Chapitre IV. L’édition de Ricardo et Production de marchandises par des marchandises : des recherches longue durée
p. 125-155
Texte intégral
1– PREMIERES RECHERCHES SUR PRODUCTION DE MARCHANDISES PAR DES MARCHANDISES
1Au début de son installation à Cambridge, Piero Sraffa est déjà engagé dans une recherche qui aboutira beaucoup plus tard à la publication du célèbre essai : Production de marchandises par des marchandises – Prélude à une critique de la théorie économique. En 1926, dans « Les lois des rendements en régime de concurrence », il remarquait que la théorie de la valeur des économistes classiques et les problèmes qu’elle soulevait ne rencontraient aujourd’hui qu’« indifférence » totale de la part des économistes, pour la plupart fidèles à l’école marginaliste. Or, dès cette époque, P. Sraffa, qui ne croit pas à l’avenir de la perspective, pourtant ouverte par lui, de la concurrence imparfaite, s’intéresse de plus en plus aux problèmes de la théorie de la valeur et de la répartition chez Adam Smith, Ricardo, Marx, mais aussi à l’approche du physiocrate François Quesnay qui le premier, envisage la production et la consommation comme « processus circulaire ». Il va chercher à réhabiliter, à rénover l’approche théorique en termes de « surplus », comme point de départ possible d’une critique radicale de l’approche marginaliste du capital et de la répartition, fondée sur la notion de « facteur de production ». Une part importante de cette recherche concerne la théorie ricardienne. Ricardo admet le principe de la valeur-travail incorporée, mais il introduit un certain nombre de perturbations, d’exceptions telles que la plus ou moins grande durabilité des machines, ou les différentes combinaisons possibles entre le capital fixe et le capital circulant ; de plus, il recherche une « mesure invariable des valeurs », un étalon invariable aux changements dans la répartition entre les salaires et les profits, mais aussi dans la technique de production des marchandises. Peu de temps après son arrivée au « King’s College », en novembre 1927, Piero Sraffa discute de son projet de recherche avec John Maynard Keynes. Ce dernier donne l’appréciation suivante le 28 novembre, à sa femme Lydia :
« Samedi, j’ai eu une longue conversation avec Sraffa au sujet de son travail. C’est très intéressant et original, mais je me demande si ses étudiants le comprendront quand il fera ses cours »1.
2Dans le courant de l’année 1928, Sraffa décide de faire lire à Keynes une « ébauche des propositions du début » de son étude. Celui-ci ne semble pas vouloir discuter à fond des thèses exprimées, et il se borne au conseil d’indiquer clairement au lecteur « si on ne devait pas présupposer des rendements constants »2. En contre-partie, nous l’avons vu, il fait lire au jeune italien différentes ébauches de son Treatise on Money.
3A la fin des années vingt, les « propositions centrales » du futur ouvrage sont déjà en place. La recherche comporte des aspects mathématiques. A ce propos, Piero Sraffa bénéficie durant un laps de temps très court, en 1928 et 1929, des conseils de son ami Frank P. Ramsey, qui meurt prématurément en janvier 1930. Après Ramsey, deux mathématiciens de l’université de Cambridge lui prodigueront des conseils techniques, Alister Watson et surtout A.S. Besicovitch. Dans les années 1932-1940 environ, Sraffa développe des points spécifiques de sa théorie, par exemple l’introduction du « capital fixe » et de la « production conjointe » dans ses systèmes d’équations ; il parvient enfin à la construction d’une « marchandise-étalon », c’est-à-dire d’un étalon invariant aux changements dans la répartition du « surplus » entre les salaires et les profits, pour une méthode de production donnée.
2– LA MISE EN CHANTIER DE L’EDITION SCIENTIFIQUE DES OEUVRES COMPLETES DE DAVID RICARDO
4Parallèlement à sa recherche sur Production de marchandises par des marchandises, Piero Sraffa s’engage à partir de 1930, dans la préparation de l’édition scientifique des Œuvres complètes de David Ricardo, incluant non seulement tous les ouvrages, les manuscrits, les articles, mais aussi l’ensemble de sa correspondance d’économiste.
5Le premier travail de regroupement des écrits de Ricardo avait été réalisé par l’un de ses disciples, John Ramsay Mc Culloch, The Works of David Ricardo, en 1846. A partir du dernier quart du XIXe siècle, différentes publications se succèdent. James Bonar édite, en 1887, les lettres de Ricardo à T.R. Malthus (1810-1823), puis en 1899, avec la collaboration de Jacob H. Hollander, les lettres de Ricardo à Hutches Trower et à d’autres correspondants (1811-1823). Jacob H. Hollander livre au public, en 1895, les lettres de Ricardo à Mc Culloch (1816-1823). Après les découvertes de nouvelles archives par le colonel Frank Ricardo, en 1919, Theodore E. Gregory publie les Notes on Malthus’s Principles of Political Economy, en 1928. Jacob H. Hollander, quant à lui, édite en 1932 les lettres de Mc Culloch à Ricardo (1818-1823), puis en 1932, les Minor Papers on the Currency System (1809-1823). En 1925, la « Royal Economic Society » lance le projet des œuvres complètes de David Ricardo, et le confie à Theodore E. Gregory, de la « London School of Economics ». Celui-ci ne s’engage pas beaucoup dans cette tâche dans les années qui suivent. Au printemps 1930, J.M. Keynes, secrétaire de la « Royal Economie Society » depuis 1923, réussit à convaincre le nouveau président, Herbert Somerton Foxwell, de confier cette responsabilité à Piero Sraffa et non plus à Gregory, avec bien entendu l’accord de ce dernier. Le jeune italien se met immédiatement au travail. Depuis sa prison, Antonio Gramsci apprend, en 1931, le projet d’édition de Ricardo, grâce à un article de Luigi Einaudi, paru dans La Riforma Sociale, « Per una nuova collana di economisti »3. Il s’en déclare très content, et ajoute :
« J’espère que je serai capable de lire couramment l’anglais quand cette édition sera publiée et que je pourrai lire Ricardo dans le texte original »4.
6En effet, il ne peut disposer, pour ses recherches, des Principes de l’économie politique et de l’impôt, par exemple dans la traduction italienne de la « Bibliothèque de l’Economiste » (1856), rééditée en 1925 avec une introduction d’Achille Loria5, et doit se contenter de la présentation critique de Charles Gide, dans le célèbre manuel rédigé avec l’aide de Charles Rist, Histoire des doctrines économiques depuis les physiocrates jusqu’à nos jours6. P.Sraffa fait transmettre un mois plus tard sa réponse par la belle-sœur Tatiana Schucht :
« Quand vous écrivez à Nino, dites-lui que ce qu’il dit de l’édition des œuvres de Ricardo que je suis en train de préparer, m’a fait un grand plaisir ; j’espère qu’elle sortira d’ici un an et demi ou deux, et je lui en enverrai bien sûr un exemplaire »7.
7Notre intellectuel, qui entend publier non seulement toutes les lettres de Ricardo, mais aussi toutes celles de ses correspondants, se lance dans la recherche de lettres inédites en particulier auprès des descendants et des héritiers. Joint Maynard Keynes prend une part active dans ces démarches. Sraffa entre alors en contact avec les arrières petits-fils du grand économiste anglais, le lieutenant-colonel Henry George Ricardo8, et le colonel Frank Ricardo9. Il fait connaissance de Robert Malthus, descendant du célèbre pasteur. L’année 1930 est particulièrement riche en trouvailles. En mai, le colonel Frank Ricardo découvre à Bromesberrow Place, près de Ledbury, résidence d’Osman, fils aîné de Ricardo, une grande quantité de lettres. J.M. Keynes nous renseigne, le 1er juin, sur le comportement de Piero Sraffa à ce moment précis :
« Piero était au comble de l’excitation et il veilla toute la nuit, jusqu’à six heures du matin, en les lisant »10.
8Le 5 juin, Piero indique dans une missive à son ancien professeur, Luigi Einaudi :
« Nous avons réussi à découvrir (je vous le dis en secret pour l’instant) une bonne partie des lettres de Malthus, Mc Culloch, Bentham, Trower, et ce qui est plus excitant (exciting) encore, environ 45 lettres de James Mill ; sans compter une demi-douzaine d’importantes lettres de R(icardo), dont il avait conservé une copie. Et je suis sur la trace d’autres, je l’espère.
9Dans cette lettre, Piero Sraffa déplore ensuite son échec dans la recherche en France de lettres de Ricardo à Jean-Baptiste Say. En France, André Liesse, grand ami de Léon Say, à qui il s’est adressé, n’a pu le renseigner à ce sujet11. Piero Sraffa finira par retrouver la trace de ces lettres, au Havre, avant la Seconde guerre mondiale. Elles étaient détenues par un arrière petit-fils de Jean-Baptiste Say, Edgar Raoul-Duval. A la fin de l’année 1930, le colonel Frank Ricardo découvre un nouveau lot de lettres de différents correspondants de Ricardo12, ce qui comble à nouveau de joie Piero Sraffa.
10Dans son travail de mise au point des textes et des lettres de Ricardo, le chercheur italien bénéficie de conseils de John Maynard Keynes, de James Bonar, d’Edwin Cannan, de Theodore E. Gregory, et en Italie, de Luigi Einaudi, qui expose en 1936 dix critères techniques pour l’édition des « classiques » de l’économie politique, dans l’étude « Corne non si devono ristampare i nostri classici », dans La Riforma Sociale. Dès 1930, Sraffa affirme déjà sa réputation de bon connaisseur de l’œuvre de David Ricardo. Il réagit à une étude de Luigi Einaudi parue, en novembre 1929, dans le Quarterly Journal of Economics, « James Pennington or James Mill : an early Correction of Ricardo », qui attribue à Ricardo une erreur de calcul dans la présentation de la loi des coûts comparatifs. Dans une note de caractère philologique, publiée dans la même revue en mai 1930, « An Alleged Correction of Ricardo », Piero Sraffa démontre que cette « erreur » est commise en réalité par James Mill et se trouve attribuée à tort à Ricardo par John Stuart Mill, sans doute pour ménager son père. Luigi Einaudi, dans une réponse publiée à la suite de cette note, admet d’une manière élégante s’être fourvoyé13.
11Dans le cadre de son édition, entre 1931 et 1933, Piero Sraffa entreprend une série de recherches sur la vie de Ricardo. Les descendants de l’économiste l’aident de leur mieux, en particulier le colonel Frank Ricardo, qui mettra à sa disposition de nombreux documents, et le peu qui subsiste de la bibliothèque personnelle de l’auteur des Principles. Sur la question des origines familiales, Sraffa fait effectuer des recherches dans les archives de la communauté israëlite de Livourne, en 193214. Il consulte en Hollande les registres des paroisses et les mémoires de clergymen, afin de préciser l’attitude de Ricardo sur la question religieuse, et notamment son passage à la « Secte unitaire ». Sur les activités financières, il consulte les maisons de banque de Lombart Street à Londres. En 1933, il peut montrer à Huguette Biaujaud, venue bénéficier de ses conseils pour la préparation de sa thèse, Essai sur la théorie ricardienne de la valeur15, une première version de la biographie, qui figurera plus tard, en 1955, dans le volume X, Biographical Miscellany des œuvres complètes16.
12Piero Sraffa compte réaliser assez rapidement son travail d’édition. On a vu qu’il annonce en 1931 à Antonio Gramsci une sortie vers mars-octobre 1933. John Maynard Keynes, de son côté, indique également la parution du travail de Piero « from whom nothing is hid », pour le courant de 193317. La parution promise n’a pas lieu ; au printemps 1934, Piero Sraffa la promet alors pour l’automne de cette année18. A partir de 1935, il n’annonce plus une sortie imminente. Les difficultés de préparation de l’édition sont plus importantes que prévu, tant pour les textes que pour la correspondance. De plus, les scrupules scientifiques l’incitent à poursuivre la recherche des lettres perdues.
3– UN IMPORTANT ECHANGE DE VUES AVEC ANTONIO GRAMSCI SUR LA PORTEE PHILOSOPHIQUE DE LA THEORIE RICARDIENNE
13Un très important échange de vues s’est déroulé entre Piero Sraffa et Antonio Gramsci sur la théorie ricardienne, deux ans seulement après la mise en chantier de l’édition des œuvres complètes. Dans une lettre du 30 mai 1932, adressée à Tatiana Schucht, le prisonnier consulte son ami sur le problème de l’importance de David Ricardo dans la formation du « matérialisme historique » :
« (...) Je veux te faire part d’une série de remarques pour que tu les transmettes éventuellement à Piero, en lui demandant quelques renseignements bibliographiques qui me permettent d’élargir le champ de mes réflexions et de mieux m’orienter. J’aimerais savoir s’il existe quelque publication spéciale, même en anglais, sur la méthode de recherche propre à Ricardo dans les sciences économiques et sur les innovations que Ricardo a introduites dans la critique méthodologique. Je pense que surtout au moment du centenaire de sa mort, il y a dix ans19, il a dû paraître une riche littérature sur ce sujet et qu’il doit être possible de trouver ce qui précisément m’intéresse. Le cours de mes réflexions est le suivant : – peut-on dire que Ricardo a eu une importance non seulement dans l’histoire de la science économique, où il est certes du tout premier ordre, mais aussi dans l’histoire de la philosophie ? Et peut-on dire que Ricardo a contribué à inciter les premiers théoriciens de la philosophie de la praxis à dépasser la philosophie hégélienne et à élaborer un nouvel historicisme, débarrassé de toute trace de logique spéculative ? Il me semble que l’on pourrait essayer de démontrer cette thèse et que cela en vaudrait la peine. Je pars des deux concepts, fondamentaux pour la science économique, de « marché déterminé » et de « loi de tendance » que l’on doit, me semble-t-il, à Ricardo et je raisonne ainsi : – n’est-ce pas sur ces deux concepts qu’on s’est fondé pour réduire la conception « immanentiste » de l’histoire, – exprimée en un langage idéaliste et spéculatif par la philosophie classique allemande, – à une « immanence » réaliste immédiatement historique, dans laquelle la loi de causalité des sciences naturelles a été débarrassée de ce qu’elle comportait de mécaniste et s’est synthétiquement identifiée au raisonnement dialectique de l’hégélianisme ? – Toute cette suite de réflexions paraît peut-être encore un peu confuse, mais il m’importe précisément qu’elle soit comprise dans son ensemble, fût-ce approximativement, car il suffît de savoir si le problème a été entrevu et étudié par quelque spécialiste de Ricardo. Il faut rappeler que Hegel lui-même a, dans d’autres cas, vu ces Mens nécessaires entre des activités scientifiques différentes et même entre activités scientifiques et activités pratiques. C’est ainsi que, dans ses Leçons d’histoire de la philosophie, il a trouvé un lien entre la Révolution française et la philosophie de Kant, de Fichte et de Schelling, et a dit que « deux peuples seulement, les Allemands et les Français, quelque opposés qu’ils soient entre eux, et même justement à cause de leur opposition, ont pris part à la grande époque de l’histoire universelle » de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe, étant donné qu’en Allemagne le nouveau principe « a fait irruption comme esprit et concept » tandis qu’en France il s’est développé « comme réalité effective ». D’après La Sainte Famille on voit comment ce lien mis en évidence par Hegel entre l’activité politique française et l’activité philosophique allemande a été repris par les théoriciens de la philosophie de la praxis. Il s’agit de voir comment et dans quelle mesure l’économie anglaise classique, sous la forme méthodologique élaborée par Ricardo, a contribué au développement ultérieur de la nouvelle théorie. Que l’économie classique anglaise ait contribué au développement de la nouvelle philosophie, c’est admis communément, mais d’ordinaire on pense à la théorie ricardienne de la valeur. Il me semble qu’il faut voir plus loin et reconnaître un apport que j’appellerai synthétique, c’est-à-dire concernant l’intuition du monde et le mode de pensée, et non seulement un apport analytique, fût-il fondamental, concernant une doctrine particulière. Dans son travail pour l’édition critique des œuvres de Ricardo, Piero pourrait recueillir un matériel précieux sur ce sujet. Quoi qu’il en soit, il devrait voir s’il existe une publication quelconque qui traite de ces problèmes ou qui puisse m’aider, dans ma situation de détenu, c’est-à-dire dans l’impossibilité où je suis de faire des recherches systématiques en bibliothèque »20.
14Gramsci veut améliorer son information sur la méthodologie ricardienne ; il pense que la méthode déductive du « supposons que » conduit l’économiste anglais non pas à la construction de généralités abstraites, mais à l’examen d’une « forme sociale » déterminée, et ainsi à la mise en lumière du « marché déterminé », c’est-à-dire d’un ensemble d’activités économiques spécifiques impliquant l’existence d’un certain rapport de force entre des classes sociales21. Chaque classe agit selon une « rationalité » spécifique. Sur cette base, Ricardo, selon Gramsci, établit des « lois de tendance qui sont des lois, non pas au sens du naturalisme ou du déterminisme spéculatif, mais au sens « historiciste », dans la mesure où il existe un « marché déterminé »22. Cependant, le nœud du problème est la place de l’économiste anglais dans la formation de Marx : Ricardo est-il un innovateur du point de vue gnoséologique et philosophique, et a-t-il joué à ce titre un rôle de catalyseur dans le passage de l’hégélianisme au marxisme ?
15Piero transmet sa réponse dans une missive du 21 juin à Tatiana Schucht, qui reproduit ensuite mot pour mot le texte dans une lettre à Gramsci du 5 juillet.
16Que dit Sraffa dans cette lettre ?
« Nino peut imaginer combien m’ont intéressé ses observations. Pour la principale observation, concernant la signification de Ricardo dans l’histoire de la philosophie, il faut que j’y réfléchisse – et pour bien la comprendre, il faut que j’étudie plus que les écrits de Ricardo, ceux des premiers théoriciens de la philosophie de la praxis. Mais je voudrais avoir quelques explications sur les deux concepts de « marché déterminé » et de « loi de tendance », que Nino appelle fondamentaux et auxquels, en les mettant entre guillemets, il semble attribuer une signification technique : j’avoue que je ne comprends pas bien à quoi ils se rapportent, et en ce qui concerne le second j’étais habitué à le considérer plutôt comme une des caractéristiques de l’économie vulgaire. De toute façon il est très difficile d’apprécier l’importance philosophique, si elle existe, de Ricardo, puisque lui-même, à l’inverse des philosophes de la praxis ne se soumettait jamais à considérer historiquement sa propre pensée. En général il ne se place jamais du point de vue historique et, comme il a été dit, il considère comme lois naturelles et immuables les lois de la société dans laquelle il vit »23.
17Curieusement, Sraffa voit dans le concept de « loi de tendance » un apport non pas de Ricardo, mais de l'« économie vulgaire ». Il se réfère semble-t-il, à ce propos, aux Principles of Economics (1890) d’Alfred Marshall, qui définissent la loi économique comme un « exposé de tendance ». Il refuse de voir, à juste titre, dans Ricardo un penseur « historiciste », et d’une manière générale, il reste sceptique quant à son importance du point de vue philosophique. Il indique à ce sujet dans la lettre que l’« unique élément culturel que l’on puisse y trouver, est dérivé des sciences naturelles »24. Dans l’immédiat, notre chercheur estime ne pas pouvoir apporter d’éléments décisifs à son ami ; il fournit cependant un certain nombre de références bibliographiques. Parmi celles-ci, l’une est particulièrement intéressante : un recueil d’écrits de jeunesse de Marx publié en Allemagne par les soins de Siegfried Landhut et J.P. Mayer, Der historische Materialismus - Die Frühschriften, publié en 193 225. Le premier volume contient en effet la Critique du droit politique hégélien, déjà paru en allemand en 192726, et un écrit inédit, les fameux Manuscrits de 184427. Piero Sraffa est convaincu que ce dernier texte est capital pour clarifier le problème posé par son ami.
18Malheureusement, il n’est guère certain que le prisonnier ait reçu cette réponse, et l’amorce d’un dialogue, pourtant prometteur n’aura pas de suite.
4– LA PUBLICATION DES OEUVRES COMPLETES DE RICARDO
19Au cours de la seconde moitié des années trente, le travail de préparation de l’édition des œuvres complètes de Ricardo avance peu à peu. Au printemps 1940, six volumes sont composés et attendent la publication. Mais la Seconde guerre mondiale oblige Piero Sraffa à surseoir à cette édition. Toutefois, avec le recul du temps, on doit remarquer que cet ajournement est tout à fait providentiel, et que notre intellectuel italien a certainement dû s’en féliciter. En effet, en juillet 1943, C.K. Mill découvre dans le château de son beau-père, F.E. Cairnes, fils de John Elliot Cairnes, à Raheny près de Dublin en Irlande, un important ensemble de documents. On y met à jour une correspondance entre John Elliot Caimes et son ami John Stuart Mill28. Les économistes George O’Brien et Friedrich Von Hayek sont aussitôt alertés. Piero Sraffa, averti de cette découverte par Von Hayek, contacte alors C.K. Mill pour savoir si, à tout hasard, ces documents contiennent des lettres de Ricardo. Ayant reçu une réponse affirmative, il se rend alors à Raheny où il fait une découverte surprenante : les archives de Ricardo en possession de James Mill. Il y trouve des séries complètes de lettres de Ricardo à J.Mill, mais aussi des manuscrits inconnus, tels que l’étude, aujourd’hui célèbre, « Absolute value and exchangeable value » (1823). Il envoie immédiatement un rapport sur cette très importante mise à jour à son ami John Maynard Keynes, qui séjourne à l’époque à Washington29. La richesse de ces archives est telle que le programme initial d’édition devra être révisé de fond en comble.
20Dix volumes au lieu de six sont envisagés après la fin de la Seconde guerre mondiale, dont notamment quatre tomes de correspondance au lieu de trois, et deux tomes de Pamphlets and Papers au lieu d’un. En 1948, Piero Sraffa demande à son ami Maurice Dobb, « lecturer » au « Trinity College », de l’aider dans la préparation de l’édition, pour la rédaction des notes et en particulier pour les introductions aux volumes I, II, V et VI.
21Depuis la mort de sa mère en 1945, il habite au « Trinity College ». En 1948, il a décidé de faire connaître, durant l’été, l'Italie de l’après-guerre à ses amis de Cambridge, Richard F. Kahn et Joan Robinson. Tous les trois sont passionnés par les excursions en montagne, et lorsqu’ils ne sont pas sur les hauteurs, ils se plongent dans le livre de Roy Harrod dont la parution est imminente, Towards a Dynamic Economics30.
22De 1948 à 1951, Piero Sraffa et Maurice Dobb travaillent sans relâche à la préparation des œuvres complètes de Ricardo. Les quatre premiers volumes voient enfin le jour en 1951. Le premier, On the Principles of Political Economy and Taxation, contient la « General Preface » et l’importante « Introduction », rédigée avec la collaboration de Maurice Dobb31. Le second volume est constitué par les Notes on Malthus’s Principles of Political Economy. Les Pamphlets and Papers, 1809-1811 et 1815-1823, forment les volumes III et IV. Notre économiste rédige notamment pour ce dernier tome une « Note on Fragments on Torrens » et une « Note on Absolute Value and Exchangeable Value ».
23Le professeur Luigi Einaudi, alors président de la République Italienne32, prépare une recension des deux premiers volumes pour le Giornale degli Economisa, « Dalla leggenda al monumento »33. Cette étude, qui taquine au début l’ami Sraffa pour sa lenteur dans la préparation de l’édition, reste de caractère purement philologique. Elle ignore totalement l’originalité de la lecture de Ricardo dans l’« Introduction » au premier volume. Piero remercie son ancien professeur dans une lettre du 6 septembre 1951, dans laquelle il se permet de lui signaler une erreur sur l’épreuve de la recension : Ricardo ne fut pas témoin devant le comité du Bullion Report, bien qu’il l’ait beaucoup influencé à partir de 181034.
24En 1952, un important ensemble voit le jour, le volume V consacré aux Speeches and Evidence et les volumes VI,VII, VIII et IX qui comprennent la totalité de la correspondance, Letters 1810-1815, 1816-1818,1819-june 1821 et july 1821-1823, soit 555 lettres dont 296 de Ricardo et 259 de ses correspondants : 317 sont publiées pour la première fois. Le volume X, Biographical Miscellany sort en 1955. La même année, notre italien publie une lettre de Malthus à Ricardo du 11 janvier 1817, retrouvée dans la « Rothchild Library » : « Malthus on public Works »35.
25Piero Sraffa reçoit à partir de cette époque de multiples récompenses pour la qualité de son édition des œuvres de Ricardo. En 1954, il devient « fellow » de la British Academy. Le 23 mars 1961, à Stockholm, il recevra des mains du Roi de Suède Gustav-Adolf, la médaille d’or « Söderström », de l’Académie Royale des sciences. Cette distinction honorifique, décernée à une époque où le prix Nobel d’économie n’existe encore pas, avait été précédemment décernée à Gunnar Myrdal et antérieurement à John Maynard Keynes.
5– UN PRODIGIEUX ERUDIT EN HISTOIRE DE LA PENSEE ECONOMIQUE
26La prodigieuse érudition en histoire de la pensée économique, et plus généralement en histoire de la culture, de Piero Sraffa a souvent été mise à contribution. Nombreux sont venus le consulter sur de multiples questions, et ils étaient toujours reçus avec une grande courtoisie et une gentillesse mêlée de réserve et de discrétion. Durant les premières années du second après-guerre, il devient l’un des conseillers de la maison d’édition, fondée en 1933,par l’un des fils de son ancien professeur Luigi Einaudi, Giulio (né à Turin en 1911). Dans cette maison d’édition qui s’est distinguée pour son orientation anti-fasciste, il y rencontre des collaborateurs importants tels qu’Antonio Giolitti et le communiste-catholique Felice Balbo. A l’automne 1948, son ami Giulio Einaudi lui fait part du lancement d’une collection d’« économistes classiques », et lui demande son avis sur une première liste d’auteurs à publier. Piero Sraffa lui répond par la lettre suivante du 30 octobre 1948 :
« A propos de la collection des économistes classiques. Il est certain que pour réussir et avoir une valeur permanente une collection de ce genre doit être inspirée par une idée unitaire, comme le fut la « Bibliothèque de l’Economiste » de Ferrara. A l’heure actuelle, une collection d’économistes classiques, considérés comme sources du marxisme, n’a jamais été faite dans aucun pays, et elle se prête à être réalisée. Mais elle devrait être précédée d’une édition décente des œuvres de Marx surtout des Theorien ü. den Mehrwert, dont il est question, et qui contiennent l’indication des économistes classiques à choisir.
Je suis d’accord pour les premiers noms que tu indiques. Cependant, Petty tout comme Quesnay ne sont pas (à l’inverse d’A. Smith et de Ricardo) les auteurs d’une œuvre fondamentale en tant que telle – par exemple, le Tableau Economique est un opuscule de 20 ou 30 pages. Aux volumes que tu indiques, j’ajouterais sans hésitation Cantillon, Essai sur la nature du commerce en général (dont il y a une traduction italienne du XVIIIe siècle dont je ne sais ce qu’elle vaut). L’idée me semble excellente36 ».
27Dans ce document, Piero Sraffa se réfère tout d’abord à la prestigieuse « Bibliothèque de l’Economiste », publiée entre 1850 et 1937, qui comprend quatre-vingt-trois volumes37. Il tient à rajouter à la liste de Giulio Einaudi l'Essai sur la nature du commerce en général de Richard Cantillon. Dans sa collection personnelle, il possède l’édition originale de 1755, donnée par son ami Raffaele Mattioli, qui l’avait acquise pour une somme dérisoire chez un antiquaire réputé, comme le rappelle Luigi Einaudi dans un ouvrage consacré à l’histoire de la pensée économique38. Sraffa fait allusion à la première traduction italienne du livre, réalisée par Scottoni, et publiée à Venise en 1767. Il va accepter d’être le conseiller de la série des « Classici dell’ Economia » des éditions G. Einaudi, qui naît en 1954 avec la parution du premier volume des Théories sur la plus-value de Marx : Storia delle teorie economiche, tome 1, La teoria del plusvalore da William Petty a Adam Smith. Les tomes 2, David Ricardo, et 3, Da Ricardo all’ economia volgare sortiront respectivement en 1955 et 1958. La collection publiera seulement deux autres titres : l'Essai sur la nature du commerce en général de Richard Cantillon, en 195539 et L’accumulation du capital de Rosa Luxemburg en 1960.
28En 1958, Sraffa révèle son talent d’érudition dans une longue missive adressée à Luigi Einaudi, à l’occasion de la sortie, cette année-là en France, du recueil François Quesnay et la Physiocratie40. Son ancien professeur a collaboré à ce travail par une Préface et l’article « A propos de la date de publication de la Physiocratie ». Sraffa, qui a obtenu rapidement l’ouvrage grâce à son ami Raffaele Mattioli, envoie le 22 août ses impressions sur le second volume, consacré aux « textes annotés ». Il relève par exemple, l’importance décisive de la lettre de Turgot à Du Pont de Nemours du 18 novembre 1767. Il remarque aussi que la première utilisation du terme « Physiocratie » ne se trouve pas sous la plume de l’Abbé Baudeau, dans son hebdomadaire Ephémérides du citoyen ou Chronique de l’esprit national, en avril 1767, mais apparaît plutôt dans l’annonce de la parution prochaine du livre de Du Pont de Nemours, dans le fascicule de mars 1767 des mêmes Ephémérides : Physiocratie, ou Constitution naturelle du gouvernement le plus avantageux au genre humain41.
29Dans le cadre de ses fonctions de « director of research », Piero Sraffa a supervisé les travaux de très nombreux étudiants venus se perfectionner à Cambridge. Il a ainsi conseillé le néo-zélandais Ronald L. Meek (1917-1978) dans la préparation de sa thèse : The Development of the Concept of Surplus in Economic Thought from Mun to Mill (1949)42. Il a dirigé les recherches de l’italien Pierangelo Garegnani (né en 1930), stagiaire au « Trinity College » à partir de 1953, et auteur de la thèse fondamentale : A problem in the Theory of Repartition from Ricardo to Wicksell (1958), qui trouvera son aboutissement dans Le capital dans les théories de la répartition (1960)43.
30Piero Sraffa a eu le privilège d’entretenir des relations amicales avec la plupart des grands spécialistes en histoire de la pensée économique de son temps. Par exemple, il se trouve en contact avec l’américain William Jaffé, qui a consacré de longues années à la préparation de l’ouvrage monumental, Correspondence of Léon Walras and Related Papers. Sraffa voit dans ce travail « un refuge sûr et notre inépuisable source de consolation toutes les fois que l’on souhaite s’évader de ses soucis quotidiens »44.
31Pour cette édition, Piero Sraffa a transmis à W. Jaffé une lettre autographe de Léon Walras qu’il possédait dans sa collection45.
6– L’ACHEVEMENT DE PRODUCTION DE MARCHANDISES PAR DES MARCHANDISES
32Dégagé de l’édition de Ricardo, Piero Sraffa dispose de plus de temps libre. En 1955, il a l’occasion de participer à un voyage d’étude dans la jeune République populaire de Chine. Il rédige à cette époque un article sur le développement du commerce anglo-chinois sur la période 1952-55, pour un colloque italien consacré à la Chine46.
33A partir de 1955, il se replonge dans ses anciennes notes de recherche sur Production de marchandises par des marchandises, travail qu’il a pratiquement interrompu depuis la Seconde guerre mondiale. Il décide d’ordonner la matière par chapitres dans un nouveau texte, et complète la contenu sur des points très particuliers tels que, par exemple, « l’extension au cas des produits conjoints de la distinction entre produits « fondamentaux » et « non-fondamentaux »47, mais il n’envisage pas une publication dans l’immédiat.
34Vers 195848, son ami Raffaele Mattioli, qui deux ans plus tard deviendra président du Conseil d’administration de la « Banca Commerciale Italiana », le persuade de publier rapidement en Grande-Bretagne et en Italie, son travail sur Production de marchandises par des marchandises. Les réticences nombreuses de l’auteur sont peu à peu vaincues, et l’« Avant-propos » est enfin rédigé en mars 1959. R. Mattioli lui propose sa collaboration pour la traduction du texte anglais en italien. L’ouvrage paraît dans les premiers mois de 1960, tout d’abord en Grande-Bretagne, Production of Commodities by Means of Commodities – Prelude to a Critique of Economic Theory puis en Italie, Produzione di merci a mezzo di merci – Premesse a una critica della teoria economica49.
35Trente-trois ans de gestation ont été nécessaires pour la rédaction de ce livre de cent dix pages dans l’édition anglaise, qui comprend trois parties (« Branches à produit unique et capital circulant », « Branches à produit multiple et capital fixe », « Le changement des méthodes de production ») et quatre Appendices. En 1961-62, Production de marchandises par des marchandises fait l’objet de recensions dans les principales revues économiques internationales. Les tenants de l’orthodoxie « néo-classique » contestent l’originalité théorique du modèle de Sraffa, ou au mieux, le considèrent comme une version supplémentaire du modèle input-output de l’économiste américain d’origine russe, Wassily Léontieff50. Dans son compte-rendu paru dans l'Economic Journal, l’économiste « néo-keynésien » Roy F. Harrod sous-estime largement la rupture opérée avec la théorie traditionnelle et il entrevoit la possibilité d’une « coexistence pacifique ». Selon lui, la caractéristique essentielle du livre réside dans l’absence de référence à la demande des consommateurs dans la détermination des prix de production51. Piero Sraffa répond publiquement à R.F. Harrod dans une mise au point publiée en juin 1962 dans l'Economic Journal52.
36L’économiste Peter K. Newman, quant à lui, dans la Revue suisse d’économie politique et de statistique, estime nécessaire de « transposer son œuvre dans les termes walrasiens de l’économie mathématique qui sont plus généralement utilisés »53. Piero Sraffa communique ses impressions à l’auteur de la recension dans une lettre du 4 juin 1962. Mis à part un désaccord sur la question des « produits non fondamentaux », il se déclare très intéressé par cette « transposition », opérée sur la première partie de son livre54. Joan Robinson, éminente représentante de l’« Ecole de Cambridge », propose une « lecture » bien différente de Production de marchandises par des marchandises, dans Oxford Economic Papers55. Elle met l’accent sur le sous-titre : Prélude à une critique de la théorie économique. En effet, elle souligne trois caractéristiques essentielles de l’ouvrage :
- le système de production établi par Sraffa n’admet pas d’équation de demande dans la détermination des prix d’équilibre ;
- les prix des marchandises ne se résolvent pas comme chez Adam Smith en salaires, profits et rentes ;
- la démarche de l’auteur conduit à la critique de la théorie « néo-classique » de la productivité marginale et des facteurs de production.
37On doit noter à propos de ce troisième aspect qu’un débat s’engage au cours des années 1960, à partir des thèses de Sraffa, sur la possibilité de mesurer le « capital » indépendamment de la répartition et sur la question du « retour des techniques ». L’économiste italien Claudio Napoleoni, dans le Giornale degli Economisti56, développe la thèse selon laquelle l’approche en terme de « surplus » proposée par Sraffa ne doit pas être confondue avec l’approche en terme de « surplus » des économistes classiques. En effet, l’auteur détermine les prix des marchandises en dehors de toute référence à la théorie de la valeur-travail, et par conséquent, il ne fait pas intervenir le marché. Chez Ricardo, la problématique de l’étalon invariable était indissociable de la valeur, alors que chez Sraffa elle en est complètement détachée. Cette recension a ouvert la voie en Italie à un long débat entre les marxistes et les « sraffiens » sur le statut de la théorie de la valeur chez Marx et sur le problème de la « transformation » des valeurs en prix de production.
38Si pour certains économistes marxistes, l’œuvre de Sraffa est tout-à-fait incompatible avec celle de Marx, des auteurs comme R. Meek ou M. Dobb tentent d’établir des points de convergence. Ronald L. Meek, dans le Scottish Journal of Political Economy, établit des similitudes entre Sraffa et Marx sur le rapport entre le taux moyen de profit et les conditions de production de la « branche à composition organique du capital moyenne »57. Maurice Dobb de son côté, a publié un compte-rendu dans la petite revue The Labour Monthly, dont son ami Sraffa avait contacté la rédaction, en 1921, lors de son premier séjour à Londres : « An Epoch-making Book »58. Il affirme que Production de marchandises par des marchandises offre la possibilité de résoudre définitivement le problème de la « transformation » des valeurs en prix de production chez Marx, même si l’auteur n’a pas abordé explicitement cette question, dans l’appendice consacré aux « sources ».
39Piero Sraffa n’ayant jamais publié une étude sur la théorie économique de Marx, ni même donné quelques éclaircissements à ce sujet pour permettre de mieux comprendre la finalité de Production de marchandises par des marchandises, certains participants au débat international sur la « transformation » dans les années soixante, qui ont eu la chance de pouvoir rencontrer Piero Sraffa, lui ont demandé de préciser son point de vue. On peut rapporter ici, à titre d’exemple, le témoignage de Gilles Dostaler qui a eu un entretien avec notre intellectuel italien en juin 1973, à Cambridge. Selon cet économiste marxiste canadien, Piero Sraffa affirme que ses « valeurs » et les « prix de production » de Marx au livre 3 du Capital renvoient « exactement à la même réalité ». Il précise :
« Sraffa nous a donc dit qu’il n’aurait pu écrire Production de marchandises par des marchandises si Marx n’avait pas écrit Le Capital. Il est clair, nous a-t-il dit, que l’œuvre de Marx l’avait beaucoup influencé, et qu’il se sentait plus en sympathie avec lui qu’avec ceux qu’il appelle les « camoufleurs » de la réalité capitaliste. Manifestement au fait des critiques qui lui viennent de certains milieux marxistes, Sraffa nous a expliqué qu’il n’avait pas à réécrire les trois livres du Capital. Plus encore, Sraffa considère que son modèle décrit certains aspects de la même réalité que celui que décrit Marx, réalité caractérisée par l’antagonisme de classe entre les ouvriers et les capitalistes, par l’exploitation des premiers par les seconds »59.
7– LES DERNIERES ANNEES
40En 1963, Piero Sraffa, alors âgé de soixante-cinq ans, cesse ses fonctions de « director of research ». Il devient « emeritus reader in Economics » au « Trinity College ». Cependant, il reste à son poste de bibliothécaire de la « Marshallhall Library of Economics » jusqu’en 1973. A ce titre, John K. Whitaker, dans les années 1971-1974, appréciera « the willing and active co-operation » de notre intellectuel italien pour la préparation de l’édition des écrits économiques de jeunesse d’Alfred Marshall60. Depuis les années 1960, Sraffa ne se sent plus en état de s’investir dans une recherche continue. Il confie, au printemps 1967, à Luca Meldolesi qu’il a recueilli les écrits épars de Saint-Simon, dont l’œuvre avait, selon lui, largement anticipé la théorie politique de Marx, mais qu’il n’a plus la force de réaliser une édition ses œuvres complètes61.
41De nombreux jeunes chercheurs désirent faire la connaissance de notre italien, et bénéficier de ses conseils. Ils reçoivent toujours un accueil très cordial dans l’appartement pour célibataire que le « Trinity College » lui a réservé à vie. Parmi les jeunes économistes venus de son pays natal, on peut mentionner les noms de Luca Meldolesi (né en 1939)62, dans la période 1964-1967, de Sergio Steve, d’Alessandro Roncaglia (né en 1947)63, de Giorgio Gilibert64, d’Alfredo Medio (né en 1938)65, et de Domenico-Mario Nuti (né en 1938)66. Souvent sollicité pour intervenir à l’occasion de colloques internationaux consacrés à son œuvre, Piero Sraffa refuse toujours les invitations, prétextant que ses thèses ne peuvent être discutées qu’entre deux personnes seulement !
42Piero Sraffa a toujours fait preuve d’une extrême modestie et discrétion sur son œuvre d’économiste. Malgré de nombreuses sollicitations venues de ses admirateurs et amis italiens, il est en général réticent aux projets de regroupement en volume de quelques uns ou d’une grande partie de ses écrits. Il décline ainsi en 1972 la proposition de former un recueil à partir de ses principaux articles aux éditions Laterza de Bari67. En mars 1973, la maison Il Mulino de Bologne, qui prépare une collection de textes des grands économistes contemporains, lui demande l’autorisation de constituer un ouvrage avec ses écrits de la période 1922-1962. Curieusement, Piero Sraffa donne son accord à cette initiative. Malheureusement, ce projet d’édition ne pourra voir le jour. Cette même année, 1973, le professeur Aurelio Macchioro suggère une formule extrêmement intéressante pour la maison d’édition I.S.E.D.I. de Milan, qui réédite des classiques de l’économie politique :
« Pourquoi ne pas faire un volume hors-collection avec tous ses écrits... y compris même les introductions historiques, et quelques unes des notes historiques sur Ricardo ? Avec des introductions historico-critiques spécialement en ce qui concerne le milieu théorique (et social) de Cambridge d’avant la seconde guerre mondiale ? Quant à l’éditeur, bien sûr... Sraffa lui-même, par exemple, pourrait l’être, comme Croce, qui prépara son propre volume pour l’édition Ricciardi »68.
43Beaucoup plus tard, après la mort de Piero Sraffa, la maison d’édition Il Mulino pourra faire renaître son projet de collection des grands économistes contemporains et assurer la parution en 1986 du volume accepté par l’auteur treize ans auparavant69. Dans quelques années paraîtront les œuvres complètes, écrits et correspondance :, par les soins du professeur Pierangelo Garegnani de l’université de Rome ; elles permettront d’accéder à la connaissance des manuscrits inédits tels que les cours de Cambridge.
44Bien qu’installé durablement en Grande-Bretagne, Sraffa ne demandera jamais la nationalité britannique. Il a perdu sa chaire de Cagliari durant les années du fascisme, mais elle sera rétablie après la Seconde guerre mondiale. Toutefois, il refusera de percevoir le traitement correspondant, et en fera don à la bibliothèque de l’université pour l’achat d’ouvrages économiques.
45Piero Sraffa avait décidé de laisser, après sa mort, sa bibliothèque et sa fortune personnelle au « Trinity College » qui lui assurait une existence paisible. Nicholas Kaldor indique « même si Sraffa était le fils d’un riche avocat, il ne réussit à sortir d’Italie qu’une petite partie du patrimoine de son père ». Il ajoute qu’il détestait les jeux boursiers risqués, mais qu’il avait investi toute sa fortune en titres japonais durant la Seconde guerre mondiale, convaincu que le Japon honorerait ses dettes quelle que soit l’issue du conflit. Il conclut en indiquant :
« Il doit avoir gagné quelque chose comme 40-50 fois la somme investie, parce que, après la guerre, le Japon recommença à payer les intérêts de sa dette et paya aussi les intérêts accumulés durant les années de guerre (le Trinity College estima que le legs de Sraffa valait en 1983 environ un million et demi de Sterling, dont la moitié était représentée par la valeur de sa bibliothèque70) ».
46En 1981, Piero Sraffa est victime d’une thrombose qui l’oblige à un séjour permanent dans la clinique Hope de Cambridge. Après deux ans de souffrances, il meurt le 3 septembre 1983, presque un mois après sa vieille amie, Joan Robinson.
47A la cérémonie organisée en son honneur, on lira un message du Président de la République Italienne, Sandro Pertini, qui résume assez bien l’homme que fut Piero Sraffa :
« Il fut l’héritier génial et l’innovateur d’une grande tradition de la pensée économique, un illustre professeur pour des générations d’étudiants, un monument de culture européenne démocratique et anti-fasciste, un militant actif de la lutte pour le développement de la civilisation démocratique. Un grand Italien est mort, un Italien chez qui le génie scientifique, la morale la plus haute et la conscience politique ne faisaient qu’un »71.
Notes de bas de page
1 « On Saturday I had a long talk with Sraffa about his work. It is very interesting and original – but I wonder whether his class will understand him when he lecture » (Souligné par J.M.Keynes, lettre de J.M.Keynes à Lydia Keynes, 28 novembre 1927, « Keynes Papers », « King’s College », Cambridge, citée par Robert Skidelsky, « Keynes e Sraffa : un caso di non-communicazione », dans Riccardo Bellofiore, a cura di, Tra teoria economica e grande cultura europea : Piero Sraffa, Milan : Franco Angeli, 1986, p. 77).
2 Production de marchandises par des marchandises, « Avant-propos » Dunod, 1970, p. VIII.
3 L.Einaudi : « Per una nuova collana di economisti », La Riforma sociale, no 7-8, juillet-août 1931, p. 397.
4 Gramsci : lettre à Tatiana, 7 septembre 1931, dans Lettres de prison, Gallimard, 1971, p. 333.
5 Turin : U.T.E.T., 1925.
6 Paris : Sirey, 5e édition de 1926.
7 Piero Sraffa : lettre à Tatiana Schucht, 2 octobre 1931, dans Nvove lettere di Antonio Gramsci con altre lettere di Piero Sraffa, Riuniti, 1986, p. 71.
8 Petit-fils de David, deuxième fils de l’économiste.
9 Petit-fils de Mortimer, troisième fils de l’économiste.
10 « Piero was at a pitch of excitement and stayed up all night, until six o’clock next morning, reading them ». J.M. Keynes : lettre à Lydia Keynes, 1er juin 1930, « Keynes Papers », « King’s College », Cambridge, citée par Robert Skidelsky, « Keynes e Sraffa : un caso di non-communicazione », dans Ricardo Bellofiore, a cura di, Tra teoria economica e grande cultura europea : Piero Sraffa, Franco Angeli, 1986, p. 79.
11 Piero Sraffa : lettre à Luigi Einaudi, 5 juin 1930, conservée à la Fondation Luigi Einaudi de Turin. André Liesse (1854-1944) fut professeur d’économie politique à l’Ecole spéciale d’architecture de Paris, au Conservatoire national des arts et métiers et à l’Ecole libre des sciences politiques ; auteur de Vauban économiste (1891) et de La statistique, ses difficultés, ses procédés, ses résultats (1905).
12 Piero Sraffa : « A Survey of Ricardo Manuscripts », Appendice B, dans Biographical Miscellany, The Works and Correspondence of David Ricardo, volume X, Cambridge U. Press, 1955, p. 387.
13 Quarterly Journal of Economics, volume XLIV, mai 1930, pp. 539-544 (Sraffa), p. 545 (Einaudi).
14 Sraffa : « Addenda to the Memoir of Ricardo », dans Biographical Miscellany, The Works and Correspondance of David Ricardo, volume X, Cambridge U. Press, 1955, p. 18 note 3.
15 Huguette Biaujaud : Essai sur la théorie ricardienne de la valeur, Paris : Sirey, 1933, note de la p. 18. La thèse a été soutenue le 2 décembre 1933 à Paris sous la présidence de Gaëtan Pirou. Piero Sraffa demande à H. Biaujaud son aide pour la recherche des lettres de Ricardo à James Mill.
16 Voir Piero Sraffa : « Addenda to the Memoir of Ricardo » et « Ricardo in Business » ; dans Biographical Miscellany, The Works and Correspondence of David Ricardo, volume X, Cambridge U. Press, 1955, respectivement pp. 16-64 et pp. 65-106.
17 J.M. Keynes : « Thomas Robert Malthus », dans Essays in Biography, The Collected Writings, volume X, MacMillan – St Martin’s press, 1972, p. 97.
18 Voir la lettre de Rodolfo Morandi à Pietro Ernandez du 10 mars 1934, déjà citée p. 121.
19 Il s’agit en fait de 1923, et non de 1922.
20 Gramsci : lettre à Tatiana, 30 mai 1932, dans Lettres de prison pp. 429-430.
21 En fait, Gramsci attribue sans justification à Ricardo la paternité du concept de « marché déterminé » alors qu’il Ta trouvé chez l’économiste marginaliste italien Pasquale Jannaccone, dans un tout autre contexte, désignant les situations d’« équilibre stable » comme la concurrence parfaite et le monopole. Voir Jean-Pierre Potier : Lectures italiennes de Marx. Les conflits d'interprétation chez les économistes et les philosophes 1883-1983, P.U.L., 1986, p. 223.
22 Op. cit., p. 221.
23 Sraffa : lettre à Tatiana, 21 juin 1932, conservée à la Fondation Gramsci de Rome. Cet extrait de lettre, dans sa version communiquée par Tatiana à Gramsci le 5 juillet 1932 est publié par Nicolà Badaloni dans son étude « Gramscici : la filosofia della prassi corne previsione », dans le recueil Storia del Marxismo, volume 3, Il marxismo nell’età della Terza Internazionale, tome 2, Dalla crisi del’ 29 al XX Congresso, Turin : Einaudi, 1981, p. 296.
24 Sraffa : lettre citée du 21 juin 1932, conservée à la Fondation Gramsci, Rome.
25 Liepzig : Kröner, 1934, deux volumes.
26 La première édition allemande de la Critique du droit politique hégélien est parue en 1927 dans le premier volume de la « Marx-Engels Gesamt Ausgabe » (Francfort sur le Main), par les soins de l’Institut Marx-Engels de Moscou, dirigé par David Riazanov. Gramsci apprend l’existence de ce texte grâce à un compte-rendu publié par Benedetto Croce en 1930, dans sa revue La Critica (voir Quaderni del Carcere, Einaudi, 1975, cahier 10 p., 1240, traduction française, Cahiers de prison, Cahiers 10 à 13, Gallimard, 1978, p. 46).
27 S. Landhut et J.P. Mayer publient dans leur recueil la première édition allemande des Manuscrits de 1844, mais avec un texte incomplet et un titre incorrect. La version intégrale paraîtra la même année (1932), quelques mois plus tard, dans le troisième volume de la M.E.G.A., Berlin, par les soins de l’Institut Marx-Engels de Moscou dirigé cette fois par V. Adoratski.
28 Cette correspondance est publiée par George O’Brien dans « J.S. Mill and J.E. Cairnes », Economica (Londres), novembre 1943.
29 Un extrait de ce rapport est cité par J.M. Keynes dans une lettre à Jacob Viner du 17 octobre 1943, dans Activities - 1940-1944 : Shaping the Post-war World – The Clearing Union, The Collected Writings, volume XXV, Cambridge U. Press, 1980, p. 335.
30 Piero Sraffa et ses amis séjournent à proximité du col « Passo Sella » (2240 m d’altitude) qui se trouve au village de Canazei, dans les Dolomites italiennes. Richard F. Kahn se souvient de ces vacances : « C’était au début de l’été et il y avait trop de neige. Nos escalades étaient réduites. Le livre de Roy Harrod, Towards a Dynamic Economics était au stade de l’épreuve et Harrod m’adressa une copie, que nous lisions quand nous n’étions pas en train de marcher ou de grimper » (Richard F. Kahn : The Making of Keynes'General Theory – Raffaele Mattioli Lectures, Cambridge U. Press, 1984, p. 4). Piero Sraffa passera à nouveau l’été de 1951 dans la montagne, cette fois en Autriche, avec ses amis Richard F. Kahn, Joan Robinson et Nicholas Kaldor, comme l’atteste une lettre de Sraffa à Luigi Einaudi du 18 août 1951, conservée à la Fondation Einaudi de Turin.
31 L’« Introduction » est traduite en français dans le recueil de Sraffa, Ecrits d’économie politique, Economica, 1975 : « Introduction aux œuvres et à la correspondance de David Ricardo », pp. 69-119.
32 Luigi Einaudi a précédemment exercé les fonctions de gouverneur de la Banque d’Italie (19454947), puis de vice-président du Conseil et ministre du Budget dans le gouvernement d’Alcide De Gasperi (mai 1947 - mai 1948).
33 « Dalla leggenda al monumento », Giornale degli Economisti e Annali di Economia, anno X, nouvelle série, no 7-8, juillet-août 1951, pp. 329-334.
34 Lettre de Piero Sraffa à Luigi Einaudi du 6 septembre 1951, conservée à la Fondation Luigi Einaudi de Turin.
35 The Economic Journal, volume LXV, septembre 1955, pp. 543-544, réédité ensuite dans le volume XI des Works de Ricardo : General Index, Cambridge U. Press, 1973.
36 La photo de cette lettre de Sraffa à Giulio Einaudi du 30 novembre 1948 est publiée dans le volume Cinquant’anni di un editore – Le Edizioni Einaudi neglianni 1933-1983, Turin : P. B.Einaudi, 1983.
37 Le libéral Francesco Ferrara (1810-1900) a fondé et dirigé jusqu’en 1868 cette collection qui comprend les grands ouvrages de l’économie politique depuis le XVIIIe siècle. Sa tâche sera poursuivie par Gerolamo Boccardo, Salvatore Cognetti de Martiis, Pasquale Jannaccone, Giuseppe Bottai et Celestino Arena.
38 Luigi Einaudi : Saggi bibliografici e storici intorno alle dottrine economiche, Rome : Edizioni di storia e letteratura. 1953 (chapitre 1er. « Francesco Ferrara I – Viaggio tra i miei libri », p. 5).
39 Richard Cantillon : Saggio sulla natura del commercio in generale, a cura di Sergio Cotta et Antonio Giolitti, Introduzione di Luigi Einaudi (« Che cosa ha detto Cantillon ? »), 1955, Reprint Einaudi 1974. La traduction est réalisée sur la base de l’édition de H. Higgs (Londres, 1931) et tient compte de l’édition de l'I.N.E.D., Paris, 1952.
40 Paris : I.N.E.D., 1958, deux volumes.
41 Leyde et Paris, 1767-1768, deux volumes. Lettre de Piero Sraffa à Luigi Einaudi, 22 août 1958, quatre pages dactylographiées, conservée à la Fondation Luigi Einaudi de Turin.
42 Ronald D. Meek fut longtemps professeur à l’université de Leicester.
43 Il capitale nette teorie della distribuzione, Milan : Giuffrè, 1960, traduction française, Le capital dans les théories de la répartition, P.U.G.- Maspero, 1980. Pierangelo Garegnani, « fellow » du « Trinity College » en 1973-74, est aujourd’hui professeur à l’université de Rome.
44 « a sure refuge and our unfailing source of consolation whenever one wishes to get away from his every day worries ». Lettre de Piero Sraffa à William Jaffé du 23 novembre 1965, conservée au Fonds Jaffé, York University Downsview, Ontario, Canada.
45 Il s’agit d’une lettre de remerciement de Léon Walras adressée le 17 février 1877 à Charles Letort pour l’article qui se borne à mentionner son nom, « De l’application des mathématiques à l’étude de l’économie politique », paru dans L’Economiste français, vol. 3, 2e année, 31 octobre 1874. Voir Correspondence of Léon Walras and Related Papers, edited by William Jaffé, Amsterdam : North Holland, volume 1,1965, pp. 528-529, lettre no 373.
46 « Lo sviluppo del commercio cino-britannico – 1952-1955 », dans Bollettino del Centro studi per lo sviluppo delle relazioni economiche e culturali con la Cina, no 4, juin 1955, pp. 14-18. Article retrouvé par Sergio Steve.
47 Piero Sraffa : « Avant-propos » à Production de marchandises par des marchandises, Dunod, 1970, p. IX.
48 Du 4 au 11 septembre 1958, Piero Sraffa participe au colloque sur la théorie du capital, organisé par l’« International Economic Association » dans l’île de Corfou. Ses remarques sur les communications de John R. Hicks et de William Fellner sont publiées dans le volume de F.A. Lutz et D.C. Hague, edited by, The Theory of Capital, Londres-New-York : MacMillan-St Martin’s Press, 1961, pp. 305-306, et 325.
49 Les éditeurs sont respectivement Cambridge U. Press et G. Einaudi. La traduction française de Serge Latouche paraîtra dix ans plus tard, Production de marchandises par des marchandises – Prélude à une critique de la théorie économique, Paris : Dunod, 1970. Sraffa offrira un exemplaire spécialement relié à Luigi Einaudi. Voir Piero Sraffa : lettre à Luigi Einaudi, 20 mai 1960, conservée à la Fondation Einaudi de Turin. Dans cette lettre on apprend que L.Einaudi a fait parvenir à Sraffa un recueil d’articles, Cronache economiche e politiche di un trentennio (1893-1925), volume 3, (1910-1914), Einaudi : Turin, 1960. Il lui a déjà expédié en janvier le volume 2 (1903-1909), Einaudi, 1959 ; Sraffa en le remerciant, avait jugé ce volume « una delizia », et s’était promis de le lire sérieusement (voir la lettre de Sraffa à Luigi Einaudi du 17 janvier 1960, conservée à la Fondation Einaudi de Turin).
50 Voir par exemple : M.W. Reder, « Review of Production of Commodities by means of Commodities by P. Sraffa », American Economic Review, volume LI, septembre 1961, pp. 688-695 ; Richard E.Quandt, « Review of Production of Commodities by Means of Commodities, by P.Sraffa », Journal of Political Economy, volume LXIX, octobre 1961, p. 500.
51 Roy F. Harrod : « Review of Production of Commodities by means of Commodities », The Economic Journal, volume LXXI, décembre 1961, pp.783-787.
52 Piero Sraffa : « Production of Commodities : a Comment », The Economic Journal, volume LXXII, juin 1962, pp. 477-479.
53 Peter K. Newman : « The Production of Commodities by Means of Commodities », Schweizerische Zeitschrift für Volkswirtschaft und Statistik – Revue suisse d’économie politique et de statistique, volume XCVIII, mars 1962, pp. 58-75.
54 L’économiste suisse lui répond le 8 juin, et Piero Sraffa lui écrit à nouveau le 19 juin 1962. Les trois lettres seront publiées plus tard, en 1970, par Krishna Bharadwaj, en Appendice à son article, « On the maximum Number of Switches between two Production Systems », dans Schweizerische Zeitschrift fur Volkswirtschaft und Statistik – Revue suisse d’économie politique et de statistique, volume CVI, décembre 1970, pp. 425428.
55 Joan Robinson : « Prelude to a Critique of Economic Theory », Oxford Economic Papers, volume XIII, juin 1961, pp. 53-58.
56 Claudio Napoleoni : « Sulla teoria della produzione corne processo circolare », Giornale degli Economisti e Annali di Economie (Padoue), volume XX, janvier-février 1961, pp. 101-117.
57 Ronald L. Meek : « Mr Sraffa’s Rehabilitation of Classical Economies Scottish Journal ofPolitical Economy, volume VIII, 1961, pp. 119-136.
58 Maurice Dobb : « An Epoch-making Book », The Labour Monthly (Londres), octobre 1961, pp. 487-491.
59 Ce témoignage est présenté par Gilles Dostaler dans « Marx et Sraffa », version augmentée d’une communication au colloque « Keynes et Sraffa » organisé par l’université d’Ottawa, le 13 mars 1981, publié dans L’Actualité Economique (Montréal), no 1-2, janvier-juin 1982, pp. 102-103.
60 J.K. Whitaker : « Acknowledgements », dans The Early Economic Writings of Alfred Marshall – 1867-1890, edited and introduced by J.K. Whitaker, volume I, Londres : MacMillan, 1975, p. XI.
61 Luca Meldolesi : « Piero Sraffa, il percorso di un’analisi e di una cultura e vicenda morale e mentale di un comunista degli anni ’20, da Marx a Ricardo (e St Simon) », Il Manifesto (Rome), 6 juin 1980, p. 3, et Luca Meldolesi, Préface à L’utopia realmente esistente – Marx e Saint-Simon, Bari : Laterza, 1982, p. VIII.
62 Luca Meldolesi rédige « La derivazione ricardiana di Produzione di merci a mezzo di merci » paru dans Economica Internazionale, novembre 1966. Il est actuellement professeur à l’université de Rome.
63 Professeur à l’université de Pérouse, puis à celle de Rome, Alessandro Roncaglia est l’auteur de nombreux travaux sur Sraffa.
64 Giorgio Gilibert a publié l’étude « Travail commandé, travail incorporé suite de la note 64 :
et marchandise-étalon » dans les actes du colloque d’Amiens (juin 1973) consacré à Sraffa, Cahiers d’économie politique, no 3, 1976, pp. 89-101.
65 Alfredo Medio a publié l’étude « Profits and surplus-value : appearence and reality in capitalist production » (1971), dans le recueil de E.K. Hunt et Jesse G. Schwartz, edited by, A Critique of Economic Theory, Penguin books, 1972, pp. 312-346. Il est professeur à l’université de Gênes.
66 Domenico-Mario Nuti, « fellow » du « King’s College » de Cambridge et professeur à l’université de Sienne, a publié l’essai « La transformation des valeurs-travail en prix de production et la théorie marxienne de l’exploitation » (1972), dans Claude Berthomieu, Jean et Lysiane Cartelier édit., Ricardiens, keynésiens et marxistes - Essais en économie politique non-néo-classique (colloque de Nice, septembre 1972), diffusion PUG, pp. 337-388.
67 Alessandro Roncaglia : « In redazione o in pizzeria », dans Cento anni Laterza – 1885-1985 – Testimonianze degli autori, Bari : Laterza, 1985, p. 213.
68 Aurelio Macchioro : « A proposito di una collana I.S.E.D.I. di classici del pensiero economico », Storia del pensiero economico – Bollettino di informazione (Florence), no 1, mars 1973, p. 17.
69 Piero Sraffa, Saggi, Bologne : Il Mulino, 1986. La collection est patronnée prar l’Istituto bancario San Paolo de Turin. En France, les deux articles de 1925 et 1926 et l’« Introduction aux œuvres et à la correspondance de David Ricardo » sont réunis en 1975 dans le volume Ecrits d’économie politique, aux éditions Economica de Paris.
70 Nicholas Kaldor : « Pierc Sraffa (1898-1983) », Moneta e Credito, volume XXXIX, no 155, 3e trimestre 1986, p. 337 note 26.
71 Cambridge Journal of Economics, volume 8, no 1, mars 1984, p. 1.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Sauvages et ensauvagés
Révoltes Bagaudes et ensauvagement, ordre sauvage et paléomarchand
Pierre Dockes et Jean-Michel Servet
1980
L’Observé statistique
Sens et limites de la connaissance statistique dans les pays développés et en développement
Lahsen Abdelmalki et Jean-Louis Besson (dir.)
1989