L’ancienne église Sainte-Croix du groupe cathédral de Lyon
p. 777-787
Texte intégral
1La restauration du rez-de-chaussée du no 4 de la rue Mandelot — à l'emplacement des travées occidentales de l'ancienne église Sainte-Croix — a été pour nous l'occasion de compléter notre documentation sur cette église du groupe cathédral de Lyon1.
2Après décapage des murs par l'occupant des lieux2 qui a fait apparaître un arc à claveaux de briques et pierres alternées, nous avons pu intervenir et procéder à un sondage au sud du mur goutterot de l'ancienne église, donc à l'intérieur de l'édifice.
I. LE CONTEXTE MONUMENTAL
3L'étude archéologique de l'ancienne église Sainte-Croix avait fait apparaître plusieurs campagnes de construction (Fig. 1) :
- une grande salle dont on connaît des fragments du mur nord, des sols en place (mortier de tuileau), des conduits de chaleur rayonnants. Ces rares éléments ont permis de reconstituer les dimensions mêmes de la salle et la période d'occupation (monnaies du milieu du IVe siècle dans les conduits). On ignore tout des fonctions de cette salle : église nord du Groupe cathédral primitif ou simple salle chauffée.
- dans un deuxième temps, l'espace est agrandi en largeur (mortier de tuileau au-dessus du mur nord de la grande salle).
- dans un troisième temps et sous la rue Mandelot, deux structures situées sous les murs romans de l’église Sainte-Croix pourraient appartenir à un édifice mérovingien (petit appareil et mortier à tuileau) ; peut-être déjà à l'église Sainte-Croix dont on ne sait rien de plus.
- dans un quatrième temps, ces structures profondes sont surmontées de murs d'appareil et de mortier différents de l'état précédent. Au nord, une semelle de fondations faite de blocs de choin remployés et surmontés de deux ou trois assises de moellons irréguliers, liés par un mortier gris clair. On ne sait rien des structures orientales de l'édifice (disparues) ou occidentales (non étudiées).
4Au sud, deux à trois assises de petits moellons apparaissent sous le mur du XIe siècle.
5Un sol en mortier de tuileau (h=165,70 m) est conservé en lanières étroites entre les fosses de sépultures tardives. Le radier en moellons irréguliers renfermait un fragment d’entrelacs carolingien mais difficile à dater avec précision.
6La datation des structures se fait donc en chronologie relative (entre le mérovingien et le roman), par comparaison avec la chapelle d'axe, à l'est de l'abside polygonale de Saint-Just, construite en grandes dalles de remplois en fondations et datée de l'époque carolingienne par le sol qui est postérieur à la destruction d'une barrière de chancel carolingien. On arrive ainsi à une datation carolingienne, peut-être tardive :
- dans un cinquième temps se construit l'église romane dont le plan a pu être reconstitué avec précision, sauf en façade occidentale.
- dans un sixième temps (milieu XVe siècle), on reconstruit l'église sur les fondations romanes : église conservée autrefois en élévation à l'est (îlot détruit) et à l'ouest dans l'ancien garage du rez-de-chaussée où nous venons de procéder à une nouvelle intervention et où nous connaissions l'emplacement d'une travée du collatéral tardif et d'une petite porte ouvrant vers le nord.
II. LES CAMPAGNES DE CONSTRUCTION
7La découverte d'un arc ancien à claveaux de briques et de pierres vient préciser et compléter notre précédente analyse. Malheureusement, faute de temps, nous n’avons pu descendre suffisamment profond pour atteindre les niveaux paléochrétiens.
L'église carolingienne
8L'arc à claveaux de pierres et briques alternées (Fig. 2 et 3) constitue la découverte majeure de l’hiver 1990. Nous avons en effet la preuve de l'existence même d'une église à l'époque carolingienne ; certains vestiges en sont partiellement conservés en élévation. Enfin le sondage effectué au pied de l'arc a montré que cet arc appartenait bien à la structure carolingienne repérée dans la rue et était contemporain du sol en mortier de tuileau (dernier niveau atteint dans le sondage).
9Le mur goutterot nord de Sainte-Croix qui atteint 0,84 m d'épaisseur est conservé sur toute la hauteur de la pièce (il se poursuit même sans doute au-dessus). Il est construit en petit appareil irrégulier (schistes, granite, calcaires), mais régulièrement assisé. Le mortier de liaisonnement beige clair, légèrement teinté de tuileau, est de dureté moyenne. On ne remarque aucune arase de briques. Le mur a été entaillé au sud pour l'ancrage des supports gothiques et par la petite porte gothique.
10La porte ancienne (Fig. 4), bien liée au mur, est relativement grande (1,80 m de large pour 2,60 m de hauteur) ; les piédroits sont en moellons irréguliers. Un arrachement à la base du piédroit oriental laisse supposer la présence d'une dalle de seuil.
11L'arc est fait de claveaux de briques (0,32 m de long pour 0,05 m de large), qui ne paraissent pas être des remplois, et de pierre en calcaire blanc (sans doute de Seyssel). L'arc intérieur diffère de l'arc extérieur.
12Le piédroit occidental, le mieux conservé à l'extérieur, comme à l'intérieur, présente une ouverture nettement outrepassée.
13Le sondage, effectué devant la porte à l'intérieur de l'édifice, a permis de faire le lien avec la fouille de la rue Mandelot (Fig. 5). En profondeur, le mur repose bien sur des blocs en légère saillie vers l'intérieur (ressaut à h=165,68 m, comme sous la rue h = 165,75 m). Enfin, un sol en mortier de tuileau, situé à la hauteur du ressaut, présente la même configuration que sous la rue (radier lié par un mortier gris surmonté d'une mince couche de tuileau, à peine 1 à 2 cm).
14Au-dessus de ce sol, un à deux cm de terre noire, très tassée et feuilletée, suggère une utilisation en tout cas jusqu'à l'époque romane, peut être jusqu'à l'époque moderne, c'est-à-dire jusqu'au moment où l’inhumation est autorisée dans l'église.
15La datation carolingienne déjà avancée pour les structures et les sols de la rue Mandelot est confirmée par les éléments nouveaux apportés par cette étude et en particulier par l'arc à claveaux de pierres et de briques à tracé outrepassé ; la datation n'est pas précisée pour autant, mais on y voit un peu plus clair avec l'emploi d'arases de briques à Saint-Ferréol de Vienne (Ve siècle)3, de pierres et de briques alternées à Saint-Romain-en-Gal près de Vienne (peut être du Ve siècle)4, comme à Saint-Romain-le-Puy5 (Haut Moyen Age) pour les ouvertures des annexes du triconque. Par contre, le grand arc de la Manécanterie (autour de l'an 800)6, l'arc de la porte sud de la nef de Saint-Romain-le-Puy pourraient remonter à l'époque carolingienne7.
L'église romane et gothique
16(Fig. 1) Rien de nouveau pour ces deux périodes. On ignore toujours où se trouvait la façade romane, mais on peut supposer qu'elle n'a pas changé de la place à l'époque gothique. L'analyse extérieure du prolongement du mur goutterot nord dans la cour de l'immeuble indique les traces d'une grande ouverture du bas-côté de l'église, puis celles des fenêtres d’une construction édifiée au XVe-XVIe siècle contre la façade de l'église. A cette même époque est ouverte la petite porte nord qui dormait sur un petit local primitivement voûté (traces du départ des voûtes) et éclairé par une baie à l'ouest.
17Des tombes modernes installées en grand nombre ont fait disparaître toute trace du sol roman et ont également percé le sol carolingien. Le matériel est peu abondant : tessons vernissés tardifs et quelques monnaies XVIIe-XVIIIe siècles.
18Une grande dalle funéraire du XVIIe siècle est peut être en place, au niveau gothique, sous le mur sud (XIXe siècle) (voir annexe II). Une petite inscription (voir annexe I) a été encastrée dans le bouchage de la porte (voir Fig. 6).
19Cette courte campagne de l'hiver 1990 est fructueuse dans la mesure où elle assure vraiment l'existence d'une église à l’époque carolingienne (IXe-Xe siècles). Par contrecoup, l'hypothèse d'une église mérovingienne prend plus de poids. De même, la typologie des arcs à claveaux de briques et de pierres alternés s’enrichit d'un élément daté. Enfin cet exemple nous montre que les destructions sont rarement radicales : au XVe siècle, on conserve à Sainte-Croix un pan de mur carolingien, lui-même installé au-dessus d'un mur plus ancien. On peut donc bien supposer que l’orientation convergente des murs goutterots de Sainte-Croix remonte bien à cette époque.
Annexe
ANNEXE I
Icy gist bendicte messanie de
sai(n)t Cleme(n)t de vallassone q(u)i a fo(n)de + pour
ung--iversaire lejour de-st-Tho(m)as
après noèl en ceste église de-ste-Croix
laquelle trépassa le dit jour de-st-
Thomas l'an mil cinq cens et-3-
dieu face mercy à son ame-
amen
ANNEXE II
Cy * est * la * se
du * corps * de * e
personne * m * pl
rissod * en * son *
notaire * royal *
et * sitoyen * de * l
par * plusieurs * a
este * lung * des
rs * de * laulmo
eralle * dudict
et * en * tel * estat * de
recevoir * est * decedde
le * III * du * moys * daoust
I ** 68
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l * d
Notes de bas de page
1 J.-F. Reynaud, Lyon aux premiers temps chrétiens, Guides Archéologiques du Ministère de la Culture, Paris, 1986.
2 Mr. Franceschini, Architecte des Bâtiments de France, nous a mis en rapport avec le propriétaire Mr. O. Brunel.
3 M. Jannet-Vallat, R. Lauxerrois, J.-F. Reynaud, Vienne aux premiers temps chrétiens, Guide archéologique du Ministère de la Culture, Paris, 1986, p. 62-64.
4 Voir note précédente, p. 65.
5 J.-F. Reynaud, I. Parron, « L'église de Saint-Romain-le-Puy (Loire) », dans, Bull. Soc. Nat. Ant. France, 1990, p. 294-307.
6 Analyse du laboratoire de l'Université de Rennes, dir. Langouët.
7 Voir note 5.
Auteur
Université Lumière-Lyon II
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