Avant-propos
L'observation du changement social et culturel
p. I-VII
Texte intégral
1L'Etablissement Public Régional et le Centre National de la Recherche Scientifique ont lancé en 1976 un programme pluriannuel de développement des recherches en Sciences Humaines dans la Région Rhône-Alpes.
2Pour répondre à cet appel d'offres, s'est constituée à l'Université Lyon-2 une équipe de recherches largement pluridisciplinaire, dont les objectifs étaient de s'interroger sur les méthodes d'observation continue du changement social et culturel (en collaboration avec d'autres équipes régionales). Les textes qui suivent ne sont pas encore des résultats, mais ils présentent les terrains qui ont été retenus par les chercheurs lyonnais, et qui sont aujourd'hui objets d'enquêtes et d'études. Ces différents textes rassemblés dans la publication régulière du Centre Pierre Léon d'Histoire économique et sociale de la Région lyonnaise, Laboratoire associé du C.N.R.S., respectent la personnalité et l'originalité de chacun de ses auteurs, et de chacune des disciplines qu'ils représentent. Il m'a semblé utile de proposer aux lecteurs, historiens destinataires habituels de ce Bulletin, et autres, cette présentation d'un même thème, dans le langage spécifique, dans les perspectives propres de chacun. Et cependant la diversité de l'exposé ne doit pas effacer la cohésion de l'ensemble : historiens, sociologues, géographes, psycho-sociologues, ethnologues, travaillent ensemble, dans une même recherche, et cette communauté de réflexion est déjà en elle-même un succès. La lecture comparée de ces approches monographiques peut dérouter l'historien de la société et des siècles passés. Mais elle montre que les Sciences Humaines ont besoin les unes des autres pour interroger le présent. Qu'il me soit permis d'ajouter quelques remarques, qui, précisant la perspective globale, feront le lien entre ces premiers essais et le devenir d'une (recherche qui se poursuit.
1 - Quelques points de méthode
3Rappelons en premier lieu les préalables de cette recherche, et ses conditions générales.
4Changement social et changements. Par la définition même de l'objet de l'A.T.P., il a été admis que le changement social et culturel pouvait s'observer de façon localisée, à partir d'un village, d'une petite ville, d'un quartier de grande ville. Sans avoir fait au préalable une réflexion théorique approfondie sur la notion de changement social, l'équipe lyonnaise a préféré conduire une recherche plus empirique, immédiatement appliquée à des populations dans leur cadre de vie, sur des terrains, ruraux ou urbains. Cependant cette approche déjà individualisée du changement n'est pas un refus de la réflexion théorique nécessaire. Il est évident à tout observateur qu'il se produit sous nos yeux des changements de comportements, et sociaux et culturels. Ces changements nécessiteraient tous, ou chacun, une étude spécialisée, qui pourrait bien sûr se faire à partir de l'analyse d'une population limitée. Notre démarche ne se veut absolument pas une somme d'études partielles de phénomènes particuliers. Citons pêle-mêle de nouvelles sensibilités culturelles vis-à-vis du sport de masse ou de la musique, le regain de la vie associative, de nouvelles réactions vis-à-vis du temps de travail ou du temps de loisir, le retour des jeunes à la terre ou à l'artisanat, etc... qui demanderaient d'autres moyens et d'autres méthodes d'enquête.
5Mais le parti-pris de départ est que l'étude de la totalité d'une population locale doit permettre de comprendre les mécanismes et la nature d'un possible Changement au singulier, qui ne soit pas la somme des changements différenciés : mais ceux-ci doivent être rencontrés au cours de l'explication de celui-là.
6L'étude localisée. De la même façon, l'étude localisée pose la même question. Pour étudier formes et modalité, réalité ou apparence, signification et silence du changement social dans un point d'observation particulier, il était nécessaire de consacrer un très long travail à la connaissance profonde de la société locale, insérée dans son cadre matériel de vie. Cette étude préalable indispensable : qui observe-t-on ? - favorise nécessairement un glissement vers la monographie. Chaque lieu est saisi comme un monde complet, avec ses fonctionnements économique, social, politique, démographique, religieux, culturel, propres, en quelque sorte de façon autonome. Il est sûr que le lieu est alors le théâtre d'une société que l'on peut avoir tendance à considérer comme autonome : l'étude localisée serait alors son propre but, sa fin en soi, et ne pourrait servir en rien à l'étude d'autres lieux, d'autres populations. A l'opposé, la constatation de ce risque, de privilégier le local aux dépens de l'universel ou du général, peut conduire à ne chercher dans la société locale que le "reflet de la société globale" (Pierre Vergés, équipe observation du changement d'Aix-en-Provence). Dans ce cas, le lieu devient indifférent, et il n'y a plus de justification théorique, mais seulement méthodologique au choix d'espaces restreints pour l'observation.
7L'équipe de Lyon cherche à interroger la société locale pour qu'elle livre les clés de son fonctionnement interne, en liaison avec la société globale dont elle fait partie. Cette interaction permanente des deux approches est indispensable : elle est difficile, elle oblige à des choix, et contraint à retenir quelques thèmes essentiels, à travers lesquels peut se traduire une explication du changement.
8Nécessités de la durée et de l'échange scientifique. Une telle recherche appliquée et empirique impose deux conditions : - la durée ; - la confrontation des méthodes et des résultats.
9La durée était un préalable, au moment de la soumission à l'appel d'offres régional. La conduite du travail rend cette condition encore plus nécessaire : il faut une insertion totale dans la population enquêtée pour que l'observation ait un sens. Il faut en même temps un travail considérable rétrospectif et historique pour comprendre la genèse de l'actuel. Or, les méthodes historique et ethnologique appliquées à l'étude de la société sont nécessairement lentes et minutieuses, surtout quand elles sont articulées autour des liens entre l'individuel et le corps social, ce qui est l'objet même de notre recherche. Aussi ne faut-il pas exiger trop vite des "résultats", qui ne seraient souvent qu'apparence.
10Mais en même temps, l'équipe lyonnaise a sans cesse cherché à multiplier les contacts avec les autres équipes de la région Rhône-Alpes, et de l'ensemble français. Avec les chercheurs de la région Rhône-Alpes, la collaboration est permanente avec l'équipe de Grenoble, (M.M. Guillen-Morsel) qui conduit la même recherche sur des localités de la région grenobloise, et avec une étude d'un ensemble spatial plus vaste conduite par M. Alain Bonnafous sur la région desservie par les autoroutes alpines.
11Des chercheurs de notre équipe ont participé à toutes les réunions thématiques organisées en 1978 (Bordeaux, Toulouse, Strasbourg) ; ils ont organisé une journée à Lyon en mars 1979 consacrée aux quartiers urbains. Des échanges ont eu lieu avec les chercheurs d'Aix et de Paris-Nanterre principalement, pour mieux coordonner l'indispensable réflexion sur les méthodes de recherche.
2 - Un état des lieux problématisé
12L'état des lieux, effectué en 1978, a consisté en plusieurs travaux :
recueil des données accessibles, par enquête, auprès des organismes nationaux et locaux (I.N.S.E.E., municipalités, administrations, agence d'urbanisme, C.O.U.R.L.Y.,...) que nous remercions pour leur aide ;
confection de bibliographies sur chaque lieu ;
constitution de séries de données nouvelles, plus précises et plus adaptées à l'étude du changement social.
13Un effort tout particulier a été fait dans deux directions :
14La reconstitution du passé historique, de la formation de la population, de l'évolution du point d'observation sur la plus longue durée possible. Certains phénomènes du monde rural comme du monde urbain ne sont explicables que par référence à une longue histoire : celle du sol, de sa propriété, de son exploitation, des techniques culturales à la campagne, celles de l'urbanisation, de l'industrialisation, de la définition de l'espace à la ville. Cette recherche, dont la méthodologie est au point pour l'étude de la campagne, est beaucoup plus originale et difficile pour les lieux urbains qui sont majoritaires dans notre champ d'observation. L'étude des modifications de Villeurbanne, réalisée par Marc Bonneville, est à cet égard exemplaire, mais le même travail se fait pour la Croix-Rousse, Givors, Montceau, et un quartier de Saint-Etienne.
15Une documentation reconstruite. Le second effort consiste en une reformulation, pour les besoins de la recherche, de certaines données, recueillies par des organismes officiels, mais insuffisamment exploités ou trop globalisés. Nous remercions en particulier la direction régionale de l'I.N.S.E.E. qui nous a permis l'accès au recensement de 1975. Grâce à elle notre connaissance de la société, depuis les cellules élémentaires de la famille et du ménage, jusqu'à la localisation dans l'espace bâti, est beaucoup plus précise. Ces dépouillements ont conduit à un important traitement informatique (terminé pour Villeurbanne), qui permet une connaissance exhaustive de chaque point d'information.
16En même temps a été effectué un grand nombre d'enquêtes sur le terrain, pour repérer les lieux, pour prendre contact avec la population, pour sensibiliser à l'objectif et à l'intérêt de l'enquête.
17Pour chaque site d'enquête, l'état des lieux dégage des perspectives d'étude adaptées à la population observée. Chaque société locale est affrontée à des problèmes spécifiques : à travers l'analyse de ceux-ci peuvent se lire les formes de la continuité et les indices du changement.
3 - Les thèmes retenus pour une observation et une lecture du changement social et culturel
18Pluridisciplinarité. Diversité des approches et des méthodologies. Rappelons les caractéristiques de l'équipe : association de chercheurs de plusieurs disciplines : ethnologues, économistes, géographes, historiens collaborent avec les sociologues pour une enquête permanente sur chaque lieu. Mais chaque discipline privilégie une explication de la genèse de la société actuelle : en ce moment, un rapprochement et un échange sont effectués pour que les interrogations des uns soient posées sur les terrains des autres.
19Trois tentatives d'explication sont actuellement étudiées.
20Le rôle de l'espace. L'insertion des hommes dans l'espace, rural comme urbain, n'est ni neutre, ni figée. Dans les sites ruraux d'enquête, la terre est un enjeu, mais qui peut changer de signification selon sa destination économique, et l'activité des habitants. Les conflits pour la terre, dans les zones anciennement atteintes par l'exode rural (Ardèche), ou au contraire, l'insuffisance de terre dans les zones de prospérité viticole (Villié-Morgon), la pénétration des résidences secondaires, sont des causes en même temps que des manifestations du changement social.
21Dans les secteurs urbains, l'espace comme enjeu devient fondamental. Toute opération de rénovation, ou d'aménagement, tout processus de dévalorisation, grandes et petites opérations immobilières, sont des moteurs d'une modification de la société vivant ces transformations de la ville. L'étude minutieuse du quartier, au niveau de l'immeuble, est ici indispensable pour comprendre les réactions. Le changement passe, en effet, aujourd'hui par les P.O.S. et par les plans d'urbanisme : la Croix-Rousse comme le quartier de Croix-Luizet (mais aussi Givors et Saint-Etienne) sont ici deux champs d'expérimentation essentielle. Mais l'espace est d'autant plus signifiant que son aménagement conduit à se côtoyer populations anciennes et populations nouvelles, dont les comportements et les aspirations sont souvent différents, voire opposés.
22Les formes de sociabilité. Aussi les modes de rapport sociaux dans le quartier sont révélateurs de ces différences, et de ces tentatives des habitants pour s'approprier leur cadre de vie.
23De plus en plus, l'équipe lyonnaise oriente son enquête vers l'étude des diverses formes de sociabilité, et celà sur tous les terrains. Mais cette sociabilité, formelle (associations publiques, privées, officielles ou non, comités de quartier, comités de défense), informelle (relations familiales, relations de voisinage, relations spontanées ou délibérées), nécessite des recherches dans plusieurs directions. Cette sociabilité peut être propre à un quartier, peut s'articuler à d'autres groupes extérieurs plus larges. Elle a aussi son histoire, qui révèle la symbolique du lieu : il y a des associations-vestiges, comme des associations-témoins, comme des associations de lutte. Elle révèle les conflits, les tensions, les rencontres, elle prend en compte les distances historiques dans l'occupation du quartier, essayant parfois de les contrôler, de les infléchir, de les réduire.
24Par la sociabilité, étudiée par une observation permanente et participante, le quartier urbain ou le site rural devient un laboratoire des relations sociales.
25Mais l'analyse ne se limite pas au fonctionnement des formes associatives, au décryptage des réseaux qui se forment entre elles ; cette étude statique, même continue, ne pourrait rendre compte des changements possibles. En fait, le changement doit aussi s'observer par la connaissance de ses représentations : de même que le quartier est à la fois une réalité que l'on peut décrire plus ou moins objectivement, il est aussi le résultat d'une construction plus ou moins imaginaire, en fonction de laquelle s'est produite la réalité actuelle. La Croix-Rousse, par exemple, est à cet égard un laboratoire extraordinaire. La stratégie des nouveaux habitants se réfère à une image, à mi-chemin entre le réel et l'imaginaire, qui a diverses formes, plus ou moins explicites.
26Toute l'organisation sociale, mais aussi l'ensemble des pratiques culturelles, sont ainsi saisis et compris par cette double étude du réseau de sociabilité, clé de voûte de tout le système de l'observation du changement social.
27Cet axe essentiel ne fait pas négliger les autres facteurs explicatifs (économiques, l'entreprise, l'emploi, l'école,...) mais il contribue à donner pour l'instant un éclairage commun à toutes les enquêtes.
Auteur
Coordinateur de l'équipe. Directeur du Centre Pierre Léon
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