Les clercs et l'Église dans les cites dauphinoises a la fin du Moyen Âge
p. 551-561
Texte intégral
1Cette brève étude sur la place des clercs et de l'Eglise dans les cités dauphinoises à la fin du Moyen Age, est fondée essentiellement sur les données fournies par les « révisions des feux » auxquelles il faut ajouter quelques éléments issus de l'examen du cadastre d'Embrun de 14611.
2L'énoncé même des sources utilisées révèle très clairement les limites du sujet. Il ne peut être question, évidemment, de construire ici un tableau exhaustif des structures de l'Eglise dauphinoise, mais simplement, de relater le point de vue des « bourgeois » (et dans une moindre mesure de l'administration delphinale) sur la place de l'Eglise et des clercs dans leurs cités.
3Le réseau urbain dauphinois n'est composé, à la fin du XVe siècle, que de villes modestes, moyennes tout au plus, c'est-à-dire entre 2 000 et 10 000 habitants, si l'on se réfère à la classification proposée par B. Chevalier2. En fait, seules quelques cités, sans doute, dépassent les 2 000 habitants et n'atteignent qu'à peine les 3 000, en 1475. A cette date, une révision générale de l'ensemble des feux du Dauphiné peut justifier une évaluation comparative convenable. Certes, il est toujours un peu hasardeux d'avancer des chiffres globaux de population à partir du nombre des feux réels : le problème est connu depuis longtemps et met en jeu notamment la valeur du coefficient à appliquer3, mais pour mieux saisir la part que les clercs et l'Eglise occupent dans les cités, l'expérience doit être tentée.
4Avant d'exposer les résultats pour les dernières décades du XVe siècle, il faut brièvement rappeler l'évolution historique.
5L'état des populations dauphinoises, dans la seconde moitié du XVe siècle, résulte d'une histoire troublée et tragique. Après la Grande Peste de 1348 qui a frappé le Dauphiné comme le reste de l'Europe Occidentale la peste revient à intervalles plus ou moins réguliers décimer le pays, les campagnes, bien sûr, mais aussi les villes. A. Fierro a montré que ces épidémies ont provoqué pour la période située entre 1339 et 1475 une saignée remarquable, qu'il estime, pour ces 150 années, à la moitié de la population4. Pour les cités, il n'est pas possible d'établir un bilan précis puisque la plupart d'entre elles, Romans, Die, Valence ou Vienne, ne sont acquises au Dauphiné qu'après 1339 et que les autres, Gap, Embrun, Grenoble conjointement par le Dauphin et leurs évêques, ne font pas partie du domaine « vendable » d'Humbert II. Nous reviendrons sur cette particularité politique, la coseigneurie, qui est essentielle à notre sujet ; pour le moment contentons-nous de souligner, que dans ces temps de crises démographiques, de dépressions économiques et de troubles politiques, les villes elles aussi ont souffert. Même si elles ont pu servir de refuges, elles ont connu des aléas que toute la documentation révèle sans ambiguïté et dans l'ensemble une diminution de leur potentiel démographique et économique, qui malgré le début de la reprise qui semble s'amorcer vers 1475, est loin d'être comblée à cette date. Ce fait ne peut qu'influer sur la composition sociale de ces petites cités dont les activités commerciales et artisanales n'apparaissent pas très brillantes en ce milieu du XVe siècle.
6Les marchands et les métiers ne sont pas mon propos du jour, néanmoins il me semble utile, pour mieux situer le rôle de l'Eglise dans les cités dauphinoises, de souligner, comme par contraste, l'impression d'abandon économique qui y domine.
7Je ne citerai que pour mémoire, la cité archiépiscopale d'Embrun, que j'ai qualifiée ailleurs5 de ville de paysans et de vignerons, de propriétaires et de journaliers mais aussi de chapelains et de chanoines.
8A Grenoble au XVe siècle, les membres des métiers restent sans doute relativement nombreux dans les listes fiscales (109 à peu près autant que les clercs et les hommes de loi) mais leur appauvrissement s’accentue et leur pouvoir diminue6. Le rôle des marchands, plus difficile à saisir apparaît encore plus faible et, en tout état de cause, comme le disent les notables aux commissaires chargés de la révision des feux en 1447, il n'y a plus guère de trafic de voitures et de marchandises, à cause notamment du péage de La Tronche et parce que les gens qui vont vers la Savoie ne passent plus par la ville mais par les Echelles7.
9En 1451, les habitants de Vienne, malgré le pont sur le Rhône reconstruit par l'archevêque Jean de Bernin et qui leur coûte si cher en entretien, se plaignent de l'insuffisance du trafic, du petit nombre des marchands et de la concurrence de Lyon8. Quant à ceux de Romans, ils ne s'estiment, en 1443, pas mieux lotis : « autrefois, il y avait de nombreux marchands de draps, de sel, de fer et d'autres marchandises ; ils apportaient de l'argent à la ville qui s’appauvrit parce que leur nombre a considérablement dimininué »9.
10Ces plaintes, sans doute celles de contribuables qui veulent amadouer le fisc, sont cependant symptomatiques. Sont-elles, toutefois, la simple illustration en Dauphiné du phénomène de récession générale qui frappe le Royaume de France et le met à l'écart des grands circuits commerciaux, après la Guerre de Cent Ans ? N'est-ce pas aussi le retour à une vocation première plus ancienne et plus fondamentale qui a fait des villes dauphinoises des cités « saintes » pour reprendre l'expression d'Henri Pirenne ?
11En effet toutes les villes dauphinoises, un peu importantes, celles qui dépassent 2 000 habitants, à l’exception de Romans dominée par le chapitre Saint-Barnard qui cependant dépend de l'archevêque de Vienne, sont toutes des cités épiscopales ou archiépiscopales. Reconstruites, pour la plupart à partir de villes romaines, par leurs évêques, elles sont longtemps, parfois jusqu'au XIVe siècle, soumises à la seule autorité de leurs chefs spirituels et des clercs qui les assistent.
12Leur situation politique, pourtant, se modifie peu à peu en faveur du pouvoir laïque, celui du Dauphin, avant même, dans un certain nombre de cas le rattachement du Dauphiné au Royaume, en 1349. Progressivement l'autorité du prince s'étend sur les villes comme elle s'étend sur sa principauté. Mais cette autorité, même si le Dauphin est de plus en plus fort dans ses villes, reste une autorité partagée : le principe du gouvernement y est celui de la coseigneurie exercée conjointement par le Dauphin et le prélat (ou l'institution ecclésiastique) avec entre les deux souvent, la communauté des bourgeois10. Et, d’ailleurs, l'introduction du pouvoir princier dans les villes dauphinoises est bien souvent tardive. Il n'est pas inutile d'en rappeler les principales étapes.
13Avoués de l'évêque depuis les débuts du XIe siècle les comtes d'Albon s'installent solidement à Grenoble et la coseigneurie de l'évêque et du Dauphin y est la règle depuis au moins le milieu du XIe siècle. A Gap et à Embrun, malgré l'insertion de ces régions dans le Dauphiné dès 1202, les évêques ou archevêques ont encore au milieu du XIIIe siècle jouissance des droits régaliens que l'Empereur Frédéric II leur avait récemment confirmés (1238). En 1251 l'archevêque d’Embrun est même honoré du titre de Grand Chambellan du Saint Empire. Profitant de l'affaiblissement des comtes de Provence, en principe leur suzerain, l'évêque de Gap et l'archevêque d'Embrun seraient les vrais maîtres de leurs cités s'ils ne devaient compter avec des communautés d'habitants organisées en consulats et jalouses de leur indépendance. A Embrun comme à Gap, le Dauphin pour jouir, comme à Grenoble, des avantages de la coseigneurie, s'appuie sur la ville contre l'évêque et ne s'implante de fait à Gap qu'en 1303 et à Embrun, progressivement, qu'entre 1234 et 1346. Par contre à Vienne l'archevêque garde sa cité en mains. Au XIIIe siècle il étend sa suzeraineté sur 22 châteaux et une trentaine d'autres fiefs. Les tentatives d'Humbert II pour s'introduire davantage dans la gestion de la ville échouent complètement. Le Dauphin se venge sur Romans dont il devient, en 1344, coseigneur avec le chapitre Saint Barnard dont l'archevêque de Vienne est abbé. Quant aux évêques de Valence et de Die ils ne se soumettront à la tutelle du Dauphin qu'à partir de 145011.
14Autrement dit hors de Grenoble, le Dauphin n'est que tardivement capable de contrôler les villes principales de sa principauté. Cette tardive autonomie renforce — à moins que cela ne soit une conséquence — leur rôle de capitales régionales, de chefs lieux de zones naturelles, de centres économiques et politiques de pays divers qui s'efforcent lentement à composer la future province de Dauphiné.
15La coïncidence entre fonction administrative et fonction religieuse, le maintien d'une structure épiscopale parallèle à la structure delphinale laisse imaginer que, dans ces villes, la part de la population cléricale puisse être forte.
16Une comparaison entre, d'une part, le nombre des feux laïques et les estimations globales des populations et, d'autre part, le nombre des clercs, quand les pièces servant à la révision des feux le permettent, est le moyen de s’en assurer.
17Examinons pour commencer la situation de Romans, une ville où, dans son histoire, le rôle des clercs a été capital. Bourg construit autour d'une abbaye fondée au IXe siècle, Romans est dominée par le chapitre Saint-Bamard, seigneur de la ville et en conflit constant avec les habitants, même après 1344 date où le pouvoir sur la ville est partagé entre l'archevêque de Vienne, le chapitre et le Dauphin et même après le traité de 1349 qui cède le Dauphiné au fils aîné du Roi de France. Cette omniprésence des clercs dans la politique urbaine se révèle-t-elle dans les chiffres ? Peut-être la plus prospère des villes dauphinoises, à la veille du XVIe siècle, on peut y dénombrer, selon M. Perrochet12 814 feux, soit plus de 4 000 habitants en 1498. Les chiffres antérieurs sont beaucoup moins importants et traduisent un état démographique déprimé, surtout si l'on compare avec le milieu du XIVe siècle. Or parallèlement nous pouvons constater un maintien ou une progression du nombre des clercs : en 1367, 663 feux solvables et 146 feux misérables, 14 chanoines, 25 prêtres et chapelains, 8 serviteurs de l’église Saint-Barnard13, en 1443, 444 feux sans compter les nobles qui étaient 23 en 1367, 10 chanoines, 27 prêtres et curés, 8 serviteurs de l'église, soit à peu près le même effectif clérical, malgré une diminution considérable de la population. Une diminution que les « attendus » de la révision confirment : les pestes, depuis 13 ans ont fait des ravages, les feux vacants sont nombreux, les maisons de la ville bien souvent abandonnées et en ruines. La situation démographique n'a guère changé en 1449, puisque nous pouvons décompter 428 feux solvables ou misérables, 30 ouvriers ou officiers de la Monnaie et 10 chanoines, 24 prêtres et 8 serviteurs de l'église. En 1460 pour un total de 647 feux le chiffre des clercs n'est guère différent14 : 38. Au total donc, on peut constater la stabilité apparente de la population cléricale, soit entre 38 et 47, en ajoutant que le chiffre des 38 ecclésiastiques de 1460, ne comprend probablement pas les serviteurs de l'Eglise, généralement 8. Même si, pour tenter une évaluation en nombre d'habitants, nous utilisons le coefficient le plus bas, pour obtenir 2 800 habitants en 1367 et 1 600 environ en 1443 et 1449, le pourcentage de la population cléricale reste modeste, entre 1,7 et 2,8 pour cent, ces chiffres n'ayant bien entendu qu'une valeur purement indicative.
18La comparaison avec la situation en 147515 n'est pas sans intérêt. En effet, la révision des feux, qui pour Romans semble faite soigneusement et apparaît fiable, nous donne un total de 461 feux laïques non privilégiés, y ajoute 55 exempts : francs archers, monétaires, serviteurs de l'archevêque ou du chapitre au nombre de 7, soit avec les serviteurs de l’Eglise, 516 feux qui pourraient correspondre à une population d'environ 1 800 à 2 500 habitants auxquels il faut ajouter les vrais clercs, qui sont cette fois beaucoup plus nombreux : 60 pour le « collège » de Saint-Barnard, 34 frères mineurs, 2 curés et les 3 recteurs ou chapelains des hôpitaux et le prieur de Saint-Ruf, soit 100 clercs y compris les franciscains qui ne semblent pas mentionnés dans les autres documents et qui pourtant sont présents dans le faubourg Paillerey, sur les bords de l'Isère, à l’époque de l'archevêque Jean de Bernin, entre 1211 et 1231. Le pourcentage est nettement plus élevé : 5,5 pour cent avec le chiffre de population le plus bas en prenant en compte les 34 frères mineurs, 3,7 pour cent si on ôte les franciscains pour mieux comparer avec les autres révisions. En tout état de cause, un chiffre raisonnable, si on le confronte aux proportions proposées pour d'autres villes du Royaume à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe siècle, par exemple 5 pour cent à Besançon en 1330 selon R. Fietier et 12 pour cent à Reims à la fin du XIIIe siècle selon P. Desportes16.
19Qu’en est-il pour les autres cités dauphinoises, qui sont comme Reims et Besançon, mais sur un mode mineur toutefois, elles aussi des cités épiscopales ?
20A Vienne, la révision des feux de 145117, très complète, nous donne les noms de 556 chefs de feux laïques solvables ou misérables, soit une population se situant entre 2 000 et 2 800 habitants auxquels il faut ajouter un effectif de 131 clercs, y compris l'archevêque et les 19 chanoines, mais sans compter les religieux des trois couvents mendiants : dominicains, franciscains et carmes qui sont mentionnés mais sans que les effectifs soient indiqués. Le pourcentage de la population ecclésiastique, sans les frères mendiants, pourrait donc se situer entre 4,5 et 6,5 %. Les chiffres de la révision de 1458, assez voisins, n'apportent pas de précisions supplémentaires18.
21A Die, les données proviennent des révisions de 1460 et 1474, en voici l'essentiel : en 1460, 316 feux laïques, solvables ou misérables, soit 1100 à 1 600 habitants, 59 clercs « vivant cléricalement », dans les prieurés de Saint-Marcel, de Saint-Maurice, de Saint-Pierre et dans celui du Château, 25 religieux (respectivement, 14, 6, 3 et 2), 28 frères prêcheurs et 26 frères mineurs, soit un total de 138 clercs. L'extrait de rôle ajoute, ce qui n'est pas obligatoirement une indication de résidence, que 30 chapellenies possèdent des propriétés dans la ville19. En 147420, ce qui n'est pas très différent de la situation de 1460, on dénombre 236 feux laïques, solvables ou misérables, 8 nobles et 6 francs archers exempts de taille, 33 clercs qui ont des maisons et des biens ruraux, l'archevêque et les réguliers dont le nombre n'est pas indiqué. En se fondant sur les données plus précises de 1460, on obtient un pourcentage de clercs qui pourrait se situer autour de 8,5 et 12,5 %, ce qui est beaucoup.
22A Valence, si la révision de 1474 est peu précise sur le nombre des clercs21, celle de 145022 ainsi que l'extrait de rôle de 146023 nous donnent de précieuses indications : 566 feux laïques, soit 2 000 à 2 800 habitants et 174 clercs y compris les religieux, soit un pourcentage entre 6,2 et 8,7 % ; en 1460, 50 marchands, 182 artisans, 293 laboratores, 30 nobles soit 555 chefs de feux laïques et 164 clercs dont 59 dépendant de l'église cathédrale et 105 religieux, chiffres voisins de ceux de 1450 qui ne modifient donc pas les pourcentages de la population cléricale.
23Négligeant Gap, pour laquelle les informations sont notoirement insuffisantes, je rappellerai pour Grenoble et Embrun les indications présentées dans des articles antérieurs24 et qui sont précises surtout en 1474.
24A Embrun, ville archiépiscopale un peu déchue à la fin du XVe siècle, la population, en 1475, avec 530 ou 540 feux laïques dont 350 environ pour la Cité et le reste pour la Terre Commune, a retrouvé une part de ses effectifs passés (un croît de 162 feux par rapport à 1459-1460), soit une population qui pourrait se situer entre 2 000 et 2 800 habitants pour l'ensemble et 1 000 à 1 700 pour la Cité. Nous ne trouvons en 1459 pour 408 feux laïques que 30 ecclésiastiques, soit pour 1 400 à 2 000 habitants 1,5 à 2,5 % environ de clercs ce qui est fort peu ; par contre en 1475, comme si la reprise démographique leur profitait aussi, les 114 clercs représentent 4 à 6 % de la population de la Cité, ce qui est sans doute plus significatif puisque les clercs, y compris les 25 frères mendiants, résident presque tous dans la Cité.
25Grenoble, la capitale de la principauté a connu les mêmes aventures démographiques que ses voisines : si elle a 1 200 à 1 500 habitants en 1350, 3 200 à 3 400 en 1447, elle n'en a peut être plus que 2 300 à 2 700 en 1475. Les difficultés ont été très grandes dans la seconde moitié du XVe siècle, la ville n'a pas retrouvé son niveau de population du XIVe siècle, et pourtant le nombre des clercs y paraît élevé : 381 en 1475, dont 150 chanoines chapelains et autres clercs pour le chapitre Notre-Dame, 100 pour le chapitre Saint-André, 20 pour le prieuré Saint-Laurent, 15 pour le chapitre de Sainte-Marie-Madeleine, 40 pour le couvent des Mineurs, 40 pour celui des prêcheurs. Il faut y ajouter les religieuses de Sainte-Claire dont on ne connaît pas le nombre et quelques clercs isolés dont les curés et vicaires des paroisses (1 curé à Saint-Laurent et 1 curé et 2 vicaires à Saint-Hugues Saint-Jean), soit environ 10 % de la population sans compter quelques officiers de l'évêque qui ne sont pas forcément clercs.
26Donc, et pour conclure, dans les années 1450-1475, la population des clercs pourrait représenter à Romans 3,7 à 5,5 % de la population totale, à Vienne 4,5 à 6,5 % à Die, 8,5 à 12,5 %, à Valence 6,2 à 8,7 %, à Embrun 12 % si l'on ne considère que la Cité, à Grenoble plus de 10 %, ces chiffres n'ayant évidemment qu'une signification relative.
27Trois remarques peuvent être faites :
- Dans les cités épiscopales, cela ne surprendra pas, la proportion des clercs est sensiblement plus élevée qu'à Romans, simple siège d'une collégiale, sans que cette proportion ne dépasse ce qui se remarque dans d'autres régions.
- Dans l'ensemble le nombre des clercs dans les cités tend à croître à mesure que le XVe siècle s'approche de sa fin.
- Dans l'effectif clérical des cités épiscopales, les religieux, en particulier ceux qui habitent les couvents mendiants, représentent un très fort contingent.
28Ces observations montrent que le Dauphiné n'est pas une terre originale mais une région qui se situe tout à fait dans les normes. Ce qui est vrai au niveau des structures sociales stricto sensu se vérifie-t-il au plan de la socio topographie ?
29La marque de l'Eglise dans le paysage de la ville médiévale est une évidence, qui se vérifie bien entendu dans les cités dauphinoises.
30La collégiale Saint-Barnard posée sur les bords de l'Isère écrase toujours de sa masse la petite ville de Romans et à Embrun, perchée sur son Roc, la cathédrale, énorme par rapport au bourg, est l'élément décisif du paysage. En face, la maison des chanoines plus modeste, un peu plus loin l'imposante Tour Brune, reste du palais fortifié de l'archevêque, prolongent sur le terrain, dans ce qui n'est plus aujourd’hui qu'une modeste bourgade, la présence dominatrice de l'Eglise. Ces deux exemples suffiront : dans toutes nos cités un centre épiscopal ou abbatial est bien l'un des éléments majeurs de la sociotopographie urbaine. Les églises paroissiales, 7 à Embrun comme à Vienne par exemple, chiffres considérables pour des villes de moins de 3 000 habitants ajoutent leurs clochers à ceux des cathédrales. Les couvents des ordres mendiants, 3 à Vienne et à Grenoble (si l'on y compte celui des moniales de Sainte-Claire), 2 à Die et à Valence, un à Romans, prennent à la ville une large part d'un espace déjà occupé par des prieurés et couvents plus anciens comme ceux de Saint-Ruff à Valence, Romans et Vienne, comme les quatre prieurés de Die (Saint-Marcel, Saint-Maurice, Saint-Pierre et celui du Château), la collégiale Saint-André à Grenoble ou les couvents vénérables de Vienne, Saint-André le Bas et Saint-André le Haut, Saint-Jean-des-Vignes et Saint-Vincent.
31Il y a autour de ces bâtiments religieux une évidente socio-topographie ecclésiastique qu’il fallait rappeler mais sur laquelle il n’y a pas lieu d'insister. Par contre notre documentation met en évidence, sur le territoire de nos cités, une présence ecclésiastique, moins manifeste mais qui a beaucoup frappé les contemporains.
32Laissons-leur la parole. A Vienne en 145125 les habitants se plaignent amèrement des lourdes redevances dues à l'église cathédrale et aux abbayes et couvents de la ville ; il faut y ajouter les charges payées pour les cinq hôpitaux et du coup leurs maisons et propriétés sont en ruines. A Grenoble c'est bien pire. Dès 144726 les notables signalent que « de nombreuses maisons, à cause du décès de leurs propriétaires morts sans enfants, tombent entre les mains de l'Eglise à qui il faut payer, de toute façon, de lourdes redevances qui grèvent les héritages ». En 147527 les notables grenoblois, réunis pour la péréquation de la taille, soulignent que les ecclésiastiques possèdent, désormais, presque les deux tiers de la superficie de la ville. A Romans les élus réunis en 144328 expliquent les causes de l'appauvrissement de la ville, ils insistent sur les rentes versées aux clercs, « à cause du poids de ces pensions et arréages, les habitants ont perdu la propriété de la plupart de leurs maisons qui sont devenues propriété de l’Eglise ». A Embrun, enfin29 on se plaint aussi de l'emprise de l'Eglise, de plus en plus forte qui, en 1447, se retrouve propriétaire du quart des meilleures propriétés de la Terre Commune.
33Un examen rapide des cadastres embrunais de 1461 ne peut que confirmer ce point de vue30 : le cadastre laïque recense les biens de 426 propriétaires ou résidents d'Embrun et de ses faubourgs, le cadastre ecclésiastique qui ne mentionne pas les biens de l'archevêque et sans doute seulement une partie de ceux du chapitre, recense pourtant les biens de 124 clercs ou fondations pieuses. Les évaluations qui figurent dans ces cadastres permettent de distinguer au sein de cette population cléricale, qui tient dans la ville une place si considérable, quelques curés ou chanoines bien pourvus, dont certains sont sans doute originaires de la ville comme les Chabassol mais aussi des chapelains au sort moins enviable.
34Cela pourrait sans doute se vérifier dans les autres cités : il est évident que tous les clercs présents en ville n'ont pas les ressources des aristocratiques chanoines de Saint-Barnard de Romans. Mais, et là sera ma conclusion, la place des clercs et de l'Eglise dans les cités dauphinoises est très considérable, assez mal supportée par les habitants, d'autant que la conjoncture est morose, voire même vers 1440-1450, catastrophique. Une situation qui ne différencie pas fondamentalement les cités du Dauphiné des autres cités du Royaume.
Notes de bas de page
1 Archives départementales de l'Isère B 2742, 2747, 2728, 2705, 4458, 2759, 2748.
2 B. Chevalier, Les bonnes villes de France (XIVe-XVIe), Paris, 1982.
3 A. Allix, « Note sur la valeur démographique du feu en dauphiné », Procès-verbal de la société scientifique de l'Isère, 2e année no 3,1923.
4 A. Fierro, « Un cycle démographique, Dauphiné et Faucigny du XIVe au XIXe siècle », dans Annales ESC, 1971.
5 G. Montpied, « La population et la société embrunaise à la fin du Moyen Age », dans Cahiers d'histoire, tome XXVIII, 1983.
6 G. Montpied, « La société grenobloise à la fin du Moyen Age », dans Bulletin Philologique et historique, 1983.
7 Archives départementales de l'Isère, B 2742, fo 31 v°.
8 Archives départementales de l'Isère, B 2747, fo 463.
9 Archives départementales de l'Isère, B 2728, fo 438.
10 P. Vaillant, Les libertés des communes dauphinoises, Paris, 1951.
11 Sous la direction de B. Bligny, Histoire du Dauphiné, Toulouse, 1973.
12 M. Perrochet, Romans au XVe siècle, cité par E. Le Roy-Ladurie, Le carnaval de Romans, Paris 1979.
13 Archives départementales de l'Isère, B 2705.
14 Archives départementales de l'Isère, B 2728.
15 Archives départementales de l'Isère, B 2759.
16 Sous la direction de G. Duby, Histoire de la France urbaine, tome 2, La ville médiévale, Paris, 1980.
17 Archives départementales de l'Isère, B 2747.
18 Archives départementales de l'Isère, B 2748.
19 Archives départementales de l'Isère, B 2758 et B 4458.
20 Archives départementales de l'Isère, B 2732.
21 Archives départementales de l'Isère, B 2758.
22 Archives départementales de l'Isère, B 2747.
23 Archives départementales de l'Isère, B 4458.
24 Voir notes 5 et 6.
25 Archives départementales de l'Isère, B 2747 fo 463.
26 Archives départementales de l’Isère, B 2742 fo 24 et 29.
27 Archives départementales de l'Isère, B 2756 fo 725.
28 Archives départementales de l'Isère, B 2728 fo 338.
29 Archives départementales de l'Isère, B 2736 fo 562 à 577.
30 Archives communales d'Embrun CC 26 et 27 voir G. Montpied, J. Rouault. « DU texte au graphe : établissement d'une carte du parcellaire à partir de deux cadastres de la fin du Moyen Age » dans Les cadastres anciens des villes et leur traitement informatique, Ecole française de Rome, 1989.
Auteur
Université des Sciences Sociales de Grenoble
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