Épilogue
La dissolution des syndicats féminins chrétiens (1944)
p. 215-219
Texte intégral
1En 1944, un Bureau confédéral provisoire dirigé par Gaston Tessier se réunit à Paris pour régler les questions entourant la reprise des activités de la CFTC. Selon le témoignage de Madeleine Tribolati, le BC provisoire ne compte alors aucune femme dans ses rangs1. Parmi les décisions prises lors de cette réunion, il en est une qui concerne les syndicats féminins. En effet, le 10 septembre 1944, par le biais de la Circulaire confédérale, le Bureau provisoire annonce sa position à l’égard des organisations féminines :
Le Bureau confédéral Provisoire a décidé, à l’unanimité, de demander aux syndicats chrétiens féminins de s’intégrer immédiatement dans les organisations syndicales masculines déjà existantes ; il désire que, désormais, la seule formule admise par les organisations syndicales chrétiennes soit celle du syndicat mixte.
Cette intégration des Syndicats féminins dans les Syndicats mixtes doit obligatoirement s’accompagner de la construction des « Commissions féminines » et de l’admission dans les Bureaux des Syndicats, Unions et Fédérations de déléguées mandatées au titre de ces Commissions Féminines.
En conséquence, pour toutes les questions qui intéressent leurs adhérentes, les Syndicats et Unions devront désormais s’adresser à la Fédération qualifiée et non plus à la Fédération des Syndicats Féminins.
Les nominations au sein du Bureau Confédéral et de la Commission Administrative de la CFTC tiendront compte de cette situation nouvelle, la proportion des éléments féminins devant être déterminée par le premier Congrès confédéral2.
2C’est ainsi que par la décision unanime du Bureau provisoire prend fin, après plus de quarante ans d’histoire, l’expérience d’un syndicalisme féminin autonome au sein de la centrale chrétienne. Comme l’a fait remarquer Marie-Noëlle Thibault, cette décision possède un « caractère proprement extraordinaire du point de vue du fonctionnement des Confédérations syndicales »3. En effet, la dissolution d’un syndicat n’est jamais chose simple et demeure un événement exceptionnel compte tenu des problèmes que peut soulever une telle décision. Elle rappelle qu’un syndicat est une personne morale et qu’il est une organisation constitutive de la Confédération. A fortiori, il est encore plus étonnant qu’un organisme provisoire décide dans une simple circulaire de la dissolution de syndicats. Force est de constater avec Marie-Noëlle Thibault que cette dissolution est menée de façon tout à fait autoritaire et exceptionnelle. On peut se demander si, au lendemain de la Libération, il y avait urgence à décider de l’avenir des organisations féminines ? Par ailleurs, aucune autre instance, tel le Congrès national, n’est appelée à entériner la décision du Bureau provisoire.
3Pour justifier cette décision rapide et sans appel, la CFTC la présente comme la résultante de la collaboration à la Charte du travail des dirigeantes des syndicats féminins. Rappelons brièvement les faits. Le 12 novembre 1940, le Journal officiel publie le texte du décret fait à Vichy le 9 novembre par le Maréchal Pétain qui dissout la CFTC ainsi que la CGT et la Confédération des syndicats professionnels français. Le 4 octobre 1941 est adoptée la loi sur l’organisation sociale des professions qui institue le syndicalisme unique. Dans les faits, cette loi supprime les groupements libres qui avaient été consacrés par la loi du 21 mars 1884. Lorsque paraît la Charte du travail, Gaston Tessier ainsi qu’une majorité de militants de la CFTC refusent de collaborer à la réalisation du syndicalisme unique. Tessier, Poimboeuf et Chaulet sont choisis pour représenter le syndicalisme chrétien dans le comité d’organisation professionnelle chargé d’élaborer la Charte du travail. Leur mission est de rappeler la nécessité du pluralisme syndical4. Le 7 novembre 1941, un projet de résolution déposé par Tessier rend compte de la position des opposants à la Charte du travail. Après avoir rapidement rappelé la portée de la loi du 4 octobre 1941, Tessier estime que les organisations syndicales sont menacées de disparaître et que les syndicats chrétiens ne sauraient approuver, ni prendre part dans l’application d’une telle loi5. Il poursuit en précisant que les adhérents à la CFTC qui estimeront devoir participer à cette nouvelle organisation du travail, le feront à titre personnel. Au même moment, un second projet de résolution élaboré par les militants Jean Pérès et Georges Apprill, propose aux adhérents de la CFTC qui le souhaitent de participer aux divers organismes institués par la Charte du travail6.
4C’est ainsi que dans les mois suivants, se met en place un Comité de liaison des fédérations syndicales chrétiennes regroupant les militants qui ont accepté de participer aux travaux des commissions provisoires d’organisation des familles professionnelles instituées par la Charte du travail. Ce Comité de liaison compte parmi ses membres plusieurs militants connus de la CFTC tels que Georges Apprill, Lucien Léonard et Jules Mennelet. Parmi les militantes chrétiennes, nous retrouvons une seule représentante des syndicats féminins, il s’agit de Marguerite Lafeuille. Secrétaire générale de l’Union centrale des syndicats féminins, Lafeuille représente une des dirigeantes les plus importantes de la Fédération. Ceci dit, son adhésion à la Charte du travail demeure un choix personnel et n’est pas celui de toutes les militantes des syndicats féminins. De nombreuses dirigeantes nationales ou régionales se sont rangées derrière Gaston Tessier et ont refusé d’adhérer à la Charte. On peut penser à Eugénie Beeckmans, Marie-Louise Danguy, Madeleine Tribolati, Maria Engster, Jeanne Brasseur, militante active de l’Union locale de Rouen, qui dans une longue lettre adressée à Gaston Tessier7, relate les difficultés que lui a valu son opposition à la Charte, alors même que le président de son union, un certain Legendre, a participé à sa réalisation.
5Dans les faits, parmi les dirigeantes de l’Union centrale des syndicats féminins, deux militantes ont accepté de collaborer à la Charte du travail et seront pour cette raison exclues de la CFTC à la Libération. La première est Marguerite Lafeuille et la seconde est l’ancienne présidente de l’Union, Jeanne Aubert. L’adhésion de ces deux dirigeantes à la Charte du travail ne peut justifier la dissolution des syndicats féminins pour collaboration. Cette explication donnée par les membres du bureau provisoire aux militantes qui renouent avec la CFTC à compter de 1944-1945 ne peut vraisemblablement être retenue comme plausible. Nous croyons pour notre part avoir montré que la dissolution des syndicats féminins en 1944 trouve ses origines avant la Deuxième Guerre mondiale dans la crise que traverse le syndicalisme féminin autonome à compter de 1936. Car, à compter de cette date, la constitution de syndicats séparés pour les hommes et les femmes ne semble plus correspondre aux besoins des jeunes générations qui adhèrent au mouvement syndical chrétien. Face à la CGT unifiée, la CFTC doit elle aussi donner l’image d’une centrale forte du point de vue organisationnel, dynamique dans son développement et moderne, c’est-à-dire mixte dans son fonctionnement. Dès lors, les organisations féminines – dont la naissance s’inscrit dans un contexte culturel et historique précis datant d’avant la Première Guerre mondiale qui renvoie, entre autres, aux difficultés de syndiquer les travailleuses – paraissent désormais comme des structures plus ou moins surannées, archaïques, pour ne pas dire réactionnaires.
6Même si, avant la Deuxième Guerre mondiale, les syndicats féminins poursuivent leur développement de façon autonome au sein de la CFTC, il n’en demeure pas moins que l’avènement des syndicats mixtes ainsi que la mise en place de nouvelles structures telles que les commissions féminines représentent un premier pas vers la réalisation complète de la mixité au sein de la centrale chrétienne. Dès lors, l’intégration définitive des syndicats féminins aux syndicats masculins n’est plus qu’une question de temps. La constitution d’un bureau provisoire pour la remise en marche de la CFTC en 1944 a donné l’occasion la plus opportune pour procéder à la dissolution du syndicalisme féminin sans avoir à engager de longues négociations avec les militantes comme le craignait Maurice Guérin en 1938. Au lendemain de la Libération, la reprise en main du mouvement féminin au sein de la centrale se fait par le biais des commissions féminines. C’est ce que nous apprend Marie-Louise Danguy dans une brochure publiée par la CFTC en 19488. Dans son texte, Danguy, alors secrétaire-adjointe de la centrale chrétienne, relate brièvement l’évolution du mouvement syndical féminin chrétien depuis la fondation des syndicats lyonnais en 1899 jusqu’aux années quarante. Après un bref historique rappelant les moments forts de l’action syndicale féminine, elle aborde l’état du syndicalisme féminin au sein de la CFTC après 1945. Elle présente rapidement la position de la Confédération qui, depuis 1944, a aboli les syndicats féminins. Elle ne consacre que quelques lignes à cet événement pourtant fondamental dans l’histoire du syndicalisme féminin. Elle rappelle la création de la Commission féminine ainsi que le règlement de 1938 qui précisait son rôle et son but. Elle précise qu’en 1944 il a suffi de reprendre les dispositions de ce règlement pour faire revivre la Commission féminine. Danguy omet de parler des syndicats féminins, dont le statut était également précisé dans le règlement de 1938. Elle n’est pourtant pas sans savoir que les commissions féminines n’ont rien à voir avec les syndicats féminins qui les ont précédées. Mais au lendemain de la guerre, ce sont les commissions qui incarnent désormais le mouvement féminin au sein de la CFTC.
7La dissolution des syndicats féminins autonomes n’a pas été sans conséquence sur l’état du militantisme féminin au sein du mouvement syndical chrétien après 1945. L’étude de Marie-Noëlle Thibault nous rappelle que la manière dont s’est réalisé le processus de mixité – avec l’accusation de « collaboration » des dirigeantes des syndicats féminins – marque l’effondrement de la présence féminine au sein de la CFTC au moins jusqu’à la fin des années quarante9. Par ailleurs, les événements entourant la dissolution des organisations féminines n’ont pas permis aux quelques militantes qui sont restées actives après 1945 de mener une analyse approfondie sur une expérience, riche et originale. En fait, les syndicats féminins n’ont plus d’histoire et cette absence a rendu longtemps indistincts les formes et les contours d’une culture et d’une pratique spécifiquement féminine à l’intérieur du mouvement syndical.
Notes de bas de page
1 Entrevue réalisée avec Madeleine Tribolati à Paris en 1990.
2 « Instructions relatives aux syndicats féminins », Circulaire confédérale, nouvelle série, no 1, 10 sept. 1944.
3 M.-N. Thibault, M. Ducrocq-Poirier, Les Femmes de la CSN (Québec) et de la CFDT (France) et le féminisme, Paris, ATP-Femmes, CNRS, 1988, p. 11.
4 B. Béthouart, « De la CFTC à la CFTC maintenue : itinéraires chrétiens », Chrétiens et ouvriers en France, 1937-1970, (Bruno Duriez et al.,), Paris, Éd. de l’Atelier, 2001, p. 197.
5 APGT. Chemise « Charte du Travail ».
6 APGT. J. Pérès, G. Apprill, « Projet de résolution », non daté. Chemise « Charte du travail
7 APGT. Lettre du 13 janv. 1943. Dossier « Correspondance : Rouen ».
8 M.-L. Danguy, Les Femmes et l’action syndicale, Paris, CFTC, 1948.
9 M.-N. Thibault, M. Ducrocq-Poirier, Les Femmes de la CSN, op. cit., p. 13-14.
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