La notion romaine de propriété : une vue d'ensemble*
p. 17-26
Résumé
Les Romains n’ont pas élaboré une analyse dogmatique du droit de propriété. Ce sont les juristes du Moyen Âge et de l’époque moderne qui, à partir des textes épars du droit romain, ont formulé une conception absolutiste de la propriété. Si, à l’origine, le dominium ex iure quiritium correspond à une quasi souveraineté, il est davantage une puissance qu’un droit d’appropriation au sens moderne du mot ; et la propriété n’a jamais été considérée à Rome comme un pouvoir illimité dans le temps et dans l’espace.
Ce droit a, en effet, subi des atteintes importantes en fonction de l’histoire politique et économique. D’abord, sont intervenues des limitations légales fondées sur l’intérêt public et les nécessités de l’urbanisme ainsi que sur l’idée d’abus de droit. Une autre forme d’atteinte au droit absolu de propriété a été la multiplication des situations de propriété de fait, qui ont bénéficié de la protection judiciaire du magistrat. D’autre part, le droit romain offre l’exemple d’une souveraineté partagée de la propriété : en raison des démembrements, en général temporaires, avec les servitudes personnelles, mais surtout avec les baux à long terme – superficie et emphytéose – qui aboutissent à une véritable dissociation de la propriété immobilière.
Texte intégral
1Les Romains ne nous ont pas donné une analyse systématique du droit de propriété. Conformément à leur démarche toute pragmatique et casuistique, les jurisconsultes n’ont jamais développé une analyse dogmatique des droits du propriétaire. Ceux-ci ont été dégagés de manière empirique en étudiant les démembrements de la propriété.
2Ce sont les juristes du Moyen Âge et de l’époque moderne qui, à partir de textes épars du droit romain, ont formulé une conception absolutiste de la propriété qui découlerait de la notion romaine. Les glossateurs de l’époque médiévale ont extrapolé un texte du Digeste de Justinien – D. 5, 3, 25, 11, re sua abuti putant – pour en tirer la formule ius utendi et abutendi. La définition sera reprise par Pothier, la toute puissance du propriétaire s'exprimant dans la trilogie des pouvoirs d’usus, fructus et abusus ; et la Révolution a exalté le droit de propriété : inviolable et sacrée, selon l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la propriété est définie, par l'article 544 du Code civil, comme le droit de jouir et de disposer de la manière la plus absolue. La conception moderne de ce droit a largement imprégné la science romanistique du siècle dernier, puisque les pandectistes ont décrit la propriété romaine à travers la vision libérale et bourgeoise de leur époque qui a défiguré la physionomie originaire de l’institution.
3Pourtant, par un paradoxe apparent, le développement de l’absolutisme de principe s’est accompagné de limites de plus en plus nombreuses, limites qui reflètent une évolution dans les conceptions de la propriété, en fonction de l’histoire politique et économique. Le schéma évolutionniste, longtemps dominant, est connu : à une propriété primitive collective, liée à l’existence d’une organisation sociale tribale puis familiale, aurait succédé progressivement un régime de propriété individuelle. La réalité historique à Rome, comme dans l’ancien droit français, ne répond pas exactement à une évolution aussi linéaire : « S’il y a eu une propriété romaine à caractère soit collectif soit individuel, le fait le plus marquant de l’évolution reste la diversité constante des types de propriété. Si l’on peut dégager un concept prééminent de propriété, il n’a jamais été unique à quelque époque que l’on se place ». (P. Ourliac et J. Malafosse, Histoire du droit privé 2, 2e éd., Paris, 1971, p. 71). Ce qui apparaît incontestable, en revanche, pour cerner la notion romaine de propriété, c’est l’évolution d’une part, d’une conception rigide de la souveraineté absolue à la conception réaliste d’une souveraineté relative de la propriété (I), et, d’autre part, d’une souveraineté exclusive à une souveraineté partagée de ce droit (II).
D’une souveraineté absolue à une souveraineté relative de la propriété
4La conception d’une propriété absolue remonte à l’époque archaïque avec le mancipium. Quasi souveraineté, la propriété individuelle est davantage une puissance qu’un droit d’appropriation au sens moderne du mot. C’est une puissance comparable à la potestas paternelle exercée sur les êtres humains, un pouvoir discrétionnaire sur les biens qui, à cette époque, sont res mancipi (terres, bêtes de somme et de trait, esclaves). Et c’est dans les textes de la littérature jurisprudentielle classique (du second siècle avant au troisième siècle après notre ère) – et alors même que ce droit souverain est largement amendé – que, paradoxalement, l’on peut tirer les formules qui donnent au droit de propriété son caractère absolu ; ce qui est une illustration du traditionalisme maintes fois relevé des juristes, qui gardent la nostalgie de la propriété ancestrale conçue comme une puissance discrétionnaire sur une chose.
5Le type même de la propriété individuelle est la propriété quiritaire, droit réel et total exprimé par le mot dominium, qui apparaît vers la fin de la République, l’expression complète étant dominium ex iure Quiritium pour qualifier le régime de la propriété civile romaine. Plus rarement, et dans l’ensemble plus tardivement, est utilisé le mot proprietas, de préférence par antithèse à l’usufruit ou à la possession ; parfois les deux mots se conjuguent – dominus proprietatis – pour désigner le nu-propriétaire par opposition à l’usufruitier (Gaius, Institutes II, 30 et 91).
6Cette forme originaire de propriété est soumise à trois sortes de conditions : elle ne bénéficie qu’aux Quirites, les Romains et à ceux qui ont le commercium, c’est-à-dire aussi les Latins ; elle ne porte que sur les choses romaines, en particulier les res mancipi et est soumise au formalisme de ses modes de transfert, mancipatio et in iure cessici. Mais, la tendance à favoriser la propriété individuelle a favorisé l’essor, à côté de ces actes solennels au formalisme très lourd, du mode de transfert plus souple, traditio, qui se réalise par la remise matérielle du bien et la volonté commune des parties de transférer la propriété par une convention : d'abord réservée aux res nec mancipi, la tradition est devenue le mode principal de l’acquisition de la propriété. Il s’agissait, en effet, d’assurer un bon fonctionnement de l’institution plus que d’établir un principe juridique. Le droit romain a préféré à l’élaboration d’un concept unitaire théoriquement défini l’énumération concrète des pouvoirs du propriétaire : ceux-ci n’ont pas fait l’objet d’une analyse dogmatique mais ont été dégagés par voie empirique en étudiant les démembrements de la propriété – usufruit, usage, habitation – et les recours judiciaires pour repousser toute prétention d’un tiers ou pour revendiquer le bien auprès de celui qui la posséderait sans un juste titre.
7C’est en regroupant ces prérogatives qu’à partir des juristes byzantins a été élaborée la conception d’une propriété romaine, propriété quiritaire, perpétuelle – le droit ne disparaît qu’avec la disparition de la chose, sauf volonté contraire du propriétaire –, absolue – ce droit exprime un pouvoir discrétionnaire –, exclusive – le bien appartient à un individu, à l’exclusion de tout autre –. Mais un aussi large éventail de prérogatives ne doit pas faire illusion. La propriété n’a jamais été considérée à Rome comme un pouvoir arbitraire et illimité dans le temps et dans l’espace. Ce droit a, en effet, subi des atteintes importantes qui font de la propriété, en réalité, l’exercice d’une souveraineté relative, dont le régime a été adapté aux mutations de l’économie et de la société du Principat puis de l’Empire tardif.
8Les limitations légales ne cessent de s’accroître. Elles sont fondées sur l’intérêt public et sur la notion d’abus de droit. Pour la propriété urbaine, en particulier, l’urbanisme et la crise du logement suscitent des mesures qui s’efforcent de concilier la propriété individuelle avec les intérêts de la collectivité publique. Des règles strictes d’urbanisme prescrivent l’alignement des rues, la hauteur des maisons. Des sénatus-consultes bien connus, promulgués au cours des deux premiers siècles de notre ère, imposent une autorisation officielle pour empêcher les spéculateurs de détruire des maisons d’habitation dans le seul but de récupérer et vendre les matériaux précieux ou utiles qui les ornaient ou les réemployer dans la construction de maisons d’un meilleur rapport (s.c. Hosidien de 44-46 et Volusien de 56 ap. J.-C.) ; de même est prohibé le legs des choses unies à un édifice (s.c. Acilien de 122 ap. J.-C.). À côté des confiscations prononcées par des sentences pénales, l’expropriation pour cause d’utilité publique est possible, dans certains cas : moyennant une indemnité, le magistrat peut, en se fondant sur une loi ou un décret du Sénat, contraindre un particulier à céder – emere ab invito – tout ou partie de son terrain.
9L’abus de droit est un autre motif de limiter le droit de propriété. Le principe existe dès l’époque classique (Gaius, Inst. I, 53) ; la volonté de léser son voisin, en vertu de son dominium, est une cause suffisante pour interdire un acte : par exemple la modification de l’écoulement des eaux ou l’élévation d’un mur.
10Une autre forme d’atteinte au droit absolu de la propriété romaine, propriété quiritaire, est la multiplication des situations de propriété de fait qui bénéficient de la protection judiciaire du magistrat (préteur et gouverneur de province). Le domaine étroit d’application (citoyens romains et choses romaines) et le formalisme des modes de transfert font du dominium quiritaire un droit inadapté aux nécessités économiques. Ces situations de fait juridiquement sanctionnées pour des raisons de réalisme tout pragmatique et d’équité ont introduit la conception d’une valeur relative et d’un régime diversifié de la propriété.
11À cette configuration, où le fait crée le droit, ressortissent trois sortes de possession. D'abord, la propriété prétorienne dont le régime bénéficie à ceux qui ont un bien dans leur patrimoine – in bonis habere d’où l’expression synonyme de « propriété bonitaire » –, sans avoir un droit de propriété quiritaire : acheteur d’une res mancipi acquise par simple tradition et non par un mode formaliste : bonorum emptor qui acquit en bloc le patrimoine d’un failli ; bonorum possessor, c’est-à-dire l’héritier dont la vocation successorale est établie non par le ius civile mais par ledit du préteur ; dans tous ces cas cet édit met à la disposition du possesseur prétorien une action dite publicienne. Ensuite, la propriété provinciale, soit la possession de fonds provinciaux : ils sont dans la propriété de l'État romain qui en concède l’exploitation à des particuliers, moyennant le paiement d’une redevance, stipendium dans les provinces sénatoriales et tributum dans les provinces impériales ; possession dont le contenu économique est, en réalité, identique à celui de la véritable propriété – habere possidere, uti frui licere – et qui est sanctionnée par une action réelle, proche de la revendication quiritaire et accordée par les gouverneurs des provinces. Enfin, la propriété dite pérégrine, de ceux qui ne sont ni citoyens romains ni latins : elle est reconnue par les magistrats qui la protègent au moyen d’une action en revendication comportant la fiction que le titulaire du droit est citoyen romain.
12À partir du troisième siècle de l’Empire, la distinction entre ces différentes propriétés s’est estompée en particulier depuis ledit de Caracalla sur la généralisation de la citoyenneté et la législation fiscale de Dioclétien. La sanction de la propriété provinciale apparut moins distincte de l’action en revendication. Au sixième siècle, Justinien consacra la fusion de la propriété provinciale avec la propriété pure et simple et supprima les expressions explicites telles propriété ex iure quiritium ou in bonis. Un droit vulgaire s’établit : le terme dominium a servi à qualifier des situations de simple possession ; à l’époque tardive et jusqu’à la renaissance du droit romain au XIIe siècle, les catégories se confondent et au Haut Moyen Âge, à la distinction mal perçue entre propriété et possession se substituera la saisine, notion floue, à la fois droit et fait, possession et propriété ou droit réel. Ces lointaines conséquences sont le résultat de l’évolution de la notion de propriété en droit romain. Non seulement cette propriété a été atteinte dans les prérogatives de son titulaire, mais elle l’a été aussi par les prérogatives reconnues aux titulaires de droits résultant du démembrement du droit de propriété.
D’une souveraineté exclusive à une souveraineté partagée de la propriété
13Les amendements apportés au principe d’un droit absolu de propriété témoignent déjà d’une conception qui aboutit, dans certaines situations, à une dualité de ce droit : pour la propriété dite prétorienne, coexistent le droit du propriétaire initial, nu-propriétaire quiritaire et le droit du possesseur in bonis, qui a une propriété utile qui se transformera en authentique propriété après l'écoulement d’un délai d’usucapion ; de même pour la « propriété » provinciale, se combinent le droit de l’État romain propriétaire des sols provinciaux qui relèvent de l’ager publions et le droit du possesseur exploitant.
14D’autre part, d’autres types de démembrements se sont ajoutés qui correspondent à des formes dissociées de la propriété immobilière : d’abord les démembrements en général temporaires, avec les servitudes personnelles ; ensuite, les démembrements qui peuvent conduire à un transfert de la propriété, c'est-à-dire les baux à long terme.
15En premier lieu, les servitudes personnelles. Comme toutes les autres catégories de servitudes, il s’agit de iura in re aliena. L’immeuble se trouve asservi au droit d’un autre que son propriétaire. Et tandis que les servitudes prédiales, rurales et urbaines, sont établies au profit d'un fonds, les servitudes personnelles sont constituées au profit d’une personne : servitudes d'usage, d’habitation et, surtout, l’usufruit. Ce sont là des droits de jouissance dissociés de la propriété, de façon anormale et en général temporaire. En particulier, l’usufruitier a l'usus, le fructus et même un certain abusus qui porte non sur la chose mais sur le droit qu’il peut céder ; mais le cessionnaire n’a pas plus de droit que le cédant et l’usufruit s'éteint, le plus souvent, à la mort de ce dernier, puisqu'il est attaché à sa personne, de sorte que la situation de l’usufruitier est toujours instable. D’autre part, quant aux fruits, convient-il de souligner l’originalité de la solution romaine dans l’hypothèse de la location par l'usufruitier d’un immeuble urbain grevé par l’usufruit ; selon les règles du contrat de louage, le locataire est tenu de payer à son bailleur, l’usufruitier, un loyer proportionnel au temps pendant lequel il a joui de la maison louée (Digeste 19, 2, 9, 1) ; en droit contemporain, les fruits dits civils s’acquièrent au jour le jour et n’appartiennent à l’usufruitier qu’au prorata de la durée de son usufruit (art. 586 C. civ.).
16En second lieu, les baux à long terme, et cet aspect touche directement le sujet traité par les contributions de ce volume. Ici une véritable dissociation est opérée qui aboutit à un partage du droit de propriété : c’est le cas de la superficie et de l’emphytéose.
17La superficie. Normalement le propriétaire du sol devient le propriétaire de la construction édifiée sur son terrain, en vertu du principe de l’accession d’immeuble à immeuble ; c’est le principe superficies solo cedit. Là aussi le droit a su adapter la règle de principe aux exigences de la pratique et créer une dérogation d’importance en faveur du constructeur superficiaire : l’exception a pour fondement l’existences d’un contrat de louage à long terme conclu par le superficiaire qui reçoit l’autorisation de la construction. Par là la propriété se trouve partagée, dissociée, car le droit de superficie confère à son titulaire la propriété de l’immeuble construit sur le sol loué : le superficiaire, moyennant le paiement d’une redevance, qualifiée de pensio ou plus souvent de solarium, et à condition qu’une clause spéciale du bail prévoit cette situation, dispose de l'usus et du fructus, ainsi que d'un certain abusus portant sur son droit qu’il peut aliéner, hypothéquer et sur lequel il lui est loisible de constituer des servitudes. La situation du locataire superficiaire a reçu la protection du magistrat qui a créé l’interdit de superficie : mais celui-ci ne protège que la possession et non réellement le droit ; les textes parlent d’une action réelle qui, sans doute, a été créée à l’époque tardive.
18Ainsi définie, la superficie se retrouve dans les locations à long terme de terrains appartenant à l’État romain ou à des cités. Les exemples les plus connus sont les boutiques du Forum, où exerçaient en particulier les banquiers, et ce cas de superficie attesté par la fameuse inscription de Pouzzoles du second siècle de notre ère (C/L X, 1789 = Dessau, 5919 = FIRA III, no 111, p. 361-362).
19L’emphytéose. Il s’agit du cas-type des baux à long terme. Ces contrats portent sur le sol et non sur les superstructures, et leur fonction économique est davantage la plantation et la mise en valeur de terres cultivables que la construction. Ce qu'atteste le mot grec d’emphytéose, qui désigna l’institution qui a fini par absorber les diverses formes de concessions de terres existantes jusque-là : locatio conductio agri vectigali, pour les terres appartenant aux cités, à des temples ou à des collèges religieux, moyennant une redevance, vectigal ; au IVe siècle, ce droit sur l’ager vectigalis est remplacé par le ius perpetuum portant sur les mêmes terres, mais qui sont désormais incorporées au domaine de l’empereur, res privata ; enfin à la fin du Ve et au début du VIe siècle, ce droit perpétuaire fusionne avec l’emphytéose.
20Celle-ci a ses origines lointaines dans la pratique du régime foncier de l’Égypte et de l’Afrique du Nord, ainsi que le révèlent, pour cette dernière région, plusieurs inscriptions très célèbres du Principal relatives à des leges privatae réglementant la concession de terres incultes appartenant aux domaines impériaux : lex Mandarla, lex Hadriana (Girard, Textes de droit romain, 7e éd., tome II, Les lois des Romains, p. 559-579).
21Utilisée, d’abord, pour les fundi patrimoniales impériaux – mais tous les fonds patrimoniaux n’étaient pas en emphytéose et réciproquement tous les fonds emphytéotiques n’étaient pas des fonds patrimoniaux –, l’emphytéose fut étendue aux particuliers par l’empereur d’Orient Zénon (dans une constitution au Code de Justinien, CJ IV, 66, 1, années 476-484) et vit son statut juridique défini. Au début de l’époque tardive le mot désigne à la fois un bail et une vente : dans le bail emphytéotique, l’emphytéote a conclu une location à long terme ; pour la vente emphytéotique, il bénéficie d’un droit perpétuel qu’il acquiert en payant le prix et qu’il conserve contre le paiement d’une redevance. À la fin du Ve siècle, la constitution de Zénon élude la distinction entre bail et vente et déclare que l’emphytéose n’est ni l’un ni l’autre mais un contrat spécial et interdit les ventes et louages avec convention d’emphytéose.
22Par ce contrat original, le propriétaire est assuré de la mise en valeur ou de l'amélioration de la terre que l’exploitant emphytéote s’engage à défricher, à planter, à charge de verser une redevance annuelle fixe, d’un montant modique (le canon). Mais ce contrat diminue la portée du droit réel du propriétaire : en effet, l’emphytéote a sur la chose un droit transmissible à ses héritiers – ius emphyteuticum –, parce qu’il dure très longtemps, 99 ans, et parfois il est même perpétuel ; il dispose aussi d’un droit d’aliénabilité avec, cependant dans ce cas, l’obligation pour lui de notifier la vente au propriétaire en lui indiquant le montant du prix : le but est de protéger la situation de ce dernier, qui doit autoriser l’aliénation et a le droit de percevoir une taxe de mutation équivalant à 2 % du prix (le laudemium) ; et, pour éviter une dissimulation de ce prix, le propriétaire a le droit de préemption. Quant aux droits de l’emphytéote, ils sont protégés dans les Novelles 7 et 120 de Justinien par les actions, délivrées à titre utile, sanctionnant la propriété.
23Au total, l’emphytéose, ainsi que la superficie, sont des excellents exemples d’une dissociation de la propriété immobilière susceptible de déboucher sur une dépossession du propriétaire par l’exploitant. Ici le schéma présenté préfigure ce qui se passera à l’époque médiévale avec les tenures et la compilation justinienne sera utilisée pour la définition juridique des relations féodales et seigneuriales. Elle servira aussi à une interprétation de ses textes qui débouchera sur la conception individualiste moderne de la propriété, en raison de l’appréhension concrète de la réalité par le droit romain, par son souci d’assurer la défense et de la propriété de la chose et de celui qui en a une possession durable ; « par cette précision toute pragmatique, la notion romaine de propriété a conservé une souplesse qui lui a permis d’être à la base de conceptions différentes, liées aussi bien au développement du droit romain, au moyen-âge féodal, au droit naturel classique qu’à notre droit civil moderne » (B. Schmidlin, C. A. Cannata, Droit privé romain, I, Lausanne, 1984, p. 152).
Bibliographie
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ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
Outre les nombreux manuels de droit privé romain, on pourra consulter :
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C. A. Cannata, « Possessio », « possessor », « possidere » nelle fonti giuridiche del basso impero romano. Contributo allo studio del sistema dei rapporti reali nell'epoca postclassica, Milan, 1962.
L. Capogrossi Colognesi, La struttura della proprietà e la formazione dei « iura praediorum » nell'eta repubblicana, 2 vol., Milan, 1969 et 1976.
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J. Ellul, Évolution et nature juridique du mancipium, thèse droit, Bordeaux, 1936.
10.3406/mefr.1978.1138 :E. Hermon, Réflexions sur la propriété à l’époque royale, dans MEFRA, 90, 1978, p. 7-31.
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Sur le droit de superficie :
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Sur l’emphythéose et les baux à très long terme :
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F. Burdeau, Le ius perpetuum et le régime fiscal des res privata et des fonds provinciaux, dans Iura, 23, 1972 (1975), p. 1-25.
R. Delmaire, Largesses sacrées et « res privata ». L'« aerarium » impérial et son administration du IVe au VIe siècle, Rome, 1989 : cf. le chapitre XX « Locations de longue durée : emphythéose et droit perpétuaire », p. 659-674.
A. Hajje, Étude sur les locations à long terme dans l’Empire romain, thèse droit, Paris, 1926.
W. Ch. Kamps, L’emphythéose en droit grec et sa réception en droit romain, dans Recueils de la Société Jean Bodin, tome III, La tenure, Bruxelles, 1938, p. 67-121.
G. P. Scaffardi, Studi sull'enfiteusi, Milan, 1981.
D’autre part, quatre ouvrages collectifs récents sont consacrés aux différents aspects du régime de la propriété en droit romain et dans l’histoire du droit :
New Perspectives in the Roman Law of Property. Essays for B. Nicholas, Oxford, 1989.
Eigentum. Beitrüge zu seiner Entwicklung in politischen Gesellschaften, J. Köln et B. Rode éd., Weimar, 1987 : cf. les études de Stærman, Capogrossi Colognesi, Köln et Günther pour l’antiquité romaine.
La proprietà e le proprietà (Actes du colloque de Pontignano, 30 septembre-3 octobre 1985), E. Cortese éd., Milan, 1988 : cf. les contributions sur le droit romain d’A. Corbino, L. Vacca, G. Barone-Adesi, F. Sitzia et L. Capogrossi Colognesi.
Et sur le transfert de la propriété :
L. Vacca éd., Vendita e trasferimento della proprietà nella prospettiva storico-comparatistica (Actes du congrès international Pisa-Viareggio-Lucca, avril 1990), Milan, 1991, 2 vol.
D’autre part, d’un point de vue plus théorique, deux revues ont consacré un dossier sur l'évolution des conceptions modernes de la propriété :
Quaderni fiorentini per la storia del pensiero giuridico moderno 5-6, Itinerari moderni della proprietà, Florence, 1976-1977, 1.141 p. (doctrines, expériences nationales, concepts de bien, de propriété)
Droits. Revue française de théorie juridique. 1, Destins du droit de propriété, Paris, 1985, p. 5-105, avec une bibliographie commentée par Chr. Atias, p. 107-114.
Sont à signaler, enfin, deux excellents ouvrages qui prolongent cet ensemble de réflexions :
10.3917/droz.renou.1987.01 :M.-F. Renoüx-Zagamé, Origines théologiques du concept moderne de propriété, Genève, 1987, 399 p. (Pratiques sociales et théories, V).
F. Dagognet, Philosophie de la propriété. L'avoir, Paris, 1992, 240 p. (Questions)
Notes de fin
* Cet exposé n'a eu d'autre prétention que de présenter, à la demande des organisateurs de la table ronde, un panorama de l’évolution de la conception romaine de la propriété. Pour la publication, nous lui avons conservé son caractére très synthétique, sans l’assortir d’un appareil de notes ; nous l’avons, cependant, complété par une bibliographie élémentaire.
Auteur
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