Introduction
p. 235-237
Texte intégral
1Les rapports entre notabilités culturelles, élites et pouvoirs locaux ont longtemps paru trop évidents, en France au moins, pour mériter une quelconque analyse. On ne peut donc que se féliciter de les voir dûment inscrits à l’ordre du jour d’une recherche.
2La contribution de Pierre-Yves Saunier s’insère dans un riche dossier à propos de ce qu’il qualifie d'élites du local, produites pour et par le local. Son work in progress sur la production du local lyonnais, déjà jalonné par un livre et quelques grands articles, s’intéresse ici à trois entreprises, la Revue du Lyonnais, le Musée d’Histoire de Lyon ou Musée Gadagne, la Société des Amis de Guignol. Leur commun paradoxe est celui d’une opacité du local qu’il s’agit inlassablement d’expliquer, à première vue, à l’étranger, mais tout autant d’entretenir, voire de cultiver, grâce à l’affirmation répétée d’une seule vraie compréhension des phénomènes lyonnais par les Lyonnais. Si bien que s’articulent ici de manière exemplaire la production du local et la production de ses élites. Se dessine aussi, nolens volens, un âge d’or du local, auquel succède sa simple instrumentalisation, prétexte à diverses entreprises de légitimation et de délégitimation, politiques et symboliques.
3La communication de Vincent Dubois pose, quant à elle, la question de la légitimité culturelle et de ses détenteurs. Elle esquisse, me semble-t-il, un dialogue avec la thèse d’Amo Mayer sur la persistance de l’Ancien Régime dans l’Europe du XIX° siècle et la relative exception française. Son tableau des académies lyonnaises reconduit en effet peu ou prou les analyses serrées de Roger Chartier et Daniel Roche quant à l’idéal de l’otium cum dignitate et à l’exclusion de la marchandise. L’exaltation des qualités de l’homme cultivé, telle que la donnent à entendre au XIX° siècle les éloges, funèbres ou non, s’inscrit de même dans une longue tradition tandis que le cas d'Édouard Aynard montre un cumul exemplaire des capitaux économiques, sociaux, politiques, culturels, permettant exercice des responsabilités publiques et participation à la vie de l’esprit. Le procès de professionnalisation ultérieur est en revanche celui de l’émancipation d’un corps de spécialistes hors du cercle des élites cultivées locales, pour s’insérer dans un réseau national et républicain et répondre à des critères spécifiques.
4Les élites savantes de la Loire apparaissent, d’après Didier Nourrisson, socialement distinctes des lyonnaises, non par leur misogynie partagée, sans doute, mais par la place réservée aux milieux économiques du département. S’y côtoient en effet “les propriétaires fonciers, souvent de vieille famille nobiliaire, le patriciat traditionnel du ruban, de l’arme, de la quincaillerie, et les couches montantes des maîtres de forges, des ingénieurs de la mine ou de l’usine”. Autre singularité, par rapport à Lyon, la très modeste place des médecins qui n’acquièrent d’influence qu’après 1870.
5Au total, ces trois communications, fondées sur un riche matériau local, s’inscrivent dans la lecture de Pierre Bourdieu. L’identité et la tradition locales y apparaissent comme un rapport à l’autre, le fruit d’une négociation au sein d’un champ de possibles plus ou moins étroitement défini par des stratégies concurrentes. Elles participent à cet égard du renouveau de la thématique des identités et, plus largement, d’une interrogation sur la construction des catégories en histoire sociale1. S’y donne à lire une nouvelle prudence méthodologique pour distinguer “entre le vouloir, le paraître et l’être”, comme l’écrit Laurence Fontaine dans sa récente communication au Congrès International des Sciences Historiques de Montréal2. La distinction entre localité, si l’on peut dire, et localisme, paraît au coeur d’une recherche prometteuse qui croise d’autre part l’une des grandes questions de la sociologie moderne, celle de l’apparition de professions — et de bureaucraties — culturelles au sein d’un monde totalement administré.
Notes de bas de page
1 Jacques Revel dans “l’institution et le social” fournit la meilleure mise au point à cet égard, en même temps qu’un brillant plaidoyer pour l’analyse “processuelle” contre l’approche sociodescriptive : Bernard LEPETIT (dir.), Les Formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 63-84.
2 “Présentations de soi et portraits de groupe : les identités sociales des marchands colporteurs”, au sein du groupe “Identités sociales” présidé par Roger Chartier (Montréal, 1995).
Auteur
Professeur à l’Université de Tours
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