Église et château sur le site de Villars (Ain) : archéologie et histoire
p. 763-775
Texte intégral
1La question des origines de la mise en place du réseau des seigneuries châtelaines a trouvé dans l’apport de l’archéologie depuis une bonne vingtaine d'années les éléments matériels sans lesquels on ne pouvait se faire qu'une idée abstraite du phénomène. C'est ainsi que l’on a pu constater, par exemple, que l'une des formes les plus communes qu'ont pris les premières structures castrales médiévales est le site fossoyé, le château de terre et de bois. Au-delà du simple constat, et de l'apport, même inattendu, de l'élément concret sur lequel reposait l'exercice du pouvoir seigneurial, l'archéologie s'est attachée à préciser la physionomie de ce type d'établissement que l'on désigne communément à présent sous le nom de motte.
2Depuis le début des années 1960, les enquêtes de terrain portant sur les fortifications de terre médiévales se sont multipliées en France mais ont surtout consisté en recensements de sites, qui ont donné lieu à plusieurs synthèses portant le plus souvent sur la morphologie1. Quant aux fouilles monographiques, elles sont jusqu'à présent peu nombreuses. Il faut en premier lieu en exclure les fouilles de fortifications de terre qui ne correspondent pas au type précis de la motte castrale, comme les enceintes parmi lesquelles, pour ne citer que des exemples publiés, le Plessis-Grimoult (Calvados), Chirens (Isère) ou les plate-formes quadrangulaires du bas Moyen Age comme Villy-le-Moûtier (Côte-d'Or) ou la bastide de Gironville (Ain)2. Parmi les sites de mottes à proprement parler, quelques-uns ont fourni des données archéologiques concernant leurs séquences d’occupation : c'est le cas de Grimbosq (Calvados), le Castelas (Vaucluse), ou Décines (Rhône)3. Un nombre de sites encore plus réduit a fourni des indications sur l’occupation du site antérieure au château à motte. Il s'agit d'un côté des cas de Mirville (Calvados) ou de Loisy (Saône-et-Loire) où la fouille a mis au jour un établissement antérieur à la motte et recouvert par elle, sous la forme de constructions légères appartenant à un centre domanial du type de la curtis carolingienne4. D'un autre côté, on dispose du cas de Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire), qui se présente pour l'instant comme un unicum. Là, l'établissement recouvert par le tertre artificiel est un édifice de pierre rectangulaire du Xe s., une aula, grande salle caractéristique d'un siège de pouvoir civil. Lors de son émottement, ses murs ont été surélevés en vue de sa transformation en donjon5. Cette filiation aula-motte (donjon), ici établie de façon si magistrale, peut cependant difficilement constituer un modèle d'évolution, en l'absence d'informations complémentaires provenant d'observations effectuées sur d'autres sites, qui permettraient d'en attester la représentativité.
3Certes, d'un point de vue général, la filiation aula-donjon est assez bien établie, surtout en ce qui concerne les « donjons barlongs » (ou « romans ») de la France du nord et de l'ouest, et il suffit à ce propos de citer quelques monuments significatifs comme les châteaux de Caen ou de Loches. Cette question a d’ailleurs déjà fait l'objet de travaux éclairants6.
4Quant à la genèse des mottes castrales, on s'aperçoit que, quand elles ne sont pas édifiées ex nihilo — ce qui demeure le cas le plus fréquent — elles succèdent à des établissement variés : curtis ou aula.
5Dans le cadre de l'inventaire des mottes castrales de la Dombes (Ain), le site de Villars avait été recensé parmi plusieurs dizaines d'autres, et il avait attiré l'attention pour deux raisons principales. Tout d'abord, plusieurs caractères le distinguent des autres sites du même type, nombreux dans la région : sa taille imposante en fait le plus haut qui soit conservé, sa présence au centre d'un bourg, auquel il a sans doute donné naissance, est une position plutôt rare, et le rang du détenteur tranche sur ses voisins. En second lieu, on dispose pour ce site des résultats de fouilles menées au XIXe siècle, qui ont mis au jour sous le tertre un vaste bâtiment rectangulaire maçonné7. L'étude du site de Villars s'insérait donc logiquement dans cette problématique : l’identification de l'édifice préexistant à la motte devait apporter, quel qu’il fût, un élément important pour la connaissance des origines du phénomène des mottes castrales. C'est précisément l'existence d'un bâtiment antérieur à la motte, associé au fait que l'on soit assuré de disposer d'une bonne documentation, au moins sur la famille du détenteur, qui ont contribué au choix de ce site pour un projet de fouille.
6L'agglomération de Villars (3 000 habitants) est située au centre du plateau de la Dombes, à 30 km au nord-est de Lyon. Les restes du château se présentent sous la forme d'un tertre imposant, en partie couvert de végétation ; ils dominent nettement les maisons du centre du bourg qui l'enserrent presque complètement.
7Il s'agit d'un tertre tronconique de 16 m de haut et de 65 m de diamètre à la base. Les parcelles qui l'entourent à l'est, en forme de croissant, indiquent l'emplacement des fossés, aujourd'hui comblés ; cette empreinte présente une largeur d'une dizaine de mètres environ. Au sud, l’emplacement du fossé est occupé par un long bâtiment bas. La plateforme sommitale de la motte forme un cercle de 15 m de diamètre bordé par les vestiges d'une tour cylindrique de briques, dont la hauteur maxi male ne dépasse pas 1,50 m. On accède au monument depuis la rue, par un passage entre les maisons qui mène au pied de la motte.
8Un premier programme de fouilles, menées de 1988 à 1991, a permis de mettre au jour une succession étonnante de structures imbriquées les unes dans les autres. La tour de briques qui couronne le tertre était établie sur un remblai destiné à surélever la motte primitive. La fouille a montré que l'établissement de cette tour représente en fait une transformation du château à la fin du Moyen Age. La motte originelle comportait à son sommet une tour de pierre carrée de petites dimensions, accompagnée de bâtiments de bois. En poursuivant la fouille dans le tertre, un édifice de pierre a été rencontré, conservé en élévation à l'intérieur de l'éminence artificielle, qui s'est révélé être une église romane. Dans certains secteurs, la fouille a atteint la base de cette construction, et constaté qu'elle reposait sur des vestiges maçonnés plus anciens encore, appartenant à une construction très massive8.
9Les textes médiévaux concernant Villars sont relativement abondants, mais concernent presque exclusivement la seigneurie, avant le XIVe s. Les premiers documents qui mentionnent le château lui-même sont les comptes de châtellenie, conservés pour la période 1423-1432, puis de façon discontinue pour les dernières années du XVe s.9. Le dépouillement et l'étude de ces documents sont en cours, mais on peut se rendre compte d’ores et déjà qu'ils ne fournissent que des indications très fragmentaires sur la réalité matérielle du château : porte d'entrée, mur d'enceinte, « bretèches », pont-levis, cuisine, chapelle. De plus, la distinction n'apparait pas clairement pour le moment entre ce qui concerne le château proprement dit et l'enceinte du bourg fortifié.
10Dans la documentation antérieure à la fin du Moyen Age, les éléments concrets et précis concernant le site de Villars sont encore plus ténus. On peut cependant, à partir de la documentation éditée, reconstruire schématiquement les grandes phases de l'évolution du site. La première mention du château (castrum quod dicitur Vilars) date de 1139, et est donc postérieure d'un siècle à la première mention de la famille de Villars (1030)10. Le terme de castrum sera utilisé constamment pour définir le château jusqu'au XVe s.11. Quant au bourg castral, il n'apparaît dans la documentation qu'en 1253 (borc de Vilars), peu avant de bénéficier d'une charte de franchises (1267), c’est-à-dire qu'il est déjà, au milieu du XIIIe siècle, constitué depuis longtemps, et d'une consistance certaine. Le terme de villa est le plus souvent utilisé pour le désigner12. L’enceinte du bourg figure de façon évidente dans un document de 1334 : muros et circuitu murorum dictorum castri et villae de Villariis13. Cette fortification est sans doute à peu près contemporaine de cette mention.
11L'église paroissiale apparaît, elle aussi, très rarement dans les textes. Le premier acte qui y fasse indirectement allusion est une donation en faveur de Cluny en 1080 par Rodolphe et Girard de Villars14. Dès le milieu du XIIe s., l'abbé de Saint-Just en était collateur, et c'est à ce monastère lyonnais que la cure fut annexée à la fin du XVe s.15. Cependant, une église de Villars est mentionnée parmi les possessions anciennes de l’Église de Lyon. La charte appelée « Dénombrement des possessions de l'Église métropolitaine de Lyon » est un document dont la première rédaction remonte à 984 ou 994. Il n'est connu que sous la forme de copies dont la plus ancienne date des débuts du XIIe s., et qui intègre des données postérieures à l'époque de la première rédaction16. Parmi les églises mentionnées dans cette liste figure : ecclesia de Vilars cum apenditiis, quant Blandinus decanus dedit sancto Stephano.
12L'identification du toponyme, à l’intérieur de la province ecclésiastique de Lyon est incertaine, plusieurs lieux habités ayant porté ce nom dans les régions du Forez, de la Dombes et du Beaujolais, concernées par le document. En fait, les possibilités d'identification se réduisent surtout à deux : Villars, canton de Saint-Héand (Loire), ou Villars-les-Dombes (Ain). La charte suit une progression géographique assez rigoureuse, et on peut donc déduire de la place de la mention dans la liste un sérieux indice en faveur de l'une ou l'autre interprétation. Or on constate que si les vingt premières mentions concernent toutes la Dombes, l'énumération passe ensuite à l'ouest de la Saône. La mention qui nous intéresse (no 89) figure parmi une série bien identifiée de sites foréziens : Izieux, Sorbiers, Saint-Jean-Bonnefonds.
13La précision apportée à la mention de Villars par le texte doit aussi arrêter l'attention : l'église et ses dépendances ont été données à la cathédrale par Blandinus, doyen du chapitre, ce qui permet d'abord de préciser la date de l'acquisition. En effet, l'Obituaire de Lyon indique que le doyen Blandinus qui vivait dans la deuxième moitié du XIe s. a fait don de l'église de Villars, accompagnée de droits paroissiaux (cimetière, dîmes) et d'une maison au même lieu17.
14Plusieurs auteurs, à la suite de S. Guichenon (XVIIe s.) ont avancé que ce Blandinus appartenait à la famille des sires de Villars18. Ils ont été amenés à cette identification par la constatation des liens étroits qui unissent cette famille à l'Église de Lyon depuis le XIIe s. L'obituaire n'en cite pas moins de sept ; leurs libéralités envers l'Église métropolitaine sont connues : cessions des châteaux de Rochetaillée, de Couzon, Saint-André, Trévoux. Parmi les membres de la famille qui furent avec certitude prélats de l'Eglise de Lyon, on peut citer Ulrich, doyen, mort en 1174 et Henri, archevêque à la fin du XIIIe s.
15L'obituaire donne enfin sur ce sujet une dernière information : il indique en effet que ce Blandinus acquit pour le chapitre la garde du château de Saint-Genis19. Pour que cette information soit utile au problème qui nous occupe, il faut identifier ce château. Or parmi les multiples toponymes portant ce vocable dans la province de Lyon, d'une part aucun ne figure à proximité de Villars-les-Dombes et d'autre part un seul semble avoir été un site castral : celui de Saint-Genis-Terre-Noire (canton de Saint-Héand, Loire), situé en Forez, non loin du fameux Villars. Certes, on pourrait dissocier les deux éléments apportés par Blandinus à l’Église de Lyon : d'une part des biens à Villars, provenant de son patrimoine familial, et d'autre part la garde de Saint-Genis acquise en tant que doyen du chapitre. Il n'y aurait dès lors pas de raison de considérer a priori ces deux lieux comme voisins. Il semble bien cependant que cette dernière hypothèse soit peu vraisemblable, et qu'en revanche se dessine un faisceau de présomptions sérieuses en faveur de la localisation en Forez de l'église de Villars citée dans le « Dénombrement »20.
16Nous devons donc renoncer à disposer d'une mention sûre d'église à Villars au XIe s. Par contre, nous avons deux édifices : le premier est l'église paroissiale Notre-Dame dont l'architecture est assez hétérogène. Mis à part des remaniements récents (façade et première travée de la nef) ou de l’époque moderne (clocher), la majeure partie de l'édifice peut remonter aux environs du XIIIe s. A l'intérieur cependant, on peut noter des éléments plus anciens : à la croisée du transept, les quatre piliers qui supportent le clocher semblent pouvoir remonter à l'époque romane. Autour de l'église se trouvait le cimetière, au moins jusqu’au XIXe s. puisqu'il figure sur le cadastre « napoléonien ». Le second édifice religieux est celui que les fouilles ont mis au jour sous la motte castrale.
17Il n'est pas certain que les deux églises aient coexisté : la première possède des éléments qui peuvent être antérieurs au XIIIe s., c'est-à-dire à une époque où nous pensons que la seconde n'a pas encore disparu. Mais il est également fort possible que l'église recouverte par la motte ait joué le rôle, jusqu'à sa disparition, d’église paroissiale, et qu'elle ait été remplacée par l'église utilisée aujourd'hui, au moment de la construction du château à motte. Dans ce cas, la nécropole mise au jour en avant de l'église aurait été le premier cimetière paroissial. Si l'on suit ce raisonnement, il faut considérer que l'église qui a été découverte par les fouilles est la première église de Villars édifiée au XIIe s. Doit-on penser alors que Villars jusqu'à cette date dépendait d'un autre siège paroissial ? Ou plutôt qu'il s'agit d'une reconstruction ou d'un transfert dû à l'initiative seigneuriale ?
18Afin de démêler cet écheveau, il est nécessaire de préciser les faits de façon rationnelle. Commençons par les faits archéologiques, réordonnés selon la progression chronologique établie à la suite de l'interprétation des résultats de la fouille. La phase la plus ancienne est représentée sur le site par le terrain naturel, sans trace d'occupation en place. L'aspect de la topographie à ce moment-là est difficile à évaluer actuellement, la fouille n'ayant atteint le sol vierge qu'à la base de la « crypte ». Néanmoins on peut faire quelques remarques générales. Le plateau de la Dombes se caractérise par une surface assez régulièrement plane dans sa partie centrale, celle des étangs, où Villars est situé. A l'emplacement même de l'agglomération, on note cependant, au sud de la « poype », plusieurs dénivellations dans les parcelles de jardins voisins. Or la cote du sol naturel, là où il a été atteint par la fouille, est à 3 m environ au-dessus du niveau du terrain environnant, à l'ouest, au nord et à l'est. Il semble que l'on puisse donc reconstituer une éminence naturelle, de forme grossièrement ovale orientée nord-sud, qui pourrait avoir environ 150 m sur 100. Il devait probablement s'agir d'une faible colline morainique, comme il en existe quelques-unes sur le plateau.
19Dans cette première phase, le site semble inoccupé, mais présente des indices d'une fréquentation à proximité. Il s'agit d'éléments de maçonnerie utilisés en réemploi dans la construction primitive : des blocs de pierre portant des traces obliques de ciseau, placés dans l'angle sud-ouest du mur situé sous la façade de l'église, des fragments de tuiles à rebord présents dans la maçonnerie des murs et de la voûte de la « crypte », et d'un bloc de pierre avec trou de louve présent sur le sol de ce même bâtiment. Ces éléments appartiennent vraisemblablement à l’époque gallo-romaine. L'établissement dont ils proviennent devait être suffisamment éloigné du site de la motte pour que l'on n'ait trouvé aucune céramique antérieure au Moyen Age dans les couches fouillées, et cependant assez proche pour que l'on y ait extrait des blocs d’un certain poids. Plusieurs traces d'occupation gallo-romaine sur le territoire de la commune de Villars semblent conforter cette hypothèse.
20A la première période d'occupation en place sur le site appartiennent les structures les plus anciennes : celles qui sont implantées sur le sol vierge et qui sont antérieures à toutes les autres. Il s'agit du mur situé sous le mur de façade de l'église et, à l'est, du bâtiment carré (« crypte ») sous-jacent à l'abside. Par leurs dimensions (2 m d'épaisseur), leur mode de construction très robuste et leur plan (forme carrée de la « crypte »), il semble logique d'attribuer ces structures à un édifice fortifié. La datation de cet ensemble est difficile. Deux indices suggèrent cependant de proposer une date assez haute dans le Moyen Age : l'aspect de la maçonnerie (notamment la disposition de certaines assises de galets en « arêtes de poisson ») et surtout les inclusions de matériaux gallo-romains. Quoi qu'il en soit, cet édifice est antérieur à l'église romane qui s'appuie sur ses vestiges.
21Il se produit ensuite une transformation complète du site : le monument primitif, sans doute ruiné (incendie ?), est arasé à la hauteur du premier étage, et sert de socle à l'édification d’une église. Contemporainement, les vestiges du bâtiment primitif sont remblayés (sauf la « crypte ») et talutés à l'extérieur pour permettre un accès de plein-pied à l'église. Les indices de datation ne sont pour l'instant fournis pour cette phase que par les éléments architecturaux, notamment la porte et la fenêtre, qui, par comparaison avec les autres églises romanes de la région, suggèrent la fin du XIe ou le XIIe s. Une nécropole accompagne cet édifice religieux.
22La phase suivante est marquée par une nouvelle modification radicale du site : une motte castrale vient recouvrir complètement l'église. Cette dernière est entièrement remblayée, sans être détruite. A l'extérieur, un tertre artificiel imposant, établi sur le premier remblai, vient s’appuyer sur les murs périmétraux. Au sommet de la motte se dresse le clocher de pierre de l'église, sans doute transformé en tour, accompagné de bâtiments de bois. Cette phase est incontestablement la plus difficile à dater : le mobilier des XIe-XIIe s. qui lui est associé est rarement en place. La structure est placée stratigraphiquement entre l'église (XIIe s.) et la tour de briques (XIVe-XVe s.). Enfin, dans la région, la forme castrale de la motte est rarement attestée au-delà du XIIe s.
23On proposera donc pour l'instant la période des XIIe-XIIIe s. comme datation de cette phase.
24Enfin, après une période d'abandon, le sommet de la motte est nouvellement modifié. Les vestiges de la tour de pierre (ancien clocher) sont dérasés, et un surhaussement du remblai de la motte vient recouvrir les vestiges (de bois et de pierre) des constructions castrales. On y édifie une tour cylindrique de briques. Celle-ci connaît au moins trois phases d'occupation. L'occupation originelle comprenait des divisions internes en bois, elle s'est terminée par un incendie. La seconde occupation est attestée par des remaniements, notamment au niveau de l'aménagement du sol. Quant à la troisième, elle consiste en une occupation rustique dans les ruines de la tour. La datation proposée pour cette dernière phase est la suivante : construction et première utilisation de la tour : XIVe-XVe, d'après la céramique et l'architecture, et fin du XVIe s. pour l'incendie (Guerres de Religion). L'occupation rustique finale couvre les XVIIe et XVIIIe s.
25Examinons à présent ce que l'on sait de l'histoire de la seigneurie. Le premier personnage connu par la documentation portant le nom de Villars est Stephanus, témoin en 1030 d'une donation du sire de Beaujeu en faveur des chanoines de Mâcon21. On a pu cependant faire remonter jusqu'au milieu du siècle précédent la généalogie des Villars : sont alors mentionnés Bermundus en 940, Hugues en 944 et Stephanus en 973. Ces personnages semblent avoir été dès cette époque à la tête de vastes domaines dans le centre de la Dombes, sur les territoires des agri de Fareins, Marlieux et Pysieux22. Alors que l'on voit se constituer au Xe s. dans cette région les comtés de Lyon au sud, Bagé au nord et Coligny à l'est, il est possible qu'ils aient tenté de constituer une entité du même type, héritière de l'ancienne viguerie carolingienne et centrée sur Villars. Quoi qu'il en soit, les premiers personnages à porter le nom de Villars dans la première moitié du XIe s. y sont déjà solidement implantés et installés. Au cours du XIe s., la seigneurie se constitue et la famille jouit d'une notable influence, comme en témoignent les donations qu'ils font à Cluny ou le fait qu'ils apparaissent comme témoins ou garants d'actes importants. Par ailleurs, on voit aussi apparaître à cette époque des rivalités qui les opposent à leurs puissants voisins : sur la Saône aux Beaujeu, et à l'est en Bugey. Au début du XIIe s. les sires de Villars semblent être à leur apogée : ils constituent la principale puissance seigneuriale de Dombes. Leurs domaines, centrés sur Villars, se développent régulièrement vers l'est, le sud et le sud-ouest. Sans retracer ici dans les détails l'histoire de cette petite principauté, on exposera les jalons qui semblent utiles pour la compréhension du site.
26Le XIIe s. est marqué par la politique d'Etienne IV (1139-1186). Celui-ci, dans l’intention de partir en croisade, aliène une bonne part de ses domaines en faveur d'établissements religieux. Les bénéficiaires sont d'une part des institutions lyonnaises : le prieuré de La Platière acquiert en 1139 le port du Rhône, et Saint-Paul acquiert en 1145 les droits sur l'obéance de Rignieux-le-Franc. D’autre part, la même année, l'abbaye de Saint-Sulpice reçoit des terres qui doivent servir à la fondation du monastère de La Chassagne. Enfin, en 1150, l'abbaye de l'Ile-Barbe acquiert des droits sur le château de Rochetaillée. En 1184, Etienne IV se retire à l'Ile-Barbe, en lui donnant de nouveaux domaines, dont le château (à motte) de Ligneux. A sa mort, sa fille unique épouse le seigneur de Thoire en Bugey. A partir de ce moment, le centre de la seigneurie se déplace nettement vers l'est, prenant pour capitales successivement Montréal et Poncin.
27Au XIIIe siècle, les sires de Thoire-Villars, à part quelques tentatives de contester certaines aliénations d'Etienne IV, concentrent leur attention sur la partie orientale de la seigneurie, dans le Jura. Les anciens domaines de Dombes sont délaissés à tel point que même Villars cesse d'être détenu en alleu. En 1227 en effet, Etienne Ier engage l'hommage de Villars et autres lieux à Humbert de Beaujeu pour 408 livres et en 1253, Béatrix de Faucigny, veuve d'Etienne II, reconnaît tenir entre autres le bourg de Villars en fief de Guichard VI de Beaujeu ; Humbert III renouvelle la reconnaissance en 127323. Pendant une grande partie du XIIIe s. les Thoire-Villars tiennent donc leur ancienne capitale des sires de Beaujeu. Au début du XIVe s., dans le cadre de la guerre delphino-savoyarde, le sire de Thoire-Villars Humbert V change de camp et s'allie au Dauphin : il lui donne en 1308 le château et la ville de Villars. En 1326, vaincu à Varey, Guichard de Beaujeu cède à son tour au Dauphin ses droits sur Villars24. A partir de ce moment, Villars relève totalement du Dauphiné, puis de la Savoie à partir de 1355. En 1425, le dernier sire de Thoire-Villars meurt après avoir vendu sa seigneurie au duc de Bourbon.
28Plusieurs faits rendent difficile une confrontation entre les données historiques et les résultats de la fouille. C'est d'abord l'imprécision de la datation des différentes séquences archéologiques. C'est ensuite et surtout le contraste existant entre une succession étonnante d'édifices différents superposés pour un site que la présence seigneuriale a pratiquement déserté depuis le XIIe s.
29A y regarder de près, on peut cependant tenter de concilier les deux séries de faits. En ce qui concerne la première période, le XIe s., il est logique de penser qu'ici comme ailleurs, l'apparition dans la documentation d'un lignage seigneurial portant le nom d'une terre correspond à son établissement sur place et donc à sa détention d'un établissement fortifié. On proposera donc de mettre en relation la structure la plus ancienne, le premier château de pierre, avec les premières mentions des sires de Villars (1030). Au début du XIIe s., la seigneurie connaît effectivement son apogée : aux indices documentaires s'ajoute à présent l'existence d'une solide forteresse de pierre qui abrite et protège la lignée, et marque son pouvoir militaire, juridique et économique.
30La deuxième période, le XIIe s., est marquée par les préoccupations d'ordre religieux d'Etienne IV : croisé, bienfaiteur de l'Église, fondateur de l'abbaye de La Chassagne. De plus, ce prince ne résida pratiquement pas à Villars, voyageant en Terre Sainte, séjournant à Loyes, puis se retirant à l'Ile-Barbe. Dès lors, doit-on s'étonner que le château de Villars ait fait place à une église à cette époque ? Au milieu du XIIe s. le château primitif est déjà sans doute vieux de plus d'un siècle, et il a semble-t-il subi un incendie. Etienne IV, prévoyant son pèlerinage à Jérusalem, qui le tiendra longtemps éloigné de ses terres, sans descendance masculine et soucieux du salut de son âme, fait élever une église sur les restes de l'ancienne demeure fortifiée. A la fin du siècle, l'alliance avec les Thoire et le déplacement des intérêts des sires vers l'est rendent négligeable l'absence d'un château dans l'ancienne capitale de la seigneurie : Poncin et Trévoux seront les résidences habituelles des princes.
31La période suivante pose davantage de problèmes. Elle est marquée sur le plan matériel par l’édification de la motte castrale, et sur le plan historique par l'entrée de la maison de Villars dans la mouvance beaujolaise. Il faut noter que la motte n'a pas pu succéder rapidement à l’église pour des raisons de simple logique : la destruction de ce monument de prestige n'a pu intervenir qu'après un certain temps, un siècle au moins à mon avis. De plus, il semble évident que la nécropole a été utilisée pendant une certaine durée, sans doute plusieurs générations, comme l'attestent les superpositions de sépultures. Enfin, il est logique de mettre en relation un changement aussi radical que le remplacement d'une église par un château à motte, avec un événement politique de grande ampleur. Faut-il attribuer aux Beaujeu, suzerains de Villars depuis les premières décennies du XIIIe s., la construction de la motte castrale ? Si tel était le cas, cela constituerait la poursuite d'une politique constante de leur part depuis la deuxième moitié du XIe s. : étendre leurs domaines sur la rive « impériale » de la Saône, et assurer cette progression par l'érection ou la restauration de châteaux, et notamment de mottes, à l'instar de Riottier ou Montmerle.
32Comme souvent, la fouille archéologique soulève au moins autant de questions qu'elle n'en résout. Il semble bien cependant que les premiers résultats de cette investigation, appelée à se poursuivre, apportent une contribution originale à l'étude des relations entre établissements castraux et religieux dans le cadre d'une seigneurie de moyenne importance.
Notes de bas de page
1 Les fortifications de terre en Europe occidentale du Xe au XIIe s. (colloque de Caen, octobre 1980), dans Archéologie médiévale, t. XI, 1981, p. 5-124 ; E. Zadora-Rio, « Les essais de typologie des fortifications de terre médiévales en France », dans Archéologie médiévale, t. XV, 1985, p. 191-196 ; J.-M. Pesez « Approche méthodologique d'un recensement général des fortifications de terre en France », dans Château-Gaillard, XII, Caen, 1984, p. 79-90.
2 E. Zadora-Rio, « L'enceinte fortifiée du Plessis-Grimoult, dans Archéologie médiévale IIIIV, 1973-74, p. 111-243 ; Ch. Mazard, « Chirens et le lac de Paladru », dans Châteaux de terre : de la motte à la maison forte, Lyon, 1987, p. 48-53 ; J.-M. Pesez, F. Piponnier, « Villy-le-Moûtier : recherches archéologiques sur un site de maison-forte », dans Château-Gaillard, VI, 1972, p. 147-163 ; J.-M. Poisson « Une fortification de terre et de bois édifiée en 1324 : la bastide de Gironville à Ambronay (Ain) », dans La Maison-forte au Moyen Age, Paris, Cnars, 1986, p. 241-248 ; id. « Recherches archéologiques sur un site fossoyé du XIVe siècle : la bastide de Gironville (« Fort-Sarrazin », Ambronay, Ain), dans Château-Gaillard, XIII, Caen, 1985, p. 215-224.
3 J. Decaens, « La motte d'Olivet à Grimbosq, résidence seigneuriale du XIe s., dans Archéologie médiévale t. XI, 1981, p. 167-202 ; M. Fixot, J.-P. Pelletier, « Une forme originale de fortification médiévale provençale, le Castelas de Cucuron », dans Archéologie médiévale, XIII, 1983, p. 89-115 ; E. Boucharlat, J. Monnier, « Le Moleron de Décines », dans Châteaux de terre : de la motte à la maison-forte, cit.
4 G. Hurou, « Le point sur cinq années de fouilles à Loisy », dans Bulletin du groupement archéologique du Mâconnais, juillet 1973, p. 27-37 ; J. Le Maho, « Genèse d'une fortification seigneuriale. Les fouilles de motte de Mirville », dans Château-Gaillard, XI, Caen, 1983, p. 183-191.
5 M. De Bouard, « De l'aula au donjon. Les fouilles de la motte de la Chapelle à Doué-la-Fontaine », dans Archéologie médiévale, t. III-IV, 1973-74, p. 5-110.
6 M. De Bouard, Le château de Caen, Caen, 1979 ; id., « La salle dite de l'échiquier au château de Caen », dans Medieval Archaeology, IX, 1965, p. 64-81 ; A. Chatelain, « Essai de typologie des donjons romans quadrangulaires de la France de l'Ouest », dans Château-Gaillard, VI, 1973, p. 43-57 ; P. Heliot, M. Deyres, « Le château de Loches », dans Bulletin monumental, CXLV, 1987, p. 15-85 ; P. Heliot, « Les origines du donjon résidentiel et les donjons-palais romans de France et d'Angleterre », dans Cahiers de Civilisation Médiévale, XVIIe a. no 3, juil.-sept. 1974, p. 217-234.
7 F. Collet, « La tour et la poype de Villars. Découverte d'une construction ancienne », dans Annales de la Société d'Emulation de l'Ain, t. XXI, 1898, p. 186-194 ; J. Buche « La poype de Villars-les-Dombes et ses fouilles », ibidem t. XXXII, 1899, p. 150-175 ; F. Marchand, « La poype de Villars et ses fouilles », dans Bulletin des Antiquaires de France, 1899.
8 Cf. notices « Villars-les-Dombes », dans Archéologie Médiévale, chronique des fouilles médiévales en France, III, constructions et habitats fortifiés, t. XIX, 1989, p. 352-353 ; t. XX, 1990, p. 430-431 ; t. XXI, 1991, p. 378-380 ; t. XXII, 1992.
9 Rossignol, Garnier, Inventaire sommaire des archives départementales de la Côte-d'Or, série B, Paris 1864.
10 Cartulaire lyonnais, éd. M.-C. Guigue, Lyon, 1885-93, t. I, no 24 ; S. Guichenon, Histoire de la Bresse et au Bugey, 1650.
11 Castro de Villars : 1239 (Bibliotheca Dumbensis, éd. Valentin-Smith et Guigue, Trévoux, 1854-85, t. II, Suppl. p. 82 ; castrum de Villariis : 1303 (Valbonnays, Histoire du Dauphiné, 1720, preuves, p. 138) etc.
12 Castrum et villa de Villars : 1375 (Bibliotheca Dumbensis t. II, suppl. p. 83-84).
13 Bibliotheca Dumbensis, t. II, suppl. p. 832.
14 Bibliotheca Cluniacensis, notes, col. 141.
15 M.C. Guigue, Topographie historique de l'Ain, Bourg 18.
16 M.-P. Feuillet, J.-O. Guilhot, Anse. Château des Tours, Lyon, Raprra 2, 1985 ; H. Gerner, Lyon im Frühe Mittelalter, Cologne, 1968.
17 Blandinus, decanus bone memorie, qui dedit sancto Staephano ecclesiam de Vilars cum cymiterio et decimis ac propriam domum suam cum terris et appenditiis... Obituaires de la province de Lyon, ed. Laurent, Guigue, Paris, 1951, p. 119.
18 S. Guichenon, Histoire de la souveraineté de Dombes, 1662 ; M.C. Guigue, Obituarium Lugdunensis ecclesie, Lyon, 1867, Topographie historique, cit.
19 Et adquisivit gardam sancii Genesii, ibid.
20 Suivant en cela Laurent, Obituaires de la province de Lyon, Paris, 1951.
21 S. Guichenon, op.cit.
22 Y. Turin, La seigneurie de Villars, D.E.S., Université de Lyon, 1944.
23 S. Guichenon, op.cit. p. 217 ; Bibliotheca Dumbensis I, p. 152.
24 L. Aubret, Mémoires pour servir à l'histoire des Dombes, ed. Guigue, Trévoux 1868, t. II, p. 133, 195.
Auteur
École des Hautes Études en Sciences Sociales
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