L'Église de Lyon et saint Bernard
p. 811-839
Texte intégral
1Le récent neuvième centenaire de la naissance de saint Bernard — même si certains spécialistes contestent pour cet événement la date de 10901 — vient d'être célébré par de nombreuses publications et de savants colloques. Tous ces travaux ont permis de rappeler et de préciser, s'il en était encore besoin, le rayonnement de l'action du saint dans la chrétienté de la première moitié du XIIe siècle, et son rôle déterminant dans l'expansion du tout nouvel ordre cistercien2.
2Sur ce dernier point, cependant, quelques problèmes attendent encore leur solution. Ainsi, celui de la très inégale densité des fondations nouvelles ou des affiliations du vivant de saint Bernard dans les régions immédiatement voisines du centre de gravité géographique du Nouveau Monachisme. Voilà une trentaine d'années, B. Bligny soulignait le très grand succès des Cisterciens dans l'ancien royaume de Bourgogne — sauf dans sa partie provençale — et y voyait pour une bonne part le résultat de l'influence de saint Bernard3. Vision globale que des analyses régionales concernant telle ou telle partie de cet ensemble confirment tout à fait : pour les diocèses de Lausanne et de Genève comme pour celui de Besançon par exemple4. En revanche, le vaste diocèse de Lyon ne compte, à la mort du saint, que deux établissements cisterciens, situés de plus sur ses marges : Le Miroir, fille de Cîteaux, fondée en 1131, et La Bénisson-Dieu, fille de Clairvaux, établie en 1138 peut-être par saint Bernard lui-même5.
3Comment expliquer cette réticence lyonnaise face aux moines blancs ? On a pu invoquer pour l'est du diocèse la concurrence des établissements cartusiens et la très forte emprise territoriale des anciens monastères6. Sans doute. Mais qu'en est-il pour le reste du diocèse où l'on ne trouve pas alors de chartreuse ? Quant à la puissance territoriale des fondations monastiques anciennes, elle a sûrement joué un rôle dissuasif. Mais pourquoi ici davantage qu'ailleurs ? L'action de saint Bernard y fut-elle moins présente, ou moins bien reçue ? Deux de ses interventions — contre l'archevêque de Lyon à propos de l'élection épiscopale de Langres en 1138-1139 ; contre les chanoines de Lyon qui célébraient la fête de l'immaculée Conception — sont bien connues. Mais elles ont été davantage abordées sous l'angle de l'histoire bernardine ou même générale que lyonnaise, et elles n'ont guère été mises en relation avec les autres manifestations de l'abbé de Clairvaux dans le diocèse. Aussi, pour répondre à la question qui vient d'être posée, c'est à l'ensemble de l'action du saint dans la région que je voudrais m'intéresser ici, en plaçant le point d'observation au moins autant à Lyon qu'à Clairvaux, de manière à comprendre les réactions des clercs et moines lyonnais à son égard.
4Pour ce faire, et en l'absence d'une documentation lyonnaise pratiquement inexistante sur la question, il faut recourir principalement à la correspondance de saint Bernard. Vingt-cinq de ses lettres concernent, à des titres divers, la région considérée7. Sur ce total, seize ont trait à l'Église de Lyon, et neuf à divers monastères du diocèse. Elles permettent de déceler, sous des formes diverses, chez l'une comme chez les autres, une attitude à l'égard de l'abbé de Clairvaux qui va de la réserve, voire de l'indifférence, à l'hostilité.
I. L'EGLISE DE LYON FACE A SAINT BERNARD : DE LA RESERVE A L'HOSTILITE
5En ce début du XIIe siècle, l'Église lyonnaise reste profondément marquée par des traditions et des pratiques qui relèvent plus des conceptions carolingiennes que des idéaux grégoriens. La réticence certaine et déjà ancienne vis-à-vis de Cluny, ou le rejet de la réforme canoniale au XIe siècle sont deux manifestations très claires de ce « conservatisme ».
6C'est donc avec cette Église que l'abbé de Clairvaux entra en contact — pour ne pas dire en conflit — en 1138-1139 à l'occasion des deux affaires rappelées ci-dessus, et que j'envisagerai ensemble, le lien entre elles étant désormais bien établi8. Avant ces années, on n'a trace que de relations très ténues, traduisant sans doute une certaine réserve de l'Église lyonnaise à son égard.
La réserve initiale
7Au départ, et de son point de vue, saint Bernard n'avait aucune raison de se heurter à son Église métropolitaine. D'abord parce que, comme les premiers Cisterciens, il rejetait le principe de l'exemption et professait donc un grand respect pour l'autorité de l'ordinaire9. Ensuite, au moment où, en 1124-1125, s'engageait la grande polémique avec Cluny10, il pouvait penser que l'Église de Lyon était à ses côtés : l'archevêque Humbald n'avait-il pas dénoncé très violemment au concile de Reims de 1119 l'usage excessif que l'abbé Pons de Cluny faisait de l'exemption, et pris avec vigueur la défense de l'évêque de Mâcon, son suffragant, principale victime de ces agissements11 ? Pour autant, cela suffisait-il à faire de l'Église lyonnaise un partisan déterminé de l'abbé de Clairvaux ? C'est ce que ce dernier semblait croire quand, en 1126-1128, écrivant à l'archevêque Humbald, légat pontifical, pour lui recommander la cause de l'évêque de Meaux, Burchard, injustement accusé à ses yeux, il se réclamait par deux fois de son amitié12. Mais à la fin de sa lettre perçait déjà le saint Bernard « donneur de leçon » fort peu admissible, sans doute, pour une Eglise hostile, par ses traditions, à l'ingérence des réguliers dans son gouvernement : « Si vous écoutez ce que disent, contre un évêque préoccupé des intérêts de Jésus-Christ, des hommes égoïstes qui ne songent qu'aux leurs, alors cela ne convient ni à votre dignité, ni à votre office ».
8Dans le même temps, on pense à Lyon que ce n'est pas parce qu'il a fallu durcir, face aux exigences renforcées de l'abbé Pons de Cluny, une attitude traditionnellement méfiante vis-à-vis du monastère bourguignon13, qu'on doit pour autant basculer dans le camp cistercien. Ce serait d'abord oublier que, selon la position qui vient d'être rappelée, on ne peut envisager ici que des religieux en viennent à dicter sa conduite à l'Église de Lyon. Ce serait ensuite méconnaître que, s'il y a alors un grave problème dans le monde monastique de la région, ce n’est pas celui d'une rivalité entre les moines noirs et les moines blancs (il n'y a pas d’abbaye cistercienne dans le diocèse avant 1131), mais c'est celui du désordre entraîné par le schisme de Pons de Cluny14. Et pour le régler, c’est avec les moines noirs qu'il faut agir, c'est-à-dire avec le nouvel abbé de Cluny, Pierre le Vénérable, dont l'attitude est beaucoup plus conciliante que celle de son prédécesseur. De là, pour succéder à l'archevêque Humbald, le choix successif par le chapitre de Lyon de deux prélats liés d'assez près à Cluny : Renaud de Semur, neveu de saint Hugues et abbé de Vézelay (1129-1131) et Pierre, évêque de Viviers et sans doute clunisien (1131-1139). Tous deux travaillèrent à la paix avec Cluny, ce qui valut au second la chaleureuse reconnaissance de Pierre le Vénérable15.
9Mais ce qu’il faut bien appeler un revirement politique de l'Église lyonnaise vis-à-vis de Cluny ne fut probablement pas admis par tous dans le chapitre de Lyon. Pierre le Vénérable met en effet en garde l'archevêque Pierre, au début de son épiscopat, contre des ennemis qui se trouvent au sein même de son Église16. Il ne les nomme pas, mais il est à peu près certain qu'il s'agit du groupe qui, quelques années plus tard, sous la conduite du doyen Foulques, s'est dressé contre l'archevêque dans l'affaire de Langres (infra). Ce qui détermine ces opposants vers 1131-1133, c'est leur hostilité à tout rapprochement trop étroit avec Cluny, si contraire pour eux, sans doute, aux traditions de l'Église lyonnaise. Mais de là à voir positivement en eux des partisans des moines blancs, c'est un pas qu'il ne faut pas franchir trop vite : c’est par rapport à Cluny qu'on se détermine alors à Lyon, pas par rapport à Cîteaux ni à saint Bernard, dont l'influence dans le diocèse est encore très faible.
Le choc de l'affaire de Langres
10Quoi qu'il en soit, c'est sur une Église lyonnaise divisée que s'abattit, en 1138, la tourmente déclenchée par l'élection épiscopale de Langres et la colère qu'elle provoqua chez un Bernard devenu à ce moment un des tout premiers personnages de la chrétienté grâce à sa victoire toute récente dans le schisme d'Anaclet. Rappelons d'abord très brièvement les faits17. Depuis août 1136, le siège de Langres était vacant pour cause de mésentente dans le chapitre. Faute d'accord, on porta, au début de 1138, l'affaire au métropolitain, l'archevêque Pierre de Lyon. Celui-ci, conscient de l'enjeu, partit à Rome accompagné notamment du doyen Robert de Langres, sans doute pour demander la permission d’élire. Ils étaient tous deux porteurs d'une lettre de recommandation de Pierre le Vénérable18. Ils y rencontrèrent (fortuitement ?) saint Bernard, qui parachevait le règlement du schisme. Soutenu par le pape Innocent II, l'abbé de Clairvaux fit admettre à ses visiteurs que l'élection ne devrait se faire qu'en présence des religiosi viri du diocèse, qui étaient pour lui à l'évidence les réguliers, au premier rang desquels lui-même. Il fallait donc attendre son retour de Rome. Quelle ne fut pas alors la stupéfaction de l'abbé de Clairvaux, qui avait quitté Rome peu après ses visiteurs, quand il apprit que, sitôt rentré à Lyon, l'archevêque avait fait procéder, en son absence donc, à l'élection d'un moine clunisien, Guillaume de Sabran, comme évêque de Langres, puis que Pierre le Vénérable avait donné son accord, qu'ensuite l'élu devait recevoir les regalia de Louis VII et qu'enfin l'archevêque de Lyon s'apprêtait à le consacrer. Furieux, saint Bernard se dérouta sur Lyon (août ou septembre 1138). Il exigea que l'élu, dont il dénonçait la très mauvaise réputation, soit examiné par un concile provincial. Devant le refus de l'intéressé, il encouragea des chanoines de Lyon hostiles à l'archevêque (le doyen Foulques et le trésorier Guy), et de Langres hostiles à l'élu, et des moines de Clairvaux à faire appel à Rome. Nonobstant, l'archevêque de Lyon et ses suffragantes de Mâcon et d'Autun consacrèrent Guillaume de Sabran. Bernard se tourna cette fois vers le pape et la Curie, et finalement Innocent II cassa l'élection. Les chanoines de Langres choisirent alors Geoffroy de la Roche, prieur de Clairvaux, qui dut être consacré au début de l'été 1139. Saint Bernard l'avait finalement emporté.
11On le voit, il y a dans cette affaire trois types de conflits qui s'enchevêtrent, et dans lesquels l'Église de Lyon est affrontée plus ou moins directement à saint Bernard. Le premier concerne la procédure électorale proprement dite : fallait-il, selon une certaine tradition, laisser en dehors du corps électoral les réguliers du diocèse, ou au contraire les y inclure ? L'archevêque de Lyon et sans doute toute son Église en tenaient manifestement pour la première solution. L'abbé de Clairvaux, lui, défendait fermement la seconde, qui fut d'ailleurs inscrite quelques mois plus tard dans les canons du IIe concile du Latran19. Le deuxième confit oppose Pierre le Vénérable à saint Bernard. L'archevêque de Lyon, et cette fois une partie de son Église seulement, y sont impliqués comme alliés de Cluny, ayant favorisé l'élection de Guillaume de Sabran à Langres. Enfin, troisième conflit, préexistant à cette querelle, mais qu'elle est venue considérablement amplifier : celui qui met aux prises deux partis dans le chapitre de Lyon. Ceux qui, on l'a vu, s'opposaient à l'archevêque Pierre dès le début de son épiscopat à cause de sa politique d'apaisement vis-à-vis de Cluny, sont maintenant, derrière le doyen Foulques et le trésorier Guy, les alliés objectifs de saint Bernard. De ce fait, les divisions internes du chapitre risquaient de prendre une tout autre ampleur.
12Si on s’intéresse maintenant aux arguments et aux méthodes utilisées par l'abbé de Clairvaux à l’égard de l’Église de Lyon dans cette affaire, six remarques s'imposent.
- Il ne s'adresse jamais directement à ceux qu'il estime être ses adversaires dans cette Église : aucune lettre à l'archevêque Pierre par exemple (non plus qu’à Pierre le Vénérable d'ailleurs).
- Il considère que c’est Pierre le Vénérable qui a en fait machiné toute l'affaire, et a envoyé en première ligne l'Église de Lyon20.
- A cette Église, et surtout à son archevêque, Bernard reproche principalement deux choses. D’abord de ne pas respecter l'autorité de l'Église romaine, accusation particulièrement grave au moment précis où la chrétienté occidentale sortait du schisme. Ainsi l’archevêque n'a-t-il tenu aucun compte des appels interjetés après l’élection de Guillaume de Sabran, qu'il a consacré quand même. Cela, dit l'abbé de Clairvaux, est très grave, laissant de plus entendre que la corruption avait dû jouer son rôle : « Où est le droit, où est la loi, où est l'autorité des sacrés canons, où est enfin la révérence due à la majesté ?... Quand l'or régnait, l'argent jugeait, les lois et les canons restaient inertes, et il n'y avait de place ni pour la raison ni pour l’équité. Et voici, chose tout à fait intolérable, que l'on menace la citadelle de la cime apostolique des mêmes traits. Mais cela est ridicule : elle est bâtie sur un roc inébranlable21 ».
- Puis, concentrant son offensive sur la personne de l'archevêque, l'abbé de Clairvaux entend montrer que c'est ce dernier qui est son seul adversaire à Lyon22. C'est ainsi qu'il l'accuse personnellement d'avoir renié sa parole, et ce à deux reprises. D’abord en faisant procéder à l'élection malgré les engagements pris à Rome en sa présence et en celle du pape. Il les rappelle en détail comme pour bien marquer l'étendue de la « trahison » : prendre l'avis de religiosi viri, ne choisir qu'une personne digne, accord de tous sur deux candidats possibles, promesse solennelle de l’archevêque de ne pas agir autrement23. Autre accusation de manquement aux engagements pris : selon saint Bernard, l'archevêque aurait reconnu devant quelques chanoines de Langres présents à Lyon, qu'il était nécessaire de procéder à une nouvelle élection, et l'aurait aussi fait savoir par lettre au chapitre concerné. Et presque tout de suite après, il aurait envoyé une deuxième lettre au même chapitre, annonçant qu'il allait procéder à la consécration de l'élu contesté24.
- En conséquence, on ne peut s'empêcher de penser que, faute de pouvoir obtenir l'éviction de l'abbé de Cluny, saint Bernard ne dut pas être complètement étranger à la nomination par Innocent II du prélat lyonnais comme légat pontifical en Terre-Sainte, pour régler la querelle des patriarcats de Jérusalem et d'Antioche25. Rien n'y prédestinait l'archevêque Pierre. Mais c'était là un bon moyen de l'éloigner de Lyon avant qu'il ne soit procédé à la deuxième élection pour le siège de Langres26. L'archevêque Pierre mourut à Acre à la fin de mai 1139.
- Enfin, même si on peut le prendre en flagrant délit de contradiction quant à leur nombre au début de la querelle27, saint Bernard a très fortement encouragé ceux qui, dans le chapitre, s'opposaient à l'archevêque et à Cluny. Il était incontestablement servi par le fait que, même s'ils étaient nettement minoritaires au départ, leur chef était le doyen du chapitre, personnage essentiel de l'Église de Lyon et dont le rôle était déterminant lors des élections épiscopales. Aussi peut-on comprendre que, une fois l'archevêque Pierre parti en Terre-Sainte, le doyen Foulques ait pu, aidé sans doute par saint Bernard28, considérablement renforcer sa position et celle de ses partisans. Aussi, quand on apprit la mort de l'archevêque Pierre, Foulques put-il se faire désigner par le chapitre de Lyon, à l'unanimité des votants, dit saint Bernard, pour lui succéder29. Ainsi, dans l'été 1139, ce dernier pouvait donc légitimement penser qu'il avait triomphé sur toute la ligne : l’évêque de Langres était un de ses proches, et son métropolitain ne pouvait que lui être favorable.
L’hostilité installée
13Mais sur place, à Lyon, cette victoire ne tarda pas à paraître bien moins éclatante, et on voit saint Bernard contraint très vite de voler au secours de « son » archevêque. A cinq reprises il écrivit en sa faveur au pape Innocent II et à un cardinal de la Curie30. Certes, les deux premières lettres (171 et 172) n’indiquent pas encore de problème particulier pour le nouvel archevêque : elles demandent l'approbation apostolique, et saint Bernard souligne la parfaite régularité et l'unanimité de l'élection, ainsi que les grandes qualités morales, spirituelles et intellectuelles du nouveau prélat : « Le vote d'un si grand nombre d'hommes s'est porté sur lui non seulement sans opposition, mais même sans hésitation aucune. Et à juste titre. Il est à coup sûr illustre, non moins par l'excellence de son esprit que par celle de son sang ; et aussi par son érudition et sa vie irréprochable...31 ». Il en va tout différemment dans les trois autres lettres, qui sont de véritables plaidoyers pour un homme qui semble attaqué de toutes parts. Saint Bernard distingue deux groupes hostiles au nouvel archevêque32.
141. Des étrangers à son Église d'abord. Saint Bernard ne cite aucun nom, mais il est évident qu’il pense à l'abbé de Cluny, Foulques ayant été, si l'hypothèse avancée plus haut est juste, le chef du parti hostile à l'apaisement avec Cluny au temps de l'archevêque Pierre. Et de fait, les rapports se sont tendus très vite entre Lyon et Cluny après la promotion de Foulques. Pour preuve : le pape Innocent II condamne vigoureusement les clercs lyonnais ayant attaqué les biens de Cluny dans le diocèse33. Il le fait incontestablement sur plainte de Pierre le Vénérable.
152. Mais, et c'est encore plus grave aux yeux de saint Bernard, les principaux adversaires de « son » archevêque sont dans sa propre Église. Là non plus aucun nom. Mais, selon lui, ce ne peuvent être que des hypocrites ayant changé d'avis puisque Foulques, il le répète à satiété, a été élu à l'unanimité. L'explication peut paraître un peu courte. On doit alors formuler des hypothèses. D'abord, l'unanimité dont parle l'abbé de Clairvaux n'est guère vraisemblable (une « outrance » ou une « rouerie » de plus à ajouter au catalogue dressé par le Père Dimier34 ?). Un parti de chanoines fidèles à la politique d’apaisement de l’archevêque Pierre n’a cessé d’exister avant et après l'élection de Foulques. On connaît par Pierre le Vénérable celui qui devait être son chef : l'archidiacre du chapitre cathédral, deuxième dignitaire après le doyen, Etienne de Chandieu35. Il y avait donc, dans l’Église même de Lyon, un noyau de résistance possible, capable de grossir au cas où Foulques et ses partisans les plus déterminés iraient trop loin. En effet, si une majorité de chanoines était prête à suivre Foulques dans son durcissement vis-à-vis de Cluny, elle ne l'était plus si cela devait signifier l'ingérence des appuis extérieurs du nouvel archevêque, saint Bernard en l’occurrence, dans la vie de leur Église. Très vite, par exemple, l'abbé de Clairvaux demanda à Foulques de protéger les cisterciens de La Bénisson-Dieu (infra).
16Et c'est là que j'aurai tendance à faire intervenir la fameuse lettre 174 de saint Bernard au chapitre de Lyon. On le sait, il y critique les chanoines pour avoir institué la fête de l'immaculée Conception. Pour saint Bernard cela est inadmissible sur le plan théologique36. Cela l'est aussi en matière disciplinaire : toute la fin de la lettre rappelle qu'aucune fête nouvelle ne peut être célébrée sans l'accord du Siège Apostolique37. Mais pour ce qui nous intéresse ici, trois mentions ou passages de ce texte montrent bien qu'il se rattache à un conflit interne à l'Église de Lyon.
171. On a déjà remarqué que saint Bernard s'adressait au chapitre. Cela ne signifie pas forcément, comme le suggère L. Grill38, que le siège épiscopal soit vacant. D'abord parce que le chapitre jouit d'une assez grande autonomie liturgique ; ensuite, cela peut aussi vouloir dire que l'archevêque en place n'est pas en cause, parce qu'il n'a pas pris part à la mise en place de cette solennité, et qu'il partage l'avis de saint Bernard. Cela écarte l'archevêque Pierre — contre lequel il n'aurait pas manqué d'articuler un tel reproche dans la polémique à propos du siège de Langres — et semble donc désigner Foulques.
182. Saint Bernard dit que cette fête a été instituée récemment (hoc tempore ; vers 1136 selon L. Grill) à l'initiative de certains chanoines seulement (quibusdam vestrum). Si cette lettre a bien été écrite sous l'épiscopat de Foulques, on pourrait admettre que ce fut à son début, et pour aider à éliminer ce qui subsistait d'opposition dans le chapitre. Elle serait donc de la fin 1139-1140.
193. Enfin, quant aux arguments employés, autres que théologiques, saint Bernard en avance deux qui ont dû paraître contradictoires à Lyon : d'une part il souligne au début de sa lettre l’ancienneté de l’Église de Lyon, sa discipline exemplaire, et d'autre part il insiste sur son refus de toute innovation liturgique, autant d'éloges qui, dans son esprit, devaient lui valoir sa considération. Mais, il ne se rend pas compte que rappeler in fine l'autorité liturgique supérieure du Siège Apostolique va justement contre ce qui, depuis l'époque carolingienne, était une des constantes de la tradition liturgique lyonnaise, à savoir justement le non alignement automatique sur les pratiques liturgiques romaines39.
20Quoi qu'il en soit, cette intervention dut avoir l’effet inverse de celui souhaité par son auteur, et, loin de réduire les opposants à l'archevêque, dut au contraire en accroître le nombre. Ce qui fit qu'après la mort de Foulques (1142), les chanoines choisirent Amédée (1143-1147) puis Humbert II (1148-1152), qui reprirent la politique de rapprochement avec Cluny. Et l'échec de saint Bernard à Lyon se trouva porté à son comble en 1153, quand, juste avant sa mort, il put apprendre que l'Église de Lyon s'était donné comme pasteur Heraclius de Montboissier (1153-1163), le propre frère de Pierre le Vénérable. Ainsi, il n'avait pas fallu très longtemps à l'abbé de Clairvaux pour s'aliéner la tête de l'Église de Lyon.
II. LES MONASTERES DU DIOCESE DE LYON ET SAINT BERNARD : DES RELATIONS VARIEES, MAIS LIMITEES
21S'agissant maintenant des relations que saint Bernard a pu entretenir avec le monde monastique du diocèse, il faut d'abord rappeler que là aussi subsistent des conceptions très traditionnelles marquées par la prédominance du monachisme ancien incarné par quelques grandes abbayes bénédictines (Ainay, L'Ile-Barbe, Savigny) fidèles à la règle de Benoît d'Aniane, disposant d'un important réseau de prieurés et sur certaines desquelles l'archevêque exerce toujours un contrôle. Quant aux nouveaux courants monastiques nés à la fin du XIe siècle, ils sont représentés avant tout ici par les Chartreux qui ont établi plusieurs maisons en Bugey à partir de 1115, avec un appui des archevêques qui ne s'est jamais démenti par la suite.
22Saint Bernard a eu relativement peu de contacts avec les établissements religieux du diocèse. Sept d'entre eux apparaissent directement ou indirectement dans sa correspondance. Quatre sont d'anciennes fondations (Ainay, Saint-Oyend/Saint-Claude, Savigny — celle-ci en arrière-plan de son prieuré de Noailly — et Gigny, prieuré clunisien depuis 107540) ; trois se rattachent aux nouveaux courants monastiques nés à la fin du XIe siècle : la chartreuse de Portes41, et les deux abbayes cisterciennes déjà citées, Le Miroir et La Bénisson-Dieu. Pour ces maisons, saint Bernard apparaît dans quatre rôles différents. C'est un maître spirituel dont on sollicite les enseignements ; c’est l'abbé cistercien qui étend sa protection aux filles de Clairvaux comme de Cîteaux ; c'est un homme d'influence dont on recherche l'appui ; c'est enfin un perturbateur dont on dénonce l'intervention.
Un maître spirituel
23Ce rôle paraît bien secondaire ici. On n'en rencontre en effet que deux manifestations, qui eurent des résonances surtout à l'extérieur du diocèse, et n’ont donc guère pu favoriser localement la diffusion de l'idéal cistercien. D’autant plus que ce sont deux religieux engagés déjà dans la voie du monachisme nouveau qui sollicitent ou reçoivent l'enseignement de l'abbé de Clairvaux, et non des communautés anciennes souhaitant rallier Cîteaux, ou d'éventuels fondateurs de nouveaux établissements.
24C'est un chartreux de Portes qui fut le premier à nouer ainsi des contacts avec saint Bernard. Ce dernier l'avait sans doute vu et apprécié à Portes même en 1125-127, au retour d'une visite à la Grande Chartreuse42. Il s'agit de Bernard de Portes, qui venait d'entrer en religion, et qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme contemporain Bernard, fondateur et premier prieur de Portes43. Après le départ de l'abbé de Clairvaux, son nouvel ami lui écrivit plusieurs lettres pour lui réclamer l'ouvrage de spiritualité que, lors de sa visite, il lui avait promis d'écrire44. En 1136, cédant enfin à ses instances, saint Bernard lui annonça par deux lettres l'envoi des premiers (no I à XXIII) sermons sur le Cantique des Cantiques. Il implorait longuement l'indulgence du chartreux, et sollicitait humblement son avis pour savoir s'il devait continuer l'œuvre entreprise. On ne sait quel fut le jugement de Bernard de Portes. Mais en tout état de cause, il semblerait donc bien que ce soit lui qui ait été, par son insistance obstinée, à l'origine de ce qui demeure sans doute la plus grande œuvre exégétique et mystique de l'abbé de Clairvaux45.
25Peu d'années après, saint Bernard envoyait une lettre de conseils spirituels et d'encouragements à persévérer dans la voie choisie à Hugues, jeune novice d'un monastère cistercien dont il ne cite pas le nom46. Trois textes postérieurs, la Vita prima de saint Bernard par Geoffroy d'Auxerre, la Vita de Hugues de Bonnevaux et le Chronicon de Hélinand de Froidmont, permettent d'identifier le correspondant de Bernard et son monastère47. Il s'agit de Hugues de Châteauneuf, neveu de saint Hugues, évêque de Grenoble, entré à l'abbaye du Miroir, fille de Cîteaux, après avoir été, enfant, clerc dans l'Église de Lyon. Il fut ensuite abbé de Léoncel puis de Bonnevaux48. Dans sa lettre, saint Bernard se réjouit d'abord de savoir que Hugues a choisi la voie la plus rude. Il y voit le signe de l'élection divine. Mais le chemin est difficile et semé d'embûches et de tentations contre lesquelles il propose le remède de la contemplation des plaies du Christ. Et surtout, il le met en garde, par des paroles très dures, contre sa famille et ses proches qui voudraient le voir renoncer à sa vocation et quitter le monastère49. Pour faire échec à ces tentatives, Bernard recommande au jeune Hugues de fuir le commerce des hommes et de se livrer à la prière. Hélinand de Froidmont indique de son côté que l'abbé de Clairvaux rendit visite un jour au jeune novice, et qu'il le trouva tellement faible qu'il demanda pour lui un certain nombre d'assouplissements à la règle, ce qui lui permit de se rétablir très vite50.
26On doit se demander maintenant pourquoi l'abbé de Clairvaux s'intéressait tant à ce jeune novice. Parce qu'il était le neveu de saint Hugues de Grenoble, pour lequel il avait une grande admiration ? Peut-être. Mais il y a une autre raison me semble-t-il, et qui nous ramène à Lyon. La Vita de Hugues de Bonnevaux indique qu'il avait d'abord été envoyé, enfant, à l'Église de Lyon où un de ses oncles Girin de Sal était chanoine. Il y recevait une solide formation jusqu'au jour où un moine du Miroir passant à Lyon le persuada d’embrasser une vie religieuse plus exigeante. Hugues le suivit, à l'insu de son oncle (ejus avunculo ignorante), qui le chercha ensuite partout en pleurant51. Là intervient la date à laquelle se sont produits ces faits. Girin de Sal, qui appartient à une importante famille forézienne, n'est connu comme chanoine à Lyon qu'à partir de 113952. Nous voilà à nouveau dans la période troublée de l'élection de Langres. Dès lors on peut supposer que Girin de Sal, qui accéda par la suite à d'importantes responsabilités dans le chapitre de Lyon (il fut précenteur, puis chamarier, puis abbé de Saint-Just), ne devait pas se ranger parmi les partisans de l'archevêque Foulques et de saint Bernard. Il n’apprécia pas sans doute que son neveu ait été en quelque sorte détourné, qui plus est par un moine cistercien, de la carrière que sa famille avait prévue pour lui, et il dut tout faire pour l'amener à revenir sur sa décision. Il était donc impératif pour saint Bernard d'apporter, contre les entreprises de récupération familiale, aide et conseil au jeune novice, même s'il n'appartenait pas à une abbaye-fille de Clairvaux. C'était aussi une autre manière de lutter contre la partie du chapitre hostile à son action à Lyon. C'est pourquoi, en l'absence d'autres indices, je daterai cette lettre de 1139 au plut tôt. Ces conseils de rester ferme dans sa décision qu'il lui a prodigués ont certes eu un résultat positif : Hugues de Bonnevaux fut un des plus grands abbés cisterciens du XIIe siècle. Mais d'un autre côté, cela ne contribua sûrement pas à améliorer l'image de l'abbé de Clairvaux dans l'Église de Lyon.
Un père et un protecteur
27Quand les deux seuls monastères cisterciens du diocèse existant du vivant de saint Bernard connurent des difficultés dans leurs rapports avec les communautés monastiques plus anciennes de leur voisinage, ils se tournèrent tout naturellement vers l'abbé de Clairvaux, champion de leur ordre. Si les raisons de son intervention sont assez semblables (problèmes liés au temporel ou aux dîmes), il y a d'importantes différences dans ses modalités.
28Pour La Bénisson-Dieu d'abord. Fondée en 1138 dans la filiation de Clairvaux, la nouvelle abbaye connut des débuts difficiles53. Elle se heurta tout de suite aux moines du prieuré tout proche de Noailly54, qui relevait de l'abbaye de Savigny, peut-être à propos de la délimitation des terres ou, par analogie avec le conflit qui venait d'éclater entre l'abbaye du Miroir et Gigny (infra), à propos de la perception des dîmes. La lettre que saint Bernard écrivit en faveur de ses fils cisterciens de La Bénisson-Dieu à l'archevêque Foulques de Lyon ne permet pas de le déterminer avec certitude puisqu'elle ne donne aucune précision sur les motifs de la discorde55. Dans cette lettre, l'abbé de Clairvaux commence par rappeler à son correspondant, tout récemment promu au siège archiépiscopal de Lyon, qu'il vient de le recommander chaudement par écrit au pape, car il pense qu'il agira toujours en serviteur zélé de l'Église. Il l'invite à faire preuve de cette qualité en jugeant entre les moines de La Bénisson-Dieu et ceux de Savigny (installés à Noailly) qui, à tort pense-t-il, les inquiètent. Enfin, il laisse clairement entendre à l'archevêque de Lyon qu'il attend de lui dans cette affaire une sentence favorable aux fils de Clairvaux, ajoutant que, derrière l'abbé et les moines de La Bénisson-Dieu, c'est lui-même, saint Bernard, qui est impliqué56. On ne sait quelle fut l'issue de cette affaire. En tout cas, on ne trouve pas trace d'un nouveau conflit entre les deux établissements avant 121957.
29Formellement, l’intervention de saint Bernard ne présentait aucun caractère exorbitant, tant au regard de la pratique cistercienne que des règles canoniques. Abbé de Clairvaux, abbaye-mère de La Bénisson-Dieu, il était tout à fait normal qu'il vînt en aide à sa fille menacée ; de même, il était parfaitement légitime qu'il s'adressât à l'archevêque de Lyon : les Cisterciens rejetaient encore l'exemption pour eux-mêmes, et de plus, Savigny n'était pas elle-même abbaye exempte. C'était donc bien la juridiction de l'ordinaire qui était compétente dans cette affaire. Quant à l'effet produit sur place par cette action, il est à peu près certain qu'il ne dut pas contribuer à disposer favorablement vis-à-vis du Nouveau Monachisme l'ancienne et encore puissante abbaye de Savigny, qui contrôlait une bonne partie de l'ouest lyonnais par son très dense réseau de prieurés. Monastère ancien ayant résisté à la réforme et à l'emprise clunisienne, elle n'était sûrement pas prête à voir d'un bon œil ce qui ne pouvait lui apparaître que comme une ingérence inadmissible dans la vie de ses propres prieurés. Et cela d'autant plus que le juge auquel saint Bernard faisait appel, l'archevêque de Lyon, Foulques, pouvait apparaître, compte tenu de leurs relations, partial aux moines de Savigny. Il y avait donc là de quoi rendre méfiants les milieux monastiques traditionnels, très présents par leurs dépendances dans les régions occidentales du diocèse. Et de fait il fallut attendre plus de quarante ans pour voir une deuxième abbaye cistercienne, Valbenoîte, naître en Forez58. Au total un bilan sans doute positif pour les moines blancs de La Bénisson-Dieu, mais plus probablement négatif pour la propagation de l'idéal cistercien dans cette partie du diocèse.
30Saint Bernard intervint aussi aux côtés des Cisterciens du Miroir dans le conflit qui les opposa vingt ans durant au prieuré clunisien voisin de Gigny. Ce dernier entendait bien, en effet, continuer à percevoir les dîmes sur les terres passées dans le domaine du Miroir, malgré l'exemption des dîmes accordée aux Cisterciens par Innocent II en 113259. La querelle prit une tout autre ampleur que celle qui vient d'être évoquée du fait de l'engagement de l'abbé de Cluny, Pierre le Vénérable, en faveur de Gigny, et de saint Bernard pour les moines du Miroir. Pour autant, il ne faudrait pas oublier les enjeux locaux, et ne faire de cette affaire, du fait de la présence des deux grands abbés, qu'un simple épisode dans l'affrontement Cluny/Cîteaux. Les faits sont bien connus60, et G. Constable en a minutieusement reconstitué le déroulement61. Je me contenterai d'en rappeler le canevas, simplement pour bien situer l'intervention de l'abbé de Clairvaux.
31Cette querelle, très dure, se déroula en deux phases, et saint Bernard n'apparut que dans la seconde. Dans un premier temps, en 1135-1137, des lettres de protestation indignée de Pierre le Vénérable nous apprennent que le pape Innocent II venait de jeter l'interdit sur le prieuré de Gigny, parce qu'il exigeait de ses voisins cisterciens du Miroir le paiement de dîmes. Puis après une quinzaine d'années de silence, le conflit rebondit. Les moines de Gigny avaient dû être encouragés dans le maintien de leurs exigences à l'égard du Miroir par la réaffirmation pontificale (de Lucius II, puis d'Eugène III) du droit des Clunisiens à percevoir les dîmes en général. Pierre le Vénérable, au nom de Gigny, et saint Bernard — qui apparaît ainsi pour la première fois dans cette affaire — au nom du Miroir, cherchèrent un terrain d'entente, lors de la visite de celui-ci à Cluny pendant l'hiver 1150-115162. Mais l'accord (dont nous ignorons la teneur) auquel ils parvinrent ne fut pas respecté par les moines de Gigny, qui lancèrent une attaque armée contre Le Miroir vers la fin de l'hiver 1151-1152, au cours de laquelle une grande partie des bâtiments abbatiaux fut détruite. Il est très probable que ce fut saint Bernard qui en informa aussitôt le pape par une lettre aujourd'hui perdue. Eugène III écrivit immédiatement (le 5 mars 1152) à l’archevêque de Lyon Humbert, lui enjoignant de jeter l'interdit sur Gigny et d’excommunier certains moines nommément désignés (dont le prieur, l'hôtelier et le doyen) si les dégâts commis n'étaient pas réparés dans les vingt jours après que l'avertissement pontifical leur ait été communiqué. Le 14 mars suivant, le pape, par une autre lettre très ferme de ton, ordonnait à Pierre le Vénérable d'user de son autorité pour dédommager les victimes de cette agression. Peu après, l'abbé de Cluny étant de retour d'un voyage à Rome, saint Bernard lui proposa une nouvelle entrevue pour accélérer le règlement du différend63. Elle eut lieu à Cluny le 8 juin 1152, en présence de moines de Gigny et de l'abbé du Miroir. Saint Bernard en fit immédiatement un compte-rendu au pape64. Les discussions, dit-il, durèrent quatre jours, et ne purent aboutir du fait de l’intransigeance obstinée et de la mauvaise foi des moines de Gigny. Les dommages subis avaient été évalués à la somme énorme de 30 000 sous. Les Cisterciens étaient cependant prêts à réviser ce chiffre à la baisse. Mais les propositions faites par Gigny furent tellement ridicules que Pierre le Vénérable lui-même n'osa pas les communiquer à l'abbé de Clairvaux. D’autre part, les mêmes moines de Gigny déclaraient qu’ils n’étaient en rien responsables de l'attaque contre Le Miroir, celle-ci ayant été menée par de mauvais moines (Quidam maligni de nostris totum malum fecerunt), excuse jugée risible autant par saint Bernard que par Pierre le Vénérable. C'était donc l'impasse, et seul le pape pouvait désormais faire quelque chose, conclut l'abbé de Clairvaux. Ce ne fut que deux ans après la mort de ce dernier qu'un accord fut trouvé entre les deux adversaires : il favorisait nettement les Clunisiens de Gigny65. Deux questions se posent maintenant si on veut mesurer l'impact de l'intervention de saint Bernard.
321. A quel titre s'est-il immiscé dans cette affaire ? Le Miroir n'étant pas, comme La Bénisson-Dieu, une fille de Clairvaux, ce n'est pas elle qui a dû faire appel à lui. Il faut plutôt, je pense, regarder du côté du chapitre général de l'ordre cistercien, et aussi sans doute du pape Eugène III. L'un et l'autre durent être soucieux d'appeler à la rescousse celui qui, dans l'ordre, paraissait le seul capable de faire le poids face à l'abbé de Cluny, engagé, lui, structure de l'ordre clunisien oblige, dès le début dans une affaire qui, si elle durait trop, risquait de devenir très dangereuse pour l'ordre tout entier. D'autre part, les relations entre les deux hommes, fondées sur une estime réciproque, étaient restées amicales malgré les différends passés. C'était le gage d'un accord possible dans lequel aucun des deux ne chercherait à écraser l'autre. On l'a vu, ce n'est pas tout à fait ce qui se produisit, à cause de la résistance d'une des parties en présence. Et justement, on peut se demander si le refus de tout compromis opposé par les moines de Gigny ne provint pas en partie de ce qu'ils récusaient absolument l'intervention de saint Bernard. Pour eux, ce dernier, ainsi imposé par le camp adverse, n'avait rien à faire dans leur querelle, d'autant plus que son autorité morale alors considérable en faisait un adversaire très dangereux. Mais il faut aller plus loin, et remarquer que ce rejet semble avoir englobé aussi, au moins à partir de 1151, l'abbé de Cluny lui-même. Par deux fois, on l'a vu, les Clunisiens de Gigny refusèrent de souscrire à des accords auxquels étaient parvenus les deux abbés ; de plus, aux dires de saint Bernard, en juin 1152, Pierre le Vénérable se désespérait de ne pouvoir leur faire entendre raison. Sans doute les moines de Gigny en étaient-ils venus à considérer que, si l'abbé de Clairvaux pouvait être un ennemi très dangereux, celui de Cluny (et donc le leur dans la logique des structures clunisiennes) les défendait trop mollement, et était plutôt enclin à rechercher un accord avec lui à leur détriment66. Toute intervention extérieure était donc à rejeter, tant celle de leurs ennemis que de leurs amis. Et l'attaque menée contre Le Miroir aurait alors été, pour les moines de Gigny, le moyen de manifester avec éclat cette récusation, et leur volonté de régler eux-mêmes ce qui leur paraissait ne relever que de leurs propres affaires.
332. Quel est le bilan de l'intervention proprement dite de Bernard de Clairvaux ? Il semble largement négatif. Il n'a pu faire admettre aucun accord, et celui auquel on arriva deux ans après sa mort fut, on l'a vu, nettement défavorable aux moines du Miroir. Cela montrait en tout cas que, sur un point alors très sensible pour l'économie monastique traditionnelle, les dîmes, les entreprises cisterciennes, même appuyées par le prestigieux abbé de Clairvaux, pouvaient être mises en échec.
Un homme d'influence
34Saint Bernard intervint à deux reprises, à la demande des intéressés semble-t-il, pour aider au règlement d'affaires concernant deux monastères du diocèse, Ainay et Saint-Oyend/Saint-Claude. Malheureusement ces interventions ne nous sont connues que par deux lettres du saint, qui, comme cela est souvent le cas dans sa correspondance telle qu'elle nous est parvenue, sont assez allusives. Et de plus nous ignorons le résultat des démarches entreprises.
35Premier « bénéficiaire » de la sollicitude de l'abbé de Clairvaux : l'abbaye d’Ainay. Sur ce très ancien établissement bénédictin sis alors au confluent du Rhône et de la Saône, l'archevêque de Lyon exerçait encore un pouvoir incontestable au XIIe siècle. Nous apprenons par une lettre adressée par saint Bernard au prélat lyonnais (dont le nom n'est pas cité), que ce dernier avait déposé l'abbé d'Ainay (également anonyme) à la suite d'une action judiciaire apparemment expéditive67. Mêlant assez habilement des arguments portant sur la procédure utilisée et sur le fond de l'affaire, Bernard s'emploie à en démontrer toutes les irrégularités. Après avoir dit à cet archevêque combien il avait bien gouverné son Église jusque là, il s'étonne de la précipitation avec laquelle il a jugé, condamné et déposé l’abbé d'Ainay, mais sans nous dire de quoi ce dernier était accusé. Et pourtant ajoute Bernard, cet homme était estimé de tous, et personne n'avait élevé de plainte contre lui. Prétendre, comme semblait le faire l'archevêque, que, l'abbé d'Ainay ayant refusé de se défendre et de produire des témoins comme il le lui demandait, cela prouvait sa culpabilité, lui paraît tout à fait abusif. De même qu'est inadmissible pour l'abbé de Clairvaux le fait que le prélat lyonnais n'ait pas respecté l'appel interjeté par le religieux. Après avoir fait remarquer que « les paroles précipitées ne conviennent pas à une prince de l'Église, surtout celles qui sont prononcées non pas dans les ténèbres, mais en pleine lumière. Je vous le dis : vous avez blessé bien des gens dans cette affaire, et beaucoup ont souffert de la persécution qui a frappé cet abbé... »68, saint Bernard termine sa lettre par une sorte de chantage. Nombreux, dit-il, ont été ceux qui l'ont pressé de porter tout cela à la connaissance de la cour romaine. Il a préféré en parler d'abord à l'archevêque pour lui demander qu'il révoque la sentence injuste qu’il a portée, laissant entendre par là que s'il n'obtenait pas satisfaction, alors il s'adresserait au pape.
36Pour la question qui nous occupe ici, cette lettre pose deux problèmes dont la résolution forme un tout : quels sont les personnages concernés, et pourquoi Bernard est-il intervenu ?
371. L'identification des acteurs lyonnais est rendue très difficile parce que la liste des abbés d’Ainay est très mal établie pour le XIIe siècle69. Les éditeurs successifs de la correspondance de saint Bernard ont à peu près tous rapporté cette lettre à l'archevêque Pierre, dont il a déjà été largement question, et proposé comme abbé d'Ainay Hugues, mentionné à partir de 1135-1136 ; ils donnent donc comme date 113670. Il semble qu'effectivement l'archevêque Pierre soit le destinataire qui convienne le mieux, du moins avant 1138. Après, en effet, se déclenche l'affaire de Langres, et on voit mal saint Bernard écrire dans ce contexte à celui qui était alors devenu son ennemi ces mots : « Vous êtes aujourd'hui dans l'Église de Dieu comme le cèdre qui s'élève au Liban, aimable, digne de louanges et cher à tous. Nous avons déjà de vous de grandes choses ; nous en attendons de plus grandes encore... »71. Il est fort peu vraisemblable d'autre part que cette lettre ait été envoyée soit avant l'épiscopat de Pierre, soit après, parce qu'on n'a alors aucune trace d'un quelconque conflit possible entre l'Église de Lyon et Ainay. Quant a l'abbé d'Ainay concerné, je ne pense pas qu'il s'agisse d'Hugues qui paraît en assez bons termes avec son archevêque en 1135-1136, puisque celui-ci renonce, sur ses remontrances, à reprendre quelques églises que ses prédécesseurs avaient concédées à Ainay72. En revanche les listes abbatiales placent un abbé Bérard juste avant Hugues, et dont on ne sait qu'une seule chose, c'est qu'il est inscrit à l'obituaire de Saint-Bénigne de Dijon au 29 novembre73. C'est lui, me semble-t-il, qui est en cause ici. Il n'a laissé aucune trace, peut-être parce qu'il a été déposé par l'archevêque très peu de temps après son avènement. Cette identification est confortée par la réponse à la deuxième question posée plus haut.
382. En effet, si on admet cette solution, l'intervention de saint Bernard s'explique assez bien. Puisqu'il figure dans son obituaire, cet abbé Bérard devait avoir des rapports avec Saint-Bénigne. Or on connaît les liens très étroits, notamment familiaux, qui unissaient Bernard à ce grand monastère74, et on peut donc supposer qu'il se soit mêlé de cette affaire, alerté par les Dijonnais. Ce pourrait bien être d'eux dont il parle quand il articule in fine ce qui nous était apparu comme une éventuelle menace envers l'archevêque de Lyon : « Je n’emploierai pas de paroles obscures. J’ai été sollicité par beaucoup de gens, dont on ne doit pas condamner les pières, d’écrire en sa (= l'abbé d'Ainay) faveur au Siège Apostolique. Mais comment cela aurait-il pu se faire, avant que je ne me sois adressé à mon seigneur et à mon père très cher ? »75. Je daterai donc cette lettre plutôt des années 1132-1135.
39On ne connaît pas la fin de l’affaire. Mais une fois de plus, l'intervention de saint Bernard n'a pas dû bien disposer en sa faveur l'Église de Lyon en la personne de son archevêque, dont il semblait remettre en cause l'autorité traditionnelle sur ce monastère.
40Dans des conditions toutes différentes, l’abbé de Clairvaux intervint aussi dans les affaires du monastère de Saint-Oyend. Nous en sommes informés par une lettre qu'il envoya au pape Eugène III en 1149115376. Il faut d'abord rappeler que Clairvaux et les Cisterciens en général ont entretenu très tôt d'excellentes relations avec le vénérable monastère jurassien77. Ce dernier possédait de nombreuses dépendances en Champagne dans les environs de Clairvaux, et l'abbé Adon I (1113-1147) se montra très généreux avec les Claravalliens78. En retour, saint Bernard appuya par exemple résolument Saint-Oyend auquel était contestée la possession d'églises de Bar-sur-Aube.
41Mais au milieu du XIIe siècle la situation semble se dégrader à Saint-Oyend. La lettre de saint Bernard s'en fait l'écho. Dégradation matérielle d'abord, dans les prieurés voisins de Clairvaux, dit-il, et aussi à l'abbaye-mère. Mais sans doute également crise plus générale de gouvernement. Encore que saint Bernard ne donne aucune précision. Comme il le fait souvent, il insinue et annonce au pape que le porteur de la lettre, le prieur Archegaud, lui donnera de vive voix ces informations qu'on ne peut pas confier à l'écrit. L'abbé de Clairvaux termine en implorant le pape d'intervenir au plus vite pour sauver ce monastère « dont la vie et la mort sont entre vos mains ». Mais il ne précise pas la nature de l'intervention qu'il sollicite.
42Selon R. Locatelli, tout cela serait étroitement lié au début de l'abbatiat d'Adon II (1149-1175), avec lequel culmine la crise matérielle, et qui voit se former contre lui un parti conduit par le prieur Archegaud, que connaît bien saint Bernard (il fut prieur de La Ferté-sur-Aube)79. Ce dernier semble donc appuyer son ami, et peut-être est-ce à sa demande qu’il écrit au pape. Mais pour obtenir quoi ? La destitution de l’abbé Adon II ? L’introduction de réformes dans l’abbaye ? On ne sait. En tout cas, là non plus, l'action de saint Bernard ne paraît pas avoir eu de résultats sensibles. Mais au moins, ici, il n'y eut pas d'effets négatifs visibles.
Un perturbateur
43Cette quatrième « fonction » que saint Bernard remplit dans ses rapports avec les monastères du diocèse nous ramène à la Chartreuse de Portes. A deux reprises, en effet, il est intervenu pour empêcher un chartreux de cette maison d’accéder à l'épiscopat. Selon des modalités et avec des conséquences très différentes dans les deux cas.
44En 1136 d’abord. Nous apprenons par une lettre qu'il adresse à Innocent II que l'abbé de Clairvaux est très inquiet de l'éventuelle promotion, voulue par le pape, de Bernard de Portes à un siège épiscopal (non précisé) de Lombardie80. Il s'agit du même personnage que celui, déjà rencontré, auquel il avait envoyé les premiers sermons sur le Cantique des Cantiques. Ce n'est pas que saint Bernard émette des réserves quant aux aptitudes spirituelles ou morales du chartreux. Au contraire. On a déjà vu à quel point il l'estimait, et il rappelle dans cette lettre « que ne doit pas vivre pour lui seul celui qui peut en amener d'autres à la vie ». Ce qu'il craint en réalité ce sont ses futurs diocésains, dont il dresse au pape un portrait fort peu engageant : « Qui ne connaît l'insolence et l'agitation perpétuelle des Lombards ? Et qui mieux que vous ? Vous savez mieux que nous combien ce diocèse est agité, combien c'est une demeure houleuse. Qu'arrivera-t-il à ce jeune homme à la santé très frêle et habitué à la solitude du désert, quand il se trouvera au milieu de ce peuple barbare, inquiétant et troublé ?... »81. Aussi, saint Bernard demande-t-il au pape de renoncer non pas à la promotion de Bernard de Portes à l'épiscopat, mais à sa nomination en Lombardie. Il l'invite en conséquence à penser à lui pour un siège plus calme.
45L'abbé de Clairvaux s'était adressé à Innocent II comme à celui qui avait nommé Bernard de Portes évêque en Lombardie. On ne sait à quel titre le pape était intervenu dans cette désignation. Peut-être à la suite d'une élection contestée, ce qui expliquerait les allusions faites aux troubles agitant le diocèse en question. Quoi qu'il en soit, le souhait de saint Bernard fut exaucé : le chartreux ne quitta pas son Bugey et il devint cette même année 1136 évêque de Belley82.
46On ne sait à la prière de qui l'abbé de Clairvaux écrivit au pape. Peut-être avait-il été alerté par les chartreux de Portes eux-mêmes, inquiets de perdre un des leurs parmi les meilleurs ? Certes, dans cette affaire, son intervention fut perturbatrice. Mais sans doute davantage pour le pape, dont il avait contrecarré les projets, que pour les moines de Portes. Aussi ne suscita-t-elle pas de protestation de leur part.
47Il n'en fut pas de même une petite quinzaine d'années plus tard ; en 1149-1150, à l'occasion de l'élection épiscopale de Grenoble à laquelle les chartreux de Portes furent étroitement mêlés83.
48En 1148, Hugues II, évêque de Grenoble et ancien chartreux, fut promu à l'archevêché de Vienne. Quelque temps après, les chanoines grenoblois élurent pour lui succéder Noël, chartreux de Portes, dont saint Bernard nous dit qu'il était encore très jeune. Plusieurs raisons firent que le prieur de la Grande Chartreuse, Anthelme, bientôt appuyé par Pierre le Vénérable, puis par saint Bernard s'opposèrent à son élection. On pouvait en effet craindre l'inexpérience ou l'ambition de l'élu ; on avait aussi du mal à admettre du côté de la Grande Chartreuse que le siège de Grenoble pût échapper à un fils de cette maison ou échoir à un chartreux de Portes84. On alerta donc le pape qui cassa l'élection. Se produisit alors une chose inouïe dans l'ordre cartusien : des chartreux favorables à Noël quittèrent leur monastère (Portes sans doute) sans permission, et allèrent demander au pape de revenir sur sa décision. Là, les faits ne sont pas très clairs85. Mais au bout du compte, Eugène III, auquel Pierre le Vénérable et saint Bernard avaient écrit, ayant confirmé l'annulation de l'élection, ce fut un chartreux de la Grande Chartreuse, Otmar, qui devint évêque de Grenoble. Ce différend provoqua une grave crise dans l'ordre cartusien, dressant les unes contres les autres les chartreuses du Bugey derrière Portes et celles du Dauphiné derrière la Grande Chartreuse, et entraînant probablement à terme la démission du prieur Anthelme (1151).
49Mais ce qui nous importe ici, c'est de constater que le rôle joué par saint Bernard dans ce conflit lui attira une très forte inimitié de la part des chartreux de Portes. Et pourtant, il faut remarquer que son intervention ne vient qu'en deuxième ligne, derrière celle de Pierre le Vénérable, qu'il remercie d'ailleurs de l'avoir éclairé sur cette affaire et auquel il déclare qu'il suivra en tout son point de vue86. La lettre que l'abbé de Clairvaux adresse au prieur de Portes87, et dans laquelle il se justifie des accusations que ce dernier a portées contre lui dans une lettre aujourd'hui perdue, nous permet de mesurer l'ampleur de l'hostilité qu'il avait suscitée.
50Saint Bernard alterne deux attitudes pour justifier sa conduite :
511. Il est d'abord sur la défensive en tentant de faire justice de trois reproches articulés contre lui : jamais, déclare-t-il, il n'a voulu manifester dans une lettre un quelconque motif de mécontentement contre Bernard de Portes ; il affirme d'autre part n'être pour rien dans la décision prise par le pape à l'encontre de l'élection de Noël, dont il pense que, le jour venu, il pourra faire un bon évêque ; enfin il assure n'avoir aucune responsabilité dans la lettre désobligeante adressée à Portes par l'abbé de Chézy-sur-Marne88, son ami, auquel il n'a pas communiqué celle que les moines de Portes lui avaient envoyée.
52On voit bien, à travers ces reproches, l'image que l'on pouvait se faire de l'abbé de Clairvaux à Portes. Celle d'un homme n'hésitant pas à s'occuper d'affaires ne le concernant pas, et à y mêler ses nombreuses relations ; celle aussi de maître occulte de la chrétienté, inspirant et dictant au pape, le cistercien Eugène III, sa conduite. Et sans doute, sur ce point là, la conviction des chartreux de Portes devait être inébranlable.
532. Mais saint Bernard, beaucoup plus habilement, adopte aussi une position plus offensive. Il insiste d’abord sur la grande admiration que la sainteté des chartreux a toujours éveillée en lui. Certes, ils pourraient se sentir humiliés de ce qui vient d'arriver à l’un d’entre eux : mais n’est-ce pas justement le propre de la sainteté que de se réjouir d'être humilié ? Et si Noël n'a pas adopté cette attitude, c'est qu'il n'était chartreux que depuis trop peu de temps, et donc qu'il devait attendre encore avant d'accéder à l'épiscopat. C'est pour cela que le pape a refusé son élection : dans son intérêt et dans celui de l’ordre tout entier.
54Là non plus on ne connaît pas la réaction du correspondant de l'abbé de Clairvaux. L’argumentation de ce dernier permit-elle de dissiper ce qui n'était à ses yeux qu'un malentendu ? En tout cas, un tel conflit dut laisser quelques traces, non seulement à Portes ou dans l'ordre cartusien, mais aussi à Lyon. Il ne faut pas oublier en effet la grande sollicitude manifestée dès sa fondation par les archevêques de Lyon à l'égard de cette chartreuse89.
55Le bilan de toutes ces interventions de saint Bernard, qui n'ont concerné qu'exceptionnellement les monastères les plus anciens et les mieux implantés du diocèse de Lyon, paraît bien mince. Bien plus, il serait plutôt négatif quant à une éventuelle propagation dans ces milieux monastiques traditionnels des idéaux cisterciens. Et il faudrait encore ajouter le fait que certaines initiatives de l'abbé de Clairvaux concernant tel ou tel établissement, lié pour diverses raisons à l'Église de Lyon, ont largement contribué à renforcer la prévention que celle-ci s'était mise peu à peu à nourrir à son encontre.
56Quatre remarques en guise de conclusion pour apporter un début de réponse à la question posée au départ de cette étude.
- Tant qu'il n’intervient pas directement dans la vie de l'Église de Lyon et des monastères du diocèse, c'est-à-dire jusque vers 1135, l'abbé de Clairvaux ne suscite chez eux ni enthousiasme particulier, ni rejet, mais une indifférence évidente.
- Tout change dans les années 1138-1141, qui voient la consécration de saint Bernard, tout auréolé du succès remporté dans la résolution du schisme d'Anaclet, comme personnalité majeure de la chrétienté occidentale. Mettant en jeu cette autorité nouvellement acquise, il s’oppose alors violemment, à l'occasion de l’élection contestée de Langres, à l'archevêque de Lyon, en qui il ne voit qu'un pion joué par l'abbé de Cluny. Puis, profitant des circonstances et croyant disposer de partisans sur place, il intervient directement dans la vie même de l'Église de Lyon et de certains monastères qui lui étaient liés. A l'indifférence lyonnaise succède alors l'hostilité.
- En agissant ainsi, l'abbé de Clairvaux montrait beaucoup de présomption ou plutôt d'ignorance quant aux structures et aux traditions (pour ne pas dire mentalités) de cette Église. S'il saisit bien l'importance du pouvoir archiépiscopal, au point de chercher à le faire exercer par un clerc lyonnais qui pouvait lui être favorable, il ne comprend pas, en revanche, que ceux qui, localement, semblent le suivre, sont davantage des adversaires d’une trop forte emprise clunisienne que d'ardents défenseurs du Nouveau Monachisme ; ou encore qu'il y a dans l'Eglise de Lyon depuis deux ou trois siècles une très forte prévention contre toute ingérence des réguliers dans ses affaires, surtout quand l'autorité dont ces derniers dépendent est située hors du diocèse.
- Les maladresses ainsi accumulées durant cette période d'intense activité fondatrice cistercienne ont certainement constitué un frein à l'implantation des monastères de moines blancs dans le diocèse. Elles ont pu avoir un effet durable, puisqu'ils sont toujours très peu nombreux à la fin du XIIe siècle90. Mais il ne faut probablement pas faire porter toute la responsabilité de ces réticences au seul saint Bernard. Outre le refus déjà évoqué des structures ecclésiales locales, ne faudrait-il pas aussi faire entrer en ligne de compte l'absence dans la région (sauf en Forez) d'une aristocratie assez riche pour initier de telles fondations monastiques, et le fait que les principales familles seigneuriales étaient très liées matériellement et spirituellement aux abbayes et chapitres anciens ?
Notes de bas de page
1 Cf. supra l'article de A.H. Bredero, « Saint Bernard est-il né en 1090 ou 1091 ? ».
2 M. Pacaut, « La filiation claravallienne dans la genèse de l'ordre cistercien » dans Histoire de Clairvaux, Actes du Colloque de juin 1990, Association Renaissance de l'abbaye de Clairvaux, 1991, p. 135-147.
3 B. Bligny, L’Église et les ordres religieux dans le royaume de Bourgogne aux XIe et XIIe siècles, Paris, 1960, p. 326-394.
4 M. Reymond, « L'œuvre de saint Bernard dans les diocèses de Lausanne et de Genève » dans Saint Bernard et son temps, Assoc. bourguignonne des soc. sav., Congrès de 1927, t. I, Dijon, 1928, p. 252-261 ; R. Locatelli, « L'implantation cistercienne dans le comté de Bourgogne jusqu'au milieu du XIIe siècle » dans Aspects de la vie conventuelle aux XIe et XIIe siècles, Ve congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l'Enseignement Supérieur Public, Saint-Etienne 1974, Cahiers d'Histoire, XX, 1975, p. 59-112 : 12 abbayes cisterciennes d'hommes et 3 de femmes dans le diocèse de Besançon à la mort de saint Bernard ; J. Berlioz, Saint Bernard en Bourgogne, Lieux et mémoire, Dijon, 1990.
5 Le Miroir, Saône-et-Loire, arr. Louhans, cant. Cuiseaux : La Bénisson-Dieu, Loire, arr. Roanne, cant. Pouilly-sous-Charlieu.
6 En Dombes, Bresse et Bugey : cf. R. Fedou dans Histoire du diocèse de Lyon (dir. J. Gadille), coll. « Histoire des diocèses de France », 16, Paris, 1983, p. 83.
7 Lettres 22,153 à 155,164 à 174, 250, 283, 291, 307, 322, 394 et 501 à 504. J'utilise l’édition de J. Leclercq et H.M. Pochais, S. Bernardi opera, t. VII et VIII, Rome, 1974 et 1977.
8 Contrairement à E. Vacandard, Vie de saint Bernard, abbé de Clairvaux, t. II, Paris, 1895, p. 82-83, qui datait la célèbre lettre 174 de saint Bernard au chapitre de Lyon des années 1128-1130, L. Grill, « Die angebliche Gegnerschaft des hi. Bernhard von Clairvaux zum Dogma von der Unbefleckten Empfängnis Marias » dans Analecta Sacri Ordinis Cisterciensis, XVI, 1960, p. 60-91, ici p. 61-63, a démontré qu'elle avait été écrite après la fin du conflit de Langres, c'est-à-dire après mai 1139. Je préciserai ci-dessous cette datation.
9 Cf. les passages biens connus de la lettre 42 (1127-1128) à Henri archevêque de Sens (rangée parfois parmi les traités de saint Bernard sous le titre De moribus et officio episcoporum), op. cit., t. VII, p. 127-128, et du De consideratione, II., III, IV, 18, S. Bernardi opera, t. III, Tractatus et opuscula, Rome, 1963, p. 445-446. Sur cette question voir par exemple B. Jacqueline, « A propos de l'exemption monastique » dans Bernard de Clairvaux, Paris, 1953, p. 339-343.
10 J'adopte, pour les deux principaux textes bernardins hostiles à Cluny, la datation retenue par A.H. Bredero, « Cluny et Cîteaux. Les origines de la controverse » dans Studi Medievali, 3e sér. XII, 1971, p. 135-175, repris dans Cluny et Citeaux au XIIe siècle. L'histoire d'une controverse monastique, Amsterdam, 1985, p. 30-35 : 1124 pour la lettre de saint Bernard à Robert de Châtillon et 1125 pour l'Apologie à Guillaume de Saint-Thierry.
11 Cf. sur cette affaire et ses prolongements l’étude très fouillée de G.M. Cantarella, « Cluny, Lione, Roma (1119-1142) » dans Revue Bénédictine, Xc, 1980, p. 263-287 à laquelle j'emprunte beaucoup.
12 Lettre 22, op. cit., p. 72-73. Le ton amical de cette lettre envoyée sans doute après l'échec définitif de Pons à Cluny — dont Humbald fut un des principaux artisans — semblerait aller contre l'interprétation donnée par A.H. Bredero de la crise provoquée par Pons. En effet, si celui-ci avait été le chef d'un parti souhaitant réformer profondément Cluny dans le sens du Nouveau Monachisme, on ne comprendrait plus très bien que Bernard ait pu à peu près en même temps proclamer son amitié pour un des responsables de sa chute.
13 M. Rubellin, « Monastère et évêques dans le diocèse de Lyon aux IXe et Xe siècles » dans Bulletin du C.A.H.M.E.R. no 3,1991, p. 88-91.
14 C'est à cette situation que fait très certainement allusion Pierre le Vénérable quand il dresse un très sombre tableau de l'état de la vie monastique du diocèse dans une lettre (no 38) de 1131-1133 à l'archevêque Pierre de Lyon : The Letters of Peter the Venerable, éd. G. Constable, t. I, Cambridge (Mass.), 1967, p. 128-130.
Sur la question de la déposition de Pons de Melgueil et de sa tentative pour se réinstaller à Cluny, cf. M. Pacaut, L'Ordre de Cluny (909-1789), Paris, 1986, p. 194-204, qui donne une très bonne synthèse des débats historiographiques auxquels elle a donné lieu récemment.
15 Outre celle citée ci-dessus, cf. la lettre 54 (1138) de Pierre le Vénérable à Pierre archevêque de Lyon, op. cit., p. 174-175, et celle (no 21) par laquelle, au début de 1138, il recommande l'archevêque Pierre au pape Innocent II, ibid., p. 42.
16 Lettre 38, op. cit., p. 125-126.
17 Cette affaire est connue surtout par la correspondance de saint Bernard : quatre lettres au pape Innocent II (164, 166, 167, 169, S. Bernardi opera..., t. VII, p. 372-375, 377-379, 382), deux a la Curie (168, 501, ibid., t. VII, p. 381-382, t. VIII, p. 458-459), une à Foulques, doyen, et Guy, trésorier de Lyon (165, ibid., t. VII, p. 375-376) et une au roi Louis VII (170, ibid., t. VII, p. 383-385) ; également par la correspondance de Pierre le Vénérable : trois lettres à Innocent II (32, 64, 72) éd. G. Constable, t. I, p. 106-107, 193-194, 206, une à saint Bernard (29) ibid., p. 101-103, et une à Atto évêque de Troyes (70) ibid., p. 20. La lettre 164 de saint Bernard donne un récit très détaillé de l'affaire telle que l'interprète son auteur ; il faut la confronter à la lettre 29 de Pierre le Vénérable.
Très nombreuses études : par exemple E. Vacandard, op. cit., p. 26-36 ; M. Pacaut, Louis VII et les élections épiscopales dans le royaume de France, Paris, 1957, p. 33-57 et 83-91 ; et surtout G. Constable, « The disputed election at Langres in 1138 » dans Traditio, 1957, p. 119-152, qui a établi de façon très sûre, et dans le détail, le déroulement et la chronologie des faits.
18 Lettre 32 en faveur de Pierre de Lyon, et 72 en faveur du doyen Robert (si celui-ci est bien le fils du duc Hugues II de Bourgogne), op. cit., p. 106-107.
19 Canon 28 : R. Foreville, Latran I, I, III et Latran IV, Paris, 1965, p. 193. Cette attitude est, chez saint Bernard, la contrepartie logique du refus de l'exemption : ceux qui acceptent de se soumettre à l'autorité de l'évêque doivent avoir un droit de regard sur sa désignation.
20 Lettre 166 à Innocent II : « ... Père, ils n'ont pas craint d'élire en ne respectant pas ta prudente et juste décision, et ils ont aussi osé consacrer malgré l'appel fait à toi. Et ceux qui ont fait cela, ce sont l'archevêque de Lyon et les évêques de Macon et d’Autun, tous amis de Cluny », S. Bernardi opera..., t. VII, p. 377 ; lettre 168 aux évêques et cardinaux de la Curie romaine : « ... Les dieux puissants de la terre, à savoir l'archevêque de Lyon et l’abbé de Cluny, se sont levés. Confiants dans leur force et fiers de leurs considérables richesses, ils se sont dressés contre moi. Et pas seulement contre moi, mais aussi contre une grande multitude de serviteurs de Dieu, contre vous-mêmes, contre eux-mêmes, contre Dieu et contre l'équité et l'honneur. », ibid., p. 380.
21 Lettre 166 : cf. n. 20.
22 Écrivant au pape Innocent II pour lui raconter ce qu'il avait constaté à Lyon, et comment l'archevêque de Lyon se préparait à consacrer Guillaume de Sabran, il ajoute : « Cependant le doyen et, si je ne me trompe, la plupart des chanoines s'y opposaient fermement et ouvertement », Lettre 164, op. cit., t. VII, p. 373. De même, au doyen Foulques et au trésorier Guy, plaignant le sort de l'Église de Langres : « Ce qui accroît encore la douleur et fait presque désespérer de la guérison, c'est que cette tribulation est venue de l'endroit d'où devrait venir le réconfort. O malheureuse ! qui donc t'a porté le mauvais coup dont tu souffres ? Ce n'est pas un ennemi, ni quelqu'un qui te haïrait. Non. C'est un ami, ton chef et ton métropolitain... », Lettre 165, ibid., p. 375-376. Cependant, dans cette même lettre, et en contradiction complète avec ce qu'il écrivait au pape, saint Bernard déclarait à ses deux correspondants : « Quelles louanges vous adresserai-je, frères bien-aimés, à vous qui, seuls avez pris part à la douleur de l'affligée (= l'Église de Langres), qui vous êtes levés une première puis une deuxième fois pour défendre l’opprimée (idem), montant du milieu des ennemis et opposant un mur pour la maison d'Israël. Il ne s’est trouvé personne d’autre que vous dans cette assemblée pour respecter la loi du Très-Haut, obéir aux sacrés canons, agir avec le zèle de Phinée et confondre les fornicateurs avec le glaive de la parole... », ibid., p. 376.
23 Lettre 164, ibid., p. 372-373 ; l'accusation de non respect de ces engagements est clairement formulée dans la lettre 167 à Innocent II, ibid., 378-379.
24 Lettre 164, ibid, p. 374.
25 La lettre 167 à Innocent II, ov. cit., p. 378-379, semble étayer cette hypothèse : elle est consacré avant tout à dénoncer la responsabilité de l'archevêque, et saint Bernard indique au pape que le porteur de cette missive lui transmettra de vive voix ce que lui, saint Bernard, voudrait que le pape décide. Ce pourrait bien être la demande d'éloignement du prélat, chose difficile sans doute à confier à l'écrit.
26 G.M. Cantarella, art. cit., p. 279 parle seulement de décision « étrange » à propos de l'envoi de l'archevêque Pierre en Terre-Sainte ; quant à G. Constable, art. cit., p. 139, il y voit la preuve que, malgré la consécration « sacrilège » qu'il avait accordée à Guillaume de Sabran, le prélat lyonnais avait gardé la confiance du pape... Vision des choses quelque peu irénique, me semble-t-il.
27 Cf. ci-dessus n. 19.
28 Saint Bernard terminait sa lettre (165) à Foulques et à Guy par cette phrase qui est un encouragement très net à poursuivre l’action : « Puisque par votre action, la gloire de Dieu et la vôtre éclatent, il reste à achever ce qui a été si bien commencé, de façon à ce que vous rattachiez la queue à la tête de la victime », op. cit., p. 376.
29 Lettre 171 à Innocent II, op. cit., t. VII, p. 385.
30 Lettres 171,172 (écrite au nom du nouvel évêque de Langres Geoffroy de la Roche), 502, 503, 504 (à Luc, cardinal-prêtre de Saint-Jean et Saint-Paul), op. cit., t. VII, p. 385-386, t. VIII, p. 459-461. Les deux premières suivent de peu la consécration de Foulques comme archevêque de Lyon ; les trois dernières peuvent être de la fin 1139-début 1140.
31 Lette 171, op. cit., p. 385-386. Sans que le mot précis soit utilisé, cette lettre et la suivante peuvent être considérées comme des demandes d'octroi de pallium pour le nouvel archevêque.
32 J'analyse ici la lettre 502 à Innocent II, loc. cit., la plus explicite sur les difficultés rencontrées par le nouvel archevêque de Lyon.
33 Bulle du 17 mai 1140/1 adressée à Pierre le Vénérable, P.L., t. 179, c. 632. L'abbé de Cluny fait allusion à ces incidents dans la lettre 100 envoyée aux clercs lyonnais vers la fin 1141, éd. Constable, t. I, p. 250-261, et sans doute aussi dans la lettre 32 adressée au pape Innocent II, ibid., p. 106-107, que G.M. Cantarella, « Due note cluniacensi » dans Studi Medievali, 3e série, XVI, 1975, p. 777-779, préfère dater du printemps 1138.
34 A. Dimier, « Outrances et roueries de saint Bernard » dans Pierre le Vénérable et Pierre Abélard... Colloque de Cluny, juillet 1972, Paris, C.N.R.S., 1975, p. 653-667.
35 G.M. Cantarella, « Cluny, Lione, Roma (1119-1142) », art. cit., p. 285. Lettres de Pierre le Vénérable au pape Innocent II : n. 32 (cf. supra, no 33), 99 (fin 1142-début 1143 selon G.M. Cantarella « Due note cluniacensi », art. cit., p. 779-780) ; aux clercs de Lyon, no 100 (fin 1141), éd. G. Constable, t. I, p. 106-107, 259-260, 260-261.
36 Sur cet aspect dont je ne reprendrai pas l'examen ici, il existe une très abondante littérature. L'historien privilegiera les études qui ne cherchent pas critiquer ou à approuver la position de saint Bernard au regard de l'évolution dogmatique ultérieure et de la reconnaissance du dogme de l'immaculée Conception en 1854. Voir par exemple, outre l'article de L. Grill cité ci-dessus n. 8, H. Barre, « Saint Bernard, docteur marial » dans Analecta sam ordinis cisterciensis, IX, 1953, p. 92-113 (not. p. 100-103) ; M.A. Fracheboud, « La lettre 174 de saint Bernard et les divers facteurs du développement dogmatique » dans Collectanea ordinis cisterciensium reformatorum, 17, 1955, p. 186-200 : F. Gastaldelli, « San Bernardo e l’Immacolata Concezione, le ragioni teologiche delle lettera 174 » dans Analecta Cisterciensia, 1988, p. 190-200.
37 Lettre 174, op. cit., t. VII, p. 392. Donnant l'exemple de sa parfaite obéissance, saint Bernard ajoute qu'il est prêt à changer d'opinion si l'Église romaine juge la sienne condamnable.
38 L. Grill, art. cit., p. 63, qui place l’envoi de cette lettre pendant la vacance ayant précédé l'élection de Foulques.
39 Sur cette tradition cf. M. Rubellin, « Le pape et l'Église de Rome vus de Lyon dans la première moitié du IXe siècle » dans Cahiers d'histoire, XXX, 1985, p. 219-224.
40 Saint-Martin d'Ainay à Lyon, attesté au IXe siècle, mais fondé sans doute avant ; Saint-Claude, l'ancien Condat, puis Saint-Oyend, le célèbre monastère du Jura établie par saint Romain vers 435 ; Savigny (Rhône, arr. Lyon, cant. L'Arbresle), très importante abbaye de l'ouest lyonnais qui apparaît au début du IXe siècle ; Gigny (Jura, arr. Lons-le-Saunier, cant. Saint-Julien), institué vers 888-890 par Bernon futur fondateur de Cluny.
41 La chartreuse de Portes (Ain, arr. Belley, cant. Lhuis, cne Bénonces) fut fondée en 1115 par deux moines de l'abbaye voisine d'Ambronay. Sur les débuts de cette chartreuse, voir J. Dubois, « Moines et monastères du Bugey » dans Le Bugey, XLIX, 1962, p. 21-23, M. Courthaliac, Les débuts de la chartreuse de Portes (1115-1160), Mémoire de maîtrise d'histoire, Univ. Lyon II, 1970, et J. Picard, « La Grande Chartreuse et les chartreuses de Portes, Sélignac et Pierre-Châtel » dans Analecta Cartusiana, 61, Salzbourg, 1986.
42 En 1136, saint Bernard écrit à Bernard de Portes : « Me souvenant de mon ancienne promesse, j'ai eu la ferme intention et le grand désir de passer chez vous pour revoir ceux que mon cœur aime... » (Lettre 154, op. cit. t. VII, p. 361). Il ajoute qu'il ne pourra réaliser ce projet, le service de Dieu l'ayant appelé ailleurs.
43 J. Picard, Vie de saint Anthelme évêque de Belley, chartreux, Belley, 1978, p. 64-67 (dont l’argumentation est reprise dans l'introduction des Lettres des premiers chartreux, t. II, Les moines de Portes, Bernard, Jean, Etienne, coll. « Sources Chrétiennes », 274, Paris, 1980, p. 17-24) a désormais bien établi la distinction entre Bernard, fondateur et premier prieur de Portes de 1115 à 1141, puis de 1152 ca à 1155, qui mourut en 1156-1157, et Bernard de Portes, entré à la chartreuse vers 1125, qui fut évêque de Belley de 1136 à 1141, puis prieur de Portes de 1141 jusqu'à sa mort en 1152. C’est à ce dernier que les deux lettres 153 et 154 de saint Bernard sont adressées en 1136.
44 Les lettres de Bernard de Portes sont perdues. C'est l'abbé de Clairvaux qui en fait mention dans sa première lettre au chartreux : Nam voluntatem tuam et curam in hoc satis produnt crebare epistolae tuae... (Lettre 153, op. cit., t. VII, p. 359).
45 Ce n'est pas le lieu ici d'étudier ce vaste ensemble : cf. l'ouvrage classique de E. Gilson, La théologie mystique de saint Bernard, 2e éd., Paris, 1947 ; brève analyse commode dans J. Jolivet et J. Verger, Bernard — Abélard, ou le cloître et l'école, Paris, 1983, p. 133-143.
46 Lettre 322, S. Bernardi opera.., t. VIII, p. 256-258. Reproduisant l'erreur commise par Mabillon, les éditeurs indiquent que le destinataire de cette lettre est Hugues, plus tard abbé de Bonneval dans le diocèse de Besançon, alors qu'il s'agit de Bonnevaux, diocèse de Vienne (Isère, arr. Vienne, cant. Saint-Jean-de-Bournay, cant. Villeneuve-de-Marc).
47 Vita prima, P.L., t. 185, c. 345 ; Vita de Hugues de Bonnevaux, éd. par Un Moine de Tamié (A. Dimier), Saint Hugues de Bonnevaux de l'Ordre de Citeaux (1120-1194), Grenoble, 1941, p. 277-280 ; Helinand De Froidmont, Chronicon, P.L., t. 212, c. 1078.
48 Il y a eu longtemps désaccord pour identifier l’abbaye en question. Seule la Vita d'Hugues de Bonnevaux parle du Miroir. Hélinand de Froidmont fait entrer Hugues à Maizières fille de La Ferté, au diocèse de Chalon-sur-Saône. Avec A. Dimier, op. cit. note précédente p. 13-15, on peut se fier à l'hagiographe de Hugues de Bonnevaux, moine de Bonnevaux lui-même, écrivant environ vingt ans après la mort du saint en se fondant sur le témoignage de Raoul qui fut son secrétaire.
49 Après avoir cité la lettre de saint Jérôme à Héliodore, dans laquelle le saint déclare qu'un fils doit fouler aux pieds père et mère s’ils s'opposent à sa vocation religieuse, saint Bernard ajoute : « Ne te laisse pas émouvoir par les larmes de ces insensés qui se lamentent de ce que de fils du démon tu deviennes fils de Dieu. Quelle sinistre passion, quel amour si cruel, quelle affection si injuste animent ces malheureux ?... », loc. cit., p. 257.
50 L'ayant fait admettre à l'infirmerie, saint Bernard demanda à ce qu'il puisse dire les Vigiles plus tôt, et à ce qu’il ait la permission de parler (dans l'infirmerie sans doute), loc. cit. Geoffroy d'Auxerre parle aussi d'Hugues qui, malade, aurait recouvré la santé en suspendant à son cou la lettre reçue de saint Bernard, loc. cit..
51 Loc. cit., p. 277-278. Geoffroy d'Auxerre, loc. cit., dit que Hugues, avant de devenir moine cistercien fut Lugdunensis Ecclesiae filius.
52 J. Beyssac, Les chanoines de l'Église de Lyon, Lyon, 1914, p. 30.Il dut mourir vers 1180.
53 Ils sont aussi assez obscurs, aucune charte de fondation n'ayant été conservée ; la date de 1138 est habituellement retenue sur la foi d’une inscription aujourd'hui disparue, mais qui existait encore au XVIIe siècle ; saint Bernard a-t-il visité le nouveau monastère lors de son voyage de retour de Rome au cours duquel il passa à Lyon en juin 1138 ? Voir sur tout cela, outre l'ouvrage ancien de l'abbé J. Bache, L'abbaye de La Benisson-Dieu, Lyon 1880, rééd. 1987, p. 15-19, les travaux récents de P. Peyron, Trois abbayes cisterciennes du Forez : La Bénisson-Dieu, Valbenoîte et Bonlieu, Saint-Etienne, s. d., et « Les origines de l'abbaye de La Bénisson-Dieu : le modèle cistercien » dans La Bénisson-Dieu. 850e anniversaire de la fondation de l'abbaye (1138-1988), Colloque sur le monachisme cistercien, 20 août 1988, p. 16-22.
54 Noailly, Loire, arr. Roanne, cant. Saint-Haon-le-Châtel.
55 Lettre 173 (1139, après mai), op. cit., t. VII, p. 387.
56 « Quod enim uni ex illis (= les moines de La Bénisson-Dieu) feceritis, mihi, immo Christo, facietis... Tenere quippe diligo eum (= Albéric, abbé de La Bénisson-Dieu) tamquam mater unicum filium, et diliget eum qui diligit me. Denique in eo experiar si me curatis... », ibid.
57 Zacharie, abbé de La Bénisson-Dieu, passe alors un accord avec les prieurs de Noailly et de Charlieu au sujet de la perception des dîmes.
58 Valbenoîte, aujourd'hui quartier de Saint-Etienne, fondée entre 1183 et 1190, fille de Bonnevaux et donc petite-fille de Cîteaux.
Le fait que l'abbé et deux moines de Savigny souscrivent en 1160 une charte de donation du comte Guy II de Forez à La Bénisson-Dieu (Chartes du Forez antérieurs au XIVe siècle, éd. par G. Guichard, Comte de Neufbourg, E. Perroy, J.E. Dufour, M. Gonon, E. Fournial, t. XVI, no 1287) ne signifie pas, à mon avis, un changement d'attitude de cette abbaye vis-à-vis du mouvement cistercien. Il est bien davantage à considérer dans le cadre des rivalités politiques qui traversent alors la région, et du jeu d'équilibre que tente de mener Savigny entre l'Église de Lyon et le comte de Forez notamment. Cf. P.R. Gaussin, « De la seigneurie rurale à la baronnie : l’abbaye de Savigny en Lyonnais » dans Le Moyen Ave, 1955, p. 139-176, ici p. 146-148.
59 P.L., t. 179, c. 123.
60 Jusqu'en 1153, par six lettres de Pierre le Vénérable : quatre de 1135-1137 concernant la première phase du conflit (au pape Innocent II, à Aymeric, chancelier de l'Église romaine et aux abbés de l'ordre de Cîteaux : lettres 33 à 36, éd. G. Constable, t. I, p. 107-117) et deux de mai 1152 se rapportant à la deuxième phase (à saint Bernard et à Nicolas de Montiéramey : lettres 192 et 193, ibid. p. 443-450) : par deux bulles d'Eugène III de mars 1152 (à Humbert, archevêque de Lyon, le 5 mars ; à Pierre le Vénérable et aux clunisiens, le 15 : P.L. t. 180, c. 1517-1520) ; enfin par la lettre 283 de saint Bernard envoyée à Eugène III en juin 1152 (op. cit., t. VIII, p. 197-198).
61 G. Constable, « Cluniac tithes and the controversy between Gigny and Le Miroir » dans Revue Bénédictine, 1960, p. 592-624, et tout spécialement p. 608-624. Dans son édition critique des lettres de Pierre le Vénérable, G. Constable a rectifié la chronologie qu'il avait établie dans l'étude ci-dessus pour la deuxième phase de la querelle (op. cit., t. II, p. 229).
62 C’est ce qui ressort de la bulle Nequitia illorum du 5 mars 1152 adressée par Eugène III à Humbert archevêque de Lyon : « ... post factam etiam inter eos per charissimum filium nostrum Bernardum Claravallensem et Petrum Cluniacensem abbate s, concordiam... » P.L., t. 180, c. 1519.
63 Pierre le Vénérable laisse entendre clairement que c’est saint Bernard qui prit l’initiative de cette rencontre (cf. lettres 192 et 193 à saint Bernard et à Nicolas de Montiéramey, éd. G. Constable, t. I, p. 448 et 450).
64 C’est la lettre 283, op. cit., t. VIII, p. 197-198.
65 La mort, en 1153, du pape cistercien Eugène III et de saint Bernard, et le remplacement, cette même année, sur le siège archiépiscopal de Lyon de Humbert par Heraclius de Montboissier, frère de Pierre le Vénérable, furent autant de changements qui affaiblirent considérablement le camp du Miroir. Le remplacement, entre l'été 1152 et 1154 du prieur de Gigny qui avait mené l'attaque contre les Cisterciens permit aussi de débloquer la situation. Le pape Anastase IV établit en 1154 un schéma de règlement qui fut repris et appliqué sur place l'année suivante par Heraclius de Lyon et Henri de Winchester : Le Miroir devait rendre à Cluny 11 000 sous sur les 17 000 reçus de Pierre le Vénérable à titre de dédommagement en 1152. Gigny renonçait désormais à exiger les dîmes de ses voisins cisterciens qui devaient, en compensation, lui verser une rente annuelle de 70 sous (G. Constable, art. cit., p. 620-624).
66 Il ne faut pas oublier aussi que Gigny a encore sûrement conscience de son passé prestigieux — c'est son fondateur, Bernon, qui a ensuite été le premier abbé de Cluny — et qu'elle entend peut-être marquer par une certaine indépendance sa place particulière dans l'ordre clunisien auquel elle n’a été officiellement intégrée au rang de prieuré qu'assez tardivement, en 1075.
67 Lettre 394, S. Bernardi opera..., t. VIII, p. 368-369.
68 Ibid., p. 369.
69 Les archives de l'abbaye ont été en grande partie détruites lors du sac de Lyon par les troupes du baron des Adrets en 1562. Les listes d'abbés les plus anciennes sont celles établies au XVIIe siècle par J.B. La Mure, Chronique de l'abbaye d'Ainay, éd. G. Guigue, Lyon, 1885, ici p. 121-125, et par la Gallia Christiana, t. IV, ici c. 237 B. Elles ont été revues notamment par le Cte de Charpin-Feugerolles et M.C. Guigue, Grand cartulaire de l'abbaye d'Ainay, t. II, Lyon, 1885, p. XVI. Pour les abbés possibles ici, il n'y a pas de divergences entre ces listes : après Gaucerand qui devient archevêque de Lyon en 1107, se succèdent Bernard, Pons (jusqu'en 1129), Oger (attesté vers 1132), Bérard, Hugues I (attesté à partir de 1135-1136).
70 J. De La Croix Bouton, « Bernard et les monastères bénédictins non clunisiens » dans Bernard de Clairvaux, Paris, 1953, p. 228.
71 Lettre 394, op. cit., p. 368.
72 Grand cartulaire d'Ainay, op. cit. t. II, charte L., p. 91. Pour des raisons analogues, il ne me semble pas que ce puisse être non plus l'abbé Oger contemporain du début de l'épiscopat de Pierre : tous les deux reçoivent vers 1132 les renonciations de deux chevaliers pour des biens usurpés au détriment d'Ainay, ibid., charte LIV, p. 94.
73 Gallia Christiana, loc. cit.
74 Où sa mère, Aleth, avait été ensevelie : J. De La Croix Bouton, art. cit., p. 243-244.
75 Lettre 394, op. cit., p. 369.
76 Lettre 291, op. cit., t. VIII, p. 208.
77 J. De La Croix Bouton, art. cit., p. 227-228. Voir surtout le très important travail de R. Locatelli, De la Réforme grégorienne à la monarchie pontificale (v. 1060-1220) : le diocèse de Besançon, thèse de doctorat d'état dactyl. Université Lyon Π, 1984,4 vol.
78 R. Locatelli, op. cit., t. I, p. 195-197 ; carte des possessions de Saint-Oyend en Champagne, ibid, t. IV, p. 1392.
79 R. Locatelli, op. cit., t. II, p. 599-601.
80 Lettre 155, op. cit., t. VII, p. 362.
81 Ibid. Ce diocèse ne peut être Pavie, comme l'avait proposé Mabillon dans son édition des lettres de saint Bernard, P.L., t. 182, c. 312, no 422 : il n'est pas vacant en 1136. E. Vacandard, op. cit., t. I, p. 186, no 1, pense qu'il s'agit plutôt de Lodi, seul siège vacant en Lombardie en 1136.
82 Supra. no 43.
83 Cette affaire nous est connue par deux lettres de Pierre le Vénérable : no 158 au pape Eugène III (1149-1150), Constable, op. cit., t. I, p. 377-378 ; no 149 à saint Bernard (1149-1150), ibid., p. 363-366 ; et par trois lettres de saint Bernard datables de la même façon : no 389 à Pierre le Vénérable, J. Leclercq, H. Rochais, op. cit., t. VIII, p. 356-357 ; no 270 au pape Eugène III, ibid. p. 178-180 ; no 250 à Bernard de Portes, ibid., p. 145-147, qui est la plus circonstanciée. Mais bien des zones d'ombres demeurent. Cf. Gallia Christiana, t. XVI, c. 238 ; C. Le Couteulx, Annales ordinis cartusiensis..., t. II, Montreuil-sur-Mer, 1887, p. 84-88 et 108-113 ; J. De La Croix Bouton, « Saint Bernard et l'ordre de Cluny » dans Bernard de Clairvaux, Paris, 1953, p. 212-213 ; J. Dubois, « Le Bugey au XIIe siècle. Pierre le Vénérable abbé de Cluny et les chartreux du Bugey, Anthelme, prieur de chartreuse et évêque de Belley » dans Saint Anthelme, chartreux et évêque de Belley 1178-1978, no spécial Le Bugey, 1979, p. 139-140.
84 Une sorte de tradition avait commencé à s'établir : aux chartreux de la Grande Chartreuse le siège de Grenoble, et à ceux de Portes celui de Belley. Ainsi, l'élection de Noël peut être la manifestation de velléités d'indépendance des chanoines grenoblois.
85 Le pape leur aurait d’abord donné satisfaction et les aurait renvoyés à leur monastère en les dispensant d'accomplir la pénitence prescrite pour une telle désobéissance. Puis, devant l'insistance des abbés de Cluny et de Cîteaux, il aurait cassé une deuxième fois l'élection de Noël. Malgré ce revirement du pape, les chartreux coupables auraient considéré que le « pardon » qu'il leur avait accordé était toujours valable, et qu'ils pouvaient donc rentrer dans leur chartreuse sans autre formalité, ce qui était contraire aux Coutumes de Guigues, et provoqua de très vives protestations de la part du prieur Anthelme.
86 Lettre 389, loc. cit., p. 357.
87 Lettre 250, op. cit., p. 145-147. Il s'agit de Bernard de Portes, avec lequel saint Bernard avait déjà correspondu : cf., supra, no 42.
88 Simon, abbé de Chézy-sur-Marne, ami de saint Bernard, et que celui-ci défendit contre l'évêque de Soissons : cf. Lettre 263, op. cit., t. VIII, p. 172.
89 J. Picard, op. cit., supra, n. 41. L'attachement des archevêques à Portes fit que c'est là que vint se réfugier l'archevêque Heraclius après sa défaite face au comte de Forez à Yzeron en 1158.
90 Aux deux établissements déjà mentionnés sont venus s'ajouter La Chassagne (Ain, arr. Bourg-en-Bresse, cant. Chalamont, cne. Crans) fondé en 1162, petite-fille de Pontigny, Valbenoîte (Loire, cne Saint-Etienne) apparu entre 1183 et 1191, petite-fille de Cîteaux, et Bonlieu (Loire, arr. Montbrison, cant. Boën-sur-Lignon, cne Sainte-Agathe-la-Bouteresse) établi vers 1200, petite-fille de Clairvaux.
Auteur
Université Lumière-Lyon II
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