Chapitre 3. L'esprit de corps
p. 99-122
Texte intégral
1On prête à Vincent de Paul les paroles suivantes, quand il fonda les Filles de la Charité au xviie siècle : « Quand vous quitterez l'oraison pour soigner un malade, vous quitterez Dieu pour Dieu. Soigner un malade, c'est faire oraison »1. Les congrégations religieuses actives du xixe siècle sont animées du même esprit. L'objectif des Sœurs de Saint-Joseph est de rassembler des religieuses qui ne se sentent pas appelées à vivre dans le cloître mais veulent, par contre, tendre à la perfection en s'adonnant aux bonnes œuvres. Le but des Frères Maristes est de « travailler à leur propre sanctification et de procurer le salut des âmes, en élevant chrétiennement les enfants » et celui des Sœurs de l'Enfant-Jésus « non seulement de travailler à sa propre perfection, mais encore de coopérer au salut et à la sanctification des autres, spécialement par l'instruction et l'éducation de la jeunesse »2. Au lieu de s'exclure du monde, ces religieux et religieuses pénètrent dans la société pour s'y adonner aux bonnes œuvres : soin des malades et des mourants, aide aux indigents et surtout l'éducation – chrétienne et profane – des masses. L'un de leurs objectifs est certainement de répandre les valeurs chrétiennes dans cette population, par l'exemple et par l'instruction, mais aider les pauvres, les malheureux et les ignorants est en soi un moyen de sanctification. En servant les autres, ils pensent également sauver leur propre âme.
2Les congrégations religieuses actives comme celles-ci caractérisent le renouveau catholique du xixe siècle et démontrent la capacité de l'Église à adapter les vieilles institutions aux nouveaux besoins. Condamnées au xviiie siècle comme dénaturées, parasitaires et inutiles par les philosophes comme Voltaire et Diderot aussi bien que par les révolutionnaires qui essaient de les éliminer, les congrégations religieuses dans le xixe siècle s'engagent comme acteurs des sociétés dans lesquelles elles vivent. Modelées sur les congrégations de la Réforme telles les Jésuites ou les Filles de la Charité, elles différent fondamentalement de celles de l'Ancien Régime, à la fois par leur objectif et par leur organisation3. Le salut s'opère par le service actif envers autrui plutôt que dans l'enceinte du monastère et du couvent. Parce que la tâche primordiale de la congrégation se situe à l'extérieur, dans le monde ; la clôture est impossible et les religieux sont dispersées. Les communautés particulières ne sont plus autonomes mais responsables devant une autorité hiérarchisée et centralisée, dominée par la figure du supérieur général. Chaque membre de la congrégation, depuis le supérieur général jusqu'au plus jeune novice, a une place et une fonction spécifiques.
3Dans l'activité éducative, cette nouvelle organisation est précieuse. Dans la France du xixe siècle, travailler comme enseignant primaire est physiquement ardu, mal payé et souvent solitaire. Les enseignants travaillent au village où les paysans ont peu d'expérience ou d'estime pour l'enseignement ou dans les villes surpeuplées où les enfants envahissent leurs classes. Ils travaillent sous les ordres et à la merci des curés, membres des comités scolaires, des conseilleurs municipaux et des bienfaiteurs indiscrets, lesquels ne s'entendent pas toujours bien. Les institutrices, qui doivent rester célibataires, encourent la méfiance des parents comme des pouvoirs publics. Dans ces conditions, qui se sont lentement améliorées pendant le siècle, les congrégations enseignantes ont plusieurs avantages. Organisations centralisées avec des lignes directrices bien définies, elles peuvent recruter, former et placer les enseignants de manière efficace et ordonnée. Peut-être plus important encore, les congrégations peuvent développer un sens communautaire et un « esprit de corps » qui donnent aux religieux enseignants le sentiment d'une identité professionnelle qui contraste nettement avec l'expérience de nombreux enseignants laïcs, surtout les femmes, avant 1800.
4Ces avantages résultent de l'adaptation des formes monastiques anciennes, comme la règle, l'obéissance et la chasteté, pour satisfaire les besoins de l'enseignement et de la société du xixe siècle4. Ainsi, les congrégations créent un corps enseignant distinctif dont les caractéristiques essentielles sont finalement adoptées par les enseignants laïcs aussi. Dans leur comportement, leur allure et leur attitude, les enseignants congréganistes servent de modèles pour l'éducateur idéal. Pour les femmes, les congrégations fournissent une des rares voies acceptables pour une carrière professionnelle, et les femmes s'engagent dans les congrégations enseignantes et y restent dans les proportions beaucoup plus grandes que les hommes. Les congrégations offrent les avantages d'une identité collective et d'un projet commun, qui améliorent de beaucoup la capacité des frères et des sœurs enseignants à agir comme éducateurs et comme missionnaires. Enracinés dans la tradition, consacrés à une vocation religieuse et tenus par des règles et un idéal collectif, les enseignants congréganistes ont presque inventé le métier d'enseignant au xixe siècle.
L'observance des règles
5À partir du moment où ils entrent dans une congrégation religieuse comme postulants, les enseignants congréganistes suivent un strict code de conduite qui définit leur vie professionnelle et personnelle. Les constitutions, directoires et livres de règles abondent dans les nouvelles congrégations. Leur objectif est d'assurer le respect de la tradition et de l'autorité, le but commun et l'uniformité. « Notre but », disent les constitutions des Sœurs de Saint-Charles en 1834, « ne devait pas être de dire des choses nouvelles, ni de rien inventer, mais de consulter tout ce qui a été écrit avant nous ». Dans toutes les communautés, les sœurs doivent étudier, aimer, estimer et pratiquer les règles « avec une exactitude inviolable », afin d'amener les bénédictions de Dieu sur la congrégation ; une fois par semaine, on lit les constitutions à haute voix pendant le repas5. Pour des maîtres et des maîtresses congréganistes travaillant seuls, comme les Clercs de Saint-Viateur ou les Sœurs de l'Enfant-Jésus, l'adhésion à la règle est même encore plus importante pour assurer la conformité religieuse et pédagogique et pour entretenir le sens de la communauté. Les règles des Sœurs de l'Enfant-Jésus déclarent que les sœurs « employées aux classes doivent se proposer la même fin et être animées du même esprit ; agissant ainsi toutes de concert, elles procureront efficacement l'avancement de leurs élèves »6.
6La régularité monastique a été, évidemment, la caractéristique des ordres religieux depuis saint Benoît, mais les congrégations actives du xixe siècle modifient leurs règles et prescriptions pour se conformer à leur nouveau rôle social. L'horaire est celui d'un monastère avec des modifications, commençant à quatre heures et demie ou cinq heures du matin, par la prière et la messe, puis le petit-déjeuner, les classes du matin, le déjeuner, les classes de l'après-midi, une heure de libre ou à peu près, avant ou après dîner, prière du soir et coucher à huit heures et demie ou neuf heures7. Les exercices religieux sont réservés au matin ou au soir, bien que des lectures spirituelles aient habituellement accompagné chaque repas.
7L'enseignement était en soi une sorte de clôture : « se renfermer dans l'enceinte d'une classe comme dans un cloître », ainsi que le décrit un manuel du xixe siècle. De même, ne demande-t-on aucune mortification physique spéciale aux religieux enseignants car « le travail pénible des classes et la plupart des emplois auxquels elles sont appliquées, sont déjà un exercice suffisant de la pratique de la mortification ». Le cofondateur des Sœurs de la Sainte-Famille rappelle à une religieuse : « Dites bien aux sœurs de la classe de se bien soigner pour la santé ; l'on me dit qu'elles sont un peu fatiguées. Qu'elles parlent donc le moins possible...qu'elles se nourrissent bien, même le Carême »8. La vigueur physique est plus importante que le jeûne religieux ; la règle du silence est invoquée non pas pour des motifs spirituels mais pour économiser les voix en vue de la classe.
8De la même façon, l'organisation des congrégations religieuses actives reflète leurs nouvelles fonctions sociales. Sur le modèle des Jésuites et des Frères des Écoles Chrétiennes, l'autorité descend de haut en bas. Chaque communauté particulière est responsable devant le supérieur général de la congrégation, à qui les religieux ont fait vœu d'obéissance, et qui prennent toutes les décisions concernant les nouveaux établissements et le placement de chaque membre. Le supérieur général est « la tête de tout le corps... la sentinelle placée sur le haut de la montagne pour veiller jour et nuit au salut des siens et en écarter tous les dangers »9. La prospérité d'une congrégation reposait sur les qualités administratives et relationnelles de ses chefs. Bien que le supérieur général soit élu pour une période déterminée, habituellement cinq ans, les supérieurs peuvent rester et de fait restent en fonction pendant plusieurs mandats, la plupart occupant le poste jusqu'à leur vieillesse ou leur mort. Les Frères des Écoles Chrétiennes ont eu un seul supérieur général, le Frère Philippe, de 1838 à 1874. Les Sœurs de Saint-Joseph n'ont eu que trois supérieures de 1808 à 1875 et les Frères Maristes trois de 1817 à 187910. Dans les congrégations nouvelles, les fondateurs restent supérieurs généraux jusqu'à leur mort, à la suite de laquelle s'établit un processus régulier d'élection. Dans les débuts d'une congrégation enseignante, les fondateurs portent pratiquement seuls le travail administratif de leur institut. En 1828, Marcellin Champagnat est le seul administrateur des Frères Maristes, assurant la correspondance avec les autorités académiques, les responsables diocésains, les curés et les conseils municipaux, négociant tous les contrats scolaires et décidant du placement des maîtres, sélectionnant les nouvelles recrues. Il visite personnellement aussi chaque école et examine lui-même les élèves, en dépit de la croissance rapide de la congrégation (80 enseignants et 2 000 élèves dès 1827), afin de s'assurer que « nos frères se comportent comme il faut »11.
9Mais les congrégations plus importantes, et celles qui se développent, exigent plus d'une personne en responsabilité. Les autres rôles administratifs comprennent les assistants, le secrétaire, l'économe, la maîtresse ou le maître des novices, et les inspecteurs. Ces personnes sont habituellement nommées par le supérieur général qui cherche à rassembler au sommet une équipe d'administrateurs bien doués et ayant la même tournure d'esprit. Chez les Frères des Écoles Chrétiennes, dès 1860, il y a dix ou douze assistants autour du supérieur général à la maison-mère de Paris. Au cours d'une seule année, un assistant peut répondre aux lettres de 2 400 frères. Dans cette congrégation et dans celle des Frères Maristes, l'institut est divisé en provinces avec pour chacune un assistant entouré d'aides. L'administration des Clercs de Saint-Viateur, congrégation beaucoup plus petite, se limite cependant à trois provinces françaises, et la hiérarchie administrative ne devient officielle qu'en 188012. La plupart des congrégations ont également un conseil, parfois deux, aidant le supérieur général dans les questions administratives. Ce conseil se réunit régulièrement pour discuter de problèmes tels que l'ouverture de nouvelles écoles, l'achat de propriétés, l'exclusion de certains membres, les sérieuses infractions à la règle et les nominations dans le personnel.
10L'un de leurs devoirs les plus importants est la sélection de personnel en vue du travail confié à la congrégation, à la maison-mère et dans des centaines de maisons locales. Pouvoir déplacer le personnel à volonté est l'un des plus importants privilèges qu'exercent les congrégations religieuses en tant que corps. Il leur donne la flexibilité nécessaire pour répondre aux demandes d'ouverture de nouvelles écoles, pour renforcer ou diminuer l'encadrement des écoles existantes et pour récompenser les enseignants doués par des postes plus importants. Le supérieur général, après avis du conseil, décide de toutes les nominations, qui sont ensuite sujettes à révision chaque année. À la fin de septembre ou au début d'octobre, après la retraite annuelle et avant la réouverture des classes, des séances entières sont consacrées au placement des frères et des sœurs enseignants. Le placement annuel est l'une des tâches les plus difficiles « parce qu'il demande au supérieur une connaissance parfaite des sujets qu'il emploie, de l'état et des besoins de ses maisons, de l'esprit des populations et des dispositions des autorités locales »13. Des placements inadéquats seraient des sources d'ennuis pendant l'année, provoquant des désordres dans les établissements religieux et des plaintes de la part des autorités scolaires et des bienfaiteurs.
11La croissance rapide de beaucoup de ces congrégations et le volume même des demandes ont pour résultat une rotation fréquente du personnel. Les relations avec les gens de la localité sont facilitées par la volonté des congrégations de répondre aux plaintes concernant certains maîtres et de les remplacer. En 1855-56, au moins un inspecteur, visitant les écoles dans les secteurs de Montbrison et de Saint-Étienne (Loire), sent que les écoles congréganistes ont la préférence des communes à cause de la facilité avec laquelle les maîtres sont déplacés par leurs supérieurs, s'il y a des problèmes14. Les habitants de Thel (Rhône) veulent une frère enseignant « d'un âge mûr qui puisse inspirer un certain respect aux enfants et de la confiance aux parents » ; à Valfleury (Loire), le curé demande, de la part de la paroisse, le remplacement du Frère Joseph qui a fait montre « d'un manque d'instruction », « d'un défaut de jugement » et « d'un caractère irascible »15. En conséquence, les frères enseignants, en particulier, sont souvent déplacés au cours de leur carrière. Les Frères des Écoles Chrétiennes travaillant dans le district de Lyon passent, en moyenne, quatre ou cinq ans dans un poste avant d'être nommés à un autre. Au cours d'une carrière moyenne, ils passent dans huit ou neuf écoles16. À Oullins (Rhône), par exemple, 48 Frères des Écoles Chrétiennes ont été présents dans la communauté, entre 1838 et 1874. L'un d'entre eux y reste plus de 10 ans (de 1846 à 1891), cinq y séjournent de 5 à 10 ans, quinze un ou deux ans, et onze moins d'une année scolaire17. Dans les écoles tenues par les Frères Maristes, les supérieurs nomment, en moyenne, un directeur tous les quatre ans18. Les inspecteurs des écoles et les curés se plaignent également des fréquents changements parmi les frères enseignants, craignant en conséquence d'avoir des écoles avec des maîtres très jeunes et peu formés. Le curé de Murinais (Isère), par exemple, intervient auprès des Frères Maristes pour qu'ils remplacent l'un au moins des jeunes maîtres qu'il a reçus « par un Frère qui ne soit pas un enfant »19. Un inspecteur du district de Saint-Étienne, en 1851, met ces fréquents changements sur le compte de la prudence des supérieurs qui veulent éviter toute difficulté dans les communautés. Trois ans plus tard, il pense que le problème est la conséquence de la croissance rapide de la congrégation et de la forte demande de créations nouvelles20.
12Accepter sans se plaindre les décisions de changement est l'un des tests de l'obéissance pour les sœurs et les frères enseignants. On attend d'eux d'aller là où ils sont envoyés et les directeurs ou supérieurs locaux se doivent de les accepter. Les règles de toutes les congrégations enseignantes sont très explicites sur ce point. Les constitutions des Sœurs de Saint-Joseph, par exemple, exhortent les religieuses à pratiquer une « sainte indifférence » quant à leur placement, car l'ambition est coupable. Les Frères du Sacré-Cœur ne doivent pas s'attacher à quelque tâche, place ou personne particulière. Les Sœurs de Saint-Joseph sont informées qu'en ce qui concerne les changements de poste, « il est permis, si l'on croit avoir quelques raisons, de les exposer avec respect, mais ensuite il faut obéir »21. L'attachement affectif à un poste donné est aussi une raison pour ne pas envoyer les religieuses dans leur village natal. En 1881, seulement 60 sur 1 529 membres des Sœurs de Saint-Joseph enseignent dans leur commune d'origine22. Les supérieurs locaux n'ont pas le droit de refuser les sujets qui leur sont envoyés ou de solliciter l'envoi de tel ou tel enseignant, spécialement ceux qui ont été élèves de l'école ou qui ont apporté des biens à la congrégation. Quand la supérieure locale de l'école des sœurs de Saint-Joseph à Irigny proteste contre le transfert de l'une ses maîtresses, le conseil n'en tient pas compte23.
13D'une façon générale, les personnes concernées semblent avoir accepté les décisions de placement comme faisant partie de leurs devoirs religieux. Timide et effrayée, cette sœur de l'Enfant-Jésus ne protesta pas lorsqu'elle fut brusquement informée qu'elle devait rejoindre son premier poste :
Le jour de la Toussaint, après souper, notre vénérée Mère du Sablon m'appela dans sa chambre. Comme toujours, je me mis à trembler... Allons, ma chère enfant, me dit-elle aussi tôt qu'elle m'aperçut, vous allez partir cette nuit ; je vous envoie à Coise.... Ce nom de Coise me déplut ; ce mot de prudence m'effraya ; ma timidité naturelle qui redoublait en présence de mes supérieures ne me permit pas de prononcer une parole. Et je partis de Claveisolles sans plus d'explications24.
14Le Frère Paul Marquès, Clerc de Saint-Viateur, souhaite un changement, après neuf années à Saint-Martin-de-Beaujeu (Rhône), « mais ayant fait abnégation de ma volonté je me soumettrai à la décision de la Providence ». Par contre, son confrère, le Frère Régis Ladreyt écrit au supérieur général, en désespoir de cause, pour lui faire part de son incapacité à accepter tous ses fréquents changements :
... tous ces changements commencent à m'ennuyer : voilà trois ans de suite que vous me faites quitter mon poste au beau milieu de l'année, au moment où je commence à m'habituer dans un pays. À Vourles on me dit pour m'encourager que je suis un homme de ressources. Cela signifie, je crois, que quand les autres ne veulent pas d'un morceau, c'est à moi de l'avaler. Merci du compliment. Si j'étais un peu plus religieux que je ne le suis, je les avalerais plus facilement ces morceaux. J'aime bien faire la classe, j'aime bien aussi à me trouver avec les confrères, mais je suis porté à repousser tout ce que la vie régulière a d'austère et de régulier25.
15Comme cette plainte le montre, on attend des frères et sœurs enseignants qu'ils subordonnent leurs intérêts personnels au bien de la congrégation et de ses œuvres, dans la tradition de l'obéissance et de l'ordre monastique.
16La plupart des congrégations exigent un minimum de trois religieux par communauté, pour des raisons de régularité et de facilité26. L'engagement spirituel et la conformité religieuse sont mieux assurés dans les maisons de plus d'un religieux. Dans les communautés de trois membres, il y en a deux dans l'école, un pour les élèves plus âgés, l'autre pour les plus jeunes et le troisième s'occupe de la maison, avec en plus, dans le cas de religieuses, le soin des malades et des pauvres27. Dans les villes évidemment, les communautés sont beaucoup plus grandes. Les Sœurs de Saint-Charles tout comme les Frères des Écoles Chrétiennes, ont, dans les villes où ils travaillent, des communautés centrales, d'où les enseignants se rendent à pied chaque matin dans leurs écoles. À Lyon, ils résident dans leur maison-mère. En 1808, par exemple, la communauté des Frères des Écoles Chrétiennes à Lyon comprend le vicaire général, le directeur, le maître des novices, l'économe, le secrétaire, vingt-cinq enseignants, quinze novices, cinq frères âgés ou malades, deux infirmiers, deux cuisiniers, un linger, un tailleur et un portier, pour un total de cinquante-trois frères. À Saint-Étienne, en 1854, ils ont trente-neuf enseignants salariés, un économe, un cuisinier, un infirmier et trois maîtres remplaçants28.
17Une maison religieuse est organisée comme un modèle réduit de la congrégation entière, avec de strictes relations d'autorité. Les directives données aux jeunes Frères Maristes les incitent à rendre compte chaque jour de leurs actes et de leurs difficultés au directeur et à suivre ses instructions. Bien que responsables habituellement dans leur propre classe, ils enseignent dans des classes contiguës, « communiquant par une cloison vitrée », ce qui fait qu'ils ne sont jamais vraiment seuls. Les règles des sœurs de Saint-Charles spécifient qu'aucun achat pour l'école ne doit être fait par les maîtresses, sans la permission de la directrice et que, si elles trouvent quelque livre inconnu entre les mains d'une élève, elles ne doivent pas l'examiner elles-mêmes mais le donner à la supérieure29. En dépit du système de dépendance vis-à-vis du supérieur local, les religieux, cependant, ne lui doivent pas une obéissance inconditionnelle ; ils peuvent toujours en appeler au supérieur général. Six Frères Maristes envoient une lettre à Marcellin Champagnat pour protester contre « plusieurs abus » de la part du directeur, tels que changer les heures du lever et du coucher, leur laisser trop peu de temps pour les exercices de piété, ne pas leur donner assez de nourriture, ni « les choses les plus nécessaires surtout pour le linge »30. Mais malgré de plaintes occasionnelles, de nombreux enseignants semblent témoigner de la reconnaissance pour les qualités administratives de leurs directeurs. « Ayez la bonté », écrit un novice Clerc de Saint-Viateur, « de nous envoyer un régent pour diriger notre établissement ou sinon il n'aura aucune réussite quoiqu'il eût de belles apparences, les moyens nous manquent... Je n'ai pas cette énergie pour demander de l'argent... »31. De bons directeurs sont indispensables pour la bonne marche et la prospérité de la communauté religieuse.
18Les bonnes relations entre les membres sont également nécessaires. Les maîtres se doivent de travailler en équipe, « dans une entente parfaite » qui assurera « la prospérité de leurs écoles ». Le meilleur compliment qui peut être donné à un établissement c'est qu'il bénéficie d'un « esprit de famille ». L'administration des écoles est plus facile quand les membres d'une communauté marchent du même pas et quand « un Frère véritablement humble... ne cherche pas les postes et les emplois relevés ; il ne désire pas tenir une classe plutôt qu'une autre. La vertu monastique de l'humilité demande qu'aucun membre ne se place au-dessus de ses confrères. « Si vous croyez avoir quelques talents naturels de plus, soyez-en plus modeste », demandent les règles des Clercs de Saint-Viateur32. De même, des postes particuliers ne donnent pas droit, à ceux qui les détiennent, à un statut spécial. La constitution des Sœurs de Saint-Joseph avertit que les « sœurs employées dans les pensionnats... ne sont pas d'un rang supérieur » à « celles qui sont employées aux externats » et peuvent être appelées « ailleurs »33. Il y a des maîtres qui disent vivre et travailler ensemble « dans l'amitié et la concorde la plus parfaite ». Mais il y a aussi des lettres adressées à la maison-mère qui font penser que les conflits personnels sont probablement inévitables entre des gens travaillant proches les uns des autres. « Y a-t-il parmi les coadjuteurs des difficultés, des jalousies, des rivalités, ce qui arrive souvent, quand ils sont nombreux, comment les mettre d'accord ? » demande le directeur exaspéré de l'école d'Amplepuis (Rhône)34.
19Les supérieurs locaux et les directeurs d'école sont responsables vis-à-vis de la maison-mère et du supérieur général. Tout changement dans la politique scolaire ou dans le contrat avec la commune doit être approuvé par le supérieur général. Selon la règle, ils doivent adresser des rapports écrits à intervalles réguliers, habituellement tous les deux ou trois mois, mais à tout le moins une fois l'an35. Ils participent régulièrement aussi à une retraite annuelle qui a lieu à la maison-mère à la fin des vacances d'été. En outre, il y a tout un système d'inspections mis en place dans la plupart des congrégations pour s'assurer que les communautés locales fonctionnent selon les prescriptions de la règle et les attentes de la congrégation. De tels inspecteurs, habituellement appelés visiteurs ou visitatrices, sont des membres plus anciens et expérimentés de l'administration. À la fin du siècle, la visitatrice moyenne des Sœurs de Saint-Joseph est religieuse depuis trente-six ans36. Les qualités souhaitées pour une pareille fonction sont résumées comme suit : « un sens droit, un jugement éprouvé, un coup d'œil sûr et pénétrant, capable de tout dominer et difficile à se laisser surprendre, une mesure d'instruction convenable, une certaine habitude pratique des choses spirituelles et des affaires temporelles, un esprit à la fois conciliant et résolu »37. La tâche de ces personnes est d'évaluer la situation pédagogique, matérielle et spirituelle de l'établissement. Pour ce faire, elles passent dans les classes, examinent les maîtres et les élèves, vérifient les comptes et voient si les prières et les exercices spirituels sont faits. En même temps, elles peuvent porter un jugement sur les capacités des enseignants et sur leurs relations avec le curé et les bienfaiteurs. Le supérieur général des Frères Maristes rappelle aux visiteurs que leur tâche est à la fois de former et d'assurer la conformité : « Il doit diriger, former, encourager les Frères et favoriser leurs progrès en maintenant, dans les maisons, le goût de l'étude, la pratique du silence »38.
20De telles visites ont lieu chaque année dans les plus grandes congrégations et une fois tous les deux ans dans les plus petites. Cependant, les rapports existants jettent quelques doutes sur le fait de savoir si ces visites sont faites vraiment avec régularité. Les Clercs de Saint-Viateur décident au chapitre général de 1845 que les établissements avec un seul maître seront visités deux fois l'an et ceux qui ont deux maîtres une fois l'an ; le chapitre de 1865 répète la recommandation de faire des visites plus fréquentes d'au moins une fois l'an. Une année plus tard, les Frères Maristes décident également de resserrer leur système d'inspection, exigeant des inspecteurs de suivre une méthode précise ; jusque-là ils ont agi « sans régularité ». Le Frère Apollinaire, par exemple, « dans ses visites, s'était fait la réputation d'un habile joueur de boules, mais il n'avait pu inspecter utilement les classes ». Un carnet conservé par les Sœurs de Saint-Joseph de la communauté d'Apinac (Haute-Loire), a des annotations pour les années 1858, 1861, 1874, 1877, 1884, 1896 (deux fois), 1900, 1901, 1913 et 1919. Un autre registre, conservé à la maison-mère et portant sur les années 1860 et 1870, ne note que quelques visites par communauté, environ tous les cinq ans. En 1885, il y a trente-deux visitatrices dans le diocèse, pour cette congrégation39.
21L'existence d'un système d'inspection soulève la question de savoir si les règles rigides de ces congrégations enseignantes sont vraiment suivies. En l'absence, la plupart du temps, des témoignages des religieux eux-mêmes, il est impossible de répondre avec certitude. Des rappels dans les circulaires, concernant des infractions, semblent indiquer que certaines règles sont habituellement violées ou contournées. Les lettres émanant des supérieurs locaux contiennent des plaintes concernant les jeunes religieux en particulier. « Que deviendrons-nous et comment désormais les régents pourront-ils diriger leurs confrères ? » demande à Louis Querbes le Frère Jean-Pierre Blein, « ils ne savent déjà plus obéir : leurs petits caprices, leur volonté propre, voilà à peu près tout ce que quelques-uns connaissent »40. Mais cette préoccupation concernant les règles montre aussi qu'elles forment une part importante de la vie communautaire. D'après son biographe, Mère Saint-Jean Fontbonne obéit une fois à l'ordre d'une sœur converse de baiser la terre parce qu'elle a laissé ouverte la porte de la cuisine, en violation de la règle. Mère Louis Stanislas, Supérieure générale de 1876 à 1883, est louée pour son « exacte observation de la Règle »41. L'examen de conscience et la coulpe sont parties intégrantes de la vie religieuse42. « Je ne manque pas souvent à la règle » confie le Frère Pierre Bardy dans un rapport à Louis Querbes, « mais je manque de promptitude. Quant à mes rapports avec mes confrères, ils sont bien, mais parfois un peu trop libres et trop bruyants (avec deux), ce qui conduit à la dissipation »43. Les personnes entrant dans une congrégation religieuse, s'attendent après tout à y vivre selon des règles et elles sont formées à la pratique de l'examen de conscience et du renoncement.
Un monde à part ?
22Les règles renforcent les liens entre les congréganistes, leur procurent un sens de mission et rendent plus facile l'administration du corps enseignant. Ils fournissent aussi aux congréganistes un code de conduite sur lequel ils peuvent s'appuyer dans les relations quotidiennes dans les paroisses où ils travaillent et habitent. Le succès de l'enseignement congréganiste dépend, pour une large part, de la façon dont les sœurs et frères enseignants sont acceptés par la population. Du fait qu'ils proviennent habituellement du même milieu social que leurs élèves, et qu'ils rendent à la paroisse des services supplémentaires, beaucoup des enseignants congréganistes sont bien accueillis par les habitants. Les manuels de pédagogie et les directoires recommandent aux maîtres de cultiver les bonnes relations en se montrant polis et francs avec les habitants et en saluant tout le monde : « Les gens du peuple, et surtout ceux de la campagne, sont plus susceptibles et plus attentifs là-dessus que l'on ne pense communément »44. L'inspecteur primaire de la Loire suggère en 1841 que les gens préfèrent les frères aux diplômés de l'école normale parce que les premiers « ont un tact tout particulier pour gagner l'affection des enfants, la confiance de leurs familles et des autorités »45.
23Mais si les frères et les sœurs sont là pour être au service de la paroisse, les mêmes manuels leur rappellent qu'ils n'en font partie. Le plus souvent, un religieux enseignant travaille dans plusieurs paroisses au cours de sa vie ; il ne peut pas s'y considérer comme résident permanent. Chaque paroisse, comme chaque élève, est ostensiblement digne de leur travail et de leur dévouement. Bien qu'on leur recommande d'être « aimables et honnêtes » avec les parents de leurs écoliers, ils ne doivent pas fraterniser avec les gens ni devenir trop familiers avec eux46. Un Clerc de Saint-Viateur, par exemple, ne doit connaître que « le chemin de l'église au presbytère » et ne doit jamais être « vu en compagnie de certaines personnes de réputation équivoque » afin de gagner « la confiance des enfants, des parents, de M. le curé, des magistrats et des inférieurs ». À Vaux (Rhône), en 1865, le directeur de l'école congréganiste de garçons est transféré par ses supérieurs, parce qu'il en se laisse aller à son penchant pour les échecs : « Il était très populaire ; il visitait facilement les habitants, et acceptait plus facilement encore les gouttes qu'on lui offrait »47. On n'encourage pas les frères à se mêler aux gens, dans le but de se distraire. Les Sœurs de Saint-Charles doivent se rendre à l'école et en revenir par deux, sans s'arrêter en chemin. Et elles ne doivent pas non plus accepter des cadeaux, des lettres ou des commissions de la part des élèves48. Aucune visite n'est autorisée ; le temps libre doit être employé à l'étude ou aux exercices religieux. Les religieux enseignants ne sont pas autorisés à donner des leçons particulières ou à l'extérieur.
24Ce sentiment de séparation du monde, même en y travaillant, se reflète dans l'habit, la conduite et l'attitude des enseignants religieux. S'identifier trop fortement avec la paroisse ruinerait leur statut spécial de modèles au plan moral et pédagogique. Les prescriptions pédagogiques sont très précises quant aux qualités personnelles de la sœur ou du frère enseignant, supposé projeter l'image publique d'une personne amicale sans être familière, intelligente sans être savante, humble sans être timide. La liste des qualités requises est remarquablement semblable pour les enseignants hommes ou femmes, mais elle est peut-être le mieux résumée dans les « douze vertus du bon maître » de Jean-Baptiste de La Salle, écrites au xviie siècle : gravité, silence, humilité, prudence, sagesse, patience, retenue, douceur, zèle, vigilance, piété, générosité49. À l'intérieur comme à l'extérieur de la classe, ces qualités guident leur conduite professionnelle.
25Les religieuses et religieux enseignants sont, évidemment, immédiatement reconnus par leur costume qui est le symbole de leur état religieux et de leur pauvreté : ils portent, dans le cas des Frères des Écoles Chrétiennes, « la lourde robe flottante de drap noir, que surmontait une bavette blanche sous le menton », ou elles ressemblent, comme les Sœurs de Saint-Joseph, « à des veuves honnêtes et modestes, vêtues d'une étoffe commune de laine noire », avec des souliers noirs. Les Sœurs de Saint-Charles portent « le petit cabas d'étoffe de crin...tout gonflé de devoirs d'élèves soigneusement corrigés, avec le livre d'Offices, le chapelet...et l'indispensable parapluie »50. Non seulement leurs habits et accessoires, mais aussi leur attitude même sont supposés refléter leur image et leur position. « Le frère enseignant », selon de La Salle et son éditeur du xviiie siècle, le Frère Agathon : « tient donc le corps dans une attitude naturelle, sans gêne ni affectation ; il ne branle pas la tête, ne la tourne pas légèrement de côté et d'autre, ni à chaque mot qu'il dit ». Plutôt, « il a le regard assuré et serein, sans artifice ni sévérité ». Des conseils similaires sont donnés aux Frères Maristes dont le maintien et l'attitude doivent être « modestes, graves et réservés », qui ne doivent pas gesticuler ou remuer la tête de trop et qui, surtout, ne doivent pas rire. Les Sœurs de la Sainte-Famille doivent parler « d'un ton plein de bonté, mais en même temps un peu sérieux et un peu grave »51.
26La gravité et le sérieux quant au corps et l'allure sont souvent cités comme vertus des religieux enseignants. Également importantes sont la modestie et l'humilité. Ces qualités donnent forme à la vie religieuse et professionnelle des enseignants congréganistes. Des maîtres modestes sont prêts à suivre les méthodes pédagogiques de la congrégation, aller là où ils seraient envoyés et enseigner les pauvres et les ignorants tout comme les plus aisés et plus intelligents. Ils supportent patiemment « l'indocilité, les impolitesses, l'ingratitude, les résistances, les insultes ». Mais l'humble enseignant attire aussi davantage le respect des gens, si sa modestie « était connue de tous, dans son maintien, dans sa démarche, dans sa conversation »52.
27À l'intérieur de la classe, les mêmes dispositions doivent prévaloir. Les religieux enseignants doivent témoigner la même affection à tous les élèves mais sans être trop familiers. Ils ne doivent pas avoir de préférés, à moins d'accorder une attention particulière aux pauvres et aux défavorisés. Ils ne sont pas autorisés non plus à prendre les élèves dans les bras, à leur donner un baiser ni à les tutoyer. Les frères doivent, comme le leur rappelait le maître des novices des Clercs de Saint-Viateur, « aimer leurs élèves mais les aimer en Dieu et pour Dieu ». La gravité est là aussi le maître mot : les Sœurs de l'Enfant-Jésus « éviteront la légèreté, la précipitation et l'inconstance, qui nuisent singulièrement à l'autorité »53. Sans cette autorité, les élèves deviendraient paresseux et insoumis. Et surtout, les enseignants religieux, hommes ou femmes, doivent maintenir une vigilance continuelle sur leurs élèves et enseigner par l'exemple. Ils se doivent d'être des modèles en tout temps. La conduite et le langage sont des outils pédagogiques importants. Les règles des Sœurs de Saint-Charles leur rappellent que « rien n'est plus puissant sur l'esprit des enfants que le bon exemple ; il ne doit donc jamais leur échapper une parole qui ne soit une leçon, ni une démarche qui ne soit un modèle »54.
28Pour les religieuses, cette séparation du cloître est une voie nouvelle, qui produit certaines tensions entre leurs rôles religieux et laïcs. Bien qu'au temps de la Réforme catholique, il ait existé des groupes de « filles séculières » travaillant au milieu des gens, comme les Filles de la Charité ou les Sœurs de Saint-Charles, de Démia, bien plus répandu était l'exemple des Ursulines, ordre religieux fondé en vue d'un travail séculier mais confiné à l'intérieur du cloître par une hiérarchie catholique inquiète. Pendant le xviie siècle, le désir des clercs de rétablir une stricte clôture, pour les congrégations religieuses féminines, est plus fort que leur désir d'instruire les fidèles55. Les sœurs enseignantes au xixe siècle ne sont pas cloîtrées, mais on attend d'elles qu'elles limitent leur activité et leurs contacts extérieurs. Les règles des Sœurs de Saint-Charles permettent à certaines d'entre elles de donner des leçons spéciales de catéchisme à des jeunes filles plus âgées mais spécifient « qu'elle devra être présidée par une Sœur ancienne, dans une salle séparée de la communauté, afin que, sous prétexte d'instruire les ignorantes, on n'introduise pas dans la maison des personnes du monde ». Une circulaire sans date conseille vivement aux Sœurs de Saint-Charles de ne pas accepter des invitations aux repas dans les paroisses où elles vivent et de ne pas rendre de visites non nécessaires, même pas au presbytère56. La notice nécrologique d'une sœur de l'Enfant-Jésus fait son éloge parce qu'elle « s'est bien gardée de se faire une société parmi les personnes séculières, même devotes », même si elle habitait et travaillait toute seule. Les règles des Sœurs de Saint-Joseph n'autorisent pas des visites à des hommes n'appartenant pas à leur famille ou des amitiés avec des « femmes ou filles mondaines »57. Sur les ordres de l'archevêque de Lyon, les hommes, autres que les clercs, pères d'élèves, maires et conseillers municipaux, sont exclus des distributions des prix à la fin de l'année scolaire58.
29Ce code strict de conduite établit un idéal de moralité et de conduite que les maîtres laïcs sont supposés atteindre également. Les paysans méfiants et les autorités extérieures jugent les enseignants par leur habit, leur maintien et leur parole et surveillent leur comportement personnel. Selon l'historien Barnett Singer, « ils se devaient d'être ultradiscrets dans leur vie privée, évitant les vifs échanges verbaux, les consommations au café du coin, les contacts personnels ou romantiques compromettants »59. En 1858, l'école normale de Montbrison dans la Loire considère « tenue simple et modeste, propreté, langage bienséant, économie, tempérance, charité, prudence, respect de soi-même et des autres » comme des qualités nécessaires aux enseignants laïcs, une liste digne de Jean-Baptiste de La Salle60. Les institutrices, en particulier, sont jugées d'abord sur la base de leur moralité plus que sur leur compétence61. « On trouve chez les sœurs », écrit un inspecteur en 1856, « des garanties morales qu'on ne trouve pas toujours ailleurs au même degré »62. Un manuel, écrit en 1869, pour l'institutrice laïque rurale conseille qu'elle conserve « avec tout le monde des habitudes d'extrême politesse... dignité sans morgue, une attitude bienveillante, amicale, sans familiarité »63 ; c'est-à-dire, exactement la même conduite que celle attendue des enseignantes congréganistes.
Esprit de communauté
30Être membre d'une communauté religieuse donne aux enseignants et des enseignantes un sentiment d'appartenance et de soutien qui manque souvent dans la vie des enseignants laïcs. Comme leurs homologues laïcs, les enseignants congréganistes affectés seuls ou dans des villages isolés souffrent de la solitude, d'autant que leurs règles ne leur permettent pas de devenir trop familiers avec les gens. En 1836, par exemple, le Frère Philibert Perret, à Coise (Rhône) écrit de « cette contrée tumultueuse, quoique retirée et sauvage » :
Je suis toujours seul, morne, pensif, et tendant à une misanthropie assurée, si je continue longtemps à être livré à moi-même ; tous les moyens de distractions que je puis me procurer sont le travail et la prière. Ainsi voyez le triste et plaintif sort d'un jeune homme naturellement gai et plein d'esprit64.
31« Pour rester ici », écrit le Frère Jacques Thizy de Valsonne (Rhône) en 1861, « il faut avoir une santé de fer et une vocation très solide » (c'est lui qui souligne). Son collègue, Frère Auguste Cinquin de Bully-sur-Loire (Loire), se plaint : « Je trouve la vie érémitique bien ennuyeuse. Je ne sais pas si je pourrai m'y habituer. Point de voisins, du moins ne pouvant point en recevoir »65. À Ranchal (Rhône), les Sœurs de l'Enfant-Jésus « eurent beaucoup de peine à s'adapter à leur solitude, surtout Sœur Thérèse, qui sortait d'une maison bien vivante... Sœur Isidore, encore moins raisonnable, regardait avec une certaine tentation la route de Chenelette »66.
32Les enseignants laïcs dans les circonstances analogues souffrent aussi de l'isolement et de la solitude. Mais les enseignants congréganistes ont l'avantage du sens de la communauté fourni par leur appartenance à un groupe plus large. Les relations entre les religieux et leurs supérieurs sont souvent affectueuses et confiantes. Les enseignantes placées dans des postes éloignés sont encouragées à rester en contact étroit avec la maison-mère. « Maintenant que vous êtes seule, ne manquez pas de m'écrire de temps en temps, autrement je serai dans les plus vives inquiétudes », écrit Joséphine du Sablon à une jeune sœur à Sauvain (Loire), « parlez-moi franchement et ouvertement »67. Les lettres adressées à Louis Querbes par ses clercs, dont beaucoup sont placés seuls dans des paroisses isolées, sont remarquablement franches et confiantes. Même beaucoup d'anciens Clercs de Saint-Viateur semblent être restés en relation avec Querbes qui leur a servi de père spirituel tandis qu'ils sont dans la congrégation. Ils lui écrivent pour trouver de l'emploi et même lui adressent des vœux de Noël, de leur part et de celle de leur femme68.
33Plutôt que de se couper de la congrégation, les enseignants cherchent à s'y raccrocher, comme le montre la lettre d'une sœur de la Saint-Famille écrivant du lointain Aurillac (Cantal) à sa supérieure générale ; « Si vous ne pouvez pas nous donner de vos nouvelles vous-même, nous serions bien contentes, quand vous ne nous feriez dire qu'un petit mot par une de nos sœurs, car autrement il serait presque impossible de rester ici »69. Quand la Mère Henri-Xavier commence son noviciat chez les Sœurs de Saint-Joseph en 1864, elle arrive à l'ouverture de la retraite générale pour toute la congrégation, jour de célébration et de retrouvailles dans lequel « après dix mois ou plus de séparation, les Sœurs sont heureuses de se retrouver, de rappeler leurs souvenirs, de se confier leurs projets, leurs espoirs... Sept à huit cents religieuses... disséminées d'ici, de là... dans les salles, dans le jardin, causant par groupes de leurs affaires ». Chez les Frères de Saint-Viateur également, la retraite annuelle resserre « les liens avec les membres de la Société » et fortifie « l'habitude de nos méthodes, dont il importe d'assurer l'uniformité dans nos écoles »70.
34Les congrégations religieuses sont des familles de remplacement, les supérieur(e)s des pères ou des mères, et la « maison-mère » un foyer. « La maison est la sienne », écrit un auteur, prônant la vie religieuse pour les maîtresses ; « aux vacances, elle peut y venir comme chez elle, se reposer des labeurs de l'année »71. Parmi les rares déplacements que les religieux sont autorisés à entreprendre, il y a les voyages à pied jusqu'aux communautés voisines qui sont en fait leurs familles spirituelles. En même temps les congrégations essaient, bien qu'avec un succès relatif, de limiter les visites aux familles d'origine. Les religieux et les religieuses, après tout, sont censés avoir renoncé à leurs liens séculiers en entrant dans une congrégation religieuse. Toutefois, force est de constater que c'est avec difficulté que le personnel religieux renonce à tout contact avec la famille. La supérieure générale des Sœurs de Saint-Charles déclare à son homologue des Clercs de St-Viateur en 1848 : « Je refuse journellement la permission d'envoyer nos Sœurs dans leurs familles : cette année nous avons pris la résolution de n'autoriser ces voyages que lorsqu'il y a urgence de les faire »72. Les frères et les sœurs enseignants prennent le prétexte de parents âgés, malades ou mourants, de réunions de famille ou d'affaires pour rentrer chez eux. Les rappels fréquents qu'on trouve dans les circulaires, demandant de ne pas faire trop de visites dans les familles, donneraient à penser que c'est justement ce que les religieux font. Au chapitre général de 1865, les Clercs de Saint-Viateur décident que leurs membres pourraient se rendre en famille tous les quatre ans, pendant une semaine. En 1875 le chapitre spécifie de nouveau que ces visites ne sont pas « un droit » mais « une faveur », accordée par le supérieur général. En 1876, le Père Gonnet publie une circulaire condamnant cet « abus tendant à se généraliser parmi nous »73. Les religieux agissent en fait comme s'ils avaient deux familles, l'une de naissance et l'autre de vocation.
35La forme de soutien moral et professionnel que reçoivent les enseignants congréganistes, du fait de leur appartenance à un groupe constitué, manque dans la vie de la plupart des maîtres laïcs avant les réformes scolaires de la Troisième République. L'enseignement est solitaire et difficile, spécialement dans les campagnes, où ils sont souvent à la merci du curé et du maire. Toutefois, dans le cas de sérieux différends, les religieux enseignants s'appuient sur l'autorité de leur congrégation et les supérieurs interviennent normalement dans les conflits. Cette protection est en contraste marqué avec la situation des maîtres laïcs, du moins dans la première moitié du siècle, quand l'autorité académique refuse d'intervenir dans les conflits, même lorsqu'elle sent que c'est la commune et non pas le maître qui est en tort74. Un auteur contemporain en décrivant les conditions de vie « réelles » d'un normalien dans son premier poste évoque les conditions matérielles précaires et la méfiance des villageois, difficultés dont la seule compensation est le sentiment du statut officiel de l'instituteur75. Environ la moitié des maîtres laïcs, répondant à une enquête sur leur condition en 1861, veulent avoir davantage de contacts avec des collègues et être mieux reconnus ; une minorité d'entre eux demande même un uniforme distinctif76.
36Mais les maîtresses laïques ont une vie encore plus difficile. Les maîtres laïcs du Rhône créent entre eux-mêmes des liens informels et ils sont prêts à mener des actions communes dans la première moitié du siècle. Par ailleurs, les maîtresses laïques sont isolées, au sein des villages, par leur statut de femmes et de nouvelles arrivantes, et par le manque de protection officielle77. Les paysans les traitent en étrangères et les autorités scolaires se plaignent du fait que le niveau de leur enseignement se ressent du manque d'encadrement. Jules Simon constate que la prépondérance des sœurs enseignantes dans l'instruction des filles est due en partie au fait que les communautés locales n'accepteraient pas des jeunes femmes célibataires comme institutrices et que le curé « n'a qu'à dire un mot pour la ruiner »78. « Quelle est l'institutrice de campagne », écrit un auteur d'un manuel de pédagogie, « qui n'a pas ressenti l'ennui pénible d'une vie d'isolement qui la sépare du monde, qui l'éloigne de sa famille, qui la prive de ses compagnes aimées, de tendres amies, ses confidentes habituelles, et qui la jette au milieu d'une population étrangère où trop souvent elle ne trouve ni générosité ni sympathie ? »79 Des lettres et mémoires d'institutrices rurales, rassemblés par Francique Sarcey en 1897, sont témoins de leur privation de liens d'amitié ou de relations professionnelles avec des collègues80. Bien que celles qui ont suivi l'école normale aient créé entre elles un esprit de groupe comme étudiantes, ces liens sont difficiles à conserver dans des postes au fond des villages81.
37Au moins avant l'époque de la Troisième République, on attend de l'institutrice laïque, en matière de piété, de conduite et de célibat, la même excellence que de la part des religieuses, mais avec peu des avantages de celles-ci. Comme c'est mieux, ainsi que le suggère un commentateur, si elle est « un membre actif d'une société », si elle fait partie d'« une véritable famille »82. Entrer dans une congrégation religieuse fournit un moyen pour les femmes de mener une vie d'utilité sociale, « sous la protection du voile, » comme l'exprime une étude sur les religieuses québécoises. Caitriona Clear souligne cette même idée en ce qui concerne les Sœurs irlandaises, qui, comme d'autres Irlandaises, faisaient un travail bénévole : « Le travail dans un couvent était bénévole également, mais il s'effectuait en communauté avec d'autres bénévoles »83. En 1855, Anna Jameson, féministe et critique d'art anglaise, recommandait aux Protestants de multiplier les communautés religieuses féminines car ce n'est qu'à travers de telles communautés « qu'un grand nombre de femmes célibataires en surnombre pouvaient trouver la formation, la discipline et le soutien moral leur permettant d'aider les faibles, les abandonnés et les malades »84.
38L'attrait pour les communautés permet de comprendre les écarts importants entre les départs des congrégations enseignantes pour les femmes et pour les hommes. Pour les femmes, prononcer les vœux religieux est, comme on l'attend, un engagement à vie. Claude Langlois a calculé que le taux des défections parmi les congréganistes féminines ne dépasse pas 20 %85. Les congrégations féminines étudiées ici ont même moins de défections. Les Sœurs de Saint-Joseph n'ont qu'une moyenne de huit départs annuels entre 1836 et 1880. Parmi les 312 Sœurs de l'Enfant-Jésus qui entrent dans la congrégation entre 1842 et 1882, il n'y en a que 16 à quitter86. Par contre, dans les congrégations masculines les départs sont fréquents. Entre les années 1860 et 1890 environ, approximativement les deux tiers des Frères Maristes quittent avant de prononcer leurs vœux perpétuels. La plupart de ces départs ont lieu entre un et cinq ans après l'entrée dans l'institut87. Chez les Clercs de Saint-Viateur, seulement 41 % des 449 hommes de la région de Lyon qui entrent dans la congrégation, entre 1831 et 1879, y sont encore au moment de leur mort. Parmi les 59 % restants, 46 % ont quitté avant leurs vœux perpétuels et 13 % après. Durant cette période, pour deux entrées dans la congrégation, il y a un départ88. Ce problème ne fait que s'ajouter au souci continuel d'un recrutement adéquat pour assurer la croissance ; « évidemment nos vœux se réduiraient à rien », écrit, en se plaignant, le supérieur général des Frères Maristes à son vicaire général, en 185689. Ceci n'est pas un phénomène nouveau : au cours du xviiie siècle, plus de la moitié des Frères des Écoles Chrétiennes ont quitté aussi leur congrégation, avant leurs vœux perpétuels. En 1873, ils se lamentent encore sur « la difficulté de persévérance »90.
39Pour beaucoup d'hommes, par conséquent, contrairement au cas des femmes, enseigner dans une congrégation religieuse n'est pas un choix fait pour la vie, mais une étape dans leur jeune âge. Ces congrégations ont un important effectif de jeunes maîtres qui se renouvelle de façon régulière91. Pourquoi quittent-ils ? Au mieux, les éléments de réponse sont très partiels92. Certains, sans aucun doute, sont incapables de faire face aux obligations de la vie religieuse ; d'autres n'aiment pas l'enseignement. Dans des cas individuels, cités par le Frère Avit des Frères Maristes, les causes de départs sont mises sur le compte du manque de dispositions et de la séduction du monde extérieur, particulièrement des femmes93. Plusieurs jeunes frères mentionnent les difficultés pour observer les vœux, spécialement « la sainte vertu de la pureté », d'autres partent ou sont renvoyés, après des liaisons illicites. Frère Antoine Glaize écrit : « La foi est bien faible chez moi ; mais je crois avoir un peu de zèle, de désintéressement et même d'obéissance. La purité, hélas ! j'ai encore bien des misères de temps en temps, cependant j'ai remarqué que, plus j'avance en âge, plus mes penchants se purifient »94. Frère Jean-Jacques Mermet se plaint à Louis Querbes en 1843 : « De tous ceux qui ont été employés avec moi dans les divers établisssements où je me suis trouvé depuis l'année 1841, il n'y en a qu'un seul qui aît persévéré. Trois se sont engagés après avoir causé du scandale, la plupart des autres se sont très mal comportés. » Depuis qu'il est entré dans la congrégation, continue-t-il, « je m'y suis trouvé en contact avec toutes sortes de gens bons, indifférents, mauvais, quelques-uns sans vocation, d'autres avec des vocations douteuses. Le nombre des religieux m'y a toujours paru petit... je vous disais que mes engagements religieux ne m'ont procuré jusqu'à présent aucun avantage réel, mais ont été au contraire une source de peines, d'inquiétudes et de tentations »95.
40Le manque de vocation religieuse est aussi un argument fréquent. « Je n'ai pas beaucoup de disposition pour catéchiser la foi, » écrit Frère Bapiste Héraud, « la pureté, la retraite et le silence m'ennuient assez. Point de goût pour la méditation, sec comme une pierre »96. Tout au long du xixe siècle, les hommes risquent davantage que les femmes de perdre la foi ; les jeunes hommes entre seize et vingt-cinq ans éprouvent souvent un affaiblissement de leur pratique religieuse et de leurs croyances97, ce qui, sans aucun doute, est une des causes du taux élevé des départs dans les congrégations masculines, au cours des cinq premières années de présence. Les Frères Maristes qui persévèrent ont de grandes chances d'être d'origine paysanne et des régions à fort recrutement, y compris les pays de montagne ; autrement dit les bastions à la foi solide98.
41Une autre raison de partir est une aversion pour l'enseignement. Jean-Claude Ruillat, encore postulant, mais enseignant déjà à Yzeron (Rhône), écrit en 1836 au sujet de « la répugnance et le peu de santé que j'ai pour l'enseignement des belles-lettres A B C » ; il dit aussi que ses parents sont opposés à ce qu'il reste dans la congrégation99. Le Frère Joseph Arnaud, novice enseignant à Saint-Bonnet-les-Oules (Loire), veut quitter parce que « je vois que je ne suis pas capable d'enseigner ; je ne sais pas même en quoi je pourrais être utile à la communauté » ; cependant, loin de perdre sa foi religieuse, il envisage de se faire Trappiste100. Après neuf ans passés comme Clerc de Saint-Viateur, Frère André Millerand déclare : « Je ne me suis jamais un seul instant senti de goût pour l'enseignement. Et je ne sais trop par quel motif je suis resté dans la communauté ». Son collègue Frère Auguste Jacob quitte la congrégation pour « faire mon salut en paix, gagnant ma vie comme je le pourrais en faisant tout autre état que celui d'instituteur qui m'est trop pénible »101. Environ un quart des diplômés de l'école normale quittent aussi l'enseignement, beaucoup d'entre eux pour des emplois plus lucratifs tels que secrétaires, employés ou instituteurs en ville102. Et, comme pour bien des maîtres laïcs, certains frères perdent leurs illusions.
42Pour plusieurs hommes, donc, à la différence de leurs homologues féminins, enseigner dans une congrégation religieuse n'est pas un choix qu'ils font à vie, mais une étape dans leur jeunesse. En fait, il apparaît clairement qu'ils le conçoivent comme un moyen d'acquérir une formation et de l'expérience, plutôt que comme un engagement à vie. Dès 1808, le Cardinal Fesch recommande au gouvernement de ne pas accepter les « déserteurs » des congrégations religieuses pour les postes d'instituteurs, « car il est déjà arrivé que des jeunes gens sont entrés chez les frères pour y acquérir quelques talents et les ont abandonnés ensuite »103. Avant l'établissement des écoles normales, les congrégations enseignantes sont le meilleur moyen de recevoir un minimum de formation professionnelle. Quand il est entré dans la congrégation en 1836, explique Louis Robin à Louis Querbes, c'est parce que « j'étais destiné à entrer à l'École normale. On me dit que la réunion des jeunes gens de Mr le Curé de Vourles était beaucoup mieux. En cela je fus très content mais cette réunion est depuis devenue une communauté de frères. À l'époque, quand on me parla de devenir frère, je dis que je ne voulais pas être frère ». Il se retire de la congrégation en 1846104.
43Le problème de l'attrition continue à se poser tout au long du siècle avec les frères enseignants qui étaient plus susceptibles de quitter leur congrégation au moment du renouvellement de leurs vœux. Frère Louis Maudon explique que s'il est entré aux Clercs de Saint-Viateur c'est uniquement en raison de l'encouragement de son frère, un Frère Mariste. Il apprécie le noviciat comme occasion d'acquérir une instruction, mais ensuite il décide de s'engager dans la vie religieuse pour cinq ans, période de ses premiers vœux. Cette période expirée, il veut partir105. Dans cette congrégation, comme dans les autres, les individus ne font pas de vœux perpétuels avant dix ans, soit avant d'avoir fini leur noviciat. Exaspéré, le supérieur général écrit finalement au Pape pour demander une modification : « Cet intervalle de dix ans... n'est pas nécessaire pour éprouver un jeune homme et connaître sa vocation, mais il est, au contraire, la cause de la perte de plusieurs qui, se voyant dégagés de leurs vœux en même temps que libérés du service militaires, songent à rentrer dans le monde »106.
44Finalement, les jeunes gens ont simplement davantage d'alternatives offertes en vue d'une vie professionnelle que ne l'ont les jeunes filles, donc la possibilité de quitter leurs congrégations s'ils n'aiment pas la vie religieuse. Les jeunes gens, par contre, ont pu exercer bon nombre de professions et se marier ; à en juger par les statistiques des défections, ils ont tiré profit de ces possibilités. « Je n'ai aucun goût ni aucun attrait pour le commerce », écrit Jean-Marie Gaillard, ancien Clerc de Saint-Viateur, « avec mon brevet, je puis poursuivre un genre de vie qui sans m'être agréable à la vérité pourra néanmoins suffire à pourvoir à mes besoins les plus impérieux »107. Sans un diplôme d'enseignement, une religieuse ne peut pas enseigner en dehors de l'égide de sa congrégation108. Mais, raison plus importante peut-être, comme le soutient Ralph Gibson, les congrégations religieuses actives « offrent aux femmes la meilleure chance d'une carrière professionnelle » et attirent les jeunes femmes pleines d'idéal à la recherche d'un service actif en compagnie d'autres femmes. Une supérieure générale « commandait à des dizaines ou des centaines de femmes et dirigeait une grande entreprise. Elle pouvait s'adresser à un évêque sur un pied d'égalité »109. Pour les femmes au xixe siècle, un tel rôle fournit une occasion rare d'exercer le pouvoir. Pour les membres de base, les congrégations religieuses féminines donnent aux femmes célibataires une position sociale et un but dans la vie. Pour les femmes de la classe populaire, les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance ne diffèrent pas sensiblement des vies dépendantes ou soumises qu'elles pouvaient mener en dehors d'une congrégation religieuse110. Mais au sein des congrégations, elles pouvaient exercer une profession, accomplir des œuvres utiles en société, et accomplir leur propre salut. Même les femmes qui ont des perspectives de mariage préfèreraient une telle vie à une vie de famille.
45Pour les femmes, une congrégation religieuse active fournit une alternative possible au foyer et à la famille, alternative acceptable dans la société du xixe siècle. En conséquence, le corps enseignant témoigne de différences considérables entre les itinéraires des hommes et des femmes dans leurs carrières religieuses. Pour les religieuses, entrer dans une congrégation détermine leur vie. Pour les hommes, c'est plus probablement une période de formation et de vie en communauté qu'ils abandonnent plus tard pour mener une vie laïque. Les congrégations fournissent des hommes et des femmes dotés d'un esprit de communauté et de solidarité qui rend réalisable une carrière d'enseignement au xixe siècle. Mais la sécurité du travail et les assurances morales sont surtout recherchées par les femmes, à l'égard desquelles la société est plus exigeante et offre moins de fonctions sociales. Cachées sous les habits et tenues par les vœux de chasteté, les religieuses peuvent pratiquer des carrières actives qui ne leur seraient pas permises sous les auspices laïques. Pour les femmes qui, au xixe siècle, ont peu de possibilités semblables, c'est une occasion sans égale de remplir une tâche valable et considérée, et des nombres record de femmes entrent dans de telles congrégations actives et y persévèrent. Le prix qu'elles ont toutefois à payer pour cette activité et cette indépendance, c'est, à travers le renoncement aux plaisirs du monde et de la chair, de s'attacher à un code strict de morale et de comportement et à un statut de deuxième classe dans l'Église elle-même. Pour travailler dans le monde, elles doivent s'en retirer, métaphoriquement sinon littéralement.
46La structure du monachisme, pourtant, fait plus que simplement protéger les femmes. Elle fournit l'organisation d'un corps enseignant centralisé. La capacité des religieux ou religieuses à fonctionner comme un corps enseignant, est le résultat de l'adaptation des règles monastiques à ces nouvelles fonctions. Les religieux du xixe siècle gardent bien des us et coutumes du monastère ou du couvent, tels que les vœux, les règles, les habits, l'éloignement du monde111. Ces caractéristiques et leur forte organisation interne leur donnent un cadre pour y insérer leur mission éducative. La centralisation, la hiérarchisation et l'obéissance sont les éléments-clés dans cette structure. De la même façon que le vœu de pauvreté met les enseignants religieux à la portée des communautés locales, le vœu d'obéissance permet aux supérieurs d'envoyer les enseignants là où ils sont nécessaires et de les rappeler lorsqu'ils causent des problèmes. La dépendance à l'égard d'une règle centrale assure un style d'enseignement, des horaires et des programmes identiques. La tenue, l'allure, le comportement distinctifs confèrent aux enseignants une crédibilité en tant que modèles éducatifs et religieux, qui à leur tour accoutument les parents et les élèves à l'enseignement. Du point de vue du frère ou de la sœur enseignant, faire partie d'une congrégation offre notabilité, communauté, sens du dévouement et du devoir. Enseigner dans une congrégation signifie avoir des responsabilités bien définies et des directives pour se conduire et enseigner. En restant à l'écart, ils espèrent inspirer le respect et l'autorité morale et être des missionnaires plus efficaces.
47Sous la Troisième République, le modèle monastique et missionnaire devient la norme pour tous les enseignants, laïcs comme religieux, quelles que soient leur loyauté religieuse ou leurs affiliations politiques. Comme profession, l'enseignement a acquis prestige, sens des règles de conduite et sentiment d'une mission supérieure grâce aux innovations des éducateurs catholiques. Les religieux et les religieuses font de l'enseignement une vocation et non simplement un métier. Par l'organisation commune, ils répondent de façon plus efficace à la demande énorme de l'enseignement au xixe siècle. Dans le cas présent, les catholiques montrent une remarquable capacité à répondre à un nouveau besoin social – l'enseignement primaire – en réorganisant une institution très ancienne. Les nouvelles congrégations sont marquées par leur engagement dans le monde et leur utilité sociale, qui leur permettent de prospérer dans une société où le dévouement religieux se mesure par les actions et non plus par la prière. Les congrégations religieuses actives fournissent un modèle non seulement pour les enseignants mais aussi pour l'Église catholique à la recherche d'un rôle dans la société française du xixe siècle.
Notes de bas de page
1 Cité par Jean Delumeau, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, (Paris, 1971), 109.
2 Constitutions pour la petite congrégation des Sœurs de Saint-Joseph (Lyon, 1819), 43-44. Constitutions et règle du gouvernement de l'Institut des Petits-Frères-de-Marie (Lyon, 1854), 1. Religieuses de l'Enfant-Jésus, Règles communes à toutes les Sœurs (Lyon, 1874), 5-6.
3 Bien sûr, les congrégations religieuses actives, comme les Jésuites, les Frères des Écoles chrétiennes et les Filles de la Charité existaient dans des formes analogues depuis le xviie siècle. Mais ce modèle devient la forme dominante au xixe siècle, surreprésenté dans les fondations et les effectifs. Le nouveau modèle est nommé une « congrégation » et ses membres « congréganistes » au lieu de « religieux » ou « religieuse » même si dans le langage courant subsiste une large confusion entre les mots. Ralph Gibson résume les différences dans un tableau utile dans A Social History of French Catholicism, 1789-1914 (Londres, 1989), 106.
4 Strictement parlant, ces congrégations ne sont pas monastiques mais apostoliques, parce que leurs membres ne sont pas cloîtrés et n'ont pas fait de vœux solennels, mais le terme monastique est utilisé ici dans un sens plus large.
5 Directoire ou Règlement des Sœurs de Saint-Charles (Lyon, 1834), iv. SStJ, Constitutions (1858), 433-34.
6 SEJ, Règles, 23-24.
7 Directoire du Clerc de Saint-Viateur, Catéchiste Paroissial (Lyon, 1836), 7-10 ; Règles communes de l'Institut des Petits Frères de Marie (Lyon, 1852), 24-27 ; SStJ, Constitutions (1858), 450-52.
8 Manuel d’une religieuse institutrice. 3e éd. (Lyon, 1858), 24. SEJ, Règles, 16. ASteF, non-classée, lettre de P. Pousset à la Sœur Saint-Joseph Cordelle (1836).
9 ACSV, Registre « Chapitres 1845-1905 », 6e séance, 20 août 1880.
10 Fabienne Reboul-Scherrer, La vie quotidienne des premiers instituteurs, 1833-1882 (Paris, 1989), 286. Sœurs de Saint-Joseph : Mère Saint-Jean Fontbonne (1808-1839) ; Mère Marie du Sacré-Cœur Tézenas de Montcel (1839-67) ; et Mère Marie-Louise Muguet (1867-75). Frères Maristes : Marcellin Champagnat (1817-40) ; Gabriel Rivat (Frère François, 1839-60) ; Alexis Labrosse (Frère Louis-Marie, 1860-79).
11 Marcellin J. B. Champagnat, Lettres de Marcellin J.B. Champagnat, 1789-1840, Fondateur de l'Institut des Frères Maristes, éd. Paul Sester (Rome, 1985), vol. 1, Textes, doc. 3, 11, Champagnat au Supérieur du Grand Séminaire de Lyon (1827) ; Champagnat au Vicaire général (1828).
12 Yves Poutet, « Le Languedoc et les manuels scolaires des Frères des Écoles Chrétiennes au xixe siècle », dans Les Frères des Écoles Chrétiennes et leur rôle dans l'éducation populaire (Montpellier, 1981), 157. ACSV, Registre « Chapitres 1845-1905 », 6e séance, 20 août 1880.
13 Sentences, Leçons, Avis du Vénéré Père Champagnat, expliqués et développés par un de ses premiers disciples (Lyon, 1868), 418.
14 AN, F 17 9327, « Rapport sur l'instruction primaire en 1855 : Arrondissement de St-Étienne » (1855) ; « Rapport sur l'instruction primaire : Arrondissement de Montbrison » (1856).
15 Dossier Querbes : Correspondance reçue par le Père Louis Querbes, vol. 17, P-3818 (1846) ; vol. 37, P-8198 (1856).
16 Ces chiffres sont basés sur un échantillon de 184 frères qui commencèrent leur carrière entre 1853 et 1900 et en prenant en compte leur activité enseignante jusqu'à la fermeture de l'école en 1904. La durée moyenne d'une carrière était de 31,8 ans, le nombre moyen de postes de 7,3, et le temps moyen passé dans chaque poste de 4,4 ans. Statistiques relevées par le Frère Régis Arnaud, archiviste des Frères des Écoles Chrétiennes, Lyon. AFEC-Lyon, fichiers du personnel (1853-1900).
17 AFEC-Lyon, « Oullins : Personnel" (1838-1874).
18 AFM, « Les Annales de F. Avit ». Ce chifre est basé sur les 179 écoles fondées entre 1817 et 1887, dans les provinces de St-Genis-Laval (Rhône, Ain, Isère) et de Notre-Dame l'Hermitage (Loire, Ardèche, Haute-Loire). Les changements fréquents étaient apparemment chose commune dans les autres congrégations masculines également. Joos Van Vugt, « For Charity and Church : The Brother-Teachers of Maastricht, 1840-1900 », History of Education 20 (1991) : 220, décrit un « torrent annuel de transferts » dans cette congrégation hollandaise.
19 AFM, « Les Annales de F. Avit », vol. 3 (Murinais).
20 ADL, T 1006, Rapports de l'inspecteur primaire, arrondissement de St-Étienne (1851, 1854).
21 SStJ, Constitutions (1858), 383-84. « Règles de 1821 », publiées dans Les Frères du Sacré-Cœur : Historique de l'Institut, 1821-1956 (Rome, 1956), 234. AStC, Lettres circulaires (s. d.)
22 Ces soixante sœurs comprenaient la communauté entière de St-Maurice-en-Gourgois (Loire) composée de quatre sœurs qui avaient toutes passé toute leur carrière dans la paroisse. AStJ, Registre, États des Services des sœurs employées dans l'enseignement, 1881 ».
23 AStJ, G 5, « Conseil 19e » (1863).
24 ASMR, 8 A 1 (Coise).
25 ACSV, St-Martin de Beaujeu, le Frère Paul Marquès au Père Hughes Favre (1860) ; Les Sauvages, le Frère Régis Ladreyt au Père Hughes Favre (1864).
26 Les principales exceptions à cette règle étaient les Frères Maristes à leurs débuts, les Clercs de Saint-Viateur et les Sœurs de l'Enfant-Jésus. Mais ces congrégations-là essayaient d'envoyer ensemble au moins deux religieux ou religieuses.
27 Conforme aux traditions monastiques anciennes et aux distinctions sociales, plusieurs congrégations ont deux catégories de membres : l'une formée pour l'enseignement et l'autre pour les emplois manuels. Chez les Clercs de Saint-Viateur, ces deux groupes sont appelés « catéchistes » et « aides-temporels ». Dans les congrégations féminines, la différence se fait entre « sœurs voilées » et « sœurs converses » ou « sœurs de travail ». Les deux groupes ont la même longueur de noviciat et font des vœux Voir J.-L.-J. Querbes, Manuel nécessaire des Clercs de St-Viateur (Lyon, 1861), 11 et SStJ, Constitutions (1858), 14-15.
28 AFEC-Lyon, « Institut des Frères des Écoles Chréteinnes, District de Lyon, Notes historiques des établissements, 1705-1914, « vol. 1, 149. AMSE, 1 R 3, le Directeur, Frères des Écoles Chrétiennes au Maire de St-Étienne (1854).
29 Guide des écoles à l'usage des Petits-Frères-de-Marie (Lyon, 1853), 152. Sentences, Leçons, Avis, 293. SStC, Directoire (1834), 7172.
30 AFM-Rome, 112 Lettres à Champagnat (s. d.).
31 Dossier Querbes, vol. 17, no P-3735, Frère Jean-Marie Cherblanc à Louis Querbes (1846).
32 SEJ, Règles (1874), 26. Les douze vertus d’un bon maître par le bienheureux de La Salle, expliquées par le Frère Agathon (Tours, 1896). Directoire du Clerc de St-Viateur (1836), 84.
33 SStJ, Constitutions (1858), 362
34 ACSV, Valsonne (Rhône), le Frère Jacques au Père Hughes Favre (1862). Dossier Querbes, vol. 37, P-8045, le Frère Jean-Pierre Blein à Louis Querbes (1856).
35 Apparemment peu de ces rapports ont été conservés. Pourtant les archives des Clercs de Saint-Viateur contiennent une vaste correspondance entre les établissements et la maison-mère, et une bonne partie de ces lettres semblent répondre à des demandes de rapports réguliers.
36 AStJ, G 6, « Chapitre général » 1987.
37 SStJ, Constitutions (1858), 54.
38 Circulaires des Supérieurs généraux de l'Institut des Petits Frères de Marie, 1817-1917, vol 7, le Supérieur général aux Frères Provinciaux et Visiteurs. FM, Constitutions (1854), 135.
39 ACSV, Registre « Chapitre 1845-1901 », 7e séance (1845) ; 2e séance (1865). Henri Bilon (Frère Avit), Annales de l’Institut divisées en neuf étapes : Rédaction commencée en 1884 (Rome, 1993), vol. 2, L'épanouissement, 149-50. AStJ C/ A 5 bis, « Cahier des dates et nombres des visites qu'elle a eu l'honneur de recevoir depuis l'année 1858 : 15 G 10, Régistre intitulé « Visites annuelles » (1885). Il est évidemment impossible de savoir si ces registres étaient tenus fidèlement. Ils contiennent très peu de renseignements sur le contenu des visites. Par exemple, le rapport concernant la communauté de St-Aubin-sur-Loire disait simplement : « Février 1875 : Visite faite par sœur Stanislas Déchelette. Tenue de la maison parfaite, ressources plus que suffisantes, régularité assez bien. École passable ».
40 Dossier Querbes, vol. 37, p8045 (1856)
41 Yvonne Turin, Femmes et religieuses au xixe siècle : Le féminisme « en religion » (Paris, 1989), 271. AStJ, 2 J 5, « Petits souvenirs édifiants recueillis par une religieuse de St-Joseph » (1878).
42 L'examen de conscience faisait partie de leurs habitudes quotidiennes. En plus de la confession privée à un prêtre, la plupart des congrégations avait une accusation communautaire (coulpe) au cours de laquelle chacun avouait des fautes contre la régularité et promettait de s'amender.
43 Dossier Querbes, vol. 35, p-7733 (1856).
44 Directoire du Clerc de St-Viateur, Catéchiste Paroissial (Lyon, 1836).
45 Cité dans Zind, « L'enseignement primaire sous la Restauration dans l'arrondissement de Saint-Étienne, Cahiers d'Histoire 3 (1958), 371.
46 SStJ, Constitutions (1858), 350.
47 Querbes, Manuel nécessaire, 43. AFM, « Les Annales de F. Avit, » vol. 5 (Vaux).
48 AStC, « Directoire », (1810), 24.
49 Les douze vertus, 8.
50 Xavier-Édouard Lejeune, Calicot (Paris, 1984), 43 ; SStJ Constitutions (1819 ; 1858). Les Sœurs de Saint-Charles de Lyon (Annales de la Congrégation), vol. 2, 1874-1900 (Lyon, 1923), 8. Pour une étude d'ensemble de la signification de l'habit dans la vie des religieuses, voir Odile Arnold, Le corps et l’âme : La vie des religieuses au xixe siècle (Paris, 1984), 55-68.
51 Les douze vertus, 11-12. Guide des écoles, 157. Directoire ou explication des constitutions de la Congrégation de la Sainte-Famille de Lyon (Lyon, 1857), 76.
52 Les douze vertus, 28-31. Querbes, Manuel nécessaire, 43.
53 SStC, Directoire (1834), 65. ACSV, Pierre Liauthaud, « Instructions sur les Statuts de la Société propres aux novices et aux catéchistes paroissiaux dits Clercs de Saint-Viateur », vol. 1, 27. SEJ, Règles, 29.
54 SStC, Directoire (1834), 65.
55 Elizabeth Rapley, The Dévotes : Women and Church in Seventeenth-Century France (Montréal, 1990), 118.
56 SStC, Directoire (1834), 72-73. AStC, Lettres Circulaires (s. d.).
57 ASMR, 3 J 6, necrological notice of Sœur Ste-Croix, née Laville (d. 1878). SStJ, Constitutions (1858), 270-71.
58 AStJ, Lettres circulaires (1846).
59 Barnett Singer, Village Notables in Nineteenth-Century France : Priests, Mayors, Schoolmasters (Albany, N.Y., 1983), 109. Voir également Gilbert Nicolas, Instituteurs entre politique et religion : La première génération de normaliens en Bretagne au 19e siècle (Rennes 1993), 86-87, à propos de l'idéal de conduite et de caractère que les normaliens du 19e siècle se devaient d'atteindre.
60 ADL, T 452, « École normale primaire de Montbrison, Rapport de fin d'année » (1858).
61 Sharif Gemie, « The Schoolmistress's Revenge : Secular Schoolmistresses, Academic Authority, and Village Conflicts in France, 1815-1848, » History of Education 20 (1991), 213, trouve que la plupart des objections que faisaient les paysans du Rhône au sujet des maîtresses laïques entre 1815 et 1848, étaient énoncées en termes supposant des fautes morales.
62 AN, F 17 9332, « Rapport sur la situation de l'Insruction primaire dans le département du Rhône, au 1er janvier 1856 ».
63 AN, F 17 9332, « Rapport sur la situation de l'Instruction primaire dans le Département du Rhône, au 1er janvier 1856. » A. Théry, Lettres sur la profession d'institutrice (Paris, 1869), 162.
64 Dossier Querbes, vol. 3, P-650 (1836).
65 Dossier Querbes, vol. 3, P-650 (1836). ACSV, dossier Valsonne (Rhône), Frère Jacques Thizy au Père Hugues Favre (1861) ; dossier Bully-sur-Loire (Loire), Frère Auguste Cinquin au Père Hugues Favre (1861).
66 ASMR, 8 A 1 (Ranchal).
67 ASMR, 3 A 1 bis, Joséphine du Sablon à la Sœur Sainte-Colombe (1849).
68 Dossier Querbes, vol. 4, P-790 (1836) ; vol. 8, P-1903 (1841) ; vol. 38, P-8423 (1857).
69 ASteF, C 3, la Sœur Sainte-Marie de la Croix à la Supérieure générale (1839).
70 AStJ, 2 J 8, « Révérende Mère Henri-Xavier (1845-1926) », 14. Directoire du Clerc de Saint-Viateur (1836), 69.
71 François Petetin, L'Institutrice au village (Lons-le-Saunier, 1863), 293.
72 Dossier Querbes, P-4796 (1848).
73 ACSV, Registre « Chapitre 1845-1905 », 6e séance, 18 septembre 1865 ; 10e séance, 19 août 1875 ; Circulaire du Père Gonnet, no 5, 19 mars 1876.
74 Sharif Gemie, « 'A Danger to Society' ? - Teachers and Authority in France, 1833-1850 », French History 2 (1988), 281. Cette étude couvre la zone rurale du Rhône. Dans la Loire, un inspecteur scolaire rapportait en 1848 que les maîtres congréganistes avaient le soutien et l'attention du clergé mais que les maîtres laïcs étaient complètement laissés à eux-mêmes. ADL, T 407, « Rapport spécial sur la situation de l'Instruction primaire dans la département de la Loire » (1848).
75 A. Théry, Lettres sur la profession d’instituteur (Paris, 1853), 40-42.
76 C. R. Day, « The Rustic Man : The Rural Schoolmaster in Nineteenth-Century France, » Comparative Studies in Society and History 25 (1983), 43-44.
77 Sharif Gemie, « 'A Danger to Society ?' », 282-283 ; « The Schoolmistress's Revenge, 213.
78 Jules Simon, « L'enseignement primaire des filles en 1864, » Revue des deux mondes 52 (1864) : 955.
79 Petetin, 10.
80 Ida Berger, Lettres d’institutrices rurales d'autrefois, rédigées à la suite de l'enquête de Francisque Sarcey en 1897 (Paris, s.d.), 15, 33. Voir aussi Danielle Delhome et al, éds., Les premières institutrices laïques : Documents recueillis et présentés (Paris, 1980).
81 Anne Quartararo, Women Teachers and Popular Education in Nineteenth-Century France : Social Values and Corporate Identity at the Normal School institution (Newark, Dela., 1995), 151-52.
82 Petetin, 292-93. Certaines institutrices laïques arrivèrent à la même conclusion et entrèrent dans des congrégations religieuses.
83 Micheline Dumont-Johnson, « Les communautés religieuses et la condition féminine, » Recherches sociographiques 19 (1978) : 93. Caitriona Clear, Nuns in Nineteenth-Century Ireland (Dublin, 1987), 143.
84 Cité dans Martha Vicinus, Independent Women : Work and Community for Single Women, (1850-1920) (Chicago, 1985).
85 Claude Langlois, Le catholicisme au féminin : Les congrégations françaises à supérieure générale au xixe siècle (Paris, 1984), 554-55. Il note aussi que les départs étaient plus fréquents dans les congrégations misionnaires ou hospitalières. Il se peut que qu'il y ait eu davantage de départs dans d'autres sortes de congrégations. Rebecca Rogers, Les demoiselles de la Légion d'Honneur : Les maisons d'éducation de la Légion d'honneur au xixe siècle (Paris, 1992), 165, note qu'environ la moitié des novices de la Congrégation de la Mère de Dieu, qui éduquait les filles de la haute société et qui exigeait une dot plus élevée, quittait avant leurs premiers vœux.
86 AStJ, 1 D G, « Sœurs mortes à la Congrégation » (s. d.). ASMR, 1 J 3, « État civil des membres de la Congrégation ».
87 André Lanfrey, « Une congrégation enseignante : Les frères maristes de 1850 à 1904 » (Thèse 3e cycle, Université Lyon II, 1979), 113, 225.
88 ACSV, Registres Religieux 1, Défections.
89 AFM-Rome, 420/2 Lyon no 10, le Supérieur général au Vicaire général Pagnon (1856).
90 Georges Rigault, Histoire générale de l'Institut des Frères des Écoles Chrétiennes, vol. 2, 292. AFECRome, ED 228, Registre du Chapitre Général, no 4 (1873).
91 Lanfrey, 114, 227.
92 Les congrégations ne signalent pas systématiquement pourquoi leurs membres sont partis ; de temps à autre un mot ou une phrase écrite dans le registre fait allusion à une motivation, par exemple., "raisons graves," "renvoyé," etc. L'autre source potentielle d'information est la correspondance personnelle. La meilleure collection pour ces congrégations sont les lettres contenues dans le Dossier Querbes des Clercs de St-Viateur. Mais ces frères travaillant souvent seuls dans les paroisses les plus isolées, ne constitiuent peut-être pas un cas représentif des autres congrégations.
93 Bilon, vol. 2, 305-07, 373-74, 410-11.
94 Dossier Querbes, P-4574 (1848).
95 Dossier Querbes, P-2852 (1843).
96 ACSV, dossier Francheville (Rhône), Frère Baptiste Héraud au Père Hugues Favre (1866).
97 Maurice Crubellier, L’enfance et la jeunesse dans la société française, 18501950 (Paris, 1979), 183.
98 Lanfrey, 227.
99 Dossier Querbes, vol. 4, pp-770 (1836). Ruillat, toutefois, ne quitta qu'en 1839, et le registre du personnel note : « tête légère ». ACSV, Registre « Religieux 1 ».
100 Dossier Querbes, vol. 17, P-3779 (1846).
101 ACSV, dossier Fontaines-sur-Saône (Rhône), Frère André Millerand au Père Hugues Favre (1862) ; dossier St-Denis-sur-Coise (Loire), Auguste Jacob au Père Hugues Favre (1863).
102 Day, 34-36.
103 AN, F 17 6286, le Cardinal Fesch au Ministre des Cultes (1808).
104 Dossier Querbes, vol. 18, P-3965 (1846).
105 ASCV, dossier Bully-sur-Loire (Loire), Frère Louis Maudon au Père Hugues Favre (1866).
106 ACSV, dossier SCRIS Archives L-4, Père Étienne Gonnet au Pape (s.d., env. 1879).
107 Dossier Querbes, vol. 37, P-8027 (1856).
108 Françoise Mayeur, L'éducation des filles en France au xixe siècle (Paris, 1979), 103, soutient que c'était là la raison pour laquelle les supérieures des congrégations religieuses déconseillaient à leurs sœurs de passer le brevet.
109 Gibson, 118-19.
110 Une même constatation est faite pour les religieuses irlandaises par Clear, 136-56.
111 Langlois, 637.
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