Immigration et ségrégation à Caen
p. 175-191
Texte intégral
1Vers le milieu du XIXe siècle, Caen est une ville moyenne ayant une population totale supérieure à 40.000 habitants pour une population municipale certainement voisine de 36 à 37.000 individus. La précision en ce domaine laisse à désirer vu la mauvaise qualité des dénombrements de population. Il est, en effet, difficile d’admettre une perte de près de 4.000 unités entre 1851 et 1856 puis un gain de plus de 2.000 pendant le quinquennat suivant. Quoi qu'il en soit, il est certain que c’est une cité en déclin relatif : 14ème ville française en 1811, elle n’est déjà plus qu’au 20ème rang quarante ans plus tard. La principale cause de cette régression est le déficit croissant du mouvement naturel depuis le début de la Restauration. L’origine en réside dans un fort reflux de la natalité passée, en un tiers de siècle, de 28 à 21 o/oo et dans une mortalité élevée et ne diminuant que très faiblement 28 o/oo autour de 1850. Pour comprendre cette situation il faut savoir que la ville, « Venise du Nord », est particulièrement insalubre avec ses nombreux bras de l’Odon, contexte favorable au développement des fièvres et notamment de la typhoïde, véritable fléau local. L’excédent des décès est accompagné d’une immigration importante dont la mesure, partielle et aléatoire, étant donné le peu de fiabilité des dénombrements, nous est fournie par le bilan migratoire. En trente ans il donne une arrivée de près de 12.000 migrants.
2L’ampleur de ce phénomène pour une ville plutôt endormie nous a conduit à l’étudier et à rechercher s’il avait une incidence sur la ségrégation. Pour mener à bien cette recherche, les dénombrements ne nous renseignant pas sur l’origine des habitants, nous avons exploité les actes de mariages de 1856-57 et les actes de décès de 1856-58. Ils nous livrent une masse documentaire abondante qui a été partiellement traitée par ordinateur. Sans entrer dans le détail des opérations effectuées et dans la critique du contenu, retenons que l’on peut réaliser des combinaisons multiples portant sur des échantillons numériquement représentatifs puisqu’ils dépassent le dixième de la population potentiellement active.
3Pour 2.998 époux et défunts de 13 ans au moins nous avons le lieu de naissance et le domicile. Pour 2.145 individus sont connus la profession et le lieu de naissance. Enfin, pour 6.169 habitants – époux, parents, témoins et défunts – nous disposons du binôme profession-domicile, avec une marge d’erreur difficile à mesurer liée aux témoins revenant plusieurs fois. Ajoutons que l’on a aussi le moyen de mesurer le degré d’instruction, par le biais des signatures, pour près de 4.000 caennais, et ainsi la possibilité de le croiser soit avec la profession, soit avec le domicile, et dans une proportion moindre avec le lieu de naissance.
4Partant de ces renseignements il est aisé de présenter les structures professionnelles de la population, donnée fondamentale, faute d’une documentation de caractère social. La première constatation qui peut être faite est la faiblesse du secteur secondaire : 42,5 % de l’ensemble. Plus, d’ailleurs, que d’activités industrielles il s’agit d’artisanat. En son sein, outre les activités normales de toute collectivité, nous retiendrons la place occupée par le bâtiment et les travailleurs des carrières – presque 8 % –, l’importance non négligeable de la fabrication des dentelles – 5 % –, en signalant qu’ici la sous-évaluation est certaine car, activité essentiellement féminine, elle souffre de l’absence totale de femmes parmi les témoins1. Le textile enfin – 4,8 % – englobe presqu’uniquement les bonnetiers et basestamiers et ne cesse de refluer depuis le Premier Empire.
5L’emploi limité offert aux éléments populaires par l’artisanat et les quelques industries, explique le rôle que jouent les journaliers – l0 à 11 % – et la domesticité. Domestiques et servantes composent 5,3 % de la population. En réalité leur poids relatif est plus grand, nos sources le sous-évaluant. Si l’on s’en tient aux époux on arrive à 14,3 %, pourcentage aucunement surprenant compte tenu du volume des éléments bourgeois ou au moins aisés. Caen est, en effet, une ville commerçante avec son port d’échouage et ses bonnes liaisons routières, notamment vers le Sud : Maine, Pays de la Loire et Bretagne. Négociants, marchands, commerçants représentent environ 15 % de la population auxquels s’ajoutent 3 % d’employés divers. Caen est aussi une ville universitaire, une cité judiciaire avec le siège de la Cour d’Appel, un centre administratif, si bien que professions libérales et administratives sont exercées par près de 9 % des actifs. Enfin, située au milieu d’un riche terroir, la capitale bas-normande accueille de nombreux propriétaires et rentiers : un peu plus de 11 % des « professions » recensées.
6Cette population se répartit très inégalement à l’intérieur d’une ville vaste où les espaces libres sont plus étendus que les surfaces bâties. L’ensemble a été divisé en 27 quartiers définis à l’aide d’indicateurs sociaux et professionnels concernant la période des Monarchies censitaires. Les habitants s’entassent au centre de la vieille ville où 5 quartiers regroupent les 2/5èmes de la population. Cf. carte 1 – Au sud et à l’ouest du centre s’étendent six quartiers plus ou moins anciens, certains rénovés depuis le milieu du XVIIIe siècle, notamment à l’ouest où se trouvent le Palais de Justice, l’Université et le Lycée. Ils sont moins densément peuplés : 15 à 16 % de la population.
7A la périphérie sont localisés les faubourgs anciens, à l’ouest le Bourgl’Abbé – 9 à 10 % des habitants – au nord, le faubourg St Julien – 5 % –, à l’est l’ancien Bourg-l’abbesse – 4 % – et surtout, au sud, le faubourg de Vaucelles, véritable ville hors de la ville : 13 % de la population. S’y ajoutent les hameaux suburbains de la Maladrerie, La Folie, Couvrechef et Calix où cultivateurs et jardiniers côtoient une masse populaire. A eux quatre ils regroupent 6 % des habitants. Enfin, pour être complet, signalons les quartiers neufs en expansion plus ou moins prononcée, soit au voisinage du bassin St Pierre et du Canal qui vient d’être inauguré, soit près de la gare ouverte au trafic en 1856, ou encore au nord de la cité où s’amorcent bien timidement des zones résidentielles. Le peu d’importance de ces 5 quartiers transparaît à travers la faiblesse de leur population : 5 à 6 % des Caennais.
8Bien qu’il existe des éléments populaires dans la vieille ville, notamment au Vaugueux où l’entassement est considérable et l’habitat déjà fortement dégradé, le monde des pauvres, des indigents même, se regroupe en priorité dans les faubourgs et les hameaux, avec parfois une certaine spécialisation héritière du passé ou de conditions particulières. Ainsi les travailleurs du bâtiment et de ses annexes se rencontrent principalement dans les hameaux où des carrières sont exploitées ainsi que dans la partie du Bourg l’Abbé relativement proche de la Maladrerie et dans le faubourg Saint-Julien où les carrières sont maintenant presque totalement abandonnées. Cf. carte 2 – Les journaliers qui fournissent une bonne partie du prolétariat, voire du sous-prolétariat local, sont surtout localisés à Vaucelles et, dans une moindre mesure, au Vaugueux et dans les deux quartiers périphériques de l’ouest. Cf. carte 3 La dentelle et le textile sont fortement implantés dans tous les vieux faubourgs ainsi qu’au Vaugueux. Cf. carte 4. Pour l’ensemble des dix quartiers que nous pouvons appeler populaires, journaliers, ouvriers du bâtiment, dentellières et bonnetiers composent 46 % de la population alors que la moyenne de la ville est à peine de 29 %.
9La ségrégation professionnelle est donc indiscutable et elle correspond à une ségrégation sociale. L’inégale répartition dans l’espace urbain des groupes plus ou moins prolétariens n’est pas un pur hasard. Elle reflète, par le biais du logement, donc des loyers à payer, l’inégalité des revenus. Cette dernière transparaît aussi à travers d’autres indicateurs. D en est ainsi du niveau d’instruction. Les personnes ne sachant pas signer ou ayant une signature dessinée sont proportionnellement les plus nombreuses dans les quartiers populaires comme Vaucelles, le Bourg-l’Abbé, le Vaugueux, la Folie-Couvrechef – cf. carte 5 L’inégalité devant la mort, de même, est un indice qui ne trompe pas. Le poids de la mortalité infantile – décès d’enfants de moins d’un an – n’est au fond que la conséquence d’un cadre et de conditions de vie déplorables : entassement, insalubrité, manque d’hygiène et aussi malnutrition. L’âge moyen au décès varie suivant les quartiers de 34 ans à 53 ans alors que la moyenne urbaine est de 40 ans. Plus révélateur encore est l’âge moyen au décès dans des groupes de rues importantes et bien typées.
1013 rues nettement populaires. 646 décès, âge moyen : 34 ans 4 mois
7 rues à moindre caractère populaire. 498 décès, âge moyen : 42 ans 4 mois
8 rues à peuplement aisé. 190 décès, âge moyen : 55 ans 2 mois.
11Le taux des décès d’enfants en bas-âge y est respectivement de 21, 15 et 9 %, et c’est lui qui est responsable des différences enregistrées. Si l’on ne retient que les décès d’adolescents de plus de 13 ans et ceux des adultes, les écarts sont beaucoup plus faibles : de 51 à 62 ans. La sélection physiologique se fait vraiment dès le jeune âge dans les milieux de la pauvreté.
12Refoulées à la périphérie, les classes populaires n’y disposent que d’une infrastructure commerciale très réduite bien que gonflée par l’abondance des auberges et cabarets. En cela une nette opposition existe entre le centre et le reste de la ville. Cf. carte 6. On peut même dire que la zone la plus centrale, celle qui va du Château à la Préfecture et à l’Hôtel de ville est par excellence le foyer commercial de la cité. C’est aussi dans ce centre, ou plutôt ce centre occidental que résident de préférence les professions administratives et libérales. Les quelques anomalies détectées – cf. carte 7 – sont dues soit à la faiblesse de la population, ce qui rend l’échantillon non représentatif, soit à l’existence de nombreuses religieuses parmi les décès dans la partie méridionale du Bourg-l’Abbé. Surtout, ce qui est révélateur d’une ségrégation mentale, on notera l’extrême rareté de ces professions entraînant le plus généralement la richesse ou au moins l’aisance dans le faubourg de Vaucelles.
13Au vu de ces diverses données, il serait difficile de nier la ségrégation qui existe dans la ville malgré la très grande faiblesse de l’industrialisation qui la caractérise. Une question subsiste : y a-t-il un lien entre ségrégation zonale et origine géographique des habitants ?
14Avant d’aborder cette question dans le détail voyons, dans un premier temps, les données globales. Le caractère nettement marqué est la faiblesse des Caennais d’origine : 47 % des adolescents et adultes. Caen est donc une ville d’accueil recevant un grand nombre de migrants natifs de Basse-Normandie, principalement du Calvados et accessoirement de la Manche, l’apport ornais étant réduit. Les immigrants d’origine plus lointaine, française ou étrangère, sont beaucoup plus rares : autour de 9-10 %.
15Quand on examine de plus près les lieux de naissance des Bas-Normands immigrés à Caen, on constate l’existence soit d’une véritable nébuleuse de cantons ruraux localisés autour de la ville dans un rayon de 20 à 25 kilomètres, soit d’axes correspondant aux grandes routes : vers Cherbourg, vers la Bretagne et vers le Maine. Dans l’ensemble on a des flux d’ouest et de sud-ouest alors que toute la partie orientale échappe partiellement ou totalement à l’attraction caennaise dans le Calvados et surtout dans l’Orne – cf. carte 8 – Dans ces régions les habitants sont plus attirés par la région parisienne et les villes de la Basse-Seine. Au total les forains viennent plus de la Plaine proche ou du Bessin peu éloigné que du Bocage pourtant surpeuplé mais où la grande vague d’émigration définitive est à peine commencée. On en est encore, pour lui, à l’ère des migrations saisonnières de quelques semaines à plusieurs mois.
16Ces immigrants se répartissent très inégalement dans l’espace urbain ainsi qu’en témoigne le volume relatif des autochtones au sein de chaque quartier – cf. carte 9 –. Ils y représentent de 22,2 % de la population, quartier de Bagatelle, ou 36,4 %, quartier ouest de Saint-Jean, à 66,1 %, hameaux de La Folie-Couvrechef. Ils se trouvent en grand nombre dans la plupart des quartiers populaires, et leur pourcentage est d’autant moins élevé que la population semble y être plus riche. D’après les indices professionnels il est possible de distinguer quatre types de quartiers pour lesquels nous avons calculé l’indice moyen des Caennais d’origine par rapport à la moyenne de la ville, ce qui donne :
quartiers pauvres | 117 |
quartiers mixtes | 108 |
quartiers aisés | 86 |
quartiers riches | 84 |
17Au total, les milieux populaires seraient globalement plus autochtones que les couches sociales plus élevées. Cel a peut surprendre, mais à moitié seulement. Il a existé, au XIXe siècle, une véritable « émigration des cerveaux », disons plus simplement des plus instruits, vers les centres urbains régionaux au détriment des campagnes et des petites villes. Caen en a profité alors qu’elle n’offrait que peu d’attrait pour les classes les plus défavorisées du fait de son faible développement artisano-industriel.
18Les activités du secteur secondaire sont majoritairement exercées par des Caennais d’origine : 63 %. Seul l’habillement échappe à cette règle – 49 % –. Il accueille bon nombre de migrantes employées comme couturières, blanchisseuses, lingères. Ajoutons que la proportion des autochtones est d’autant plus élevée que la branche artisanale est peu dynamique ou en déclin, tels le textile – 85 % – et la dentelle : 79 %. A l’inverse, les transports, au sein desquels les cheminots constituent un groupe croissant, recrutent beaucoup à l’extérieur et même très loin : 19 % seulement de Caennais d’origine et 31 % – pourcentage professionnel maximum – nés hors de la Basse-Normandie.
19Le monde des journaliers, monde prolétarien s’il en est, a cependant un taux relativement élevé de migrants – 52 % –. Ils viennent pour les trois-quarts de la région et ils se jettent sur cette « profession-refuge » ne demandant aucune qualification en attendant d’en trouver une, mieux rémunérée, ou de partir vers de nouveaux lieux où le travail est plus abondant.
20Le groupe des domestiques est le moins caennais de tous : 7 % d’autochtones. D est surtout composé de forains bas-normands : 81 % ce qui est normal pour une ville possédant une importante minorité bourgeoise et un secteur l'hôtellerie-restauration fort développé. La domesticité est un des principaux débouchés pour les femmes et surtout les jeunes filles venues à la ville dans l’espoir d’y trouver un travail moins pénible que celui des champs et peut-être un mari, voire de s’y constituer une dot, ce qui est plus aléatoire.
21Le petit commerce est lui aussi un secteur d’accueil, surtout celui de l’alimentation et de la restauration : 77 % de forains, presque tous bas-normands. A l’inverse les cadres dirigeants de l’économie, négociants, banquiers, fabricants, sont en majorité nés à Caen – 55 % – et les migrants sont tous de la région. Il en est de même, ou presque, pour les professions libérales – 47 % de Caennais et surtout d’immigrants bas-normands – alors que le personnel administratif est très peu d’origine caennaise – 25 % – et comprend une proportion, double de la moyenne, de migrants lointains : 19 %, ce qui le place immédiatement après les cheminots. Il serait d’ailleurs utile, mais nous ne l’avons pas fait, d’introduire une nuance en distinguant les fonctionnaires de rang élevé et les employés subalternes de l’administration.
22La ségrégation sociale et zonale, telle qu’elle nous apparaît, reflète bien le manque de dynamisme économique de la cité. Celle-ci secrète la majorité de son prolétariat et une part plus qu’appréciable de ses cadres dirigeants : négociants, petits industriels ou fabricants, membres des professions libérales. On a l’impression d’être en présence d’une société bloquée, sclérosée, au sein de laquelle l’ascension des moins bien pourvus est fort improbable. La voie de l’ascension passe, en effet, par l’accession aux classes moyennes, groupes d’aisance acceptable, notamment celui des boutiquiers. Or, ceux-ci, nous l’avons vu, recrutent surtout à l’extérieur. D en est de même de l’ensemble des employés du tertiaire – 36 % seulement de Caennais – qui se distinguent des classes populaires ne serait-ce que par leur répartition spatiale : 59 % d’entre eux sont domiciliés dans cinq quartiers aisés, voire riches. Ces employés, comme les commerçants, doivent avoir une instruction suffisamment développée pour effectuer les tâches qui leur incombent : à peine 4 % sont illettrés ou faiblement instruits. Le blocage social viendrait donc d’un insuffisant développement du savoir parmi les autochtones. Cette hypothèse est confirmée par la relation existant entre niveau d’instruction et origines géographiques. Le pourcentage des individus ne sachant pas vraiment écrire est plus élevé chez les personnes nées à Caen que parmi les forains.
Caennais d’origine | 33 % |
Forains nés dans le Calvados | 26 % |
Forains nés dans la Manche | 24 % |
Forains nés dans l’Orne | 24 % |
Forains nés hors de la région | 29 % |
23La ville offre donc aux ruraux ayant acquis un savoir suffisant des débouchés, des emplois, que ne peuvent occuper les autochtones soit parce qu’ils manquent d’instruction, soit parce qu’ils ont un travail assuré. Il est symptomatique de constater qu’à l’intérieur de la masse populaire le poids des autochtones par groupe professionnel décroît à mesure que l’instruction s’y améliore et ce en tenant compte de l'influence possible de l’importance des femmes.
Professions à dominante féminine :
Dentelle 61 % d’illettrés, 79 % de Caennais
Habillement 27 % d’illettrés, 49 % de Caennais
Professions à majorité masculine :
Textile 37 % d’illettrés, 85 % de Caennais
Bâtiment 20 % d’illettrés, 60 % de Caennais
Artisanat divers 17 % d’illettrés, 57 % de Caennais.
24L’immigration croissante, notamment parmi les jeunes époux, dont 42 % sont d’origine foraine au début de la Restauration et 50 % un tiers de siècle plus tard, entretient la ségrégation dans la mesure où ces migrants accaparent une bonne partie, généralement majoritaire, des professions indépendantes ou les mieux rémunérées, et de plus, mais les deux phénomènes sont liés, élisent domicile de préférence dans les quartiers les moins populaires. Le résultat est que les zones pauvres, ne recevant qu’un faible afflux d’éléments moyens ou supérieurs, voient s’accentuer leur caractère d’infériorité. La situation s’y dégrade ce qui ne peut que dissuader encore plus les nouveaux arrivants de s’y installer. Et comme les espaces libres, à proximité du centre, ne manquent pas, ils y seront attirés. Ce contexte risque d’accentuer le phénomène ségrégationniste en créant une situation de dissuasion. C’est ce que laisse entrevoir un rapide examen des données fournies par les actes de mariage du début de la Restauration et des années 1856-1857. L’analphabétisme se concentre de plus en plus dans les quartiers populaires. L’indice des illettrés par rapport à la moyenne de la cité y progresse alors qu’il régresse dans les zones aisées ou riches, et la proportion des Caennais de souche s’y gonfle légèrement. Mais, et cela est révélateur du processus de ségrégation dans le cas qui nous intéresse, les quartiers mixtes connaissent la même évolution que les quartiers pauvres. Elle est même plus prononcée. Cela revient à dire qu’en un tiers de siècle une dynamique de la ségrégation s’est développée. Elle a pour résultat d’accentuer les différences opposant zones riches et zones pauvres.
25En résumé, l’exemple caennais semble indiquer que le manque d’industrie et la désindustrialisation secrètent une ségrégation sociale et zonale, une ségrégation que nous appellerons « dissuasive » pour la différencier de la ségrégation attractive que l’on rencontre dans les cités en cours d’industrialisation. Il ne peut en être autrement dans une ville où le seul secteur vraiment attractif est le tertiaire, secteur qui recrute essentiellement parmi des migrants instruits. Ils tiendront à bien marquer leur supériorité socio-mentale en se distinguant de la plèbe, du prolétariat fruste, en choisissant leur domicile hors des quartiers de mauvaise réputation. Ces classes moyennes en gestation, au lieu d’assurer un lien entre les deux ensembles sociaux extrêmes, prennent délibérément, par leur comportement, le parti de se rapprocher des classes supérieures.
Notes de fin
1 Si l’on s’en tient aux époux et aux défunts on arrive à 10 %, soit le double.
Auteur
Université de CAEN
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