Une bulle inédite d'Honorius III et la datation de l’épiscopat de saint Etienne de Die (1208-1213)
p. 611-620
Texte intégral
1Etienne de Châtillon, évêque de Die, tout saint qu’il ait été, mérite, me semble-t-il, d’être rangé parmi les malchanceux, car, depuis plusieurs siècles, les historiens n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les dates exactes de son épiscopat, ni même sur celle de sa mort. Cet ancien chartreux, devenu évêque à la fin de sa vie, n’est pourtant pas un inconnu puisque les Bollandistes lui ont consacré une longue notice dans les Acta Sanctorum de septembre, où ils ont publié deux Vitae qui lui furent consacrées au XIIIe siècle, ainsi que des recueils de miracles et une bulle pontificale le concernant1. Par la suite, surtout au XIXe siècle, divers auteurs ecclésiastiques et historiens régionaux se sont inspirés de ce dossier dans des ouvrages hagiographiques ou des compilations à prétentions érudites2. Mais force est de constater que la plupart n’ont fait que se recopier l’un l’autre et que les études satisfaisantes, sur le plan scientifique, de la vie du saint prélat n’abondent pas. La meilleure preuve en est que le nom d’Etienne de Die ne figure pas dans l’inventaire des publications hagiographiques concernant les tomes 1 à 100 des Analecta Bollandiana3 ! Même les quelques indications que l'on peut trouver à son sujet chez des historiens récents sont fragmentaires et parfois sujettes à caution : ainsi B. Bligny lui fait bien une place dans le groupe des évêques issus des ordres religieux, en particulier des Chartreux, qui relevèrent le prestige de la hiérarchie dans certaines parties du royaume de Bourgogne à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, mais il se montre très discret sur ses activités et commet même une inexactitude à son propos en affirmant qu'il a été canonisé par Grégoire IX après 12314.
2Saint Etienne ne semble pourtant pas avoir été un personnage de médiocre stature puisque deux papes de son temps — Honorius III et Grégoire IX — ont envisagé la possibilité de lui accorder la gloire des autels et que l'hagiographie dominicaine du XIIIe siècle lui a attribué le mérite d'avoir prophétisé la naissance de l'ordre des Frères Prêcheurs5. Mais si les historiens contemporains sont demeurés assez discrets sur son compte, c'est sans doute en raison des problèmes que pose l'établissement de sa biographie. Il y a certes unanimité chez tous ceux qui se sont intéressés à lui pour dire qu'Etienne de Châtillon-les-Dombes, dans le diocèse de Lyon, était issu d'une famille noble et qu'il naquit entre 1150 et 1157. A l'âge adulte, il entra à la chartreuse de Portes, où il se distingua par sa piété et ses vertus, ce qui lui valut d'en devenir le prieur à une date inconnue. A une époque qui — nous allons le voir — se situe selon les auteurs entre 1202 et 1213, il fut élu évêque de Die, dans l'actuel département de la Drôme, fonction qu'il accepta à contrecœur mais qu'il exerça de façon remarquable, après avoir été consacré à Vienne par son archevêque métropolitain, Humbert. De son vivant déjà, mais surtout après sa mort, de nombreux miracles se produisirent par son intercession et, dès le lendemain de son décès, sa tombe devint un lieu de pèlerinage très fréquenté, où accouraient des fidèles venant des régions rhodaniennes et alpines.
3Paradoxalement, son destin posthume est relativement mieux connu que sa biographie. Le 24 octobre 1222 en effet, le pape Honorius III, sollicité par le successeur de saint Etienne sur le siège de Die, chargea le légat pontifical Conrad de Zahringen, ou d'Urach si l'on retient plutôt le nom de l'abbaye cistercienne d'où il était issu, cardinal-évêque de Porto et Sainte-Rufine, de procéder à une information sur la vie, la mort et les miracles du prélat défunt6. Le cardinal eut-il la possibilité de se rendre en personne à Die, alors que bien d'autres affaires plus urgentes retenaient son attention ? Cela n'est pas impossible car on sait par ailleurs qu'il passa à Vienne en 1223, en rentrant de France à Rome7. S'il n'eut pas le temps de s'acquitter de la mission que le pape lui avait confiée par la bulle Etsi non immerito, sans doute demanda-t-il à l'évêque de Die de faire lui-même l'enquête préliminaire, dite diocésaine, dont les résultats pouvaient déterminer le pape, dans le cadre de la nouvelle procédure en vigueur, à ouvrir un véritable procès de canonisation8. Ce sont sans doute les résultats de cette enquête locale que l'archevêque de Vienne, Jean de Bernin, et ses suffragante adressèrent au pape Grégoire IX, au début de 1231, avec une supplique dans laquelle ils faisaient un vibrant éloge de leur ancien collègue et où ils lui demandaient avec insistance de reconnaître officiellement sa sainteté9. Le souverain pontife leur répondit, le 16 décembre 1231, par la bulle Patri luminum dans laquelle, sans se prononcer sur le fond, il déclara insuffisant le dossier qui lui avait été transmis par les prélats de la province de Vienne, celui-ci comportant bien une soixantaine de miracles mais peu d'indications précises sur la vie et les vertus du candidat aux autels10. Toutefois la lettre de Grégoire IX ne constituait nullement une fin de non-recevoir, puisqu'elle s'achevait par la désignation d'une commission d'enquête, composée de l'archevêque d'Embrun, de l'évêque de Gap et de l'abbé cistercien de Valcroissant, qui était chargée de recueillir les dépositions des témoins, mais aussi de s'informer de la « fama » qui entourait le souvenir de saint Etienne et de se procurer les écrits le concernant (« scripturas authenticas »)11.
4On peut se demander si cette nouvelle enquête fut bien effectuée ou si, ayant été faite, elle n'emporta pas la conviction du Saint-Siège. Toujours est-il que nous n'en avons conservé aucune trace et que saint Etienne de Die ne fut finalement canonisé ni par Grégoire IX ni par aucun autre pape du Moyen Age. En fait, après la flambée d'enthousiasme et de miracles qui suivit le décès du prélat et se prolongea pendant quelques années, il ne semble pas que son culte ait connu un grand essor, même sur le plan régional. Tout incite à croire qu'il demeura limité à la cathédrale de Die, où un autel et une chapelle placés sous son patronage furent fondés en 1334 par un noble, et la fusion du diocèse de Die avec celui de Valence, en 1275, dut nuire à sa diffusion. En 1562, les reliques de saint Etienne furent détruites par les Huguenots, lors du pillage de la cathédrale de Die12. La dévotion au saint évêque fut relancée au XVIIe siècle, comme l'atteste un portrait le représentant qui fut peint à cette époque dans cette même église. Mais ce n'est qu'en 1852 que le pape Pie IX reconnut officiellement la sainteté d'Etienne de Châtillon, évêque de Die, et accorda l'autorisation de lui rendre un culte dans le diocèse de Valence. En 1857, celle-ci fut étendue à l'ordre des Chartreux, qui n'avait d'ailleurs pas attendu cette date pour l’inscrire dans son sanctoral13.
5Après avoir clarifié dans toute la mesure du possible l'histoire du culte de saint Etienne, il nous reste maintenant à essayer de résoudre les problèmes très complexes que pose la chronologie de son épiscopat, entre son élection et sa mort. Comme nous l'avons déjà laissé entendre, les opinions des divers auteurs qui ont traité de cette question sont loin d'être concordantes. Au total, on peut ranger ces derniers en trois groupes : ceux qui datent l'épiscopat de saint Etienne des années 1203-1208 ; ceux qui le limitent à l'année 1208, et enfin ceux qui le situent en 1213. Aussi convient-il d’examiner maintenant les diverses positions ainsi que les arguments sur lesquels elles se fondent, avant d'avancer nos propres hypothèses.
6Selon C. Eubel, saint Etienne aurait succédé à un évêque du nom d'Humbert, décédé en 1203, et serait mort lui-même en 1208 ; ensuite le siège de Die aurait été occupé par Humbert II, de la fin de 1208 à 121414. Cette chronologie, qui est aussi à peu de choses près celle de Nadal15, s'inspire en fait des Acta Sanctorum de septembre (t. III), où le bollandiste J. Périer s'est livré — un peu avant 1750 — à une analyse approfondie du dossier documentaire pour aboutir à la conclusion que saint Etienne avait bien été évêque de Die de 1203 à 120816. Cette opinion fut cependant contestée par J. Chevalier, dans son Essai historique sur l'Eglise et la ville de Die, paru en 188817. Pour ce dernier, le prédécesseur d'Etienne, Humbert Ier, était encore vivant en 1207, comme l'atteste une charte de cette même année. Aussi son successeur n'a-t-il sans doute dirigé le diocèse de Die que pendant quelques mois en 1208, puisqu'il est mort le 7 septembre. Gams s'est aligné sur cette position, au moins de façon approximative, puisqu'il date l'épiscopat de saint Etienne de 1208/09 et qu'il lui donne pour successeur Humbert II (1209-1214)18.
7Ces deux catégories d'auteurs ont en commun de situer le décès de saint Etienne à la date du 7 septembre 1208. La base de leur démonstration est constituée par un passage de la supplique adressée en 1231 au pape Grégoire IX par l'archevêque de Vienne et ses suffragante pour obtenir la canonisation de leur ancien collègue, dont ils évoquent le décès survenu, disent-ils, en 120819. L'argument paraît irréfutable et la cause semblait entendue lorsque, en 1935, J. De Font-Réaulx, dans un article consacré à la chronologie des évêques de Die au XIIIe siècle, relança le débat20. Son étude comporte en effet deux éléments nouveaux qu'il convient d'examiner attentivement : d'une part, il souligne le fait que le pontificat de saint Etienne a dû être très court, car il n’a laissé aucune charte comme évêque de Die ; de l'autre, il situe ce dernier en 1213 — et non en 1208, comme le voulait la tradition bollandiste —, en fonction de la découverte qu'il avait faite à Grenoble de la copie d'un autre manuscrit de la supplique de 1231, préférable, d'après lui, à celui utilisé par le P. Périer dans les Acta Sanctorum, qui porte la date de 1213 après la mention du décès de saint Etienne21. Comme une confusion entre XIII et VIII n'a rien d'inconcevable, il en concluait que l'évêque de Die était bien mort le 6 ou le 7 septembre 1213. Cette date, remarquons-le, était d'ailleurs celle qu'indiquait déjà au XVIe siècle l'hagiographe Surius, qui nous a transmis le texte des deux Vitae de saint Etienne qui furent rééditées ensuite dans les Acta Sanctorum, où le P. Périer se donna beaucoup de peine pour prouver que son prédécesseur s'était trompé et pourquoi il fallait préférer la date de 1208 à celle de 1213...22
8D'autre part, sachant que saint Etienne avait été prieur de la chartreuse de Portes avant de devenir évêque de Die, J. de Font-Réaulx eut l'idée de regarder de plus près les chartes de cette dernière. Il y trouva mention de deux personnages intitulés Stephanus prior : l'un qui dirigea la chartreuse de 1171 à 1180, et l'autre de 1195 à 1213, qui serait notre saint23. Sur la base de ces prémisses, il reconstitua ainsi la succession des évêques de Die au début du XIIIe siècle : Humbert Ier (1199-1212), puis saint Etienne (de mars à début septembre 1213), suivi de Didier (1214-1222 ou 23) et d'un certain B. qui aurait été massacré par les habitants de Die en 1223, et enfin de Bertrand de l'Etoile (1223/4-1234), que l'on retrouve effectivement comme postulateur de la canonisation de son prédécesseur, en 1231, aux côtés des autres évêques de la province de Vienne et de l'archevêque Jean de Bernin. Notons, pour finir notre tour d'horizon des diverses prises de position de la part des historiens, qu'en ce qui concerne la date du décès de saint Etienne, la chronologie de Font-Réaulx a été adoptée par l'auteur de l'article « Die » du Dictionnaire d'Histoire et de Géographie ecclésiastique, mais vigoureusement combattue par celui de la notice sur « Stefano di Chatillon, santo » dans la Bibliotheca Sanctorum, quelques années plus tard, qui tient pour la date traditionnelle de 1208 !24
9Les problèmes que pose l'histoire des évêques et de la ville de Die dans la première moitié du XIIIe siècle dépassant largement notre compétence et étant rendus difficiles, semble-t-il, par l'absence d'un cartulaire épiscopal cohérent, nous voudrions simplement verser au dossier une pièce qui a été jusqu'à présent négligée et qui apporte un peu de lumière sur la chronologie de l'épiscopat de saint Etienne. Il s'agit de la bulle Etsi non immerito, que nous publions en appendice à la fin de cet article, d'après le livre 7 des Registres du Vatican25. Curieusement en effet, ce document, qui a été mentionné ou évoqué par la plupart des auteurs qui se sont intéressés à saint Etienne de Die, est demeuré jusqu'à présent inédit et il ne semble pas que le bollandiste Périer l’ait connu autrement qu'à travers le résumé très sommaire qu'on peut en trouver dans les Annales ecclesiastici de Baronius, continuées par Rinaldo26. A la fin du XIXe siècle, P. Pressutti en a donné une analyse plus développée dans ses Regesta Honorii papae tertii, mais sans y inclure les quelques informations précises qui nous intéressent ici27. Ce n'est donc qu'en remontant à l'original, c'est-à-dire aux Registres du Vatican, que l'on peut y relever une petite phrase qui nous paraît importante : dans cette bulle de 1222, le pape demandait en effet à son légat en France, le Cardinal Conrad d’Urach, d'enquêter sur la vie, la mort et les miracles d'Etienne, ancien évêque de Die, qui ab octo annis tot et tantis corruscat miraculis quod ad tumulum ejus occurunt de diversis mundi partibus peregrini28. La mention des huit années dont il est question ici ne fait évidemment que reprendre le texte de la supplique adressée au pape par l'évêque qui occupait alors le siège de Die — il n'est malheureusement pas nommé, mais la bulle fait allusion à sa requête — et que ce dernier avait sans doute rédigée plusieurs mois auparavant, voire l’année précédente29. Elle me paraît confirmer que saint Etienne est bien mort en 1213. En effet, aussi bien les textes hagiographiques relatifs à ce dernier que la pétition de l'archevêque de Vienne en 1231 soulignent le fait qu'une flambée de miracles s'est produite au tombeau du saint prélat le lendemain même de son décès et dans les semaines qui l'ont suivi. Donc, en déduisant huit années de 1221, date probable de la rédaction de la première supplique de l'évêque de Die mentionnée dans la bulle Etsi non immerito, on arrive bien à la date de 1213, qui était déjà celle qu'avait indiquée Surius et que Font-Réaulx a retrouvée dans le manuscrit grenoblois de la supplique adressée à Grégoire IX en 1231 par l'épiscopat de la province de Vienne.
10Cela ne signifie pas pour autant que nous nous alignions totalement sur la position de J. de Font-Réaulx et que nous estimions avec lui que saint Etienne n'a occupé le siège de Die que de mars à début septembre 1213. L'argument sur lequel il s'appuie — la mention dans les chartes de la chartreuse de Portes d’un prieur nommé Stephanus qui aurait dirigé la communauté de 1195 à 1213 — nous paraît en effet sujet à caution : deux prieurs portant ce nom ont pu se succéder entre ces dates et, s'il est indubitable que saint Etienne a bien été prieur de Portes, rien ne prouve qu'il l'ait été pendant dix-huit années consécutives et qu'il n’ait quitté la Chartreuse que dans les premiers mois de 1213. D'autre part — et cet aspect des choses ne semble guère avoir retenu, paradoxalement, l'attention des historiens —, l’auteur de la seconde Vie de saint Etienne, dont le nom nous est inconnu mais qui est de toute évidence un chartreux de Portes, indique de façon très claire que ce dernier a été élu évêque de Die en 1208 et qu'il y est mort en 1213. Pourquoi son témoignage n'a-t-il pas été retenu ? Le P. Périer le récuse sous prétexte que cette Vita ne serait pas digne de foi, puisqu'on y retrouve des références à la Vie d'autres saints évêques anciens chartreux, comme saint Anthelme de Belley († 1177), originaire lui aussi de Portes, et saint Hugues de Lincoln († 1200), qui avait quitté la Grande Chartreuse pour devenir évêque en Angleterre30. Mais il me semble qu'en écartant le témoignage de l'auteur de la Vita II, le bollandiste a fait preuve d’un excès d'esprit critique. En effet, le biographe de saint Etienne dit simplement qu'ayant à écrire la Vie d'un saint évêque issu de l'ordre des Chartreux, il n'a pu s'empêcher de penser aux deux autres saints récents qui étaient dans le même cas et qui avaient d'ailleurs constitué pour saint Etienne lui-même, de son vivant, des modèles qu'il s'était efforcé d'imiter31. S'il n'avait été qu'un simple plagiaire, aurait-il indiqué ses sources de façon aussi candide ?
11D'autre part, le récit que l'auteur de la Vita II donne de l'activité de saint Etienne pendant son épiscopat me paraît exclure que celui-ci n'ait duré que quelques mois, comme l'affirment à la fois J. Chevalier (pour l'année 1208) et J. de Font-Réaulx (pour l'année 1213). L'hagiographe y décrit en effet les efforts déployés par le prélat pour reprendre en main son diocèse et en réformer le clergé et les fidèles predicando, exhortando, visitando32. Mais, loin de s'en tenir à ces généralités, il précise sur quels fronts l'évêque de Die avait fait porter l’effort de son action pastorale : il lutta en effet particulièrement — nous dit-il — pour rétablir dans sa cité et dans le diocèse la sanctification du dimanche, qui était jusque-là consacré aux foires, danses et jeux. Pour en détourner les fidèles, il commença par prêcher contre ces divertissements, mais sans grand succès. Aussi décida-t-il de faire apparaître devant eux les démons auxquels ils sacrifiaient le jour du Seigneur et organisa-t-il pour cela une véritable représentation, où il révéla devant la population réunie le vrai visage de ces diables horribles...33 Impressionnés par ce spectacle, les laïcs renoncèrent à leurs habitudes dans ce domaine et leurs mœurs s'améliorèrent. La Vita II attribue aussi à saint Etienne le mérite d'avoir expulsé le démon qui faisait souffrir une possédée, guéri miraculeusement de son vivant divers malades et ressuscité une femme34. Il aurait aussi éloigné la grêle de la ville de Die par un signe de croix, visité les établissements religieux de son diocèse et obtenu la paix à son peuple en le réconciliant avec ses ennemis35. Tout cela reste évidemment un peu imprécis à notre goût, mais il ne s'agit pourtant pas d'une simple répétition de clichés stéréotypés, ni d’emprunts faits à la vie de saints évêques antérieurs. Surtout, il me paraît difficile d'imaginer que saint Etienne ait pu mener de front autant d'entreprises et accomplir tant d'actions remarquables pendant un épiscopat qui n'aurait duré que six mois... En tout cas, je ne vois pour ma part aucune raison de ne pas croire sur parole l'auteur de la Vita II quand il conclut en disant que saint Etienne septimo die septembris, in vigilia Nativitatis Dei Genitricis, migravit ad Dominum, anno gratiae millesimo ducentesimo tertio decimo, etatis sue quinquagesimo septimo, episcopatus vero plus quinto sed minus sexto. Il me semble que la bulle Etsi non immerito confirme cette chronologie et que l'on peut désormais tenir pour acquis que saint Etienne, né vers 1156, devint évêque de Die au début de 1208 et qu'il mourut en cette ville le 7 septembre 1213.
Annexe
APPENDICE
Bulle d'Honorius III ordonnant au cardinal-évêque de Porto d'enquêter sur la vie, la mort et les miracles d'Etienne, jadis évêque de Die (24 octobre 1222).
Reg. Vat., lib. 7, epist. 25, fol. 7.
(Texte inédit. Analyse dans P. Pressutti, Regesta Honorii papae III, t. II, Rome, 1895, no 4134 ; bref résumé dans les Annales ecclesiastici auctore Odorico Raynaldo, t. XX, Lucques, 1747, p. 511)
Etsi non immerito gaudeamus quotiens Dominus mirificans sanctos suos ostendit per eos signa virtutum cum exinde iuventus ecclesie sicut aquila renovetur, confortetur fides et perfidia confudatur, requisiti tamen ut aliquos sanctorum cathalogo ascribamus, ad id sine maturitate plurima precedere non audemus. Cum itaque venerabilis frater noster Diensis episcopus nobis supplicavit instanter ut felicis memorie Stephanum predecessorem suum, qui ab octo annis tot et tantis corruscat miraculis quod ad tumulum ejus occurunt de diversis mundi partibus peregrini, sanctorum cathalogo faceremus ascribi, nos, nolentes in hoc uti aliqua levitate, inquisitionem huius negotii discretioni tue de qua plenam in Domino fiduciam obtinemus duximus commitendam, fraternitati tue per apostolica scripta mandantes quatenus de ipsius vita, obitu et miraculis ante mortem et post necnon aliis circumstanciis inquirens diligentissime veritatem, quae inveneris nobis fideliter et piene rescribas, ut procedamus exinde prout secundum Deum viderimus procedendum. Datum Laterani, VIII Kal. Novembris, anno septimo.
Notes de bas de page
1 AA. SS. Sept. III, 175-201. On y trouve (p. 186-194) le texte des deux Vitae de saint Etienne de Châtillon : la première (= BHL. 7899) est une Vie rythmique assez brève et très générale ; la seconde (= BHL. 7890), que nous appellerons Vita II, est nettement plus développée et doit avoir pour auteur un chartreux de Portes. Ce dernier, dans son prologue, se réfère explicitement à l’œuvre de son prédécesseur, dont il critique l’imprécision et l’obscurité. Elle est suivie de quelques miracles (= BHL. 7901). Nous reparlerons de la bulle de Grégoire IX, infra, note 10.
2 En particulier M. Depery, Histoire hagiologique du Bugey, Bourg, 1834 ; J.C. Nadal, Histoire hagiologique du diocèse de Valence, Valence, 1855, et J. Chevalier, Essai historique sur l'Eglise et la ville de Die, Montélimar, 1888.
3 Inventaire hagiographique des tomes 1 à 100 (1882-1982), Supplément aux Analecta Bollandiana, Bruxelles, 1983.
4 B. Bligny, L'Eglise et les ordres religieux dans le Royaume de Bourgogne aux XIe et XIIe siècles, Paris, 1960, p. 312.
5 Voici ce que dit à ce propos G. De Frachet, dans ses Vitae Fratrum Ordinis Praedicatorum, éd. B. M. Reichert, Rome, 1897, p. 11 (= Monumenta Ordinis Praedicatorum Historica, I) : Apud Portas, domum ordinis Cartusiensis, Lugdunensis diocesis, fuit quidam prior tante religionis quod apud eos sanctus Stephanus nominabatur. Hic, revelatione sibi facta a Domino, fratribus suis dixit hunc ordinem Fratrum Praedicatorum in brevi venturum. Super quod reddens eos atttentos, affectu speciali rogavit et monuit ut ordo iste ab eis in omni amore et reverenda haberetur. Quod devotissime implent, recipientes fratres nostros sicut angelos Dei. Le même développement se retrouve sous une forme abrégée dans la Vie de saint Dominique par Thierry d'Apolda, dans AA. SS. Aug. I, 570. Je suis heureux d'attirer l'attention sur ce texte peu connu, qui atteste la continuité entre les ordres religieux anciens et les nouveaux au Aille siècle, dans le cadre d'un volume offert en hommage à M. Pacaut, orfèvre en la matière et ancien Directeur du CERCOR.
6 Cette bulle, qui commence par les mots Etsi non immerito, est éditée pour la première fois à la fin du présent article, p. 170.
7 Sur Conrad d'Urach et sa légation en France, cf. J.-F. Canivez, S. V. Conrad d'Urach, dans DGHE, XIII, Paris, 1956, c. 504-507, et A. Clement, « Conrad d'Urach, légat en France et en Allemagne », dans Revue Bénédictine, XXII, 1905, p. 232-243, et XXIII, 1906, p. 62-81 et 373-391. Après avoir séjourné en Languedoc en 1220 et participé au chapitre général de Cîteaux en octobre 1222, il assista aux funérailles de Philippe Auguste, le 14 juillet 1223, et regagna aussitôt l'Italie.
8 C'est dans l'affaire de la canonisation d'Etienne de Die que l'on voit pour la première fois le Saint-Siège requérir explicitement une enquête diocésaine préliminaire sur la vie et les miracles du saint, avant de prendre la décision d'ouvrir ou non un procès de canonisation. Cf. A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age, 2e éd. Rome-Paris, 1988, p. 49-50.
9 Le texte de cette supplique, ainsi que du recueil de miracles qui l'accompagnait (= BHL. 7902), est édité dans les AA. SS. Sept. III, 194-201, ainsi que dans la Gallia Christiana, XVI (1865) instr., 202-212. Cf. U. Chevalier « Jean de Bernin, archevêque de Vienne (1218-(1218-1266) », dans Revue d'Histoire de l'Église de France, t. I, 1910, p. 15-33 et 129-146.
10 Grégoire IX, Patri luminum, éd. partielle dans AA. SS. Sept. III, 184, et intégrale dans Gallia Christiana, XVI, instr. 213, n. 20. L'évêque de Die et ses collègues de la province de Vienne ont pu se tromper en toute bonne foi dans le domaine de la procédure. En effet, la bulle adressée en 1222 par Honorius III au légat Conrad d'Urach avait dû leur donner l'impression que le pape était décidé à ouvrir le procès de canonisation de saint Etienne, alors qu’il ne s'agissait dans son esprit que d'une enquête préliminaire. Mais ils étaient moins excusables de n'avoir transmis au Saint-Siège qu'un recueil de miracles. Cf. A. Vauchez, op. cit., p. 60-64.
11 Il s'agit de deux prélats qui résidaient dans des diocèses proches de celui de Die ; Valcroissant était une abbaye cistercienne du diocèse de Die, fondée en 1188. Cf. Cottineau, Répertoire topo-bibliographique des abbayes et prieurés, Mâcon, 1939, c. 3271.
12 Sur l'histoire du culte de saint Etienne, cf. J. Chevalier, Essai historique sur l'Eglise et la ville de Die, cité, p. 263-278.
13 Comme l'indique d'ailleurs déjà G. De Frachet dans le passage cité plus haut, note 5. Sur le culte de saint Etienne au sein de l'ordre des Chartreux, cf. Ch. Le Couteulx, Annales Ordinis Cartusiensis, t. I, Montreuil, 1888, et D. Le Vasseur, Ephemerides Ordinis Cartusiensis, t. III, Montreuil, 1891, p. 150 sq.
14 C. Eubel, Hierarchia Cattolica, Munster, 1913, p. 224.
15 J.-C. Nadal, Histoire hagiologique du diocèse de Valence, cité, p. 305-312, à cette différence près qu'il fait commencer son épiscopat en 1202. cf. ibid., p. 310.
16 AA. SS. Sept. III, 175-185 (volume paru en 1750). Le commentarius praevius du P. Perier est long et compliqué, et, à plusieurs reprises, il ne dissimule pas son embarras.
17 J. Chevalier, op. cit., p. 262 sq.
18 P. B. Gams, Series episcoporum, Ratisbonne, 1873, p. 544.
19 AA. SS. Sept. III, 194.
20 J. De Font-Reaulx, « La chronologie des évêques de Die dans la première moitié du XIIIe siècle », dans Bulletin de la Société d'Archéologie et de Statistique de la Drôme, t. XXV, 1935/36, p. 267-273.
21 Grenoble, Bibliothèque Municipale, ms. R. 80,1 pièce 84 (copie XVIIe siècle).
22 Surius, De probatis sanctorum historiis, t. V, Cologne, 1580, p. 128-133.
23 D'après Guigue, Cartulaire lyonnais, t. I, Lyon, 1885.
24 L. Gaillard, S.V. « Die », dans DGHE, XIV, Paris, 1960, c. 431, et E. Brouette, s.v. « Stefano di Chatillon, santo », dans Bibliotheca Sanctorum, XI, Rome, 1968, c. 1396-1398.
25 Cf. infra, p. 170.
26 Annales ecclesiastici auctore Odorico Raynaldo, t. XX, Lucques, 1747, p. 511.
27 P. Pressutti, Regesta Honorii papae III, Rome, 1895, t. II. no 4135.
28 Cf. Bulle Etsi non imerito, infra, p. 170, lignes 6 et 7.
29 Ibid., lignes 5 et 6 : Cum itaque venerabilis frater noster Diensis episcopus nobis supplicava instanter ut felicis memoriae Stepnanum predecessorem suum... sanctorum cathalogo faciamus ascribi...
30 Sur ces personnages, cf. B. Bligny, op. cit., p. 310-315, et A. Vauchez, op. rit., p. 335.
31 Vita II, in AA. SS. Sept. III, 187.
32 Ibid., 191.
33 Ibid., 191 : Praecepit daemonibus qui eos et predicta scelera incitabant et quorum voluntates sequebantur quatenus eisdem se palam sine aliqua eorum laesione demonstrarent. Nec mora, daemones ejus praecepto statim paruerunt quem homines curiosi induratique contemnebant. Videre erat horribile et admirandum daemones procerae staturae, nigros, cornutos, foetorem et ignem flammeum emittentes ad ejus imperium stare et apparere cunctis et ad ejus recedere mandatum, neminemque laedere posse. Quo viso populus caecus oculos aperire coepit, vitam et mores communtando. Une autre version du même épisode, donnée par une source d'origine inconnue, est reproduite par les Bollandistes, ibid., p. 193. On ne sait s'il faut interpréter cette scène comme une sorte d'exorcisme collectif ou comme une représentation théâtrale.
34 En outre son biographe fait état de plusieurs séjours qu'il effectua à la chartreuse de Portes pendant son épiscopat pour se ressourcer spirituellement : ibid., 192.
35 Ibid., 195.
Auteur
Université de Paris X-Nanterre
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