La vie des paroisses d’après quelques lettres du pape Alexandre III
p. 19-28
Texte intégral
1On peut trouver dans la correspondance d'Alexandre III1 un certain nombre d'indications relatives au fonctionnement des paroisses au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, plus précisément pendant les décennies 1260-1270. Plusieurs de ces lettres concernent des paroisses ou des clercs du nord de la France, spécialement des diocèses de la province de Reims, et notamment de Châlons2. La plupart de celles que nous avons retenues ici traitent de litiges portés devant le pape Alexandre III : il pourrait bien s'agir d'appels adressés au Siège apostolique depuis le temps du séjour du pontife à Sens3. Par ailleurs, un bon nombre de ces lettres ont pour destinataire l'archevêque de Reims, Henri de France4 : frère de Louis VII, ce prélat, qui fut à la tête de l'Eglise de Reims de 1162 à 1175, faisait partie du petit groupe d'amis privilégiés d'Alexandre III. En raison de cette amitié jamais reniée malgré plusieurs différends, Henri fut associé à l'action de la papauté, et reçut mission d'apaiser des conflits ou de réprimer des abus. C'est ainsi que cette correspondance permet de découvrir les difficultés alors rencontrées dans le nord de la France par l'institution paroissiale.
2Théoriquement, l'église paroissiale était confiée à un prêtre astreint à la résidence, après avoir reçu les ordres sacrés. Ce prêtre tenait ses pouvoirs de l'évêque qui seul conférait le gouvernement des âmes (cura animarum)5. Mais ces dispositions, traditionnelles depuis les temps carolingiens au moins, avaient connu de profonds bouleversements : les églises, considérées comme des fiefs, avaient successivement été propriété des laïcs, puis d'établissements religieux, monastiques ou canoniaux. Par la suite, les réformateurs de la fin du XIe siècle avaient introduit au sein de l'institution paroissiale une nette distinction entre spirituel et temporel. Or, ce dernier, constitué par les revenus de l’église, devenait un « bénéfice »6, bien distinct du ministère des âmes, pour lequel il avait pourtant été constitué.
3Plusieurs protagonistes intervenaient dans le fonctionnement de l'organisation : c'est tout d'abord le prêtre qui a reçu l'église de l'évêque, puis les possesseurs du bénéfice, le plus souvent des patrons ecclésiastiques, ensuite le chef du diocèse, et enfin les fidèles pour le service desquels l'institution a été conçue. Chacun des partenaires peut abuser de la situation, se livrer à des excès, ou être encore victime d’un autre protagoniste.
I. STATUT ET SITUATION DU DESSERVANT
4Le prêtre placé à la tête d'une paroisse devait être validement ordonné : il lui fallait donc, en certains cas établir la preuve de son ordination. En outre, il était étroitement lié à l'église qu'il possédait, mais déjà la non-résidence du titulaire provoquait de graves perturbations. En principe, le clerc recevait les ordres sacrés de l'évêque de son diocèse7, ou obtenait de celui-ci les autorisations indispensables (lettres dimissoriales) pour se faire ordonner ailleurs8. En fait, la situation était beaucoup plus complexe. Ainsi, un clerc avait été ordonné sous-diacre à Reims, son diocèse d'origine, mais par la suite, poussé par la dévotion, il gagna Jérusalem, reçut à Sidon le diaconat, et de retour au pays natal, après avoir servi Dieu comme diacre, il fut élevé à la prêtrise9. C’est la réalité de son ordination sacerdotale qui semble avoir été mise en doute, mais, après enquête, le pape demande de le laisser en paix exercer le sacerdoce, et de lui accorder également un bénéfice. C’est donc toute la question de l'ordination hors diocèse qui est ici posée, sans doute en raison de l'absence de lettres justificatives de la part de l'intéressé.
5Le passage d'un moine dans le clergé séculier pouvait être source de difficultés pour cet ecclésiastique qui avait changé de statut. Ainsi le chapelain de l'aumônerie de Tours-sur-Marne au diocèse de Reims10 était-il entré dans son enfance à l’abbaye cistercienne de Jouy au diocèse de Meaux11, et, pendant deux mois, il avait habité chez les novices. Souffrant d'une grave maladie de la tête, il avait quitté le monastère avec la permission de l'abbé, et, par la suite, était devenu prêtre. Depuis lors, il résidait dans la maison des malades de Tours ; mais, parce qu’il avait quitté le monastère, certaines gens l'inquiétèrent en demandant qu'il soit excommunié et écarté des ordres sacrés12.
6En fait, ce prêtre pourrait bien avoir été ordonné sans titre13, c'est-à-dire sans posséder une église avec ses revenus, autrement dit un bénéfice. Tel était le cas d'un clerc qui avait reçu le diaconat de l’archevêque de Reims sans avoir reçu le titre d’une église ; à cette occasion, le pontife romain rappelle le principe selon lequel toute ordination conférée sans titre est nulle14. Il exige en outre du prélat que ce clerc soit pourvu d’une église susceptible d'assurer sa subsistance, « ainsi pourra-t-il fidèlement servir in ordine le Dieu tout-puissant »15. Cette décision d'Alexandre III annonce le décret du Ille Latran16, mais des exceptions devaient bientôt être admises : il existait, en effet, des situations qui contredisaient la règle de la stabilité cléricale. Au moment du schisme de 115917, un prêtre du nom de Gauthier, et son frère également prêtre, avaient quitté, par attachement au pontife légitime, leur diocèse d’origine, Toul, pour venir s’établir à Reims. Le pape les recommanda à son ami l'archevêque Henri : le prélat s'était déjà adressé à l’évêque de Soissons en le priant de conférer à Gauthier l'église que les chanoines de la cathédrale lui avaient promise. Pour sa part, l'archevêque de Reims s’engage à trouver une place, c'est-à-dire un bénéfice, pour le frère, si celui-ci possède les qualités requises18.
7Après avoir reçu l'église paroissiale, le titulaire devait y résider et assurer le ministère pastoral : cette prescription fut rappelée par Alexandre III à l'évêque de Meaux. Nul ne pouvait tenir une église sans la desservir en personne ; toutefois, le pontife ajoutait que l'on devait faire preuve de bienveillance envers ceux qui ne pouvaient être présents dans leur paroisse pour cause de maladie, ou d'empêchement canonique19. Ainsi donc, comme on le verra, des motifs de dispense étaient déjà reconnus par l'autorité apostolique.
8D'ailleurs, le remplacement des titulaires des paroisses provoquait des conflits. Ainsi, le prêtre Lambert avait affirmé devant le pape avoir régulièrement reçu Witainéglise20 ; cependant, pour le temps des études qu'il menait à Paris, l'archidiacre de son ressort avait confié la paroisse à un remplaçant du nom de Barthélemy. Or celui-ci affirmait avoir trouvé vacante cette église régulièrement acquise et possédée en paix depuis plus de deux ans. En l'absence de leur titulaire parti à Jérusalem avec l’autorisation de son évêque, un intrus du nom de Mainier avait occupé deux églises par la violence, et s'y était installé après en avoir chassé le chapelain chargé d’assurer le remplacement. Aussi le pape demandait-il de rétablir le titulaire dans ses droits21. On peut constater que les usurpations d'églises restaient alors assez fréquentes : elles semblent être la conséquence des dispenses de résidence ou des vacances de leurs titulaires, mais aussi des carences de la hiérarchie diocésaine22. De plus, elles se situaient dans un contexte général de violences, auquel n'échappait pas l'institution ecclésiastique.
II. LES DROITS ET LES INTERVENTIONS DES PATRONS
9Malgré les réformes des XIe et XIIe siècles, l'église paroissiale restait sous la dépendance de son propriétaire, le patron. Celui-ci en possédait le temporel et, de plus, exerçait le droit de présentation à l'évêque du futur desservant. Aussi, les différentes étapes de la désignation devaient être suivies, sous peine de destitution du candidat. A Baulne, au diocèse de Soissons, un prêtre s’était permis de célébrer sans avoir été présenté à l'évêque par l'abbé de Saint-Jean-des-Vignes de qui dépendait l'église : aussi le pape demande-t-il à l'archevêque de Reims de faire la vérité sur l'affaire et, éventuellement, de destituer cet ecclésiastique23.
10De plus, les privilèges et les droits des titulaires des églises devaient être respectés. Il n'en allait pas toujours ainsi : par exemple, lorsque plusieurs établissements religieux étaient en concurrence sur un même territoire. Ainsi les églises de Doullens dépendaient de l'abbaye d'Anchin, mais un monastère de moniales, Saint-Michel, avait été fondé dans cette agglomération, et les religieuses accueillaient pour les offices les paroissiens et célébraient même les sépultures des excommuniés. Une telle situation allait à l'encontre du privilège paroissial, aussi le pontife fit-il défense à l'abbesse d'admettre les excommuniés sous peine d'être privée de sa charge24.
11Par ailleurs, les propriétaires ecclésiastiques, comme jadis les seigneurs laïcs, étaient toujours portés à outrepasser leurs droits, en désignant ou en destituant eux-mêmes les desservants sous différents prétextes, sans en référer à l'évêque. Un prêtre dénommé Hugues avait été dépouillé de son église par l’abbé du même monastère d'Anchin, sans jugement ni raison valable. Aussi le pape demandait-il de procéder à une enquête, de restituer l'église à Hugues et de punir sévèrement le prêtre qui, après appel adressé à Rome, avait obtenu l'église25. La question des redevances semble avoir joué un grand rôle dans les destitutions d'églises. Pour un cens non acquitté, les chanoines d'Arras avaient chassé de l'église Saint-Maurice le prêtre Wibaud qui y assurait le ministère depuis quinze ans26. De même, un chanoine prémontré de Saint-Paul de Verdun, après avoir affermé l'église de Vanault à un prêtre, s'était livré à différentes exactions au détriment de ce dernier27.
12La situation de Jacques, desservant de Saint-Etienne de Villeseneux28 est révélatrice des abus dont certains religieux pouvaient se rendre coupable. En effet, l'abbé de Saint-Sauveur de Vertus l'avait présenté pour le service de cette église à l'évêque de Châlons qui lui avait conféré la cura animarum. Par la suite, parce que le prêtre refusait d'acquitter l'augmentation du cens, l'abbé nia l'avoir présenté au chef du diocèse. Inquiété par le clerc désigné à sa place, Jacques s'adressa au pape. Au cours de l'enquête, l’évêque de Châlons reconnut avoir donné la cura animarum sur présentation de l’abbé. Alexandre III estimant qu'on ne peut accorder foi aux moines exigea restitution de cette église à son desservant légitime29.
13Un autre prêtre de paroisse fut à la même époque victime des procédés tortueux des patrons de son église, en l'occurrence les moines de Saint-Pierre de Châlons. Souffrant d'une grave maladie qui lui faisait perdre ses facultés mentales, le desservant avait été porté avec tout ce qu'il possédait à l'abbaye, où on l'avait revêtu de l'habit monastique. Ayant retrouvé ses esprits, il s'offusqua de ce qu'on lui avait fait subir, et quitta le monastère. Les moines refusèrent de lui restituer l'église qui lui avait été conférée sur leur présentation par l'évêque de Soissons, ainsi que ses biens propres. Devant une telle situation, le pape demanda à l’archevêque d'enquêter sur l'état mental de ce clerc au moment de sa maladie. S'il en résultait qu'il n’avait pas alors toutes ses facultés, les moines seraient tenus de lui rendre l'église, sinon il leur faudrait le recevoir parmi eux et le considérer comme un de leur frères30.
14De tels agissements n'étaient pas seulement le fait des religieux : les chanoines de Saint-Donatien de Bruges, après avoir violenté le desservant de leur église de Dudzeele, lui retirèrent son bénéfice et le remplacèrent. Puis, au cours d'une procession, on déchira ses habits, après quoi il fut chassé de leur chœur. Pour Alexandre III, ces excès ne pouvaient pas rester impunis, car les laïcs trouvaient dans ces querelles matière à s'insurger contre les clercs31.
III. LE ROLE DE L'EVEQUE ET LA CURA ANIMARUM
15Comme on a pu le constater, le recrutement des desservants échappait au chef du diocèse, et pourtant lui seul pouvait remettre au candidat choisi le gouvernement d'une église (cura animarum) par l'institution canonique. Aussi, certaines situations amenaient-elles le chef du diocèse à outrepasser ses droits. En effet, le prélat ne pouvait, sans raison grave, refuser d'investir le candidat présentant les qualités requises ; il lui était également difficile de priver un prêtre de son église. Pourtant, comme les patrons des églises, certains dignitaires ecclésiastiques étaient tentés de faire preuve de violence envers les prêtres des paroisses32. Ainsi le vicaire de l'archidiacre de Reims33 et un autre prêtre avaient porté la main sur un clerc, l’avaient ensuite enfermé, et contraint de payer une amende de cent douze sous34.
16Mais les décisions prises par la hiérarchie diocésaine envers certains desservants ne semblent pas toujours arbitraires. En effet, des évêques semblent bien avoir eu pour destituer un clerc des motifs jugés irrecevables par l’autorité apostolique. Ainsi l'abbé de Moiremont avait présenté à Geoffroy, évêque de Châlons, le clerc Horry pour le service de l'église Saint-Julien d’Elize35. Mais le prélat refusa de recevoir ce clerc pour la seule raison qu'Horry n'était pas prêtre. Or, au jugement du pontife romain, une telle décision n'était pas acceptable, puisque les candidats aux églises s’engagent à devenir prêtres. Aussi Alexandre III demanda-t-il à l'évêque de restituer l'église à Horry, de lui conférer le cura animarum, à la condition qu'il promette de desservir personnellement et de se faire ordonner dans les délais prévus36. Ce conflit met bien en évidence deux attitudes pastorales et deux interprétations du système institutionnel. D'une part, l'évêque de Châlons, sans doute soucieux de ne pas laisser une église sans desservant, exige comme préalable à l’institution canonique la réception des ordres, et d’autre part la position de l'autorité apostolique respectueuse de la lettre du droit tel qu'il était en vigueur dans les diocèses de la chrétienté occidentale : tout clerc, pourvu d'un bénéfice, s'engageait par serment à résider et à recevoir les ordres. Cette législation fut ensuite entérinée dans les livres synodaux rédigés après le IVe concile du Latran37. Si une telle pratique paraît logique, elle n'en contient pas moins des germes de perversion. Le clerc, malgré le serment prêté, se dispense de la réception des ordres et de la résidence, après avoir obtenu, comme nous l'avons dit, les autorisations indispensables : comment les évêques auraient-ils alors refusé ce que la papauté reconnaissait dès le temps d'Alexandre III ?
17D’autres actes viennent d'ailleurs mettre en évidence les difficultés rencontrées par les évêques lors de la désignation des bénéficiers. Parce qu’un clerc du nom de Raoul n’était pas présent dans son église, l'évêque de Châlons l'en avait destitué pour le remplacer par un ecclésiastique de son choix ; par la suite, il l'avait excommunié. Or, le clerc ainsi écarté s'était adressé au pape lors du séjour de celui-ci à Sens. En réponse, Alexandre III avait demandé à Henri de France de sommer l'évêque de rendre l'église à Raoul, et de lever l'excommunication, à moins que le clerc se soit rendu coupable d'un crime notoire38. Par ailleurs, Vivien, prêtre du même diocèse, devait être privé de l’église Saint-Memmie de Cousance qu'il possédait paisiblement et librement, après qu'elle lui eût été canoniquement concédée. L'archevêque de Reims doit là aussi rechercher la vérité, mais la suite du dossier laisse supposer que le père du desservant était prêtre et que, pour cette raison, il avait été chassé de son église39.
18Ces quelques exemples sont révélateurs des problèmes posés par l'exercice du pouvoir épiscopal au XIIe siècle. Parce qu'il confère la cura animarum, l'évêque est tenté d'abuser de son autorité, en choisissant ou en destituant lui-même des desservants ; mais, par ailleurs, le système ne lui permettait pas toujours de surveiller le comportement des prêtres des paroisses et de mettre un terme à certains excès.
IV. CLERGE ET PAROISSES
19Malgré ses carences et ses imperfections, la paroisse devait remplir sa fonction de pourvoir aux besoins spirituels des habitants d'un territoire donné. Sans doute des desservants avaient-ils la tentation de profiter des rétributions traditionnelles pour se livrer à des prélèvements excessifs au détriment des paroissiens ; d'autres étaient abusés dans leur bonne foi par des gens malveillants. Cependant une réelle solidarité se nouait parfois entre prêtres et fidèles. Tout d'abord avant de baptiser les enfants ou d’enterrer les morts, les chapelains de la ville de Châlons exigeaient une certaine somme des familles40 : cette question de la rétribution des actes religieux devait trouver sa solution lors du IVe concile du Latran de 1215 qui admettait le versement de « bonnes coutumes », mais seulement après l'administration des sacrements41.
20Depuis qu'avait été introduite la procédure romano-canonique, il n'était plus possible de procéder à l'excommunication après appel de la décision ; pourtant c'est dans ces conditions qu’un habitant de Châlons du nom d'Hubert avait été excommunié par le chapelain de sa paroisse. Aussi le pape demande-t-il à l'archevêque de Reims de rechercher la vérité et de mettre fin au conflit42.
21L'exercice du ministère de la confession n'allait pas sans risque. Ainsi le prêtre Vivien avait reçu d'un voleur les objets du culte que celui-ci avait dérobés, avec mission de les rendre à l'église spoliée. Le voleur alla ensuite trouver le chapelain de cette dernière église et lui fit savoir, contre redevance, que Vivien était l'auteur du forfait. Au jour fixé pour la restitution, Vivien alla porter les objets volés au chapelain, et il rencontra sur la route celui-ci accompagné du voleur. Vivien voulut lui rendre son bien, lui expliquant qu'il avait eu connaissance du vol par la confession, mais le chapelain déclara que c'était faux, le fit saisir et traiter comme un voleur. En conséquence, l'évêque retira à ce prêtre l’église qu'il possédait depuis quarante ans, et le frappa d'excommunication. Toutefois, devant l’énormité du forfait, le prélat eut des doutes et donna l'absolution à Vivien. Par la suite, le pape demanda à l'archevêque de Reims d'examiner la situation de ce prêtre qui s'est adressé à lui : s'il est innocent, son église doit lui être restituée43.
22Première église du diocèse, la cathédrale de la cité épiscopale occupait une place à part dans la vie religieuse des fidèles44 : c'était d'ailleurs aux diocésains qu'il revenait d'assurer son entretien45. Ainsi, Geoffroy, évêque de Châlons de 1131 à 1142, avait incité les paroissiens des églises du doyenné de Vertus à donner pour le luminaire de la cathédrale Saint-Etienne quarante livres. Par la suite, à l'initiative de l'évêque Boson (1153-1161), le montant de ce don fut porté à dix livres. Mais le trésorier du chapitre, responsable des bâtiments et du culte en la cathédrale, avait voulu convertir ce don en redevance régulièrement acquittée. Aussi avait-il contraint les prêtres à exiger de chaque paroissien, riche ou pauvre, une obole destinée à la cire de la cathédrale46. Les chanoines de l'église-mère, et spécialement le trésorier, en arrivaient donc à abuser de leurs privilèges, mais les prêtres du doyenné prirent la défense de leurs fidèles, ce qui est révélateur de l'existence d'une solidarité à l'intérieur d'une circonscription ecclésiastique. On sait que les problèmes posés par l'entretien des édifices du culte devaient trouver une solution quelques décennies plus tard.
23Ces quelques anecdotes, que nous avons voulu remettre dans leur contexte, nous paraissent représentatives de la situation de la paroisse au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, après ce qu'il est convenu d'appeler la Réforme grégorienne. L'institution tend à se stabiliser à partir des principes posés aux époques précédentes, mais les différents partenaires sont portés à outrepasser leurs droits. C'est désormais devant l'autorité pontificale de plus en plus présente et agissante que sont portés les litiges. Rome confie alors à des ecclésiastiques éminents le soin d'apaiser les contestations en attendant que des conciles et la législation pontificale apportent de nouvelles précisions. Enfin, l'usage qui s'établit d'en appeler au Siège Apostolique est lourd de conséquences pour l'avenir.
Notes de bas de page
1 Pour la connaissance d'Alexandre III, on se reportera à la thèse de M. Pacaut, Alexandre III. Etude sur la conception du pouvoir pontifical dans sa pensée et dans son œuvre, Paris, 1956, à J. Longere (sous la direction de-), Le troisième concile du Latran (1179). Sa place dans l'histoire, Paris, 1982, à Rolando Bandinelli. Papa Alessandro III, études recueillies par F. Liotta, Sienne, 1986, et aux importants travaux de L. Falkenstein, en particulier « Alexander III und der Streit um die Doppelwahl in Châlons-sur-Marne », dans Deutsches Archiv, t. 32,1976, p. 444-494, « Pontificalis maturitas vel modestia sacerdotalis ? Alexander III und Heinrich von Frankreich in den Jahren 1170-1172 », dans Archivum Historiae Pontificiae, t. 22,1984, p. 31-81.
2 L'identification des noms de lieu n'est pas toujours facile : nous ne donnons ici que les toponymes que nous avons pu identifier avec certitude.
3 Cum olim Senonis présentes essemus... (P.L. 200, col. 383A, cf. J.L 11.216).
4 Sur Henri de France, voir M. Pacaut, Alexandre III, p. 76, 116-117, 145-147 ; P. Desportes, Reims et les Rémois aux XIIIe et XIV siècles, Paris, 1979, p. 82-85, 108 ; L. Falkenstein, op. cit. ; « Henri de France », DHGE, t. 23, col. 1129-1132, Paris, 1990 (P. Demouy).
5 Conformément à la décision du concile de Clermont de 1095, ensuite reprise au 1er concile du Latran de 1123, can. 18 (Conciliorum Oecumenicorum Decreta, éd. J. Alberigo, 3e éd., Bologne, 1973, p. 194).
6 Cf. art. « Bénéfices ecclésiastiques », DDC, t. II, col. 407-420, Paris, 1937, p. 194.
7 Voir sur ce point les statuts synodaux de Cambrai de 1260.
8 Cf. art. « Dimissoriales », DDC, t. IV, col. 1244-1245, Paris, 1949.
9 P.L. 200, col. 678A, no 733 (JL 11.798).
10 L’église de Tours-sur-Marne dépendait du prieuré du lieu. Act. dép. Marne, arr. de Reims, cant. Ay.
11 Act. Jouy-1'Abbaye, com. Chenoise, cant. Provins, dép. Seine-et-Marne.
12 P.L. 200, col. 1009 CD, no 1162 (JL 12.422).
13 Cf. art. « Titre », DDC, t. VII, col. 1279-1281.
14 « Nec tamen eum in aliquam ecclesiam intilulasti » (PL 200, col. 517D, no 522 ; JL 11.456).
15 Ut ipse in ordine possit Omnipotenti Domino fideliter deservire (ibid).
16 Conciliorum Oecumenicorum Decreta, can. 5 p. 214.
17 Schisme provoqué par l’élection de Victor IV, cf. R. Foreville et J. Rousset de Ρινα, DU premier concile du Latran à l'avènement d'innocent III (1123-1198), t. 9, le part., Histoire de l'Eglise depuis les origines jusqu'à nos jours, Paris, 1953, p. 50-67.
18 P.L. 200, col. 739-740, no 804 (JL 11.922).
19 P.L. 200, col. 1197B, no 1376 (JL 13.198).
20 Paroisse de l'ancien diocèse d'Amiens, act. com. de Framicourt, cant. Gamaches, arr. Abbeville, dép. Somme. Cette paroisse était possession de l'archidiacre de Ponthieu (Pouillés de la province de Reims, publiés par A. Longnon, Recueil des Historiens de la France. Fouillés, 2 vol., Paris, 1908, p. 553).
21 P.L. 200, col. 760B, no 836 (JL 11.958).
22 Autres exemples, ibid., col. 514CD, no 517 ; col. 938AB, no 1063 (JL 11.450 ; 12.268). Eglise de Nisi : act. Nizy-le-Comte, cant. Sissonne, arr. Laon, dép. Aisne.
23 P.L. 200, col. 807D, no 906 (JL 12.029). Sur l’église de Baulne, voir L. Duval-Arnould, « Etat et carte du diocèse de Soissons d'après les listes bénéficiales de la fin du XIVe siècle », dans MEFRM, t. 84-85,1972, p. 325-359,159-266.
24 P.L. 200, col. 747B, no 816 (JL 11.935). L'agglomération de Doullens était divisée en trois paroisses : Saint-Martin, Notre-Dame et Saint-Pierre (Fouillés, p. 531).
25 P.L. 200, col. 899C, no 1019 (JL 12.194).
26 P.L. 200, col. 819-820, no 927 (JL 12.052).
27 P.L. 200, col. 369C, no 342 (JL 11.198). Vanault : act. Vanault-les-Dames, cant. Heiltz-le-Maurupt, arr. Vitry-le-François, dép. Marne.
28 Eglise de l'ancien diocèse de Châlons, act. cant. Vertus, arr. Châlons-sur-Marne, dép. Marne.
29 P.L. 200, col. 791B, no 883 et 951BD, no 1085 (JL 12.005 ; 12.296).
30 P.L. 200, col. 811-812, no 912 (JL 12.036).
31 P.L. 200, col. 846CD, no 970 (JL 12.109). Dudzeele : cant. Bruges, prov. Flandre Occidentale, Belgique.
32 P.L. 200, col. 775A, no 857 (JL 11.978).
33 Sur ces remplaçants des membres de la hiérarchie diocésaine, voir J. Avril, Le gouvernement des évêques et la vie religieuse dans le diocèse d'Angers (1148-1240), 2 vol., Paris (1984), p. 253-254.
34 P.L. 200, col. 681-682, no 739 (JL 11.805).
35 Paroisse de l'ancien diocèse de Châlons, dont l'église dépendait au XVIe siècle des chanoines réguliers de Châtrices, si l'on en croit le pouillé de 1405 (Fouillé, p. 165). Act. Elise Daucourt, cant, et arr. Sainte-Menehould, dép. Marne.
36 P.L. 200, col. 965A, no 1105 (JL 12.321).
37 Voir le serment prêté par les prêtres du diocèse du Mans au milieu du XIIIe siècle : J. Avril, « Naissance et évolution des législations synodales dans les diocèses du nord et de l'ouest de la France (1200-1250) », dans ZSS, KA, t. 72,1986, p. 152-249.
38 P.L. 200, col. 383A, no 358 (JL 11.216).
39 P.L. 200, col. 830-831, no 944 et 946 (JL 12.075 ; 12.077).
40 P.L. 200, col. 1011B, no 1165 (JL 12.425).
41 IVe Latran, can. 66 (Conciliorum Oecumenicorum Decreta, p. 265).
42 P.L. 200, col. 683AB, no 741 (JL 11.807).
43 P.L. 200, col. 681AB, no 738 (JL 11.803).
44 C'était notamment un lieu de pèlerinage : statuts d'Etudes de Sully, can. 101, d'Angers, saint Luc 1293, can. 3. Voir sur ce point Les statuts synodaux angevins de la seconde moitié du XIIIe siècle, éd. J. Avril (Les statuts synodaux français, t. 3, Paris, 1988, p. 166-169 et n. 12).
45 Des quêtes étaient organisées à cette intention, et la fabrique recevait des donations, voir l'exemple d’Angers au XIIIe siècle (J. Avril, Le gouvernement des évêques, p. 425-430 ; 750-751).
46 P.L. 200, col. 904-905, no 1028 (JL 12.210).
Auteur
C.N.R.S. —I.R.H.T.
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Les formes dissociées de propriété immobilière dans les villes de France et d'Italie (xiie-xixe siècle)
Oliver Faron et Étienne Hubert (dir.)
1995