Chapitre 3. L’ordre du voisinage
p. 173-221
Texte intégral
1De nombreuses études ont montré combien, chez les particuliers, le recours à la justice se banalise à l’époque moderne1. Au cours des xviie et xviiie siècles, la saisie des tribunaux devient une pratique de plus en plus ordinaire, notamment en milieu urbain. Cette évolution va de pair avec le renforcement de la justice du roi qui gagne en puissance alors que les autres juridictions s'affaiblissent peu à peu, sans disparaître toutefois2. Le royaume devient « le paradis des plaideurs ». Il cultive cette « passion inutile et ruineuse » qui sévit à tous les échelons de la société, y compris chez les plus pauvres3. Les chapitres suivants montreront d'ailleurs l'importance des plaintes issues des milieux populaires, engagées pour les raisons les plus diverses. Tout se passe comme si la réparation des dommages matériels et moraux nécessitait désormais l'intervention de la justice publique. Comme l'explique dans sa plainte la dame Trémolet, ne pas recourir à l'autorité des juges c'est risquer d'accréditer les attaques de l'adversaire et s'exposer au mépris « de toutes les personnes qui habitent la même maison »4. Est-ce à dire pour autant que la vengeance privée et les tentatives d'accommodement entre voisins aient à jamais disparu ? Non, bien sûr. La manie de plaider n’exclut pas les transactions. Les arrangements à l’amiable subsistent partout malgré le succès grandissant remporté par l'appareil judiciaire d'État. Ils demeureront longtemps, du reste, bien après la chute de l'Ancien Régime5. À la veille de la Révolution, le droit et la législation du roi ne se sont pas entièrement substitués aux arbitrages traditionnels et aux transactions parallèles. En marge de la justice officielle subsiste tout un système infrajudiciaire qui réglemente de nombreux conflits et contribue à l'équilibre de la collectivité au détriment du pouvoir établi. Il possède ses propres conventions, ses intercesseurs et ses arbitres qui s’efforcent de ramener la paix collective en cas de difficulté.
2Loin d’être marginales, ces transactions sont nombreuses, comme le sont les interventions des voisins chaque fois qu’il s’agit de garantir l’ordre de la collectivité. Des rites de solidarité sont organisés qui soulignent l’appartenance au groupe. Haro sur le réfractaire, fossoyeur de la « conformité sociale ». Sa conduite est blâmée, son attitude censurée. Il rejoint, sans tarder, les indésirables en tout genre dont on cherche à se séparer.
3Derrière la vigilance inquiète du voisinage et son souci d’encadrer les individus, se jouent l’unité et la cohésion de la communauté. Bien que sérieusement menacée par les progrès de l’État royal, celle-ci, cependant, demeure vivace, comme se propose de le montrer le chapitre suivant.
I – FAIRE JUSTICE SOI-MÊME
4Le non-recours à la justice est un phénomène avéré qui révèle le décalage entre l’institution judiciaire d’ancien Régime et la société des voisins. Cette dernière, habituée à absorber et à résoudre seule ses tensions, préfère souvent régler ses affaires sans faire appel aux autorités extérieures. Plusieurs séries de causes expliquent cette attitude.
1. Les réticences de la collectivité vis-à-vis de la justice et la recherche de l’accommodement
5En premier lieu, il faut rappeler que les interventions du pouvoir judiciaire sont souvent vécues comme une intrusion grave dans la vie privée ou collective. Aussi la population lyonnaise conteste-t-elle couramment la légitimité des professionnels de la loi. Cette défiance à l'égard de la justice et de ses représentants est attestée dans de nombreuses procédures. Joseph Place, par exemple, l'exprime sans ambages lorsque, invité à se pourvoir devant les tribunaux du roi pour régler un différend avec un voisin, il s'écrie avec colère qu'il « se f…. du papier marqué comme des jugements »6. Réaction identique chez ce marchand, le sieur Massairier, que deux inconnus ont agressé au bas de son escalier : il refuse de porter plainte en tenant publiquement des propos injurieux à l'égard des magistrats et en mettant en doute l'intégrité de la justice7.
6À ce rejet proclamé s'ajoute la vieille conception du « droit à se faire justice soi-même ». Ce pouvoir de punir et de châtier autrui que l'on s'arroge en toute illégalité illustre bien la difficulté qu'il y a à passer « d'un ancien âge juridique à un nouveau »8. Pour de nombreux individus, il se justifie d’abord par le fait que la justice reste un instrument de domination coûteux. Un calcul opéré à partir de la série de plaintes déposées pendant l'année 1779 montre que le coût moyen d'une procédure engagée par un particulier s'élève à 57 livres, non compris, bien sûr, les dédommagements et les indemnités versés par la partie reconnue coupable par le tribunal. En second lieu, l'idée selon laquelle la justice est à la fois défavorable aux humbles et accaparée par les puissants se nourrit aussi d’une vérité d’évidence. Les plaideurs les plus riches ne bénéficient-ils pas de relations et de protections efficaces, susceptibles de faciliter le déroulement de leurs procès ? Comment pourrait-on se fier aux tribunaux quand on sait la facilité avec laquelle certains comparants, forts de leur influence, font pression sur les témoins ? Benoîte Champier, dévideuse, le sait bien qui, refusant de témoigner en faveur d'un fabricant de soie, se voit menacée de ne plus, « travailler parce qu'elle n'est pas fille de maître, ce dont la déposante a peur n'ayant que son état pour vivre »9. Quel crédit accorder à la justice lorsque d'aucuns, moyennant récompense, subornent les déposants et s'assurent de leur complicité ?
Il y a huit jours, raconte Gabriel Poupon vendeur d'allumettes, il a rencontré sur le quai du Rhône Jean Mollet qui l'emmena dans un cabaret […] et après lui avoir fait manger une brioche de deux sols et boire quelques verres de vin blanc, il lui demanda de dire à la justice qu'il avait vu la femme du sieur Laurain […] dérober la clé de […] son domicile ; il lui promit qu'il lui donnerait douze Livres et l'habillerait de neuf10.
7De tels procédés, bien entendu, sont illicites et passibles de lourdes sanctions11. Sous l’Ancien Régime, le faux témoignage est une faute d'autant plus grave que la décision du juge repose non pas sur l'intime conviction du magistrat mais d’abord sur des preuves testimoniales permettant de confondre l'accusé12. C'est pourquoi, pour lutter contre le mensonge des déposants et éviter que l'instruction prenne un tour trop partial et défavorable à l'accusé, il est prévu d'entendre les témoins tant à charge qu'à décharge du prévenu. D'autre part, conformément à l'ordonnance de 1667, tout accusé peut, s’il le désire, formuler des reproches à l'encontre des témoins. S’ils sont agréés, ils entraînent aussitôt l'invalidation de la déposition13. Cette récusation, toutefois, n'est recevable que lorsqu'elle se borne à contester la moralité du déposant. En aucun cas, il ne peut s'agir de réfuter les faits allégués par un témoin, ce qui limite les droits de la défense et isole considérablement l'accusé14.
8En définitive, pour qui veut que justice soit rendue sans risquer les affres d'un procès public incertain et coûteux, il existe trois formules pour obtenir réparation : la vengeance privée, la protestation verbale auprès des autorités municipales ou du quartier ou encore l'accommodement à l'amiable.
9La vengeance privée constitue la forme la plus élémentaire de « justice ». Bien qu'impossible à chiffrer en raison, justement, de son caractère clandestin, elle demeure l'expression d'une mentalité traditionnelle à laquelle une part importante de la population reste encore attachée. Située dans le prolongement direct d'un « droit à la colère », cette pratique instaure fatalement une logique de violence puisque à la vengeance succèdent toujours les représailles. C'est pourquoi, bien que largement acceptée et partagée par l'opinion, la volonté individuelle de châtier ses adversaires soulève une réticence croissante. De fait, les tenants de la justice privée ne risquent-ils pas – si on les laisse agir – de fragmenter la collectivité ou de ruiner son équilibre en y faisant souffler un esprit de vendetta ?
10Une autre voie s'ouvre aux victimes qui refusent de s'engager dans une procédure judiciaire contraignante : la protestation verbale auprès des agents qui ont en charge la police de la ville. Une fois encore, ce type de pratique demeure impossible à chiffrer puisque seules affleurent dans les archives judiciaires les tentatives qui n'ont pas abouti. Ce procédé, cependant, semble être très répandu. Il touche tous ceux qui, pauvres ou riches, veulent éviter les difficultés d'un procès. La démarche des protestataires est simple : elle vise à alerter oralement les responsables de l'ordre public afin qu’en retour ces derniers admonestent sévèrement le fautif. Bien entendu, on espère toujours que la mise en garde suffira et qu'elle contiendra durablement l'adversaire. La récidive, pourtant, n’est pas rare.
La plaignante, lit-on dans une procédure, craignant les procès s'est contentée de porter ses plaintes verbalement […] par devant Monsieur le Commandant mais les susnommés […] récidivent chaque jour, lui causant le plus grand désordre dans son ménage15.
11Un autre plaignant, Benoît Vialle, exaspéré par l'incivisme et le manque d'hygiène d'un boutiquier, ne semble guère plus chanceux : il s'adresse « au sieur Mathieu commissaire de police qui vint et enjoignit Bergeron fils de ramasser les immondices qu'il avait portées devant sa boutique ; l'interpellation du commissaire fut aussi infructueuse que celle du remontrant »16.
12D’ordinaire, le remontrant s'adresse aux officiers du quartier, au capitaine ou au lieutenant pennon. Il leur demande d’aller trouver le coupable pour qu’ils l'engagent à cesser toute querelle, séance tenante. Un tel choix ne relève évidemment pas du hasard : ces hommes – véritable émanation du pouvoir municipal, parfois même nommés par lui, comme les capitaines pennons – sont des notables à l’autorité reconnue17. Cette notabilité, pourtant, n’empêche pas qu’entre les chefs du quartier et les habitants s’établisse une grande proximité. De fait, les officiers pennons partagent les conditions d’existence des populations et restent les témoins privilégiés des difficultés journalières du peuple. D’autre part, fins connaisseurs des habitudes de chacun, ils demeurent les interlocuteurs les plus accessibles en cas de difficulté ou de conflit. C’est pourquoi, tablant à la fois sur leur expérience du terrain et sur leur réputation, de nombreux quidams les réclament et les chargent de rétablir la concorde entre voisins.
13À défaut, quand le remontrant se trouve dans l’impossibilité de s’adresser aux responsables du quartier, il peut aussi recourir à l'un des dix commissaires de la ville. L’autorité de ces hommes, on le sait, ne va pas sans poser problème. En effet, malgré la réforme de 1745 qui cherche à consolider leur crédit, les populations se montrent souvent rebelles à leur endroit. L’intervention des commissaires suscite l’indifférence ou le sarcasme plutôt que l’inquiétude ou la peur. Peut-on, pour autant, nier tout à fait l’efficacité de ces officiers municipaux ? Il ne le semble pas. Nombreux sont ceux qui réclament le concours de ces malaimés, à l'instar de la dame Gruffon, une bourgeoise domiciliée place de la Fromagerie :
Elle vint chez lui, témoigne un commissaire de police, porter plainte verbalement contre l'apprenti du sieur Guy parce que ce dernier l'avait frappée dans son domicile. […] Le déposant alla chez le sieur Guy pour l'engager à faire cesser ses excès et lui faire défense de récidiver18.
14En cas d’insuccès, il est possible aussi de s'adresser aux chefs de la police de la ville – au lieutenant de police ou à son second, le commandant – afin qu'ils réprimandent verbalement les fauteurs de troubles19. D’ordinaire, ces officiers convoquent le fautif en leur hôtel et les blâment sans ménagement. Le but est atteint quand le remontrant a réussi à désamorcer le conflit en ayant évité les frais d'un procès.
15La troisième et dernière voie qui s'offre à celui qui cherche à obtenir réparation sans passer par la justice officielle est celle de l'accommodement ou de la médiation. Comparée aux pratiques précédentes – la vengeance privée et l'admonestation verbale – celle-ci apparaît préférable à bien des égards : non seulement elle permet de maintenir le secret et de sauvegarder l'honneur des parties, mais encore, lorsqu'elle est basée sur un compromis acceptable, elle ramène durablement la paix et rétablit l'harmonie entre les membres du voisinage. Ces transactions entre particuliers peuvent être considérées comme une survivance des pratiques anciennes puisqu'elles se déroulent en dehors des instances judiciaires traditionnelles. Elles témoignent aussi du degré de cohésion de la communauté. Plus celui-ci est fort, moins le recours à la justice semble devoir s'imposer, la collectivité assumant seule une partie de ses tensions. Une sorte de régulation interne s'établit qui vise à pacifier les relations journalières et à rétablir la concorde entre voisins quand celle-ci paraît menacée.
16La pratique de l'accommodement ôte aux autorités légales le pouvoir de juger et de punir. Elle le transfère à des arbitres choisis parmi les membres reconnus du voisinage. Ces médiateurs jouent un rôle important dans l'équilibre du quartier ou de la maisonnée. Ils apaisent les conflits les plus divers, négocient les modalités du compromis, restaurent l'amitié entre adversaires, en un mot gomment les effets de « la violation du pacte social »20. En cherchant à résoudre les querelles qui opposent plusieurs individus, les arbitres sauvegardent l'unité de la collectivité et maintiennent les solidarités essentielles sans lesquelles la vie communautaire ne serait pas.
17À partir des archives judiciaires, il est possible d'évaluer à 13 % environ le nombre de procédures qui ont donné lieu à des propositions d'accommodement. 6 % d'entre elles ont échoué ainsi que le font savoir certains témoignages. D’autres tentatives au contraire débouchent sur un accord à l'amiable grâce à la médiation d'un voisin bienveillant.
À l'invitation des parents desdits Lombardier et Artaud, lit-on au bas d'une plainte, […] et par la médiation de Monsieur de la Compagnie des Pénitents de la Miséricorde, la plaignante se désiste de sa plainte laquelle sera regardée comme non avenue21.
18Bien entendu, puisque de nombreux conflits n'ont jamais affleuré, ne peuvent être prises en compte que les transactions dont on a gardé une trace écrite dans les procédures, qu'elles fassent état de démarches parallèles ayant échoué ou qu'elles consignent au contraire des résultats positifs. C’est pourquoi les chiffres proposés ici n'ont qu'une valeur indicative. Pour autant, les 117 tentatives d'arrangement recensées entre 1776 et 1790 permettent de mieux comprendre les mécanismes de cette justice parallèle et la façon dont la collectivité prend en charge ses dysfonctionnements quand il s'agit d'assurer le maintien de son équilibre. Pour les analyser, seront successivement examinés les types de conflits qui se règlent à l'amiable, le profil des intercesseurs et la modalité des réparations.
2. Typologie des conflits réglés à l’amiable
19L'examen des procédures dans lesquelles il existe des indices d'accommodement permet d'établir une typologie des contentieux réglés à l'amiable.
20Si la transaction est une pratique qui regarde tous les types de conflits, elle concerne d'abord les disputes d'honneur, les offenses verbales et les voies de fait. Viennent ensuite les querelles d'intérêt, les questions de dettes ou de vol puis les dissensions conjugales. Seules les affaires de séduction et de grossesses illégitimes sont peu représentées et ne soulèvent qu’un vague écho dans les archives judiciaires. Elles sont l'objet d'accords internes qui ne laissent guère de traces en dehors des papiers de notaire22.
21Parmi les tentatives d'accommodement dominent largement les discordes qui font état d'injures ou de rixes, les mauvais propos précédant généralement l'engagement physique : à elles seules, elles représentent la moitié des affaires réglées à l'amiable. Révélatrices d'une société à la fois « bavarde » et impulsive, les insultes et les bagarres constituent, on le verra, les principaux motifs des querelles de voisinage23. C'est donc sans surprise qu'elles composent la majorité des conflits que l'on tente de résoudre par la voie de la conciliation. En règle générale, ce sont les altercations les moins graves, celles qui n'ont pas donné lieu à une immobilisation prolongée de la victime, qui occasionnent le plus grand nombre d'arrangements. En effet, on tient rarement rigueur à celui qui s'est laissé emporter par la colère et l'impulsif obtient aisément le pardon de son adversaire quand il a agi spontanément, sans volonté délibérée de nuire. Sont particulièrement concernées aussi par les règlements à l'amiable les attaques verbales, surtout lorsqu'elles émanent des femmes. Leur irresponsabilité supposée atténue la portée des médisances : les injures qu'elles profèrent n’ont-elles pas des conséquences moins dramatiques que celles qui jaillissent de la bouche des hommes ? Comme l'explique avec mépris et condescendance Pierre Berthier, il s'agit là de « propos de bonnes femmes ». Comment pourrait-on les prendre au sérieux24 ?
22La seconde catégorie de conflits sujets à accommodement regarde toutes les querelles dans lesquelles l'argent ou l'intérêt entre en ligne de compte. Qu'il s'agisse de larcins, d'escroquerie ou de dettes impayées, les démêlés de ce type sont suffisamment sérieux pour qu'ils empoisonnent l'atmosphère de la collectivité. En réveillant la méfiance coutumière que les voisins éprouvent les uns envers les autres, ils soulèvent toujours une vive émotion qui risque de déboucher sur de graves dysfonctionnements communautaires. C'est pourquoi, avant de saisir la justice, la victime s'efforce, avec quelques autres, de retrouver le coupable ou le bien qui lui a été dérobé. Si le délit est exempt de circonstances aggravantes, il a toutes les chances d'être réglé à l'amiable après intervention arbitrale d'un tiers. Un accord aux modalités variables est alors trouvé qui met un terme au contentieux. Ainsi s’achève la mésaventure survenue à la veuve Tissot, une bourgeoise domiciliée montée Saint-Barthélémy. Deux affaneurs, logés dans la même maison qu’elle, lui ont dérobé une pièce de vin. Découverts, les chapardeurs sont sauvés grâce à l’intervention de « plusieurs personnes de considération » et après avoir restitué la barrique à sa propriétaire25.
23Les disputes conjugales constituent une troisième sorte de conflits apaisés qu'il convient d'examiner en détail. En effet, non seulement elles représentent une part importante des affaires ayant donné lieu à des tentatives d'accommodements (39 sur 117, soit 33 %) mais encore elles témoignent de ces réflexes d'autorégulation, chers à la communauté de voisinage. Ce type d'intervention réparatrice est d'autant plus intéressant à analyser qu'il constitue, pour une conscience contemporaine, une véritable violation de l'intimité des ménages : les voisins se retrouvent impliqués dans la vie privée d'autrui et cherchent un arrangement qui soit acceptable par les deux époux. S'exprime dans ces démarches une attitude propre aux mentalités traditionnelles qui veut que l'on se sente personnellement concerné quand un couple de son entourage se déchire. Non pas que l'intrusion dans l'existence intime des ménages soit systématique. De nombreux témoignages montrent, au contraire, une hésitation grandissante lorsqu'il s'agit de pénétrer dans la sphère conjugale, désormais « domaine réservé » pour le plus grand nombre de conjoints. À l'instar d'Antoine Goutelle, marchand teinturier, les quidams préfèrent souvent « ne pas se mêler de ce qui se passe chez les voisins » plutôt que de se compromettre dans une affaire de famille toujours délicate26. En règle générale, cependant, les scènes de ménage scandalisent les voisins et débouchent sur des gestes de solidarité qui jouent en faveur de la victime, c'est-à-dire de l’épouse. Le groupe tente l'apaisement quitte, parfois, à se substituer aux juges.
24Cette démarche, il faut le souligner, correspond souvent aux attentes du couple lui-même. En effet, de toutes les querelles, les disputes conjugales restent sans doute celles qui sont dénoncées en justice avec le plus de réticence. On hésite toujours à traduire son partenaire devant les tribunaux car la démarche revêt un caractère à la fois scandaleux et infamant. Ne s'agit-il pas en effet de livrer à la publicité les débauches, les travers ou les mauvaises manières du conjoint et de reconnaître explicitement l'échec de son couple ? C'est pourquoi les plaintes entre époux représentent toujours un acte grave. Il n'intervient que si les tentatives d'arbitrage menées par les voisins ou les notabilités du quartier ont échoué.
Depuis de nombreuses années, [raconte Claudine Thibaud], elle dévore en silence les humiliations et les chagrins de son mari. […] La plaignante se serait pourvue en séparation de corps si des médiateurs respectables n'avaient arrêté ses poursuites. […] la plaignante fit demande qu'on lui laissât la liberté de se retirer dans une retraite honnête ; le mari promit d'abord aux médiateurs de payer une pension au couvent des Ursules de Saint-Just mais […] il revint sur ses pas. La plaignante se voit contrainte de se pourvoir devant vous pour qu'elle soit autorisée à se retirer dans tel couvent qu'il vous plaira désigner27.
25Le recours aux tribunaux s'impose quand les souffrances et les frustrations patiemment endurées jusqu'alors ont franchi le seuil du tolérable. C'est, en moyenne, après neuf ans de mariage que le conjoint se décide, à contrecœur, à s'adresser aux juges. Il espère ainsi mettre un terme à une vie commune devenue insupportable, voire, parfois, dangereuse.
26Quels types de conduites minent l'existence du couple ? À quels tracas l'un ou l'autre des partenaires a-t-il été soumis pour que le pacte conjugal finisse par se rompre ? Dans 70 % des cas, le (la) plaignant(e) évoque à la fois les incartades du conjoint et la banqueroute du foyer, établissant entre ces éléments une relation de cause à effet. La situation la plus fréquente voit le mauvais époux dilapider la dot de sa femme pour assouvir ses détestables penchants, précipitant ainsi la ruine du ménage.
Elle a contracté mariage, [explique Marlène Durand,] le 28 janvier 1773 avec le sieur Carrand et son père lui a constitué quatre mille Livres de dot. […] Le sieur Carrand pensa qu'il pouvait frapper sa femme quand elle ne lui fournissait pas l'argent nécessaire pour satisfaire ses goûts dépravés. Après deux ans son mari […] a dissipé tous ses biens28.
27Si on rapproche ainsi les écarts personnels et la faillite économique, c'est, bien sûr, parce que l'inconduite débouche invariablement sur la misère et le dépérissement de la famille. La conscience commune espère autre chose de la vie conjugale : la stabilité matérielle ou, mieux, une certaine ascension dans la hiérarchie sociale29. Les excès en tous genres contredisent ces aspirations « naturelles » et nient le couple dans ce qui le définit d'abord, à savoir « une association entre deux personnes au travail »30. Quand la débauche sape la vie du ménage et entraîne la dissipation des biens, le pacte conjugal se déchire. Avec amertume, le conjoint dénonce alors son partenaire en invoquant sa mauvaise conduite. N'a-t-il pas, en effet, choisi de fréquenter d'autres lieux que ceux qui sont consacrés habituellement au travail et à la famille ? Surtout, ne trahit-il pas la convention tacite conclue entre les mariés en s'adonnant au vice alors qu’il devait faire fructifier le patrimoine familial ?
28Les deux tiers des transactions relatives aux disputes conjugales sont engagés à la demande des femmes. Les espérances placées dans la vie du couple – et les déceptions qui s’ensuivent ? seraient-elles plus grandes chez elles que chez les hommes ? Quoi qu’il en soit, les dérives et les travers rapportés par les documents d’archives dessinent une ligne de fracture qui sépare nettement les déviances masculines et les déviances féminines.
29Dans leurs récits, deux fois sur trois, les épouses font mention de sévices, de coups ou de blessures prodigués par leur conjoint. Le plus souvent, elles subissent les violences maritales depuis longtemps, parfois même depuis les premiers temps du mariage, comme le déplore Antoinette Muret, l'épouse d'un horloger, qui déclare n'avoir jamais connu la tranquillité dans son ménage31. C'est que les hommes, on le sait, se montrent volontiers impulsifs et violents. Leur brutalité est d'autant plus fréquente que chez certains, battre sa femme reste une pratique courante, parfaitement justifiée quand l’épouse conteste la toute puissance du mari. La réprobation cependant se fait unanime quand les coups portés deviennent excessifs, c'est-à-dire qu'ils présentent des risques de blessures graves, voire mortelles. Des documents évoquent la cruauté de certaines situations et énumèrent les sévices que le corps féminin a dû endurer.
Dans la nuit du 26 décembre 1781, [lit-on dans une plainte,] André Faure son mari se retira très tard dans son domicile ; il trouva la plaignante couchée dans le lit commun qui était endormie. Il ferma la porte d'entrée […] et ensuite, au milieu de la nuit, saisit la plaignante par le col, la terrassa toute nue, lui arracha les cheveux, lui donna des coups de pied dans l'estomac et des coups de poing à la figure. Enfin, c'eût peut-être été la dernière heure de sa vie si des cris lamentables entrecoupés par des sanglots de pleurs n'eussent été lancés par la plaignante ce qui éveilla le voisinage. Il survint quelques personnes à la porte qui témoignèrent l'indignation où André Faure les avait plongés. Ils menacèrent d'enfoncer cette porte s'il ne mettait fin à ses cruautés, ce qui intimida un peu André Faure32.
30En dépit du réalisme de certaines descriptions, les violences sexuelles ne sont jamais évoquées. Une exception toutefois : la déposition de Marie Micard, l'épouse d'un maître fabricant en étoffes de soie. Cette femme explique que « pour avoir la paix avec son mari lequel la maltraitait lorsqu'elle voulait s'y opposer » elle a accepté que sa cousine germaine vienne « coucher nombre de fois dans son lit, son mari étant couché entre elles deux »33. Ce type de témoignage reste très rare, ce qui ne permet évidemment pas de conclure à la rareté des conduites sexuelles prohibées. Beaucoup plus fréquents en revanche sont les actes de débauche que les femmes imputent à leurs époux. Vivre comme un débauché ou à la manière d’un libertin, c'est d'abord, pour un homme, négliger ses devoirs de mari en refusant d'assurer le gîte et le couvert à sa famille. C'est ensuite passer une partie de son temps avec des filles de joie, à l'instar du sieur Villon qui court les prostituées au vu et au su de toutes les personnes de la maison34. C'est enfin délaisser son épouse en quittant « le domicile et en laissant sa femme enceinte sans lui donner de nouvelles et sans lui laisser de quoi subsister »35. À ces traits distinctifs, s'ajoutent d'autres travers qui parachèvent le portrait-type du débauché : le goût pour le jeu et, surtout, le penchant pour le vin, ce « compagnon de misère » qui précipite la désagrégation du ménage. En fin de compte, qu'est ce qu'un débauché sinon un homme sempiternellement absent, prisonnier de ses vices et incapable de faire vivre sa maison ? De cette inconduite d'ailleurs il existe des preuves que les femmes ne manquent jamais de communiquer à la justice : ce sont les maladies vénériennes, signes irréfutables d'une vie dépravée, que le mari, de retour au foyer, communique parfois à l'épouse pour son plus grand malheur. Quel choix reste-t-il alors à la conjointe sinon celui de demander officiellement la séparation d’avec son époux ? Les motifs de la séparation sont laissés à l'appréciation du juge, qui peut prononcer la séparation de biens ou la séparation de corps. La première formule est en général souhaitée par les femmes dont le conjoint dissipe les biens du ménage. Quant à la séparation de corps, les plaignantes la réclament lorsqu'elles subissent des violences à répétition, incompatibles avec une vie commune décente. Bien que le mariage soit indissoluble, la séparation de corps aboutit dans la pratique à une séparation d'habitation. D’ordinaire, l'épouse obtient l'autorisation provisoire de se retirer dans un couvent de la ville. Certaines retournent ensuite chez leurs parents tandis que d'autres, telle Marianne Aniel, préfèrent louer une chambre garnie36. D'autres encore préfèrent se faire héberger par des voisins compatissants en attendant que la situation s'apaise. Ainsi Sébastienne Rambaud, qui loge chez la dame Molard et chez sa fille aînée37. Les plus mal loties restent celles qui n'ont d'autre solution que de regagner le foyer conjugal où, derechef, il leur faudra affronter leur conjoint et endurer ses excès.
31Quand l’inconduite est féminine, les reproches formulés par l’époux jouent sur des registres bien différents. En premier lieu, les hommes entrent en conflit avec leur femme quand elles commettent l'adultère. L'acte est d'autant plus grave qu'il foule aux pieds les deux devoirs principaux de l'épouse qui sont l'obéissance et la fidélité conjugales. À la différence des débauchés, cependant, les femmes adultères entretiennent rarement plusieurs liaisons à la fois. Elles ont simplement rencontré un autre homme avec lequel l'existence paraît moins terne et se sont attachées à lui. Quelques-unes vivent de véritables passions amoureuses comme Françoise Arnaud qui reconnaît avoir été « ensorcelée » par son amant38. Les plus hardies ont quitté le foyer conjugal, en emmenant avec elles leurs enfants. Une telle conduite, parce qu’elle rompt délibérément la solidarité familiale et blesse l'honneur marital, est toujours dénoncée avec véhémence par le mari bafoué. Dans certains récits, on se plaît à multiplier les détails scabreux de façon à ravaler la femme adultère au rang d'une vulgaire prostituée, d'une épouse dépravée et contre-nature.
Ils ont regardé par le trou de serrure et vu la femme du sieur Melizet appuyée contre une commode, ayant ses jupons troussés jusqu'au dessus du ventre et devant elle Robin faisant des mouvements comme ceux d'un homme qui connaît charnellement une femme39.
32Tromper son mari est un acte grave qui risque de conduire la contrevenante dans une maison de force, après délivrance d'une lettre de cachet ou, beaucoup plus couramment, dans un couvent. Telle est la mésaventure qui survient à l'épouse adultère de Claude Jousserandot. Sur demande expresse du mari, l’infortunée est enfermée au couvent des Bernardines « de nuit pour qu'elle éprouve moins de honte ». Intrépide et courageux cependant, son amant parviendra à la faire s'échapper en introduisant une échelle dans l'enceinte de l’établissement40.
33Un autre type de griefs revient couramment dans la bouche des hommes : l'incompatibilité d'humeur ou de comportement avec l’épouse. Sa femme, déplore le sieur Baisle, est devenue tellement « acariâtre » qu'elle lui refuse même l’entrée du logis41. Peut-on s'étonner de semblable mésentente quand on sait que le mariage est une affaire d'intérêt plutôt qu'une affaire de sentiment ? D'ordinaire, la situation entre les conjoints se normalise et les deux époux finissent par se supporter, voire parfois par s'attacher l'un à l'autre. Quelquefois, cependant, la haine prend le dessus et débouche sur des comportements extrêmes comme la tentative d'empoisonnement perpétrée par l'épouse de Claude Zacharie42. Dans l'opinion publique de tels procédés sont ressentis avec horreur. Attenter à la vie de son époux est un crime monstrueux qui nie la loi de Dieu et détruit l'ordre social. Les juristes de l'époque qui parlent « d'uxoricide féminin » jugent d'ailleurs cet homicide « plus grave que [le crime] d'un enfant qui tue son père »43. Il n'empêche que si le procédé reste relativement rare, il est loin d'être tout à fait exceptionnel44.
34En fin de compte, ce que reprochent les gens mariés à leur partenaire, c'est peut-être moins leur inconduite, leur violence ou leurs mauvaises manières – sauf, bien sûr, quand il y a tentative d'homicide – que le fait de bafouer publiquement les codes de l'honneur et de la morale. Passe encore que le conjoint s'enivre ou se livre à la débauche s'il reste discret. Mais le comportement devient répréhensible lorsque le contrevenant fait fi des normes sociales et adopte une ligne de conduite scandaleuse.
Son mari, déplore l'épouse du sieur Decurgié, a pris chez lui une fille Debat connue pour être publique et de mauvaises mœurs. Il l'a logée, couchée et nourrie publiquement, au vu et au su de toutes les personnes de la maisonnée. […] son mari ne respecte plus ni ses devoirs ni l'opinion publique45.
35Dans pareil cas, les voisins « outrés » ou « indignés par ces mauvais procédés » manifestent généralement leur réprobation. Ils cherchent à mettre le holà en sermonnant le perturbateur ou en le menaçant de la garde. En règle générale, rares sont les voisins qui se désolidarisent d'un conjoint malmené ou brimé. La meilleure illustration, peut-être, de cet esprit d'entraide reste les nombreuses tentatives de conciliation ou d'arbitrage qui mobilisent les habitants du quartier. Elles nécessitent l'intervention de médiateurs dont il faut à présent esquisser le profil.
3. Les médiateurs
36Les plaintes et dépositions de témoins dans lesquelles il est fait mention d'accommodements préalables citent le nom de 58 arbitres. Leur profil se présente comme suit :
37Deux informations principales se dégagent de ce tableau.
38Tout d'abord, les arbitres sollicités sont rarement des femmes : seules huit personnes de sexe féminin qui tentaient une médiation ont pu être exhumées. Leur intervention se rapporte toujours à des querelles d'argent, qu'il s'agisse d'un problème d'usure, du désaveu d'une dette ou du non-respect d'une échéance. De telles démarches rappellent que les femmes occupent une place centrale dans certains trafics, particulièrement dans le prêt à intérêt. Elles soulignent aussi le rôle actif des Lyonnaises dans les transactions et les échanges monétaires en lien avec les nécessités du ménage.
39Le second enseignement du tableau a trait au statut socioprofessionnel des médiateurs. Ceux qui président aux accommodements sont des hommes qui jouissent d'une autorité morale ou d'une influence économique reconnue. À défaut, leur tentative de médiation aurait peu de chances d'aboutir. Trois catégories principales de personnes se partagent la conciliation des conflits : les négociants, les hommes de loi et les curés.
40Les hommes du négoce disposent d'une emprise et d'un poids social incontestables. Certes, la vision traditionnelle héritée du Moyen Âge qui fait des marchands lyonnais des êtres nantis et prospères doit être nuancée. La croissance économique reste fragile et les échecs commerciaux se multiplient dans le dernier quart du siècle comme le montrent les nombreux dossiers de faillites du tribunal de la Conservation de Lyon. D'autre part, les marchands ne sont ni les plus gros propriétaires – un tiers d'entre eux seulement possède une maison en ville contre deux tiers de nobles – ni ceux qui fournissent les plus belles dots46. Pour autant, les élites commerçantes détiennent une part importante de la richesse de la ville et se montrent volontiers dynamiques : non seulement elles connaissent une forte progression dans la seconde moitié du xviiie siècle mais encore elles savent faire preuve d'audace et d'initiative. Leur essor est favorisé par le Consulat qui laisse aux marchands le soin de diriger la cité. Elles bénéficient aussi de la bienveillance du Roi et de son indéfectible soutien. En fin de compte, si les marchands sont régulièrement sollicités comme médiateurs ou comme conciliateurs, c’est en raison de leur influence, de leur poids économique et social. L'aura de « respectabilité » qui les entoure – et que Stendhal brocardera quelques décennies plus tard – le réseau de clientèle dont ils disposent, les appuis et les connaissances qu'ils entretiennent sont autant de raisons qui les prédisposent à jouer le rôle d'arbitres auprès de la communauté de voisinage. À cet égard, la tentative de conciliation opérée par François Legrand est instructive. Ce marchand pelletier de 44 ans, domicilié rue Mercière, est sollicité pour régler un différend qui oppose Pierre Liotard, un maître chapelier, et sa belle-sœur, soupçonnée d'avoir détourné une partie de l'héritage marital. Si l'artisan s'adresse à lui, c'est parce qu'il connaît son « honorabilité ». Il sait aussi que le négociant a de nombreuses « relations » qui seront précieuses « pour faire des démarches […] et pour ranger cette affaire »47.
41Le second groupe qui s'affirme comme puissance médiatrice est composé de ceux que l'on nommera, par commodité, les hommes de loi. Notaires, avocats, huissiers, procureurs représentent 22 % des arbitres et arrivent en seconde position, juste derrière les négociants. C'est dire l'autorité et la considération sociale dont ils jouissent dans l’esprit du public. Si leurs interventions sont si fréquentes, c'est non seulement en raison de leur « notabilité » mais également parce qu'ils se trouvent dépositaires d'un savoir précieux – la connaissance du droit et de la jurisprudence – qui permet de dénouer de nombreux litiges. Aussi ces hommes sont-ils sollicités, de préférence, pour régler des affaires exigeant une certaine compétence juridique ou administrative. Maître Claude Chapelon, interpellé pour réconcilier deux copropriétaires qui refusent de participer pour moitié à la vidange des latrines de l'immeuble, cherche d'abord à établir les devoirs et les droits de chacun48. Antoine Marie Nandeau, procureur du roi, se penche sur le cas d'une femme qui n'a pas payé le terme de son loyer49. Michel Hutte, un aide à justice, est chargé de « s'entremettre pour terminer une rixe à l'amiable », laquelle a pour origine un billet de créance impayé50. La médiation de ces hommes de loi, comme l’a souligné Nicole Castan, revêt un caractère ambigu51. De fait, la fonction première de ces professionnels est de servir l'appareil de justice. Ils se voient pourtant chargés d'arbitrer des conflits, en dehors des voies judiciaires régulières. Au vrai, un tel paradoxe n'est qu'apparent et s'explique aisément. Si on sollicite les gens de justice, c'est parce qu'ils représentent le dernier recours possible avant la saisie « classique » des tribunaux. Ils confèrent aux transactions parallèles un caractère semi-officiel à l'exemple de ces notaires qui parviennent à réconcilier des voisins par le biais d'un acte écrit et officiel, scellant leur raccommodement.
42L'arbitrage du curé de la paroisse est attesté dans 16 % des conflits que l'on a réglés (ou tenté de régler) à l'amiable. Ce chiffre révèle l'emprise encore forte de ce qui reste le premier ordre du royaume. Cette autorité, les curés la doivent d'abord au prestige d’une fonction que la hiérarchie ecclésiastique s'efforce de promouvoir par le biais, notamment, d'une meilleure formation intellectuelle : une bonne instruction n'est-elle pas l'assurance d'une plus grande considération52 – Le curé s'affirme comme le chef d'une communauté – la communauté paroissiale ? qu'il cherche à guider sur les voies du salut éternel. Ce faisant, il se heurte parfois à la résistance de paroissiens, attachés à des croyances ou à des pratiques magiques multiséculaires. Les archives judiciaires donnent à voir quelques-uns de ces comportements superstitieux que des siècles de répression ecclésiastique n'ont pas toujours réussi à éradiquer. Marion Locard, une fille revenderesse âgée de 20 ans se rend chez une magicienne pour découvrir l'identité de son voleur53. Jean Mollet, scieur de long, et sa concubine Catherine Escalier consultent des diseurs de bonne aventure pour récupérer huit louis d'or et une paire de boucles d'argent qu'ils ont égarés54. Combattre ces attitudes magiques est une opération difficile. Sans aller jusqu'à qualifier les Lyonnais « d'idolâtres baptisés » comme le fait le prieur de Sennely, Christophe Sauvageon, en parlant de ses ouailles, il semble incontestable cependant que chez certains, superstition et religion font bon ménage55. Pour lutter contre ces déviances, le curé doit agir avec beaucoup de discernement en évitant d’affronter trop ouvertement ses paroissiens. Il lui faut aussi adopter un style de vie digne, compatible avec sa fonction pastorale et s'abstenir de participer à certaines activités profanes qu'affectionnent pourtant ses ouailles, comme la visite au cabaret ou la fréquentation des bals. De manière générale, la conduite des curés suscite peu de reproches même si, çà et là, quelques entorses à la morale ecclésiastique peuvent être détectées56. Il s'agit cependant de cas individuels qui n'affectent qu'une petite minorité de clercs. Ces hommes de Dieu doivent en effet montrer l'exemple. De leur attitude dépend en grande partie la protection que Dieu accordera à la communauté paroissiale. Il leur faut également assurer un certain nombre de tâches spirituelles – la catéchèse, le prêche hebdomadaire, la dispense des sacrements, l'organisation des processions – et de services sociaux : la tenue des registres de catholicité, le secours aux pauvres. Apôtres de la moralisation de la vie publique, pourfendeurs des réjouissances collectives traditionnelles – le jeu, la boisson, la danse – attentifs aux mœurs de leurs paroissiens, les curés sont investis d'une double mission : celle de guides spirituels et celle de censeurs. Leur emprise est d'autant plus forte qu'elle s'exerce sur un espace bien circonscrit (une des douze paroisses de la ville) que Michel Vernus compare à une « portion de chrétienté »57. Ce fractionnement territorial – aux dimensions contrastées puisque les paroisses peuvent varier de quelques hectares (Sainte-Croix) à plusieurs kilomètres carrés (Saint-Nizier) – permet au curé de bien connaître ses ouailles. D'autant que le personnel ecclésiastique fait preuve d'une grande stabilité et qu'il se recrute principalement au sein de l'aire diocésaine58. En découle une proximité bien réelle qui incite les paroissiens à faire intervenir leur pasteur pour régler certains différends. Ce dernier reste l'intercesseur préféré dans les affaires délicates où la morale sexuelle et familiale a été bafouée. Antoine Poncet, un compagnon chapelier, s'adresse au curé de sa paroisse pour qu'il calme les ardeurs vengeresses d'Antoine Alexandre Sonnier, un bourgeois, ancien greffier de la juridiction de la Guillotière, qui menace de lui « brûler la cervelle ». Il faut dire que le jeune artisan a séduit sa fille et qu'il a été trouvé dans le lit de la demoiselle « sans culotte et avec sa chemise seulement »59. Jean-Baptiste Salins, prêtre de la paroisse de Vaise, cherche par tous les moyens à apaiser le conflit qui déchire Claudine Thibaud et son mari :
Il a interposé plusieurs fois son ministère pour mettre l'accord entre eux et pour engager […] le mari à pardonner […] les absences que […] sa femme avait faites contre […] son gré60.
43Jeanne Escolin, l'épouse d'un marchand épicier du quartier Saint-Paul, se rend chez le curé « parce que ce dernier […] a déjà cherché à mettre la paix dans le ménage »61. On pourrait multiplier les exemples de médiations dans lesquelles les ecclésiastiques jouent le rôle de pacificateurs internes. Le plus remarquable, peut-être, est qu'ils soient sollicités par des individus issus des milieux sociaux les plus divers, contrairement à ce qui se passe en Languedoc à la même époque, où ce sont d'abord les plus humbles qui en appellent aux prêtres62.
44Reste cependant que les hommes d'Église se font devancer dans ce rôle traditionnel d'entremetteurs par les négociants et par les hommes de loi comme si l'autorité du clergé perdait de sa force en cette fin de siècle. Il est vrai que les ecclésiastiques ne peuvent plus s'appuyer sur la belle unanimité qui faisait leur force aux périodes précédentes. L'hostilité grandissante à l'égard des ordres religieux est un fait bien connu qui va de pair avec un tarissement des vocations dans la plupart des congrégations63. Quant au clergé séculier, il connaît lui aussi une baisse d'effectifs. Les curés doivent composer avec les confréries, celles des pénitents notamment, qui apparaissent de plus en plus comme des associations utilitaires, chargées de tâches communautaires – l'entretien des chapelles, les bonnes œuvres, l'entraide au moment de la mort – et orientées vers des activités concrètes64. Ils subissent également les assauts du jansénisme qui se réveille sous l'épiscopat de Montazet et qui fédère, en même temps, toutes les oppositions au pouvoir royal. Ils rencontrent enfin une réticence croissante dont témoignent l'inobservance du repos dominical ou encore certains comportements insolites – au cours des processions notamment – que les générations précédentes auraient réprouvés65.
45Quels que soient les hommes qui président aux arbitrages (les curés, les hommes de loi, les négociants ou d’autres notables), tous poursuivent le même but : trouver un compromis qui satisfasse chacun des adversaires. L’entreprise, d’une certaine façon, est facilitée par la proximité géographique que les arbitres entretiennent avec les parties : 72 % d’entre eux proviennent du même quartier, 28 % de la même rue. Quand la médiation est couronnée de succès, elle donne lieu à un accord. Celui-ci revêt des formes et des modalités diverses que la lecture attentive des archives judiciaires permet de connaître.
4. Formes et modalités des accords
46Deux types d'accords voient le jour en cas d'accommodement à l'amiable.
47Le premier, le plus simple, consiste en un engagement oral au cours duquel les deux adversaires déclarent leur intention de mettre un terme à leur rivalité. Si les archives judiciaires ont laissé peu de traces de ces réconciliations verbales, tout, cependant, laisse penser qu'il s'agit d'une pratique fréquente. Chacun reconnaît sa part de responsabilité dans le conflit qui l'oppose à son voisin et récuse les accusations qu'il a pu porter. Dans les classes populaires et artisanales, la réconciliation a lieu au cabaret. On lève son verre pour célébrer la paix retrouvée et on jure de ne plus se quereller. Comme ces promesses verbales engagent l'honneur des buveurs, il ne saurait être question d'y manquer, au risque de se voir désavoué et discrédité par la communauté.
48Il existe un autre type d'engagement – écrit celui-là – contresigné par les arbitres. Ainsi cette déclaration commune où les adversaires d'hier précisent qu'ils « se tiennent respectivement pour gens d'honneur et de probité, qu'ils sont fâchés des propos qu'ils ont pu se tenir dans la vivacité » et promettent solennellement qu'à l'avenir ils s'abstiendront de tenir des propos désobligeants66. Ces engagements écrits font suite à un accommodement préalable que le médiateur a rendu possible grâce à son entremise. Ils débouchent souvent sur un désistement de plainte. Dans ce cas, le plaignant qui a déjà saisi les tribunaux se rétracte et accepte de retirer sa plainte. Les nombreux exemples fournis par les archives montrent que ce type de pratique est courant. On semble toujours préférer un arrangement à l'amiable à une décision de justice, contraignante et lourde de conséquences. Notons toutefois que ces engagements écrits se font plus rares dans les archives judiciaires de la sénéchaussée criminelle au fur et à mesure que l'on s'approche de la Révolution. Dans les dernières années de l'Ancien Régime, il semble qu'on préfère passer un acte par-devant notaire comme si les engagements pris devant cet officier public revêtaient une force plus grande. Cette tendance va de pair avec le déclin des médiateurs traditionnels : les curés et les notables. Elle doit sans doute aussi être mise en parallèle avec le renforcement de l'appareil judiciaire d'État.
49L'examen du contenu des accords révèle un certain nombre de dispositions destinées à réparer moralement ou matériellement les préjudices subis. Toute la difficulté de l'arbitre négociateur consiste à trouver un compromis acceptable, de manière à ce que l’on s’abstienne de recourir à la justice. De nombreuses tractations échouent en raison de l'intransigeance d’une des deux parties ou parce que les adversaires campent sur leurs positions. L'affaire devient plus délicate encore quand les adversaires campent sur leurs positions et refusent obstinément tout compromis. D'aucuns, cependant, savent se montrer plus conciliants en s'attribuant une partie des torts. C'est, bien sûr, la seule façon de parvenir à un arrangement à l'amiable.
50La réparation morale ou réparation d’honneur figure dans 15 % des accommodements environ. Elle accompagne, en règle générale, les conflits où l'intégrité morale d'un individu a été mise à mal : injures, calomnies, atteinte à l'honorabilité d'un tiers composent une série d'offenses dont on mesurera ailleurs combien elles sont graves et prises au sérieux. Pour laver l'affront et restaurer la dignité de l'offensé, la réparation doit être connue de tous. C'est pourquoi la rétractation a toujours lieu devant des témoins ou devant un notaire. Elle donne lieu à une déclaration écrite dans laquelle le(s) fautif(s) reconnaît(ssent) l'honorabilité de l'adversaire, à l'instar de Michel Paclet, un charpentier, qui voit dans l'ennemi d'hier « un brave garçon qui vit fort honnêtement »67. Dans une certaine mesure, on retrouve là les modalités habituelles qui ont cours dans la justice officielle68. Les juges n’exigent-ils pas de l’offenseur qu’il s’excuse publiquement et qu’il reconnaisse par écrit l’honneur et la probité de la victime ? Au fond, pour l’offensé, que la déclaration soit ordonnée par un tribunal ou qu’elle ait pour origine un arrangement à l’amiable importe peu. L’essentiel demeure la réhabilitation publique qui le lave de tout soupçon et lui permet d’échapper au discrédit social.
51Les réparations matérielles – ou financières – sont beaucoup plus nombreuses que les précédentes et figurent dans près de 85 % des accords qui ont été exhumés. Elles s'appliquent à toutes les rixes, agressions, grossesses illégitimes, atteintes diverses qui ont causé un tort – physique ou moral – à un quidam. Pour cette raison, elles sont l'objet de tractations destinées à dédommager la victime. Dans l'esprit des médiateurs, il s'agit de réparer les préjudices subis en versant une indemnité compensatoire. Le calcul des dommages et intérêts est fixé après négociation. Son montant varie selon le degré de gravité de l'infraction. Dans les archives judiciaires, la plus forte indemnité réparatrice retrouvée et stipulée par un accord s'élève à 256 livres. Elle résulte d'un arrangement à l'amiable passé entre un couple nouvellement uni et plusieurs femmes du quartier. Ces dernières, par hostilité aux nouveaux époux, ont déclenché un violent charivari qui s'est soldé par la naissance prématurée puis par la mort de l'enfant que portait la jeune femme. Le montant de la réparation est proportionné aux souffrances et aux dommages éprouvés : outre le décès du bébé et le traumatisme de l'épouse, s'ajoutent en effet le préjudice moral et l'affront ressentis par le couple. D'où l'importance de la somme (256 livres) que les responsables du drame s'engagent à payer collectivement quand le mari aura abandonné ses démarches judiciaires69. Dans une autre affaire, un maître cordonnier, Jacques Gouffreteau, perçoit, en guise d'accommodement et au nom de sa fille, 120 livres. Cette indemnité compensatoire élevée se justifie, là encore, par la gravité des faits : la jeune fille, victime de la brutalité de deux hommes, a failli perdre la vie. La somme versée servira à gommer les séquelles de l'agression et à couvrir les frais qui ont été engagés pour soigner l’adolescente70. À côté de ces réparations financières importantes, il existe, bien sûr, d'autres indemnités au montant moindre. C'est le cas de cet accommodement, proposé par Paul Ricotier, un marchand de vin, dans lequel il propose à son adversaire la somme de deux louis. Il est vrai que le violent s'est « contenté » d'injurier, de souffleter et d’égratigner sa victime71. Dans tous les exemples cités ci-dessus, les parties sont parvenues à s'entendre et à fixer le montant des réparations. Cette difficulté surmontée, il leur reste encore à préciser les modalités de paiement. Rarement en effet les sommes contenues dans les termes de l'accord sont payées comptant surtout, bien sûr, quand elles dépassent un certain niveau. De manière générale, le bénéficiaire accepte un délai pourvu que la moitié du montant, au moins, soit réglée comptant. Si le débiteur est suffisamment inséré dans le tissu social et qu'il inspire confiance, il peut également proposer l'émission d'un billet ou d'une promesse. Seuls, les moins reconnus et les moins pourvus financièrement sont obligés de fournir une caution, à l'exemple de Jean-Claude Rossignol, un ouvrier en bas de soie, trop pauvre et trop isolé, pour être dispensé de verser un dépôt de garantie72.
52Véritable justice parallèle, la transaction a naturellement ses limites. Il suffit que l’une des parties ne respecte pas les termes de l’accord, que le litige revête un caractère de gravité particulier ou encore qu’il parvienne aux oreilles des autorités pour que l’arbitrage devienne impossible. Le contentieux échappe alors aux entremetteurs et échoit aux juges des tribunaux. Si cette tendance se renforce au cours du siècle, c’est parce que l’unité de la collectivité se distend progressivement tandis que la justice du roi s’impose partout. À la veille de la Révolution, cependant, la puissance de la médiation reste encore vivace. Elle témoigne d’un ordre communautaire avec lequel le voisin doit compter, qu’il le protège ou qu’il s’impose à lui.
II. LA LOI DU GROUPE
53Si l’unité du voisinage se manifeste par de nombreuses tentatives de conciliation destinées à ramener la paix et la concorde dans le quartier, elle se traduit aussi par une certaine hostilité à l’égard de tous ceux qui troublent l'ordre communautaire. Au quotidien, on s’efforce d’éloigner les individus qui bafouent le pacte social. Ce rejet est d'autant plus fort que la cohésion du groupe est grande et qu'on évolue dans « une société d'interconnaissance » où les comportements de chacun sont transparents. Sont particulièrement visés les hommes et les femmes dérogeant aux codes de conduite qui règlent la vie collective. Parmi eux, se trouvent les prostituées, les femmes de « mauvaise vie », les marginaux, les indésirables en tous genres mais aussi les couples dont le mariage n'a pas reçu l'agrément de la communauté. Le voisinage se mobilise alors pour montrer sa réprobation ou pour mettre un terme au scandale qui menace l'harmonie du quartier.
1. Garantir la morale commune
54De tous les comportements répréhensibles, le plus scandaleux est celui qui rompt délibérément avec la morale sexuelle parce qu'il détruit les fondements de l'ordre familial. Or, celui-ci est basé sur la subordination de la femme à l'homme73. Il implique notamment que l'épouse élève ses enfants, qu'elle s'occupe du foyer, et qu'elle reste fidèle à son mari. Quant aux jeunes filles, il leur faut adopter une conduite vertueuse et s’abstenir de tout écart. Traditionnellement, elles restent soumises au contrôle pointilleux des parents, qu’inquiètent toujours la réputation de leur enfant et une éventuelle mésalliance74. La justice, d'ailleurs, consacre l'autorité des parents sur les enfants puisque jusqu'aux 25 ans des filles et 30 ans des garçons, la famille a tout pouvoir pour s'opposer à un mariage qu'elle juge déraisonnable. Craignant pour la vertu de son enfant, celle-ci pourchasse sans faiblesse les coureurs en tout genre. L'inquiétude majeure reste celle de la séduction d'une personne mineure, lorsqu’une jeune femme, égarée par les promesses d'un beau parleur, quitte le logis familial. Ces « rapts », pour reprendre la terminologie de l'Ancien Régime, donnent généralement lieu à des plaintes dans lesquelles s'exprime le désarroi des familles, éclaboussées par la honte et le déshonneur. Telle est, en l'occurrence, la teneur d'une procédure engagée par une aubergiste. Cette mère de cinq enfants est parvenue, malgré la médiocrité de sa fortune, à « procurer à chacun un état et un établissement avantageux ». Sa fille Françoise, placée comme apprentie chez une marchande brodeuse, a toujours fait preuve d'une « conduite très régulière et a travaillé avec profit ». Hélas, un séducteur a eu raison de sa sagesse.
La plaignante a appris il y a quelques jours que sa fille s'était évadée furtivement du domicile […] de sa maîtresse et qu'un ravisseur perfide la lui avait enlevée.
55La plainte se conclut par ces mots :
il est bien malheureux pour une mère et une famille honnête d'être obligée de dévoiler aux yeux du public sa turpitude ou sa faiblesse mais le devoir maternel, la tendresse […] l'honneur sont des motifs trop puissants.
56C’est pourquoi, à défaut d'avoir pu sauvegarder la réputation de sa fille, la mère de famille en appelle à la justice de manière à ce qu'elle réhabilite le reste de sa famille. Quant à la jeune fugueuse, elle sera retrouvée quelques jours plus tard et conduite sans ménagement au couvent des Dames Bernardines pour que cesse le scandale75.
57La surveillance des jeunes filles n'est pas le fait des seules familles. La communauté de voisinage y participe également et se manifeste, le cas échéant, lorsque le laxisme des parents est devenu trop apparent. C'est que les enfants appartiennent aussi au quartier. Ils y grandissent, s'y forgent une personnalité sous le regard attentif des habitants qui contrôlent leurs agissements. Parfois, inquiète pour la vertu de ses rejetons, la population d'un quartier effectue une démarche collective auprès des autorités pour dénoncer la présence dans le voisinage d’un mauvais lieu ou d'un indésirable. Le mauvais exemple, en effet, fait peur parce qu'il menace l'unité des familles. Afin de prévenir toute insinuation déshonorante, les jeunes filles doivent avoir un comportement sans ambiguïté. La perspicacité du voisinage a tôt fait de séparer les « bonnes » et les « mauvaises » filles, certains gestes, certaines attitudes ne trompant pas. Cette surveillance pointilleuse oblige les jeunes filles à rester sur le qui-vive et à pourchasser sans relâche les ragots désavantageux qui circulent. Leur susceptibilité est d'autant plus grande qu'il en va de leur établissement futur. D'où des réactions de défense très violentes, destinées à affirmer ou à préserver une honorabilité menacée. Une journalière, poursuivie pour voies de fait et menaces de mort à l'encontre d'une jeune brodeuse, justifie son agressivité auprès du tribunal en ces termes :
On lui a dit que […] la fille brodeuse tenait des mauvais propos sur elle, sur ce qu'elle voulait épouser son frère et serait ainsi le déshonneur de sa famille.
58La brutalité de la riposte, l'intimidation dont elle s'est rendue coupable est, à ses yeux, parfaitement légitime puisque à défaut, âgée de près de quarante ans mais encore célibataire, elle verrait s'évanouir toute possibilité de mariage76.
59Toutes les femmes ne se plient pas aux règles strictes et contraignantes de la morale collective. Échappent notamment à cette norme sociale exigeante les « débauchées » ainsi que les filles réputées « publiques et communes à tous », autrement dit les prostituées. Ces dernières, comme le laissent supposer certains témoignages littéraires, semblent nombreuses à exercer en ville77. Toutefois, leur nombre est impossible à évaluer. D'abord parce que la prostitution est une activité illégale, sanctionnée par les lois du royaume et par le Consulat qui prohibe les lupanars et interdit aux logeurs d'héberger des femmes de mauvaise vie. Ensuite parce que la plupart des filles vendent leurs charmes de façon intermittente : elles « font le métier » pour survivre, comme le feront au siècle suivant de nombreuses ouvrières parisiennes. Enfin en raison de la variation des effectifs, tant il est vrai qu'en période de difficulté économique, quand le travail féminin est encore un peu plus déprécié, il y a recrudescence de la prostitution.
60En dépit des positions officielles et moralisatrices, nombreux sont ceux qui voient dans la prostitution un « mal nécessaire »78. Néanmoins, une part croissante de philosophes et d'écrivains s'émeuvent devant le désarroi moral et le sort tragique réservé aux filles. Mercier est choqué par la dureté de la répression policière79. Rétif de la Bretonne dénonce les conditions de vie atroces des prostituées parisiennes et projette, pour les améliorer, la création d'établissements publics, les Parthénions, tenus et organisés par l'État80. Mirabeau se déclare stupéfait par la misère de certaines adolescentes, prêtes à vendre leur corps contre un bout de pain81. Tous soulignent le côté sordide de la prostitution. Et de fait, la situation des « femmes vulgivagues », comme les nomment Mercier et Sade, est loin d'être enviable bien que toutes ne partagent pas le même sort. À Lyon, les moins mal loties sont incontestablement les femmes entretenues. On les retrouve dans le sillage des hommes aisés – les nobles, les négociants, les magistrats – rivalisant de discrétion et de pudeur, aux dires de Grimod de la Reynière :
Elles rendent hommage aux mœurs, écrit-t-il, soit en se cachant sous le voile de la plus profonde obscurité, soit en tâchant de se faire prendre pour les épouses de ceux dont elles ne sont que les concubines82.
61À côté de ces courtisanes dont l'existence reste mal connue, d'autres filles exercent dans des établissements spécialisés. En 1757, Pierre Laurès évoque plusieurs « académies de galanterie » tenues par des « directrices » où se retrouve la jeunesse dorée de la cité, avec la bienveillance du « fourrier de la ville » ou des « sergents de guet »83. Le peintre Mannlich exprime son indignation devant la hardiesse des rabatteurs qui « accrochent » les passants dans la rue et les orientent vers les lupanars84. Les archives judiciaires, elles aussi, se font l'écho d'une prostitution organisée et encadrée par des « matrones » ou, plus rarement, par des proxénètes masculins. D'ordinaire, il s'agit d'hommes ou de femmes sans scrupules qui camouflent leurs activités illicites en exerçant une profession officielle et reconnue. François Lauradoux, par exemple, est marchand de vin et possède un cabaret rue Tavernier85. Augustin Gaigol et son épouse exercent comme aubergistes rue Écorcheboeuf86. La femme Guigonnand tient une boulangerie. Au-dessus de sa boutique, elle dispose d'une chambre dans laquelle elle fait travailler les dénommées Sophie et Marion dit Pot-au-Lait87. Tous ont transformé leur immeuble de résidence en lupanars sans que l'on sache cependant le type d'arrangement qu'ils ont conclu avec les filles. Reversent-elles partie ou totalité de l'argent gagné ? Sont-elles logées ou nourries gratuitement ? Quel tarif pratiquent-elles ? Les documents ne le précisent pas. Et pour cause. La prostitution reste une activité interdite. Pendant leur interrogatoire, les prostituées cherchent avant tout à se disculper et livrent très peu de renseignements au tribunal. Ce qui est vrai, du reste, pour les filles exerçant dans des établissements spécialisés l'est aussi pour celles qui travaillent seules et sans protection. Car ces dernières sont nombreuses à monnayer leurs charmes dans la cité lyonnaise. Leur présence est attestée le long des grands axes de communication – les rues Mercière, Longue, Saint-Jean, Saint-Georges –, sur les places – Bellecour, des Terreaux, de la Trinité, des Cordeliers, du Change –, dans les quartiers populaires de la presqu'île et de la rive droite de la Saône, le long des berges du Rhône et de la rivière, vers les travaux Perrache ou encore aux abords des routes qui commandent l'accès aux portes de la ville. Au gré des dénonciations et des descentes de police s'esquisse une sociologie de la clientèle des prostituées dont les archives judiciaires se font l'écho. Fleury Piegey, 23 ans, est compagnon teinturier ; Claude Brossette, 50 ans, marchand de chevaux ; Jean René Ferricol, 21 ans, teinturier ; Jean-Baptiste Laroche, 33 ans ébéniste ; Jacques Voulpé travaille comme jardinier ; Philibert Jacquete n'a pas encore achevé ses études de droit ; Étienne Planchet exerce la profession de commis auprès d'un négociant88. La liste est longue qui voit se côtoyer des hommes de tous âges, venus des milieux sociaux les plus divers. Les « raccrocheuses » les aguichent d'un geste de la main et les conduisent dans leur chambre, à l'instar de la fille Telier qui « fait des marchés à sa porte à toute heure de la nuit »89. Chez certaines filles, la prostitution revêt un aspect plus sordide encore : seules et sans ressources, au gré des rencontres, elles se livrent au premier venu derrière la cage d'un escalier ou dans l'allée d'un immeuble ainsi que le raconte Pierrette Blin :
Elle a abordé un particulier, avoue-t-elle, à l'angle de la rue Saint-Dominique, du côté de la rue Écorcheboeuf l'a emmené dans une allée voisine […] [et là] il a joui d'elle90.
62D'autres encore déambulent le long des rives de la Saône ou sous les arches du pont de Pierre, en quête d'affaneurs, de colporteurs ou de voituriers.
Il s'est aperçu, raconte François Lafai syndic des affaneurs à la douane de Saint-Antoine, que la fille Riguet paraissait très familière avec plusieurs manœuvres de la douane […] elle passait et repassait pour agacer les manœuvres. Il la vit une fois cachée derrière des ballots et badinant assez indécemment avec plusieurs manœuvres91.
63La prostitution, surtout quand elle s’affiche au grand jour, suscite l'interrogation des contemporains. On se demande comment et pourquoi ces femmes en sont arrivées là. Plusieurs types d'explications sont avancés. Les philosophes et les moralistes mettent en cause la corruption des mœurs urbaines, l’opposant à la morale exemplaire des ruraux. Sont célébrés notamment les gens des montagnes, « sains et vertueux ». Leur vie ne se situe-t-elle pas aux antipodes de celle des citadins, happés par l'esprit de jouissance et par la licence qui règnent dans les agglomérations ? Comme le dit Mercier et avec lui un grand nombre d'auteurs du xviiie siècle : « Tout le mal vient de la ville92. » À ce discours rebattu qui voit dans la prostitution les effets du déclin de la morale traditionnelle peut se joindre celui des tenants de la toute-puissance paternelle. Pour ces derniers, la dégénérescence des mœurs, la luxure, la débauche et l'augmentation des naissances illégitimes sont directement imputables à la perte d'autorité du père de famille. Ce type d’argumentation se retrouve parfois dans la bouche d'un plaignant ou d'un témoin, convoqué pour déposer ou pour confondre une fille publique. Ainsi, dans une affaire datée de 1776, une adolescente est poursuivie par la justice après avoir été dénoncée comme prostituée. Jean-Baptiste Terrasse, un témoin à charge, met directement en cause le père qu'il juge trop laxiste dans sa façon d'éduquer ses filles :
Il s'est aperçu, explique-t-il, qu'il ne veillait pas bien sur la conduite de ses deux filles, qu'il le soupçonnait même de n'être pas fort délicat sur leur réputation, que les raisons qu'il a d'en juger de même sont que dans le voisinage il y avait un lieu de débauche et que sa fille aînée y servait de servante et qu'un jour que des militaires montaient dans ce mauvais lieu la cadette […] disait au bas de l'escalier Messieurs voulez-vous m'engager93.
64Si la défaillance de l'autorité paternelle peut, certes, porter préjudice au bon développement des enfants, il semble que ce soit plutôt la dislocation familiale ou l'absence des parents qui précipite certaines jeunes filles dans la prostitution. Les travaux de Régine Bonnefoi, Sandra Adamo et Emmanuel Prost ont montré en effet que les prostituées étaient surtout des personnes jeunes, exerçant une activité autonome et en rupture de dépendance vis-à-vis de leur famille94. Dans les grandes lignes, l'examen des procédures judiciaires confirme ces analyses.
65Le cas le plus courant reste celui de la jeune fille venue travailler à Lyon mais qu'un homme a mise enceinte puis abandonnée. Dans de nombreuses déclarations de grossesse la future mère célibataire narre ce genre de mésaventure et cherche à faire partager au galant la charge de l'enfant à naître. À défaut, ne risque-t-elle pas de perdre son travail, de déchoir, de sombrer dans l’ignominie ? Une réelle angoisse transparaît dans le récit de celles qui sont sur le point d’accoucher seules, délaissées par celui qui leur avait pourtant promis le mariage. Sommé de s’expliquer, le séducteur adopte souvent devant le tribunal un mode de défense éprouvé : il se fait accusateur, qualifie la fille de « prostituée notoire », quitte même parfois à faire comparaître des témoins qui reconnaissent « avoir joui d'elle ». Il espère, de la sorte, n’encourir aucune peine pour « mauvais commerce » et ne payer ni dommages ni intérêts95.
66Au cours du siècle, un nouveau discours se développe96. Il considère la prostitution comme un « mal social » qui trouve son origine dans la pauvreté et le chômage. De fait, les prostituées ne se recrutent-elles pas en priorité parmi les femmes aux métiers précaires dont on sait qu'ils sont les premiers touchés en temps de crise ? Quelques interrogatoires évoquent la situation de ces indigentes que la faim ou le désir de faire un bon repas pousse dans les bras du premier venu :
Étant allée chez sa sœur, explique une adolescente de quinze ans, elle rencontra à son retour une jeune fille avec laquelle elle s'arrêta. […] cette dernière lui dit de venir avec elle […] qu'elle la régalerait bien ; […] flattée de la proposition d'être régalée elle suivit aveuglément ladite fille […] qui la conduisit d'abord jusque sur la Place de Louis-le-Grand où elles se promenèrent ensemble, ensuite sur le chemin Saint-Clair et hors la ville dans la première auberge en sortant […]où elles rencontrèrent des hommes97.
67En dépit d'une réflexion sur la prostitution qui se veut de plus en plus humaine, la législation ne varie guère. Elle s'inspire toujours de la déclaration royale de 1713 que les ordonnances consulaires reprennent dans leurs grandes lignes98. De leur côté, les juristes se montrent aussi sévères que par le passé et ne reconnaissent aucune circonstance atténuante à la prostitution99. Est-ce à dire pour autant que la lutte contre les filles de « mauvaise vie » se situe à la hauteur du dispositif voulu par Louis XIV ? Brackenhoffer semble le penser100. En réalité, les autorités ne semblent manifester qu’un zèle très relatif101. En témoigne le nombre plutôt faible des pensionnaires enfermées aux Recluses, cette maison de force qui incarcère les filles de joie jusqu'à la Révolution : quatre-vingts environ vers 1730, une soixantaine en 1789102. Sans aller jusqu'à parler de « laxisme », on notera cependant l’absence de suivi dans la politique déployée par les autorités, qui limitent souvent leurs actions à des opérations au coup par coup. La compagnie du Guet n’arrête que les filles dont la conduite scandalise le public. Elle les défère devant le lieutenant général de police qui prononce des amendes à leur encontre. Parfois, elle les remet au gouverneur ou au prévôt des marchands, seules personnalités autorisées à ordonner l'enfermement des filles débauchées. À l'exemple de l'Hôpital Général de Paris, c'est d'abord l'hôpital de la Charité qui recueille les prostituées. Mais, devant la mauvaise grâce persistante de l'établissement, un centre d'internement – en vérité, un lieu d'expiation – est fondé en 1630 : la maison des Recluses, sise à Bellecour. Par un traité de 1702, le Consulat, l'Hôtel-Dieu et la Charité s'engagent à contribuer aux frais de fonctionnement de l'institution. Jusqu’à la Révolution, elle abritera la grande majorité des prostituées103.
68Si l'internement temporaire reste le traitement classique de la débauche, il ne concerne que les filles : leurs clients ne sont jamais condamnés ni même arrêtés. Seuls échappent à cette règle les ecclésiastiques pour lesquels on dresse procès verbal lorsqu'ils sont pris en flagrant délit de débauche. C’est que, dans l'esprit de l'Église, il faut éviter de donner prise aux critiques acerbes des jansénistes. Cette disposition, cependant, reste unique. De fait, l'opinion publique se montre plutôt tolérante à l'égard de la prostitution et ne demande l’intervention des autorités que pour réprimer ses manifestations les plus voyantes. Attentif à la vox populi, le Consulat laisse la communauté des voisins fixer les limites de l’acceptable. C’est elle qui, d’ordinaire, s’érige en gardienne de la moralité et décide de la conduite à suivre. Gare, cependant, à la débauchée ou à la prostituée qui outrepasse les bornes. Elle risque d'être livrée à la justice et de devoir répondre de son inconduite. Pour simplifier, deux raisons principales irritent le voisinage et suscitent sa réprobation : ce sont, d'abord, les liens qu'une prostituée peut entretenir avec des « hommes sans aveu » ; ce sont ensuite les esclandres et les scandales divers qui suivent souvent l'arrivée d'une fille de joie dans une maison.
69Dans le premier cas, les habitants redoutent surtout l'installation, dans le sillage des prostituées, de malfaiteurs en tous genres : de nombreux voleurs, déserteurs et marginaux accompagnent les femmes de mauvaise vie et vivent à leurs crochets. Ils se livrent à de nombreux trafics illicites, à l'instar du dénommé Goeffon, un « mauvais sujet », connu pour habiter avec une fille et pour recéler des vêtements volés104. Comment les locataires pourraient-ils vivre en sécurité, leurs biens se trouver en sûreté quand il leur faut cohabiter avec de tels voisins ? Mieux vaut les refouler le plus vite possible.
70Le second motif qui incite le voisinage à faire chasser une prostituée du quartier, ce sont les allées et venues perpétuelles, le tapage nocturne ou les rixes déclenchées par des « polissons » et les « débauchés ». Nombreux sont les hommes qui rejoignent les filles de joie à la nuit tombée, une fois la journée de travail achevée. Avec ou sans la complicité des cabaretiers – leur bâtiment situé au rez-de-chaussée possède toujours une porte qui donne sur l'allée ou sur les étages –, ils accèdent sans difficulté aux appartements des jeunes femmes. Certes, pour éviter ces ballets clandestins et assurer la tranquillité des habitants, le locataire principal veille en principe à ce que la porte d'entrée de l'immeuble soit fermée aux heures imposées par les autorités. Cette disposition, cependant, se révèle souvent inefficace car nombreux sont ceux qui parviennent à crocheter la porte du corridor :
Il y aura quinze jours dimanche, dépose Guillaume Drouet marchand miroitier, il ouit dire que le sieur Planchet et un autre particulier s'étaient servis d'un fil de fer […] recourbé pour aller voir une fille qui était dans la maison et ce en crochetant la porte d'entrée d'icelle105.
71Si les hommes mariés, amateurs de prostituées, se montrent généralement discrets, il en va bien différemment des plus jeunes qui se déplacent en bandes, provoquent ou intimident les locataires des maisons. En cas de désordre dans l’immeuble cependant, il est bien rare que la communauté des habitants ne réagisse pas. Les uns surveillent les allées et venues des individus suspects. Les autres, plus téméraires, font fonction de gardiens de l'ordre et interdisent aux personnes étrangères à la maison d’accéder aux chambres des prostituées, avec violence parfois. Ainsi Claude Desclat, un maître guimpier de la rue Mercière qui s'oppose avec quatre de ses ouvriers aux incursions nocturnes de jeunes libertins « à coups de cannes et de bâtons »106.
72Les interventions du voisinage ne prennent pas toutes un tour aussi brutal. Lorsque la présence des prostituées est devenue source de scandales et de désordres permanents, la communauté peut entreprendre une démarche collective. Elle rédige une sorte de « pétition » contresignée par toutes les personnalités du quartier – les notables, le curé, les officiers pennons – qu'elle adresse aux responsables de l'ordre public. Le but poursuivi est simple : il s'agit de mettre un terme aux agissements de ces femmes qui menacent l'ordre et la sécurité communautaires. À cette fin, les voisins exigent des autorités qu’elles chassent la délinquante ou qu’elles la fassent enfermer. C’est à ce prix seulement, pense-t-on, que le calme et la sérénité antérieurs pourront revenir.
La femme Gugonnand, lit-on dans une lettre adressée au lieutenant général de police, boulangère rue Juiverie […] sous-loue des chambres dans la maison de Goyffieu rue Juiverie à des personnes suspectes et à des femmes de mauvaise vie faisant beaucoup de bruit et de tracasseries avec les voisins qui s'en plaignent journellement. Nous avons fait deux fois notre rapport à Monsieur le Commandant pour faire vider les chambres garnies.
73Aussi le voisinage renouvelle-t-il sa demande d'expulsion des filles ainsi que l'enfermement de la dénommée Marion « dans une maison de force »107. De telles requêtes sont instructives en ce qu'elles procèdent d'une démarche collective. Elles soulignent la cohésion et la solidarité du groupe qui exclut toute personne rebelle à sa morale et à son mode d'existence. Elles témoignent aussi de la volonté tenace du voisinage qui, en marge de la justice officielle, affirme son droit de contrôler le territoire sur lequel il vit.
2. Les rites de solidarité et de censure sociale
74Une autre forme de contrôle social engage les membres de la communauté : ce sont les rituels de censure et de dérision qui sanctionnent les mariages désapprouvés ou les écarts à la morale commune. Par commodité et conformément aux indications du grand folkloriste Arnold Van Gennep, on les regroupera sous le terme de « charivari ». Ils s'appliquent aussi bien aux mésalliances, aux (re) mariages désavoués par la collectivité en raison d'une trop grande différence d'âge entre les époux qu'aux défaillances individuelles (l'adultère féminin notamment)108. Au xviiie siècle, de telles coutumes subsistent partout en France – et en Europe – bien qu'elles soient l'objet d'une répression de plus en plus rigoureuse de la part des autorités politiques et religieuses109. Entre 1776 et 1790, une dizaine de charivaris lyonnais sont enregistrés dans les archives judiciaires de la sénéchaussée criminelle et par les archives communales. Encore ne s'agit-il ici que de la partie émergée du phénomène puisque seules ont subsisté les affaires qui ont mal tourné ou qui ont donné lieu à une action en justice. C'est dire si ces pratiques demeurent vivaces dans la cité lyonnaise. Jadis apanages des fraternités de jeunesse ou des abbayes joyeuses – telle l'abbaye des basochiens, de Maugouvert ou de la rue Mercière – les mécanismes de régulation de l'ordre matrimonial et sexuel continuent à exister, bien que de façon plus informelle que par le passé110. Ils donnent lieu à des manifestations bruyantes et sonores qui se déroulent selon un scénario bien rodé. Un convoi burlesque de « charivariseurs » défilent au son des trompes, casseroles, grelots et chaudrons, en poussant des cris et des hurlements. Les participants encerclent le logis des victimes en faisant un chahut considérable, affublés parfois d'oripeaux ou de masques pour ne pas être reconnus. L'évènement mobilise la communauté tout entière qui trouve là l'occasion de rire et de se défouler.
Étant à table avec sa compagnie, explique un maître doreur qui s'est marié le matin même, plusieurs personnes attroupées des deux sexes, tant dans l'allée que dans l'escalier de la maison de son domicile […] [ont fait] un charivari et un bruit considérable avec des poêlons et autres instruments […] ont chanté des chansons indécentes et […] [ont] jeté des pierres à sa fenêtre dont il a été atteint ainsi que sa compagnie. Plusieurs autres voisins faisaient également aux fenêtres de leur domicile charivari et chantaient des chansons fort indécentes111.
75En principe, le charivari dure jusqu'à ce que les organisateurs aient obtenu un dédommagement, c'est-à-dire quelques pièces de monnaie ou un verre de vin. Mais souvent, il faut à la fois payer et offrir à boire, ce qui peut susciter des mécontentements. Des charivaris tournent mal parce que les victimes refusent de verser la somme rituelle ou parce qu'elles n'acceptent pas d'être ridiculisées devant le voisinage. Cette intrusion de la collectivité dans un domaine que l'on commence à définir comme strictement « privé » – le mariage, la morale sexuelle – débouche, partout en France sur une augmentation du nombre de plaintes dans la seconde partie du siècle112. Un certain modèle de censure et de contrôle social reflue peu à peu même si le processus n'en est encore qu'à ses débuts. Pour l'heure, la pression communautaire reste forte et sanctionne toujours les infractions au code de l'alliance conjugale.
76Les historiens et les anthropologues ont donné au charivari différents types d'explications113. Les uns y voient une façon de protester contre la décision d’une veuve ou d’un veuf d’épouser une célibataire et une façon d'apaiser l'âme du défunt. D’autres y décèlent plutôt l'exécution de rites de passage qui installent les nouveaux mariés dans le groupe des adultes. Certains, enfin, retiennent surtout du charivari une condamnation des remariages, parce que ces derniers compromettent les intérêts des descendants du défunt ou qu'ils dérobent un conjoint possible à la communauté114. Au vrai, le charivari est un rite qui sanctionne à la fois les mariages mal assortis, les remariages et les adultères. Il dénonce aussi bien les couples que les victimes bafouées ou trompées par leur conjoint. C'est le cas, par exemple, de la coutume fameuse dite de la « course de l'âne » où le mari cocu parcourt les rues du quartier le visage tourné vers la queue de la bête. Si, pour la période étudiée, aucun cas de chevauchée sur l'âne n'a été exhumé, le rite existe toujours. Il subsiste intact dans les mémoires comme l'attestent les propos du dénommé Fayet, un peyrollier, qui menace son collègue de le faire « promener sur l'âne » s'il ne se montre pas plus ferme à l'égard de sa femme115.
77L'arme des « charivariseurs », la seule dont ils usent véritablement, reste celle de la dérision ou de la moquerie. Elle est une façon de signifier au coupable qu'il est exclu du groupe. Il sera réintégré lorsqu'il aura racheté son appartenance à la collectivité par une contribution symbolique.
78Les bruits, les instruments dissonants, les objets utilisés à contre-emploi ou exhibés symboliquement composent autant d'éléments traditionnels, caractéristiques de ce chahut rituel. Selon les cas et la façon dont les victimes réagissent, il peut prendre une forme bon enfant ou manifester au contraire une certaine cruauté. Dans une plainte déjà évoquée, un menuisier de la rue des Flandres raconte le charivari dont lui-même et son épouse – une femme enceinte de 6 mois – ont été l'objet le jour de leur mariage. Après la bénédiction nuptiale et le repas de noces, le couple s'apprête à rentrer chez lui. Seulement
dans la maison qu'ils occupent il existe une allée qui traverse au milieu de laquelle est une cour. Plusieurs quidams avaient fait un phantôme de paille auquel ils mirent le feu. Ils ne s'en tinrent pas là : ils se rendirent à la porte du domicile du suppliant à laquelle ils attachèrent des cornes de cerfs ou de bœufs avec des clous. Ils passèrent par le trou de la chatière un chat qu'ils venaient de tuer auquel ils attachèrent de la paille ; de là ils furent chercher un enfant de douze ans à qui ils donnèrent 12 sous pour mettre le feu soit au fantôme de paille qui était dans la cour soit à la paille qui entourait le chat qu'ils avaient fait passer par la chatière dans la chambre du suppliant. Le suppliant courut sur le champ chez le Commandant […] qui donna des ordres pour arrêter les coupables […] et fit arrêter la femme du sieur Jambe et Toinon toutes deux blanchisseuses. De retour à son domicile il trouva sa femme morte et prête à expirer. Elle était enceinte de 6 mois et dans cette malheureuse situation elle accoucha d'un enfant mort qui ne parut pas donner le moindre signe de vie116.
79On retrouve dans ce long extrait les traits propres au charivari : l'atmosphère de mascarade et de carnaval (le mannequin enflammé), la violence des protagonistes, le feu purificateur ou vengeur, les objets à connotation sexuelle (les cornes, symbole du cocuage). La présence d'un chat, écorché puis brûlé, n'étonne pas non plus. En effet, dans un livre célèbre, Robert Darnton a montré combien les chats pouvaient jouer un rôle important dans certains charivaris117. En Bourgogne, par exemple, les jeunes gens aiment se moquer des cocus en martyrisant les félins jusqu’à les faire hurler118. Les « courimauds » de Saint-Chamond poursuivent à travers les rues un chat auquel ils ont mis le feu119. À Metz, on jette dans les flammes des chats vivants120. Toutes ces tortures constituent un divertissement commun aux cultures populaires de l'Europe moderne. Elles renvoient à la forte valeur symbolique de l'animal. Le félin évoque la sorcellerie et il est censé être doté d'un pouvoir occulte ou satanique. Le chat représente aussi la sexualité et ses dérivés : la fertilité, le viol, le cocuage. Dans la plainte évoquée ci-dessus, les participants cherchent à censurer par le vacarme la conduite d'une jeune fille enceinte et à ridiculiser le mari cocu (ou en passe de le devenir). La sauvegarde de l'ordre communautaire passe par une véritable mise en scène du désordre. D'où la cacophonie et les dissonances destinées à souligner les manquements aux règles de la vie sociale. Si le charivari a pour fondement les relations de voisinage, il faut également noter la place importante tenue par les femmes, ici une mère de famille et une jeune célibataire. Leur intervention (et plus tard, leur interpellation) au côté des « charivariseurs » montre qu'elles agissent comme si elles s'estimaient garantes de l'honneur de toutes les femmes du quartier. De plus, en s'engageant en première ligne, elles affichent leur propre intégrité et gagnent par là même un surcroît d'estime de la part des voisins.
80Du charivari à l'émeute, il n'y a qu'un pas assez vite franchi. Emmanuel Le Roy Ladurie, Yves-Marie Bercé et Mikhaïl Baktine ont bien montré que la fête populaire contenait les germes de la rébellion121. Le chahut peut se métamorphoser en mouvement protestataire et déboucher sur des affrontements sociaux selon un schéma qui se renouvelle souvent de manière identique. Au départ, une petite troupe bruyante et goguenarde manifeste contre le remariage « hors norme » d'un couple installé dans le quartier. Puis, rapidement, au vacarme et aux obscénités d'usage, succèdent les invectives ou les menaces qui visent les nouveaux mariés aussi bien que les autorités. Les gardiens de l'ordre sont alors envoyés sur place pour prévenir tout désordre. Par un retour prévisible des choses, ils deviennent à leur tour la cible de la foule qui entend bien ne pas se soumettre sans avoir combattu.
Le sieur Jean Garnier et son épouse, lit-on dans le procès-verbal d'un sergent de guet, vinrent se plaindre contre plusieurs particuliers qui s'attroupaient tous les soirs et chantaient devant leur porte ce qui ne tendait rien moins qu’à troubler leur tranquillité, y étant apostrophés et hués par tous les jeunes gens du quartier.
81Pour faire cesser ce tohu-bohu le sergent décide d'intervenir. Prudent, il se fait accompagner de dix soldats et d'un huissier, attendu que le quartier en question – celui de Pierre-Scize – « est un quartier républicain où l'on essuie les rébellions les plus violentes ». Parvenus sur les lieux,
nous y avons trouvé un attroupement de plusieurs particuliers à nous inconnus du nombre de quinze qui paraissaient hivres, lesquels blasphémaient et se colletaient […]. […] nous avons entendu un scandale de plusieurs personnes et nous avons oui distinctement que l'on chantait une chanson, nous rappelant seulement des mots il faut se venger du guet.
82Menacée, l'escouade cherche à s'emparer des perturbateurs :
On parvint à arrêter quelques-uns de ces particuliers savoir le nommé Antoine Arguillier crocheteur, Michel Berthet ouvrier en soie Blaise Roux, Jean-Louis Catin qui tous étaient armés de pierres et qui poursuivaient le guet122.
83Ce type de témoignage montre bien que la frontière entre réjouissance populaire et subversion est toujours ténue. Il révèle aussi la manière dont les voisins entendent régler les désordres sexuels ou conjugaux : entre eux, à l'écart des autorités dont ils refusent l'immixtion.
84Qui fait charivari ? Les jeunes gens surtout qui, plus que quiconque, veillent à l'ordre matrimonial et conjugal. Trois quarts d’entre eux habitent l’immeuble ou le quartier de leurs « victimes ». Le quart restant demeure à proximité du pennonage. À quels groupes sociaux appartiennent-ils ? À la « canaille » prétend Jean-Baptiste Thiers à la fin du xviie siècle123. Aux milieux les plus divers, rétorque au siècle suivant l'Encyclopédie124. Les quelques indications contenues dans les archives permettent de mieux identifier les auteurs de charivaris.
Hommes | Femmes |
16 | 11 |
Journaliers | Artisans | Professions féminines | Autres activités | Activités non communiquées |
3 | 8 | 6 | 2 | 8 |
85Les « charivariseurs », s'ils sont majoritairement des hommes, comptent également dans leur rang de nombreuses femmes. Une part non négligeable d'entre elles sont d'ailleurs des jeunes filles célibataires qui s’estiment garantes, avec les autres femmes, de l'alliance et de la bonne moralité des voisins. D'autre part, les participants appartiennent surtout au monde de l'artisanat, apprentis, compagnons et maîtres confondus. Il est donc inexact de ne voir dans le charivari qu'une manifestation « populacière » dont le petit peuple serait l'aiguillon. En fait, son usage s'est maintenu de façon beaucoup plus large, en particulier dans les milieux à forte sociabilité. Comme l'explique Natalie Zemon Davis dans l'analyse qu'elle fait d'un charivari survenu à Lyon en 1688, celui-ci offre une « occasion de divertissement et une forme d'expression de la solidarité »125. Elle témoigne aussi d'une volonté de contrôle, chère à la société lyonnaise, pour tout ce qui regarde les conduites domestiques.
3. Protéger son territoire et chasser les indésirables
86Si la communauté des voisins cherche à censurer l'inconduite et les mésalliances conjugales, elle désire aussi soumettre à son contrôle l'espace où elle réside. De sorte que la collectivité sait faire bloc lorsqu'elle se sent menacée par un intrus ou par un individu qui n'a pas reçu son agrément.
87Pour protéger l'espace habité, les habitants disposent d'un sens aigu de l'observation. Leur perspicacité est rarement prise en défaut et a tôt fait de repérer les indésirables, les vagabonds notamment, toujours suspectés de vouloir s'introduire dans les maisons pour cambrioler les locataires. C'est que la peur du vol obsède tous les esprits. Comme l'obscurité favorise les larcins, certains voisins n'hésitent pas à monter la garde le soir, à l'exemple de Jean-Claude Brunet, un revendeur de gages, qui arpente « l'allée de l'immeuble entre dix et onze heures du soir en tenant à la main un gros bâton »126. Quand un suspect est repéré, la collectivité tout entière le prend en chasse. Si les malfaiteurs les plus habiles parviennent à s'esquiver, il n’est pas toujours facile d’échapper à une foule en colère, désireuse de régler son sort au coupable.
Le 6 de ce mois, dépose un témoin, vers 7 heures du soir, il entendit que le sieur Turc, maître toilier, se plaignait de ce que deux femmes venaient de lui […] [voler] un coupon de mousseline ; lui déposant et le sieur Turc coururent jusqu'en la rue de la Lainerie où on avait vu passer une des femmes et l'arrêtèrent. Pendant ce temps d'autres voisins avaient arrêté l'autre femme nommée Carron qu'ils conduisirent dans une boutique127.
88D'ordinaire, ce type de scène se déroule dans un climat tendu, empreint d'une grande violence : comme le fera bientôt le peuple révolutionnaire, la foule justicière s'arroge le droit de punir et de contenir les délinquants qui opèrent sur son « territoire ». Ainsi Benoît Marmet, un maître fabricant en soie suspecté d'avoir dérobé une montre en argent dans le quartier des Terreaux.
À l'aide de plusieurs autres hommes […] le sieur Julien a traîné le comparant dans le cabaret de la veuve Blanc ; là il l'a déshabillé et fouillé en présence de nombreuses personnes que la curiosité avait amenées. La veuve Blanc […] l'a traité de coquin, de voleur au milieu de tout le peuple qui l'insultait et le menaçait128.
89Quand l'objet chapardé est récupéré, le voleur peut être relâché et l'affaire en rester là. Le délinquant, vertement sermonné, en est quitte pour la peur, heureux d'avoir pu échapper aux tribunaux. Tous les voleurs, cependant, ne s'en tirent pas à si bon compte. Parfois, les coupables sont remis entre les mains de la police de manière à ce que les victimes qui le souhaitent puissent intenter contre eux une action en justice. Rarement, toutefois, les personnes arrêtées sont livrées aux gardiens de l'ordre séance tenante. Auparavant, les voisins ont procédé à une fouille méticuleuse à laquelle le suspect ne doit pas s'opposer s'il veut éviter un passage à tabac. Puis, selon la gravité du délit, les vœux de la foule et de la victime, l'accusé est emmené – ou non – au poste de garde. Si les femmes et les habitants domiciliés dans le quartier peuvent espérer bénéficier d'une certaine indulgence de la part du voisinage, les récidivistes et les vagabonds sont traités beaucoup plus durement. C’est qu’à l'heure où le paupérisme devient un problème d'ordre public, les mendiants valides venus d'ailleurs sont l'objet d'un rejet général129. Les plus mal lotis restent incontestablement les étrangers nés en dehors des frontières du royaume. Leur « étrangeté » inquiète et suscite une certaine méfiance teintée de xénophobie. Judas Aaron, un colporteur juif venu d’Allemagne, en fait l'amère expérience : soupçonné de vol, il est aussitôt arrêté par les locataires d'un immeuble qui reconnaissent en lui « une espèce de canaille, de juif, de fripon ». Dépouillé de ses vêtements, fouillé, insulté, il est traîné au corps de garde. Quelques semaines plus tard, les juges le condamneront à cinq ans de galères130. Dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, la communauté pèse de tout son poids dans le règlement du conflit. Elle intercepte et visite, de son propre chef, celui qui a violé son espace avant de le livrer à la justice. S'esquisse de la sorte un système judiciaire dual – collectif et spontané d'un côté, officiel et réglementé de l'autre – qui interdit de connaître la réalité criminelle de la société d'Ancien Régime. En effet, combien de coupables ont été relâchés avant que les autorités aient eu vent de l’affaire ? Le voisinage opère un tri entre ce qui est porté à la connaissance des tribunaux et ce qui reste un événement interne à la communauté. Dans tous les cas, il joue un rôle actif pour assurer la sauvegarde de l’ordre collectif.
90Le contrôle et la défense de l'espace habité passent aussi par la défiance, voire par la franche hostilité de la collectivité à l'égard des professionnels de l'ordre en charge de faire respecter la loi. L'impopularité des maîtres-gardes – dont la mission est de veiller au bon respect des règlements corporatifs – sera évoquée plus loin. Elle se traduit par des véritables rébellions au cours desquelles se manifeste une très forte solidarité entre hommes d'un même métier. L'hostilité à l'encontre des huissiers et de leurs subalternes se présente sous un jour différent : plutôt qu'un réflexe corporatif, elle est l'expression d'une solidarité globale, réunissant dans un même ressentiment le voisinage tout entier. Ainsi l'atteste l'identité des accusés, jugés pour s'être opposés à l'action des huissiers et de leurs associés.
Catégories professionnelles | Nombre de cas |
Travailleurs sans qualification | 5 |
Artisans | 19 |
Professions libérales | 7 |
Négociants-marchands | 11 |
Bourgeois | 2 |
Professions féminines | 3 |
91Si les huissiers sont l'objet d'une telle rancœur, c'est d'abord en raison du métier qu'ils exercent. De fait, leur fonction veut qu’ils mettent à exécution les décisions de justice : ils signifient les arrêtés des tribunaux, organisent les perquisitions, conduisent les saisies et participent aux prises de corps. L’intervention des huissiers est d’autant plus mal perçue qu’elle est vécue comme une véritable intrusion dans la vie des individus. Dans les classes modestes, elle reste synonyme de ruine et d’extorsion d’argent. C’est pourquoi, on s’y oppose souvent, de manière à assurer la survie économique de son foyer.
92En second lieu, la détestable réputation du métier tient à la brutalité des méthodes utilisées par les agents de la profession. L’appartement de la femme Raviste est perquisitionné avec fracas vers huit heures du soir, alors qu'elle est déjà au lit131. L’huissier Cosnier se rend chez Catherine Planet à six heures du matin. Il réveille sans scrupules la maisonnée qui s'assemble aussitôt devant la porte de la jeune femme132. À ces irruptions inopinées s’ajoutent les agressions verbales, les injures, les menaces, les coups, les déprédations diverses. Certaines visites domiciliaires tournent même au drame et entraînent la mort des personnes visitées : la veuve Desmaret ne décède-t-elle pas « d'émotion », de « chagrin » et de « frayeur » quelques jours seulement après la perquisition de son foyer133 ?
93En dépit des apparences, pourtant, la profession d'huissier est strictement réglementée. En cas de saisie ou de perquisition, un procès-verbal doit être dressé sur-le-champ qui détaille les affaires enlevées. D'autre part, l'huissier ne peut intervenir chez un particulier que sur demande expresse des autorités judiciaires ou consulaires. Il lui faut pour cela être muni d'un « ordre » ou d'une « ordonnance » et ne pas pratiquer une « inquisition tyrannique », comme le précise dans sa plainte Jacques Lassieux, un maître charpentier134. Dans la réalité cependant, la conduite suivie prend souvent un tour très différent. Un sentiment d'arbitraire et de brutalité se dégage des témoignages d'archives qui, s'ils ne doivent pas être pris au pied de la lettre, renvoient pourtant à une réalité sombre et bien ancrée. Il explique, pour une large part, les réactions de rejet que suscite presque toujours la visite des huissiers. Régulièrement, ces derniers sont pris à partie par des voisins en colère qui se dressent contre eux à la fois par hostilité aux agents de la loi et par solidarité avec les victimes. Les rébellions les plus sévères, celles qui donnent lieu à la résistance la plus opiniâtre, adviennent en cas de décret de prise de corps. C'est que l'arrestation d'un quidam qu'on arrache de son foyer choque toujours la collectivité. Les huissiers le savent bien : ils se font accompagner de nombreux auxiliaires qui leur prêtent main-forte en cas de nécessité. L'opération, cependant, reste hasardeuse et difficile à conduire. À tout instant elle peut dégénérer et déboucher sur des échauffourées impossibles à contenir. Face à une foule hostile et remontée, les représentants de la justice doivent lutter pied à pied et ont souvent bien du mal à faire appliquer les décisions judiciaires. L'huissier Jacques Hureau voit ainsi se dresser contre lui une authentique révolte dont il rend compte dans sa plainte : chargé d'un décret de prise de corps contre un artisan, le nommé Fresne, il se fait prudemment escorter par une dizaine de témoins. Après être parvenu à faire sortir le prévenu de chez lui, il s'apprête à le conduire au poste de garde. C'est alors que se lève un véritable vent de contestation :
Parvenu au bas de l'escalier Fresne […] a aussitôt appelé plusieurs de ses voisins lesquels sont survenus ainsi que d'autres particuliers au nombre de 200 qui nous ont assaillis, se jetant sur nous comme des furieux et essayant d'enlever de nos mains Fresne. Ils se sont armés de bâtons et nous poursuivirent en disant Vous n'emmènerez pas Fresne. Theillard, boulanger m'a pris au collet et m'a donné des coups de poing sur la joue gauche […] il fit des efforts furieux pour libérer Fresne en lui disant Ne te laisse pas emmenez, ce sont des gens qui n'ont pas d'ordre135.
94L'impopularité des huissiers rejaillit tout naturellement sur ceux qui les secondent. Sont particulièrement vilipendés les records, chargés d’escorter les huissiers pour leur servir de témoins ou pour les secourir si nécessaire. Personnages à la réputation douteuse, il arrive aussi qu'ils soient employés comme indicateurs ou comme « mouches », à l'instar de Clément Muriat qui « roule en différents quartiers pour arrêter les voleurs »136. Dans tous les cas, ces individus restent des mal aimés parce que leur fonction exige d'eux dissimulation, absence de scrupules et compromission avec les autorités judiciaires. À tout prendre, il semble que les populations leur préfèrent encore les forces de police traditionnelles, la garde bourgeoise, le guet, les arquebusiers ou la compagnie du Lyonnais. Non pas en raison d'une mansuétude qui leur serait propre mais parce que leurs pratiques répressives ne reposent guère sur la duplicité. Est-ce à dire que les Lyonnais se montrent toujours coopératifs avec les membres de la police ordinaire ? Assurément non. La volonté affichée par les habitants des différents quartiers d'assurer eux-mêmes le contrôle et la défense des espaces habités entraîne des tensions avec les agents de l'ordre, comme elle occasionne des rébellions avec les représentants de la loi. Peut-être, même cette opposition redouble-telle au cours des dernières années de l'Ancien Régime quand, partout, l'institution policière se renforce et que l'ordre progresse137.
95Le refus de laisser la rue et les lieux d'habitation aux seuls policiers témoigne d'une forte cohésion communautaire et se traduit de façons très diverses. Le voisinage, par exemple, peut refuser de livrer aux policiers un des siens en lui offrant une cache qui soit sûre. Joseph Farge dit Cacoud, déserteur et voleur à ses heures, bénéficie du concours de nombreux locataires saisis de compassion pour ce « pauvre déserteur »138. Marie Thérèse Judacier, une jeune fille de seize ans, est soustraite des mains de la police pendant plusieurs jours par des voisins compréhensifs : elle vient pourtant d'empoisonner sa mère et sa sœur139. La collectivité peut aussi prendre fait et cause pour un habitant du quartier et s'opposer physiquement aux forces de l'ordre. Ainsi fait-elle pour protéger Pierre Lombard un marchand vinaigrier, locataire d'un appartement rue Port Charlet. Ce dernier, après avoir occupé les lieux pendant « de longues années » est brusquement sommé par le locataire principal de déménager. Furieux, les autres locataires, parmi lesquels « la plus acharnée était la femme du sieur Massigny et une autre femme revendeuse de fruits », protestent vigoureusement et accueillent la garde à coups de pierres140. Enfin, par solidarité communautaire, quand les policiers ont mis la main sur un voisin, on s’inquiète spontanément de son sort. Les uns l'accompagnent jusqu’au poste, les autres viennent aux nouvelles et expriment leur sollicitude. En principe, cette solidarité, s'applique à tous les voisins, y compris à ceux qui se trouvent en infraction avec la loi. Dans les faits cependant, les déviants qu’on protège sont en priorité des hommes et des femmes qui habitent le quartier depuis longtemps. La solidarité territoriale joue surtout en faveur des familles installées, au détriment, donc, des forains et des « étrangers ».
4. Les ruptures de solidarité
96Si les procédures judiciaires permettent d'apprécier combien le voisinage pèse sur le quotidien, elles évoquent aussi les réticences, voire le refus de tous ceux qui s'abstiennent de s'engager ou de porter secours en cas de conflit entre voisins. Ce non-engagement est loin d'être marginal : il est le fait de 41 % des témoins, convoqués par le tribunal de la sénéchaussée criminelle. Interpréter cette attitude comme si elle était le signe d'une indifférence ou d'une désaffection à l'égard de la communauté serait, semble-t-il, une erreur. Comment, en effet, qualifier d’égoïstes ou d’individualistes des déposants se montrant aussi prolixes et informés dans leur témoignage ? Les causes profondes sont autres. Elles peuvent être dégagées à partir des dépositions dans lesquelles le témoin explique pourquoi il s’est abstenu d’intervenir ou de prêter main forte aux voisins : un certain nombre de motifs apparaissent qui rendent compte des ruptures de solidarité au sein de la collectivité.
Peur devant la violence des adversaires | Refus de se compromettre ou d’intervenir dans les affaires d’autrui | Crainte de la justice ou des procès | Antipathie à l’égard d’un des adversaires |
42 % | 31 % | 22 % | 5 % |
9742 % de ceux qui refusent d’intervenir quand deux voisins se querellent se disent effrayés par la brutalité des adversaires ou de certaines scènes. La peur de recevoir un mauvais coup ou de se trouver engagés dans une affaire pénible et violente les incite à rester prudemment en dehors de la dispute. Deux fois sur trois, il s’agit de femmes que la violence des rixes impressionne.
Dans l'après-midi, raconte l'épouse de Joseph Duvallet, elle était à la lavanderie commune […] elle entendit la femme du plaignant crier au secours. Quand elle vit le plaignant couché à terre avec du sang couler de ses bras, elle déposante se retira aussitôt craignant qu'il arrive un événement fâcheux141.
98Bien sûr, l'appréhension est encore plus vive lorsque les adversaires font usage d'une arme. Ainsi que le rapporte Jean-Claude Jacquet, témoin d'une rixe au sabre, dès qu'il « reconnut […] qu'un morceau de chair du crâne pendait sur […] les oreilles [de son voisin], il s'enfuit sans attendre »142. Si la solidarité est un devoir, elle n'exclut ni n’interdit la prudence.
995 % des déposants justifient leur refus de solidarité ou leur défection en invoquant une antipathie personnelle à l'égard des adversaires en train de batailler. Cette hostilité concerne surtout les « mauvais voisins » c'est-à-dire tous ceux qui ignorent les règles élémentaires de bonne conduite, en usage dans la collectivité. Sont particulièrement visées les personnes aux mœurs douteuses ou encore les individus qui se querellent à tout propos. Ainsi en est-il de Françoise Chevalet, l'épouse d'un artisan, prise à partie dans une violente échauffourée. Lâchée par tout le monde « attendu qu'elle est très souvent en dispute avec les uns et les autres », elle doit se défendre seule, sans aucun secours extérieur143. Sont également tenues à l’écart les personnes réputées violentes et belliqueuses comme les époux Lassieux qui « ne cessent d'occasionner des rixes […] et de troubler le repos de tous les locataires »144. Pourquoi, sous-entendent les déposants, risqueraient-ils une blessure ou peut-être même leur réputation en allant secourir des hommes ou des femmes aussi peu fréquentables ? Surtout que, souvent, ces « mauvais voisins » sont experts en plaintes et enclins à la chicane. De fait, la crainte d'être impliqués dans un procès onéreux et à l'issue incertaine tempère sérieusement l'esprit d'entraide. 22 % des déposants y voient d'ailleurs une raison suffisante pour ne pas s’interposer.
Il y a environ cinq semaines, déclare Antoine Rilieux, il fut témoin d'une dispute entre le plaignant et le sieur Prost. Le déposant […] serait bien allé au secours du plaignant mais il craignit qu'on lui intenta […] quelques procès145.
100La perspective de devoir rendre des comptes contient les ardeurs. Elle incite à garder ses distances plutôt qu'à s'engager, tête baissée, dans une querelle.
101Si les déposants, enfin, refusent d'intervenir ou de s'entremettre dans une querelle de voisinage, c'est, déclarent 31 % d’entre eux, par peur de se compromettre dans les affaires ou dans l'intimité d'autrui. Le chiffre est d’importance et constitue un bon indicateur des changements en train de s'opérer. Ne pas s'immiscer dans les disputes ou les débats qui secouent le voisinage, en effet, c'est privilégier un mode d'existence moins collectif ou, ce qui revient au même, plus individuel. Pour parler comme Philippe Ariès, il s'agit de passer d'une « sociabilité de la communauté » à une sociabilité restreinte, centrée sur l'individu146. Ce rejet des servitudes collectives transparaît dans de nombreux témoignages.
Il a entendu souvent des débats et des propos entre les parties, dépose Pierre Cardinal un cabaretier. Comme cela ne le regarde pas, il n'a pas cherché à y donner de l'attention147.
102Dans une autre déposition, on peut lire aussi :
Quoiqu'il demeure dans la même demeure que les plaignants […] il ne s'occupe que de son métier et ne cherche pas à savoir ce que font ses voisins148.
103En refusant de prendre part aux affaires du voisin, on espère, en retour, échapper au regard et au jugement des autres. Une institution, surtout, devient le lieu où s'opposent « adversaires » et « partisans » de l'intimité : la famille. Chez un nombre croissant de Lyonnais en effet, celle-ci ressortit désormais à la sphère privée. D'où la résistance ou le refus, déjà constaté, de s'intéresser de trop près à la vie familiale ou conjugale des occupants de l'immeuble.
Il a entendu beaucoup de bruit dans les appartements des époux Gervais. Le déposant monta avec son frère et vit le sieur Regard et sa femme ; que celle-ci disait des injures audit Gervais […]. Le déposant ayant appris que le sieur Regard et sa femme étaient le père et la mère de la femme dudit Gervais, il se retira sur le champ sans voir la fin de cette querelle149.
104C'est qu'à la fin du siècle, les temps changent et que de nouvelles exigences apparaissent. Chacun s'efforce de lutter contre l'intrusion du voisinage et de limiter les effets d'une promiscuité de moins en moins acceptée. Des transformations s'esquissent d'ailleurs dans la façon de construire et l'on voit s'affirmer un certain goût pour une vie plus individuelle. Un besoin nouveau d'intimité naît qui affleure dans les procédures judiciaires. Le sieur Vincent, écuyer, et sa mère, protestent avec force contre l'irruption brutale d'un voisin dans leur appartement : « Le domicile d'un citoyen, estiment-ils, […] doit être un asile assuré et ceux qui le violent doivent être punis suivant toute la rigueur des lois150. » Mathieu Luquet, marchand toilier, reproche à un revendeur de gages de s'être introduit chez lui « à une heure indue » sans y avoir été invité151. Pierre Buy, garçon jardinier, est rossé par son voisin. « Cette voie de fait est d'autant plus répréhensible, déclare-t-il, qu'elle a été commise dans le domicile de son maître où il devrait être en sûreté152.» Les exemples sont nombreux et montrent que les sensibilités sont en pleine mutation. Une soif de confort et d'intimité gagne l'ensemble de la société lyonnaise, relayée par les autorités judiciaires qui pénalisent de plus en plus sévèrement le viol du domicile d'autrui. L'évolution qualitative des bâtiments et des constructions cependant reste en deçà de ces aspirations et n'y répond encore que très imparfaitement.
105Le profil sociologique de ceux qui refusent de s'immiscer dans les affaires d'autrui peut être esquissé à partir du corpus des témoins. Il permet de mesurer les progrès de la civilité moderne et de vérifier s'il existe, entre catégories sociales, des différences sensibles d'attitudes ou de comportements.
Hommes | Femmes |
53 % | 47 % |
106De l'examen du tableau, il ressort tout d'abord que les ruptures de solidarité pratiquées au nom du refus d'ingérence ou du respect de la vie privée se vérifient dans toutes les couches de la société lyonnaise. L'affaneur Pierre Gros s'abstient d'intervenir sous le même prétexte que le bourgeois Claude Bourret ou que le négociant Étienne Joly, à savoir que « ce qui se passe chez les voisins ne le regarde pas »153. Une sensibilité commune émane des dépositions de témoins qui souligne un besoin accru de quiétude et d'intimité.
107En second lieu, et dans le prolongement de ce qui vient d'être dit, les membres des classes populaires et artisanales composent à elles seules 85,8 % du corpus (on notera tout particulièrement le pourcentage élevé des femmes salariées). C'est dire combien ils cherchent à fuir l'emprise contraignante de la collectivité. Impossible donc, à la lecture de ces chiffres, de conclure à un clivage quelconque ou à un décalage selon les milieux sociaux. Une aspiration générale se manifeste qui incline vers une plus grande liberté et un « individualisme des mœurs » renforcé. Cette évolution, certes, n'est pas encore achevée. Elle semble cependant se confirmer au cours des dernières années de l'Ancien Régime.
1776-1780 | 1781-1785 | 1786-1790 |
98 | 111 | 138 |
108Si la durée d'observation est trop courte pour pouvoir repérer le lent processus de modification des attitudes, le nombre de témoins rompant avec les attitudes traditionnelles d'ingérence et d'entremise ne cesse de croître : il augmente d'un tiers environ en l'espace de 15 ans. Ne s'agit-il pas d'un indice évident de « privatisation » et d’un besoin nouveau « d’isolement » au sens où l'entend Philippe Ariès154 ? Gagnant les catégories populaires après avoir conquis les élites sociales, la civilisation des mœurs élabore un modèle culturel nouveau qui se diffuse peu à peu. Au fil des générations, elle réussit à imprégner la société tout entière. Il lui faudra toutefois attendre les xixe et xxe siècles pour triompher et s'imposer définitivement au terme d'un long et chaotique mouvement d'acculturation des masses.
Notes de bas de page
1 Par exemple, Lebigre Arlette, La Justice du roi. La vie judiciaire dans l’ancienne France, Bruxelles Paris, Complexe, coll. « Historiques », 1995, p. 35-37.
2 Fayard, Essai sur l’établissement de la justice royale à Lyon, op. cit.
3 Cette expression, empruntée à Emmanuel Le Roy Ladurie, est citée par Lebigre, op. cit., p. 35.
4 ADR, BP 3436, 12 janvier 1777.
5 Le meilleur exemple est fourni par Corbin Alain dans son livre Le Monde retrouvé de Louis-Francois Pinagot, sur les traces d’un inconnu (1798-1876), Paris, Flammarion, 1998, p. 152-170.
6 ADR, BP 3455, 18 mai 1779.
7 ADR, BP 3478, 25 février 1782.
8 Castan Nicole, Jutice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, op. cit., p. 14.
9 ADR, BP 3454, 17 février 1779.
10 ADR, BP 3459, 4 octobre 1779.
11 Lebigre, op. cit., p. 273.
12 Vacher Marc, « Le Prix du mensonge : la subornation des témoins dans les procédures criminelles de la Sénéchaussée de Lyon (1776-1790) » dans Garnot Benoît, dir., Le Coût de la justice et l’argent des juges du xive au xixe siècle, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, coll. « Sociétés », 2005, p. 81-88.
13 Jousse Daniel, Nouveau commentaire sur l’ordonnance civile du mois d’avril 1667, op. cit., T. II, Titre XVIII, art. 1 et 2, p. 313-316.
14 Foucault Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèques des histoires », 1975, p. 39-47.
15 ADR, BP 3482, 18 septembre 1782.
16 ADR, BP 3517, 17 août 1787.
17 Sur la fonction des capitaines pennons voir Zeller, Les Recensements lyonnais de 1597 à1636, op. cit., p. 66-67.
18 ADR, BP 3458, 7 août 1779.
19 Sur les 45 réprimandes verbales dénombrées entre 1776 et 1790, 19 émanent du lieutenant de police ou du commandant, 12 proviennent des officiers de quartiers, 14 des commissaires. Peut-être faut-il voir dans cette répartition les effets d'un certain déclin des pennonages et la montée en puissance du lieutenant de police, sorte de « fonctionnaire municipal » nommé par la ville.
20 Castan, Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, op. cit., p. 17.
21 ADR, BP 3458, 14 août 1779.
22 Sur cette question, consulter Pourret Valérie, Filles-mères et amours illégitimes en Lyonnais, 1672 à 1790, 2 vol., mémoire de maîtrise sous la direction de F. Bayard, Université Lumière-Lyon 2, Centre Pierre Léon, 1996.
23 Troisième partie, chapitre 1.
24 ADR, BP 3485, 23 janvier 1783.
25 ADR, BP 3458, 14 août 1779.
26 ADR, B. P. 3521, 8 avril 1788.
27 ADR, BP 3481, 26 juillet 1782.
28 ADR, BP 3471, 10 mai 1781.
29 Farge Arlette, Foucault Michel, Le Désordre des familles, lettres de cachet des Archives de la Bastille, Paris, Gallimard, coll. « Archives », 1982, p. 28.
30 Farge, Foucault, op. cit., p. 31.
31 ADR, BP 3519, 1er décembre 1787.
32 ADR, BP 3477, 3 janvier 1782.
33 ADR, BP 3473, 28 août 1781.
34 ADR, BP 3520, 28 février 1788.
35 ADR, BP 3521, 8 avril 1788.
36 ADR, BP 3519, 1er décembre 1787 et BP 3475, 31 octobre 1781.
37 ADR, BP 3495, 11 septembre 1784.
38 ADR, BP 3464, 20 mai 1780.
39 ADR, BP 3464, 23 mai 1780.
40 ADR, BP 3436, 17 février 1777.
41 ADR, BP 3526, 10 octobre 1788.
42 ADR, BP 3508, 14 juillet 1786.
43 Jousse Daniel, Traité de la justice criminelle de France, T. IV, Paris, Debure, 1771, p. 2.
44 Sur le crime d’empoisonnement, cf. Jacquin Frédéric Nicolas, Affaires de poison. Les crimes et leurs imaginaires au xviiie siècle, Paris, Belin, coll. « Histoire et société », 2005.
45 ADR, BP 3520, 23 février 1788.
46 Garden, op. cit., p. 355-380.
47 ADR, BP 3537, 30 novembre 1790.
48 ADR, BP 3458, 2 septembre 1779.
49 ADR, BP 3458, 30 septembre 1779.
50 ADR, BP 3511, 2 décembre 1786.
51 Castan, Justice et répression en Languedoc, op. cit., p. 33.
52 Dans la seconde moitié du siècle, l'archevêque Antoine Malvin de Montazet (1758-1788) primat des Gaules, ami de Marmontel et de Bernis, membre de l'Académie française, se montre très attentif à la formation du clergé. Non seulement il modifie le cycle d'études au séminaire Saint-Irénée mais il dote aussi l'établissement d'un manuel, la Théologie de Lyon, qui se présente comme une somme des connaissances théologiques nécessaires aux futurs desservants. Il publie d'autre part un Catéchisme (1767), plusieurs fois réédité, qu'il veut accessible à un public large et que les curés adoptent rapidement.
53 ADR, BP 3457, 30 juillet 1779.
54 ADR, BP 3459, 4 octobre 1779.
55 Extraits du manuscrit de Christophe Sauvageon, prieur de Sennely, cité par Muchembled Robert, dans Société et mentalités dans la France moderne xvie-xviiie siècles, Paris, A. Colin, coll. « Cursus. Sociologie », 1990, p. 101.
56 Parmi les quelques exemples exhumés, on peut citer le cas du curé de la paroisse Saint-Paul, accusé d'avoir engrossé une jeune fille ou encore celui d'un clerc tonsuré qui fréquente avec assiduité les filles de joie. ADR, BP 3498, 19 février 1785 et BP 3507, 13 juin 1786.
57 Vernus Michel, Le Presbytère et la Chaumière. Curés et villageois dans l'ancienne France ( xviie et xviiie siècles), Comary, Togirix, coll. « Plaisir de l’histoire » 1986, p. 20.
58 Le diocèse de Lyon fait peu appel aux diocèses extérieurs et se pourvoit à 80 %. Jusqu'à la Révolution, le Forez reste la région qui fournit le plus de prêtres, cf. Gutton Jean-Pierre, Villages du Lyonnais sous la monarchie ( xve-xviiie siècles), Lyon, PUL, coll. « Publications du Centre d’Histoire Économique et Sociale de la Région Lyonnaise », 1978, p. 66.
59 ADR, BP 3457, 23 juillet 1779.
60 ADR, BP 3481, 26 juillet 1782.
61 ADR, BP 3521, 8 avril 1788.
62 Castan, Justice et répression en Languedoc au siècle des Lumières, op. cit., p. 41.
63 Dans la seconde moitié du siècle, les monastères masculins perdent 40 % de leurs effectifs, les couvents féminins 30 %. Trenard, op. cit., p. 81.
64 Gutton Anne-Marie, Confrérie et dévotion sous l’Ancien Régime : Lyonnais Forez, Beaujolais, Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, coll. « Racines pour notre temps », 1993, p. 35-54.
65 Caractéristique de ce désordre processionnel, la mésaventure arrivée à l'épouse d'un bourgeois, la femme Regard : pendant la procession des Rogations, elle est gravement insultée par une voisine qui lui reproche d'être « une bigote », une « escroqueuse », une « voleuse » puis lui souhaite « de rester aussi longtemps à l'agonie qu'elle lui a volé de sols et de liards ». ADR, BP 3471, 28 mai 1781. Si de telles injures, proférées en pleine cérémonie, entraînent la réprobation du public, outré par le scandale de ce comportement, elles témoignent cependant d'une certaine déprise de la religion, d'autant que ce type de scène a tendance à se multiplier.
66 ADR, 10 G 3781, 2 juillet 1783.
67 ADR, BP 3516, 9 juin 1787.
68 Sur le côté spectaculaire de la justice et la mise en scène des exécutions publiques, voir Muchembled Robert, Le Temps des supplices. De l’obéissance sous les rois absolus, xve-xviiie siècle, Paris, A. Colin, 1992, p. 81-125.
69 ADR, BP 3455, 19 mai 1779.
70 ADR, BP 3436, 4 février 1777.
71 ADR, BP 3481, 27 juillet 1782.
72 ADR, BP 3454, 4 mars 1779.
73 Shorter Edward, Naissance de la famille moderne, xviii-xxe siècle, Paris, Seuil, coll. « Points. Histoire », 1977, p. 76 et suivantes.
74 Ripa Yannick, Les Femmes, actrices de l'histoire, France 1789-1945, Paris, Sedes, coll. « Campus histoire », 1999, p. 12.
75 ADR, BP 3482, 29 octobre 1782.
76 ADR, BP 3458, 3 septembre 1779.
77 Rappelons les propos de Jean-Jacques Rousseau évoquant Lyon dans ses Confessions : « j’ai toujours regardé cette ville comme celle de l’Europe où règne la plus affreuse corruption ».
78 Grimmer Claude, La Femme et le Bâtard, Amours illégitimes et secrètes dans l'ancienne France, Paris, Presses de la Renaissance, coll. « Histoire des hommes », 1983, p. 49 et suivantes.
79 Mercier, op. cit., p. 127.
80 Rétif de la Bretonne Nicolas-Edme, Le Pornographe ou Idées d’un honnête homme sur un projet de règlement pour les prostituées, propres à prévenir les malheurs qui occasionnent le publicisme des femmes, Londres, J. Nousse, 1770.
81 Cité par Grimmer, op. cit., p. 79.
82 Grimod de la Reynière, op. cit., p. 9.
83 Laurès Pierre, Supplément aux Lyonnais dignes de mémoire, Lyon, Martin Frettagolet, 1757, p. 13-14.
84 Cité par Maurepas Arnaud de, Brayard Florent, dans Les Français vus par eux-mêmes. Le xviiie siècle. Anthologie des mémorialistes du xviiie siècle, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », 1996, p. 547.
85 ADR, BP 3455, 1er juin 1779.
86 ADR, BP 3536, 12 juillet 1790.
87 ADR, BP 3472, 11 juin 1781.
88 ADR, BP 3511, 30 novembre 1786 ; 3479, 9 mai 1782 ; 5 mars 1782.
89 ADR, BP 3481, 15 juillet 1782.
90 ADR, BP 3523, 18 juin 1788.
91 ADR, BP 3519, 16 novembre 1787.
92 Mercier, op. cit., p. 128 : Omme malum ab urbe.
93 ADR, 11 G 301, 25 janvier 1776.
94 Bonnefoi Régine, Adamo Sandra, Prost Emmanuel, La Délinquance féminine à Lyon, 1600-1791, 2 vol., mémoire de maîtrise sous la direction de F. Bayard, Université Lumière-Lyon 2, Centre Pierre Léon, 1988, p. 212-216.
95 ADR, BP 3511, 30 novembre 1786.
96 Benabou Erica-Marie, La Prostitution et la police des mœurs au xviiie, Paris, Librairie Académique Perrin, 1987, p. 460.
97 ADR, 11G 301, 25 janvier 1776.
98 Gutton Jean-Pierre, La Société et les pauvres. L’exemple de la généralité de Lyon, 1534-1789, Paris, Les Belles lettres, coll. « Bibliothèque de le Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Lyon », 1971, p. 101.
99 Benabou, op. cit., p. 445.
100 Brackenhoffer, op. cit., p. 224.
101 Dans son Traité de justice criminelle de France, op. cit., T. III, p. 273, Daniel Jousse reconnaît expressément le peu d’empressement de la justice à lutter contre la prostitution.
102 Gutton, La Société et les Pauvres, op. cit., p. 104, note 106.
103 Carle docteur, dir., Histoire de l'hôpital de la Charité de Lyon, Lyon, Andru, 1934, p. 279.
104 ADR, BP 3472, 11 juin 1781.
105 ADR, BP 3479, 5 mars 1782.
106 ADR, BP 3479, 9 mai 1782
107 ADR, BP 3472, 11 juin 1781.
108 Van Gennep, op. cit., p. 527-532.
109 Suspecté de vouloir jeter le ridicule sur le mariage, le charivari est considéré comme un « cas royal » par l'article 11 de l’ordonnance de 1670. Le Consulat l'interdit par l'ordonnance du 7 septembre 1729, article XV (FF 09, Arch. comm. Lyon, 7 septembre 1729). L'Église le condamne sévèrement dans ses statuts synodaux (statuts synodaux de Lyon de 1321, 1326, 1577) : cf. Lebrun François, Croyances et cultures dans la France d’Ancien Régime, Paris, Seuil, coll. « Points. Histoire », 2001, p. 146-147.
110 Duby, dir., Histoire de la France urbaine, op. cit., p. 182.
111 Arch. comm. Lyon, FF 050, 25 mai 1777.
112 Ariès, Duby, dir., Histoire de la vie privée, op. cit., T. III, p. 43.
113 Une bonne présentation des différents points de vue dans Le Goff Jacques, Schmitt Jean-Claude, dir., Le Charivari, Actes de la table ronde organisée à Paris du 25 au 27 avril 1977 par l'École des Hautes Études en Sciences Sociales et le Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, EHESS, 1981.
114 Lévi-Strauss Claude, Mythologiques. Le Cru et le Cuit, Paris, Plon, 1964, p. 343-344.
115 ADR, BP 3531, 18 août 1789.
116 ADR, BP 3455, 19 mai 1779.
117 Darnton Robert, Le Grand Massacre des chats. Attitudes et croyances dans l'ancienne France, Paris, R. Laffont, coll. « Les Hommes et l’histoire », 1985, p. 75-99.
118 Ibid., p. 82.
119 Ibid., p. 83.
120 Ibid., p. 83.
121 Le Roy Ladurie Emmanuel, Le Carnaval de Romans. De la Chandeleur au mercredi des Cendres, 1579-1580, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1979 ; Bercé Yves-Marie, Fête et Révolte. Des mentalités populaires du xvie au xviiie siècle, Paris, Hachette, coll. « Le Temps des hommes », 1976 ; Bakhtine Mikhaïl, L’Œuvre de Rabelais et la culture populaire au Moyen âge et sous la Renaissance, Paris Gallimard, coll. « Tel », 1985.
122 ADR, BP 3484, 1er juillet 1782.
123 Thiers Jean-Baptiste, Traité des jeux et des divertissements qui peuvent être permis ou qui doivent être défendus aux Chrétiens selon les règles de l’Église et le sentiment des pères, Paris, A. Dezallier, 1686.
124 Supplément à l'Encyclopédie ou dictionnaire des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de lettres, T. III, Amsterdam, M. Rey, 1776, p. 330.
125 Le Goff, Schmitt, dir., op. cit., p. 209.
126 ADR, BP 3483, 21 décembre 1782.
127 ADR, BP 3466, 7 juillet 1780.
128 ADR, BP 3533, 8 novembre 1789.
129 Gutton, La Société et les Pauvres, op. cit., p. 93-121.
130 ADR, BP, 3517, 10 août 1787.
131 ADR, BP 3453, 27 janvier 1779.
132 ADR, BP 3510, 28 octobre 1786.
133 ADR, BP 3480, 19 juin 1782.
134 ADR, BP 3453, 12 janvier 1779.
135 ADR, BP 3455, 29 avril 1779.
136 ADR, BP 3436, 10 février 1777.
137 Farge, Vivre dans la rue, op. cit., p. 193-207.
138 ADR, BP 3454, 17 février 1779.
139 ADR, BP 3459, 12 octobre 1779.
140 ADR, BP 3466, 1er juillet 1780.
141 ADR, BP 3458, 20 septembre 1779.
142 ADR, BP 3454, 29 mars 1779.
143 ADR, BP 3453, 27 janvier 1779.
144 ADR, BP 3465, 28 juin 1780.
145 ADR, BP 3466, 21 juillet 1780.
146 Ariès, Duby, dir., Histoire de la vie privée, T. III, op. cit., p. 16.
147 ADR, BP 3523, 23 mai 1788.
148 ADR, BP 3537, 30 novembre 1790.
149 ADR, BP 3510, 26 octobre 1786.
150 ADR, 11 G 301, 7 mai 1776.
151 ADR, BP 3436, 2 janvier 1777.
152 ADR, BP 3469, 29 janvier 1781.
153 ADR, BP 3462, 23 janvier 1780 ; BP 3503, 2 novembre 1785 ; BP 3494, 17 juillet 1784.
154 Ariès Philippe, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique », 1973, p. 451 et suivantes.
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