Maternités
p. 145-146
Texte intégral
1« La maternité est au centre de la condition féminine (...) c’est un grand moment de la vie des femmes, de toutes les femmes » écrit Françoise Thébaud1. Le troisième temps de notre étude étant consacré à la maternité à Saint-Etienne, essentiellement dans les années 1900-1950, nous souscrivons à cette affirmation, qu’il convient cependant de nuancer. Toutes les femmes ne sont pas mères : le célibat, il faut le rappeler, concerne 11 % des femmes de plus de 50 ans dans la première moitié du XXe siècle, dans l’ensemble du pays2. Or qui dit célibat, à l’exception des « filles-mères », groupe social statistiquement marginal, dit absence d’enfants. D’autres femmes sont dans le même cas : les épouses sans progéniture, environ 15 % des femmes mariées dans les années 1920 en France. Ces deux groupes ajoutés, c’est près d’une femme sur quatre qui n’est pas directement concernée dans son propre corps par la maternité. Mais toute femme ne l’est-elle pas, au plan mental, dans une société où le modèle dominant pour les femmes, en ce début du XXe siècle, est plus que jamais celui de la mère de famille ? De manière significative, les femmes seules sont définies par le manque, dans les discours littéraires ou médicaux du XIXe siècle. Si les parcours féminins sont divers, la maternité est donc bien inscrite au cœur de l’histoire des femmes. Son étude a déjà été largement défrichée. Rappelons pour mémoire L’Histoire des mères de Yvonne Knibielher et Catherine Fouquet, ouvrage à bien des égards fondateur3 ainsi que l’étude de Françoise Thébaud sur la médicalisation de l’accouchement dans l’entre-deux-guerres, principalement centrée sur le cas parisien. Ces ouvrages fournissent, pour la période contemporaine, des données quantitatives et qualitatives substantielles.
2Choisir d’être mère est un acquis récent, une révolution mentale et sociale dont nous ne pouvons encore mesurer toute la portée. Les générations de femmes qui nous ont précédées n’ont pas eu, le plus souvent, cette liberté. Il arrivait pourtant que certaines d’entre elles refusent une maternité parfois synonyme de contraintes insupportables, voire de déchéance sociale. Nous évoquerons dans un premier temps le refus de maternité, composante souvent douloureuse de l’histoire de femmes. Puis nous analyserons l’encadrement médical grandissant des mères, en particulier dans le domaine de l’accouchement, avec le développement à Saint-Etienne d’institutions comme la maternité de l’Hôpital au début du XXe siècle, et la Maison maternelle dans l’entre-deux-guerres. Dans cette période s’élabore une politique générale de protection des mères et des enfants, fruit de l’angoisse démographique, dont les effets et les réalisations sont très lisibles à l’échelle de la ville industrielle. Mais la médicalisation de l’accouchement reste partielle, le modèle ancien de l’accouchement à domicile persiste tardivement, puisqu’il est encore majoritaire dans la ville jusqu’en 1950. L’étude des pratiques qui président à l’accouchement chez soi fait une large place aux sources orales, à la mémoire d’un événement féminin par excellence.
3« L’histoire de l’accouchement est fort complexe », nous dit Guy Thuillier4 ; « c’est une histoire carrefour qui touche à la fois à l’histoire des institutions, à l’histoire judiciaire, à l’histoire psychologique, à l’histoire médico-sociale, à l’histoire de l’obstétrique, à l’histoire des gestes, à l’histoire démographique, à l’histoire de la mort, et dans laquelle ce qui ne se dit pas, ne s’écrit pas, a certainement autant et plus d’importance que ce qui se dit, s’écrit et se transmet ». Nous nous sommes efforcées de rendre cette complexité en utilisant conjointement sources écrites, orales et iconographiques.
Notes de bas de page
1 F. THEBAUD, Quand nos grands-mères donnaient la vie. La maternité en France dans l’entre-deux-guerres, Lyon, PUL, 1986, Introduction
2 Sur la solitude féminine, cf. A. FARGE et C. KLAPISCH-ZUBER (éds.), Madame ou Mademoiselle P, op. cit.
3 Y. KNIBIEHLER, C. FOUQUET, Histoire des mères..., op. cit
4 G. THUILLIER, Pour une histoire du quotidien en Nivernais, Paris, Mouton, 1977, p. 342.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Cheminots en usine
Les ouvriers des Ateliers d'Oullins au temps de la vapeur
Christian Chevandier
1993
Parcours de femmes : Réalités et représentations
Saint-Étienne, 1880-1950
Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel
1993
Machines à instruire, machines à guérir
Les hôpitaux universitaires et la médicalisation de la société allemande (1730-1850)
Isabelle von Bueltzingsloewen
1997
Élites et pouvoirs locaux
La France du Sud-Est sous la Troisième République
Bruno Dumons et Gilles Pollet (dir.)
1999