Protestation au sujet de la cause des Bohêmiens (Manifeste de Prague)
p. 57-63
Texte intégral
1Moi, Thomas Müntzer, natif de Stolberg et résidant à Prague, la ville du saint et valeureux combattant Jean Huss, j’ai l’intention d’emplir les sonores et sensibles trompettes d’un chant nouveau à la louange de l’Esprit-Saint.
2De tout mon cœur j’apporte témoignage et adresse de pitoyables plaintes à toute l’église des Elus ainsi qu’au monde entier, partout où cette missive pourra parvenir. Le Christ et tous les Elus qui m’ont connu depuis mes jeunes années attestent ce dessein. Je déclare et assure par ce que j’ai de plus précieux que je me suis appliqué de toutes mes forces à reconnaître mieux et plus profondément que quiconque les fondements de la sainte et invincible foi chrétienne. Et j’ose affirmer qu’il n’est pas un seul de ces prêtres oints de poix, pas un seul de ces moines cagots qui ait été capable de dire la moindre chose sur ce fondement de la foi. De même, bien des gens ont déploré avec moi avoir été véritablement l’objet d’une intolérable tromperie sans que leur soit apporté aucun réconfort qui leur eût permis de conduire avec prudence tous leurs désirs et toutes leurs actions selon la foi et de se frayer leur voie par eux-mêmes. Et ils n’ont pas pu non plus et ne pourront jamais découvrir les épreuves salutaires, ni combien est profitable la profondeur d’une âme prédestinée qui a fait le vide en elle1. Car l’esprit de la crainte de Dieu ne les a pas possédés, lequel se présente inébranlablement comme unique but aux Elus submergés et noyés dans ces ondes que le monde ne peut supporter. Bref, tout homme doit avoir reçu l’Esprit-Saint sept fois, faute de quoi il ne peut entendre ni concevoir le Dieu vivant.
3Je déclare sincèrement et avec force que je n’ai jamais entendu un seul de ces docteurs (qui ne valent pas un pet d’âne) murmurer, à plus forte raison énoncer à haute et intelligible voix un seul petit mot, sur le moindre point, au sujet de l’Ordre qui réside en Dieu et dans les créatures. Même ceux qui ont le premier rang parmi les chrétiens (je veux dire : les prêtres suppôts de l’enfer) n’ont jamais flairé une seule fois ce qu’est le Tout, ou Perfection non divisée qui est présente à mesure égale dans toutes les parties, et supérieure à ce qui est partiel2, 1 Corinthiens 13 : 9, Luc 6, Éphésiens 4 : 4, Actes 2, 15, 17. Bien souvent, je les ai entendus citer l’Ecriture toute nue, qu’ils ont sournoisement volée dans la Bible avec la fourberie des brigands et la cruauté des meurtriers. Pour ce vol Dieu les maudit Lui-même, qui dit par la bouche de Jérémie 23 : 16 : « Écoutez ! J’ai dit au sujet des prophètes : chacun de ceux-là vole mes paroles chez son prochain, car ils trompent mon peuple. Je ne leur ai pas parlé une seule fois, et ils usurpent mes paroles pour les pourrir sur leurs lèvres fétides et dans leurs gosiers de prostitués. Car ils nient que mon Esprit parle aux hommes. »
4Pleins de sarcasme et de raillerie hautaine, ils mettent en avant leur qualité de moines pour prétendre que l’Esprit-Saint leur a donné un témoignage irréfutable qu’ils sont les enfants de Dieu, Romains 8 : 16 et Psaume 89 : 7. Il n’est pas du tout étonnant que ces hommes damnés soient effrontément hostiles à ces paroles, car Jérémie, au chapitre cité plus haut, dit à leur sujet : « Mais qui donc a assisté au conseil du Seigneur ? Qui a vu et entendu la parole de Dieu ? Qui a observé, ou qui peut dire qu’il a entendu Dieu parler ? »
5C’est sur ces hommes hautains, endurcis comme des billes de chêne et insensibles à tout bien, Tite chapitre 1 : 7, que Dieu va en ce temps déverser son invincible colère parce qu’ils nient les fondements du salut et de la foi, eux qui, au contraire, devraient plus que tout autre se jeter en avant pour former une muraille d’airain, Jérémie 1 : 18, afin de défendre les Elus contre les attaques des blasphémateurs, ainsi que dit Ezéchiel au chapitre 3, etc. Mais ils sont ainsi parce qu’il n’est rien qui sorte de leur cœur, de leur cervelle ou de leur bouche qui ne tourne cette parole en dérision. Qui donc parmi les hommes pourrait dire que ce sont là les vrais serviteurs de Dieu, aptes à témoigner de la parole divine ? Et qu’ils sont les prédicateurs intrépides de la grâce divine, alors que c’est le pape, vrai Nemrod, qui les a oints de l’huile du pécheur, psaume 141 : 5, laquelle leur dégouline de la tête aux pieds en souillant et en empoisonnant la chrétienté tout entière ?
6Pour tout dire : c’est le Diable qui est à leur origine, qui a corrompu leurs cœurs jusqu’au tréfonds, ainsi qu’il est écrit au Psaume 5 : 10, car ils sont tout sauf en possession de l’Esprit-Saint. Ils sont consacrés au Diable, qui est leur véritable père et qui, comme eux, ne veut pas entendre la vraie parole vivante de Dieu. Jean 8 : 38, Esaïe 24 : 5, Osée 4 : 6. De même, Zacharie, au chapitre 11 : 17, dit que ce sont des idoles et des épouvantails. Bref, pour résumer en un mot, ils sont damnés, Jean chapitre 3 : 18, et jugés depuis longtemps. Oui, ce ne sont pas des coquins de petite envergure, mais de damnés scélérats de haute taille, qui étaient là depuis le commencement du monde et qui ont été institués comme un fléau du pauvre peuple, qui de la sorte reste bien grossier3. Ils n’ont aucun droit, ni devant Dieu ni devant les hommes, ainsi que le dit suffisamment Paul aux Galates quand il décrit deux sortes d’hommes (4 : 21-22).
7C’est pourquoi, aussi longtemps que le ciel et la terre existeront, ces fourbes et scélérats de prêtres ne pourront être de la moindre utilité à l’Eglise, car ils renient la voix de l’Epoux, ce qui est le signe sûr et certain qu’ils ne sont que des diables. Comment pourraient-ils donc être les serviteurs de Dieu et les porteurs de Sa parole alors qu’avec l’effronterie de prostitués ils la renient honteusement ? Car il faut que tous les prêtres véritables aient des révélations afin d’être sûrs de leur fait, 1 Corinthiens 14 : 30. Mais de leur cœur endurci ils disent que c’est impossible. C’est donc à juste titre – eux qui prétendent avoir ingurgité l’Ecriture tout entière – qu’ils devraient être sur le champ abattus et comme foudroyés par les paroles de saint Paul aux Corinthiens, seconde Epître, chapitre 3 : 3, lorsqu’il établit une différence entre les Elus et les damnés.
8Pour certains, l’Evangile et l’Ecriture tout entière sont fermés à clé, Isaïe 29 : 9-12 et 22-22 (la clé de David) et Apocalypse 5 : 7 (le livre scellé). Ezéchiel a ouvert ce qui était fermé. Le Christ dit, Luc 11 : 52, que les prêtres volent la clé de ce livre fermé ; ils ferment à clé l’Ecriture en prétendant que Dieu ne peut parler en personne aux hommes. C’est quand la semence tombe sur le champ fertile, c’est-à-dire dans les cœurs emplis de la crainte de Dieu, c’est là que sont le papier et le parchemin sur lesquels Dieu inscrit non pas avec de l’encre, mais de Son doigt vivant la véritable Ecriture sainte dont la Bible extérieure est le vrai témoignage. Et rien n’atteste de façon plus certaine la vérité de la Bible que la parole vivante de Dieu quand le Père s’adresse au Fils dans le cœur de l’homme.
9Cette Ecriture-là, tous les Elus qui font fructifier leur talent peuvent la lire. Les damnés, au contraire, n’en feront rien. Leur cœur est plus dur que la pierre qui éternellement repousse le burin du maître-artisan. C’est pourquoi notre Seigneur bien-aimé appelle pierres ceux sur lesquels la semence tombe sans rapporter de fruits, mais qui reçoivent la parole morte avec joie, grande joie et vantardise. Par mon âme, personne ne reçoit la vérité qui vient des livres avec autant de jubilation et autant de pompe que les hommes d’étude, les prêtres et les moines. Mais quand Dieu veut écrire dans leurs cœurs, il n’est pas de gens sous le soleil qui soient plus hostiles à la parole vivante de Dieu. De même ils ne souffrent aucune mise à l’épreuve de la foi dans l’esprit de la crainte de Dieu. C’est pourquoi ils seront précipités dans le lac où les faux prophètes ainsi que l’Antéchrist seront tourmentés par les siècles des siècles, amen.
10Ils ne veulent pas non plus être angoissés par l’esprit de la crainte de Dieu. C’est pourquoi ils tournent éternellement en dérision les épreuves de la foi. Ce sont eux, les gens dont Jérémie dit au chapitre 8 : 8 qu’ils n’ont ressenti aucune expérience qu’ils pourraient appliquer dans leurs explications de l’Ecriture sainte. Ils n’ont de manière d’écrire que celle des fourbes qui rejettent la vraie parole, et pourtant ils ont besoin de cette même parole, qu’ils n’entendront jamais pour l’éternité des éternités. Car Dieu place Sa parole uniquement dans la souffrance des créatures, laquelle fait défaut au cœur des impies. Ils s’endurcissent toujours davantage. Ils ne peuvent ni ne veulent faire le vide en eux-mêmes. Leur base est sans consistance. Ils ont horreur de Celui qui est leur Maître. Voilà pourquoi ils renient leur foi au temps des épreuves et s’écartent du Verbe devenu chair. L’impie ne veut en aucune manière devenir semblable au Christ par ses souffrances ; il prétend y parvenir par des pensées douces comme miel. C’est pourquoi ils sont damnés, ces prêtres qui dérobent la vraie clé en disant qu’une telle voie est chimérique et insensée et en prétendant qu’elle est absolument impossible. Ces gens sont dès maintenant jugés et condamnés jusqu’aux os à la damnation éternelle. Pourquoi ne devrais-je pas les condamner, moi aussi ? Car n’ayant pas reçu l’aspersion de la crainte de Dieu au troisième jour, comment pourraient-ils être purifiés au septième, Nombres 19 : 12 ?4. Ils seront donc précipités dans l’abîme du cloaque infernal.
11Quant au peuple, en revanche, je ne doute pas de lui. Ah ! Pauvre petit troupeau, si juste et si pitoyable, comme tu es assoiffé de la parole de Dieu ! Car il est clair comme le jour que personne (ou très peu de gens) ne sait ce qu’il doit penser ni à quel parti se rallier. Les gens sont très disposés à faire de leur mieux, mais ils ne parviennent pas à savoir en quoi cela consiste. Car ils ne savent ni se conformer ni se soumettre aux témoignages que l’Esprit-Saint énonce en leur cœur. C’est pourquoi ils sont tourmentés par l’esprit de la crainte de Dieu, à tel point que la prophétie de Jérémie s’est réalisée sur eux, Lamentations 4 : 4 : « Les enfants ont demandé du pain, mais il n’est personne qui en ait rompu pour eux ». Il est beaucoup de fripons avides de lucre qui, comme on a coutume de jeter du pain aux chiens, ont jeté au pauvre, pauvre petit peuple le texte de la Bible sans avoir aucune expérience de la foi, comme font les papistes. Mais ce pain, ils ne le lui ont pas rompu grâce à leur connaissance de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas ouvert leur raison de manière à pouvoir reconnaître en eux-mêmes l’Esprit-Saint. Car, même réunis en un seul groupe, les prêtres ne sont pas capables de rendre un seul homme assez sage pour pouvoir être promis à la vie éternelle.
12Pourquoi faire de longs discours ? Ce sont eux, les seigneurs qui se goinfrent et boivent comme des bêtes et festoient et cherchent jour et nuit le moyen de s’empifrer et d’accumuler les prébendes, Ézéchiel 34 : 2, 8, 10. Ils ne sont pas comme le Christ, notre Seigneur bien-aimé, lequel se compare à une poule qui réchauffe ses poussins, Matthieu 23 : 37. Ils ne dispensent pas non plus aux hommes désespérés et abandonnés le lait de la fontaine intarissable de l’exhortation divine. Car ils n’ont pas fait l’expérience de la foi. Ils sont comme la cigogne qui ramasse les grenouilles dans les prairies et les marais pour les recracher ensuite toutes crues à ses petits restés au nid. C’est ainsi que sont ces prêtres avides de profits et percepteurs de rentes, qui ingurgitent les paroles mortes de l’Ecriture pour déverser ensuite sur le pauvre, pauvre et juste peuple, la lettre et la foi non éprouvée, laquelle ne vaut pas un pou. Ainsi, par leur faute, plus personne n’est sûr du salut de son âme. Car ces valets de Bélzébuth ne font rien d’autre que mettre à l’encan des fragments de l’Ecriture sainte, en disant que l’homme ne sait pas s’il mérite la haine ou l’amour de Dieu. C’est l’abîme infernal qui nous envoie ce cadeau, car ces prostitués de prêtres sont possédés par les plus trompeurs et les plus méchants parmi les princes des diables, ainsi que l’indique l’Apocalypse de Jean. Par ce moyen, ils dispersent les brebis de Dieu, au point qu’aucune n’est plus à la vue de l’Eglise. Et il n’est personne qui puisse distinguer les justes de la foule des inconnus.
13On ne distingue pas non plus ce qui est pestiféré de ce qui est sain, c’est-à-dire que personne ne se soucie du fait que l’Eglise, à cause de ces hommes damnés, est ruinée de fond en comble. Car les brebis ne savent pas qu’il faut qu’elles entendent la voix vivante de Dieu, c’est-à-dire qu’elles doivent toutes avoir des révélations, Joël chapitre 2 : 28-32 et David, Psaume 89 : 19. L’office des vrais bergers n’est rien d’autre que d’y conduire toutes les brebis afin qu’elles soient revigorées par la voix vivante, car il est dit qu’il n’est qu’un seul maître pour enseigner la connaissance de Dieu, Matthieu 23 : 8. Cela ne s’est pas produit pendant longtemps, ce qui fait qu’à maints égards les Elus ressemblent tout à fait aux damnés, qu’ils seront bientôt engloutis avec eux et que le monde entier a pensé qu’il n’était pas nécessaire que le Christ prêchât Lui-même Son propre Evangile aux Elus.
14Je l’affirme et le jure par le Dieu vivant : celui qui n’entend pas de la bouche même de Dieu Sa vraie parole vivante et ne distingue pas Bible et Babel, celui-là n’est qu’une chose morte. Mais la parole de Dieu, qui pénètre le cœur, le cerveau, la peau, les cheveux, les os, la moelle, le sang, la force et la vigueur, peut bien survenir d’une autre manière que ne le racontent nos couillons et idiots de docteurs. Personne ne peut faire son salut d’une autre manière et personne ne peut être trouvé autrement. Il faut que l’Elu s’entrechoque avec le damné et que les forces de celui-ci s’échappent devant lui. Vous ne pouvez entendre d’une autre manière ce qu’est Dieu. Car celui qui a reçu une seule fois l’Esprit-Saint comme il le doit ne peut plus être damné, Isaïe chapitres 55 : 6-11 et 60 : 21, Jean chapitre 6 : 45. Ah ! malheur aux prédicateurs qui enseignent à la manière de Balaam : on leur a mis des paroles dans la bouche, mais leur cœur est à plus de mille fois mille lieues.
15Le peuple vit sans véritables pasteurs, car on ne lui prêche jamais l’expérience de la foi. Les prêtres juifs et hérétiques peuvent bien dire qu’une telle rigueur n’est pas nécessaire. Ils disent qu’on peut éviter la colère de Dieu par de bonnes œuvres et de précieuses vertus. Mais avec tout cela ils n’enseignent nullement ce qu’est Dieu dans l’expérience, ni ce qu’est la droite foi, ni ce qu’est la ferme vertu, ni ce que sont les bonnes œuvres par rapport à Dieu. C’est pourquoi il ne serait pas étonnant que Dieu nous réduise tous, les Elus comme les damnés, dans notre corps et dans notre vie, en poussière et en ruines dans un déluge bien plus grave qu’autrefois. Et il ne serait pas étonnant non plus qu’il ait damné tous ceux qui ont succombé à ces maudites séductions. Car notre foi est plus à la semblance de Lucifer et de Satan, et elle est bien plus grossière que le bois et les pierres.
16Je considère que ce n’est pas sans raison si les autres peuples qualifient notre foi de singerie. Car il est évident, et l’on ne pourra me démentir sur ce point, que les incroyants ont souvent eu raison de nous demander des comptes. Mais nous leur avons sorti des réponses qui n’étaient que vain caquetage ; nous avons barbouillé fièrement de gros livres en disant : Nous avons ceci et cela d’écrit dans notre loi ; là le Christ a dit ceci et Paul a écrit cela ; et les prophètes ont prédit ceci et cela ; et notre mère (patronne du bordel, plutôt !) la sainte Eglise, a stipulé ceci et cela ; et le saint pape (ou plutôt : ce Néron, cette tête de bois, ce pot de chambre, maître du lupanar romain !) a ordonné telle ou telle chose importante. Ordonné, oui da ! Mais sous menace d’excommunication, laquelle, même si l’on fait peu de cas de l’opinion de nos petits docteurs de paille, ne peut être méprisée, en raison de l’angoisse des consciences.
17Cher lecteur, qu’on change les mots ou qu’on les dispose autrement, ces gens ne pourront, quels que soient leurs bavardages, démontrer la foi chrétienne avec leur Bible dénuée d’expérience. Hélas ! Trois fois hélas ! Malheur à ces prêtres infernaux, créatures d’Asmodée, qui manifestement induisent le peuple en erreur. Personne ne veut encore voir ni comprendre l’inanité de ces preuves de notre foi, et d’autres du même genre, qu’on expose aux incroyants. Pensez-vous que ceux-ci n’ont pas, eux aussi, une cervelle dans la tête ? Ils sont en droit de se demander quelle espèce de garantie est celle qui ne vient que des livres. Ne se pourrait-il pas qu’aient menti ceux qui les ont écrits ? Et comment peut-on savoir si telle ou telle chose est vraie ?
18Sans aucun doute les Turcs et les Juifs, de même que de nombreux Elus, voudraient bien entendre des preuves irréfutables de notre part. Mais ces prêtres du Diable froncent le nez, prompts à les damner, alors qu’ils ne sont nullement habilités à dénier à quiconque le droit d’avoir la vérité. Ils disent en citant les paroles toutes nues : « Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé ». Voilà toute la solide justification qu’ils donnent aux adversaires. La seule explication, et je n’en vois pas d’autre, est qu’ils sont devenus complètement fous et insensés pour prétendre exposer la foi aux ennemis d’une manière aussi simpliste. Il faudrait jeter au rebut ce genre de preuves et précipiter au fond de l’enfer les discoureurs de ce genre. Car ces preuves sont bien plus folles que la folie elle-même. Qui pourra jamais assez le regretter et le déplorer ? N’avons-nous plus de sang dans les veines ? Et faut-il être aussi fou et déraisonnable ?
19Ne sent-on pas une petite étincelle qui bientôt s’éveillera pour devenir brasier ? Oui, on la sent, et je la sens aussi. J’ai été pris d’une grande pitié en voyant que l’Eglise chrétienne est déchirée au point que Dieu ne pourrait lui infliger pires tourments à moins de vouloir l’éteindre complètement, ce qu’il ne fera pas si ce n’est à cause de ces enfoirés qui ont enseigné à adorer Baal. Ceux-là mériteraient d’être sciés en deux par le milieu, car, comme dit Daniel, ils n’ont pas mis en pratique les jugements de Dieu.
20Ayant lu et relu les histoires des Pères de l’Eglise, j’y ai trouvé qu’après la mort des disciples des Apôtres, l’Eglise virginale et immaculée est rapidement devenue une prostituée par la faute des prêtres qui ont égaré les âmes. Car les prêtres ont toujours voulu siéger au premier rang, ainsi que l’attestent Hégésippe et Eusèbe5 et d’autres encore. Et du fait que le peuple a négligé de pratiquer l’élection des prêtres, il n’a plus été possible de tenir un véritable concile depuis que s’est instaurée cette négligence. Quoi qu’il en soit, c’est là œuvre du Diable, car dans les conciles et synodes, on n’a jamais traité d’autre chose que de vains enfantillages tels que sonneries de cloches, calices, capuchons, lampes, coadjuteurs et servants de messe. Quant à la vraie et vivante parole de Dieu, jamais, au grand jamais on n’a ouvert la bouche pour en parler, et l’on n’a jamais non plus réfléchi à l’Ordre divin.
21Il a fallu que de telles erreurs se produisent afin qu’apparaissent et se réalisent les œuvres de tous les hommes, des Elus comme des damnés, et cela jusqu’à notre époque où Dieu va séparer le bon grain de l’ivraie, afin que l’on puisse saisir comme en plein jour qui a égaré l’Eglise si longtemps. Il a fallu que toute cette coquinerie vienne au jour de la manière la plus éclatante. Ah ! Comme les pommes sont bien blettes ! Et comme les Elus sont bien mûrs ! Voici le temps de la récolte. C’est pourquoi Dieu Lui-même m’a embauché pour Sa moisson. J’ai aiguisé ma faucille, car mes pensées aspirent de toute leur force à la vérité, et mes lèvres, ma peau, mes mains, mes cheveux, mon âme, mon corps et tout mon être maudissent les impies.
22C’est afin de m’acquitter convenablement de cette tâche que je suis venu dans votre pays, chers habitants de la Bohème. Je ne vous demande rien d’autre que d’étudier avec zèle la vivante parole de Dieu venue de Sa propre bouche, par quoi vous pourrez vous-mêmes entendre, voir et saisir comment le monde entier a été égaré par les prêtres qui refusent d’entendre. Aidez-moi, par le sang du Christ, à combattre ces ennemis jurés de la foi. Je les confondrai à vos yeux dans l’esprit d’Elie. Car c’est dans votre pays que commencera la nouvelle Eglise apostolique, qui s’établira ensuite en tous lieux. Je suis prêt à écouter en chaire les questions du peuple, et je répondrai à chacun. Et si je ne puis donner la preuve de mon savoir et de ma maîtrise, je veux être enfant de la mort temporelle et de la mort éternelle. Il n’est pas pour moi de gage plus précieux. Quant à ceux qui mépriseront cette exhortation, ils sont d’ores et déjà livrés aux mains des Turcs.
23Après cet embrasement furieux, l’Antéchrist en personne régnera, le vrai contraire du Christ, lequel donnera peu après à Ses Elus le royaume de ce monde pour les siècles des siècles.
24Donné à Prague le jour de sainte Catherine6, l’an du Seigneur 1521.
25Qui ne veut pas adorer un Dieu muet mais un Dieu qui parle
Notes de bas de page
1 Le texte latin dit ici : « evacuatio predestinatae mentis. » On peut comprendre aussi : « combien est profitable le vide créé dans l’âme par l’esprit de la Providence. »
2 Interprétation proposée par Eberhard Wolfgramm (« Der Prager Anschlag des Thomas Müntzer nach der Handschrift der Leipziger Universitätsbibliothek », in : Wissenschafiliche Zeitschrift der Karl-Marx-Universität Leipzig. Gesellschafts-und sprachwissenschaftliche Reihe 3195657. /pp. 295308). La dernière partie de la phrase exclut l’interprétation panthéiste.
3 « Grob ». Le terme, emprunté à la mystique désigne l’être enfoncé dans la matière. Il est de ceux qui prendront par la suite une signification nettement sociale (« das Volk entgroben » = débarrasser le peuple de sa grossièreté).
4 Nombres 19, 11-12 : « Celui qui touchera un mort, un corps humain quelconque, sera impur pendant sept jours. Il se purifiera avec cette eau le troisième jour et le septième jour, et il sera pur. »
5 Hégésippe : écrit vers 180 cinq livres d’Hypomnemata. Des fragments sont repris dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée(263-339). Müntzer. qui cite à plusieurs reprises ces auteurs (Cf. Messe évangélique eu allemand et le début du Sermon aux princes) se réfère au Livre IV chapitre 22.4-6 d’Eusèbe.
6 Le 25 novembre.
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