Conclusion de la deuxième partie
p. 337-338
Texte intégral
1L’influence de Lyon sur son environnement rural a revêtu des formes variées et joué différemment selon les époques et les lieux. Du chanvre au coton et à la soie, les initiatives des négociants et des fabricants lyonnais ont été déterminantes sur l’industrialisation des campagnes, mettant au service de l’économie urbaine la force de travail surabondante du monde rural. L’essaimage des métiers à tisser hors de la ville, d’abord pour le coton, puis deux siècles plus tard pour la soie, a fourni à des campagnes peu avantagées par la nature le moyen de conserver une forte charge humaine en fixant la population sur place par l’intermédiaire du travail industriel. Le développement de l’activité textile en étroite symbiose avec l’agriculture a contribué à l’émergence d’une société rurale originale pour laquelle le genre de vie mixte, dont les formes se sont modifiées dans le temps pour s’adapter aux transformations techniques et économiques du tissage, présente l’avantage d’éviter l’éclatement de la cellule familiale en donnant à ses membres le moyen d’accéder à une vie décente sur de petites surfaces. Contrairement à la plupart des autres villes de fabrique où l’introduction du métier mécanique dans la seconde moitié du XIXe siècle s’est accompagnée d’un processus de concentration urbaine du tissage, le système économique lyonnais a continué à fonctionner jusqu’à l’époque actuelle en étroite association avec les campagnes. Les nouvelles conditions techniques et économiques contemporaines ont certes mis fin à l’hégémonie du textile, dont la part dans l’emploi industriel des communes rurales s’est considérablement amenuisée. Néanmoins, les localisations anciennes n’ont pas complètement disparu, tant s’en faut, et le secteur des textiles industriels, pour lequel la région lyonnaise occupe une position dominante sur le plan national, s’inscrit dans le droit fil de la tradition soyeuse dont il perpétue à la fois le savoir-faire en matière de tissage et l’esprit de créativité. Les crises successives du textile ont ouvert la voie à une diversification industrielle qui s’est trouvée facilitée par la qualité de la main-d’œuvre façonnée par une longue pratique de l’industrie et le voisinage de Lyon. Mais à la différence du passé, c’est moins directement par son action qu’indirectement par sa présence que la cité rhodanienne pèse désormais sur les activités industrielles de sa périphérie rurale.
2La terre a constitué une autre préoccupation importante pour Lyon. Sa bourgeoisie enrichie par la pratique du commerce a été chercher dans les campagnes proches le moyen de légitimer son ascension sociale. Au début du XIXe siècle, les campagnes lyonnaises apparaissent écartelées entre les influences contraires de la grande propriété rentière du sol et de la petite propriété paysanne. Alors que le vignoble beaujolais et la Dombes se rattachent aux sociétés hiérarchisées de la France septentrionale, les monts du Lyonnais et le Bas-Dauphiné annoncent déjà par certains traits l’organisation paysanne plus égalitaire du monde alpin et rhodanien. Cet intérêt des Lyonnais pour la terre ne s’est pas démenti au XIXe siècle, Lyon poursuivant ses conquêtes et accentuant son emprise sur les campagnes environnantes. Non seulement sa bourgeoisie d’affaires a prudemment placé une partie de ses avoirs dans la terre, mais la ville a attiré par son dynamisme économique les éléments les plus actifs de la bourgeoisie rurale et des villes de moindre envergure. Par rapport au siècle dernier, la part de la grande propriété s’est réduite dans les campagnes lyonnaises devant le développement de la moyenne et de la petite, mais les biens des Lyonnais sont ceux qui ont le mieux résisté. Si des changements profonds se dessinent aujourd’hui et de nouvelles formes d’accaparement du sol se font jour sous l’effet de la pression résidentielle, les héritages fonciers demeurent importants dans la vie des campagnes. Le système du vigneronnage, forme particulière de métayage, toujours bien vivant en Beaujolais, et le fermage, dominant en Dombes, leur sont largement redevables.
3Enfin, les besoins du marché de consommation ont suscité et stimulé des combinaisons agricoles variées, étroitement unies au débouché urbain. Ainsi les Lyonnais ont toujours privilégié les vins de la généralité, auxquels les rattachait il est vrai leur statut de propriétaire, par rapport à ceux du Mâconnais. Au XVIIe siècle, le Beaujolais bénéficiait pour ses vins de droits d’entrée dans la ville quatre fois moins élevés que le Mâconnais (M. Lachiver, 1988), qui de ce fait se trouvait évincé du débouché lyonnais. Plus tard, c’est au tour de l’élevage laitier et des cultures fruitières et maraîchères de tirer avantage de la proximité urbaine. Mais si Lyon a contribué à façonner des systèmes de production destinés à satisfaire ses besoins, les facilités commerciales offertes par sa situation géographique privilégiée vont très vite contrarier les relations économiques établies avec son environnement rural. Avec l’élargissement des marchés, la rente de situation des producteurs par rapport au débouché urbain proche ne suffit pas à compenser les handicaps tenant à l’étroitesse des structures de production et aux inconvénients du milieu physique. Aujourd’hui, le rôle de Lyon apparaît des plus modestes pour l’écoulement des productions agricoles des campagnes alentour.
4À la jonction d’espaces territoriaux très différents, Lyon en a été le ciment unificateur, les associant à ses destinées d’abord modestement, puis plus franchement à partir du moment où au siècle dernier la ville a cessé de regarder vers des horizons lointains pour recentrer davantage ses ambitions dans le cadre régional. Si les conditions actuelles introduisent une nouvelle donne dans les rapports entre la ville et ses campagnes, les survivances du passé n’en continuent pas moins à imprimer vigoureusement leurs marques sur les paysages et les activités humaines. Les étangs de la Dombes, les grands domaines viticoles et forestiers du Beaujolais, les cultures fruitières du plateau lyonnais et les industries textiles du Bas-Dauphiné sont autant de témoignages de la diversité et de la solidité des liens tissés au cours de l’histoire entre Lyon et son environnement rural.
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