Zelum discretione condire : langages et styles de Grégoire le Grand dans sa correspondance
p. 29-46
Texte intégral
I. PAROLE ET ACTION
1L'intérêt renouvelé pour les siècles de transition qui conduisirent l’Occident latin de l'Antiquité tardive au Moyen Age s'est trouvé avivé par une remise en chantier des questions multiples que soulève le problème de la continuité politique, culturelle et langagière dans cette époque de métamorphoses1. A la charnière chronologique et géographique de plusieurs mondes, l'un des « fondateurs du Moyen-Age », le pape Grégoire le Grand, a laissé une œuvre écrite dont l'ampleur et la qualité ont suscité des travaux de recherches qui, malgré leur diversité, sont loin d'en avoir élucidé toutes les énigmes2. Si l'on s’est en particulier intéressé de près à divers aspects de la personnalité de Grégoire — exégète, mystique, missionnaire, administrateur, législateur—, certains champs d’enquête sont restés en friche. C'est le cas de la langue dans laquelle il s'est exprimé en une production écrite considérable et contrastée, et des styles qu'il a choisis d'employer dans cette activité créatrice3.
2Cette situation est d'autant plus paradoxale qu'il y a longtemps que la culture de Grégoire et son rapport à la culture classique ont fait l'objet d'études qui, sans être très étendues, sont souvent de très grande qualité4. Mais on constate que les chercheurs ne se sont pas donné tous les moyens de mesurer le rapport entre la théorie culturelle et la pratique littéraire de notre personnage. On rappellera, en outre, que la tradition antique vouait à la parole cultivée un culte qui n'était pas entièrement désintéressé, puisque cette parole figurait au nombre des instruments de l'action politique. De manière en principe définitive, Augustin avait consacré cette convergence entre les besoins de l'action sur les âmes et les moyens d'une parole maîtrisée grâce aux disciplines traditionnelles de l’art oratoire, revu et corrigé par la pensée chrétienne5.
3Grégoire fut-il héritier, là comme en d'autres domaines, des enseignements d'Augustin ? Dans le cadre de cette brève étude, nous examinerons un des documents les plus originaux de ce temps, le Registrum, recueil choisi de la correspondance du pape6. Les lettres qui le composent présentent des caractères spécifiques qui font entrer cette collection non dans la lignée des lettres fictives écrites et publiées au gré de l'auteur, mais dans celle des lettres d'action. Dictées souvent hâtivement, parfois sous le coup d'une émotion violente, d'autres fois méditées, repensées, révisées, elles rappellent fréquemment par leur vivacité la correspondance d'Augustin, sinon celle de l'Orateur.
4Le rapprochement est moins hardi qu'il n'y paraît : dans le cas de Grégoire comme dans celui de Cicéron, la parole a été l'instrument de son action, dans toute la mesure où les mots pouvaient soutenir les entreprises d'un penseur et d'un politique. On amorcera ici l'enquête en regardant de plus près comment Grégoire s'exprime d'abord dans ses lettres « de tête-à-tête », puis dans celles de conduite collective, et enfin dans les missives à proprement parler politiques. Nous rencontrerons en outre, à la lecture de plusieurs d'entre celles-ci, le problème, qui a été soulevé récemment, de déterminer quelle part a prise personnellement Grégoire dans leur composition7.
II. LETTRES DE TETE-A-TETE
5Une partie importante du Registrum est faite de lettres dans lesquelles Grégoire exprime une gamme de sentiments tout personnels dans des tête-à-tête où se manifestent les tons les plus variés.
Semonce à deux bourgeoises
6Parmi les obligations sociales que le pape assume avec, parfois, des réticences qui rappellent combien les contraintes de la vie active lui pèsent, figurent les lettres de courtoisie qu'il se doit d'adresser à de pieuses femmes de rang social élevé, dont les attentions ne sont pas toujours à la hauteur des intentions. Répondant ainsi en août 601 aux dames Barbara et Antonina8 qui, apparemment échappées de quelque embûche9, lui ont annoncé leur visite à Rome, Grégoire les complimente en termes vagues, avant de leur accorder un bref commentaire parénétique tout à fait impersonnel ; puis, s'étant félicité de leur venue, il leur fait savoir qu'il a confié à des personnages compétents les affaires d'ordre privé qui les ont amenées à contacter le pape et à venir dans la Ville.
7Ces civilités faites très froidement (en dépit des dulcissimae filiae dont sont honorées les deux dames), Grégoire achève par un paragraphe où éclate son exaspération. Barbara et Antonina lui ont fait parvenir « à titre de cadeau personnel un manteau de grosse laine, produit de leur labeur10 », disent-elles. Après une formule de remerciement très plate, Grégoire enchaîne sur un ton très sec par un paradoxe : « il a volontiers reçu11 » le présent ; mais il informe ses correspondantes « qu'il n'a pas cru que c'était à lui qu'il avait été envoyé12 ». Cette figure (persiflage) introduit une condamnation brutale de la conduite des deux bourgeoises : « Vous empruntez à la peine de quelqu’un d'autre matière à louanges, parce qu'il y a fort à parier que vous n'avez jamais mis la main jusqu'à ce jour à un fuseau13 ». La condamnation est assenée par Grégoire à l'adresse des deux tricheuses sans aucune précaution oratoire, dans un langage tranchant, directement calqué sur le latin parlé. Le pape conclut sa lettre par un nouveau paradoxe : que ces deux dames aient ainsi des loisirs leur permet (espère Grégoire) de s'attacher à la lecture des textes sacrés de manière... à savoir vivre chrétiennement en famille !
Réprimande à un évêque grammairien
8L'estime que porte Grégoire à certains de ses collègues ne l'empêche pas de leur adresser les reproches nécessaires, dans un langage adapté à ses observations. Le cas particulier de l'évêque de Vienne Didier14 est devenu célèbre parce qu'il a soulevé le problème si controversé du niveau de l'éducation en Gaule mérovingienne, et de l'attitude de Grégoire face à cet héritage de la culture antique15. Le fond de l'affaire est que Didier aurait animé une classe de grammaire, c’est-à-dire qu'il aurait partagé son savoir de lettré en reprenant la tradition séculaire de la lecture et du commentaire des grands poètes païens (avant tout probablement de Virgile16).
9La lettre va très rapidement à l'essentiel. Après une brève introduction où il rappelle que les « études17 » conduites par l'évêque méritent récompense, Grégoire instruit l'affaire en termes à la fois précis, sans être circonstanciés, et réprobateurs sans céder à l’invective. Il commence par recourir à la figure de l'anticipation18. Ayant ainsi lâché comme à regret le sujet du litige, il se lance dans une longue période. Elle est amorcée par un énergique relatif de liaison19, puis centrée sur une principale dont l'énoncé est fortement souligné par le parallélisme des verbes20, qui décrivent les sentiments du pape, et des adverbes imagés21, qui renforcent ces verbes. Elle se développe ensuite en une consécutive dont le déroulement syntagmatique souligne le dramatique changement d'impression ressenti par Grégoire. Enfin, une proposition causale, placée en hyperbate, vient achever d'ébranler, par le recours à un dicton hiéronymien, le récipiendaire22.
10Une seule autre phrase paraît alors nécessaire à Grégoire pour clore le procès23. Elle est bâtie sur un impératif (ipse considera) dont le caractère catégorique est puissamment souligné par l'architecture de l'énoncé : les propositions qui le composent se raccourcissent progressivement jusqu’à la pointe finale ; l'argument essentiel du raisonnement est projeté dans une interrogative indirecte placée en position anticipée ; l'accumulation des adjectifs aggrave l'impression ; la figure bien connue de l'argument a fortiori achève d'acculer le destinataire. On n'est pas surpris de voir que la colère de Grégoire s’exprime ainsi dans un langage complexe où la prise à partie directe du (trop) savant Didier se fait avec les moyens d'une rhétorique sans surcharge, mais efficace.
11L'évêque a, de toutes façons, droit à un traitement de faveur. Après avoir ainsi lancé cette brève semonce, Grégoire suggère discrètement à Didier la possibilité de se tirer d'affaire avec élégance : en feignant de croire que son inquiétude a été peut-être exagérée, il donne à Didier l'occasion de se disculper à bon compte.
L'ami indiscipliné
12On pourrait suivre les différents langages de Grégoire dans la longue amitié qui l'unit à l'évêque de Ravenne, Marinien ; nous nous contenterons de relever deux lettres écrites sur le mode mineur, dont le rapprochement nous a paru éclairant. En 596, Marinien éconduit des mendiants. A-t-il craint, à la suite de son refus, les reproches de Grégoire, qui n'est, lui, guère ménager des revenus de l'Eglise ? C'est ce que nous donne à croire le pape dans une lettre24 qu'il adresse à Secundus, diacre de Ravenne, investi du rôle de messager dans une affaire où chacun des deux protagonistes s'est refusé à communiquer directement avec l'autre. La lettre est écrite lestement, sur un ton presque enjoué. Une hyperbole souriante qualifie l'attitude de Marinien : le silence du Ravennate ayant conduit Grégoire à penser « qu'il s'est assoupi », il prie Secundus de le réveiller !25 Pour la circonstance, Grégoire met directement en scène les locuteurs et nous donne à entendre les mots mêmes adressés aux quémandeurs : à cette occasion, le style achève de s'infléchir pour laisser résonner le latin tardif parlé par Marinien dans une relation familière26. Le pape lui adresse en conséquence une brève leçon de charité, dont la sévérité relative est tempérée très vite par des considérations tout à fait personnelles. En effet, s'étant justifié de ne pas avoir écrit directement à Marinien, parce que ce dernier n'a pas répondu à une précédente lettre, Grégoire insiste en précisant qu'il n'a cette fois fait envoyer à Marinien qu'un texte rédigé par un secrétaire. Son dépit éclate à ce moment : « En ce qui me concerne, je me devais de ne pas m'épuiser à écrire moi-même puisqu’on ne me lit pas27 ». Sous cette pointe, plutôt que de la mesquinerie, on devine l'impatience d'un directeur de conscience dont la sérénité est mise à l'épreuve par un ami à la fois cher et indiscipliné.
13Le contraste avec le cri d'alarme28 que pousse cinq ans plus tard le pape en apprenant que Marinien est très malade n'est qu'apparent : c'est la même affection profonde qui se manifeste. Le plan de la lettre assure une progression dynamique de l'énoncé : le correspondant affirme qu'il a des renseignements précis sur la mauvaise santé de Marinien et sur les remèdes à y apporter (premier mouvement29) ; ces certitudes conduisent Grégoire à un plaidoyer chaleureux pour inciter Marinien à venir se reposer auprès de lui (second mouvement30) ; enfin, incertain du succès de cette invitation, il passe à une brève série de commandements pour enjoindre au malade de prendre mieux soin de lui sur place (troisième mouvement31). Cette déclaration d'affection est soutenue par un langage d'une élégante simplicité où les figures de rhétorique sont directement animées par les mouvements du cœur. Les mots propres sont employés sans circonlocutions : de uomitu sanguinis aegrotare... ; medicos fecimus requiri... ; dicunt medici. Grégoire décrit son propre état de santé sans fioriture : Ego enim ipse ualde sum debilis... me proximum morti uideo. Cela n'exclut pas quelques envolées lyriques, lorsqu'il imagine que les deux amis pourront partager leur mort : dans ce cas, la phrase s'allonge, en une longue période bâtie sur une disjonction énergiquement posée où l'équilibre des propositions met directement en scène langagière la réciprocité des rôles32. Tout décidé qu'il soit à affronter la réalité, Grégoire recourt tout de même à un discret euphémisme pour faire allusion à l'éventuel trépas de Marinien33, tandis qu'il emploie une métaphore plus transparente dans son propre cas34.
14La fin de la lettre adopte un ton martial35 : défense exprimée par un subjonctif renforcé par un adverbe de quantité (minime praesumas) ; ordre rendu par un adjectif verbal (temperandum est) ; itération positive (per alium dicantur) et négative (minime imponat) d'une même consigne. En extrême fin de lettre, Grégoire change légèrement de ton : il a, dans son emportement affectueux, oublié de ménager une transition. Qu'à cela ne tienne : il termine sur un ton adouci cette tirade impérieuse.
15Ainsi, le langage neutre et officiel cède-t-il la place à un énoncé spontané qui frise la diatribe, dans le cas des deux dames qui ont exaspéré Grégoire. Il s'infléchit en une prise à partie ferme et éloquente, mais retenue malgré tout et qui laisse place à une certaine connivence lorsqu'il tance Didier de Vienne. Il passe à une simplicité familière qui n’exclut pas quelque affectation lorsqu'il s’adresse à l'ami très cher qu’est Marinien.
III. LETTRES DE CONDUITE COLLECTIVE
16Etre le berger de la chrétienté supposait de savoir donner de la voix aux moments critiques pour remettre de l'ordre dans le troupeau. Quelques exemples montreront combien Grégoire sait varier son argumentation et son langage lorsqu'il doit remettre ses fidèles dans le bon chemin.
La toilette du dimanche
17Pendant l'été 602, c'est à la collectivité de ses Romains que le pape décide de s'adresser en une lettre pastorale36 Sans doute destinée à être lue à haute voix dans toutes les églises de l'a Ville, elle constitue un véritable petit s ermo ad populum, qui vient ainsi compléter les Homélies sur l'Evangile, où est révélée la prédication populaire de Grégoire37. Tous les caractères de ce texte montrent sa remarquable adaptation au but recherché. Il est bref : sa lecture ne devait pas excéder dix minutes. Son plan est rigoureux : après une brève introduction (lignes 1 à 10), le pape explique d'abord pourquoi il n'y a aucune raison de s'abstenir de travailler le samedi (lignes 11-34) ; puis il rappelle qu'il n'existe non plus aucun interdit enjoignant de ne pas faire sa toilette le dimanche (lignes 35-49) ; enfin une brève conclusion lance des exhortations toutes personnelles (lignes 50-54).
18Cette construction nette est servie par un énoncé adapté. Pour des fidèles, il ne doit pas y avoir place au doute : la manière dont sont qualifiés les prédicateurs qui répandent les idées que combat Grégoire lève toute ambiguïté. Parti avec une accusation générale (« ce sont des prêcheurs de l'Antéchrist38 »), le pape assène, après ses démonstrations, l'affirmation de leur sottise (ce sont des « paroles d'imbéciles39 »). Entretemps, il convenait tout de même de faire comprendre aux fidèles la question si délicate de la distinction entre l’application « à la lettre » de la loi vétérotestamentaire et son interprétation « figurée ». Cette dernière, en effet, rend seule caduque les anciennes prescriptions qui régissent le jour du Sabbat. Afin de se faire entendre, Grégoire use des outils oratoires nécessaires : il s'exprime simplement (ses phrases sont courtes ; la syntaxe en est claire ; les mots sont usuels) ; il plaide l'évidence en recourant notamment à l'argument facilement recevable du paradoxe40 ; enfin, et surtout, il répète ses injonctions et ses raisons.
19L'évêque de Rome établit en outre certaine connivence avec ses fidèles grâce à tel trait d'esprit : « Si en fait c'est la débauche et le plaisir qui suscitent l'envie de faire sa toilette, nous n'en donnons la permission aucun jour !41 ». Sa conclusion appelle également à la confiance qui doit régner entre baptisés intelligents (à qui donc « on » n'en fera pas accroire) dans un style devenu à la fois si vigoureux et si humble qu'on pourrait, à s'y méprendre, croire écouter Césaire d'Arles42.
Images et pédagogie
20L'évêque de Marseille Sérénus commet de son côté un excès de vertu un peu semblable à celui dont se rendent coupables les moralistes que nous venons de voir ainsi attaqués en s'en prenant aux représentations iconographiques. C'est une affaire compliquée qui éclate ainsi en 599. Grégoire mesure-t-il mal à ce moment la profondeur des convictions de Sérénus ? Il se contente de le mettre en garde dans un premier temps par une brève lettre43, convaincu apparemment que Sérénus saura corriger immédiatement ses mauvais choix ; c'est sous-estimer les sympathies iconoclastes du Marseillais44. Le pape est contraint d'envoyer une deuxième missive45 cette fois beaucoup plus détaillée pour tenter de ramener à la juste mesure le bouillant évêque. On voit ainsi, sur un fond identique, apparaître d'une lettre à l'autre des formes d'énoncé qui s'adaptent à la personnalité du récipiendaire et aux circonstances du conflit.
21La première enchaînait sans s'y attarder, en phrases claires et sèches, des considérations neutres sur la nécessité des images pour instruire les fidèles, tout en veillant à ce que ne soit pas outrepassée leur fonction pédagogique, le danger d'un glissement vers l'iconolâtrie étant réel. Dans la seconde, Grégoire s'accorde le temps d'un exposé détaillé où il prend personnellement Sérénus à partie, en s’efforçant de le convaincre sans l’ulcérer. Pour parvenir à ce résultat, il adopte une démonstration de type rétroactif, qui tente de ramener vers la bonne conduite le déviant à partir des convictions qu'il a lui-même énoncées : d'abord, tout en réaffirmant sa volonté d'obéissance, il s'entête à faire la sourde oreille aux messages de Grégoire ; ensuite, au lieu de protéger la pureté de la piété populaire, comme il le souhaitait, il a jeté le trouble dans son diocèse et s'est coupé de sa communauté ; enfin, alors qu'il voulait montrer l'exemple, il a oublié la règle essentielle de l'humilité46.
22Ces arguments, qui s’entrelacent dans la première partie de la lettre, sont ponctués par des mots forts : inconsiderato zelo..., recto zelo incaute succenderis... si zelum discretionis condisses... incaute... ab hac praesumptione compescas. Le choix des termes révèle la pugnacité, mais aussi la réserve du pape, car Sérénus n'est blâmé que pour un comportement qui est volontairement mis par son censeur au compte d'un manque de mesure non pas inné, mais accidentel. Cette attitude dégage l'espace nécessaire pour adresser à Sérénus précisément une leçon de cette discretio qui lui a tant fait défaut. Fort habilement, l'autre ensemble, qui complète l'entrelac de cette page, est, en effet, constitué par un exposé très pointu sur les raisons objectives pour lesquelles l'Eglise tolère la présence des représentations sacrées (fresques, peintures, statues, mosaïques). Ainsi, le pape s'applique, dans un même mouvement à instruire et à toucher Sérénus.
23Il a, en outre, la perspicacité de comprendre que le rétablissement d'une vie communautaire normale ne sera pas facile après ce scandale. Il prend donc la peine, tel Augustin pour le découragé Deogratias, de rédiger le canevas du sermon que l'évêque devra désormais répéter à ses fidèles. Il en indique en quelques lignes l'idée générale à l’évêque47 avant de lui souffler les mots mêmes que celui-ci devrait prononcer48. C'est l'occasion pour nous d'assister sur le vif au changement de registre langagier du pape qui brusquement passe à un exemplaire sermo humilis49.
Scandale à Catane
24A la fin de sa vie, Grégoire est informé, par un moine venu s'en plaindre, des désordres qui sévissent dans le monastère de saint Vitus, sur le mont Etna. L'ancien moine réagit très vivement à ces informations, comme nous le prouvent les deux missives qu'il envoie sur ce sujet (ce sont les deux dernières pièces datées de sa correspondance). L'une50, adressée à l'administrateur du patrimoine de l'Eglise en Sicile, a la forme d'un constat désolé, bref et tranchant, accompagné d'instructions données sèchement. L'autre51 tance vertement l'évêque de Catane, avec une violence qui transforme cette ultime missive en une véritable increpatio. La première phrase indique l'informateur, définit le lieu, précise le problème en général, sans autre observation. La deuxième laisse éclater la colère de Grégoire, fortement soulignée par le choix de son vocabulaire (illud nos quoque uehementissima exacerbatione commouit), avant même que ne soit précisé le sujet de sa fureur. La syntaxe de la phrase contribue à souligner l'ampleur du scandale (in tantum...ut etiam), tandis que la répétition synonymique provoque un effet d’accumulation rehaussé lui-même par le choix d'une image frappante (calcari ac despici), avant qu’en pointe finale on n’apprenne, mise ainsi en position emphatique, la nature même des actes52.
25Sans attendre, Grégoire passe au deuxième temps de ses imprécations : il s'agit de montrer que la responsabilité de l'évêque est engagée. Il commence par affirmer péremptoirement sa culpabilité, en excluant, en bon procureur, toute échappatoire (quia nulla te praeuales excusatione defender e). Ce ton impérieux est justifié ensuite par une argumentation logique impeccable en forme de double exclusion. Les mots les plus durs viennent agresser le coupable : culpa neglectus uehementer arguéris... grauiorem erga te indignationem. Au cas où Léon n’aurait pas tout à fait été convaincu, les superlatifs qui scandent la diatribe achèveraient de le pétrifier. Cette mise en condition psychologique n'est naturellement pas vaine : Grégoire conclut sa lettre par une série d'instructions qui sonnent comme un véritable ordre de mission.
26Dans ces trois cas, Grégoire a manié successivement avec légèreté le langage des peccadilles, puis celui de la démonstration argumentée et contraignante, mais réservée et ouverte aux conciliations, enfin celui de l'invective diatribique la plus enflammée.
IV. LETTRES POLITIQUES
27Les contrastes furent-ils moins vifs à considérer les langages tenus par Grégoire, quand, depuis le siège de Pierre, affronté aux tourments de la chrétienté, son point de vue s'élargissait jusqu’à prendre au sens plein du terme la dimension d'une parole politique ? On attendrait un ton plus lissé, parce que, dans ces interventions les plus publiques et donc les plus historiques, les contraintes du style diplomatique et de l'écriture curiale corsèteraient les mots de l'épistolier. En réalité, si le souffle si personnel de la parole grégorienne, s'atténue parfois en effet, le langage suit encore des inflexions intelligemment adaptées à chaque cas traité.
Sourdine à Romanus
28L’exarque Romanus fut peut-être un des adversaires les plus redoutés par Grégoire : son rôle déplaisant fut à terme une des causes de la brouille entre les deux amis que furent l'empereur Maurice et l'ancien apocrisiaire. Seules quelques-unes des lettres qui lui ont été adressées nous sont parvenues. L'une d'elles traite de ces scandales au couvent qui, comme nous venons de le voir, peuvent allumer chez Grégoire une telle colère que sa parole s'enflamme53. Mais il avait, cette fois, affaire au plus puissant personnage de l'Italie, que tant l'étiquette impériale que des considérations à proprement parler politiques incitaient à ne pas agresser trop ouvertement. C'est ainsi que dans une brève missive, Grégoire, tout en assumant sa tâche disciplinaire, met une sourdine à ses reproches, de manière à donner à sa remontrance le caractère en demi-teinte qui convenait.
29Comme à l'ordinaire, l’épître s'ouvre par une maxime générale bien frappée (1. 1-5)54. La faute de Romanus est présentée ensuite avec netteté55, mais brièvement et sans commentaire outrageant. Le rappel à la raison qui survient alors est exprimé en termes soigneusement mesurés. Le pape y répète l'appellation honorifique consacrée (excellente uestra, qui réapparaît encore quelques lignes plus bas) avant de donner une interprétation psychologique de la situation (pulsat inuidiam — on remarquera le recours à l’image), puis énonce, toujours à l’intérieur d'une unique période, la conséquence obligatoire qui découle de la situation (necesse est), relancée par une longue proposition subordonnée où sont énumérées les conséquences désastreuses d’un éventuel refus. Ainsi, au fur et à mesure que l'exposé avance vers des conclusions désagréables pour le correspondant, l'épistolier place des attendus et des pauses (on relèvera la place en incidente anticipée d'habita discretione), qui adoucissent l'abrupt de la pensée sans l'affadir. Enfin, finesse habituelle à Grégoire, la conclusion dresse de nouveau un parallèle, cette fois entre les effets juridiques désastreux d'un éventuel refus de Romanus et le chagrin qu'en concevrait Grégoire.
30De ce discret chantage spirituel, on passe à un sujet de réprimande beaucoup plus grave, que Grégoire énonce avec solennité, sans que toutefois le ton de sa lettre ne tourne à l'increpatio : à peine a-t-il suggéré que Romanus serait compromis dans ce scandale, qu'il recourt au procédé attendu de la fausse dénégation (quod nos credere peruersitatis ipsius acerbitas non permittit) pour à la fois atténuer le choc de son affirmation et contraindre l'exarque à manifester sa bonne volonté. La lettre se conclut par une parénèse énergique, mais réservée, où l'injonction au retour à l'ordre est soutenue par un élégant parallèle syntaxique (ne et Deus defendat/et pariai culpa), lui-même souligné par une rime intérieure (iniuriam/discordiam).
Parénèses pour les Francs
31La mission d'Augustin en Angleterre fut-elle l'occasion pour Grégoire de s'intéresser brusquement à la chrétienté franque ? C'est vraisemblable, comme le donne à penser une collection de six lettres adressées en juin 601 aux différents souverains (Brunehaut, 356 ; Thierry, l57 ; Théodebert, l58, Clotaire59), puisqu’il y est question de l'accueil fait aux missionnaires de passage, et de l'appui donné à leur œuvre par les Francs. En les écrivant, le pape doit concilier plusieurs nécessités qui peuvent être contradictoires : rappeler les souverains à la vertu ; se préoccuper de la santé spirituelle du clergé et surtout de l'épiscopat des Gaules ; veiller aux destinées de ses missionnaires d’outre-manche. Le ton, le style et le langage adoptés dans cette partie de la correspondance donnent la nette impression que le résultat recherché ne fut pas inaccessible.
32En fait, c'est à une sorte de parénèse épistolaire que se livre le pape. Il ne recule pas, d'abord, devant un certain nombre d'avertissements ; mais ceux-ci sont formulés avec une énergie qui ne dépasse pas les bornes de la courtoisie60 Ensuite, il exprime ses sujets de satisfaction pour des raisons qui nous surprennent parfois61, mais qui prouvent que l'épistolier tient à cœur de parler personnellement à ces potentes62. En outre, par moments, les procédés classiques de l'exhortation oratoire viennent à point nommé échauffer les âmes63. Enfin, à la netteté des recommandations de Grégoire (convoquer un synode, réprimer la simonie, aider les missionnaires de passage), correspond un langage qui, sans négliger les effets d'une rhétorique employée à bon escient, s'attache avant tout à une clarté presque pédagogique.
33Dans son amicale lettre d'exhortation à Brunehaut64, Grégoire développe une thématique banale d'exhortation morale en employant un latin qui se départit de la noblesse attendue à l'égard de si hauts personnages pour adopter le ton du sermo familiaris, rappelant le style cher à Césaire d'Arles, et, au-delà et à travers lui, à l'Augustin des sermons : à une longue phrase solidement charpentée pour énoncer des vérités premières65, succède une brève maxime à l'allure parlée toute proverbiale66. Ces considérations générales sont suivies d'un conseil pratique ponctuel, où sont énumérées les conséquences juridiques des attendus précédents67. Cette prescription est aussitôt commentée en des termes de morale individuelle qui sont coulés dans une syntaxe à la fois bien chaînée et translucide. Le pape prend à ce moment personnellement à partie Brunehaut68 en une succession d'affirmations qui relèvent des loci communes, maximes bien senties et énergiquement énoncées69 à l'usage d'une souveraine laïque qu'il s'agissait littéralement d'instruire et de convaincre par un usage bien dosé du genus submissum70.
Nuances pour Phocas
34Deux lettres seulement de Grégoire au nouvel empereur Phocas nous sont parvenues. On s'est, là aussi, parfois étonné des louanges que l'évêque de Rome aurait adressées à ce souverain, dont l'arrivée à l'Empire s'est faite dans des conditions sanglantes. En fait, le langage épistolier dont use Grégoire laisse apparaître un sens aigu des nuances. La première des deux épîtres71, datée de mai 603, célèbre l’investiture de Phocas. On est frappé d’abord par sa brièveté : des personnages de rang bien moins important ont eu droit à des entretiens directs nettement plus longs. Ensuite, le texte ne contient aucune considération personnelle sur les éventuels mérites propres au nouveau maître de l’Empire.
35Il célèbre en premier lieu la nouvelle de l'avènement (lignes 1-17) en opposant simplement les peines du passé (maerentia multorum corda) aux espoirs du présent (populus hilarescat — encore notera-t-on que cette joie n'est pas constatée, mais attendue). Puis il passe à un programme d'action politique et religieuse, qui n'est qu’une succession de vœux pieux. Il profite de l'occasion pour rappeler au nouveau basileus ses devoirs constitutionnels, en exaltant le contraste entre les rois barbares et l'empereur72 : mais là aussi, il s'agit moins de louer la personne de Phocas que de l'engager énergiquement à accomplir les devoirs d'un vrai citoyen romain73. Enfin, il termine par une prière fervente, où se déploient les fastes de l'amplification oratoire. C'est le seul moment de la missive où le langage laisserait peut-être percer quelque lyrisme.
36La seconde lettre74, partie en juillet, appartient au genre différent du plaidoyer pour une affaire délicate qui mettait en cause la responsabilité de Grégoire lui-même. Devant les dangers encourus, il avait en effet renoncé à maintenir, comme c'était l'usage immémorial (iuxta antiquata consuetudinem) un émissaire permanent auprès de l'empereur à Constantinople. Le dossier est présenté et argumenté avec habileté. La première ruse psychologique de Grégoire consiste naturellement à recourir au procédé rhétorique classique de la captatio beneuolentiae. Il oppose ensuite la tyrannie des temps passés à la libéralité de Phocas en choisissant avec soin le vocabulaire le plus persuasif75, pour rendre compte de cette espèce de « désertion » commise à contrecœur. Mais il lui restait encore à expliquer pourquoi personne ne s'était encore présenté au palais, au moment où il écrivait. Cette fois, Grégoire recourt à une ruse un peu enfantine en invoquant... la décrépitude des uns et le surmenage des autres ! Ce n'est qu'alors qu'il présente son envoyé spécial, en assurant le souverain qu'il a personnellement éprouvé les qualités du diacre Boniface. Pour enfin achever d’émouvoir Phocas, il glisse une allusion aux misères de l'agression lombarde, avant de se hâter de répéter son espérance en un avenir meilleur. Pour instruire ce dossier, Grégoire s’est contenté d'un langage mesuré, fuyant aussi bien des accents trop éplorés que des raisonnements trop appuyés76. La sécheresse un peu compassée du style contraste avec les quelques envolées de la lettre précédente.
37Reproches en sourdine quand il s'agit de traiter avec un exarque irascible ; parénèse affectueuse quand il est possible de pousser des souverains dans la voie d'une collaboration indispensable ; généralités prudentes et argumentation cauteleuse au moment d'entrer en contact avec un nouveau maître de l'Histoire : non seulement les langages de Grégoire s'adaptent aux exigences de la correspondance politique, mais, d'une certaine façon, ils révèlent les méandres de sa volonté et de ses sentiments.
V. CONSUL PAR LES MOTS
38A prendre ainsi en bloc la correspondance, on jugera combien la pratique de l'écriture est maîtrisée par Grégoire dans le cadre d'une théorie des styles dont il nous a laissé par ailleurs la formulation explicite77. Les vertus essentielles de la discretio (savoir définir qui parle à qui de quoi, en respectant le cadre et les circonstances78) supposaient la mise en œuvre des principes fondamentaux de l'antique decorum. De l'extrême variété des langages que nous avons rencontrée dans ce bref parcours et de la propriété des choix effectués à chaque fois, une quadruple origine rend sans doute compte : elles prennent, en effet, en premier lieu leur source dans les règles de la chancellerie pontificale79, dans la pratique pastorale du pape en second lieu80, dans la culture biblique aux multiples langages ensuite81, et enfin dans une formation intellectuelle héritière de l'école antique, qui, à notre point de vue, n'a pas tenu le rôle mineur.
39C'est pourquoi les lettres de Grégoire représentèrent, pour la chancellerie pontificale et pour ses lecteurs, contemporains ou futurs, autant qu’un document de travail où puiser non seulement un certain nombre de preuves, mais aussi des guides juridiques et moraux, un modèle d'écriture. Les correspondances du très haut Moyen Age, publiques ou privées, présentent souvent deux défauts contraires, mais pas toujours exclusifs l'un de l'autre : la tendance à la surcharge stylistique et l'incapacité à garantir la correction grammaticale. Les lettres de Grégoire passent loin de ces deux écueils : compte tenu des caractéristiques du latin tardif, ses lettres sont écrites dans une langue à la fois sûre et limpide. La syntaxe, même si elle s'élève parfois jusqu'à une certaine complexité, ne sombre jamais dans le rébus ; en morphologie, on est frappé de voir que Grégoire use très volontiers de prépositions pour clarifier les cas, au lieu, par un excès de coquetterie langagière, de les éliminer d'énoncés où même l'usage classique leur laisserait place ; le vocabulaire, tout en étant précis, parfois technique, et de temps en temps « vulgaire », demeure varié et sobre. Toutes ces considérations conduisent à placer la correspondance de Grégoire dans le droit fil de la meilleure latinité vivante.
40Ces caractères à la fois stylistiques et langagiers ne rendent naturellement pas entièrement compte de la forte impression que procure encore aujourd'hui la lecture de Registrum. Plus peut-être que dans l'œuvre littéraire de Grégoire, on décèle la complexité, la souplesse, mais aussi la rigueur de cette personnalité. On soulignera donc pour conclure qu'il paraît vraiment difficile de trier au nom d'un simple critère formel les lettres pour attribuer la rédaction d'une partie d'entre elles à la seule chancellerie 82. Sauf peut-être dans des documents très techniques, la voix même de Grégoire nous paraît constamment s’exprimer. Cette voix, comme aurait dit Possidius à propos d'Augustin, donne une force si grande à l'œuvre écrite (ou plutôt dictée) au fil des jours et des œuvres, qu'il nous semble que si Grégoire fut effectivement le « consul de Dieu83, » il doit beaucoup de ce beau titre à la puissance de ses mots.
Notes de bas de page
1 Cf. T. Schieffer, Europa im Wandel von der Antike zum Mittelalter, Stuttgart, 1976, et surtout la série des Settimane di studio del Centro italiano di studi sull'alto medioevo, Spolète, 34 volumes parus depuis 1954. Mise au point rapide dans M. Banniard, Genèse culturelle de l'Europe, Ve-VIIIe siècles, Paris, 1989.
2 Etat actuel de la recherche sur Grégoire dans Grégoire le Grand, Colloque CNRS de 1982, Paris, 1986, avec une bibliographie sélective, p. 685-690. Nous nous sommes référés de préférence, outre cet ouvrage, à C. Dagens, Saint Grégoire le Grand. Culture et expérience chrétiennes, Paris, 1977 ; J. Richards, Consul of God, The Life and Times of Gregory the Great, Londres, 1980 et M. Reydellet, La royauté dans la littérature latine de Sidoine Apollinaire à Isidore de Séville, Rome, 1981, ch. IX, Grégoire le Grand, La royauté et l'ordre du monde, p. 441-503.
3 Comme le souligne J. Fontaine, « Augustin, Grégoire et Isidore : esquisse d'une recherche sur le style des Moralia in Job », dans Grégoire le Grand, p. 499-509.
4 En dernier lieu, P. Riche, Education et culture dans l'Occident barbare (VIe-VIIIe siècle) (3), Paris, 1972, p. 187-199.
5 H.I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique (4), Paris, 1958.
6 Éditions : P. Ewald, L. Hartman, 2 vol., Berlin, 1891 et 1899 (MGH, Epist., très importante annotation historique) ; Dag Norberg, 2 vol., Turnhout, 1982 (CC, nous citons d'après cette édition) ; P. Minard, Livres 1 et 2, Paris, 1991 (SC, édition avec traduction en cours).
7 Cette question a été soulevée par D. Norberg, « Qui a composé les lettres de saint Grégoire le Grand ? », dans Studi Medievali, 1980, p. 1-17 et « Style personnel et style administratif dans le Registrum Epistularum de saint Grégoire le Grand », dans Grégoire le Grand, p. 489-497. L'auteur soutient que le pape n’ayant pas le souci de respecter les règles du cursus, seules les lettres où précisément cette règle de formation des clausules n'est pas appliquée (ce qui est déterminé par des évaluations statistiques) ont été dictées de la bouche même de Grégoire.
8 11, 59.
9 Elles sont, d’après les éditeurs des MGH, les filles du fameux patrice Venantius.
10 « Exenium autem uestrum dims racanas, quas de labore uestro esse mandastis... ».
11 « ... libenter accepi ».
12 « Sed tamen cognoscite quia non mihi mandatum credidi ».
13 « Nam uos de labore alieno laudem cjuaeritis, quia fartasse ad fusum manum numquam misistis ».
14 11, 34.
15 P. Riche, Education et culture, p. 196-197.
16 Cela ressort du commentaire de Grégoire : « quam...nefandum sit episcopo canere ». Le verbe canere désigne l'exercice particulier de la recitation normée d'un carmen ; Didier s'est certainement efforcé de faire (re)trouver à ses auditeurs une diction poétique qui fût conforme à la métrique classique. C'est ce goût pour un point particulier de la virtuosité antique qui est incriminé.
17 L'expression bona studia implique à notre avis que Didier a ouvert un centre de formation épiscopal : son erreur provient de ce qu'il a voulu reconstituer un cursus complet d'études « à l'antique », au lieu de se borner à l’acquisition des seuls outils intellectuels qu'autorisait la tradition monastique, selon les prescriptions de Benoît et de Césaire.
18 « Sed post hoc peruenit ad nos quod sine uerecundia memorare non possumus... ».
19 Quam rem reprend de manière emphatique l'énoncé précédent en mettant en jeu une anadiplose.
20 Suscepimus…ac sumus aspernati.
21 Moleste, uehementius.
22 « quia in uno se ore cum louis laudibus Christi laudes non capiunt ». Grégoire fait écho à une des colères de Jérôme : « Quid facit cum psalterio Horatius ? cum euangeliis Maro ? cum apostolo Cicero ? - HIER., ep., 22, 29 ». Sur ces problèmes, J. Fontaine, Naissance de la poésie dans l'Occident chrétien, Paris, 1981.
23 « Et quam graue nefandumque sit episcopo canere, quod nec laico religioso conueniat, ipse consiconsidera».
24 6, 33.
25 « Fratrem nostrum Marinianum uerbis quibus uales excita, quia obdormisse eum suspicor ».
26 Non habeo quod uobis dare s'est, en effet indigné l'évêque à l'adresse des mendiants. Sur les nouvelles stuctures syntaxiques en latin tarait, D. Norberg, Syntaktische Forschungen auf dem Gebiete des Spiitlateins und des frühen Mittellateins, Upsal, 1943 ; E. Lofstedt, Late Latin, Oslo, 1959, sans omettre J.-B. Hofmann, A. Szantyr, Lateinische Syntax und Stylistik (2), Munich, 1965.
27 « Nam ego ad hominem non legentem fatigari in dictatu non debui ».
28 11, 21.
29 Lignes 1-7 de l'édition (jusqu'à prae omnibus dicant).
30 Lignes 7 à 27 (ecclesia habebis). -Lignes 28 à 37 (fin de la lettre).
31 Lignes 28 à 31 (fin de la lettre).
32 « Ego enim ipse ualde sum debilis, et omnino est utile ut cum Dei gratia sanus ad tuam ecclesiam redeas, aut certe, si uocandus es, inter manus tuorum uoceris et ego, qui me proximum morti uideo, si me omnipotens Deus ante uocare uoluerit, inter tuas manus debeam transire ».
33 Si uocandus es.
34 Debeam transire.
35 Grégoire avertit son correspondant : Nec hortor nec admoneo, sed stricte praecipio. Ainsi dira-t-on aujourd'hui qu'un médecin « prescrit » une ordonnance.
36 13,1.
37 Sur ces aspects, cf. notre travail Viva voce, Communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occident latin, Paris, 1992, p. 105-179.
38 « Quos quid aliud nisi Antichristi prédicatores dixerim ? » Sur la valeur de cette référence chez Grégoire, H. Savon, « L'Antéchrist dans l'œuvre de Grégoire le Grand », dans Grégoire le Grand, p. 389-405.
39 « stultcrrum hominum uerba despicite ».
40 « Nam si quis dicit hoc de sabbato esse seruandum, dicat, necesse est, etiam camallo sacrificia persoluenda » ; « Nam si dominicorum die corpus lattare peccatum est, lanari ergo die eodem nec facies debet ».
41 « Et quidem si pro luxu animi atque uoluptate quis lauari appétit, hoc fieri nec reliquo quolibet die concedimus ».
42 En une seule phrase de conclusion arrivent quatre propositions à l'impératif bâties en parallèle (custodite... despicite... nolite... pensate). Un cliché exprimé avec des mots familiers insiste sur la connivence entre l’orateur et les auditeurs (in rationis trutina).
43 9, 209.
44 Sur cette affaire, Viva voce, p. 108-112.
45 11, 10.
46 « ... ut despectis aliis fratribus solum te sanctum et esse crederes sapientem ? ».
47 Lignes 44-51.
48 1. 52-54 : « Si ad hanc instructionem, ad quam imagines antiquitus factae sunt, habere uultis in ecclesia, eas modis omnibus et fieri et haberi permitto ».
49 Pour une analyse détaillée des concepts langagiers de genus submissum, sermo familiaris, sermo humilis, on renvoie à Viva voce, chap. 1 et à la bibliographie afférente.
50 14, 17.
51 14, 16.
52 On remarque en effet que le datif monachis, placé en parallèle avec celui mulieribus, est en position longuement anticipée par rapport au verbe qui le régit (se iungi) en une construction qui exacerbe ainsi l'effet d’attente.
53 V, 19 (Décembre 594).
54 Répéter, c'est convaincre : l'affirmation initiale est ainsi exprimée deux fois de suite, un première fois sous la forme d'un énoncé direct soutenu par le recours à une image bien venue (correctionis aculeos) ; une seconde en répétant la même idée à travers une pointe légèrement paradoxale rehaussée par ces argumentations en parallèle chères à Grégoire (illic//unde).
55 11 a offert sa protection au prêtre Speciosus, qui, ainsi soutenu, a osé, contre l'avis de l'évêque Jean de Ravenne, quitter le monastère où ce dernier l'avait « astreint à résidence ».
56 11, 46, 48, 49.
57 11, 47.
58 11, 50.
59 11, 51.
60 11, 46 : « Nam causae sunt ruinae populi sacerdotes mali » ; ib. : « Qui emendare potest et neglegit, participem se procul dubio delicti constituit » ; 11, 51 : « Et uehementer affligimur, si ad Dei dona non meritis acceditur, sed praeniis prosilitur ».
61 Thierry disposait-il d'une chancellerie de bon niveau ? Le compliment sur le style de sa lettre incite à poser le problème : la copia luculenti sermonis (« la richesse d'un style éclatant ») correspond à un type de compliment dont le Registre est avare.
62 Son éloge de la piété de Brunehaut a, bien entendu, étonné. Toutefois, on n'a peut-être pas suffisamment remarqué qu'il appuie sa déclaration sur les termes d'une lettre d'acquiescement que lui avait fait parvenir la reine (11, 49 : « Scriptorum uestrorum emissa dudum pagina testis est »). Le pape complimente Brunehaut de ses bonnes intentions, affirmées par écrit, et la prend, littéralement, au mot : l'éloge est plus prudent qu'il n’y paraît.
63 11, 48, lignes 21-25, avec une anaphore triple de l'impératif prouidete, qui provoque une attaque haletante en brèves propositions juxtaposées avant que la phrase ne se déploie plus largement en deux amples propositions où les verbes, toujours à l’impératif, viennent clore les propositions au lieu de les ouvrir, en un renversement syntaxique dont la majesté est soulignée par la paronomase (cogitate/expectat).
64 11, 49.
65 Lignes 12-15. Une longue subordonnée causale placée en tête ouvre la voie à une brève déclaration de confiance (confidimus quod), qui rebondit en une de ces constructions corrélatives chères à Grégoire (tanto...quanto). De discrets effets sur les sonorités renforcent le jeu sur les équivalences (adiutor...largitor).
66 « Facite quod Dei est, et Deusfaciet quod uestrum ».
67 L'injonction sort renforcée d'un redoublement expressif qui la présente d'abord sous forme d'un ordre (praecipite), puis d'une défense (prohibete). La position en fin de proposition des deux impératifs ainsi que leur équivalence tant en masse syllabique qu'en texture sonore confèrent une allure impérieuse à l'énoncé.
68 Mihi autem crédité. Contrairement à l'opinion soutenue par D. Norberg, Style personnel, p. 494, on verrait mal, là aussi, un simple rédacteur, si haut placé soit-il à la curie, prendre ainsi la place de Grégoire lui-même.
69 « in damno expenditur quicquid cum peccato congregatur ».
70 La morphologie et la syntaxe de ces énoncés, tout en étant correctes, appartiennent au niveau langagier du sermo humilis, le phrasé choisi par Grégoire frisant parfois la langue spontanée : studete de iniustitia nil habere.
71 13, 32.
72 « Reformetur iam singulis sub iugo pii imperii libertas sua. Hoc namque inter reges gentium et reipublicae imperatores distai, quod reges gentium domini seruorum sunt, imperatores uero reipublicae domini liberorum ». Les mots clefs sont mis en valeur : libertas a échangé sa place avec le verbe, en un déplacement créatif de l'ordre attendu ; res publica est répété.
73 Cette lettre confirme que Grégoire est resté profondément attaché à la tradition impériale antique.
74 13, 39.
75 Benignitatis uestrae pietate ; uestram clementiam.
76 On comparera avec les développements apocalyptiques que contiennent les Homélies sur Ezéchiel.
77 Sur ces critères, cf. Viva voce, p. 131.
78 Lui même s’y est spirituellement référé lorsqu'il a rappelé à Sérénus l’obligation de tempérer la passion du moraliste et la rigueur du théologien par l'art du discernement (si zelum discretione condisses, ep. 11, 10, ligne 32).
79 Elles ont été analysées notamment par les éditeurs des MGH.
80 Cf. Viva voce, chap. 3.
81 Cf. C. Dagens, Culture et expérience chrétiennes.
82 Malgré l'intérêt des décomptes établis par Dag Norberg, il nous semble que l'interprétation qu’en propose ce savant repose sur une pétition de principe : il émet l'hypothèse que, par dédain pour des contraintes qu'il jugerait par trop artificielles, Grégoire se refuserait à respecter les règles du cursus ; cela posé, il établit l’« inauthenticité » des épîtres où ce cursus est manifestement respecté. Mais les déclarations parfois provocantes de Grégoire sur son dédain de Donat ne doivent pas nous abuser ; ensuite, nous avons vu que des lettres apparemment réfutées par D. Norberg, portent tous les signes d'une prise à parti personnelle de Grégoire ; enfin, 1 inventeur même de ces décomptes, T. Janson, Prose Rhythm in Medieval Latin from the 9th to the 13th Century, Stockholm, 1979, a souligné que dans le cas de la chancellerie romaine du haut Moyen Age, voire ultérieurement, il est très hasardeux de prétendre établir le rédacteur d'un document d'après des critères internes de ce type (p. 45).
83 Ce sont, on le sait, les mots de son épitaphe écrite en distiques élégiaques : « Hic labor, hoc studium, haec tibi cura, hoc pastor agebas //Vf Domini offerres plurima lucra gregis // Hisque Dei consul factus laetare triumphis ».
Auteur
Université de Toulouse II
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