Chapitre I. Les racines parisiennes
p. 14-18
Texte intégral

Conseil général du Rhône, Archives départementales, cote Fonds Galle B 632,20.
1C’est dans le monde de l’échoppe et de la boutique parisien que naît Jean-Marie Collot, le 19 juin 1749. Il est apparemment le premier enfant de Jacques-Gabriel Collot et Jeanne-Agnès Hannen. Le contrat de mariage de ceux-ci, passé devant maître Renard, notaire parisien, le 12 juillet 1746, constitue avec ses dix longues pages une mine de renseignements à ce jour totalement inédits1.
2Le jeune époux est l’un des quatre enfants de Jacques Collot et Louise Davilla, qui ont eu également un second fils (François Etienne, massacré lors du soulèvement des noirs à Saint-Domingue, en 1793, aux côtés du propre frère de Jean-Marie) et deux filles (Louise Charlotte et Marie Perette).
3Jacques Collot, décédé avant le mariage de son fils, exerçait la profession de marchand mercier. Or parmi les témoins qui assistent Jacques-Gabriel Collot se trouvent un autre marchand mercier, un marchand de galons, un avocat et un maître chirurgien.
4Si l’on ajoute que François Etienne devient horloger et que Louise Charlotte a épousé un marchand mercier, il est aisé de constater une certaine homogénéité sociale, d’autant qu’orfèvres et merciers figurent parmi les Six Corps de marchands de la Ville. Ce ne sont certes pas là des gens qui possèdent d’immenses fortunes, mais ils ne sauraient être apparentés aux milieux populaires.
5De plus, du côté de Jeanne-Agnès Hannen, on évolue dans des niveaux de fortune nettement supérieurs, même si artisanat et commerce font encore figure de dénominateur commun.
6Jeanne-Agnès est l’un des quatre enfants de Pierre Hannen et Françoise Marot. Pierre Hannen, tout comme Jacques Collot, est décédé avant ce mariage de 1746. Il était l’un des principaux marchands brasseurs de Paris. En 1746, sa veuve est unie en secondes noces à Jean-Marie Babin de Bourneuil, également marchand brasseur. Est-ce une ancienne relation de son premier époux ou l’a-t-elle choisi pour des raisons liées aux affaires de la brasserie ? Il est délicat de conclure de façon certaine mais, ce nonobstant, le destin des quatre héritiers Hannen est révélateur des conceptions sociales de cette véritable dynastie de brasseurs.
7Jean-Baptiste, seul fils vivant de Pierre Hannen, oncle maternel de Jean-Marie Collot, devient à son tour marchand brasseur et épouse en 1742 Marie Charlotte Lubin, fille de Jean-Baptiste Lubin, lui aussi marchand brasseur à Paris2. Ses trois sœurs sont « placées » dans ce même milieu de l’artisanat et du commerce, mais comme elles ne reprennent pas la direction de l’affaire familiale, une plus grande variété professionnelle est tolérée par la veuve Hannen. Élisabeth épouse un marchand mercier, Françoise convole en justes noces avec un marchand épicier, tandis que Jeanne-Agnès unit son destin à Jacques-Gabriel Collot, compagnon orfèvre sur le point d’obtenir la maîtrise.
8À n’en pas douter, la veuve de Pierre Hannen a soigneusement sélectionné ses futurs gendres, a fortiori son unique belle-fille ; la fortune de la maison l’exigeait. Lorsque Jean-Baptiste, héritier tout à la fois du patronyme et du métier paternel, s’éteint, l’inventaire après décès dressé en mai 1788 laisse entrevoir la position sociale de la dynastie Hannen. En cette veille de Révolution, les biens de la maison, sise rue Mouffetard, sont estimés à plus de 10.000 livres, tandis que le notaire précise que Marie Charlotte Lubin a déjà reçu en 1775 plus de 20.000 livres sur la succession de ses parents qui s’élevait à 176.420 livres3.
9Issus de familles relativement aisées, voire très aisée dans la branche Hannen, les futurs parents de Jean-Marie Collot obtiennent en 1746 une dot pour le moins confortable.
10Jacques-Gabriel apporte au ménage 6000 livres, tandis que Jeanne-Agnès se voit octroyer 6700 livres à titre d’avance sur la succession Hannen. 6370 livres sont versées au comptant le 1er octobre 1746, tandis que 3630 livres sont réglées sous forme de rentes et que le « trousseau »de la jeune épouse est estimé à 2700 livres4.
11La somme ainsi obtenue aide sans nul doute Jacques-Gabriel Collot à s’installer comme maître orfèvre dès l'année qui suit son mariage. À cette époque, tout le matériel nécessaire à une boutique de maître orfèvre pouvait se négocier pour environ 2000 livres, soit à peine le tiers des disponibilités du couple. Il est admis à la maîtrise en août 17475 et effectue son entrée dans le monde assez fermé des marchands orfèvres de la capitale du royaume. Le corps ne compte en effet que trois cents membres. Ce n’est que lorsque des places deviennent vacantes, par décès ou par abandon du métier, que de nouveaux membres sont admis. Fils de maître et apprentis obtiennent la maîtrise dans des conditions soigneusement établies par les statuts du corps de métier.
12N’étant pas fils de maître, le père de Jean-Marie Collot a dû se plier aux contraintes et surtout à la longue durée de l'apprentissage et du compagnonnage. En effet, nul ne peut alors devenir apprenti avant l'âge minimal de dix ans et après celui de seize ans, comme le veut la tradition depuis une ordonnance d’Henri IV, en date de mai 1599. Les règlements, quasi immuables, supposent que le jeune apprenti travaille chez un maître pendant huit années consécutives. Au cours de cette période, il participe à l’ouvrage sans recevoir le moindre gage, mais a l’occasion de découvrir les subtilités du métier, voire les secrets professionnels du maître. À l’issue de cette initiation, le néophyte, qui n’en est plus vraiment un, doit encore servir les maîtres de la ville de Paris pendant trois années supplémentaires. Il jouit alors d’un nouveau statut, celui de compagnon, qui lui apporte sa première rémunération, soit à la journée, soit au mois. Les onze années écoulées, le jeune homme peut enfin aspirer à la maîtrise ; il lui faut alors réaliser son chef-d’œuvre, dernier stade de l’initiation avant la cooptation par ses futurs pairs.
13Jacques-Gabriel Collot et son épouse s’installent tout d’abord rue Saint-Denis6, mais dès 1750 au plus tard ils ont opté pour la rue Saint-Louis, près du Palais où exercent nombre d’orfèvres parisiens. En 1756, lorsque le couple se déchire, la boutique se trouve toujours rue Saint-Louis ; si Jean-Marie est peut-être né rue Saint-Denis, c’est assurément la rue Saint-Louis qui a constitué le cadre de sa petite enfance. Peut-être ce premier fils a-t-il reçu son prénom en hommage à Jean-Marie Babin de Bourneuil, dont les époux Collot espéraient protection et appui financier.
14En 1750 naît Élisabeth Charlotte Collot, puis Jeanne Louise en 1751 et Jacques Louis en 1754. Fécondité typique de ce temps si l’on envisage la naissance d’un ou plusieurs enfants décédés en bas âge (peut-être en 1747-1748, ainsi qu’en 1752-1753 ?).
15Sont-ce les affaires de Jacques-Gabriel Collot qui périclitent ? Les rapports entre les deux époux se détériorent-ils, à moins qu’il ne s’agisse de la classique combinaison des deux explications ?
16Est-ce une manœuvre du couple pour échapper à des créanciers ? Toujours est-il qu’en 1756 le ménage paraît se désagréger et ne pas survivre à son dixième anniversaire.
17Le 13 septembre 1756, Jeanne-Agnès Collot fait enregistrer par le greffe civil du Châtelet de Paris sa renonciation à la communauté des biens, acte nécessaire à l’ouverture de la procédure qui vise à obtenir une séparation desdits biens7. Jean-Marie n’a alors que sept ans, le plus jeune des enfants environ deux ans...
18Le 5 novembre, en présence du défenseur de Jeanne-Agnès, mais en l’absence de celui de son époux, le Châtelet rend sa sentence :
Nous disons que la demanderesse est et demeurera séparée quant aux biens d’avec le défendeur son mari, pour jouir à part et a divis des biens à elle appartenant [...].
19De plus, le tribunal condamne « le défendeur à rendre et payer à la demanderesse la somme de six mille sept cents livres par lui reçue pour sa dot, suivant leur contrat de mariage [...]8 ».
20Acculé à vendre ses biens, matériel et marchandises, pour régler les droits des deux parties, Jacques-Gabriel doit rendre son poinçon en 17579. Sans doute trouve-t-il du travail, en tant que compagnon, chez l’un ou l’autre des maîtres orfèvres de la capitale. À moins que, ne voulant consentir à une telle dégradation de son statut, il n’ait totalement changé d’activité.
21Que deviennent les enfants dans cette débâcle financière et affective ? Leur trace se perd ici. Malgré une légende tenace, Jean-Marie n’a pas fréquenté un collège oratorien ; probablement a-t-il suivi les cours dispensés par l’un des collèges de Paris, la capitale offrant des ressources scolaires étendues par rapport aux villes de province. Sa culture, telle qu’elle transparaît dans ses œuvres théâtrales comme dans ses écrits et discours révolutionnaires, semble des plus sérieuses et très classique.
22Cependant force est de constater le vide de nos connaissances sur son adolescence, sur ses études, ainsi que sur les motivations qui le poussent à embrasser le métier de comédien. Le personnage nous échappe totalement de 1756-1757 à 1767, laissant ces dix années de sa vie dans un mystère encore complet.
Notes de bas de page
1 A.N., Minutier central, étude XLIII/388 (étude de maître Renard, 12 juillet 1746).
2 Ibid., étude CVIII454/(étude de maître Delaleu, 23 décembre 1742).
3 Ibid., étude XVIII/874 (étude de maître Giard, 28 mai 1788).
4 Ibid., étude XLIII/388 (op. cit.).
5 A.N., Z 1 b/659 (1747).
6 Ibid. (1748 et 1749).
7 A.N., Y 18094 fol. 64.
8 Ibid., Y 9062 (5 novembre 1756) ; Archives de la Seine, DC6 63 (221 verso et 222 recto).
9 A.N., Z 1b/661 (1757).
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