Les chartes de fusion de la communauté de la Part-Dieu avec l’abbaye de Léoncel (1194-95)
p. 413-422
Texte intégral
1En 1137, les Cisterciens s'installaient à Léoncel, dans le val le plus occidental du Vercors, à 912 mètres d'altitude et aux confins des diocèses de Die et de Valence. Au cœur d'un monde essentiellement calcaire, les moines, venus de Bonnevaux, investirent l'extrémité d'une petite plaine et d'une zone humide donnant naissance à un gros ruisseau. Le site, dominé par la hêtraie sapinière, ouvert par disposition méridienne à la Bise et au Vent, participe d'un climat montagnard aux étés frais et aux hivers froids, enneigés et sujets au brouillard. L'ouverture du val sur le Royans et sur la vallée de la Gervanne, l'accès par des cols et des « pas », à la fois aux forêts et prairies d'altitude et à la plaine de Valence, donnaient à la situation de l'abbaye une forte signification géographique1.
2En dehors du site même de Léoncel, c'est du côté de la plaine que nous entraînent les chartes enregistrant les premières manifestations de la sollicitude des puissants, laïques ou ecclésiastiques, à l'égard du jeune monastère : protection des hommes et des biens, exemptions de péages et de leydes, donations foncières. De 1150 aux années 1190, s’esquissent, puis s'affirment deux des trois pôles majeurs de la présence cistercienne dans le bas pays : le Cognier, aujourd'hui aux confins des communes de Saint-Marcel-lès-Valence, Montélier et Alixan, et la Voupe, aux limites d’Alixan et de Chatuzange-le-Goubet. Le troisième, le plus brillant, allait être la Part-Dieu, dans la partie romanaise de la plaine2. Entre temps, des donations des seigneurs de Gigors, sur la retombée méridionale du Vercors, et de Flandènes, dans le Royans, avaient orienté nos Cisterciens du côté de la montagne, vers la forêt et les alpages d’Ambel, à partir de 1169-73. Et, dès les années 1160, un vignoble entourait leur cellier en moyenne vallée de la Gervanne.
3La fusion de la communauté cénobitique de la Part-Dieu, installée au sud-est de Romans, avec l'abbaye cistercienne de Léoncel, doit être considérée comme un des événements majeurs de l'histoire du monastère. Les décisions prises en 1194, permettant une nouvelle implantation et impliquant le rythme même de la vie de l'abbaye, l'expliquent aisément.
I. LA COMMUNAUTE DE LA PART-DIEU
4La plaine de Valence résulte avant tout d'un puissant travail d'érosion, conduit par l'Isère avec le renfort de torrents descendus du Vercors, aux dépens de la molasse de l'avant-pays alpin qui ne subsiste ici que sous la forme de collines résiduelles. Les épisodes successifs du Quaternaire permirent, ensuite, l'étalement ou la construction, par les mêmes cours d’eau, de vastes nappes alluviales fluvio-glaciaires et de cônes périglaciaires autour de ces collines qui en émergent comme des îles, souvent plus boisées que la plaine. Ainsi s'était constitué un milieu favorable aux entreprises agricoles, surtout avec le concours de l’eau3.
5La Part-Dieu, à 240 mètres d'altitude et à mi-chemin entre Barbières, au pied du Vercors et du col de Tourniol, et Romans, se trouvait à même d’associer collines et terres alluviales, dans une partie de la plaine que parcourent plusieurs ruisseaux dont celui, voisin, du Charlieu.
6La première charte évoquant la communauté de la Part-Dieu, datée de 1188, ne concernait pas encore directement Léoncel, mais l'abbaye la conserva dans son fonds d'archives4. Elle rendait compte d'une donation de Guidelin de Chabeuil, co-seigneur de Pisançon, dont le mandement — terme régional pour désigner une seigneurie—, longtemps partie du domaine temporel de l'abbaye et du chapitre de Saint-Barnard de Romans, avait fait l'objet d'un partage au début du XIIe siècle. Partant pour la croisade, cum transmarinas adire partes proposuisset, il faisait donation d’un manse, de la moitié de deux autres et d'une terre, « à Dieu, à Marie et aux habitants actuels et futurs de la Part-Dieu,... et à tout ordre auquel les dits résidents voudraient s'affilier maintenant ou dans l'avenir». Guidelin reçut 1 400 sous de Garnier, fondateur et constructeur de cette maison qui s'empressa de dédommager également les deux frères du donateur (200 sous), ainsi que Guinesius de Chateauneuf et son fils Gontard (73 sous). Divers personnages se trouvaient désignés comme cautions, dont, en cas de défection des autres, Guillaume, abbé de Clérieu, Ainard, doyen de Vienne et Ricus, chanoine de Valence. Les châtelains de Pisançon cédèrent les droits qu'ils possédaient sur les terres données et ils furent dédommagés par Guidelin et ses frères, par la cession de revenus équivalents à ceux qu'ils perdaient.
7Nous ne trouvons pas, dans ce texte, d’autres indications sur la fondation de la Part-Dieu et le projet de ses habitants qui illustraient modestement le renouveau de l'érémitisme et l'essor de la vie commune5. On retiendra néanmoins leur installation dans un site relativement proche de Romans et le fait que les donations de Guidelin et des autres, y compris les châtelains, soulignent la présence de l'homme et de l'agriculture, même s'il est question d'un bois. Les moines agrandirent probablement l'espace cultivé. Ils n'en furent pas les premiers défricheurs. Il s'avère intéressant, par ailleurs, de comparer ces donations en plaine, assorties de précisions sur leur situation géographique et sur certaines de leurs limites, et celles concernant le Vercors, aux définitions larges, vagues et conflictuelles.
II. LA CHARTE DE FUSION DE 1194
8La communauté se donnait à l’abbaye de Léoncel6. L'événement peut sembler banal, tant furent nombreux les rattachements à un ordre religieux, cadre structuré et riche de solidarités, ou les fusions pures et simples dans un monastère dont le rayonnement se trouvait ainsi reconnu. Mais, dans le cas de la Part-Dieu, des mutations institutionnelles modifièrent sensiblement l'organisation de la communauté monastique de Léoncel, ses rythmes de vie et sa relation avec la plaine. Elles posèrent aussi le problème de l'identité de ce lieu, désormais mi-grange, mi-abbaye, comme le souligne encore parfois, sur place, le langage populaire.
9La charte complète notre information sur « ces laïques qui avaient construit, au nom de la religion, cette maison au mandement de Pisançon». Les fondateurs, Garnier Alberic et Martin de Bocsozel, avaient acquis le terrain de leurs propres deniers et multiplié les bienfaits à l'égard de leur fondation. Nous ignorons l'origine géographique et sociale du premier, mais le second devait appartenir à une famille originaire des environs de la Côte-Saint-André. Dans cette charte, le seigneur du lieu, Guillaume de Clérieu, ancien abbé de Saint-Félix de Valence, toujours dit « l’abbé », en dépit de son retour dans le siècle, et qui partageait avec le donateur de la charte de 1188, Guidelin de Chabeuil, le territoire de Pisançon, s'exprimait à la première personne. Et il tenait à rappeler qu'il avait fait lui-même consacrer le cimetière de la Part-Dieu : ibidem feci cimisterum dedicari.
10La charte évoque l'origine de la fusion, déjà envisagée dans le principe en 1188. Avec le temps, les cénobites reconnaissaient que sans chef, ils ne pouvaient ni prospérer, ni durer. Ils soulignaient ainsi la difficulté de se donner eux-mêmes une organisation « régulière » efficace, peut-être aussi d'être reconnus dans un monde turbulent et en mutation. Ils se tournaient donc vers l'Ordre de Cîteaux et vers Léoncel : le prestige du premier restait immense, moins d'un siècle après sa fondation. L'enseignement de Bernard de Clairvaux, disparu en 1153, conservait sa force. Léoncel vivait ses « grandes heures ». Son rayonnement spirituel devait à la rigueur de la communauté et à la personnalité de Hugues de Chateauneuf, abbé de 1162 à 1166 dans le Vercors, avant d'être appelé à Bonnevaux. L’église abbatiale fut consacrée en 1188 par l'archevêque de Vienne, Robert. Le domaine temporel s'étendait en plaine, se consolidait dans l'étage intermédiaire étiré de la moyenne vallée de la Gervanne au Royans, en passant par Léoncel, gagnait en montagne les alpages et forêts d'Ambel, couronnés par le Roc de Toulaud (1581 m.).
11Nombreux étaient ceux qui souhaitaient cette fusion et l’aidèrent à prendre corps. Les deux fondateurs, Garnier Alberic et Martin de Bocsozel pressaient les hôtes de la maison. Et Guillaume déclara acquiescer aux honestis peticionibus, « aux nobles sollicitations » d'Hugues, abbé de Bonnevaux, « de bonne mémoire », mention qui confirme la disparition d'Hugues en 1194. Jusqu'à sa mort, l'ancien moine du Miroir, conseillé et encouragé par saint Bernard, arrivé à Léoncel probablement dès avant 1142 pour en repartir, abbé, en 1166, manifesta une sollicitude particulière à l'égard du monastère du Vercors, comme le soulignent de nombreuses chartes7.
12Guillaume déclarait ensuite approuver la fusion, salva in omnibus auctoritate ecclesia Romanensis, « sauf respect, en toutes choses, de l'autorité de l'église de Romans ». Il agissait ici en seigneur du lieu, mais, sacristain de Saint-Bamard, il prenait garde de ne pas oublier les droits de l'église de Romans. Après avoir rendu hommage à la sainteté de l'Ordre de Cîteaux et appelé de ses voeux des prières spéciales, tant à la Part-Dieu qu'à Léoncel, il procédait, moyennant un faible cens de deux sétiers d'avoine, à la donation d'un demi-manse et de deux bois, et accordait, en échange de deux sols de fromage, le droit de pâturage sur le mandement de Pisançon, tout autre religieux s'en trouvant exclu, ce qui pourrait bien viser les Chartreux du Val Sainte-Marie de Bouvante, alors en quête de pâtures d'hiver dans la plaine, comme le suggère Philippe Bringuier.
13On trouve ensuite la formule essentielle. Guillaume déclarait en effet Hec autem Domum, que Pars Dei dicitur, cum domo de Lionczel tenetur ibidem, scilicet in Parte Dei, residentiam facere a festo sancti Andre usque ad Pascha, et per reliquum anni spatium debent ibi quator vel sex monachis in Deo servitio permanere : « alors, en ce cas, la maison dite Part-Dieu constitue une seule et même abbaye avec la maison de Léoncel ; aussi le couvent de Léoncel est-il tenu de résider à la Part-Dieu, naturellement, de la fête de saint André jusqu'à Pâques et de maintenir à la Part-Dieu, pendant le reste de l'année, 4 ou 6 moines pour entretenir le service de Dieu ». Guillaume faisait encore savoir qu'il avait apposé son sceau sur cette charte et supplié Robert, archevêque de Vienne, et Falcon, évêque de Valence, d'en faire autant.
III. DES CONFIRMATIONS NECESSAIRES
14Quatre autres textes traitent de cette même fusion, datés de 1194 pour le premier, 1195 pour les deux suivants, 1196 pour le dernier8.
15Très proche, dans le ton, les termes et la construction, de la précédente, la charte de Lambert, doyen de Valence, pour la Part-Dieu met en scène un personnage déjà rencontré en 1188, frère de Guidelin de Chabeuil, le donateur d'alors. Une partie du territoire de la Part-Dieu relevait de son domaine éminent. Sollicité par l'archevêque de Vienne, par l'évêque de Valence et par Pierre de Néronde, abbé de Léoncel, pressé de donner son accord à l'union des deux maisons, il le fit dans les mêmes termes, mutatis mutandis, que Guillaume de Clérieu. Il assortit son acceptation de la donation perpétuelle du manse de Crox, avec une petite exploitation agricole, des bois et des dépendances, ajouta la moitié du manse de Chapuis et le droit de pâturage dans le mandement de Pisançon, pour ce qui relevait de son domaine. Les châtelains de Pisançon, abandonnant leurs droits sur les terres désignées, reçurent dédommagement des membres de la famille de Chabeuil. Lambert, qui avait obtenu l'approbation de ses neveux Gontard et Arbert et de sa nièce Aude, apposa son sceau et supplia l’archevêque et l'évêque d’en faire autant.
16En janvier 1195, Falcon, évêque de Valence, annonçait solennellement sa totale approbation de la fusion de la Part-Dieu avec Léoncel. Il avait adressé une supplique au chapitre général de Cîteaux. Lui aussi faisait don à l'abbaye de la maison, de toutes ses dépendances, des biens-fonds « donnés et à donner, acquis et à acquérir ». Il promit de la défendre et maintenir. On conçoit aisément le bonheur de l'évêque de Valence qui accueillait ainsi les Cisterciens dans son diocèse, bien davantage que par le biais des granges du Cognier ou de la Voupe. Il s'était querellé avec son collègue de Die au sujet de la situation diocésaine du monastère et du droit à exercer la tutelle épiscopale. Une bulle du pape Lucius III, du 22 novembre 1183, autorisait les moines de Léoncel à s'adresser quam diu inter eos contentio ista durarevit « tant que durerait ce litige », à l'archevêque de Vienne ou à tout autre évêque catholique (sic), pour recevoir les ordres sacrés et les autres sacrements ecclésiastiques9.
17Dans le même temps et dans les mêmes termes que Falcon, Robert Viennensis archiepiscopus et ecclesie Romanensis abbas vocatus, approuvait chaleureusement la fusion. On notera l'expression par laquelle il rappelait que le titre d’abbé de Saint-Barnard était porté depuis la fin du IXe siècle par l'archevêque de Vienne. On peut trouver là la justification de la réserve faite en 1194 par Guillaume de Clérieu, approuvant la fusion salva in omnibus auctoritate ecclesie Romanensis.
18En 1196, le comte de Valentinois, Adémar de Poitiers, confirmait à l'abbaye de Léoncel une donation faite par son père à la Part-Dieu nihil ibi omnino retinens nisi remunerationem divinam et salute mee et anime patris et matris mee et omnium decessorum meorum, ce qui constituait une manière élégante de souligner son approbation.
IV. LE PLUS BEAU FLEURON DU DOMAINE TEMPOREL
19A partir, sans doute, du 30 novembre 1195, jour de la Saint-André, les moines prirent donc l'habitude de quitter les froidures de Léoncel pour s'installer à la Part-Dieu. Le col de Tourniol, à 1145 mètres, favorise une descente rapide vers le goulet de Barbières et, au-delà, le chemin de Romans tire droit selon une des génératrices du cône de la Barberolle. Le parcours devait s'effectuer aisément dans la journée. Quelques frères demeuraient en montagne, gardaient le monastère, y maintenaient le service de Dieu. A Pâques, la communauté reprenait le chemin du Vercors, non sans laisser une partie de l'effectif en plaine romanaise. Ces migrations saisonnières paraissent avoir été fort régulières, sauf menaces pendant les périodes troublées des guerres féodales et des affrontements religieux, jusqu'à la fin du XVIIe siècle. A cette époque, l'attribution des revenus de la Part-Dieu à un abbé commendataire, dans un partage très strict imposé par Cîteaux pour apaiser les esprits, interrompit les séjours hivernaux10. Mais jusque là, elles constituèrent les temps forts d'un incessant mouvement de va-et-vient le long du grand versant abaissé du Vercors sur la plaine. Elles consolidèrent les liens avec la ville de Romans, souvent présente dans l'histoire de l'abbaye de Léoncel.
20On ne peut considérer la Part-Dieu comme une simple grange. Dans un ensemble architectural fortement remanié, où ne subsistent que quelques éléments anciens, parfois réemployés, la présence de « la maison de l'abbé », desservie par un bien bel escalier, apparaît, à ce propos, comme un symbole. Mais la Part-Dieu devint aussi le plus beau fleuron du domaine temporel, même si elle n'eut jamais une superficie comparable à celle du Cognier. Entre 1195 et la fin du XIIIe siècle, 54 chartes concernent la Part-Dieu et la plaine romanaise proche. Elles traduisent un effort soutenu et répétitif de la communauté. Il s'agissait d'agrandir par le jeu subtil des « donations », le plus souvent avec contrepartie financière, des acquisitions, parfois des échanges de terres, jardins, prés, bois, voire moulins. Il s'agissait aussi d'être « chez soi », comme le souligne le rachat de nombreux cens, dîmes ou autres redevances. A contrario, l'abbaye amorçait une construction de type seigneurial, en collectionnant les cens à prélever. Elle en recevait par donation, elle en achetait, elle cherchait à en obtenir les reconnaissances nécessaires. Elle préparait la pâte des futurs terriers. Cette extension, cet affermissement du domaine temporel s’exerçait dans les paroisses et mandements voisins de Pisançon, Marches, Chatuzange, Saint-Martin d'Almenc et du Charlieu.
21Le domaine de la Part-Dieu, en tout cas, bénéficia rapidement d'une excellente réputation qui devait traverser successivement le temps du faire-valoir direct, celui du fermage, celui, enfin, de la ferme générale. Très vite il participa au système pastoral mis sur pied aux lendemains de la fondation de l’abbaye. Attirés par les droits de pâturage, généreusement offerts autour du Cognier, près de Chateauneuf et des rives de l'Isère, sur la haute plaine entre Chabeuil et Combovin, puis, comme on l’a vu, en plaine romanaise, les moines conduisaient leurs troupeaux vers la plaine à la mauvaise saison et regagnaient la montagne au printemps. Le géographe Philippe Arbos, fort intéressé, voyait dans la communauté de Léoncel l'inventeur d’une « transhumance inverse » appellation qui ne nous paraît pas, aujourd'hui si bien venue11. Une charte du XIIIe siècle évoque la descente des troupeaux par Barbières et l'attitude du seigneur de Pellafol dont le château dominait la « draye »12. Riche d'un élevage divers, la Part-Dieu devait aussi sa réputation à ses techniques de maîtrise de l'eau, à la gamme et à la qualité de ses récoltes, sans oublier la production arbustive. Les céréales et plus particulièrement le froment réussissaient bien sur les terres alluviales. Acensant à l'abbaye des terres dans la plaine romanaise, le doyen Lambert exigeait que le cens lui soit versé en froment tel qu'on le cultivait à La Part-Dieu. On peut affirmer que ce domaine, objet de la sollicitude de nombreux abbés, participa largement au progrès agricole.
22Le système de la commende ne fut appliqué à l'abbaye de Léoncel qu'en 1681. La querelle fut immédiate, entre l’abbé et la communauté monastique, désormais dirigée par un prieur claustral, à propos du partage des revenus du domaine. Cîteaux finit par imposer un partage strict, en 1697. A l’abbé les revenus de la plaine romanaise, c'est-à-dire ceux des domaines de la Part-Dieu, de Saint-Martin d'Almenc et de la Voupe-Maison Blanche, aux moines ceux du Cognier, de la moyenne Gervanne et de la montagne13. La porte de la Part-Dieu se referma et le séjour hivernal ne fut plus qu'un souvenir. En montagne on entreprit la construction d'un nouveau bâtiment un peu plus confortable. Plus tard, la décadence de la communauté monastique et les difficultés de la vie en montagne conduisirent le prieur Dom Périer à cultiver le projet d'une installation définitive de l'abbaye en plaine, plus précisément à la Part-Dieu. Il tenta de s'appuyer sur la charte de 1194 et sur l'engagement qu'elle traduisait, pour fléchir Alexandre Milon, abbé commendataire et évêque de Valence, qui refusa tout arrangement14.
23Vendue comme bien national (fin 1790 — début 1791) pour une superficie de 115 hectares, la Part-Dieu fut adjugée, après 21 feux, à un collectif de 31 agriculteurs des environs, pour la somme de 224 000 livres15.
V. CONCLUSION
24Il y a peu d'exemples de la fusion de deux maisons ayant entraîné une délocalisation saisonnière de la communauté des moines, en tout cas dans l'histoire de l'Ordre de Cîteaux. On comprend aisément la démarche des pieux fondateurs de la maison de la Part-Dieu, soucieux d'entrer dans un ordre religieux en pleine force. Pour la communauté monastique de Léoncel, la prise en charge de la Part-Dieu signifiait une présence accrue et l'exercice de nouvelles responsabilités dans la plaine de Valence, notamment dans sa partie romanaise. La fusion lui permettait aussi d'accroître sa capacité proprement agricole, la montagne faisant davantage figure de domaine pastoral et forestier. Elle donnait encore la possibilité de faire échec aux tourments et à la solitude de l'hiver en altitude. Mais, probablement, elle a accéléré la venue d'une autre manière d'être des Cisterciens de Léoncel.
Notes de bas de page
1 M. Wullschleger, « L’abbaye de Léoncel : la dimension géographique », dans Léoncel une abbaye cistercienne en Vercors, La Manufacture, Die, 1984, p. 59-68.
2 P. Bringuier, « A la recherche de l'abbaye dans la plaine romanaise », dans Cahiers de Léoncel no 3 (numéro spécial de la Revue Drômoise), Valence 1987, p. 27-45. U. Chevalier, Cartulaire de l'abbaye Notre-Dame de Léoncel au diocèse de Die, ordre de Cîteaux, Montélimar, 1869. Regeste dauphinois ou répertoire chronologique et analytique des documents imprimés ou manuscrits relatifs à l'histoire du Dauphiné, des origines chrétiennes à l'année 1349, 7 tomes, Valence 1913-23, Vienne 1926. M. Wullschleger, « Les cisterciens de Léoncel dans la plaine de Valence », dans Etudes Drômoises no 4,1989, p. 8-13.
3 P. Mandier, Le relief de la moyenne vallée du Rhône au Tertiaire et au Quaternaire ; essai de synthèse paléogéographique, Thèse de Doctorat d'Etat, BRGM, 1988.
4 U. Chevalier, Cartulaire... op. cit. Charte XXXVII, 1188, p. 43. L'original se trouve aux Arch. dép. de la Drôme, 1 H 249.
5 M. Pacaut, Les ordres monastiques et religieux au Moyen-Age, Paris, 1970, p. 89-100.
6 U. Chevalier, Cartulaire... op. cit. Charte LIII, 1194, p. 58 (Carta abbatis de Clariaco pro Parte Dei). Original aux Arch. dép. de la Drôme, 1 H 251.
7 U. Chevalier, Cartulaire... op. cit., Charte XI, p. 11 ; XXVI, p. 31 ; XXXVI, p. 42 ; XXXVIII, p. 44 ; XLIV, p. 49 ; XLIX, p. 55 et donc LIII, p. 58. A. Dimier, Saint Hugues de Bonnevaux de l'Ordre de Cîteaux, 1120-1194, Grenoble, Imp. saint Bruno, 1937-41.
8 U. Chevalier, Cartulaire... op. cit., Charte LIV, p. 60 ; LV, p. 62 ; LVI, p. 62 ; LX, p. 66. Plusieurs originaux aux Arch. dép. de la Drôme : 1 H 253,1 H 254,1 H 310.
9 U. Chevalier, Cartulaire... op. cit., Charte XXXI (Bulla Ludi III papae pro immunitate monasterii). M. Wullschleger, « Cisterciens de Léoncel : les chartes du premier demi-siècle 1137-1137-1188», dans Cahiers de Léoncel no 5 (numéro spécial de la Revue drômoise), Valence, 1989, p. 52-61.
10 M. Wullschleger, « L'abbaye cistercienne de Léoncel au XVIIIe », dans Cahiers de Léoncel no 6, (numéro spécial de la Revue Drômoise), Valence, 1990, p. 2-9.
11 P. Arbos, La vie pastorale dans les Alpes françaises, Paris, Colin, 1922. M. Wullschleger, « Les moines de Léoncel et l'élevage », dans Cahiers de Léoncel no 1, (numéro spécial de la Revue Drômoise), Valence, 1986, p. 8-24.
12 U. Chevalier, Cartulaire... op. cit., Charte CCLXXIII, p. 286 (Instrumentum domini Pellafoli).
13 Voir note 10.
14 M. Wullschleger, « Cisterciens de Léoncel : les prieurs du dernier demi-siècle, 1739-1739-1790» dans Cahiers de Léoncel no 6 (numéro spécial de la Revue Drômoise), Valence, 1990, p. 18-33.
15 M. Wullschleger, « Léoncel et la Révolution : une première approche » dans Les Drômois, acteurs de la Révolution, Actes du colloque de Valence, Boure-les-Valence, 1990, p. 293-324.
Auteur
Vice-Président des Amis de Léoncel
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Séjourner au bain
Le thermalisme entre médecine et société (xive-XVIe siècle)
Didier Boisseuil et Marilyn Nicoud (dir.)
2010
Le Livre de saint Jacques et la tradition du Pseudo-Turpin
Sacralité et littérature
Jean-Claude Vallecalle (dir.)
2011
Lyon vu/e d’ailleurs (1245-1800)
Échanges, compétitions et perceptions
Jean-Louis Gaulin et Susanne Rau (dir.)
2009
Papauté, monachisme et théories politiques. Volume I
Le pouvoir et l'institution ecclésiale
Pierre Guichard, Marie-Thérèse Lorcin, Jean-Michel Poisson et al. (dir.)
1994
Papauté, monachisme et théories politiques. Volume II
Les Églises locales
Pierre Guichard, Marie-Thérèse Lorcin, Jean-Michel Poisson et al. (dir.)
1994
Le Sol et l'immeuble
Les formes dissociées de propriété immobilière dans les villes de France et d'Italie (xiie-xixe siècle)
Oliver Faron et Étienne Hubert (dir.)
1995