Le clergé paroissial des cures dépendantes des établissements religieux : Lucelle et ses cures du Sundgau au xve siècle
p. 585-595
Texte intégral
1Dans la vaste question de l'encadrement spirituel des fidèles à la fin du Moyen Age, le comportement des établissements religieux réguliers à l'égard de la desserte paroissiale des églises qui leur sont incorporées ou dont ils ont le patronage suscite bien des critiques. « Forme de désordre », « désinvolture », il passe pour aggraver les maux habituels qui distendent les liens entre l'Eglise et les fidèles, et accroître en conséquence les frustrations et la défiance du peuple chrétien1. Tel le jugent des historiens modernes, à la suite des réformateurs religieux de la fin du Moyen Age et au témoignage des préoccupations exprimées par des prescriptions épiscopales ou contenues dans des canons conciliaires et des statuts synodaux2. Seule une étude statistique sur la longue durée, quand les sources existent et s'y prêtent, peut vérifier le bien-fondé de ces critiques. L'examen d'un cas précis n'a cependant rien d'inutile dans la mesure où il trace des pistes pour une étude plus ample. Dans un diocèse, celui de Bâle, qui dispose de sources offrant des lueurs sur le clergé paroissial dans la seconde moitié du XVe siècle (1441-1500), et dans un doyenné, celui du Sundgau, qui a déjà fait l'objet d'une étude globale3, les cures détenues par l'abbaye cistercienne de Lucelle donnent matière à illustrer et à résumer quelques problèmes posés par la mainmise des établissements religieux sur les églises paroissiales.
I. LUCELLE DANS LE SUNDGAU
2Dans le diocèse de Bâle, l'abbaye de Lucelle, une des premières fondations cisterciennes en terre germanique, mais située à la frontière des langues4, possède à la fin du Moyen Age un certain nombre d'églises paroissiales données par des seigneurs laïques ou acquises d'établissements religieux. Les modifications de la spiritualité cistercienne et les nécessités économiques l'ont incitée, comme les autres abbayes, à s'approprier des paroisses, de préférence dans les secteurs géographiques où elle comprenait déjà un temporel plus ou moins fourni. Dans le doyenné du Sundgau qui occupe le nord et le cœur de la Porte d'Alsace, entre Belfort et Mulhouse, les cures qui nous intéressent se répartissent en deux groupes opposés. Un groupe « français » ou francophone comprend deux cures, Phaffans et Etueffont5, qui se situent à l'ouest, en limite des diocèses (v. carte), à proximité de Belfort ; elles proviennent à l'abbaye d'une donation du comte de Ferrette (1296)6. Un autre groupe, « alsacien », se compose des paroisses de Lutterbach, Dornach et Heimsbrunn7, aux environs de Mulhouse, cédées par l'abbaye de Murbach (1301-1304)8 ; de Lutterbach se détache la filiale de Morschwiller-le-bas, constituée en paroisse en 1430 après accord avec les habitants9 ; Froeningen enfin, située un peu plus au sud, dans la vallée de 1Ί11, appartient à l'abbaye à une date inconnue, mais antérieure à 1441 et probablement à la suite d'une donation de seigneurs locaux10. Deux groupes qui sont bien distincts, éloignés et séparés par la frontière linguistique.
3Au XIVe siècle, Lucelle obtient de l'évêque de Bâle que cinq cures lui soient incorporées (1327-1330-1337)11 et la filiale de Morschwiller-lebas suit au siècle suivant le même régime que son église-mère Lutterbach ; Froeningen seule échappe à l'incorporation et Lucelle n'y dispose que du patronage de la cure. L'incorporation, mouvement qui s'accentue à la fin du Moyen Age pour des raisons principalement économiques, fait de l'établissement religieux non seulement le titulaire de la cure, mais aussi le détenteur du temporel et des revenus paroissiaux. Les cures en question ne sont pas trop lointaines de l'abbaye, mais distantes quand même d’une bonne journée de marche ou plus (35-45 km) ; le groupe alsacien accompagne un vaste temporel, organisé autour d'une « cour » ayant Lutterbach pour centre, alors que les biens abbatiaux sont peu consistants dans le secteur des paroisses francophones. Autre différence : les paroisses alsaciennes, d'après l'évaluation fiscale dressée par l’administration diocésaine vers 144112, paraissent pauvres ou de revenu médiocre, au contraire des paroisses francophones ; une seule cependant est vraiment riche, Phaffans, une des plus cossues du doyenné, qui regroupe huit villages et accueille cinq chapellenies.
4L'abbaye est confrontée à deux régimes différents de possession des cures ; le droit de patronage lui confère la seule collation et permet en fait de désigner le titulaire de la paroisse ; l’incorporation laisse la possibilité de nommer un vicaire perpétuel, desservant non titulaire mais stable et assimilé en pratique à un curé ou recteur, ou de pourvoir la cure de vicaires temporels, employés à l'année ou pour un temps très court. L'incorporation, comme la collation, ne dispense pas de présenter les desservants désignés à l'évêque qui seul accorde l'institution canonique ou octroie la permission d’exercer la cure d'âmes ; les scribes bâlois distinguent d'ailleurs « l'investiture », qui s'applique aux curés titulaires et aux vicaires perpétuels et la « commission », annuelle et renouvelable, lorsqu'il s'agit de prêtres engagés à temps, vicaires temporels et clergé mercenaire. L'évêque de Bâle tient à exiger cette présentation et ne se fait pas faute de le rappeler13 ; elle lui est nécessaire pour contrôler le recrutement du clergé paroissial et l'évêque y trouve en plus un intérêt fiscal dans la mesure où il prélève des taxes, frais de chancellerie et droits de sceau sur ces diverses nominations ; la taxe d'investiture est proportionnelle aux revenus du bénéfice concerné, la taxe de commission est d'un montant unique, mais annuelle. L’exemption dont bénéficie l'abbaye, comme les autres monastères cisterciens, ne dispense pas non plus de la présentation à l’évêque de tout prêtre désigné pour desservir une cure. Mais il est bien sûr que l’abbaye doit s'abriter derrière ce privilège d'exemption pour dissimuler de temps à autre des nominations de desservants et échapper ainsi au contrôle et à la fiscalité de l’évêque.
5De fait les sources bâloises14 qui permettent de recenser le clergé paroissial à la fin du Moyen Age présentent des lacunes ; ces sources, conservées depuis 1441, sont justement fiscales et comptabilisent les paiements, année par année, de droits d'investiture et de commission, effectués à la curie diocésaine par les prêtres concernés. On dispose donc d’une liste de desservants, titulaires et mercenaires, mais elle est sûrement incomplète. Des nominations échappent à la fiscalité bâloise pour plusieurs raisons ; les sources elles-mêmes sont lacunaires (des années manquent) et l’administration diocésaine a ses négligences et ses oublis15 ; il faut y voir aussi les effets de l'exemption et les conséquences des nominations par provisions pontificales, ignorantes de l'incorporation, qui aboutissent vraisemblablement à soustraire des prêtres à la présentation à l'évêque. Des dispenses de paiement des taxes peuvent aussi bien exister. De sorte que le nombre de prêtres connu des registres de la fiscalité épiscopale ne représente pas la totalité du clergé paroissial ; il en constitue cependant la majeure partie et fournit un échantillon suffisant pour donner une idée de l'attitude de Lucelle envers ses cures entre 1441 et 1500.
II. LE CLERGE PAROISSIAL : DAVANTAGE DE VICAIRES TEMPORELS ET DES MERCENAIRES
6L'abbaye n'adopte pas en faveur de ses deux groupes de cures une même attitude (cf. le tableau ci-dessous). A l'évidence, les paroisses francophones connaissent un traitement distinct de leurs homologues alsaciennes. A Phaffans et Etueffont, malgré l'incorporation, Lucelle fait confiance à des vicaires perpétuels plutôt qu'à des desservants à temps ; la nomination d'un vicaire perpétuel est la norme dans ces deux paroisses et le recours aux mercenaires paraît limité (quatre pendant dix années à Phaffans, aucun à Etueffont). Au surplus, dans le cas de Phaffans, les nominations sont effectuées sur intervention pontificale16 ; l'incorporation ne constitue pas une protection à cet égard et l'abbaye a donc peu de pouvoir de contrôle. Il est probable dès lors que l'abbaye ne se préoccupe guère de ces cures et laisse le soin aux vicaires perpétuels de les gérer à leur guise ; elle ne délègue en effet aucun moine comme desservant remplaçant, des absences ne sont pas compensées par l'institution de vicaires temporels, la présentation à l'évêque est négligée. Tout porte à croire à un désintérêt de l'abbaye envers des paroisses dissociées d'un véritable temporel monastique ; s'ajoute la barrière linguistique qui fonctionne comme un handicap ; l'interférence des nominations par réserve pontificale, dans un cas au moins, prive Lucelle d’un pouvoir d'intervention.
7L'incorporation ici a peu d'effet et, en pratique, l'abbaye se comporte comme un collateur ordinaire, au surplus concurrencé.
8Il n'en est pas de même en ce qui concerne les cures alsaciennes. A l'exception de Froeningen où le patronage entraîne obligatoirement la désignation de prêtres titulaires, l’abbaye évite autant que possible de nommer dans les cures incorporées des vicaires perpétuels. Une paroisse seule en est pourvue régulièrement (Domach), alors que les trois autres n'en connaissent que de façon épisodique. Cependant, pas plus que celle d'un curé titulaire, la nomination d'un vicaire perpétuel n’est une garantie de résidence et de stabilité ; à Froeningen les cinq prêtres titulaires connus totalisent 30 années d'absence dans la période ; à Domach les quatre vicaires perpétuels nommés sont absents pendant 33 ans ! A moins qu'il ne s'agisse d'une option délibérée de sa part, l'abbaye choisit des prêtres, cumulards ou non, peu soucieux de remplir un office assimilé à celui d'un titulaire ; la pauvreté de ces cures, accrue de surcroît par la part prélevée par l'abbaye sur les revenus paroissiaux, constitue en outre un facteur dissuasif.
9Le clergé paroissial des cures alsaciennes de Lucelle dans le doyenné est donc essentiellement composé de vicaires temporels ou desservants à temps, contraints théoriquement de solliciter chaque année de l'évêque une commission pour exercer la cure d’âmes. Dans la période retenue de 60 ans ces cures sont desservies pendant 30 à 45 ans par des vicaires temporels, une sur deux en moyenne et dans un cas (Morschwillerle-bas) deux années sur trois. Froeningen, bien que non incorporée, n'a pas un autre sort (35 années de « mercenariat »). Ceci paraît donc bien confirmer la désinvolture avec laquelle les monastères traitent les paroisses dont ils ont la charge ; Lucelle n'est en effet pas seule à agir ainsi car le chapitre de chanoinesses de Masevaux17, ou les commanderies d'Hospitaliers et de Teutoniques, ont quelquefois la même pratique18. L'emploi de desservants périodiques s'impose autant par la non-résidence ou les absences des vicaires perpétuels que par une non-désignation. A décharge, les établissements réguliers n'ont pas seuls ce privilège ; trois paroisses sous patronage laïque19 et une à la collation du chapitre cathédral20 connaissent aussi un record d'absentéisme ; et l'évêque lui-même, pour la seule cure du doyenné à sa collation21, est à peine moins exigeant (20 années d'absence des titulaires dans la période). En définitive l'incorporation de paroisses à un monastère ne se distingue guère, sur ce plan, de la collation ; elle n'est pas nécessairement un facteur qui renforce l'absentéisme et le recours à un clergé mercenaire.
10Il est vrai néanmoins que le renouvellement des desservants non-investis d'une cure ou d'un vicariat perpétuel est favorisé. Pour les cinq paroisses alsaciennes précédentes et pendant ces 60 ans on dénombre 65 vicaires temporels présentés à l'évêque et ceux-ci cumulent à eux tous 177 commissions annuelles. En moyenne un même desservant ne reste pas trois ans dans la même cure ou n'y est pas commis à plus de trois reprises. Ceci se confirme à l'examen, quatre paroisses sur cinq se situent dans cette moyenne, et dans une seule (Heimsbrunn) ce temps s'élève à plus de quatre ans. Lucelle « consomme » donc un nombre relativement élevé de vicaires temporels en un espace de temps assez court ; à priori l'image qui s'impose est celle d'un renouvellement rapide des desservants, avec toutes les conséquences sur la vie paroissiale et la relation établie avec les fidèles. De fait sur les 65 vicaires temporels employés presque la moitié (31) apparaissent pour un an (21) ou deux (10). Les cures de Lucelle ne retiennent donc pas longtemps une bonne partie des prêtres commis comme desservants. Là encore l'incorporation ne joue pas un rôle sélectif ; Froeningen, sous patronage, connaît plus de remplaçants que Lutterbach ou Heimsbrunn, incorporées. On peut s’intérroger sur les raisons de cette instabilité ; une politique volontaire et délibérée de l'abbaye n'est pas en cause puisqu'à la fois elle essaie de retenir des desservants (une majorité quand même reste plus de deux ans ou se retrouve à deux reprises) et que la durée moyenne d'emploi de ces vicaires est à peu près équivalente à celle de tout le doyenné. La pauvreté répulsive des paroisses, l'extrême mobilité de ce monde de mercenaires, la faible espérance de vie peuvent expliquer ce renouvellement. Il ne faut pas oublier non plus la période, faite de guerres et d'incertitudes à plusieurs moments dans la région (passage et séjours de bandes d'Ecorcheurs : 1444-45 ; guerres de Bourgogne : 1474-76 ; interventions armées des Suisses en 1468 et 1499), qui pousse à délaisser des cures exposées à des difficultés.
11On doit de plus apporter des nuances. D'abord le renouvellement du clergé desservant ne s'effectue pas sur un même rythme au cours de la période. Deux décennies sont plus sensibles, les années 1461-1480 qui connaissent le nombre d'absences le plus élevé (81, 46 %) et parallèlement la rotation de desservants la plus forte (36,60 %) ; la coïncidence avec les événements et les perturbations liés aux guerres de Bourgogne est au moins établie. En revanche en fin de siècle la situation est meilleure : 18 absences seulement en 1491-1500 qui conduisent à l'emploi de dix desservants. Le renouvellement du clergé paroissial à temps dépend ainsi de trop nombreux facteurs pour être imputable à une attitude indéterminée ou dû au seul régime de l'incorporation ; il n'est de plus pas permanent. D'autre part l'instabilité apparente de la desserte paroissiale est corrigée par le maintien sur place du même vicaire pendant une plus ou moins longue période ou son réemploi fréquent. Il y a quand même 15 vicaires qui sont « embauchés » pendant quatre années et plus. On salue ainsi des longévités, celle du frère Etienne à Heimsbrunn, desservant pendant 24 années consécutives (1452-1476), de Jean Currificex à Froeningen (1479-1492) ou de Jean Wiberlin, qui est vicaire à Lutterbach en 1471-72, 1478-79, et le redevient de 1482 à 1488... Un effort pour assurer la stabilité existe ; il est incomplet, mais pas niable. L'incorporation ou la collation détenue par une abbaye n'entraînent pas à priori et à coup sûr l'instabilité du monde des desservants.
III. LE CLERGE PAROISSIAL : ASPECTS DE SON RECRUTEMENT
12Des 79 prêtres recensés dans la période pour occuper une fonction de curé titulaire, vicaire perpétuel ou vicaire temporel dans les cures du doyenné dépendantes de Lucelle, on ne connaît que le nom et le prénom, rarement l'origine ; leur carrière n'est repérable que dans le doyenné, faute de mener une étude plus exhaustive à l'échelle du diocèse. C'est dire combien les erreurs sont possibles et les appréciations qui suivent fort incomplètes et limitées. Néanmoins plusieurs constatations méritent intérêt. Entre ses deux groupes de paroisses, Lucelle évite les échanges de prêtres ; aucun ne passe, ne fut-ce que pour une année, d'une paroisse francophone à une paroisse alsacienne, ou vice-versa : la séparation est manifeste. La barrière linguistique se dresse à l’évidence pour provoquer cette absence de contact ; Lucelle prend garde de ne pas désigner des prêtres parlant une langue différente de celle des paroissiens ; il pourrait y avoir deux seuls cas, un dans chaque sens, de prêtre d'idiome différent, au mince témoignage des anthroponymes. Il se confirme le traitement à part des paroisses francophones, où l'abbaye a peut-être peu à voir. En outre Lucelle délègue peu de ses moines (9) pour desservir les cures, tous d'ailleurs en zone alsacienne et tous comme vicaires temporels. Deux d'entre eux manifestent plus de dispositions pour occuper ces fonctions, si l'on en juge par le nombre d’années qu'ils passent dans les paroisses, tel le frère Etienne déjà cité ou le frère Nicolas Seiler (onze ans dans les deux cures de Dornach et Morschwiller-le-bas). Les sept autres apparaissent pour un temps court (un pendant sept ans et six pendant un à trois ans). L'emploi de moines-prêtres n'est pas constant dans la période ; quatre à chaque décennie jusqu'en 1470, mais après 1476 deux seulement sont employés pour un an chaque fois. Ces moines sont de plus aisément déplacés ; quatre connaissent au moins deux paroisses. Et Froeningen y a aussi bien recours qu'une paroisse incorporée. On ne peut donc pas dire que l'emploi de religieux est pour Lucelle un moyen facile et économique pour desservir les cures ; sauf un cas flagrant (le frère Etienne à Heimsbrunn), le procédé n'a rien de systématique et n'est pas érigé en politique ; il disparaît quasiment dans les 25 dernières années de la période. Les religieux dépêchés dans les paroisses paraissent alors davantage comme une réserve d'auxiliaires disponibles en cas de disette de prêtres séculiers. Le souci de préserver la vie conventuelle, de ne pas disperser les moines, de respecter la règle, l'emporte sur le service paroissial, tâche secondaire pour des religieux ; quand l’évêque de Bâle en 1483 s'inquiète de la part trop grande des religieux dans les paroisses, à cette date ce n'est pas le cas de Lucelle dans le doyenné.
13L’abbaye utilise plus volontiers la masse des prêtres séculiers qui cherchent à s'employer et forment un ensemble de mercenaires « pérégrinants », réduits à des engagements passagers dans l’attente d'un bénéfice stable de titulaire et très incertains quant à leur sort. Les renseignements à leur sujet permettent difficilement d'en dresser un portrait. Les 17 prêtres investis comme vicaires perpétuels sont particulièrement méconnus ; à Phaffans les nominations par provisions pontificales sont prises en faveur de prêtres extérieurs au diocèse ; deux ont une expérience paroissiale antérieure dans des cures et l'abbaye « titularise » trois desservants précédemment commis à temps dans ses paroisses. Les raisons de l'absentéisme ne sont pas vraiment décelables ; trois possèdent un bénéfice de chapelain quand Lucelle les désigne et l'un obtient, pendant le temps de sa desserte, un bénéfice analogue. Difficile alors de dire quelle attitude l'abbaye adopte face au cumul ; elle proscrit en tout cas le comportement qui consiste à abandonner sa cure pour se louer à l'année dans d'autres paroisses (un cas).
14La masse des vicaires temporels se divise en deux catégories. Le groupe de séculiers le plus nombreux effectue de courts remplacements (un an ou deux), on l'a dit, et ne reparaît pas dans les cures de l'abbaye ; peu d'entre eux se rencontrent ailleurs dans le doyenné. En revanche l'abbaye réussit à « fidéliser » un petit groupe de prêtres qu'elle utilise à plusieurs reprises, d'une cure à l'autre, et parvient ainsi à limiter l'instabilité de la desserte paroissiale. Onze au moins de ces desservants ont une expérience antérieure de vicaire ou de chapelain ; est-ce à dire que la grosse majorité restante est constituée de débutants, dont la « jeunesse » explique l'instabilité ? Un recrutement local ou régional est fort plausible. Quelques rares noms (Soulzbach, Zurzach, Reguisheim) y feraient penser. Et l'on constate que les treize prêtres ayant une « carrière » antérieure proviennent de cures et de chapellenies toutes situées dans un périmètre étroit et rapproché, une zone en forme de quadrilatère dont les points sont Mulhouse, Altkirch, Dannemarie, Burnhaupt-Haut. La proximité géographique et les opportunités qu’elle procure, les relations de voisinage ont vraisemblablement plus d'efficacité que toute autre considération. Les paroissiens peuvent y trouver leur compte, dans la mesure où, venant d'une paroisse voisine, ces prêtres, a fortiori remplaçants, ne sont pas absolument des inconnus. Un autre souci s'attache également au choix des desservants à temps ; Lucelle ne recrute pas volontiers des prêtres déjà engagés dans des chapellenies (six cas) et elle évite d’avoir recours tout particulièrement à des chapelains titulaires dans les paroisses qu'elle possède (un cas). Il semble alors que si l'abbaye est impuissante à contrôler la résidence des vicaires perpétuels, elle ne cherche pas à favoriser et à encourager le cumul parmi les vicaires temporels.
15Le cas de Lucelle en apparence justifie les critiques envers l'incorporation de paroisses à des établissements religieux. L'absence de désignation de vicaires perpétuels et l'absentéisme de ceux qui sont nommés, le recours à des desservants à temps, l’emploi du clergé mercenaire et son instabilité constituent autant d'éléments qui perturbent le service paroissial. Pourtant, en pratique, l'incorporation ne se distingue pas toujours du patronage et de la collation de la cure. Il est des cas où l’incorporation laisse l'établissement sans véritable pouvoir ou sans moyen (les paroisses francophones de Lucelle) et où au contraire le patronage dévie vers une forme d'incorporation (Froeningen), en matière au moins de désignation du clergé paroissial. De plus, par comparaison, si l’incorporation accroît l'instabilité des desservants, la pratique de certains patrons n'a rien à lui envier ; à moins que le clergé lui-même en soit responsable. Il existe aussi des aspects positifs. La présentation à l'évêque des prêtres investis ou commis à temps est assez bien respectée, sans être systématique ; l'ordre n’est cependant pas trop bafoué. D'autres efforts, imparfaits bien sûr, tendent à assurer la stabilité des desservants, à éviter le cumul, à reconnaître le rôle des prêtres séculiers. On voudrait donc conclure sur la nécessité de porter un nouveau regard sur le système de l’incorporation et de le dissocier de sa pratique qui dépend de trop nombreux considérants.
Notes de bas de page
1 P. Adam, La vie paroissiale en France au XIVe siècle, Paris, 1964, p. 12 ; M. Mollat, La vie et la pratique religieuse au XIVe siècle..., fasc. 1, CDU, p. 40.
2 Références et citations dans P. Adam, ouvr. cité ; J. Gaudemet, Le gouvernement de l'Eglise à l'époque classique, T. VIII, 2 de L'histoire du Droit et des Institutions de l’Eglise, Paris, 1979.
3 P. Pegeot, J.P. Prongue, « Contribution à l'étude du clergé paroissial rural à la fin du Moyen Age : les prêtres du Sundgau (1441-1500) », dans Revue d'Alsace, 1989, p. 3-36.
4 Lucelle, Haut-Rhin, ar. Altkirch, c. Ferrette ; A. Chevre, Lucelle, histoire d'une abbaye cistercienne, Délémont, 1973.
5 Phaffans, Territoire de Belfort, c. Fontaine ; Etueffont, ibid, c. Giromagny.
6 A.D. Haut-Rhin, H Lucelle 115.
7 Haut-Rhin : Dornach est un quartier de Mulhouse aujourd'hui ; Heimsbrunn, c. Mulhouse-sud ; Lutterbach, c. Wittenheim.
8 A. Chevre, op. cit, p. 79 ; Murbach, Haut-Rhin, ar. et c. Guebwiller.
9 c. Mulhouse-sud ; A.D. Haut-Rhin, H Lucelle 98.
10 Haut-Rhin, ar. et c. Altkirch ; E. Clouzot, Pouillés des provinces de Besançon, de Tarentaise et de Vienne, Paris, 1940, p. 178.
11 A.D. Haut-Rhin, H. Lucelle 115, 60,65, 82, 48. Sur les paroisses : M. Schikele, Le doyenné du Sundgau, Colmar 1899 ; M. Barth, Handbuch der elsässischen Kirchen, Strasbourg, 1960-63.
12 Un Liber marcarum, édité par E. Clouzot, ouvr. cité, p. 159-228, commenté par L. Freyther, « Das bischöflich-basleriche Liber marcarum vom Jahre 1441... », dans Archiv für Elsässische Kirchengeschichte, 1935, p. 113-168.
13 Ex. en 1483, cité par L. Vautrey, Histoire des évêques de Bâte, Einsiedlen, 1886, t. II, p. 39.
14 Sources aux Archives de l'Ancien Evêché de Bâle, à Porrentruy, Suisse, Jura : A 85/40.
15 Années manquantes : 1445-46 ; 1493-94 ; 1497-98 ; 1499-1500. L'année 1495-96 est incomplète.
16 A.D. Haut-Rhin, H. Lucelle 115 : une résignation au Pape en 1459 ; deux interventions pontificales en 1459 et 1497.
17 Ar. Thann, ch-l. de c. ; exemples de la paroisse de Wahlbach, ar. Mulhouse, c. Sierentz : 48 absences.
18 Luemschwiller, ar. et c. Altkirch : 34 absences (Teutoniques de Bâle).
19 Didenheim, c. Mulhouse-sud : 37 absences ; Hirsingue, ar. Altkirch, ch-l. de c. : 42 absences ; St-Léger-Carspach, ar. et C. Altkirch, 49 absences.
20 Roderen, ar. et c. Thann : 35 absences.
21 Steinsoultz, ar. Altkirch, c. Hirsingue.
Auteur
Université de Nancy II
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