Chapitre 2. « Habiter la ville »
p. 63-104
Texte intégral
1Au-delà des définitions, des lois et des règlements, le voisinage compose une réalité vivante qu’incarnent des hommes et des femmes dotés d’une identité propre et d’un comportement spécifique. Plusieurs milliers d’entre eux ont laissé leur trace dans les procédures judiciaires, suite à quelque affaire portée en justice. Pour en dresser la liste, il suffit de sélectionner les membres du voisinage, c’est-à-dire toutes les personnes qui vivent au sein d’un même immeuble, d’une même rue ou d’un même quartier. En résulte un échantillon au volume significatif qui renseigne sur l’état civil, la profession et l’adresse d’une foule de voisins, plaignants, accusés ou simples témoins. Ces informations sont d’autant plus précieuses qu’à la fin du siècle aucune source n’existe qui procède au comptage systématique des populations lyonnaises. Les recensements les plus récents datent de 1709 et de 1746, la qualité de ce dernier se révélant être particulièrement médiocre1. Le dépouillement des archives criminelles permet donc d’esquisser une topographie urbaine qui témoigne à la fois du dynamisme de certains secteurs de la ville et des différentes formes de ségrégation spatiale.
2La tâche est d’autant plus aisée que le préambule des plaintes, des interrogatoires et des témoignages renferme le nom des rues, des paroisses et, indirectement, des quartiers où résident les voisins. Certes, en l’absence de numérotation, l’identification des maisons est parfois difficile à faire. Il faudrait, pour localiser avec précision chaque habitation, connaître le nom du propriétaire de l’immeuble – lequel est rarement mentionné dans les procédures – et le confronter avec d’autres documents, les rôles de la contribution foncière, par exemple, qui fournissent une connaissance précieuse des immeubles lyonnais. En effet, jusqu’au décret impérial de 1805 qui systématise l’emploi des numéros, l’espace urbain n’est ni quadrillé ni borné. L’étranger fait appel au voisin pour trouver son chemin ou pour découvrir une adresse. Malgré ce manque de précision cependant, localiser le foyer des voisins ne présente guère de difficultés pour l’historien. Au pire, quelques adresses peuvent rester en suspens. Dans quel quartier, par exemple, ranger la grande rue Longue, qui traverse deux quartiers ou bien la rue Grenette, qui en traverse trois ? Ce type de situation, heureusement, demeure marginal. Pour procéder à un classement précis, on opérera simplement un tri rigoureux en éliminant du corpus toutes les adresses litigieuses.
3Où ces femmes et ces hommes résident-ils ? Dans quelle partie de la cité ont-ils élu domicile ? En regroupant l’adresse de 1 752 plaignants et de 2 913 témoins, l’échantillon, par son ampleur, permet de dégager plusieurs aspects de la topographie urbaine. Il livre quelques-unes de ses caractéristiques à la veille de la fracture révolutionnaire.
4Outre l’adresse, les procédures contiennent également l’activité professionnelle du voisin. Par l’examen combiné du métier exercé et de la domiciliation, il est donc possible d’enquêter sur le découpage socio-urbain de la cité. Comment celui-ci se présente-t-il ? Quel type de ségrégation met-il en évidence à l’échelon de la ville, du quartier, de la maison ? Autant de questions que l’analyse de l’échantillon doit permettre de débrouiller.
5Les archives judiciaires offrent aussi des éléments d’information susceptibles d’enrichir la connaissance du logement urbain et des modes d’habitation. En effet, dans quelques plaintes ou dans certains témoignages, se glissent parfois des indications relatives à l’organisation de l’espace habité. Certes, les renseignements sont rares et de qualité trop inégale pour permettre une approche quantitative ou statistique. On ne saurait, par exemple, la comparer aux inventaires après décès dont l’exploitation a permis des avancées décisives sur « l’art de se loger ». Reste que certaines indications sont précieuses et qu’elles enrichissent la connaissance des « manières d’habiter » dans la cité lyonnaise.
6À partir de l’échantillon et des renseignements contenus dans les procédures, il est donc possible d’esquisser un tableau qui rende compte à la fois de l’organisation socio-spatiale de la ville, des conditions de logement et des structures professionnelles de la population lyonnaise. La société des voisins cesse d’être une abstraction pour devenir un groupe d’hommes et de femmes identifiés, aux statuts et aux conditions de vie différenciés. Derrière le découpage territorial urbain, le mode d’occupation des maisons et la diversité des activités professionnelles, s’ordonne toute une partie des rapports à l’espace qu’il convient de clarifier.
7Reste à évaluer le degré d’enracinement du voisin dans son quartier. Les vingt-huit quartiers (ou pennonages) de la ville parviennent-ils à retenir et à fixer durablement ses membres ? La sédentarité demeure-telle le modèle dominant d’une cité en pleine expansion alors qu’affluent vers elle quantité de migrants ? Dans les faits, le voisinage présente le visage contrasté d’une communauté où cohabitent des individus durablement installés et d’autres beaucoup plus mobiles. L’historien de Lyon, attentif à la façon dont se tisse la trame des relations entre voisins, doit prendre la mesure de ce contraste. Il lui faut pouvoir apprécier les allées et venues qui ébranlent la maisonnée et qui modifient son équilibre. N’induisent-elles pas en effet un type de sociabilité spécifique dont les modes et les formes composent le cœur de l’enquête ?
I – ESQUISSE D’UNE TOPOGRAPHIE URBAINE ET SOCIALE
8Entre 1776 et 1790, les archives des tribunaux lyonnais conservent la trace de 4 665 voisins – accusés, plaignants, témoins – domiciliés à l’intérieur de la ville. L’examen de leur adresse et de leur profession permet d’esquisser une véritable topographie socio-urbaine de la cité.
1. Les espaces de la ville
9Les foyers dont l’échantillon renferme les adresses se répartissent de manière très inégale. Deux secteurs de la ville, aux limites bien définies, se dégagent : ce sont la rive droite de la Saône, d’une part, la presqu’île d’autre part.
10En totalisant 19 % des foyers seulement, la rive droite de la Saône apparaît d’emblée comme la partie de la cité la moins souvent mentionnée dans les plaintes. 1 324 plaignants, accusés et témoins y sont domiciliés alors qu’ils sont quatre fois plus nombreux à demeurer sur l’autre rive. Ce déséquilibre n’est pas le fait du hasard. Il renvoie au déclin du vieux noyau médiéval amorcé dès la fin du xvie siècle. Le « côté Fourvière » s’est assoupi. Il ne constitue plus le secteur économique et social prééminent qu’il était encore à l’aube des Temps modernes et dont Richard Gascon a mesuré l’opulence à partir des Nommées de 15452. Si les abords de l’église Saint-Paul, de la cathédrale Saint-Jean, de la Loge du Change restent malgré tout des zones actives, le cœur de la ville, désormais, bat dans la presqu’île. Le centre des activités se situe entre les deux fleuves, là où l’entassement voisine les 1 000 habitants à l’hectare. Cet essor se trouve d’ailleurs confirmé par l’expansion spatiale de la presqu’île et par la création de nouveaux îlots d’habitations : Saint-Clair au nord des Terreaux, Perrache au sud de Bellecour, en cours de réalisation à la fin du siècle.
11D’autres éléments de la topographie urbaine se dégagent de l’examen des adresses des voisins. Ils concernent la géographie des quartiers et des rues.
12Contrairement à la paroisse, le quartier constitue un espace aux dimensions restreintes3. À la fin du siècle, Lyon intra-muros en compte 28. Huit sont échelonnés sur la rive droite de la Saône, vingt répartis entre les fleuves4. Les quartiers (ou pennonages) de la presqu’île sont taillés de façon très irrégulière. Les plus petits sont localisés dans les zones fortement peuplées du centre. Les plus vastes, au contraire, coïncident avec les secteurs de moindre densité. Dans l’esprit des autorités, il s’agit en effet de répartir la population lyonnaise de manière à ce que chaque quartier – qui compose aussi une unité de milice – dispose d’effectifs suffisants pour monter la garde. C’est pourquoi le nombre et la délimitation des quartiers ont changé plusieurs fois au cours des siècles.
13Pour mieux localiser les voisins, on s’aidera du plan de Clair Jacquemin (1747), sur lequel l’auteur a pris soin de tracer les 28 quartiers de la ville. Simplifié et réduit aux seules limites des pennonnages, il souligne le poids démographique des quartiers centraux, de dimension restreinte.
14Si la carte souligne l’écrasante suprématie de la presqu’île, elle met aussi en évidence l’existence de quatre grands ensembles qui regroupent la majorité des foyers. Ce sont, par ordre d’importance, les secteurs des Terreaux, de Saint-Nizier, des Cordeliers et des Jacobins.
15Autour de la place des Terreaux se dessine un premier ensemble composé des quartiers Saint-Vincent (10), du Griffon (3), du Plâtre (24) et des Terreaux (25). À eux seuls, ils représentent le quart des foyers de l’échantillon. Aux abords de l’église Saint-Nizier, ce « grand vaisseau » selon l’expression de Clapasson, les pennonages de la rue Tupin (20), de la Pêcherie (18), de la place Saint-Pierre (19) forment un second groupe. Ils sont établis dans la paroisse la plus vaste de Lyon, là où la densité humaine atteint son maximum. Les quartiers de la Croisette (9), de la rue Neuve (8), de la rue Buisson (15), du Plat d’Argent (27) et de Bonrencontre (13) jouxtent l’église Saint-Nizier. Ils constituent un troisième ensemble, tourné surtout vers le Rhône et ses activités fluviales. Enfin, une dernière série de pennonages ceinture la place Confort dont on sait qu’elle est de forme triangulaire et marquée en son milieu par une pyramide. Ce sont le Port du Temple (16), Louis-le-Grand (23), l’Hôpital (21), la place Confort (1), la rue Thomassin (4), la rue Bellecordière (5). De taille inégale – le quartier Bellecour s’étend jusqu’à Ainay alors que celui de la rue Thomasin ne couvre que trois rues – ils réunissent près de 15 % des adresses consignées dans les procédures.
16Sur la rive droite de la Saône, du côté de Fourvière, quatre quartiers font preuve d’un certain dynamisme : Pierre-Scize (26) et le Change (2), à proximité de l’église Saint-Paul, le Gourguillon (22) et Saint-Georges (7), au sud de la cathédrale. Deux autres, au contraire, semblent être passablement engourdis : la Place Neuve (14) et le port Saint-Paul (12). De tous les pennonages, ce sont les moins souvent cités par les plaignants, les accusés ou les témoins, comme lieu de résidence. Sans doute faut-il y voir les signes d’un authentique déclin alors que ces secteurs étaient forts actifs cent cinquante ans auparavant.
17L’examen des adresses consignées dans les procédures permet d’aller plus avant et de dresser une véritable liste des rues de Lyon. Si l’on y ajoute les places, les quais et les culs de sac, ce sont les noms de 273 artères qui sont avancés. L’orthographe de certaines d’entre elles est parfois fantaisiste. D’autres peuvent recevoir plusieurs noms. Dans l’ensemble, les voies les plus souvent rapportées sont aussi les plus longues et traversent les quartiers fortement peuplés.
18Si l’on ne retient que les artères dont le nom est mentionné cinquante fois, au moins, un véritable circuit s’esquisse, qui serpente à travers les rues de la ville.
19Dans la presqu’île, l’axe principal, emprunte la rue Bourgchanin, la rue de l’Hôpital puis rejoint la place Confort (ou des Jacobins). Il suit ensuite la rue Mercière, véritable « allée marchande » en dépit de son étroitesse5. De là, l’itinéraire gagne la Saône. Il longe les quais de la rivière, chemine à travers la rue de la Pêcherie et achève sa course dans le quartier Saint-Vincent. Sur cet axe majeur se greffent de nombreuses voies secondaires. Au sud de l’église Saint-Nizier, les rues Thomassin, Tupin, Ferrandière coupent la rue Mercière à angle droit. Au nord, les rues du Bessard et de la Platière se raccordent à la rue de la Pêcherie. Quant à la place des Terreaux et à celle des Carmes, elles s’ouvrent sur les quartiers neufs de la Grande-Côte et du Griffon que sillonnent la montée de la Grande-Côte, le quai Saint-Clair, la rue des Feuillants, sans oublier la rue Royale que les urbanistes ont voulue large et aérée.
20Du côté de Fourvière, les rues Saint-Georges, Saint-Jean, Juiverie et Puits-du-sel composent un second tracé. Elles relient la porte Saint-Georges et le quartier de Pierre-Scize avant de franchir la porte de Vaise et de gagner la Bourgogne. Cette artère, parallèle à la Saône, se rattache aussi aux quartiers centraux de la presqu’île grâce à cinq points de franchissement : le vieux pont de pierre bâti face à la place du Change et à Saint-Nizier, ainsi que quatre passerelles en bois et sur pilotis, les ponts d’Ainay, de l’Archevêché, Saint-Vincent et d’Halincourt6.
21L’examen des adresses permet de distinguer des espaces actifs et agités. Il révèle aussi un certain découpage social de la ville.
2. Topographie urbaine
22À partir de la profession déclarée des plaignants, des accusés et des témoins, il est possible d’ébaucher une géographie sociale de la cité lyonnaise. Pour mieux appréhender les formes de ségrégation qui peuvent exister à l’échelon du quartier ou de la rue, il suffit de répartir, par grands secteurs d’activités, les 4665 hommes et femmes qui composent l’échantillon. La classification adoptée ici est celle que propose Maurice Garden dans sa thèse, Lyon et les Lyonnais au xviiie siècle7. Elle partage la société lyonnaise en plusieurs groupes professionnels au sein desquels coexistent des métiers de nature très différente. De l’avis même de l’auteur, cette division est imparfaite car elle ne rend pas compte de l’extrême complexité des structures socio-économiques. Elle dissimule notamment tous ces groupes charnières, à cheval entre plusieurs catégories professionnelles et, donc, difficiles à répartir. Cette classification, néanmoins, a le mérite de présenter de façon commode et cohérente les grands ensembles catégoriels que renferme la ville. Six grands groupes sont ainsi proposés : les journaliers et les domestiques, les artisans, les membres des arts libéraux et les commis, les négociants et les marchands, les bourgeois et les nobles, les femmes, enfin, quand elles exercent une activité professionnelle autonome.
23Les journaliers et les domestiques – quelque peu sous-estimés dans l’échantillon – constituent une masse de travailleurs pauvres et sans qualification. Nés le plus souvent en dehors de Lyon, les deux tiers d’entre eux proviennent des provinces voisines du Lyonnais ou du Dauphiné8. Beaucoup quittent leur village sans avoir appris le moindre métier et gagnent la cité dans l’espoir d’y trouver un travail. Les autorités municipales et les maîtres de métier témoignent à leur égard d’une certaine libéralité. Ils les laissent s’établir à Lyon sans trop de réticences. De fait, leur absence de spécialisation les empêche de rivaliser avec les artisans ou de les concurrencer. On les retrouve en différents endroits de la ville, occupés comme « manœuvres » sur les chantiers de Perrache ou comme ouvriers dans les manufactures textiles. D’autres s’engagent sur les ports ou à la douane pour décharger les bateaux et livrer des chargements dans les maisons bourgeoises de la ville : ce sont les affaneurs, nommés aussi crocheteurs ou, plus rarement, portefaix9. Quelques-uns, enfin, se consacrent aux multiples petits métiers sans qualification et sans réglementation tels que le colportage, la revente de fruits et d’herbages, la coupe de bois, le transport en chaise ou encore la domesticité. Ensemble, ils composent le « menu peuple » et exercent une activité qui n’est pas un « art » dans la mesure où elle n’est sujette à aucun apprentissage. À ce titre, ils forment un groupe méprisé des autres classes populaires10.
24Le groupe des artisans comprend les membres des nombreuses communautés d’art et de métiers de la ville11. On y trouve des travailleurs spécialisés qui ont accompli de nombreuses années d’apprentissage avant d’exercer leur métier. Trois types d’activité arrivent largement en tête : la fabrique des étoffes de soie (elle totalise 38,3 % des artisans selon Maurice Garden), l’habillement (15,7 %), la chapellerie (8,6 %). Puis viennent les métiers du bâtiment, de la chaussure, de l’alimentation, du travail du métal, de la tannerie, de l’orfèvrerie, de l’imprimerie etc.12 Au total, plus de 200 professions sont répertoriées qui relèvent du secteur artisanal. Ces activités, toutefois, ne connaissent pas toutes la même organisation. Les ouvriers en soie, par exemple, ou les fabricants de gaze travaillent à domicile et restent entièrement dépendants des marchands qui écoulent leur marchandise13. Les chapeliers, les corroyeurs ou les teinturiers exercent au contraire dans des manufactures où cohabitent, en moyenne une quarantaine d’ouvriers14. Leur situation évoque plutôt l’ouvrier de l’ère industrielle que l’artisan d’Ancien Régime. Quant aux professionnels de l’alimentation – les boulangers, pâtissiers, charcutiers, rôtisseurs – ils ont pour unité de travail leur boutique et disposent d’une main-d’œuvre avant tout familiale. Ainsi, le monde de l’artisanat lyonnais présente-t-il les visages les plus divers. La variété des statuts et du mode d’organisation des métiers lui ôte toute homogénéité véritable, ce qu’il faut souligner quand on sait qu’il représente plus de 60 % de la population active à la veille de la Révolution15.
25La catégorie des « professions libérales » forme, elle aussi, un ensemble hétérogène qui ne se rattache ni au monde de l’atelier ni à celui de la manufacture ou du grand commerce. Elle regroupe aussi bien les maîtres d’écoles, les artistes que les membres des professions médicales, les huissiers, les avocats, les employés qui travaillent au service d’un négociant… bref, toutes sortes de métiers extrêmement différents. Quatre groupes principaux peuvent être distingués. Les titulaires d’offices de judicature et les hommes de loi composent un premier ensemble. Ils sont entourés d’une foule de clercs et d’étudiants en droit qui attendent l’occasion d’acheter une charge. Les commis des négociants, les teneurs de livres et les dessinateurs en constituent un second. À noter que ces derniers sont indispensables à la bonne marche et au renom de la Fabrique des étoffes de soie. Les enseignants, les instituteurs, les comédiens et les musiciens forment une troisième catégorie au niveau de vie plutôt modeste. Enfin sont à classer parmi les activités libérales toutes celles qu’exerce le corps médical, les médecins et les chirurgiens notamment. Ces professionnels de la santé connaissent des situations très variables qui oscillent selon leur renommée et la qualité de leur clientèle.
26Les marchands et les négociants constituent un milieu social disparate bien que globalement aisé. Les premiers comprennent les marchands-fabricants qui dominent la Fabrique ainsi que les membres des quatre corps marchands de la ville : les merciers, les drapiers, les toiliers et les épiciers. Se désignent parfois aussi comme marchands, les colporteurs, les fruitiers, les herbagers ou les marchands de fromages qui déposent leurs étals le long des places ou des rues. Leur richesse, toutefois, reste très relative et s’apparente plutôt à celle des journaliers et des petits métiers non spécialisés qu’à celle des commerçants. La catégorie des négociants, quant à elle, n’est intégrée à aucune corporation. Lui est ordinairement adjointe celle des banquiers, les deux activités ne se trouvant jamais dissociées à l’époque moderne. Elle évolue en dehors des corps de métiers et compose un groupe puissant, influent et souvent fortuné. On connaît, par exemple, la richesse des frères Courajod, domiciliés dans le quartier Saint-Clair ou encore celle de Charles Sériziat, le plus important des marchands de blé du quai Saint-Vincent16. Les travaux de Maurice Garden, toutefois, ont nuancé cette vision. Si la spéculation ou le profit permettent de réaliser des fortunes considérables, la croissance économique reste fragile et personne n’est à l’abri d’un revers de fortune. D’autre part, la classe des marchands et des négociants comprend en son sein une foule de petits revendeurs dont les revenus demeurent bien incertains.
27Par commodité, les bourgeois et les nobles sont regroupés dans une seule et même catégorie. Les premiers sont le plus souvent des hommes retirés des affaires, des négociants ou des officiers de justice, bourgeois par leur propriété et par leur « droit de bourgeoisie » qu’ils ont acquis en se faisant inscrire sur le registre des Nommées. On notera chez eux l’existence de nombreuses femmes – des veuves surtout – qui vivent modestement dans leur maison bien que, parfois, elles disposent de revenus fonciers confortables17. Si, en règle générale, la bourgeoisie vit dans une relative aisance, son niveau de fortune cependant semble bien faible comparé à celui des nobles. Ces derniers, pourtant, sont peu nombreux à Lyon. Anoblis depuis peu de temps grâce à l’exercice du Consulat ou à l’acquisition de certains offices, ils se distinguent par leur prospérité et leur niveau de vie. Deux tiers d’entre eux possèdent un hôtel particulier auquel s’ajoutent parfois des maisons de rapport. L’origine récente et souvent modeste des nobles n’a donc pas empêché l’ascension sociale de ce groupe très minoritaire qui possède, à la veille de la Révolution, des ressources considérables. Les Tolozan, d’Albon, Nicolas de Montribloud et consorts en sont l’illustration la plus éclatante.
28Les métiers féminins tiennent une grande place dans la cité lyonnaise. Leur importance a été soulignée par les historiens pour qui ils représentent 11 %, au moins, de la population active18. Encore, ne sont comptabilisées ici que les femmes qui déclarent exercer une profession autonome, à l’exception, donc, de toutes celles qui travaillent en association avec leur époux dans les ateliers de fabrication ou derrière le comptoir d’une boutique. Certaines d’entre elles, venues des villages avoisinants, deviennent domestiques chez un particulier ou servantes dans une boutique. D’autres s’engagent dans la Fabrique pour préparer le travail des métiers ou aider au tissage : ce sont les tireuses de cordes, les plieuses, les ourdisseuses ou les dévideuses19. D’autres encore travaillent pour les marchands de la ville, les négociants ou les tailleurs comme brodeuses, dentelières, couturières, blanchisseuses. Quelques-unes enfin se font embaucher dans les manufactures textiles qui parsèment la ville ou dans les manufactures de chapeaux pour y effectuer des tâches difficiles. Elles s’activent aux côtés d’autres travailleurs masculins et exercent les métiers d’ouvrières cardeuses, de déjareuses ou de garnisseuses. Quel que soit le métier, le travail, commencé jeune, se poursuit souvent la vie entière20. Célibataires, mariées ou veuves, les femmes interrompent rarement leur activité21. La mort du mari, toutefois, peut avoir des conséquences dramatiques. Pour survivre, il leur faut parfois s’associer et travailler en chambre avec quelques compagnes d’infortune, à moins que la revente de fruits et de légumes ne leur permettent de subsister misérablement.
29À partir de cette classification, il est possible d’esquisser la composition socioprofessionnelle des plaignants, des accusés et des témoins dont il est fait mention dans les procédures criminelles. L’échantillon, on l’a dit, contient le nom de 4 665 personnes. 3 276 d’entre elles déclarent exercer un métier, soit un Lyonnais sur 45.
Catégories professionnelles | % de la population salariée |
Journaliers et domestiques | 10 % |
Artisans | 46,5 % |
Professions libérales | 9,3 % |
Marchands-Négociants | 14,6 % |
Nobles et Bourgeois | 6 % |
Professions féminines | 14,5 % |
30Reste à savoir si la liste des voisins est représentative de l’ensemble de la population lyonnaise et susceptible d’être utilisée pour examiner la partition de la ville. À cet égard, la comparaison avec les chiffres avancés par Maurice Garden est éclairante car elle permet de confronter les résultats. Le dépouillement des 3 sections de la contribution mobilière à partir desquelles l’auteur dresse la composition socioprofessionnelle de la société lyonnaise se présente comme suit :
Catégories professionnelles | % de la population salariée |
Journaliers et domestiques | 16,1 % |
Artisans | 43,6 % |
Professions libérales | 5 % |
Marchands-Négociants | 7,8 % |
Nobles et Bourgeois | 15,8 % |
Professions féminines | 11,7 % |
31Les écarts les plus significatifs concernent les journaliers, les négociants, les nobles et les bourgeois. Entre les autres catégories socioprofessionnelles, les pourcentages diffèrent assez peu. Plusieurs explications sont possibles pour rendre compte de ces variations. Tout d’abord, les sources à partir desquelles est établie la liste des voisins – les archives criminelles – sont évidemment biaisées : comme chacun ne se porte pas en justice, l’échantillon reflète donc imparfaitement la société lyonnaise. En second lieu, le recours aux tribunaux est loin d’être une pratique unanime et systématique. Les journaliers préfèrent souvent s’adresser à un tiers pour trouver un accommodement. Ils éviteront ainsi d’engager un procès qui peut se révéler long et coûteux. À l’inverse, les négociants et les marchands saisissent volontiers la justice quand il s’agit de laver leur honneur bafoué. Leur réputation en effet ne compose-t-elle pas le fondement même de leur réussite ? Quant aux nobles et aux bourgeois, leur sous-représentation dans les archives criminelles est un phénomène bien connu que les historiens ont souvent souligné22. Ces réserves étant faites, la liste des voisins présente un éventail suffisamment vaste de la société lyonnaise pour pouvoir mettre en lumière les continuités et les discontinuités de la topographie urbaine.
32Avant tout, l’impression qui domine en examinant la composition sociologique de la cité lyonnaise est celle d’un milieu urbain fortement différencié. Les six catégories socioprofessionnelles en effet sont présentes et dispersées dans tous les secteurs de la ville. Globalement, les quartiers apparaissent comme des unités territoriales socialement composites, ce qui n’exclut pas cependant l’existence de pennonages plus typés socialement. Ainsi Saint-Vincent abrite 23 % de journaliers, le Port Saint-Paul 40 % – des colporteurs ou des gens des rivières en règle générale qui travaillent sur les berges de la Saône – Bellecordière 23 %. Les quartiers qui bordent le Rhône – la rue de l’Hôpital, Bonrencontre, Rue Neuve, le Plâtre – mais aussi ceux qui longent la Saône – le Port du Temple, rue Tupin, la Pêcherie – logent plus de 20 % de femmes salariées, souvent des veuves ou des célibataires peu fortunées. Pierre-Scize compte 62 % d’artisans – des ouvriers en soie pour la plupart – Saint-Georges et la rue de l’Hôpital 58 %, le Plat d’argent 55 %23. La Place Neuve concentre, à elle seule, 32 % de voisins exerçant une activité libérale. Quant au Griffon, il connaît une forte concentration de marchands ou de négociants (34 %), nombreux à venir s’installer dans cet espace résidentiel.
33Cependant, à côté de ces pennonages marqués par la présence de quelques catégories socioprofesssionelles, il en existe d’autres, beaucoup plus disparates, où règne une certaine forme « d’interclassisme ». À la Grande-Côte, dans les quartiers de la rue Neuve et du Change, à Saint-Nizier et aux Terreaux, par exemple, se côtoient des populations bigarrées qui exercent les activités les plus diverses : ouvriers de la soie, de la passementerie, de la futainerie, domestiques, garde-malades, lavandières, cordonniers, lingères, teneurs de livres, architectes, perruquiers, travailleurs du bâtiment, chirurgiens, marchands, bourgeois… ; tous partagent le même horizon géographique. La société des voisins apparaît ici comme un véritable creuset où se regroupent des individus au profil très différent.
34Sans doute, la taille des quartiers – souvent toute relative d’ailleurs – renforce-t-elle ce sentiment d’hétérogénéité. De fait, à l’échelon de la rue, se manifeste parfois une plus grande unité socioprofessionnelle, comme le montrent les exemples ci-contre (cf. tableau p. 77).
35À partir de ces quelques exemples, cependant, il serait hasardeux de conclure à un espace urbain socialement cloisonné. Certes, il existe bien quelques activités professionnelles concentrées dans certains secteurs de la ville : les bouchers, par exemple, se regroupent autour des boucheries Saint-Georges, Saint-Paul, des Terreaux ou de l’Hôtel-Dieu, les meuniers, les teinturiers, les affaneurs résident plutôt aux abords des fleuves, sur la Saône, à Saint-Clair ou à la Quarantaine, les ouvriers en soie peuplent la rive droite de la Saône, Saint-Nizier ou la Grande-Côte. À l’échelon de la ville, on constate aussi une opposition grandissante entre les deux rives de la Saône. Du côté de Fourvière, les berges de la rivière abritent souvent de vieilles maisons décrépites comme le montrent certaines gravures24. À l’inverse, des habitations beaucoup plus cossues longent le Rhône (le quai de Retz), jouxtent l’Hôtel de Ville ou la place Bellecour. Des quartiers se paupérisent (Saint-Georges, rue Thomassin, la Pêcherie, Saint-Vincent, Place Confort, Port Saint-Paul) tandis que d’autres sont en plein essor (les Terreaux, le Griffon, Bellecour). Toutefois, en dépit de ces contrastes, les quartiers comme les rues ne sont jamais tout à fait homogènes. Ils abritent toujours une population hétéroclite, occupée aux métiers les plus divers. Le quartier Louis-le-Grand, par exemple, comprend 12 % de travailleurs non qualifiés. Saint-Vincent, un des secteurs les plus populaires de la ville, accueille 13 % de marchands et de négociants. La Grande-Côte loge 5 % de nobles ou de bourgeois mais aussi 18 % de femmes salariées. Même quand une branche d’activité domine une zone urbaine, la variété des productions, des statuts et des conditions confèrent au lieu une hétérogénéité certaine. Sans nier l’existence d’une certaine forme de ségrégation horizontale, l’examen des adresses conduit donc à nuancer la vision qui voudrait que s’opposent strictement des quartiers « riches » et des quartiers « pauvres ». La situation la plus courante, semble-t-il, au sein d’un même pennonage, reste celle d’une juxtaposition de maisons ou d’îlots d’habitations à la valeur et au peuplement très contrastés. Maurice Garden a souligné cette hétérogénéité dans l’analyse qu’il fait de la section nord-est de la ville en 1791. Cet espace qui correspond en gros à la paroisse Saint-Pierre-Saint-Saturnin, au nord de la presqu’île, associe des résidences nouvelles sur le quai Saint-Clair et des îlots plus anciens, sur les pentes de la Croix Rousse, vétustes et malodorants25. À l’instar de cette partie de la ville, de nombreux secteurs connaissent une ségrégation géographique qui procède par « petites touches » et qui se développe en liaison avec la construction de quartiers neufs ou résidentiels. Plus généralement, la restructuration urbaine et la promotion immobilière renforcent la division sociale d’un espace dont le visage reste cependant fortement contrasté.
36Ces discontinuités se retrouvent aussi à l’intérieur des immeubles et renvoient à des « manières d’habiter » très diverses.
II – LES MANIÈRES D’HABITER
37Le mode d’occupation des maisons dépend, pour une large part, du statut du logement. Selon la classification proposée par Daniel Roche et parfaitement applicable à la ville de Lyon, six cas sont possibles : la propriété, la location principale, la location, la sous-location, le logement chez l’employeur et la pension dans un garni26. Chacune de ces situations détermine « un mode de relation à l’habitation » et pèse de tout son poids sur l’existence des hommes27. Les connaître et évaluer leur part respective permettent donc de mieux comprendre certains aspects importants de la quotidienneté lyonnaise. Le logement, en effet, n’est-il pas au cœur de cette civilisation matérielle analysée par Fernand Braudel28 ? Sans doute, les procédures judiciaires ne constituent-elles pas la meilleure des sources pour conduire ce type d’enquête : dans plus de 80 % des cas, l’échantillon reste muet sur le statut du logement des plaignants et des personnes interrogées par la justice. Il est notamment difficile de distinguer les propriétaires et les locataires, ou encore, d’estimer à sa juste valeur la pratique de la sous-location ou de la location principale. Cependant, malgré leurs insuffisances et leurs lacunes, les documents judiciaires fournissent quelques renseignements utiles qui informent sur les différents modes d’habitation.
1. Le mode d’habitation
38L’échantillon, tout d’abord, montre qu’un grand nombre de propriétaires appartiennent aux classes aisées (nobles et bourgeois 43 %) ou marchandes de la ville (29 %). Quelques-uns possèdent un immeuble entier, comme Jean Terrasson, écuyer et secrétaire du Roi, domicilié rue Puits Gaillot, à deux pas de l’Hôtel de Ville29. D’autres, plus modestes, n’en détiennent qu’une partie. Tel est le cas de Guillaume Guérin, un négociant de la rue de la Gerbe, ou encore de Pierre Arnaud, un marchand de dorures, rue Buisson30. Bien que moins bien représentés, les artisans peuvent aussi devenir propriétaires (23 %). Les plus chanceux semblent être les bouchers, les charcutiers et les joailliers, mieux lotis que les ouvriers en soie ou que les chapeliers. En bas de l’échelle sociale se détachent les ouvriers non spécialisés, les journaliers et les femmes seules qui n’accèdent qu’exceptionnellement à la propriété.
39Ainsi, le monde des propriétaires, tel qu’il apparaît dans le corpus, est conforme à celui que plusieurs études historique ont mis au jour. Les catégories fortunées concentrent entre leurs mains une part importante du patrimoine immobilier31. Le peuple des travailleurs et des artisans, au contraire, compose surtout un peuple de locataires, même si la location ne lui est pas réservée. De fait, nombreux sont les propriétaires qui disposent d’un logement où ils ne demeurent pas, préférant s’établir dans un appartement qui ne leur appartient pas32.
40Combien doit verser un locataire pour pouvoir se loger à Lyon, à la veille de la Révolution ? Plusieurs contrats de location joints aux procédures et quelques indications sur les termes échus permettent d’évaluer le loyer moyen.
41Ces chiffres, il faut le souligner, ne possèdent qu’une valeur indicative : non seulement les calculs effectués portent sur un échantillon restreint (84 cas) mais encore le montant du loyer varie beaucoup selon les habitations. Dans la presqu’île, pour se loger, les locataires déboursent en moyenne 20 % de plus que du côté de Fourvière. Au sein même de ces deux secteurs, les écarts entre les prix peuvent être importants. Rue Tramassac, Charles Grumel, jeune étudiant en droit, loue sa chambre 24 livres par an33. À quelques pas de là, rue des Treize Cantons, Claudine Chevalier verse 80 livres pour la sienne34. Entre les deux fleuves, la situation est analogue. La location d’un trois pièces/cuisine, place des Terreaux ou rue des Feuillants oscille entre 432 et 499 livres35 – beaucoup plus qu’un appartement de même type situé quai Saint-Antoine (300 livres) ou rue de l’Hôpital (160 livres)36. Les exemples sont nombreux et montrent que le montant des loyers fluctue en fonction de nombreux critères : la superficie du logement, le nombre de pièces, l’étage, la jouissance d’une cave ou d’un grenier, l’état et la qualité de la construction, la valeur, enfin, des maisons. Se distinguent de la sorte des secteurs « chers » – les Terreaux, Saint-Clair, Bellecour, les quais du Rhône, les abords de l’Hôtel de Ville – et des secteurs meilleur marché – Saint-Vincent, Saint-Paul, Saint-Georges, le quartier de l’Hôpital, Pierre-Scize. Entre les deux, les maisons du centre ville définissent des îlots d’habitations qui se situent à un niveau intermédiaire. C’est pourquoi elles sont majoritairement laissées à l’artisanat et au petit commerce. Reste que le loyer est élevé à Lyon à la fin du siècle. Certaines catégories professionnelles fuient vers les rues ou les maisons aux locations moins chères. Les ouvriers en soie, par exemple, sont nombreux à peupler le Gourguillon ou la Grande-Côte, pour des raisons de luminosité, certes, mais aussi parce que les locations y sont moins onéreuses. L’échelle des loyers est un bon indicateur qui reflète la hiérarchie et le niveau des fortunes. Jeanne Clair, dévideuse en soie, loue 60 livres par an une chambre rue des Grosses Têtes, au troisième étage de la maison Bélignery37. Beaucoup plus aisé, Antoine Violet, maître en chirurgie, paie 800 livres un cinq pièces, rue Grenette38. Une part importante de la stratification sociale transparaît dans le montant du loyer et trace les lignes de partage d’une ségrégation topographique qui n’est pas toujours facile à saisir.
42Si une partie des locataires versent directement leur loyer au propriétaire, nombreux sont ceux qui sous-louent leur appartement en payant leur terme aux locataires principaux. Ces derniers, dont on évoque ailleurs le rôle dans la vie de l’immeuble, disposent du bail général d’une maison qu’ils louent, à leur gré, partiellement ou entièrement. Une majorité d’entre eux appartient au monde du négoce ou à celui de l’artisanat.
Professions | Nombres de mentions |
Artisans | 31 |
Professions libérales | 7 |
Négociants Marchands | 39 |
Bourgeois | 19 |
Autres | 6 |
43Un tel profil s’explique aisément : pendant longtemps, le locataire principal a été celui qui louait la boutique ou l’atelier du rez-de-chaussée. Cabaretiers, épiciers, charcutiers, charpentiers, boulangers… composaient alors la part la plus importante. À la fin du siècle, toutefois, une nouvelle distribution s’esquisse. Les bourgeois et les membres des professions libérales se font plus nombreux, à l’exemple de François-Pierre-Suzanne Brac, locataire principal de la maison Brossard, rue des Trois-Maries, entre 1771 et 1782, auquel Olivier Zeller a consacré une de ses études39.
44Une autre catégorie de sous-locataires occupe un logement qu’elle tient d’un locataire40. Ce dernier, à la différence du locataire principal, dispose d’un seul local ou d’un appartement qu’il rétrocède, en partie, au plus offrant. Il s’agit d’une pratique courante à laquelle s’adonnent quantité de particuliers et dont les archives judiciaires portent témoignage. Jean Baptiste Gaillard, affaneur, sous-loue une pièce à trois compagnons maçons. Lui et sa femme logent dans une chambre voisine, séparée de la précédente par un simple galandage41. La veuve Labourier sous-loue au sieur Lapierre, un marchand épicier, une boutique et « des appartements […] dépendants de ceux qui lui ont été loués » par le propriétaire42. Pour la veuve comme pour l’affaneur, l’intérêt est évident : les ressources de la sous-location doivent permettre d’améliorer l’ordinaire ou d’alléger le montant du logement. L’opération s’avère rentable à condition, bien sûr, de renchérir le loyer du sous-locataire. Ainsi procède l’épouse de Claude François Buisson en sous-louant 84 livres un petit réduit dépendant de son trois pièces/cuisine qu’elle a loué 216 livres43.
45La propriété, la location et la sous-location n’épuisent pas le statut du logement : une partie des Lyonnais en effet demeure chez son employeur. C’est le cas notamment des domestiques, des serviteurs, des apprentis et des compagnons. Les deux premières catégories ont été étudiés par Jean-Pierre Gutton44. Dans son ouvrage, l’auteur souligne l’ambiguïté que recouvrent ces termes. N’inclue-t-on pas parfois sous le terme de « domestique » des métiers aussi différents que ceux d’ouvrières en soie, tireuses de cordes, garçons de boutique, apprentis, servantes, valets ? Quoi qu’il en soit, les nombreux domestiques qui vivent à Lyon – en 1791, une famille sur sept en emploie au moins un – demeurent sous le toit du maître. Seule, une infime minorité dispose d’un logement indépendant. Hébergés gratuitement, les domestiques n’occupent souvent qu’une petite pièce de dimension réduite. Benoîte Guillon, fille domestique de Claudine Chevalier, une bourgeoise, dort dans une « petite chambre pratiquée en retranchement de la cuisine45 ». La dénommée Commarmond, au service de Jean-Baptiste Dumas, ouvrier en soie, occupe une soupente au-dessus de la souillarde46. Plus chanceuses, Marie Bouillet et Marguerite Berrier disposent d’une chambre bien à elles dans laquelle l’employeur, un chirurgien, a installé une cheminée47. Ainsi, loin d’être identiques, les conditions de vie du peuple domestique varient-elles beaucoup. Pour une large part, elles dépendent du niveau social auquel appartient le maître.
46En règle générale, les apprentis et les compagnons demeurent aussi chez leur employeur. Un calcul effectué à partir de la liste des témoins montre que 76 % des compagnons logent sous le toit du maître et qu’ils y reçoivent le couvert, à l’instar de Guillaume Delcan ou de Gaspard Duchêne. Le premier est compagnon fabricant de cartons. Il reçoit « 100 livres d’appointement par an outre la nourriture, le blanchissage et le logement qui sont fournis »48. Le second a 19 ans et exerce comme compagnon coffretier. Il dispose de « 12 livres par mois non compris sa nourriture donnée chez son maître chez lequel il loge »49. À ces personnes domiciliées chez leur employeur, il convient d’ajouter les nombreuses femmes employées par les ouvriers en soie. Assujetties à un travail éprouvant, elles dorment bien souvent dans une soupente ou dans un coin de l’atelier, à proximité des apprentis ou du maître, ainsi qu’en témoignent certains documents d’archives :
Dans le domicile du sieur Antoine Fournel, maître ouvrier en soie […] il y a un appartement composé de deux pièces ayant vue sur cour. Dans la première desdites pièces se trouvent trois lits où couchent les mariés Fournel, la nommée Catherine Labayen ouvrière […] et la nommée Marie Giraud apprentie dévideuse50.
47Même si les conditions de logement ne composent qu’un des aspects de l’existence quotidienne, elles sont particulièrement révélatrices du statut social des travailleurs.
48Pour une frange de la population, nouvellement établie à Lyon ou ne comptant guère y rester, il existe d’autres logis, plus précaires encore : les garnis et les pensions. À vrai dire, on connaît assez mal ce type d’habitation et il est toujours difficile de distinguer entre le garni, la pension, l’auberge et l’hôtel. Il semble toutefois que les auberges accueillent en priorité des personnes de passage qui s’installent pour une durée très limitée en logeant « à tant la nuit ». Les garnis, en revanche, abritent une population appelée à séjourner plus longtemps dans la cité. Le montant des loyers est d’ailleurs calculé au mois et se verse, au gré du logeur, en un, deux ou trois termes. En contrepartie, le preneur dispose d’une chambre meublée qui le protège du froid et… du guet, toujours à l’affût des sans-abri et des vagabonds. Si les pensions et les garnis sont nombreux à Lyon, il paraît impossible d’en dresser une liste complète. Les autorités elles-mêmes ont du mal à les recenser bien qu’elles commandent à chaque logeur « de mettre un écriteau sur la rue, à la porte de la maison où il demeure […] comme aussi de se faire inscrire sur un registre »51. Les difficultés de comptage tiennent à ce que beaucoup de Lyonnais se font logeurs occasionnellement, dans le but d’augmenter leurs revenus. Des artisans, des négociants, des charcutiers-traiteurs espèrent ainsi gagner quelque argent, à l’exemple des veuves Boiron et Fillion qui louent chacune une chambre garnie, la première, place des Jacobins, la seconde, rue Écorcheboeuf52. Ces logis sont disséminés dans la ville tout entière mais certaines artères en regroupent davantage. C’est le cas des rues Mercière, Saint-Jean, de la Bombarde – trois voies très passantes – ou encore des places des Jacobins et des Terreaux. Dans les secteurs plus populaires se distinguent aussi les rues de l’Hôpital, Bourgchanin et des Herberies. Au nord de la presqu’île, la rue des Feuillants abrite des garnis plus coûteux, à l’image du quartier : la demoiselle Sainte Colombe qui y demeure en occupe un, moyennant 48 livres par mois53. Bien qu’il existe une véritable hiérarchie entre ces établissements et que, parfois, des gens de qualité y séjournent, les lieux, cependant, ont mauvaise réputation. C’est qu’il y règne une promiscuité et une insécurité de tous les instants dont témoignent certaines procédures. Le garni tenu par Augustin Guigal forme une sorte de chambre commune où sont entreposés plusieurs lits. Les dénommés Jean Reybel, Fleury Lentier et Étienne Faure, trois habitués, s’y font détrousser en plein sommeil54. Celui des époux Mangard ne semble pas être très sûr, lui non plus. Il est composé de deux chambres meublées, séparées l’une de l’autre par un simple galandage ajouré dans sa partie supérieure. Profitant de cette ouverture, un couple d’Italiens dépouille un client de l’établissement une nuit de novembre puis l’assassine à coups de couteau55. La mauvaise réputation des garnis, bien sûr, est indissociable du profil sociologique de la clientèle. L’examen de 87 cas recensés dans les archives judiciaires permet d’entrevoir la composition sociale de ces logis.
Professions non spécialisées | 24 |
Professions féminines | 12 |
Artisans | 16 |
Professions libérales, artistes | 10 |
Catégories supérieures | 14 |
Chômeurs déclarés | 11 |
Total | 87 dont 67 nés hors de Lyon |
49Une majorité de personnes logées en garnis est étrangère à la ville. 40 % d’entre elles viennent de provinces proches telles que le Lyonnais, le Beaujolais ou le Dauphiné. Les autres arrivent de régions fort différentes, comme le Languedoc, la Provence, la Bourgogne voire de l’étranger. Si une proportion non négligeable (14 %) est composée de femmes exerçant une activité professionnelle déclassée (les lingères) ou mieux reconnue (les brodeuses, les couturières), les plus nombreux sont les hommes dont l’âge moyen tourne autour de 27 ans. Il peut s’agir de migrants en quête d’un emploi. Ce peut être aussi des travailleurs saisonniers, attirés par les travaux d’embellissement de la ville ou encore des mariniers, de passage à Lyon. La présence du monde de l’artisanat, en revanche, reste plus discrète. C’est que les apprentis et les compagnons sont communément pris en charge par leur maître et disposent d’un véritable foyer.
50En somme, si l’on veut résumer, deux traits principaux caractérisent les personnes qui séjournent en garnis : la mobilité et la précarité économique56. Tel est le cas, entre autres exemples, de la veuve Pugnière, comédienne sans emploi, criblée de dettes et proche de l’indigence57. Hormis quelques individualités venues à Lyon pour y régler une affaire, le reste des occupants forme une sorte de prolétariat flottant, sans réserves ni liquidités suffisantes pour prendre à bail un appartement. Leur présence dérange et inquiète le Consulat. Des ordonnances interdisent aux logeurs d’abriter les étrangers s’ils ne sont pas munis d’une autorisation de séjour en bonne et due forme. Ces mesures visent à surveiller étroitement les mouvements d’une population jugée douteuse et dont on craint les débordements. Reste que ces garnis sont des logements incommodes qui empêchent l’éclosion de toute vie familiale. À Lyon comme dans les autres villes de France, la ségrégation sociale passe par la diversité des statuts et des conditions de logement.
2. Les conditions de logement
51Le mode d’organisation de l’espace habité souligne d’autres oppositions. La distribution en hauteur des maisons, tout d’abord, permet de juger du degré de ségrégation verticale. La connaître est précieuse, d’autant que Lyon est une ville réputée pour ses façades élevées et longilignes. Par chance, dans un certain nombre de plaintes ou de témoignages, l’étage où loge le voisin est précisé. Grâce à ces indications, il est donc possible d’examiner la stratification verticale de la société lyonnaise classée, une fois encore, par grandes catégories socioprofessionnelles.
52Au regard des tableaux, les conclusions de Benjamin Cleux portant sur le quartier de la Juiverie s’appliquent, avec quelques nuances, à la ville tout entière58. Plus on monte dans les maisons, moins le statut social est élevé. Ainsi s’explique la forte proportion des veuves et des filles célibataires exerçant un métier qui logent – à plusieurs parfois – aux troisième, quatrième ou cinquième étages des immeubles. Les mieux représentées sont les brodeuses, les blanchisseuses et les dévideuses. Elles logent nombreuses dans les étages supérieurs des maisons ou dans les combles aménagés en mansardes. Bien entendu, ce mode d’occupation se vérifie dans les quartiers centraux, là où les maisons sont les plus hautes. À Ainay ou à Bellecour, en revanche, les hôtels particuliers et les résidences de qualité ont une élévation moindre. C’est pourquoi on dénombre davantage de servantes et de domestiques féminins aux premiers niveaux des habitations. Dans les autres catégories socioprofessionnelles transparaît aussi une certaine forme de stratification verticale. Au regard des pourcentages, toutefois, elle paraît moins accentuée. Si 55 % des travailleurs non qualifiés logent dans le haut des maisons (troisième, quatrième étage et au-delà), 31 % occupent le premier et le second niveau. Même remarque en ce qui concerne les bourgeois et les membres des professions libérales. Ils se répartissent pour moitié entre les parties basses de l’immeuble (rez-de-chaussée, premier et deuxième étages) et les parties supérieures. Restent les marchands, les négociants et les artisans. Les deux premiers groupes sont nombreux à demeurer au rez-de-chaussée. C’est que pour exercer leur activité professionnelle, ils disposent de boutiques, de magasins ou d’entrepôts installés le long des rues. 32 % des négociants, des marchands ou des revendeurs y travaillent et y logent à la fois. Ainsi la veuve Rave, une marchande de toiles : elle loue un bas dans lequel a été aménagée une soupente où elle dort59. Le dénommé Gingène connaît une situation qui est assez proche : à l’arrière de sa boutique, il dispose d’une salle, fermée par un simple rideau, qui lui sert de chambre à coucher60. Ce type d’aménagement, du reste, n’est pas propre aux commerçants ou aux négociants. Il se vérifie aussi, bien qu’à un degré moindre, chez les maîtres artisans (26 %), notamment chez les menuisiers, les cordonniers, les boulangers et les teinturiers, dont l’atelier ou la fabrique ouvre sur la rue. Cette manière d’habiter implique une absence de séparation entre le travail et le logement. On la retrouve d’ailleurs à tous les niveaux de la maison puisque de nombreux ateliers d’artisans sont installés dans les étages, à l’instar du sieur Quidam, un coffretier, qui travaille au cinquième étage d’une maison, sise rue Neuve61. Elle débouche sur une confusion entre les espaces privé et public, renvoyant à un mode d’existence traditionnel, antérieur à la Révolution industrielle. Cependant, comme le souligne Daniel Roche, la mobilité des populations ouvrières et la politique d’assainissement lancée par les autorités établissent, de fait, une coupure de plus en plus nette entre le lieu de résidence et l’espace voué au travail62. Certains louent une boutique au rez-de-chaussée de l’immeuble et dorment dans une chambre située au premier étage. Telle est la solution adoptée par Joseph Pichot, un marchand ceinturonnier63 ou encore par Mathieu Grand, cafetier place des Terreaux. Chez ce dernier, l’établissement possède un bas qui communique à l’étage supérieur par un escalier en bois. C’est là qu’il couche avec sa famille tandis que ses employés sont relégués sous les toits64. Certaines personnes opèrent une coupure plus nette encore. Le sieur Mignot fait le commerce de fromages. « À cet effet, il dispose […] d’un magasin situé rue de la musique des Anges. » Il réside cependant à quelques pas de là, rue Saint-Marcel65. Même si la distance parcourue entre le travail et le domicile demeure réduite, elle induit une nouvelle conception de l’activité professionnelle ainsi que des relations moins familières entre le patron et ses employés. Cette opposition toutefois reste encore inconnue pour toute une partie des compagnons et des ouvriers logés chez leur maître. C’est le cas notamment des travailleurs du textile, présents dans de nombreux quartiers de la ville.
53Bien entendu, la séparation travail/domicile ne rend compte que très partiellement de la ségrégation verticale. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, en particulier le coût des loyers. Une chambre située au cinquième étage de la rue Petit Soulier se paie 72 livres66. Au second étage de la rue Paradis voisine, elle coûte 102 livres67. Comment, dans ces circonstances, le petit peuple ne se nicherait-il pas en haut des maisons ? D’autant que les immeubles de rapport qui logent les artisans et les ouvriers connaissent eux aussi une certaine forme « d’ascension ». Tout au long du siècle, leur contenance s’accroît, les façades se développent en hauteur et le nombre d’étages se multiplie.
54Pour mettre en valeur d’autres contrastes dans la façon d’habiter, il faudrait aussi examiner l’horizon des logements et connaître le nombre de pièces par appartement. La sous-série BP des archives criminelles, hélas, est muette – ou presque – à ce propos. L’orientation des appartements ne transparaît qu’une centaine de fois. Quant à la nature et au nombre de pièces, ils sont précisés dans 29 cas seulement. L’échantillon, par conséquent, pêche par indigence et les informations délivrées doivent être prises avec prudence.
Orientation | Nombre de cas | % |
Sur la rue | 54 | 52,9 % |
Sur la cour (ou le jardin) | 25 | 24,5 % |
Mixte | 23 | 22,5 % |
5522,5 % des logements s’ouvrent à la fois sur la rue et sur la cour (ou le jardin). Ce sont en général des appartements dotés de plusieurs pièces (deux, trois ou davantage) où la cuisine donne sur le derrière et la chambre sur le devant. Cette économie des espaces traduit souvent une certaine aisance et c’est pourquoi on la retrouve d’abord dans le logis des marchands, des commerçants ou des maîtres de métier. L’orientation sur la rue reste cependant la disposition la plus courante : une majorité (52,9 %) de chambres ou de pièces s’ouvrent de cette façon, comme le signale déjà Bénédicte Cottin dans ses travaux68. Sans doute la curiosité à l’égard d’autrui et le goût du spectacle se nourrissent-ils en partie de cette relation à l’espace public ? Reste un dernier type d’exposition, celui des logements qui « prennent leurs jours » sur la cour de l’immeuble. Composant 24,5 % du corpus, ils représentent une part non négligeable des habitations. Peut-être faut-il y voir, avec Daniel Roche, les effets d’une dégradation des conditions de vie des travailleurs, poussés vers le haut des maisons69 ? C’est, en tout cas, un autre rapport à l’environnement urbain qui s’instaure et qui débouche sur une moindre participation à la vie de la rue.
56Le nombre et la nature des pièces composent un autre aspect essentiel de la question du logement. Ils permettent d’évaluer l’aisance des foyers et de mesurer leur degré d’intimité. Seulement, rappelons-le, les renseignements fournis par l’échantillon sont partiels et n’autorisent aucun calcul statistique. Tout au plus peut-on dégager quelques observations générales dont la valeur reste toute relative.
57La difficulté principale qui se pose ici est celle de l’imprécision ou de l’ambiguïté des termes. Ainsi, de nombreux foyers sont nommés « appartements » sans que l’on sache toujours s’il s’agit d’un logement à une ou à plusieurs pièces. De même, le mot « chambre » renvoie souvent à des réalités bien différentes. Il peut s’agir d’un espace clos entre quatre murs sans adjonction d’aucune sorte. C’est ainsi que se présente le logis de Geneviève Rousset, une brodeuse, domiciliée rue Saint-Marcel. Son réduit tient lieu à la fois de chambre à coucher, de cuisine, de salle à manger et d’espace pour son travail70. Dans d’autres cas, la « chambre » se compose d’une pièce principale dans (ou à côté de) laquelle a été aménagée une annexe. Cette dernière est désignée sous différents noms tels que cabinet, garde-robe, soupente, retranchement ou bouge. Bricolée ou artificiellement créée au moyen d’une cloison de bois, elle complète efficacement la surface habitable. La place manque en effet dans les maisons en raison de l’étroitesse et de l’irrégularité du parcellaire. C’est pourquoi les moindres recoins sont utilisés comme le laisse deviner la description de l’appartement occupé par Jean-Pierre Auguste Boyer, rue Lafont : autour d’une pièce centrale, baptisée « salle à manger », ont été installés deux alcôves, une souillarde et un cabinet, tous attenant les uns aux autres71. Si les descriptions contenues dans les procédures judiciaires, à cause de leur imprécision, ne permettent pas de tracer de plans véritables, elles soulignent l’enchevêtrement des espaces et le désir de créer un peu d’intimité. À sa façon, la multiplication des annexes témoigne de la formidable promiscuité contre laquelle on cherche à se protéger. Elle va de pair avec un souci nouveau de confort qui se traduit, notamment, par une plus grande spécialisation des pièces72. La transformation de l’espace domestique cependant ne concerne qu’une minorité de Lyonnais. En dépit d’une volonté toujours plus affirmée de se dérober au regard et à la curiosité d’autrui, la polyvalence des pièces reste souvent la règle. La cuisine sert parfois de salle à coucher pour les servantes ou encore de laboratoire de préparation chez certains maîtres de métier. La pièce principale peut tenir lieu de salle de réception pour accueillir les parents, les amis ou les voisins mais aussi d’espace consacré au repos et au sommeil. Quant au cabinet, à la garde robe et au bouge, leur fonction est multiple et varie d’un ménage à un autre. Selon les cas, ils peuvent être aménagés en réserve, en bureau de travail, en chambre à coucher les enfants, parfois, même, en lieu d’aisance. Si bien qu’au total, la spécialisation des pièces ne se vérifie pas, tant s’en faut, dans tous les foyers. Largement entamée dans les classes dominantes, elle demeure balbutiante dans les classes populaires ou artisanales73. Quelques signes, toutefois, permettent de nuancer ce jugement sévère : ce sont la multiplication des cloisons et des galandages qui assurent une meilleure distribution des pièces, la généralisation des galeries et des corridors à fonction de desserte ou encore l’emploi fréquent des paravents et des meubles pliants, faciles à déplacer. À travers ce redécoupage de l’espace habité se devine une volonté de mieux organiser le cadre familial dans le sens d’une plus grande autonomie. N’est-ce pas là la manifestation d’une sensibilité nouvelle à mettre en relation avec le développement de ce qu’il est convenu d’appeler « la sphère privée » ?
III – STABILITÉ ET MOBILITÉ DES VOISINS
58Parmi les nombreux facteurs qui contribuent à la cohésion d’un quartier ou d’une maisonnée, il en est un qui joue un rôle essentiel : la stabilité de ses résidents. À la fin du siècle, la communauté de voisinage compose-t-elle un cadre stable abritant des individus implantés de longue date ? Ou bien, au contraire, est-elle bouleversée et sans cesse recomposée par l’arrivée régulière de nouveaux locataires comme pourrait le laisser supposer l’afflux massif d’immigrants au cours du siècle ? La mobilité des Lyonnais, d’autre part, affecte-t-elle en priorité les couches populaires ? Les catégories artisanales ? Les négociants et les marchands ? Telles sont les interrogations auxquelles on se propose de répondre ici.
1. Comment évaluer la mobilité des populations ?
59Pour apprécier la sédentarité d’un individu ou d’une famille, il suffit de calculer le temps passé à vivre dans un lieu donné. Si l’objectif est clair, la façon d’y parvenir est malaisée. Il faudrait pour être tout à fait rigoureux pouvoir reconstituer les ménages et les suivre au gré de leurs déménagements successifs à travers les quartiers de la ville. Aucune source, hélas, ne permet d’entreprendre un tel examen. Même les baux à loyer s’avèrent de peu d’utilité. Conservés dans les minutes notariales ou les inventaires après décès – notamment dans la description des papiers du défunt – ces documents contiennent peu d’indications directement exploitables. En particulier, ils ne permettent pas de connaître la durée réelle d’occupation d’un appartement. De fait, comment savoir si les clauses du contrat qui envisagent des périodes d’occupation de 6 ou 9 ans, rarement moins, ont été honorées ? Rien n’autorise à le dire sauf si l’on découvre la reconduction, pour le même locataire, d’un bail arrivé à terme, ce qui reste exceptionnel. Il faut donc procéder autrement.
60Les documents qui nous paraissent les mieux adaptés sont, ici encore, les archives judiciaires de la sénéchaussée criminelle. En effet, au détour d’une procédure, on découvre parfois quelques informations, relatives au temps passé par un homme ou par sa famille au sein d’une maison ou d’un quartier.
Ils demeuraient auparavant, déclare un couple, Grande Rue Mercière au troisième étage de la maison Pirrot dans des appartements qu’ils ont occupés pendant cinq ans ; leur bail allait expirer à la fête de Noël dernier, ils ont voulu transporter leurs meubles […] dans leur nouvel appartement de la maison Guillin situé à la Grande-Côte74.
61Le plus souvent, ce type d’indications est fourni par un plaignant qui évoque son existence paisible et sans histoire jusqu’à l’arrivée de nouveaux locataires, fauteurs de troubles et de discordes.
Depuis leur naissance, se plaignent Anne et Claude Bertholy deux blanchisseuses, elles occupent un appartement dans la maison Repique où depuis 32 ans leurs père et mère ont leur domicile. Elles ont joui de la paix la plus paisible pendant plus de 28 ans. Mais elle ont perdu leur tranquillité due à des personnes honnêtes telles la comparante et nombre de leurs voisins à cause des mariés Rey qui sont venus habiter un appartement au-dessous du leur depuis la fête de Noël dernier75.
62Quelquefois c’est un voisin qui vient déposer dans le cadre d’une querelle qui s’est déroulée entre locataires rivaux.
[…] elle a demeuré dans la maison pendant 20 ans […] en toute tranquillité, raconte la veuve de Pierre Briquet […] mais depuis 5 ans les époux Lassieux et leurs adhérents se sont installés dans le même corps de logis76.
63Toutes ces indications sont importantes parce qu’elles permettent d’évaluer, non pas la durée réelle d’occupation d’un appartement, mais le degré de stabilité des locataires et des ménages lyonnais. Pour procéder à cet examen, trois grandes périodes ont été distinguées : la première regroupe les personnes les plus instables, celles qui s’installent moins de 1 an dans un logement. La seconde réunit les individus dont l’établissement n’excède pas trois ans. La troisième enfin rassemble les éléments les mieux stabilisés, ceux qui résident plus de trois ans au même endroit. N’ont été retenues ici que les dépositions qui fournissent des renseignements suffisamment clairs et explicites, susceptibles de figurer dans ce classement. 157 situations ont ainsi pu être recueillies dans les archives criminelles pour la période comprise entre 1776 et 1790. L’échantillon, certes, reste faible et sa valeur représentative incertaine puisque ce type d’archives exagère le poids des populations les plus pauvres, en butte, plus souvent que les autres, au tribunal de la sénéchaussée. C’est pourquoi, les journaliers et surtout les diverses ouvrières sont ici surreprésentés au détriment des membres des professions libérales, des marchands ou des bourgeois77. D’autre part, les renseignements livrés dans le cadre des procédures judiciaires ne permettent pas toujours de distinguer entre locataires et propriétaires. Cette imprécision cependant importe peu. De fait, le but recherché ici n’est pas d’enquêter sur le statut des occupants des maisons mais d’appréhender un phénomène global : la cohésion du quartier et de la communauté de voisinage, à partir de la stabilité (ou de l’instabilité) de ses résidents.
2. La durée d’occupation des logements
64La durée du séjour des Lyonnais se présente de la façon suivante :
65Le graphique ci-dessus présente une image contrastée de l’occupation des maisons lyonnaises. Des gens installés, stabilisés par plus de trois années de résidence dans un logement (58 %) côtoient des locataires éphémères (17 %), domiciliés quelques mois sous une soupente avant d’emménager ailleurs. Le quart restant est composé d’habitants qui ont séjourné moins de trois ans dans leur appartement. Bien entendu, tous ces chiffres recouvrent des situations particulières très différentes. Déménager d’un appartement peut s’expliquer par la naissance d’un enfant, le changement d’employeur, l’ascension ou la dégringolade dans l’échelle sociale, la mort du conjoint ou l’acquisition d’un nouveau métier pour les ouvriers en soie. Au-delà de ces raisons personnelles, cependant, s’esquissent des attitudes caractéristiques, propres aux différentes secteurs d’activités de la société lyonnaise.
66Ces graphiques mettent en évidence la coupure qui existe dans la société lyonnaise entre membres des métiers sans spécialisation d’une part, et membres des professions reconnues et respectées dans la ville d’autre part. Les premiers regroupent les journaliers, tels qu’on les a définis précédemment, et les femmes célibataires. Ils se caractérisent par une instabilité récurrente doublée d’une grande dépendance économique. Les seconds réunissent les artisans, les négociants, les marchands, les nobles ou les bourgeois. Ils composent un groupe beaucoup moins mobile que le précédent parce qu’ils exercent une profession régulière et bénéficient d’une situation financière généralement plus confortable. Cette vue d’ensemble mérite cependant d’être précisée par un examen systématique de chacune des catégories socioprofessionnelles.
67De tous les travailleurs, les journaliers et les domestiques sont les plus instables : 32 % d’entre eux séjournent moins de un an dans un appartement et 27 % s’y installent pour une période n’excédant pas trois ans. Autrement dit, plus de la moitié de ce « menu peuple » change régulièrement de foyer, victime, d’abord, de son déclassement professionnel. Ces chiffres, certes, ne doivent pas être pris au pied de la lettre. Ils sont sans doute gonflés par la nature de l’échantillon qui majore la pauvreté et la précarité populaires. Néanmoins, ils expriment assez bien la réalité d’un petit peuple mouvant et insaisissable, qui déménage au gré des difficultés conjoncturelles et des embauches saisonnières. Si, de toutes les catégories socioprofessionnelles, les journaliers sont les plus mobiles, c’est parce qu’ils sont les moins qualifiés. Louis Berton, domestique chez le Sieur Dussaussoy est originaire de Suisse.
[Il] est né dans la vallée de Luzerne […] a été domestique et facteur de magasin pendant 7 à 8 mois chez le Sieur Henri, marchand fabricant en indiennerie […] affaneur sur le port de la Feuillée […] domestique encore […] commissionnaire puis […] écrivain public78.
68Le passage d’un métier à un autre est fréquent et se double souvent d’un changement de domicile. Les fonctions d’ailleurs restent imprécises comme sont imprécis les termes qui les nomment. Les journaliers, par exemple, peuvent désigner des ouvriers employés dans les travaux de terrassement ou de gros œuvre. Ce sont alors des sortes de manouvres payés à la journée et logés en chambres garnies. Les hommes de peine sont parfois regardés comme des domestiques, à l’image de Jean Judacier, un affaneur, que les habitants d’un immeuble de la place du Vieux Gouvernement assimilent au « domestique de la maison »79. L’interchangeabilité des termes est révélatrice. Elle montre que contrairement à l’apprenti, le travailleur non qualifié ne peut espérer s’intégrer par son travail aux différents corps constitués de la ville. La recherche permanente de nouveaux employeurs lui interdit de trouver dans sa profession l’assurance de revenus réguliers et le condamne à une instabilité chronique.
69Globalement, les travailleurs non qualifiés résistent mal aux soubresauts conjoncturels. En cas de nécessité, ils ne disposent d’aucune avance pécuniaire qui puisse les mettre à l’abri du besoin. Le chômage ou la maladie sont perçus comme un véritable fléau car ils débouchent rapidement sur le dénuement le plus extrême. Parfois même, la pauvreté est telle qu’elle entraîne la dislocation des ménages. Les conjoints se séparent et, chacun de leur côté, ils s’efforcent de survivre, au hasard des places et des propositions de travail. Magdeleine Page a épousé un journalier :
Elle a dû se séparer de biens d’avec le Sieur Gonin son mari, cuisinier, car leur peu de fortune ne leur permit pas de demeurer ensemble […] elle s’est retirée dans une chambre où elle travaille de ses mains pour vivre et son mari se mit cuisinier chez des traiteurs.
70Après quelques semaines passées au service d’un aubergiste du quai Saint-Vincent, l’époux Gonin se retrouve sans travail. De désespoir, il se donne la mort :
Il connaissait depuis longtemps le Sieur Gonin pour avoir servi en tant que cuisinier dans différentes maisons bourgeoises de la ville, dépose un témoin. Le défunt disait que s’il ne trouvait du travail pour subsister, il se détruirait80.
71Toutes les issues, bien sûr, ne sont pas aussi dramatiques. Pourtant, le taux de suicide des travailleurs non qualifiés semble singulièrement élevé au cours des années qui précèdent la Révolution : sur 44 suicides consignés dans les archives criminelles, 47 % émanent de cette catégorie socioprofessionnelle. À travers ce chiffre s’exprime toute la difficulté à vivre du petit peuple lyonnais, touché de plein fouet quand survient une dépression économique81.
72Pour corriger ce tableau un peu trop noir, il convient d’ajouter que, si la mobilité géographique et la précarité économique restent le lot de la plupart des journaliers, une partie de ces travailleurs parvient cependant à se fixer plus durablement dans un immeuble ou dans un quartier. 59 % d’entre eux séjournent moins de quatre ans dans un appartement mais 40 % y restent plus longtemps. Un bon tiers parvient donc à « s’installer », ce qui montre qu’au sein du monde des journaliers, il existe une certaine hiérarchie. Les plus stables semblent être les jardiniers. La faiblesse de l’échantillon mais surtout les limites géographiques de cette étude (la cité intra-muros) interdisent d’en savoir beaucoup plus sur ce groupe de travailleurs, domicilié principalement dans les faubourgs. Les trois jardiniers recensés ici demeurent tous dans le quartier des Chartreux. Le premier d’entre eux, le sieur Bergeon, porte plainte contre son propriétaire qui refuse de renouveler le bail d’un appartement qu’il a occupé « pendant 5 ans » précise-t-il. Les deux autres sont ses voisins qui demeurent depuis dix ans dans le quartier82. Ce séjour prolongé des jardiniers, s’il contraste avec la mobilité des autres journaliers, n’étonne guère. Ceux-là, en effet, constituent un groupe à part, assez fermé et homogène comme l’a souligné Maurice Garden83. Ils forment l’élite du petit peuple et possèdent, en général, quelques biens. Leur stabilité cependant reste une exception84.
73Dans le groupe des femmes qui exercent une activité salariée autonome, on dénombre principalement des filles célibataires et des veuves. Tantôt elles sont logées chez l’employeur, tantôt elles disposent d’un logement indépendant. Sur les 43 femmes recensées ici, 22 % d’entre elles quittent leur domicile moins de un an après leur installation, 33 % y séjournent de un à trois ans, 43 %, enfin, s’y installent plus de trois ans. Ces chiffres témoignent globalement d’une grande instabilité et rappellent, par bien des aspects, la situation observée chez les journaliers. Ils renvoient toutefois à des réalités assez différentes selon le type d’activité exercé.
74De toutes les femmes, les domestiques sont les plus mobiles. 32 % d’entre elles demeurent moins de un an chez leur maître et 63 % ne franchissent pas le seuil des trois ans. La nature même de la profession et la mauvaise image de marque qu’elle draine explique en partie cette instabilité85. Les contrats de mariage analysés par Maurice Garden montrent que la plupart de ces domestiques viennent de la campagne et plus particulièrement des trois provinces du Lyonnais, du Dauphiné et du Bugey86. Ces jeunes filles arrivent en ville et se placent comme domestiques dans les maisons nobles ou bourgeoises ou, plus modestement, comme servantes ou filles de boutique chez les artisans. Assujetties à des conditions d’existence précaires, leur dépendance vis-à-vis du maître est totale. Devant l’afflux de main-d’œuvre, certains employeurs font preuve d’une grande dureté. Parfois, les archives judiciaires évoquent le sort de ces pauvres filles, remerciées sans aucun ménagement et renvoyées à la rue du jour au lendemain. À cet égard, le cas de Marie Brudel est révélateur. Cette jeune servante a été placée chez la femme d’un riche négociant, Jacques Antoine Guichard. Accusée d’avoir égaré ou subtilisé deux paires de bas et quelques mauvais chiffons, elle est aussitôt congédiée. Auparavant, sa maîtresse l’a brutalisée avec tant de force que « depuis ce temps […] la domestique est au lit et sur le point […] d’être envoyée à l’hôpital »87. L’instabilité des filles domestiques ne découle pas seulement de l’arbitraire auquel elles sont fréquemment soumises. Elle trouve aussi son explication dans le fait que cette condition reste une activité temporaire, propre aux célibataires. Un calcul effectué à partir des dépositions de témoins révèle que l’âge moyen de celles-ci s’établit à 23,8 ans. 72 % d’entre elles ont moins de 26 ans dont 44 % moins de 21 ans. Seules 16 % de ces filles célibataires dépassent la trentaine et vieillissent au service d’un maître. Le mariage interrompt donc la condition domestique et amène tout naturellement la nouvelle épouse à déménager pour s’installer avec son mari.
75Les femmes monopolisent d’autres activités encore. Beaucoup viennent des campagnes avoisinantes et se font embaucher pour dévider la soie, faire des canettes ou tirer les cordes du métier à tisser. D’autres travaillent dans les manufactures textiles, exercent comme chapelières ou encore deviennent couturières ou blanchisseuses. Quelle que soit leur activité, ces femmes jouissent d’un statut professionnel imprécis et exercent des fonctions interchangeables, en particulier celles qui sont embauchées dans les ateliers des fabricants. Quelques métiers, plus délicats, nécessitent une période d’apprentissage. Les procédures judiciaires évoquent ainsi le cas d’« apprentisses » tailleuses, raccommodeuses, brodeuses, dévideuses, gazières ou fleuristes. La plupart d’entre elles ne sont placées que quelques mois, voire quelques semaines, chez un patron, le temps de se familiariser avec leur nouvelle profession. Une convention est alors établie entre l’employeur et les parents (ou les tuteurs) de la jeune fille qui précise les modalités de l’apprentissage. Parfois, cependant, l’exercice du métier se révèle si difficile qu’il entraîne le départ précipité des nouvelles recrues, effrayées par les conditions de travail. Le plus souvent, elles retournent chez leurs parents en se promettant de ne jamais revenir. Mais il arrive aussi que les jeunes filles disparaissent tout à fait, sans laisser d’adresse. Les familles désemparées s’adressent alors à la sénéchaussée criminelle, inquiètes pour leur fille qu’elles savent seule et isolée. Quelquefois l’inquiétude est justifiée. Un séducteur a eu raison de la naïveté de la jeune fille et l’a prise dans ses rets en lui promettant le mariage et une existence moins rude. Mais cette situation demeure l’exception. D’ordinaire, la mise en apprentissage se déroule sans accroc même si elle n’assure à l’intéressée qu’une formation professionnelle assez succincte. En effet, si quelques femmes parviennent, grâce à leur savoir, à devenir de véritables chefs d’ateliers, la grande majorité d’entre elles reste affectée à des tâches subalternes, précaires et sous-payées.
76Les ouvrières en soie, les dévideuses, les tireuses de cordes offrent, après les domestiques, l’image d’une grande instabilité. 24 % d’entre elles séjournent moins de un an dans un appartement et 47 % ne s’y installent pas plus de trois ans. Seules, 38 % semblent se fixer davantage en s’établissant quatre ans ou plus. Si le changement de domicile est aussi fréquent, c’est que la pauvreté interdit généralement à ces filles de disposer d’un logement indépendant. Seule une petite minorité d’ouvrières parvient en fin de carrière à s’acheter ou à louer une chambre. Les autres habitent le plus souvent chez le fabricant, à proximité immédiate de l’atelier, comme ces deux ourdisseuses célibataires, Marguerite Dufour et Dominique Manevran :
Elles demeurent ensemble rue Royale maison Pitiot […] occupant un appartement au 4e étage […] elles travaillent pour les sieurs Caillat frères, fabricants, qui payent le loyer de leurs appartements et leurs ourdissoirs88.
77La vulnérabilité de ces ouvrières se manifeste principalement en période de crise, lorsque l’activité de La Fabrique s’essouffle et que les commandes diminuent. Cette fragilité se double aussi d’une inégalité de traitement. De fait, les femmes composent une main-d’œuvre sous-payée, conformément aux directives consulaires de 1786 qui accordent aux fabricants de faire travailler des jeunes filles sur les métiers avec un salaire inférieur à celui des compagnons. Ces conditions difficiles d’existence expliquent les fréquents déménagements à l’intérieur de la ville. Seul le mariage, contracté en général après de longues années de travail pour épargner quelques sous, fixera plus durablement quelques-unes d’entre elles.
78Les ouvrières des manufactures textiles ne semblent pas jouir d’un sort plus enviable. La faiblesse de l’échantillon interdit de mener un examen approfondi puisque trois ouvrières seulement sont recensées. La plus stable, Benoîte Fournier, a 22 ans. Elle est restée dix-huit mois chez un fabricant de gaze89. Une autre est ouvrière en dessin. Elle était auparavant domestique et a travaillé onze mois chez un fabricant90. La dernière, enfin, une ouvrière en gaze, n’a demeuré que huit mois chez son employeur avant d’être mise à la porte sans aucun ménagement91. La misère de ces jeunes filles et la rudesse avec laquelle elles sont traitées transparaissent parfois dans les procédures judiciaires. Elles ne semblent, cependant, guère émouvoir les témoins, convoqués par le tribunal de la sénéchaussée criminelle.
Vendredi entre 7 ou 8 heures du soir, explique l’un d’entre eux, il vit Anne Bertholy, une fille ouvrière, saisie aux cheveux par les mariés Rey qui l’entraînèrent dans leur domicile et lui donnèrent des coups. Le déposant voyant que c’était une de leurs filles ouvrières qu’ils maltraitaient ne porta dans le moment aucun secours92.
79De toutes les femmes célibataires, les plus stables sont les brodeuses. Aucune n’a séjourné moins de deux ans dans son domicile. La majorité d’entre elles (cinq sur huit) dépasse quatre ans de résidence et quelques-unes beaucoup plus comme cette maîtresse brodeuse, Antoinette Terrier, qui habite depuis douze ans le même appartement93. On sait que les brodeuses constituent une catégorie sensiblement plus fortunée que les groupes précédents94. Certaines d’ailleurs sont des chefs d’atelier dont le métier nécessite une longue période d’apprentissage. Elles exercent pour les négociants ou les marchands une activité spécialisée et délicate, ce qui les distingue des ouvrières et des domestiques, employées à des tâches subalternes. Plus autonomes dans leur métier, elles travaillent souvent à plusieurs dans un même ouvroir. Les plus fortunées font appel à des employées qui travaillent dans leur boutique et approvisionnent les négociants de la ville. Cette relative « aisance » se traduit par une plus grande stabilité dont l’échantillon se fait l’écho.
80D’autres activités, moins propres aux femmes célibataires que les précédentes se rencontrent encore dans l’échantillon : ce sont les métiers de coiffeuses, de blanchisseuses ou de revendeuses. Leur groupe est trop restreint pour permettre une analyse détaillée. Il semble cependant que plus le métier exercé est qualifié, moins on déménage. En témoigne par exemple cette coiffeuse, Jeanne Marie Loupy qui a habité un appartement à la descente du Pont de Pierre pendant quatre ans95. Bien entendu, aucune règle, ne peut être fixée car le changement de résidence dépend de facteurs multiples dont beaucoup échappent entièrement. Retenons simplement que la mobilité et l’instabilité restent la situation la plus courante chez les femmes qui exercent une activité autonome.
81Avec la catégorie des artisans, on pénètre dans le monde des travailleurs spécialisés, membres des diverses communautés d’arts et de métiers de la ville. L’échantillon comprend 65 hommes, soit 42 % du corpus. Au sein du groupe, un ensemble domine numériquement tous les autres : ce sont les fabricants en soie.
82La durée d’occupation d’un logement se présente sous un jour bien différent chez les artisans et dans les catégories précédentes. Si une minorité d’entre eux (13 %) séjourne moins de un an dans un appartement, 19 % y résident de un à trois ans et 67 % (c’est-à-dire deux artisans sur trois) s’y installent plus de trois ans. Cette sédentarité traduit l’ancrage des travailleurs qui exercent un métier organisé et reconnu par les autorités. Elle montre que les artisans spécialisés, ayant subi l’apprentissage et accédé au compagnonnage, sont beaucoup plus stables et parviennent à s’intégrer sans difficulté dans la société lyonnaise grâce à leur appartenance à un corps constitué. Louis Cottin est maître charpentier. Il demeure avec sa famille rue Raisin depuis trente ans96. Jean Garnier habite rue Puits du Sel. Lui « et son épouse sont établis dans le quartier Pierre Scize depuis plus de 30 ans et y exercent leur métier de forgeur avec la réputation de toute l’honnêteté possible »97. Cette fidélité au quartier se poursuit souvent au-delà de la mort du conjoint comme l’attestent les dépositions de veuves, épouses d’artisans décédés. La veuve d’un maître fabricant en étoffes de soie est revendeuse de gazes. Voilà trente-huit ans qu’elle réside dans le quartier du Change. Magdeleine Didier est la veuve d’un fabricant en gaze. Depuis vingt ans, elle est locataire dans la maison Demotteron, rue du Bât d’argent98. Les exemples sont trop nombreux pour pouvoir être tous mentionnés.
83Au-delà de ces cas individuels, il semble vain de vouloir dégager un comportement spécifique, propre aux différents secteurs qui composent l’artisanat. En effet, les raisons qui poussent à déménager ou à demeurer dans un logement restent le plus souvent inconnues. Seules les singularités ou les réglementations de certains métiers – ceux de la fabrication de la soie ou de la boucherie par exemple – peuvent contribuer à stabiliser quelques groupes d’artisans déjà bien implantés dans la ville. Les ouvriers en soie, en effet, se déplacent difficilement car ils doivent emmener avec eux un matériel lourd et encombrant. De plus, l’installation des métiers en plein ou des métiers en tire exige des locaux vastes, hauts de plafond et suffisamment lumineux pour y confectionner des ouvrages délicats. Le déménagement est donc une opération difficile qui ne s’effectue que lorsque les circonstances l’imposent. Dans l’échantillon, 11 % seulement des ouvriers en soie (maîtres et compagnons confondus) changent de domicile moins de un an après leur installation alors qu’ils sont 68 % à s’installer plus de trois ans. Ici, donc, le séjour prolongé constitue la règle. Chez les bouchers, la situation est différente. Les ordonnances consulaires leur interdisent de s’établir en dehors d’emplacements réservés et limités : seules les boucheries des Terreaux dans la paroisse de la Platière, de l’Hôpital dans la paroisse Saint-Nizier, de Saint-Paul dans la paroisse Saint-Paul et de Saint-Georges dans la paroisse Saint-Georges sont en mesure de les accueillir. Qui veut se fixer ailleurs doit obtenir une dérogation, ce qui limite considérablement les déplacements à l’intérieur de la ville. La corporation des bouchers, puissante et fermée sur elle-même, apparaît donc éminemment stable. Jean Rozet, un boucher comme l’était déjà son père, demeure dans la Boucherie Saint-Paul depuis plus de trente ans99.
84Parmi les 65 artisans répertoriés, 28 sont des compagnons et 37 des maîtres de métiers, exerçant dans les secteurs les plus divers. La durée du séjour dans leur logement se présente comme suit :
85Si l’on examine la mobilité géographique des compagnons, on constate chez eux une relative stabilité : 57 % d’entre eux demeurent plus de trois ans dans le même domicile et 23 % y restent de un à trois ans. Seul un petit nombre (18 %) s’installe moins de un an. Là encore, il faudrait préciser et connaître les raisons de ces déplacements, savoir s’ils correspondent à une modification du statut social (par exemple l’acquisition de la maîtrise) ou s’ils suivent un changement dans la situation conjugale. À défaut, on peut remarquer, par la part relativement faible des compagnons changeant de domicile (ou celui de leur maître s’ils sont logés chez lui), que les années passées en apprentissage ont fait d’eux des hommes assimilés, souvent habiles et appréciés dans leur métier. Un calcul effectué à partir de cet échantillon indique qu’une majorité d’entre eux (54 %) ont moins de 28 ans et près des trois quarts (73 %) moins de 31 ans. Seuls quelques vieux compagnons ont dépassé les 35 ans et sont des sortes de « manœuvres » employés dans les métiers du bâtiment ou des artisans trop pauvres pour pouvoir s’installer à leur compte. En règle générale cependant, le profil des compagnons est celui d’hommes encore jeunes et célibataires qui logent chez un maître. D’ordinaire, leur condition change quand ils atteignent la trentaine. Une fois mariés et après avoir acquis la maîtrise, ils s’installent et disposent généralement d’un logement indépendant. Les plus pauvres cependant restent chez leur employeur malgré leur âge avancé.
86Les membres des « professions libérales », les négociants et les marchands, les nobles et les bourgeois sont regroupés ici de façon artificielle. La médiocrité des occurrences (28 cas) mais surtout la grande diversité de situations que renferment ces activités professionnelles rendent l’analyse difficile. Il serait hasardeux de chercher à découvrir un comportement spécifique qui caractérise chacune de ces catégories et les différencie les unes des autres. On rappellera simplement que, de manière générale, leur aisance – variable bien sûr selon les professions et les individus – les met à l’abri de cette instabilité chronique, propre au petit peuple des journaliers et des femmes salariées. La plupart de ces hommes, d’ailleurs, doivent être propriétaires même si, par ailleurs, ils louent l’appartement où ils résident habituellement100. Les plus riches partagent leur temps entre une résidence située à la campagne et un logement en ville, conformément au modèle dominant, très en vogue parmi les élites101. Le profil qui transparaît ici est donc, globalement, celui de classes stables et solidement établies. 11 % des déposants déclarent avoir demeuré moins de un an dans leur appartement ; 24 % y sont restés de un à trois ans ; 61 % plus de trois ans.
87Des différences sensibles cependant s’esquissent dans l’échantillon. Les membres des « professions libérales » semblent être les plus mobiles, les personnes jeunes surtout. C’est le cas, par exemple, de ce musicien de 23 ans, André Perrot, locataire du sieur Rouvier chez qui il occupe une chambre du 26 novembre 1781 au 19 août 1782 ou encore d’Alexandre Roux, commis de 22 ans « natif du Languedoc […] à Lyon depuis 11 mois. À son arrivée, il s’est placé chez le sieur Rivoire, marchand de gaze chez lequel il a demeuré 5 mois étant nourri depuis […] il est entré chez le sieur Michaud à la Saint Jean dernier »102. L’un et l’autre sont célibataires et n’ont aucune charge de famille. Ils se placent auprès de l’employeur le plus offrant, quitte à l’abandonner quand une proposition plus intéressante s’offre à eux. Peut-être en est-il de même des clercs et des licenciés en droit qui gravitent autour des études de notaires en attendant d’acheter une charge ? Il faudrait pouvoir connaître les itinéraires de chacun pour s’en assurer. Ce qui est sûr, c’est que, de toutes les catégories étudiées, ce sont les négociants, les marchands, les bourgeois et les nobles qui semblent les plus durablement installés. Aucun de ceux qu’on a pu recenser dans cet échantillon n’a séjourné moins de quatre ans dans un appartement. Cette stabilité reflète une certaine pérennité, propre aux classes aisées. Les négociants et les marchands ne sont-ils pas issus, la plupart du temps, d’un milieu dans lequel on exerçait déjà une activité commerciale ? Surtout, comment gagner la confiance du public et asseoir sa réputation autrement qu’en se fixant durablement ? Mériter l’estime de la clientèle demande du temps et de la patience. Dans l’échantillon, on dispose d’un marchand poilier et d’un marchand ceinturonnier ayant demeuré chacun vingt ans dans le même logement ; d’un marchand de tableaux installé pendant dix ans dans le quartier d’Ainay ; de deux marchands doreurs, locataires pendant sept ans de leurs appartements et de leurs magasins ; d’autres encore103… En fin de carrière beaucoup de négociants et de marchands se retirent des affaires après avoir installé à leur place un de leurs enfants. La plupart deviennent alors des « bourgeois » au sens que ce terme a pris à la fin de l’Ancien Régime. Bourgeois et bourgeoises font preuve d’une grande stabilité dans leur domiciliation. Tous s’y établissent au moins quatre ans et certains beaucoup plus. La dame Laffrey, bourgeoise de la rue Juiverie, est locataire dans la maison Dupeyron depuis quatorze ans. La dame Varlot locataire dans la maison Gabet s’y est installée voilà dix ans. Le sieur Mannecy, bourgeois, loue depuis plus de six ans un appartement rue des Deux Angles104. Ce type de séjour prolongé se vérifie aussi chez le seul noble qui figure dans l’échantillon. Au cours d’une affaire judiciaire qui met aux prises deux époux, il déclare, comme témoin, qu’ayant habité pendant dix ans dans la même maison que la plaignante, il se porte garant de sa probité105. Comme en témoignent tous ces exemples, la stabilité des classes les plus aisées est une réalité bien attestée.
Notes de bas de page
1 Garden, op. cit., p. 25 et suivantes.
2 Gascon Richard, Grand commerce et vie urbaine au xvie siècle. Lyon et ses marchands, vol. 1, Paris, Sevpen, coll. « Civilisations et sociétés », 1971, p. 445-450.
3 À la veille de la Révolution, Lyon se divise en dix paroisses. La rive droite de la Saône en comprend 5 : Saint-Pierre-le-Vieux, Saint-Paul, Saint-Georges, Sainte-Croix, Fourvière. La presqu’île 5 autres : Saint-Nizier, Saint-Pierre, la Platière, Saint-Vincent, Ainay. Sur l’histoire du diocèse de Lyon, consulter Gadille Jacques, dir., Histoire des diocèses de France. Le diocèse de Lyon, Paris, Beauchesne, 1983.
4 Sur la localisation des quartiers lyonnais, voir carte page suivante.
5 Sur l’histoire des rues de Lyon, consulter Vanario Maurice, Les Rues de Lyon à travers les siècles ( xive au xxe), Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 1990.
6 Pelletier Jean, Les Ponts de Lyon, l’eau et les Lyonnais, Le Coteau, Horvath, 1990, p. 31-36.
7 Garden, op. cit., p. 198.
8 Garden, op. cit., p. 166
9 Rossiaud Jacques « L’affaneur rhodanien et lyonnais au xve siècle, essai de définition d’un groupe socio-professionnel », Mélanges d’histoire lyonnaise offerts par ses amis à Monsieur Henri Hours, Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 1990, p. 377-406.
10 Garden, op. cit., p. 233.
11 À Lyon, on dénombre 72 communautés d’art et de métiers jusqu’à la réforme de Turgot en 1776. Après son échec, 41 d’entre elles sont rétablies. Sur ce thème, voir Kaplan Steven Laurence, La Fin des corporations, Paris, Fayard, 2001.
12 Garden, op. cit., p. 318.
13 Godart Justin, L’Ouvrier en soie. Monographie du tisseur lyonnais. Étude historique, économique et sociale, Lyon, E. Nicolas, 1899.
14 Bayard, Vivre à Lyon sous l’Ancien Régime, op. cit., p. 156.
15 Garden, op. cit., p. 315.
16 Trénard, op. cit., p. 75.
17 Garden, op. cit., p. 204.
18 Garden, op. cit., p. 200.
19 Budin Jean-François, Les Métiers féminins de la soie à Lyon aux xviie et xviiie siècles, 2 vol., Mémoire de maîtrise sous la direction de F. Bayard, Université Lumière Lyon 2, Centre Pierre Léon, 2000.
20 Garden, op. cit., p. 200.
21 Ibid.
22 Ainsi Castan Nicole, dans Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, Paris, Flammarion, coll. « Science », 1980, p. 288-290.
23 La part des artisans dans la société lyonnaise a été régulièrement soulignée par les historiens de la ville. Dans l’échantillon ci-dessus, leur pourcentage oscille entre 38 et 62 %. Seul le quartier du Griffon en comprend moins de 20 % (19 %).
24 Ainsi cette gravure de Jean-Jacques de Boissieu reproduite dans Perez Marie-Félicie, L’Œuvre gravé de Jean-Jacques de Boissieu, 1736-1810, Genève, Tricorne, 1994, p. 317, où l’on voit, sur la rive droite de la Saône, une suite ininterrompue de vieilles masures qui viennent toucher l’eau.
25 Garden, op. cit., p. 204-210.
26 Roche, Le Peuple de Paris, op. cit., p. 107.
27 Roche Daniel, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation dans les sociétés traditonnelles ( xviie-xviiie siècle), Paris, Fayard, 1997, p. 96 et suivantes.
28 Braudel Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, xve-xviiie siècle, T. I, Les structures du quotidien : le possible et l’impossible, Paris, A. Colin, 1979, p. 301-376.
29 ADR, BP 3454, 27 février 1779.
30 ADR, B P 3513, 18 janvier 1787.
31 Les nobles sont ceux qui ont la part la plus étendue dans la propriété des immeubles : 200 familles nobles se partagent plus du quart de la valeur du patrimoine immobilier lyonnais, cf. Garden, op. cit., p. 393.
32 Une examen mené à partir de la contribution foncière de 1791 et concernant l’ensemble des propriétaires des sections de l’Hôtel-Commun, de la Fédération, de l’Hôtel-Dieu, du Nord-Ouest, du Nord-Est et de la Halle aux blés, autrement dit de la totalité de la presqu’île à l’époque révolutionnaire, montre qu’un propriétaire seulement sur trois déclare demeurer chez lui. Ce phénomène s’observe également dans la capitale, cf. Pardailhé-Galabrun Annick, La Naissance de l’intime : 3000 foyers parisiens. xviie-xviiie siècles, Paris, PUF, coll. « Histoires », 1988, particulièrement la préface de Pierre Chaunu dans laquelle l’historien pose la question : « Habiter chez soi serait-il vulgaire ? ».
33 ADR, BP 3536, 28 juillet 1790.
34 ADR, BP 3425, 8 mars 1776.
35 ADR, BP 3534, 15 janvier 1790.
36 ADR, BP 3431, 23 octobre 1776 et 3482, 17 août 1782.
37 ADR, BP 3463, 3 avril 1780.
38 ADR, BP 3447, 16 avril 1778.
39 Zeller, « Un mode d’habiter à Lyon au xviiie siècle », art. cit., p. 36-60.
40 En principe, cette pratique est interdite : ainsi l’attestent de nombreux baux de location qui stipulent que le locataire s’engage à ne pas louer ou rétrocéder son appartement.
41 ADR, BP 3475, 5 novembre 1781.
42 ADR, BP 3477, 3 janvier 1782.
43 ADR, BP 3494, 2 juillet 1784.
44 Gutton Jean-Pierre, Domestiques et serviteurs dans la France de l’Ancien Régime, Paris, Aubier Montaigne, « Collection historique », 1981.
45 ADR, BP 3501, 23 juillet 1785.
46 ADR, BP 3492, 2 mars 1784.
47 ADR, BP 3428, 6 mai 1776.
48 ADR, BP 3479, 25 mars 1782.
49 ADR, BP 3454, 24 mars 1779.
50 ADR, BP 3533, 28 novembre 1789.
51 AML, FF 09, ordonnance du 30 novembre 1780.
52 ADR, BP 3436, 23 janvier 1777 et BP 3479, 3 octobre 1782.
53 ADR, BP 3455, 26 mai 1779.
54 ADR, BP 3536, 12 juillet 1790.
55 ADR, 11G 301, 23 novembre 1776.
56 Même remarque à Paris, cf. Roche Daniel, dir., La Ville promise. Mobilité et accueil à Paris (fin xviie-début xixe), Paris, Fayard, 2000, p. 200.
57 ADR, BP 3533, 26 février 1779.
58 Cleux Benjamin, Le Recensement de 1709, géographie sociale et micro-analyse urbaine, mémoire de maîtrise sous la direction d’O. Zeller, 2 vol., Université Lumière-Lyon 2, Centre Pierre Léon, 1996.
59 ADR, BP 3474, 27 septembre 1781.
60 ADR, BP 3536, 29 juillet 1790.
61 ADR, BP 3466, 22 juillet 1780.
62 Roche, Histoire des choses banales, op. cit., p. 101-102.
63 ADR, BP 3532, 29 octobre 1789.
64 ADR, BP 3537, 29 octobre 1790.
65 ADR, BP 3538, 13 février 1790.
66 ADR, BP 3505, 15 janvier 1786.
67 ADR, BP 3516, 23 juin 1787.
68 C’est le cas notamment des immeubles de rapport, construits en pleine ville, dont les appartements les plus importants ont vue sur la rue.
69 Roche, Le Peuple de Paris, op. cit., p. 119. Cette observation ne s’applique pas aux maisons du quartier Saint-Jean construites, dès le départ de cette manière : voir Lavigne Maryannick, Inventaire monumental, îlot 18. Quartier Saint-Jean, thèse de 3e cycle, Université Lumière-Lyon 2, Bibliothèque d’histoire de l’art, 3 vol., 1973.
70 ADR, BP 3471, 3 avril 1781.
71 ADR, BP, 3518, 11 octobre 1787.
72 Parmi les éléments qui contribuent au développement du confort, rappelons aussi le succès grandissant au xviiie siècle des fenêtres dites « à la française ». Dotées de deux vantaux ou d’une coulisse, elles remplacent peu à peu les croisées à meneaux et à croisillons. Chez les plus aisés, le châssis garni de papier huilé ou de toile cirée cède également la place aux carreaux de verre transparents, transformant ainsi entièrement l’économie intérieure de la fenêtre en donnant aux habitations un éclairage de qualité bien supérieure, cf. Cottin, François-Régis, « La fenêtre et le verre à Lyon aux xviie et xviiie siècles » dans Mélanges offerts à Maître Jean Tricou, Lyon, Audin, 1972, p. 111-137.
73 Les dictionnaires de la fin du xviiie siècle témoignent de la spécialisation grandissante des pièces. Ainsi L’Encyclopédie, op. cit., T. III, p. 44 définit-elle la chambre comme un lieu réservé au repos et à l’intimité alors que la salle est le lieu spécifique de la sociabilité.
74 ADR, BP 3511, 7 décembre 1786.
75 ADR, BP 3455, 17 avril 1779.
76 ADR, BP 3465, 28 juin 1780.
77 L’échantillon se décompose ainsi : 16 % de journaliers ; 27 % de professions féminines ; 36 % d’artisans ; 6,1 % de professions libérales ; 7 % de négociants et de marchands ; 5 % de bourgeois et de nobles.
78 ADR, BP 3535, 2 mai 1790.
79 ADR, BP 3459, 12 octobre 1779.
80 ADR, BP 3455, 17 juin 1779.
81 Sur la banalisation du suicide au siècle des Lumières, consulter Minois Georges, Histoire du suicide. La société occidentale face à la mort volontaire, Paris, Fayard, 1995, p. 221-245. Voir aussi Duplâtre Angélique, Le Suicide aux xviie et xviiie siècles. L’exemple de la généralité du Lyonnais et du Beaujolais, mémoire de maîtrise sous la direction de F. Bayard, Université Lumière-Lyon 2, Centre Pierre Léon, 1998, p. 84, notamment, où l’auteur souligne qu’un suicide sur deux provient des quartiers populaires de la rue de l’Hôpital ou du Plat d’argent.
82 ADR, BP 3514, 3 avril 1787.
83 Garden, op. cit., p. 259 et suivantes.
84 Sur la profession des jardiniers, consulter Montenach Anne, Jardins et jardiniers à Lyon aux xviie et xviiie siècles, Mémoire de maîtrise sous la direction de F. Bayard, Université Lumière-Lyon 2, Centre Pierre Léon, 2 vol., 1994.
85 Gutton, Domestiques et serviteurs dans la France d’Ancien Régime, op. cit., p. 202-203.
86 Garden, op. cit., p. 251.
87 ADR, BP 3533, 17 novembre 1789.
88 ADR, BP 3501, 2 juillet 1785.
89 ADR, BP 3535, 4 mai 1790.
90 ADR, BP 3535, 2 mai 1790.
91 ADR, BP 3535, 4 mai 1790.
92 ADR, BP 3455, 17 avril 1779.
93 ADR, BP 3526, 28 septembre 1788.
94 Garden, op. cit., p. 200.
95 ADR, BP 3459, 26 octobre 1779.
96 ADR, BP 3538, 5 mars 1790.
97 ADR, BP 3481, 1er juillet 1782.
98 ADR, BP 3510, 10 octobre 1786 et BP 3465, 28 juin 1780.
99 ADR, BP 3455, 2 juin 1779.
100 Cf. première partie, chapitre 2, p. 70, note 4.
101 Gattefossé Françoise, Inventaire des maisons du xviie siècle. Lyon-Presqu’île, Mémoire de maîtrise sous la direction de D. Ternois, Université Lumière-Lyon 2, Bibliothèque Histoire de l’Art, 1972, p. 32.
102 ADR, BP 3482, 4 octobre 1782 et BP 3459, 5 novembre 1779.
103 ADR, B.P.3474, 24 septembre 1781 ; BP 3458, 26 août 1779 ; BP 3521, 1er avril 1788 ; BP 3537, 31 octobre 1790.
104 ADR, BP 3473, 4 août 1781 ; BP 3521, 1er avril 1788 ; BP 3535, 12 mai 1790.
105 ADR, BP 3521, 1er avril 1788.
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