Chapitre V. Les nouvelles données administratives et politiques de l’agglomération Lyonnaise
p. 221-224
Texte intégral
1Les années 58-59 ouvrent des horizons nouveaux en France autant du point de vue économique que politique. Pour corriger les anomalies de la répartition démographique et du développement des villes qui permettent à Jean-François Gravier de parler de « Paris et du désert français », le nouveau pouvoir en arrive très vite à mettre en œuvre une politique de réaménagement du territoire en essayant enfin de réaliser la vieille idée des métropoles régionales appelées aussi métropoles d'équilibre. Dès 1959, le pouvoir central s’intéresse à l’agglomération lyonnaise pour envisager son évolution économique et administrative, et sa restructuration spatiale. Ce chapitre voudrait faire rapidement le point sur cette évolution de la physionomie de l’ancienne capitale des Gaules et de son environnement immédiat.
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Métropole régionale et centre décisionnel
2S’il n’y avait aucun problème pour désigner Lyon comme métropole régionale, les difficultés commençaient quand il s’agissait de savoir quelle étendue aurait l’aire métropolitaine, quels équipements étaient nécessaires pour passer de la grande ville à la métropole et où les implanter et surtout comment réaliser la fédération des différentes collectivités locales existant sur le territoire régional1.
3Comme le remarque Jean Baboulene, dans le numéro spécial de la Chronique Sociale de France, Lyon disposait :
- « d’une situation » remarquable
- d’une « composition » de fonctions déjà puissante et structurée
- d’un « site aux potentialités sans équivalent en Europe », avec en particulier « un centre qui (détient) des potentialités foncières suffisantes en quantité et mobilisable dans un délai opérationnel ».
4Tous ces éléments favorables nécessitaient surtout une volonté locale pour être mis en œuvre. L’avenir des diverses branches de l’industrie devait être soigneusement réenvisagé. (On imagine sans peine quelles répercussions les élus villeurbannais pouvaient prévoir sur leurs industries locales. Le chapitre suivant nous montrera d’ailleurs comment le Conseil municipal de Villeurbanne fit écho à ces diverses études, articles de revues ou de journaux). Il fallait créer un nouveau centre sans lequel le développement industriel, la réorganisation et la réalisation des équipements universitaires, culturels, sanitaires, la mise en place d’une nouvelle infrastructure routière seraient sans effet. Or ce centre pourrait être implanté sur la rive gauche du Rhône entre autres sur un terrain militaire facilement récupérable :
« Sur ces 400 hectares de terrains, plus de 80 sont aux moindres coûts et aux moindres délais à la disposition d’une opération centrale... Si nous ajoutons les 70 ha du fameux « Tonkin » de Villeurbanne, on arrive à 150 ha de terrains opérationnels sur l’emplacement optimum de la grande cité. Quelle ville au monde peut mobiliser à si peu d’efforts un tel potentiel de restructuration ? »
5Sur cet emplacement, conclut Baboulene, il faut implanter la nouvelle gare centrale enterrée qui regroupera et Perrache et les Brotteaux et autour d’elle, les grands palais des fonctions régionales (administrations, grands services techniques, maisons des professions), les établissements d’accueil (grands hôtels, agences, etc.) les grandes fonctions commerciales et les institutions de rassemblement et d’échanges (palais de congrès, centres techniques, etc.).
La S.E.R.L., le projet de district urbain, le syndicat à vocations multiples
6L’État, de son côté, soucieux de mettre en place les infrastructures nécessaires à une décentralisation, commence dès 1957 à proposer aux collectivités locales des outils nouveaux pour faciliter le développement.
La S.E.R.L.
7Le premier de ces outils est la Société d’Équipement de la Région de Lyon. C’est une société d’économie mixte, filiale de la Société Centrale d’Équipement du Territoire qui gère les fonds publics de la Caisse des Dépôts et Consignations. Conscient que les fonds locaux ou les fonds privés ne pourront s’engager de manière suffisante que si l’appui des finances nationales ouvre le chemin, les instances de l’État décident, en 1953-1954, d’instaurer sur une grande échelle les sociétés d’économie mixte que des décrets de 1926 et 1929 avaient déjà rendu possibles. On sait comment un Lazare Goujon avait déjà su en profiter avec la S.V.U.
8Les élus villeurbannais accueillent assez mal cette proposition. Ils ne mesurent pas les nécessités et les moyens que réclame la nouvelle phase de développement qui s’approche, les instruments locaux leur paraissent suffisants. Dans un premier temps, ils voient dans un organisme comme la S.E.R.L., proposé par l’État, une menace pour les libertés locales. Pourtant, conscients qu’on pourra difficilement se passer des services de ce nouvel organisme pour la rénovation du Tonkin, ils finissent par accepter à condition que toutes les garanties soient prises pour que la représentation villeurbannaise au sein du conseil d’administration permette un contrôle efficace. A ce stade de l’évolution des événements, le maire de Villeurbanne ne perd pas de vue sa ville et ses nécessités, mais il sait qu’il doit compter avec et sur Lyon pour ne pas perdre pied face à l’État. La S.E.R.L. sera donc constituée à la fin de 1957 et prendra de plus en plus en main les grandes opérations de transformation urbaine. Apparemment les pouvoirs locaux garderont un grand poids dans les décisions à prendre mais très souvent, en fait, par le jeu des financements et de l’appareil administratif, dépendant de la SCET, l’État infléchira le cours des choses dans son sens. Avec la création de la S.E.R.L., un premier réseau de contraintes vient encadrer l’action municipale.
Le projet de district urbain et le syndicat à vocations multiples
9En 1959, le Ministère de l’Intérieur, instance compétente de l’État en la matière, tente de franchir une nouvelle étape de caractère nettement plus administratif et surtout politique. Avec la S.E.R.L., l’État proposait un prestataire de services divers, avec le District Urbain (ordonnance du 5 janvier 1959) il demande une coordination plus réserrée et un partage de compétences. Les élus et Étienne Gagnaire, le premier, subodorent une volonté de mainmise étatique et refusent le projet.
10Poussé par un désir d’efficacité, le pouvoir central est allé trop vite en heurtant de front les libertés communales sans faire ressortir la nécessité d’un tel organisme et en plus sans prévoir son financement. Il existe déjà divers syndicats intercommunaux pour répondre à des problèmes spécifiques auxquels une commune ne peut faire face toute seule. Pour empêcher l’État de prendre une seconde fois l’initiative, il était urgent de le faire soi-même. Dès la fin de 1959, il est question de créer un « Syndicat à vocations multiples » qui, comme son nom l’indiquait, serait compétent pour entreprendre et mener à bien un certain nombre de grands travaux dont l’agglomération avait besoin. Etienne Gagnaire en était l’initiateur. 21 communes limitrophes de Lyon étaient d’accord pour fonder ce syndicat.
11Avec cette initiative, le Maire de Villeurbanne prenait la mesure des données nouvelles et semblait déterminé à y répondre. Cette création répondait à une nécessité puisque plusieurs fois (janvier 1961, avril 1963, février 1965) il fallut étendre les attributions du syndicat et accueillir de nouvelles communes qui demandaient à adhérer.
12Pendant les quatre premières années, le syndicat s’occupa surtout de questions d’assainissement (finition du grand collecteur de la rive gauche, construction de celui de la rive droite) et de la construction de ponts. Il devait mettre ensuite à son programme la construction d’une usine à incinération puis des abattoirs de la Mouche, et enfin la création de la zone des loisirs de Miribel-Jonage. Mais il n’empiétait sur aucune des grandes réalisations confiées à la SERL (Part-Dieu, Tonkin, ZUP des Minguettes ou de Vaulx-en-Velin) qui constituaient vraiment la mise en place de la métropole régionale et n’avait pas empêché l'État de garder en fait l’initiative sur les grandes opérations métropolitaines. Il était clair, que les communes quelles qu’elles soient et quel que fut leur passé d'autonomie et de choix indépendants, devraient peu à peu abandonner une partie notable de leurs initiatives et entrer dans un système de contraintes dues à l’action de l’État et à la nouvelle réalité économique et administrative. Quiconque voudrait faire oeuvre de différenciation devrait en rechercher les nouveaux terrains en même temps que les nouvelles formes d’application, le champ traditionnel de ce genre de manifestation étant désormais très encadré.
La COURLY
13Si l’État avait retiré son projet de district urbain en 1959 et s’était contenté d’agir par le biais de la SERL, c’était pour mieux y revenir moins de 10 ans plus tard et pour imposer un nouveau cadre fédératif à l’agglomération. Décidées à fournir à la région les équipements indispensables à son développement et à son fonctionnement, les autorités gouvernementales ne pouvaient se permettre longtemps de s’embarrasser des cloisonnements administratifs (Pour agir sur l’agglomération lyonnaise, il fallait entrer en négociation avec trois départements : Rhône, Isère, Ain, une bonne cinquantaine de communes et plusieurs syndicats intercommunaux). Comme l’indiquait le projet de loi déposé le 23 juin 1966 sur le bureau de l’Assemblée Nationale, il s’agissait de faire coïncider « les institutions administratives de nos grandes villes avec les réalités pratiques ».
14Comme en 1959, la première réaction fut le refus généralisé et, une fois encore, Etienne Gagnaire, en tant que président des maires du Rhône, fut aux premières lignes. Il émit des réserves sur la constitutionnalité du projet, sur le mode d’approbation du dit projet par les collectivités locales intéressées, sur le maintien de l’autonomie communale et de leurs ressources financières, sur le poids de la représentation de Lyon et la non-représentation d’un certain nombre de petites communes. Il continuait de penser que le Syndicat intercommunal à vocations multiples, en élargissant ses compétences, aurait parfaitement répondu aux désirs gouvernementaux2.
15La loi sera votée le 31 décembre 1966 mais il faudra plusieurs années pour que les divers services communautaires prennent en charge ce qui est de leur compétence.
16Finalement, l’État a imposé ses vues aux collectivités locales. Celles-ci ont perdu leurs compétences dans plusieurs domaines essentiels : la voirie, l’assainissement, le ramassage des ordures, la construction d’établissements scolaires du deuxième degré, l’achat de terrains, etc. De plus, la communauté urbaine récupère directement un pourcentage important des impôts locaux. Les moyens d’une politique communale autonome sont singulièrement réduits. Désormais la commune qui désire mener une politique différenciée devra la mettre en œuvre à deux niveaux :
- Sur le territoire communal, en faisant œuvre d’imagination et de volonté pour apporter une réponse aux besoins locaux dans le cadre étroit des attributions conservées.
- Au Conseil de la Communauté, en soumettant des propositions originales capables d’intéresser l’ensemble des communes et de faciliter la réalisation des options retenues pour ses propres administrés.
Notes de bas de page
1 En juillet 1965, la Chronique Sociale de France a sorti un numéro de sa revue entièrement consacré à ce problème (Cahier 3-4 de 1965) où les divers aspects de la question étaient envisagés. On trouve dans ce cahier les signatures de Jean Labasse, Jacques Cadart, Jean Baboulène, Michel Laferrère, Régis Neyret, Joseph Folliet, etc. qui avaient, bien entendu, pris Lyon en exemple.
2 Cf. Annexe VI : Réponse de M. Gagnaire, maire de Villeurbanne à Monsieur le Préfet du Rhône, le 20 juillet 1966, à propos de la création de la COURLY. A la fin de l’ouvrage.
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