Avant-propos
p. 5-7
Texte intégral
1Cet ouvrage Regards sur le Saint-Simonisme et les Saint-Simoniens regroupe six études élaborées sous la direction de Jean-René Derré (l’une d’elles étant de lui-même) ; je me borne ici à les regrouper et à les présenter ; que cet ouvrage soit aussi un hommage à sa mémoire.
2Les deux premiers articles s’attachent à la pensée saint-simonienne, à sa philosophie profonde pourrait-on dire. L’article de Jean-René Derré, « Lamennais et la pensée saint-simonienne » suit, d’abord, historiquement, les rapports entre Le Globe d’une part, les journaux L’Avenir et Le Correspondant d’autre part ; puis soulève la question, plus grave, des rapports entre religion et vie économique, entre charité et justice, pour conclure que le saint-simonisme tente de dépasser le spiritualisme et le matérialisme vers un humanisme moderne. Michel Espagne situe sa réflexion au cœur d’une problématique philosophique : « Le saint-simonisme est-il jeune hégélien ? ; il empoigne avec vigueur la relation du saint-simonisme avec l’idéalisme philosophique allemand, recherche les « racines germaniques » du saint-simonisme et précise la fonction médiatrice de Victor Cousin, véritable traducteur de philosophie allemande en pensée qui nourrit le saint-simonisme. On voit assez que ces deux articles traitent de points fondamentaux.
3Lucette Czyba et Christine Planté déplacent l’analyse vers la question capitale des rapports entre le saint-simonisme et la Femme, ou plus précisément, vers le féminisme d’après 1830. Christine Planté – dans son article « Les féministes saint-simoniennes » : possibilités et limites d’un mouvement féministe en France au lendemain de 1830 » – envisage avec lucidité les possibilités offertes par la morale saint-simonienne à la Femme et à un certain féminisme après 1830 ; ce lendemain de 1830 fut une sorte de belle occasion : de fait, occasion à discussions assez confusionnistes. Enfantin seul ouvrit « théoriquement » à la Femme la nouvelle morale qu’offrait le saint-simonisme, afin de dépasser à la fois paganisme et christianisme : mais ce féminisme neuf se réduisit à quelques femmes féministes. Il y avait là des contradictions qui tenaient à la fois au saint-simonisme lui-même (l’exaltation de la mère) et à tout mouvement féministe. Contradictions assez passionnantes. Lucette Czyba – traitant de « L’œuvre lyonnaise d’une ancienne saint-simonienne : Le Conseiller des Femmes d’Eugène Niboyet (1833-1834) » – fait une analyse plus circonstancielle et plus régionale en parcourant le journal fameux d’Eugène Niboyet, Le Conseiller des Femmes, en ces mêmes lendemains de 1830 : on y voit la relation précise et passionnée des événements de 1834, la révolte des canuts et sa terrible répression, si souvent éludée ou édulcorée (grand témoignage historique à lui seul) ; les raisons profondes de la révolte : moins les salaires que le refus de l’association. Refus qui concernait donc aussi les femmes. Mais Eugène Niboyet concluait exclusivement à l’exigence d’instruire les femmes, de développer leurs lumières ; son féminisme, en fin de compte, ne manque pas d’ambiguïtés.
4Anne-Marie Thiesse – dans « La chair de l’utopie ou la vulgarisation de la pensée saint-simonienne dans les romans d’Eugène Sue » – prospecte, elle, le romanesque feuilletoniste ; elle y décèle les traces ou le levain amortis du saint-simonisme : au-delà des démarches historiques d’Enfantin auprès d’Eugène Sue romancier, elle note que le roman Les Mystères de Paris entre autres fut conçu comme un roman-tribune ; que la lignée des Rennepont dans Le Juif Errant est fort révélatrice ; que Les Mystères du Peuple, enfin, dans leur fatras mythique, charrie encore des alluvions saint-simoniennes. Cette incursion dans un romanesque lui-même très spécifique, était, je crois, intéressante.
5Enfin, Philippe Régnier fournit aux lecteurs un « État présent des Études saint-simoniennes » qui leur sera fort utile ; beaucoup plus qu’un inventaire : d’abord, un « précis » de définition du saint-simonisme, dont on conviendra qu’elle est salutaire en soi ; une véritable problématique, en même temps qu’une étude des sources et des fonds saint-simoniens ; l’article et le livre se terminent sur une Bibliographie du saint-simonisme de 1965 à 1982.
6Un ouvrage, qui – nous l’espérons – offrira, à la lecture et à l’étude, des aspects variés, philosophiques, historiques et sociaux-culturels du saint-simonisme, et qui s’efforce de ne pas séparer les idées et les hommes.
Auteur
Centre d’Études « Littérature et Idéologies au XIXe siècle », Université Lyon 2
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014