du feu urbain est inférieure à celle du feu rural.
254 Le total des feux ici indiqué a été obtenu par addition des feux de chaque paroisse. La somme indiquée par le document est en fait de 82 960 (alors qu’en 1328, le Rouergue n’est compté que pour 52 000 feux). Cette erreur tendrait à prouver qu’il s’agit bien d’une copie, encore qu’on ne s’explique guère comment cinquante-deux a pu être lu quatre-vingt douze par le copiste. Quant à l’erreur de calcul (puisque ce n’est ni 92 000 ni 52 000, mais 54 000), il n’y a pas lieu d’en être surpris.
255 Il n’est pas exclu cependant que des mas aient pu disparaître : J. Bousquet dans son guide, En Rouergue à travers le temps (Rodez, 1961), signale (p. 162-164) un plan-figure du XVIIIe siècle qui porte mention d’un mas disparu, le Mas del Puech, près du village de La Courbe. Peut-on affirmer (J. Bousquet ne le fait pas, il suggère simplement) qu’il a disparu au XIVe ou au XVe siècle ? Par ailleurs, vérifié sur les lieux, l’emplacement de ce mas semble trop exigu et trop proche du village voisin pour qu’il ait pu porter un vrai village.
256 R. Strayer, 1951.
257 Thomas, 1908.
258 Les montagnes du Dauphiné ont alimenté également un important courant d’émigration au XVe siècle au profit des plaines comme le montre A. Allix, (1929) ; M. Fierro (École des Chartes), en étudiant l’état du Dauphiné de 1339, a constaté comme A. Allix un certain nombre de disparitions de hameaux, et notamment dans la vallée de la Gresse. Il s’agit presque toujours de hameaux d’altitude dont le site se trouve aujourd’hui en pleine forêt. Néanmoins le pourcentage des désertions ne dépasse pas 15 % et il est difficile d’attribuer ces abandons uniquement aux XIVe et XVe siècles.
259 Merle, La Métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine, de la fin du Moyen Âge à la révolution, Paris, 1958.
260 Tulippe, L’Habitat rural en Seine-et-Oise, Liège, 1934.
261 Positions déjà fortes : Jacquart, « La Fronde des princes » Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1960 ; influence moins grande qu’au XVIIe siècle : Venard, Bourgeois et paysans au XVIIe siècle, Paris, 1957, Jacquart, « Livres récents sur les paysans du Hurepoix », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Corbeil, 1959. Tendance durable au morcellement, encore au début du XVIe siècle : Fourquin, 1964.
262 Les Excellents discours de Jean de l’Espine, 1587, texte cité par L. Royier, 1922.
263 M. Baulant et J. Meuvret, Prix des céréales, extraits de la mercuriale de Paris, Paris, 1962 ; Clamageran, 1867-1876 ; Le Roy Ladurie, Paysans du Languedoc..
264 Jacquart, 1960.
265 Tuuppe, 1934.
266 Voir détails dans Jacquart, I960.
267 Dans le canton de Craonne, débilité depuis cent ans pat la décadence de la vigne et de la petite culture, la guerre de 14-18 fait disparaître totalement cinq villages (Ailles, Lavallée-Foulon, Chevreux, Vavelerc, Courteron) et aussi les deux plus petits hameaux (Salobrée et Le Moulin) du village de Morsain (Brunet, 1960).
268 Jacquart, 1956 p. 197.
269 Jacquart, 1960 p. 279 sq.
270 Voir les textes cités et commentés par P. P. Devon, « Rapports entre la noblesse française et la monarchie », Revue historique, 1964, p. 343.
271 V. Carrière, Introduction aux études d’histoire ecclésistique locale, Paris, 1936, 3 vol, p. 294 et sq.
272 Chronologie : sur les courbes nominales du prix du froment aux Halles de Paris, cette rupture de pente interséculaire se situe vers 1585-1595 (date large) ; quant à la déflation qu’on peut appeler pour simplifier colbertienne, elle intervient dans la région parisienne entre 1662 et 1690. Cf. M. Baulant et J. Meuvret, 1962, t. II, p. 152-153, graphique : prix en livres tournois par année de récolte.
273 R. Mousnier, Paris au XVIIe siècle, Paris, s.d., p. 20-23.
274 Jacquart, 1960.
275 Venard, p. 57 ; Jacquart, 1959, p. 90.
276 Tulippe, 1934.
277 Ibid.
278 Cité par Tulippe, p. 185.
279 Tuuppe, p. 217.
280 Commune de Senlisses. Tuuppe, p. 196-197.
281 Sur le territoire actuel de Saint-Rémy-lès-Chevreuse ; cf. Gravier, 1927 ; Tulippe, 1934.
282 Textes et données extraits d’une note inédite communiquée par Jean Jacquart.
283 Près de Vaucresson.
284 Notamment les hameaux morts de Magny, dont beaucoup étaient localisés dans le val humide, boisé, peu fertile, de La Gironde.
285 E. Couard, « Paroisse et village disparus », Versailles illustré, 1904-19095, 9e année, no 99 p. 25 sq : ce tableau est conservé à Versailles.
286 Sur tous ces ex-villages de la région de Versailles, voir Gravier, p. 258 ; Rev. histoire Versailles. 1927, p. 32, plan de 1662, tiré de B. N. F., carte, coll. d’Anville, no 833 ; H. Leffaire, 1935 ; E. Couard, 1904-1905 (contient des plans détailles) ; A. Maquet, Versailles aux temps féodaux, Paris, 1889. Mise au point récente de J. Levron, Versailles, ville royale. Paris, 1964
287 E. Lefebvre, « Le jardin anglais et la singulière habitation de Monville au Désert de Retz (1785) », Commission des Antiquités et des arts du département de seine-et-Oise, t. 36, 1916, p. 63 sq. ; Deligny, 1932 (Retz, Seine-et-Oise, commune de Chambourcy). Voir aussi à ce sujet : Conférence des Sociétés littéraires et artistiques de Seine-et-Oise, 1910 (imprimé en 1912), p. 61 et 132-134.
288 Ce village mort, dont l’emplacement est « à cheval » sur plusieurs terroirs villageois actuels, était situé à 1 km au nord du lieu-dit La Grange-aux-Cercles, qui se trouve sur la N. 20, entre Longjumeau et Montlhéry : L. Risch, « Un village disparu, Rouillon », Commission des Antiquités et des Arts de Seine-et-Oise, t. 39-40, 1921, p. 82-93
289 H. Espaullard, Notes historiques sur le plateau d’Avron, Paris, 1907. Ce hameau disparu ne coïncide pas avec l’agglomération actuelle d’Avron, lotissement datant de 1861.
290 Seine-et-Oise, arrondissement de Corbeil, canton de Longjumeau.
291 J. Jacquart, 1956. Plus loin de Paris, cas semblables : hameau de Charley détruit pour les agrandissements du parc du château de Saint-Maur, à une date incertaine, mais sûrement comprise entre 1690 et 1770 (Roserot, Dict. hist. de la Champagne méridionale).
292 Sur tout cela, Tulippe, 1934.
293 Tulippe, p. 93.
294 Tulippe 1934 et Jacquart, 1956, p. 193 et 1959, p. 90.
295 Tulippe, 1934.
296 Commune de Bonnelles (Seine-et-Oise)
297 Commune de Marboué (Eure-et-Loir), d’après R. Philippe, voir compte rendu de P. Courbin.
298 D’après R. Philippe.
299 Commune de Saint-Lublin-de-la-Haye (Eure-et-Loir).
300 Plan cadastral, conservé à la mairie de Saint-Aubin.
301 Supra.
302 Brunet, 1960.
303 A. Soboul, « Un exemple de concentration agraire en pays de grande culture : Puiseaux-Pontoise », La pensée, 1947, p. 57-65.
304 Goubert, Beauvais et le Beauvaisis au XVIIe siècle, Paris, 1960 (Atlas, p. 48 et 52) ; Gouthier, 1962.
305 Locke, éd. Locke’s travels in France, 1675-1679, Cambridge, 1953, p. 228-229 (étape Richelieu-Niort).
306 Paroisse de Saint-Rémy, région de Montmorillon (Vienne) : Raveau, 1926.
307 Merle, 1958, p. 80.
308 Commune de Ménigoutte.
309 Merle, 1958, p. 56-59.
310 Commune d’Azay-sur-Thouet.
311 Merle, 1958, p. 61-62.
312 Arrondissement de Falaise, commune de Bretteville (Calvados).
313 Archives de la commune de Moutiers (d’après J. Le Roy Ladurie).
314 Merle, 1958 ; P. Raveau, L’Agriculture, les classes paysannes, la transformation de la propriété dans le Haut-Poitou au XVIe siècle, Paris, 1926.
315 Merle, 1958, p. 133.
316 Piatier, Duby et alii, « La Carte des communes de France », Annales E.S.C., 1958, p. 477.
317 G. Livet, L’Intendance d’Alsace sous Louis XIV, Strasbourg, 1956p. 282-296 et graphiques.
318 Juilliard, 1953, p. 182-197.
319 Juilliard, ibid, p. 184.
320 C. D., 1817. Montéchéroux (Doubs), arrondissement de Montbéliard.
321 Cité par A. Humm et A. Wollbrett.
322 F. J. Himly, « Les Conséquences de la guerre de Trente ans dans les campagnes alsaciennes », Deux siècles d’Alsace française, Strasbourg, 1948, p. 27 ; F. J. Himly ne donne, cependant, ni chiffre, ni exemple précis.
323 Mangenot, « Sur la dépopulation lorraine (1665) », Journal de la Société archéologique du Comité du Musée lorrain, t. XI, 1862, p. 178-180 ; D. Deligny, 1891 ; L. Bouchot, « La Peste en Lorraine de 1630 à 1636. La dépopulation dans la prévoté de Gondreville », Le Pays lorrain t. XIX, 1927, p. 145-159.
324 Pierre Vuarin, 1623.
325 Klippfle, « La Dépopulation et l’émigration dans le pays messin au VIIe siècle », Le pays lorrain, t. XIX, 1927, p. 329-332.
326 Cité par M. Kuppfle.
327 Lepage, « De la dépopulation de la Lorraine au XVIIe siècle », Annuaire de la Meurthe, 1851, p. 11-58.
328 Cf. carte V.
329 Lepage, 1862.
330 A.D. Meuse, B 1297.
331 A. D. Meuse, B 648.
332 A. D. Meuse, B 649.
333 Ibid. fo 107.
334 Ibid. fo 8.
335 Ibid fo 94.
336 A. D. Meuse, B 650.
337 Ibid., fo 9 vo, 41 vo, 46 vo, 10, 37 vo.
338 A. D. Meuse, B 651.
339 A. D. Meuse, B 657-660-662.
340 A. D. Meuse B 666.
341 A. D. Meuse, B 669, fo 126.
342 Cf. J.M. Pesez, Sources écrites et villages désertés, p. 85.
343 A. D. Meuse, B 1404, 1408, 1409.
344 A. D. Meuse, B 1403, 1e et 2e cahiers.
345 Section D 4.
346 Humm et Wollbrett, p. 4.
347 H. Lepage, 1851, p. 46.
348 E. J. Hamilton, American treasure and the price revolution in Spain (1501-1650), Cambridge (Mass.), 1936.
349 R. Crozet, Histoire de Champagne, Paris, 1953.
350 Dessailly, Abbé, Histoire de Witry-lès-Reims et des villages détruits qui relevaient de son église ou étaient compris dans son territoire, Reims, 1867, p. 119.
351 Ibid., p. 121.
352 La Grande Guerre est venue, d’ailleurs, ajouter ses ruines irréparables à celles du passé : Nauroy, Moronvilliers, Tahure, Hurlus, Perthes, Le Mesnil-lez-Hurlus, n’ont pas été reconstruits après 1918.
353 G. Laurent, Reims et la région rémoise à la veille de la Révolution, Reims, 1930
354 H. Jadart et J. Demaison, Répertoire archéologique de l’arrondissement de Reims, Reims, 2 vol., 1911 et 1933
355 A. D. Marne, G 1094 (Reims).
356 Charleville, 1898.
357 Charleville, 1900, surtout le livre III. Géographie historique des communes.
358 Gerson (Ardennes), commune de Barby ; Somme-Arne (Ardennes), commune de Saint-Étienne-à-Arnes ; Germiny (Ardennes), commune de La Neuville-en-Tourne-à-Fuy ; Nepellier (Ardennes), commune de Nanteuil.
359 En ce qui concerne Theline, village disparu près de Bourcq, Meyrac ne sait s’il faut en attribuer la ruine au duc de Guise qui brûla le château voisin de Richemont, ou à Édouard III qui détruisit Bourcq en 1358. Enfin il donne – à tort – le village de Warny, ou Warigny pour détruit en 1346. Pour Nepellier, Meyrac en le disant détruit vers 1650 donne pour une fois une raison acceptable : dans les substructions de ce hameau on a retrouvé des monnaies des XVIe et XVIIe siècles.
360 Vincent et Guelliot, « Les Localités ardennaises disparues », Revue historique ardennaise, t. 1, 1894, p. 201 sq. ; t. 3, 1896, p. 110 sq. et 206 sq. ; t. 8, 1901, p. p. 328 sq. ; t. 17, 1910, p. 269 sq., p. 205 et sq. Theline (Ardennes), commune de Sainte-Marie-sous-Bourcq.
361 Vincent et Guelliot, 1896, p. 110-115. Warny (Ardennes), commune de Machault.
362 Jadart, 1879-1880.
363 Dessailly, 1867.
364 A. D. Marne, Reims, série G.
365 H. Jadart et L. Demaison, 1911, 1933.
366 Marne, communes de Cauroy-lez-Hermonville et de Bouvancourt.
367 Marne, commune de Thilloy.
368 Article du Dictionnaire topographique (Longnon).
369 Et reproduites par Varin, 1847, p. 904, η. 1.
370 À vrai dire la présence de ces villages sur les listes jointes aux coutumiers ne suffit pas tout à fait à prouver qu’ils existaient encore au moment de la rédaction des coutumes : en 1556, ces listes peuvent bien n’être que des copies de documents plus anciens. Par ailleurs lors de la révision des coutumes, avec les seigneurs laïcs et ecclésiastiques, furent convoquées toutes les communautés villageoises de Vermandois : or des villages disparus du bailliage de Vermandois, seul Brimontel apparaît. Marqueuse et Saint-Aubeuf ne sont représentés qu’en tant que seigneuries. Pourtant Gerson et Burigny, pour ne citer que ces villages, existaient encore au début du XVIIe siècle. Le procès-verbal des convocations et comparutions n’est sans doute pas complet comme le fait penser la formule « et autres habitans des villa et villaiges de la prévosté de Reims » (Varin, p. 902, 876, 891 et 904).
371 Leur étude a permis à Émile Chantriot, 1906, de relever les noms d’un certain nombre de sites désertés. Cf. J.M. Pesez, Sources écrites et villages désertés, p. 98.
372 Le Dictionnaire topographique en fait, sans doute à tort, deux hameaux distincts.
373 Par son emplacement sur cette carte, on ne peut le confondre avec le faubourg de Reims du même nom.
374 Il ne peut s’agir du village de Puisieux que toutes les cartes situent correctement entre Reims et Verzy.
375 Mouchery (Marne), commune de Belne. Village détruit vers 1657, suivant le Dictionnaire topographique.
376 Cf. G. Laurent, Reims et la région rémoise…,1930.
377 Sauf en ce qui concernait la condition juridique de la femme : on appelait parfois cette coutume la coutume des femmes.
378 G. Laurent, Reims…, p. 239.
379 « Tailles pour les villages qui la doibvent et qui ne l’ont payée… fouages dheubz par les villages cy après qui ne les ont pu payer ». A. D. Meuse, B 657, fo 114.
380 A. D. Meuse, B 673.
381 Cf. B. Porchnev, Les Soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris, 1963, p. 118. L’annulation des arrérages, la libération des détenus pour non-paiement d’arriérés, la suppression de la contrainte solidaire, l’interdiction de saisit le bétail constituent les plus percutants des slogans de la Fronde à l’usage du monde rural.
382 B. Porchnev, ibid., p. 124 sq.
383 Cf. J. Abraham, 1927-1930 ; Bouillevaux, 1851.
384 Bouillevaux, loc. cit.
385 Seuls dans le diocèse de Troyes, les doyennés d’Arcis et de Margerie ont connu le logement des gens de guerre et subi les pertes qui s’ensuivent à l’ordinaire. Cf. L. Morel, 1893.
386 Les désertions en Champagne méridionale, dans les limites actuelles du département de l’Aube, peuvent être aisément repérées grâce à deux bons instruments de travail : le Dictionnaire topographique de Th. Boutot et E. Socard, 1874 et le Dictionnaire d’A. Roserot, 1942-1948 ; ce dernier ouvrage, véritable modèle d’érudition, venant très souvent compléter ou corriger les données du précédent.
387 Du plan cadastral du XIXe siècle au cadastre révisé contemporain, les disparitions de hameaux sautent aux yeux. À la recherche de villages désertés à des époques plus reculées, nous avons fréquemment rencontré de ces désertions récentes, notamment dans la « Montagne » bourguignonne. La carte au 1/50 000 signale nombre de ces hameaux ruinés (feuille : Gevrey-Chambertin).
388 Blives (Aube), commune de Savières ; Mondeville (Aube), commune de Champignol.
389 Moirey (Aube), commune de Dierrey-Saint-Julien.
390 Plan d’une grande précision joint au registre cadastral de 1744, conservé à la mairie de Dierrey-Saint-Julien. Plan et registre sont en excellent état.
391 La tradition locale veut que les habitants de Moirey aient quitté leur village à cause de l’insalubrité du site pour s’installer à Dierrey-Saint-Julien. Mais le site de Dierrey-Saint-Julien, très proche et de Moirey et de la rivière, ne paraît aucunement différent.
392 Cité par Th. Boutiot, Histoire de la ville de Troyes et de la Champagne méridionale, Patris, 1874, t. IV, p. 535.
393 Cf R. Crozet, 1953, p. 218.
394 Sur tout ceci, cf. A. Colomés 1943, p. 31 sq.
395 Commune de Saint-Fargeau (Yonne).
396 Dictionnaire topographique du département de l’Yonne.
397 Le Roy Ladurie, Paysans du Languedoc, 5e partie.
398 Appolis, Le Diocèse civil de Lodève, Albi, 1951.
399 Alban (Tarn) ; Avignonet, Montsaunes (Haute-Garonne) ; Brousse (Tarn) ; Vendemian, Vic (Hérault).
400 Sainte-Colombe-de-Nissargues, Saint-Félix-de-Sinistrargues, Montels-près-Lunel (ce Montels ne doit pas être confondu avec d’autres lieux-dits nommés Montels, du département de l’Hérault, et qui existent encore).
401 Supra.
402 Sainte-Colombe.
403 Beresford, The Lost villages of England, Londre, 1954
404 Paroisse de Castries (Hérault).
405 Paroisse de Fabrègues (Hérault).
406 Joncels, Villemagne, Capestang, Lauroux, Le Bosq, Les Plans sont situés dans l’actuel département de l’Hérault.
407 Michelet.
408 Ch. Pradel (Revue du Tarn, t. VIII).
409 Ces neufs localités sont situées dans la région, spécialement sinistrée en 1703, de l’Aigoual, Vébron, Barre-des-Cévennes. Il s’agit d’Aire-de-Caute, La Barthe, Le Bousquet, Campron, Cap-de-Coste, La Croix-del-Ferre, Le Gazeiral, Le Margueyreis, Tourgueillette. Ces neuf « villages » ont soit entièrement disparu, soit survécu ou refleuri comme écarts négligeables (maison ou ferme isolée). En outre une bonne dizaine parmi les 53 « villages » n’a ressuscité que sous la forme de hameaux minuscules. Ces données précisent – et rectifient sur ce point – notre article de 1965 (Annales E.S.C., 1965, p. 285, n. 5). Les listes des villages camisards se trouvent dans de Vic et Vaissette, Histoire générale du Languedoc, éd. 1872-1892, vol. XIV, col. 1794, 1819 et 1860.
410 La première édition de cette étude comporte, in fine, un index des ouvrages et un index des villages désertés cités (p. 235-252), qui n’ont pas été reproduits ici. Le volume Villages désertés et histoire économique comprend également un chapitre de J.-M. Pesez intitulé « Sources écrites et villages désertés » (p. 84-102).
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