La vie monastique russe d'apres la « Vie de Théodose des grottes »
p. 199-208
Texte intégral
1Théodose1 est vénéré dans l'Eglise russe comme le fondateur, avec son maître Antoine, du monastère des Grottes à Kiev2 et l'initiateur en Russie du monachisme cénobitique. Son activité nous est bien connue par sa Vita3 rédigée par le moine hagiographe Nestor4, par la Chronique des Temps passés5, par le Paterikon du monastère des Grottes de Kiev6 et par des œuvres homilétiques dont l'attribution demeure incertaine.
2Nous étudierons successivement les sources, les débuts de la vie monastique en Russie et la réforme théodosienne.
3La Vita de saint Théodose est un texte hagiographique qui appartient au genre byzantin de l'egkômion-éloge7 ; elle a été rédigée à la fin du XIe ou au début du XIIe s., par Nestor l'hagiographe (vers 1050-début XIIe s.) entré au monastère des Grottes sous l'higouménat d'Etienne (1074-1078), soit peu après la mort de Théodose, survenue en 1074. Par conséquent, Nestor a pu bénéficier des témoignages directs des compagnons du saint. De ce fait, sa Vita se différencie sensiblement des œuvres de ce genre, précisément par les descriptions particulièrement vivantes de la vie monastique. Ainsi, l'image inhabituelle de la mère du saint, véritable marâtre, qui s'efforça longtemps de contrecarrer la volonté manifeste du saint de se consacrer à Dieu. Entier aussi est le caractère de Théodose qui n'hésita pas à se dresser face au prince Svjatopolk qui venait de chasser son frère Izjaslav du trône grand-princier. Certes, les chercheurs ont trouvé, dans la Vita, nombre de thèmes empruntés à des œuvres hagiographiques traduites, comme la Vita d'Euthyme le Grand ou celle de saint Savva. Toutefois, on ne peut parler que de ressemblance. Le récit de Nestor n'est pas un montage de topoï hagiographiques traditionnels destinés à glorifier le monastère des Grottes. Ce point de vue est davantage celui de la Chronique . Entre les deux récits, la Vita et la Chronique, apparaissent de sensibles différences qui ont permis de lancer l'hypothèse de l'existence de deux Nestor8, qualifié l'un d'hagiographe, L'autre de chroniqueur. Sous l'année 1051 la Chronique rapporte l'entrée au monastère de Théodose ; sous l'année 1074, est placé le panégyrique post mortem du saint, associé à des descriptions de figures exceptionnelles du monastère, comme le prêtre Damien, les frères, Jérémie et Mathieu ou les deux Isaac ; enfin, sous l'année 1091, est décrite la translation des reliques du saint à l'intérieur de l'église de la Très-Glorieuse-Mère-deDieu, suivie d'un éloge du saint qui pourrait avoir été prononcé par le prieur Jean lui-même à l'occasion de cette cérémonie9.
4On attribue aussi à Théodose, mais sans une certitude absolue, des œuvres homilétiques. Parmi celles-ci, cinq exhortations sur les valeurs fondamentales du monachisme auxquelles correspondent cinq discours aux moines dans lesquels il dresse la liste des vices à éviter, une Prière pour tous les chrétiens dans laquelle il demande la conversion des chrétiens et la bénédiction divine pour le prince, l'État et l'Église10.
5Enfin le Patérikon du monastère des Grottes nous fournit de précieux renseignements sur l'activité de Théodose. Telles sont les sources à partir desquelles il nous faut présenter les débuts de la vie monastique en Russie.
6Les débuts du monachisme en Russie11 sont antérieurs à l'activité des deux fondateurs du monastère des Grottes, Antoine et Théodose. Les premiers témoignages rapportant l’existence d'une vie monastique à Kiev se trouvent dans la célèbre « Louange à Vladimir » du métropolite Hilarion dans laquelle il écrit qu'avant la christianisation, « sur les collines de Kiev, existaient des monastères où vivaient des moines »12 ; des moines sont également mentionnés sous le règne de Vladimir dans le panégyrique du prince par le moine Jacques13. Toutefois, le développement du monachisme ne prend son véritable essor à Kiev que sous le règne du prince Jaroslav le Sage (1015-1054), comme en témoigne la Vita de Théodose. Encore dans l'enfance, il visita tous les monastères de Kiev, dans l'espoir déçu de s'y faire admettre14.
7Les premiers témoignages attestant la construction de monastères princiers remontent au début des années 1050, quand Hilarion était métropolite de Kiev et Jaroslav, prince. Ils fondèrent alors les monastères de Saint-Georges15 et de Sainte-Irène16, à l'intérieur de la « ville de JaroJaroslav»17, consacrant ainsi le culte des saints patrons protecteurs de la famille princière18. Il n'est fait alors aucune allusion au monastère des Grottes. La raison en est simple. Le monastère des Grottes n'était pas, à l'origine, un monastère princier19. Il fut fondé par Antoine qui faisait partie des cercles aisés, peut être même était-il un des boyards, de la ville de Ljubec, autour d’une grotte creusée20 par le métropolite Hilarion alors que celui-ci était prêtre desservant de l'église des Saints-Apôtres, à proximité du village princier de Bérestovo. Très rapidement, des conflits éclatèrent entre le tout jeune monastère et le pouvoir princier notamment quand Antoine accueillit dans son monastère Varlaam et Ephrem, deux personnages très étroitement liés au palais princier puisque le premier était le fils de son « premier boyard » et le second, un eunuque attaché au gynécée du palais. Le conflit avec Izjaslav ne s'acheva qu'après le transfert de Varlaam, comme higoumène du nouveau monastère princier de Saint-Dmitrij. En retour, Antoine reçut du prince une partie du domaine princier, la colline qui surplombait la Grotte, pour y construire les indispensables bâtiments monastiques et une église en l'honneur de la Très sainte et Très-glorieuse-Mère-de-Dieu21.
8Sa solide organisation, le monastère des Grottes la dut très probablement à la règle stoudite que Théodose reçut de Constantinople. Ainsi, la vie cénobitique allait s'imposer en Russie au détriment de la vie érémitique représentée pourtant par saint Antoine (+ 1073)22. Le monachisme allait se développer à la lumière et dans la vie commune après une période souterraine et solitaire23.
9La décision d'adopter la règle stoudite nous est rapportée par deux documents : la Vita de Théodose24 et le Paterikon25 dont il est intéressant de confronter les relations. Selon la Vita, après avoir réussi, en 1062, le transfert du monastère des Grottes autour de l'église de la Très-Glorieuse-Mère-de-Dieu, sur un site entouré d'un mur en pierre et pourvu de nombreuses cellules, « ensuite, le bienheureux envoya l'un des frères à Constantinople auprès d’Ephrem l'eunuque, afin qu'il recopiât la Règle du monastère du Stoudios et qu'il la rapportât. Celui-ci exécuta immédiatement l'ordre de notre vénérable père. Il recopia toute la Règle du monastère et la lui envoya. Quand notre père Théodose la reçut, il la fit lire devant la communauté. Dès lors, il commença à tout faire dans son monastère selon la Règle des saints habitants du Stoudios et jusqu'à ce jour ses disciples l'observent pareillement »26.
10Le Paterikon rapporte ainsi cette décision. Théodose qui venait d'être désigné par Antoine, puis accepté par ses frères, comme higoumène du monastère, « accueillit de nombreux moines et réunit cent frères. Il se mit à chercher une Règle monastique. Alors se trouvait là, Michel, moine célèbre du monastère du Soudios, qui arrivait de Grèce avec le métropolite Georges (vers 1065-1076)27. Théodose lui demanda de l'informer sur la Règle des moines stoudites. L'ayant trouvée chez lui, il la lui copia. Et (Théodose) l'institua dans son monastère ; désormais, la façon d’interpréter le chant monastique, de faire le salut, de lire la lecture, de se tenir à l'église, et tout l'usage ecclésiastique, ainsi que la façon de s'asseoir à table et le menu journalier, tout cela, Théodose le fixa d'après la Règle et il l'introduisit dans son monastère, puis, tous les monastères russes imitèrent cette Règle, en l'honneur du Monastère des Grottes, car il était le plus ancien et le plus illustre de tous »28.
11Les deux récits s'accordent et se complètent mutuellement sur deux points essentiels : d'une part, Théodose, devenu abbé du monastère des Grottes, est contraint d'organiser la vie monastique tant le succès de la nouvelle fondation est grand ; d'autre part, les deux documents soulignent avec force l'importance du choix de cette Règle qui influa sur tous les aspects de la vie monastique et qui, par la suite, s'imposa à tous les autres monastères russes. Le seul point de désaccord se rapporte à la façon dont la Règle fut introduite en Russie ; selon la Vita, Théodose envoya un frère à Constantinople pour y recopier la Règle ; selon le Paterikon, Théodose trouva cette Règle dans l’entourage du métropolite de l'Eglise russe, Georges. Ce point est tout à fait important. En effet, si l'on en croit les historiens de l'Eglise russe29, L'introduction de règles monastiques, à l'instar de Byzance, n'était pas du ressort du pouvoir ecclésiastique, mais relevait de l'initiative personnelle des clercs ou des bienfaiteurs et non pas de celle des Byzantins installés sur le trône métropolitain de Kiev. Le métropolite ne participa donc pas au choix et au transfert en Russie de la Règle monastique. Ce point de vue correspond parfaitement aux données de la Vita de Théodose, mais il élimine, sans le discuter, le passage correspondant du Paterikon lequel, au contraire, souligne le rôle de l'entourage du métropolite Georges. L’examen attentif de ce dernier document doit retenir toute notre attention. Soucieux de s'informer sur la Règle monastique30, Théodose s'adressa au moine Michel, du monastère du Stoudios31 qui arrivait de Grèce avec le métropolite Georges.
12Le premier élément à relever concerne l'emploi du singulier. Théodose s'informe de la Règle monastique. Il s'agit évidemment de la Règle basilienne32 qui s’était imposée dans l'empire surtout depuis l'importante réforme monastique du IXe s. en faveur de la vie cénobitique. Cette Règle, fondamentalement christologique et christocentrique, veut conduire le moine à l'Imitation de Jésus Christ : « Imitez Celui qui est si doux et si humain »33. Théodose qui cherchait à se la procurer, la trouva auprès de ce moine qui faisait partie de l'entourage du métropolite Georges. Le verbe employé obresti34 est l'équivalent du grec eurein et s'emploie dans le sens de trouver ce que l'on cherche. Ainsi l'utilise l’évangéliste Mathieu dans le récit de la parabole de la brebis égarée pour traduire le passage « s'il lui arrive de la trouver/i asce budet'obresti35. » Par le choix de ce verbe, l'auteur précise exactement la démarche de Théodose. Il insiste sur la recherche menée par l'higoumène du monastère des Grottes, recherche qui aboutit lors de sa rencontre, à Kiev, avec le moine Michel, à la découverte de la Règle et à sa copie. Ce passage du Paterikon permet de reconsidérer dans une large mesure le rôle traditionnellement attribué à la chaire métropolitaine de Kiev dans la transmission en Russie de la Règle monastique. Certes, si l'initiative de la recherche fut bien le fait de Théodose, si le rôle du métropolite ne semble pas avoir été actif et dynamique, il n'en demeure pas moins que c'est auprès de lui qu'il la trouva. Ainsi, la chaire métropolitaine de Kiev semble bien jouer un rôle essentiel de lieu ressource près duquel l'on pouvait trouver les textes essentiels, liturgiques ou réglementaires dont les Russes chrétiens pouvaient avoir besoin. C'est dans le scriptorium de Sainte-Sophie de Kiev que Théodose put copier36 cette Règle
13 J.-P. Arrignon, « L'oeuvre religieuse de Iaroslav le Sage », 988-1988 : un millénaire, la christianisation de la Russie ancienne, Paris, 1989, p. 99-108.
. Cette tâche fut sans aucun doute difficile, tant la Règle basilienne est abondante, puisqu'elle représente un ensemble trois fois plus important que celui des « Règles de saint Pachôme, de saint Augustin, de saint Benoît, de saint François et du Carmel réunies »37. La copie de cette Règle fut donc une tâche longue et difficile, même s'il n'est pas fait état d'une traduction à réaliser. Il est donc permis de supposer que le texte de référence à copier était déjà traduit, ce qui renforcerait encore le rôle de la chaire métropolitaine de Kiev comme centre de traduction et de diffusion des textes essentiels de la vie religieuse byzantine en Russie.14Nous sommes donc en présence de deux versions de l'introduction en Russie de la Règle stoudite, choisie par Théodose pour organiser, à Kiev, le premier monastère cénobitique russe. Ces deux versions diffèrent sensiblement l'une de l'autre, précisément dans le rôle qu’elles accordent à la chaire métropolitaine de Kiev. Pour Nestor l’hagiographe, celle-ci est totalement absente du processus, puisque Théodose charge un de ses moines d'aller la copier directement à Constantinople ; pour l’auteur du Slovo no 7 du Paterikon, la chaire métropolitaine fournit le texte du manuscrit sur lequel Théodose fait recopier la Règle. Comment expliquer ces divergences ? Celles-ci nous semblent tout d'abord conforter l'hypothèse déjà évoquée de l'existence de deux moines Nestor, l'un, auteur de la Vita de Théodose, l'autre, le chroniqueur. Il nous apparaît en effet difficile d'admettre que le même homme ait pu écrire la Vita de saint Théodose et le Slovo no 7 du Paterikon, comme l'écrit L.A. Dmitriev38. D'autre part, ces divergences pourraient bien être le reflet d'un décalage chronologique entre les rédactions des deux documents. Dans cette hypothèse, il nous semble vraisemblable d'admettre que le Slovo no 7 du Paterikon, pourrait dater des années mêmes de l'higouménat de Théodose (1062-1074) et rapporterait ainsi la tradition contemporaine de l'événement et probablement la plus fiable. En revanche, la Vita du saint, écrite par Nestor entre 1080 et 1109, rapporterait une tradition plus tardive, de la fin du XIe s.-début XIIe siècle, qui viserait à marginaliser le rôle de la chaire métropolitaine de Kiev au profit précisément du monastère des Grottes d'où provenait la majorité des évêques russes et qui cherchait à affirmer sa place face à des métropolites perçus comme des représentants des intérêts byzantins en Russie. En rapportant que la Règle du monastère des Grottes avait été ramenée directement de Constantinople où un moine du monastère était allé la copier, Nestor l'hagiographe affichait son obé dience byzantine tout en éliminant le rôle de la chaire métropolitaine de Kiev. Or, entre la mort du métropolite Jean II Prodromos (vers 1077-1089) considéré par Nestor le Chroniqueur comme un prélat d’une exceptionnelle qualité39 et l'accession de Nicéphore Ier (1104-1121)40, le trône de la chaire métropolitaine de Kiev fut occupé successivement par Jean III l'Eunuque (1090-1091) homme qualifié de fruste41 et Nicolas (1092-1104)42 qui intervint à deux reprises, en novembre 1097 et en 1101, dans les affaires intérieures de la Russie. C’est pourquoi cette période de 1089 à 1104, qui correspond précisément à l'époque de la rédaction de la Vita de saint Théodose, nous semble particulièrement propice pour tenter de marginaliser la chaire métropolitaine de Kiev au profit du monastère des Grottes, d'où provenaient le corps épiscopal russe. Ainsi, les différences constatées entre le Slovo no 7 du Paterikon de Kiev et la Vita de saint Théodose, nous ont permis de constater que le Slovo est probablement contemporain ou presque de l’higouménat du saint, et présente de ce fait une solide fiabilité historique alors que la Vita, rédigée ultérieurement s'insère dans une perspective politique qui en réduit la valeur historique.
15Quelle que soit la façon dont la Règle parvint à Théodose, la décision de ce dernier de l'adopter pour son monastère devait marquer toute l'évolution ultérieure du monachisme russe43. Cette Règle introduisait en Russie le monachisme cénobitique44, vécu dans la cité, au milieu du monde, pour témoigner de la présence vivifiante du Christ. Tout naturellement, Théodose ouvrit son monastère aux misères du temps, s'efforçant de soulager les souffrances de l'homme « créé à l'image de Dieu et à sa ressemblance »45 créant ainsi l'action sociale de l’Église dans la société. Théodose sut aussi assumer l'héritage culturel de la Règle basilienne en faisant de son monastère un des grands centres de production d'œuvres russes, littéraires et picturales. C'est là que furent rédigées les premières chroniques russes et les premières œuvres hagiographiques, peintes aussi les premières icônes sous la conduite de maîtres grecs46. Ainsi était respectée l'obligation du ministère de l'instruction telle qu'elle est écrite dans la préface aux Petites Règles : « Nous sommes obligés, nous à qui Dieu a confié le ministère de la Parole, d'être toujours appliqués à lui acquérir des âmes par le moyen de l'enseignement, et de partager de telle sorte cette fonction divine que nous permettions à tous les particuliers de nous consulter librement en ce qui concerne la pureté de la foi et la manière de règler nos moeurs et notre conduite par les véritables maximes de l'Evangile de Notre-Seigneur-Jésus-Christ »47.
16Cet idéal de vie monastique connut un exceptionnel développement dans le monastère des Grottes et marqua profondément toute la spiritualité russe. Le monastère cénobitique a été organisé, dès l'origine, comme le lieu où le peuple chrétien tout entier devait retrouver son unité dans le Christ. C'est là que riches et pauvres, princes et sujets devaient se retrouver égaux devant le maître spirituel près duquel ils venaient chercher conseil et consolation. Ainsi, Théodose a jeté les bases de la paternité spirituelle, le starcestvo, dont nous savons le développement et l'importance qu'elle prit en Russie comme forme privilégiée de la symbiose de la société laïque et ecclésiastique48.
17Comme nous avons essayé de le montrer, c'est avec l'arrivée de Théodose à la tête du monastère des Grottes de Kiev que la vie monastique russe prit tout son essor et reçut ses traits spécifiques.
18S'exprimant désormais non seulement en pleine lumière, mais dans le monde, le monachisme kiévien s'identifia parfaitement à la Règle basilienne du Stoudios dont l'unique perspective était de conduire le moine à l'imitation la plus parfaite possible de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et le monastère à être ici-bas l'icône de la Jérusalem céleste dans laquelle, le jour de la parousie venu, tous les hommes se trouveront unis et égaux autour de leur Père commun.
19Cet idéal, Théodose l'a lui-même enseigné et vécu au quotidien comme en témoigne largement sa Vita. Pourtant, c'est la Règle stoudite qui a permis à son exemple non seulement de perdurer, mais aussi de s'imposer ultérieurement à tout le monachisme russe. Or cette Règle, Théodose l'a trouvée non point à Constantinople, mais plus probablement à Kiev même, dans l'entourage du métropolite grec, Georges, qui venait de rejoindre sa chaire métropolitaine.
20Ce haut prélat byzantin, membre du Sénat impérial et honoré du titre aulique de syncelle, a conduit dans le ressort de sa métropole une active politique religieuse dont nous avons heureusement conservé les traces. C'est lui qui s'est notamment chargé de toute la procédure de canonisation des saints Boris et Gleb, de l'invention et de la translation de leurs reliques49 ; il écrivit également des œuvres canoniques50 et polémiques ; il fonda enfin le siège épiscopal de Rostov51. N'est-il donc pas tout à fait plausible d'admettre que Théodose ait pu trouver dans ce prélat, un homme capable de le comprendre et de l'aider à jeter les bases du monachisme qu'il voulait mettre en place en Russie ? L'higoumène du monastère des Grottes et le métropolite de Kiev étaient alors des personnalités exceptionnelles dont la collaboration efficace permit à l'Eglise russe naissante de s'identifier, d'une part, dans le culte des saints strastoterpci Boris et Gleb, d’autre part, dans un monachisme à direction spirituelle, le starcestvo, appelés l'un et l'autre à connaître un riche avenir.
21Ainsi, dans l'introduction et la mise en place de la vie monastique russe, la chaire métropolitaine de Kiev a-t-elle joué un rôle sans aucun doute beaucoup plus considérable que celui que les chercheurs se sont, jusqu'à présent, complus à lui reconnaître.
Notes de bas de page
1 G.P. Fedotov, The Russian Religious Mind, TKievan Christianity, the 10th to the 13th Centuries, Belmont, réed., 1975, p. 111-134. R.P. Casey, « Early Russian Monasticism », dans Orientalia Christiana Periodica, t. 19, 1953, p. 372-374. J.-P. Arrignon, « Théodose des Grottes », dans Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, t. VI,-Au temps du renouveau évangélique, 1054-1274, Paris, 1986, p. 241-244. E. Behr-Sigel, « Le monachisme russe » dans Dictionnaire de spiritualité, t. 9-Le monachisme, Histoire et spiritualité, Paris, 1980, p. 152-157. G. Podskalsky, « La Russie », dans Dictionnnaire de spiritualité, t. 14-La Russie, Histoire des mouvements spirituels, Paris, 1990, p. 19-20.
2 M.K. Karger, Drevnij Kiev, Léningrad, 1961, p. 337-374.
3 O.V. Tvorogov, « Zitie Feodosija Pečerskogo » dans Pamjatniki literatury Drevnej Rusi (plus loin P.L.D.R.) Načalo russkoj literatury Xl-načalo Xll veka, Moscou, 1978, texte, p. 304-390 ; commentaire, p. 456-459. D'importants extraits de celle-ci ont été traduits en français dans P. Marichal, Premiers chrétiens de Russie, Paris, 1966, p. 61-90.
4 L'identification de Nestor l'hagiographe avec Nestor le chroniqueur est toujours discutée, v. A. Poppe, « La naissance du culte de Boris et Gleb » dans Cahiers de civilisation médiévale, t. XXV, 1981, p. 31, note 10 ; repris dans The Rise of Christian Russia, Londres, 1982, VI. V. aussi, O.V. Tvorogov, « Nestor » dans Slovar'knižnosti Drevnej Rusi Xl-pervaja poiovina XIV v., Leningrad, 1987, p. 274-278.
5 O.V. Tvorogov et D.S. LikhaČev, « Povest vremennykh let », P.L.D.R., s.a. 1051, p. 168-174 ; 1074, p. 196-210 ; 1091, p. 220-224. (plus loin P.V.L.).
6 « Kievo-Pečerskij Paterik », éd. et trad, par L.A. Dmitriev, in Pamjatniki literatury Drevnej Rusi, Xll vek, Moscou, 1980, p. 413-622.
7 J. Alissandros, Medieval Slavic and Patristic Eulogies, Florence, 1982, p. 7-24.
8 P.V.L., p. 174 et 439.
9 The Russian Primary Chronicle, Laurentian Text, trad, et éd. par S.H. Cross et O.P. Sherbowitz, Cambridge, Mass., 1953, p. 275 note 276.
10 G. Podskalsky, La Russie, p. 19-20.
11 Ja.N. ŠČapov, Gosudarstvo i cerkov' Drevnej Rusi X-XIII vv., Moscou, 1989, p. 1311 3 6.
12 A.M. Moldovan, Slovo o Zakone i Blagodati llariona, Kiev, 1986, p. 93.
13 A. Zimin, « Pamjat i pokhvala Jakova Mnikha i Žitie knjaza Vladimira po drevnejšemu spisku » Kratkie soobscenija Instituta Slavanovedenija AN.SSSR., 1963, 37, p. 70.
14 P.L.D.R., « Vsja manastyrja », p. 316 ; Marichal, op. cit., p. 69.
15 M.K. Karger, op. cit., II p. 226-232 et P.A. Rappoport, Russkaja arkhitektura X-XIII vv., Leningrad, 1982, p. 14, no 14, « Arkheologija SSSR, svod arkheologičeskikh istočnikiv, vyp. E 1-47 ».
16 M.K. Karger, op. cit., p. 216-226 et P.A. Rappoport, op. cit., p. 15 no 15.
17 M.A. Sagajdak, Velikij gorod Jaroslava, Kiev, 1982, p. 96.
18 Les noms chrétiens de Jaroslav et de sa femme étaient Georges et Irène.
19 ŠČapov. op. cit., p. 150.
20 Il est possible, comme le pense M.D. Priselkov, Ocerki po cerkovno-politiceskoj istorii Kievskoi Rusi X-XII vv., Saint-Pétersbourg, 1913, p. 171, que le monastère primitif fut fondé sur un domaine appartenant à Antoine.
21 P.L.D.R., p. 333-334.
22 Slovar' istoriǣskij svjatikh, p. 24-26.
23 Le monachisme, op. cit., p. 154.
24 Žitte Feodosija, op. cit., p. 334.
25 Kievo pečerskij paterik, op. cit., p. 438-440.
26 Passage cité d'après R. Marichal, op. cit., p. 73.
27 A. Poppe, cité dans G. Podskalsky, Christentum und Theologische Literatur in der Kiever Rus' (988-1237), Munchen, 1982, p. 286 notice 6 et dans Ja.N. ŠČapov, Gosudarstvo, p. 194, notice 6.
28 Paterikon op. cit., p. 440.
29 Ja.N. ŠČapov, op. cit., p. 174.
30 Pravilo Černec'koe, Paterikon, P.L.D.R., II, p. 438.
31 Le monastère du Stoudios de Constantinople fut dirigé de 798 à 826 par l'abbé Théodore qui prit une part active à la querelle iconoclaste. Il composa une règle monastique austère qui rendait le travail obligatoire, imposait la vie communautaire et interdisait la possession de biens propres, cf. A. Gardner, Theodore of Studium(s) : His Life and Times, Londres, 1905, E. Patlagean, « Les Stoudites, l'empereur et Rome : figure byzantine d'un monachisme réformateur », Bisanzio, Roma nell'alto Medoevo, Settimana ΧΧΧV, 1986, Spoleto, t. I, p. 429-460 et A. Ducellier, L'Eglise byzantine, entre Pouvoir et Esprit (313-1204), Paris, 1990, p. 146-154 (Bibliothèque d'Histoire du Christianisme no 21).
32 I. Gobry, Les moines en Occident, t. I, De saint Antoine à saint Basile, les origines orientales, Paris, 1985, p. 407-469.
33 Ibid., p. 442. Slovar' russkogo jazyka XI-XVI1 vv., t. 12, p. 151-1.
34 Paterikon, op. cit., p. 438.
35 Mat., XVIII, 12-13.
36 Ispisa, Paterikon, op. cit. p. 440.
37 Gobry, op. cit., p. 452.
38 P.L.D.R., t. II, p. 696, Nestor, et A. Poppe, in Ja.N. ŠČapov, Gosudarstvo, p. 194-195, notice 7.
39 P.V.L., op. cit., P.L.D.R., t. I, p. 218.
40 A. Poppe, dans G. Podskalsky, Christentum, p. 287 notice 7 et Ja.N. ŠČapov, Gosudarstvo, p. 195, notice 10.
41 A. Poppe dans G. Podskalsky, ibid., p. 287 notice 8 et Ja.N. ŠČAPOV, ibid. 194-195, notice 8.
42 Ibid., p. 287 notice 9 et 195, notice 9.
43 L.K. Goetz, Das Kiever Hohlenkloster als Kulturzentrum des vormongolischen Russland, Passau 1904 et G.I. Fedotov, Svjatye Drevnej Rusi, réed. Paris, 1985.
44 Les six raisons qui selon saint Basile font la supériorité du monachisme cénobitique sont exposées dans I. Gobry, op. cit., p. 454.
45 I. Gobry, op. cit., p. 454.
46 Paterikon, op. cit., p. 588, slovo 34.
47 Gobry, op. cit., p. 443.
48 J.-P. Arrignon, « Théodose des Grottes » op. cit., p. 243.
49 A. et D. Poppe, « Boris et Gleb », Histoire des saints et de la sainteté chrétienne, t. V, Les saintetés dans les empires rivaux (815-1053), Paris, 1986, p. 92-96.
50 F.J. Thompson, « The Ascription of the Penitential » Zapovedi svjatykh otec k issledovaiuščimsjaimsia synom i dščerem « to Metropolitan George of Kiev », Russia Mediaevalis, 1979, IV, p. 5-15.
51 A. Poppe, « L'organisation diocésaine de la Russie », The Rise of Chritian Russia, VIII, p. 197-201. J.-P. Arrignon, La chaire métropolitaine de Kiev, p. 232-237.
Auteur
Université de Poitiers
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Papauté, monachisme et théories politiques. Volume I
Le pouvoir et l'institution ecclésiale
Pierre Guichard, Marie-Thérèse Lorcin, Jean-Michel Poisson et al. (dir.)
1994
Papauté, monachisme et théories politiques. Volume II
Les Églises locales
Pierre Guichard, Marie-Thérèse Lorcin, Jean-Michel Poisson et al. (dir.)
1994
Le Sol et l'immeuble
Les formes dissociées de propriété immobilière dans les villes de France et d'Italie (xiie-xixe siècle)
Oliver Faron et Étienne Hubert (dir.)
1995