Les paroisses d’Arles aux deux derniers siècles du Moyen Âge
p. 597-609
Texte intégral
1« La paroisse n'est pas une donnée première de l'organisation ecclésiastique. Le cadre de la vie chrétienne dans la société antique fut celui de la communauté groupée autour de son évêque... L'apparition des paroisses est donc une donnée seconde dans l'histoire des circonscriptions ecclésiastiques »1. Entre 1300 et 1500, il y a longtemps que l'église cathédrale Saint-Trophime, autrefois « basilica beati ac primi martyris Stephani », n'est plus la seule église d'Arles. Dès le VIe siècle existaient les églises Saint-Sauveur, Saint-Lucien, la Major, les monastères Notre-Dame, Saint-Césaire, Sainte-Croix. Dans le premier quart du XIIe siècle, toutes les églises paroissiales du bas Moyen Age étaient là à l'exception de la paroisse extra muros Notre-Dame-de-Beaulieu, qui est apparue au XIIIe siècle.
2En 1300, il y a à Arles 15 paroisses dont 14 à l'intérieur des murs. On est loin des 37 paroisses de Paris, des 29 de Poitiers, des 30 d'Orléans, des 26 de Metz. Arles se situe dans le groupe des villes ayant entre 12 et 19 paroisses (Laon, Saint-Quentin, Bordeaux, Sens, Amiens, Périgueux, Reims, Arras, Beauvais, Lyon...). Elle en a un plus grand nombre que Narbonne (8) et Toulouse (7)2. Elle l'emporte sur Avignon (7), Marseille (5) et Aix (2). L'une des originalités d'Arles dans la Provence médiévale est le nombre de ses paroisses, signe de son développement précoce aux XIe et XIIe siècles.
3Des 15 paroisses de 1300, trois remontent au très haut Moyen Age (Sainte-Croix, la Major, Saint-Lucien), cinq à l'extension de l'agglomération au-delà des limites de l'ancienne cité romaine du Xe au XIIIe siècle (Saint-Laurent, Saint-Martin, Saint-Isidore, Saint-Julien, Notre-Dame-de-Beaulieu), sept à la multiplication des lieux de culte à l'intérieur de la Cité (Saint-Georges, Saint-Michel, Saint-Vincent, la Madeleine, Saint-Jean-de-Moustiers, Notre-Dame-la-Principale, Saint-Pierre-de-Pesulo).
4Leurs tailles sont très variables. En 1319, la Madeleine compte 20 feux, Sainte-Croix 468 : 23 fois plus. En 1438, Saint-Michel en a 20, la Major 209 : 10 fois plus. Il y a des paroisses énormes (Saint-Croix, la Major, Saint-Julien) et des minuscules (Saint-Jean-de-Moustiers, la Madeleine, Saint-Georges, Saint-Michel-de-Scala). Cela confirme les observations faites à propos de la France du nord : « Dans presque toutes les villes importantes, on rencontre des paroisses opulentes et de bonnes dimensions qui surclassent de très loin leurs voisines en hommes et en ressources »3. On a signalé des paroisses claustrales ouvertes aux officiers, serviteurs et domestiques des chanoines : à Reims, la paroisse claustrale Saint-Michel comptait comme paroissiens une bonne centaine de riches bourgeois. A Arles, deux paroisses relèvent de cette catégorie. Saint-Georges est la paroisse des chanoines de Saint-Trophime ; sur son territoire coexistent leurs demeures et celles d'un certain nombre de familles laïques : 68 en 1319, 22 en 1438. Saint-Jean-de-Moustiers, en 1319, compte 34 feux ; héritière de l'ancien baptistère primitif de la cité, comme son nom l'indique, elle est la paroisse du monastère Saint-Césaire et se trouve à l'intérieur de l'abbaye ou contiguë à elle. Il y a deux paroisses très petites liées l'une au chapitre, l'autre à un monastère. Il y a même une paroisse presque caricaturale : Saint-Michel-de-Scala. L'une des voûtes du premier étage des Arènes est occupée par l'église paroissiale d'une partie des familles domiciliées dans l'amphithéâtre : 52 en 1319, 20 en 1438. A aucun moment, à Arles comme ailleurs, ne s'est manifesté le souci d’un découpage rationnel de l'espace urbain : les paroisses en occupent des portions très inégales.
5Leur nombre a évolué entre 1300 et 1420. Notre-Dame-de-Beaulieu, la seule située hors des murs, a été la victime de la guerre dans la deuxième moitié du XIVe siècle. Parmi les plus modestes certaines ont été rattachées à leur voisines plus vastes : Saint-Jean-de-Moustiers, la Madeleine, Saint-Pierre-de-Pesulo. Arles est passée de 15 à 11 paroisses4.
6L’aspect matériel de ces églises échappe à peu près totalement, elles ont été détruites (7), reconstruites aux XVIIe et XVIIIe siècles (5) ou transformées (3). Sur les onze du XVe siècle, trois possédaient un cloître et un cimetière, six un cimetière, deux étaient dépourvues de l’un et de l'autre5. A Saint-Julien, le clergé paroissial habitait une série de pièces disposées autour d'un cloître. Quelques rares inventaires énumèrent le mobilier, les livres, les instruments liturgiques. Deux prix-faits font connaître l'installation d'une horloge à Saint-Julien et la construction d'un clocher à Saint-Laurent. Quelques legs dans les testaments signalent des retables ou des travaux en cours dans telle ou telle église. Ce sont d'autres aspects que les sources écrites permettent de saisir6.
7L’ensemble des paroissiens participent à la gestion matérielle de la paroisse. Chacune avait sa fabrique (l'œuvre) et ses marguilliers (operarii). Des assemblées de paroissiens se tiennent, élisent des operarii, prennent des décisions. En 1422, dix-huit paroissiens de Sainte-Croix en élisent deux pour percevoir les revenus de la paroisse. En 1444, à Saint-Lucien, une assemblée de dix-sept personnes décide de revendre un cens sur un jardin depuis peu acheté et de poursuivre un sarralh qui refuse de restituer une grande croix et un calice tant qu'on ne lui aura pas remboursé les 38 florins qu'on lui doit. Les operarii apparaissent dans divers actes faisant construire ou réparer des bâtiments paroissiaux. Ils doivent être élus dans des conditions indiscutables : en 1428, les paroissiens de Sainte-Croix en avaient désigné deux, un brassier et un pêcheur, mais ce choix n'avait été fait que par un nombre trop faible de présents et une deuxième assemblée se tient qui confirme le choix de la première. Ces assemblées reflètent la composition socio-professionnelle de la paroisse ; à Saint-Lucien, des artisans et des boutiquiers ; à Sainte-Croix, des pêcheurs, des laboureurs, des brassiers. Le cas de cette dernière, où un pêcheur et un brassier sont élus, montre que les gens plus modestes peuvent accéder à cette charge7.
8Une paroisse est un bénéfice ecclésiastique tenu par un prieur et dépendant d'institutions diverses. Les deux paroisses du Bourg-Neuf, Saint-Julien et Saint-Isidore dépendraient de l'abbaye de Montmajour8. L'église Saint-Vincent relève du chapitre Notre-Dame-des-Doms d'Avignon. Saint-Lucien est peut être dans le même cas. Les sept autres paroisses dépendent du chapitre : leurs titulaires sont des chanoines ou des prêtres bénéficiés de l'Eglise d'Arles.
9Les quatre premières paroisses citées ont le plus souvent des prieurs étrangers, des Languedociens, dés Avignonnais. En 1411, le prieur de Saint-Isidore est Deodat Falque de Saint-Genies dans le diocèse de Rodez ; en 1452, Pierre Lo Baron de l'aumônerie du roi. En 1411, le prieur de Saint-Vincent est un Augustin d'Avignon, prieur de Saint-Paul-de-Mausole9.
10Les prieurés les mieux connus sont ceux dépendant du chapitre. Prenons l'exemple de l'année 1429. Le 8 avril, les chanoines se réunissent. Ils constatent la vacance du prieuré de la Major par le décès de son titulaire, Gilles Delanglade, et désignent pour lui succéder Isnard d'Eyguières, chanoine et archiprêtre. Le 13 mai, il entre en fonction et, à cette occasion, est dressé un inventaire du mobilier. Le prieuré de Sainte-Croix, libéré par le départ d’Isnard d'Eyguières pour la Major, est confié à Guillaume Glause, chanoine et sacriste ; le 15 mai, il est mis en possession de la paroisse Sainte-Croix... aperiendo et claudendo januas ejusdem ecclesie intrando et exeundo et per tactum magni altaris mapparum candelabrorum et pulsationem campanarum... Le 20 juin, le notaire Trophime Grasset demande qu'à la mort de Guillaume Glause le prieuré soit confié à son fils10.
11Les paroisses sont recherchées et même disputées. Le même jour, le 5 octobre 1439, sont passés deux actes concernant Saint-Lucien. Pierre Mathieu, prêtre du diocèse de Châlons-sur-Marne, est mis en possession du prieuré. Un moment plus tard, à l'intérieur de l'église, un notaire, procureur d'un certain Louis Raymond, prêtre de Berre, présente des lettres apostoliques données à ce dernier à Bologne et lui attribuant le bénéfice. Pierre Mathieu a, en définitive, conservé Saint-Lucien11.
12Ces paroisses sont des sources de revenus qui permettent à quelques-uns de poursuivre leurs études. En 1429, Trophime Grasset a demandé le prieuré de Saint-Croix pour son fils qui va étudier à Avignon. En 1434, le prieur de Saint-Julien est dit dispositus studere in jure canonico. En 1411, le prieur de Saint-Isidore est en train d'étudier le droit canon à Montpellier ; il déclare que ses études faciliteront l’exercice de sa charge de prieur :... scientiam acquirendam cum qua facilius pro futuro tempore cura animarum dicte ecclesie ac utilius gubernare12. Pour les paroisses dépendant du chapitre, les Arlésiens de souche l'emportent. Leurs prieurs sont des fils de notables : nobles, notaires, jurisconsultes. Quelques-uns sont d'origine plus humble.
13Le clerc qui, en 1411, étudie à Montpellier, a obtenu l'autorisation de ne pas résider dans l'église Saint-Isidore. L’impression laissée par les documents arlésiens est que la non résidence est la règle. Il a été possible de retrouver pour les deux premiers tiers du XVe siècle 43 contrats d’arrentement de paroisses. Le prieur confie la cura animarum à un rentier que l’on appelle renderius, arrendator, firmarius, curatus, capellanus, capellanus curatus et qui promet de desservir la paroisse. Le contrat :
141°. Indique la durée de l’arrentement :
11 conclus pour 1 an | 5 conclus pour 4 ans |
10 conclus pour 2 ans | 6 conclus pour 5 ans |
11 conclus pour 3 ans |
152°. Indique le montant de la ferme et les conditions de paiement : en fin de contrat pour les contrats de un an ; en deux versements (la moitié à la Saint-Michel, la moitié à Pâques), en trois ou quatre versements (un tous les trois ou quatre mois). Le cas le plus fréquent est le versement de la rente en deux fois. Le montant pour une même paroisse varie d'un contrat à l'autre ; il varie surtout d’une paroisse à l'autre en fonction du nombre de leurs paroissiens et de leur richesse (Cf. : tableau le « poids » des différentes paroisses).
163°. Indique la répartition des revenus et des charges entre le prieur et le curé. Le cas le plus répandu est l'attribution de tous les revenus et de toutes les charges au curé fermier (19 fois sur 43). Le prieur se décharge de tout souci matériel et financier sur le curé. A propos des charges, on ne trouve que des formules vagues : visitationes, decime et alia quecumque onera consueta, onera papalia et archiepiscopalia... Quelques actes précisent les revenus et les charges des uns et des autres. En 1410, le prieur de Sainte-Croix se réserve les lods et trézains (droits de mutation perçus sur la censive de la paroisse), 10 livres de cire sur les ex-voto (ymaginibus cere), 6 livres sur les chandelles et les torches offertes à l'église, les legs faits dans les testaments et ne mentionnant pas expressément le nom du curé fermier. Certains contrats renferment des détails plus concrets. En 1434, le curé de Saint-Julien reçoit la libre disposition des bâtiments du cloître à l'exception d'une chambre neuve que le prieur se réserve ; il reçoit deux tonneaux de vin de Crau et devra en restituer la même quantité à l'issue du bail de trois ans ; il fera travailler les vignes et utilisera librement le matériel vinaire13.
174°. Mentionne souvent les noms de fidejussores, de garants fournis par le fermier et qui sont en général des parents.
185°. Peut signaler qu'au terme du contrat le fermier en place aura la préférence, si la somme qu'il offre est égale à celle des autres postulants14.
19Ce dernier détail suggère l’existence d'une mise aux enchères des paroisses confiées aux plus offrants, comme le sont, à la même époque les pâturages de la Crau. On les considère presque comme des biens immobiliers faisant partie des patrimoines familiaux. Un exemple : en 1436, le notaire Trophime Grasset arrente la paroisse Saint-Martin au nom de son fils, l'acte précise qu'il agit ut pater et legitimus administrator etiam ut procurator venerabilis et religiosi viri domini Bertrandi Grasseti ejus filii canonici et sacriste Sancte Arelatensis ecclesie prioris ecclesie parrochialis Sancti Martini15. Les clauses concernant les aspects matériels et financiers occupent dans ces textes une place beaucoup plus grande que les problèmes religieux.
20Un souci apparaît : qu'il y ait dans la paroisse un nombre suffisant de prêtres et de clercs. En 1410, à Sainte-Croix, le curé s'engage à entretenir un clerc ; en 1418, à Saint-Laurent, à tenir un « prêtre suffisant » ; en 1452, à la Major, à tenir un secondaire et un clerc16.
21En 1418, Jean Petit, curé de Saint-Laurent, promet de mener une vie honnête. Pour le service de la paroisse, on reste dans le vague : « ...assurer le service de la paroisse comme il l'est dans les autres paroisses... », « ...comme les prieurs précédents... », « ...desservir l'église de telle façon qu'aucun paroissien ne puisse se plaindre... ». Quelquefois les formules utilisées sont :...desservire in divinis et missis bene et debite, desservire in missis, horis canonicis singulis diebus.... Dans l'arrentement de Saint-Martin, en 1415, le curé s'engage à dire la messe le dimanche et les jours de fête et à faire dire la messe à Saint-Pierre-de-Pesulo, prieuré attaché à Saint-Martin, mais qui continue à fonctionner. Les curés doivent remplir un certain nombre d'obligations (messes, exercices liturgiques, prône dominical...). La coutume les fixe. Le contrat n'a pas à les détailler17.
22Les prieurs peuvent avoir une crainte : celle de voir les curés fermiers les imiter et ne pas résider. En 1418, celui de Saint-Laurent promet de « faire résidence » ; que cache cette dernière clause ?18 Une autre pratique est tantôt formellement interdite tantôt tolérée : la cession par le curé du prieuré pris à rente à un autre clerc. Dans certains contrats, il y a une interdiction absolue ; dans d'autres la cession est possible après accord du prieur. Un autre usage est très répandu : la collectio in socium courante dans certains secteurs d'activité tels que l’élevage, la pêche ou la possession de navires. Le prêtre qui a pris à ferme une paroisse s'associe à un autre pour l'accomplissement de sa tâche. En 1434, Pierre Dieulofes s'associe Jacques Boyron pour l'arrentement de l'église Saint-Julien : l'acte est intitulé Collectio in socium dicti arrendamenti pro Jacobo Boyroni. Quelques mois plus tard, Pierre Dieulofes, surchargé de travail (il a obtenu l'église Saint-Michel : beneficium cum cura ecclesie Sancti Michaelis de Scala et il est recteur d'une chapellenie à Saint-Trophime), renonce à la moitié de la paroisse Saint-Julien qu'il remet à Jacques Boyron contre le versement de 25 florins19. On voit des prêtres céder des prieurés à rente, s'associer, mais aussi accumuler les bénéfices : paroisses urbaines, églises rurales, églises des Aliscamps, chapellenies. En 1428, Jean Brachet est curé de Saint-Laurent, il dessert la chapelle Saint-Sauveur-de-la-Trouille et une chapellenie à Sainte-Croix ; il s'associe à Guillaume Cannat, prieur de Saint-Georges et recteur d'une chapellenie à Saint-Trophime : les deux prêtres décident de tout mettre en commun et de partager charges et bénéfices20. Il y a de véritables entreprises ecclésiastiques gérées comme de vulgaires entreprises économiques.
23L'origine géographique et sociale des curés fermiers est souvent connue :
- un très grand nombre sont des immigrés. Ils viennent de Provence : Salon, Martigues, Berre, Tourves, Le Luc... ; ou participent au grand mouvement de descente vers le sud et peuvent venir de très loin : Besançon, Verdun, Châlons-sur-Marne, Beauvais, Redon, Tréguier. Cette immigration rappelle celle observée en Languedoc au XVIIe siècle par Emmanuel Le Roy Ladurie ; il évoque « ce prolétariat ecclésiastique nomade » et écrit, à propos des curés, « beaucoup de ceux-ci sont nés loin de leur cure, en général dans les pieux diocèses du Massif Central ou de l'Ouest ». Les Arlésiens pouvaient-ils toujours comprendre les prônes de ces étrangers ?21
- un groupe est constitué de clercs locaux, fils, frères, cousins, neveux de laboureurs, de brassiers, de bergers, d'artisans.
- dans cet ensemble enfin, les clercs réguliers sont l'exception. Deux seulement ont été repérés : un moine, prieur de Saint-Geniès-de-la-Colonne, et un moine de Montmajour qui fait une véritable carrière de curé, prenant successivement à ferme plusieurs paroisses d'Arles.
24Les curés peuvent parfois rester de longues années dans la même église. Mais souvent ils changent, puis reviennent à une église précédemment tenue. Ils donnent l'impression de « tourner » à l'intérieur de l'espace urbain. Quelques exemples de carrières nécessairement incomplètes le confirment.
25Pascal Bosse, longtemps curé, finit par devenir prieur. Pierre Dieulofes est à la fois curé et prieur, comme Guillaume Cannat, prieur de Saint-Georges qui s’associe au curé de Saint-Laurent. Entre les deux catégories, il n'y a pas de cloison étanche. Un prieuré est pour un curé une promotion espérée, quelquefois réalisée. Le prieur d'une modeste paroisse (Saint-Michel par exemple) n'hésite pas à accroître ses ressources en devenant curé fermier. Mais les prieurs et les curés appartiennent en général à deux mondes : les uns sont des notables instruits détenteurs de bénéfices, les autres de pauvres clercs cherchant à gagner leur vie. L'image fournie par les paroisses d'Arles confirme ce qu'écrit Francis Rapp : « ...les hommes aisés, intelligents ou courageux qui s’étaient soumis aux disciplines universitaires... quand ils postulaient l’investiture d'une paroisse... la voulaient bien rentée, parce qu'ils comptaient prendre sur ses revenus le salaire d'un remplaçant. Ce n'étaient donc pas ceux qui s'enorgueillissaient des diplômes les plus élevés qui assumaient le soin des âmes, mais les « pauvres clercs » dépourvus de science comme de moyens financiers, trop heureux de pouvoir gagner chichement leur pain en prenant sur leurs épaules la charge des riches et des savants »22.
26Quel est le véritable clergé paroissial ? Juridiquement : les prieurs ; réellement : les capellani curati. Ce sont eux que les paroissiens connaissent, à qui ils font des legs dans leurs testaments et à qui ils demandent de célébrer des trentains de messes. Or, lorsque se réunissent les synodes diocésains de Pâques et de la Saint Luc, ce sont les prieurs qui sont présents, qui reçoivent les consignes, à qui est rappelée la conduite à tenir et pourtant ce n'est pas eux qui ont en charge le peuple chrétien. N'y a-t-il pas là une contradiction fondamentale dans le fonctionnement de l'Eglise au Bas Moyen Age ?
27La formation que reçoivent les curés reste dans une large mesure dans l'ombre. Les prêtres, Arlésiens de souche, doivent recevoir leur formation initiale à l'école de grammaire de la ville (en 1441, le conseil se préoccupe de trouver « un maître suffisant pour l’instruction des clercs et des enfants de nobles et de bourgeois »), ils suivent peut être un enseignement de théologie dans les couvents de mendiants (il y a un lecteur, « magister in sacra pagina » dans les quatre couvents et le conseil s'efforce d'en attirer, lorsqu'il arrive que l'un des couvents en soit dépourvu ou d'en conserver quand l’un d'eux risque de partir), enfin apprennent « sur le tas » leur métier auprès de curés (dans chaque paroisse il y a un ou plusieurs clercs) ou de chanoines (ceux-ci ont des clercs comme serviteurs). Les comptes de l'archevêché permettent d'apercevoir les débuts de la carrière de certains clercs : le 21 décembre 1424, Jean Olivier, « clerc de Saint-Trophime », reçoit les ordres d'acolyte et de sous-diacre ; le 1er mars suivant il reçoit ceux de diacre et de prêtre et est dispensé de verser les 6 gros dûs à cette occasion, car il est pauvre et est servitor continuus Sancti Trophimi et archidiaconis23.
28Les paroisses ont, dans la vie des Arlésiens, une importance considérable, un rôle qui dépasse le cadre purement religieux, comme l'a souligné Pierre Desportes pour la France du Nord24. Elles sont utilisées comme un cadre administratif. En 1271 et 1319, le comte s'en servait pour dresser les listes d’hommes lui prêtant hommage et de feux de cavalcade. Au XVe siècle, les documents fiscaux (livres terriers, listes de la taille et du capage) sont établis paroisse par paroisse. Les assemblées de levadiers, réunies pour assurer l'entretien des levées et la protection des différents quartiers du territoire, se tiennent dans les églises paroissiales : l'église Saint-Croix est par excellence le lieu de rassemblement des propriétaires des différents secteurs de Camargue25.
29C'est très souvent dans les églises paroissiales que les membres d'une confrérie se réunissent et font célébrer leurs messes : les confrères de Saint-Esprit-de-la-Cité à la Major, ceux de Saint-Pierre-de-Luxembourg à Saint-Julien. Mais l'essentiel est ailleurs, dans l'attachement des Arlésiens à leur paroisse. En 1424, une certaine Borriana de Libra fait son testament ; elle lègue 20 florins à l'église de la Major cujus parrochiana sum et in quo recipio ecclesiastica sacramenta26. C'est dans sa paroisse que l'Arlésien va à la messe, qu’il reçoit les sacrements, que se déroulent les actes importants de sa vie religieuse. L'Arlésien est d'abord un paroissien ; le témoignage des testaments est irréfutable : 2 800 ont été dépouillés entre 1376 et 1475, 2 800 fois le testateur commence la série de ses legs pro remedio anime par des legs à sa paroisse. D'un testament à l'autre, d'une paroisse à l'autre, il y a des différences : le prieur est souvent oublié, car on préfère le curé ; tantôt il y a un secondaire, tantôt il n'y en a pas ; tantôt il y a un clerc, tantôt il y en a plusieurs ; quelquefois on mentionne de façon explicite l'œuvre, le cierge pascal, la quête pour les âmes du Purgatoire, en général on se contente de la formule singulis officiis ou quatuor officiis. Mais l'ordre suivi est immuable : le prieur, le curé, le secondaire, le ou les clercs, les officiis. Les plus riches peuvent ordonner la fabrication d'un retable ; tous, même les plus pauvres, peuvent participer à la confection d'une croix, d'un reliquaire ou d'un retable27.
30La place des paroisses dans le cœur des Arlésiens peut se mesurer au nombre de messes léguées et à celui des élections de sépulture :
31— Entre 1426 et 1450 quelque 33 000 messes figurent dans les testaments :
- 37,4 % sont léguées aux religieux des quatre couvents de Mendiants.
- 6,5 % sont léguées à des prêtres divers.
- 16 % sont léguées à des églises diverses y compris les églises des Aliscamps.
- 40,1 % sont léguées aux prêtres des églises paroissiales.
32La place des paroisses est encore plus grande, car il faudrait y joindre les messes léguées aux « prêtres divers » dont on connaît seulement le nom, qui ne peuvent être rattachés de façon certaine à aucune église, mais qui très vraisemblablement, dans leur majorité, exercent leur ministère dans les paroisses. Cette place est la première.
33— La répartition des élections de sépulture entre 1376 et 1475 se présente ainsi :
1376-1400 | 1401-1425 | 1426-1450 | 1451-1475 | |
Eglises paroissiales | 27 % | 40,7 % | 39,2 % | 40,11 % |
Cimetière des Aliscamps | 56,9 % | 40,7 % | 34,6 % | 22,97 % |
Couvents de Mendiants | 14 % | 6,8 % | 24,4 % | 32 % |
Eglises et cimetières divers | 2 % | 1,8 % | 1,7 % | 4,91 % |
34Elle révèle une évolution entre les trois possibilités qui s'offraient aux Arlésiens : la paroisse, les Aliscamps, les couvents de Mendiants. C'est le grand déclin des Aliscamps, le succès des Mendiants (doublement en un siècle), le progrès puis la stabilité de la paroisse. Entre 1400 et 1475, constamment 40 % des testateurs choisissent leur paroisse28. Ils sont souvent ensevelis dans les tombes de leurs parents ou de leurs enfants Quelques-uns ordonnent la construction d'une tombe ou d'une chapelle. Tous les groupes sociaux n'ont pas exactement le même comportement. L'aristocratie arlésienne boude la paroisse ; elle reste plus que les autres fidèles aux Aliscamps et manifeste une prédilection pour les couvents de Mineurs et de Prêcheurs. Les boutiquiers et les artisans abandonnent massivement les Aliscamps pour les paroisses et les Mendiants. Les Arlésiens les plus fidèles à leurs églises paroissiales sont les éleveurs et les agriculteurs ; or 60 % des habitants vivent de la pêche, de l'élevage, et de l'agriculture. On comprend la première place occupée par la paroisse.
35Certains documents font défaut : les visites pastorales29. Certains aspects traditionnels sont absents des sources écrites : les conflits entre le clergé paroissial et les couvents de Mendiants30. Le grand nombre des églises paroissiales et les actes relativement nombreux les concernant dans les registres de notaires ont incité l'auteur de ces lignes à présenter cette contribution aux mélanges en l'honneur de Marcel Pacaut. Il y a été encouragé par la série des travaux consacrés à la paroisse ces dernières années31. Il y a eu indiscutablement un engouement parmi les chercheurs pour les ordres mendiants et les confréries. Par un juste retour des choses, la paroisse est revenue au premier plan. Revenir à la paroisse, à Arles comme ailleurs, c'est revenir à l'essentiel.
Notes de bas de page
1 J. Gaudemet, « La paroisse au Moyen Age », dans Revue d'histoire de l'Église de France, t. LIX, 1979, p. 5-22.
2 P. Desportes, « Ville et paroisses en France du Nord au Moyen Age », dans Histoire, économie et société, 1985, p. 163-178.
3 P. Desportes, art. cit.
4 La disparition des paroisses en tant que circonscriptions ecclésiastiques distinctes ne signifie pas l'arrêt complet de leur fonctionnement. La messe est toujours dite le dimanche à Saint-Pierre-de-Pesulo rattachée pourtant à Saint-Martin ; des paroissiens font des legs à la Madeleine ou à Notre-Dame-de-Beaulieu disparues depuis des années.
5 Les deux paroisses qui n'ont pas de cimetière sont Saint-Georges, paroisse minuscule, et Saint-Michel de Scala : on imagine difficilement un cimetière au premier étage des Arènes.
6 Arch. dép. des B. du Rh. 405 E 155 fo 61 v° (Cloître de Saint-Julien), 404 E 55 fo 138 (inventaire des ornements liturgiques et des livres de la Major), 404 E 57 fo 118 v° (horloge de Saint-Julien), 405 E 155 fo 140 et 141 (inventaire semblable pour Sainte-Croix), 405 E 88 p 82 v° (prix-fait du clocher de Saint-Laurent), 405 E 27 fo 136 (legs à l'œuvre de la chapelle Sainte-Catherine construite à la Major).
7 Procès-verbaux d'assemblées de paroissiens : Arch. dép. des B. du Rh. 405 E 78, 21 v. 1422, 404 E 153 fo 34, 405 E 91 fo 115 et 405 E 143 fo 79 (pour Sainte-Croix) ; 402 E 103 fo 3 v° (pour Saint-Lucien).
8 F. Marin De Carranrais, L'Abbaye de Montmajour. Etude historique, Marseille, 1877, l'affirme, mais sans en apporter la preuve.
9 Bibl. mun, Arles. ms. 151, p. 266 ; Arch. dép. des B. du Rh. 405 E 141 fo 35 ; 402 2 27 fo 36 v°.
10 Arch. dép. des B. du Rh. 402 E 72,8.IV.1429 et 13.V.1429 ; 402 E 72, 402 E 43 fo 62 v° et 402 E 72, 20.VI. 1429.
11 Arch. dép. des B. du Rh. 402 E 97 f 131 v° et 404 E 53,5X1439.
12 Bibl. mun. Arles. ms. 151, p. 266.
13 Arch. dép. des B. du Rh. 405 E 36, fo 61 v°.
14 Arch. dép. des B. du Rh. 402 E 97 fo 200 v°.
15 Arch. dép. des B. du Rh. 405 E 211,17. XII. 1436.
16 Arch. dép. des B. du Rh. 402 E 26,3. VIII. 1410 ; 404 E 144 fo 37 v° ; 405 E 141 fo 24 v°.
17 Arch. dép. des B. du Rh. 404 E 144 fo 37 v° ; 402 E 29,9.XIII.415.
18 Arch. dép. B. du Rh. 404 E 144 fo 37 v°.
19 Arch. dép. B. du Rh. 405 E 58 fo 27, 28 v° et 24.
20 Arch. dép. B. du Rh. 405 E 91 fo 167.
21 E. Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, Paris, 1966 (Bibl. Générale de l'Ecole des Hautes études. VIe section), p. 128. A Tarascon, le conseil s'adresse à l'official pour lui demander de remplacer le curé de Sainte-Marthe dont la langue n'est pas comprise par les fidèles.
22 F. Rapp, L'Eglise et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Age, Paris, 1971, p. 125.
23 Arch. dép. des B. du Rh. III G 206 fo 10.
24 P. Desportes, art. cit.
25 L. Stouff, Arles à la fin du Moyen Age, Aix, 1986, p. 58 et note 137.
26 Arch. dép. des B. du Rh. 402 E 75, 29.V.1434.
27 Commandes de retables : Bibl. mun. Arles ms 298 pièce 29 et Arch. dép. des B. du Rh. 405 E 233 fo 308 v°, 402 E 21 13.VIII.1403, 405 E 105 fo 2 ; participation à la confection d'un retable : Arch. dép. des B. du Rh. 405 I 26.IV.1398, 404 E 228 fo II v°.
28 Dans un certain nombre de cas, les Arlésiens choisissent d'être ensevelis dans une autre église paroissiale que la leur pour être enterrés auprès de leurs parents.
29 Des études comparables à celles menées par N. Coulet sont impossibles à Arles : « Deux églises provençales au lendemain des troubles du XIVe siècle », dans Annales du Midi, t. 73, 1961, p. 315-324.
30 Les rapports entre couvents de Mendiants et paroisses paraissent voir été réglés lors de l'installation de ces couvents, ainsi pour les Augustins en 1268, cf. A. Savornin, Les Augustins en Provence, Mémoire de Maîtrise, Aix, 1975.
31 Outre les articles de J. Gaudemet et de P. Desportes cités plus haut, on peut signaler : M. Aubrun, La paroisse en France des origines au XVe siècle, Paris, 1986 ; Histoire de la paroisse, Actes de la Onzième Rencontre d'Histoire religieuse tenue à Fontevraut les 2 et 3 octobre 1987, Angers, 1988 ; D. Viaux, La vie paroissiale à Dijon à la fin du Moyen Age, (Publications de l'Université de Bourgogne. LXV), Dijon, 1988 et La Paroisse en Languedoc (XIIIe-XIVe siècle), dans Cahiers de Fanjeaux, 25, 1990.
Auteur
Université de Provence
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