Chapitre 1. Le verbe, le droit, la loi
p. 19-61
Texte intégral
1Il existe plusieurs façon d’aborder les notions de voisin(e) et de voisinage mais trois semblent être incontournables. La première consiste à s’interroger sur le sens des termes en questionnant les dictionnaires. La seconde s’efforce d’examiner les règles et les textes juridiques, tant il est vrai que la contiguïté des propriétés foncières et la coexistence au sein des immeubles font naître des droits et des devoirs entre voisins. La troisième, enfin, scrute les archives criminelles de manière à donner aux mots une signification concrète et précise. Une fois ces investigations accomplies, il sera plus aisé d’appréhender la communauté de voisinage dans ses manières de vivre et de cohabiter.
2Toute recherche lexicologique nécessite la consultation d’un dictionnaire. Son concours est d’autant plus précieux, que, indissociable de l’époque qui l’a produit, il véhicule un certain nombre de représentations mentales. Or, de toutes les productions culturelles des Lumières, la plus emblématique demeure le dictionnaire. Son succès grandissant – attesté en Angleterre quelques décennies auparavant déjà – constitue un des phénomènes les plus marquants du xviiie siècle. N’est-on pas allé jusqu’à parler de « l’âge des dictionnaires » pour exprimer ce formidable engouement1 ? S’inspirant du Cyclopaedia ou Dictionnaire universel des Arts et des Sciences de Chambers, des savants français dressent un tableau des connaissances humaines après les avoir passées au crible du raisonnement critique2. En principe, l’Académie détient le monopole des dictionnaires dans le royaume. Mais, dès avant sa publication (1694), le premier ouvrage est concurrencé par les dictionnaires de Richelet (1680) et de Furetière (1690). Celui de Bayle le suit de très peu (1695). Il sera réédité neuf fois en raison de son succès3. Au siècle suivant, l’Encyclopédie connaît à son tour une belle réussite commerciale. Vendue à 2500 exemplaires entre 1751 et 1782, elle mobilise au total 1500 personnes (auteurs, ouvriers du livre, graveurs etc.)4. Une véritable société de gens de lettres s’attache à définir le savoir humain en rédigeant ce « Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers ». Désormais, les Lumières diposent d’un instrument puissant, capable de diffuser les idées nouvelles au sein de l’élite sociale et culturelle du royaume. À travers cette multiplication d’ouvrages, c’est toute la question de la « norme langagière » qui est posée5. L’Académie travaille à la « pureté » de la langue et s’efforce de défendre le bon usage. Pour parler comme Vaugelas, elle légifère dans le domaine des mots et du style en suivant « la façon de parler de la plus saine partie de la cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps »6. Autrement dit, en matière de langage, ce sont les courtisans et les auteurs littéraires reconnus, c’est-à-dire les membres de l’Académie, qui fixent le modèle à suivre. Aussi le Dictionnaire ne comprend-il ni citations – l’Académie ne saurait reconnaître qu’une seule autorité : la sienne – ni expressions anciennes, populaires ou jugées inconvenantes. À l’inverse, les autres lexiques dressent un inventaire détaillé de la langue française. Ils distinguent différents registres d’usage et multiplient les exemples en puisant dans les oeuvres les plus diverses7. Rejetant à la fois le tri sélectif et le classicisme mondain de l’Académie, les Furetière, Richelet et consorts composent un dictionnaire qui ouvre des horizons nouveaux sur l’environnement culturel, les normes et les valeurs sociétales. Chaque mot devient un lieu privilégié de réflexion. Il éclaire les comportements et témoigne des formes de sensibilités. C’est pourquoi, pour l’étude du vocabulaire, ils seront consultés en priorité.
3L’approche des lexicographes, bien sûr, ne suffit pas. Il faut aussi s’interroger sur les nombreuses règles juridiques qui régissent les rapports entre voisins. Les unes concernent les propriétés foncières auxquelles sont attachées des charges et des restrictions, dans l’intérêt du voisin. Les autres regardent les individus eux-mêmes, contraints à quantité d’obligations personnelles puisqu’ils vivent en communauté. Ensemble, elles composent ce que, par commodité, on nommera la législation du voisinage.
4Celle-ci se fonde sur un constat simple : l’immeuble ne constitue pas une entité isolée et autonome. Il est entouré de nombreux bâtiments auxquels se joignent souvent des constructions annexes plus ou moins bricolées. Cette proximité immédiate et imposée engendre entre propriétaires voisins ou entre locataires, leurs ayants cause, des rapports juridiques. Des charges, des obligations ou des droits s’établissent que les coutumes, les jurisconsultes, les autorités municipales ou des conventions particulières s’efforcent de fixer au nom de l’intérêt général. Ce souci, d’ailleurs, est très ancien. Romains et Byzantins réglementent déjà, à leur façon, les rapports de voisinage et proposent un ensemble cohérent de solutions, élaborées à partir de situations concrètes8. Sous l’Ancien Régime, les règlements d’urbanisme puisent largement dans ce vieux fonds et les juristes de l’ancien droit français remettent à l’honneur de nombreuses notions et propositions d’origine romaine. L’imbroglio juridique, alors, est extrême. Outre la grande division qui sépare la France en deux zones – celle du nord où l’on suit les coutumes teintées d’esprit communautaire et celle du sud où l’on pratique principalement le droit romain écrit – il existe de nombreuses législations locales9. Une première tentative de rationalisation est engagée à partir du xve siècle avec la rédaction officielle des coutumes de France10. Aux siècles suivants, de nombreux jurisconsultes cherchent à pousser le droit français vers l’unité, en s’inspirant tantôt de la Coutume de Paris, à laquelle ils cherchent à ramener toutes les autres, tantôt des catégories du droit romain. Pourtant, malgré ces efforts et hormis quelques matières juridiques unifiées par les ordonnances de Colbert et de d’Aguesseau, le droit privé – qu’on nomme alors droit civil et qui réglemente tous les actes des particuliers (notamment ceux du propriétaire dans son rapport avec le voisinage) – reste divisé et morcelé à l’extrême. Chaque région, chaque ville parfois, possède ses propres règles. En l’absence d’un code civil, les juges des tribunaux se réfèrent aux usages locaux ou s’inspirent des ouvrages de jurisprudence rédigés par des hommes de loi.
5Dans la cité lyonnaise, la réglementation des rapports de voisinage est variée et dispersée à travers une foule de règles. Ce sont d’abord les sentences énoncées par les juristes dans leur effort pour attribuer un statut à la propriété foncière et lui fixer des limites incontestables. Ce sont ensuite certaines ordonnances municipales qui ont trait à la voirie, à l’alignement, à l’hygiène ou à la sécurité des individus et qui naissent en même temps que se développent les grandes agglomérations du royaume. Ce sont encore les prescriptions de la première coutume de France, la Coutume de Paris, et plus spécialement la Jurisprudence du Châtelet chaque fois que les règlements municipaux ou les juristes font défaut, ce qui est vrai surtout des servitudes dites « urbaines ». Ce sont enfin toutes les conventions et les accords passés entre propriétaires ou locataires voisins, établis par écrit devant un notaire. Au total, l’organisation juridique des rapports de voisinage est un mélange complexe de solutions jurisprudentielles, parisiennes, locales ou particulières. Ainsi l’épineuse question de la mitoyenneté des murs et celle de l’ouverture des vues et des jours dans un immeuble lyonnais sont traitées « à la parisienne », c’est-à-dire selon les règles établies par la Coutume de Paris. En revanche, les obligations personnelles ou collectives qui pèsent sur les habitants des maisons relèvent, elles, à la fois des ordonnances consulaires et des règles fixées par les juristes.
6On le voit, la diversité des dispositions juridiques constitue un handicap pour qui veut appréhender les droits et les devoirs des voisins sous l’Ancien Régime. Leur examen pourtant s’impose et composera la seconde partie de ce chapitre.
7Si l’étude lexicologique et l’analyse des prescriptions légales permettent de clarifier les notions de voisin et de voisinage, elles restent insuffisantes cependant car elles en donnent une définition trop imprécise. L’attribution de la qualité de voisin fluctue en effet selon des critères multiples dont ne rendent compte ni les dictionnaires ni les textes juridiques : des critères de distance et de proximité géographique, bien sûr, mais aussi des critères « socio-affectifs » plus difficiles à établir. C’est ainsi qu’on identifiera plus volontiers comme voisin une personne fixée depuis longtemps dans l’immeuble qu’un nouveau venu. Ou encore, qu’on distinguera un bon d’un mauvais voisin selon que le quidam se montre ou non serviable, bienveillant et intégré dans la vie du quartier. Pour comprendre au mieux ce que les Lyonnais rangent sous le terme voisin, il importe donc d’interroger la source la plus riche qui soit en informations sur l’existence quotidienne : les archives judiciaires. En pratiquant un relevé systématique du vocable consigné dans les plaintes et les témoignages, en analysant ses occurrences et ses connotations, en examinant, enfin, les mots qui lui sont associés, on saisit plus facilement les conceptions et les représentations que les Lyonnais s’en font. Sans tomber dans les travers du quantitativisme, il est possible, par le dénombrement du mot voisin, par l’examen de son emploi et de ses usages dans les procédures judiciaires, d’en dégager la signification profonde. Pareille définition est capitale et s’inscrit au cœur même de l’enquête qu’on entend mener. C’est pourquoi elle occupera la toute dernière partie du chapitre.
I – CE QUE VOISINER VEUT DIRE
8À l’orée de cette étude, il convient d’abord d’éclairer le sens des mots. Comme une recherche lexicale de grande ampleur s’avère difficile en raison de la diversité des sources narratives, on se limitera ici à l’examen des dictionnaires de la langue française.
1. Le vocabulaire du voisinage
9Tel qu’il est défini par les dictionnaires du xviiie siècle, le mot voisin(e) possède un sens analogue à celui qu’on lui connaît aujourd’hui. Furetière, dans son Dictionnaire universel (édition 1690), donne au terme une signification tout à fait actuelle : est voisin, écrit-il, celui qui est « proche, limitrophe […] logé ou situé auprès d’un autre »11. Reprenant mot pour mot cette définition, le Dictionnaire universel français et latin, plus connu sous le titre de Dictionnaire de Trévoux (édition 1752), fournit plusieurs synonymes latins qui expriment tous cette proximité géographique : finitimus, propinquus, proximus. Il rappelle aussi que voisin(e) peut s’employer de manière figurée et s’appliquer à des « choses morales ». Ainsi l’expression : « il est voisin de sa ruine, de sa fin12.» Moins prolixe que les ouvrages précédents, le Dictionnaire de l’Académie Française (édition 1718) n’apporte aucun élément nouveau et se borne à rappeler le sens du mot dans son acception la plus courante13. Quant à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, elle évoque l’adjectif voisin(e), mais non le substantif, comme quelque chose qui est « immédiat et séparé de peu de distance ou attenant »14.
10Du vocable voisin(e) dérive le substantif voisinage, terme collectif qui désigne, selon Furetière, « ceux qui habitent en des lieux proches les uns des autres » ou encore, d’après le dictionnaire de Richelet, « les personnes qui demeurent dans le même quartier »15. Apparu dès le xiiie siècle, le mot s’impose à l’époque moderne et évince trois autres termes synonymes plus anciens – voisinance, voisiné, voisinois – désormais proscrits par les savants mais toujours employés aux xviie et xviiie siècles16. Il évoque un groupe ou une communauté qui partage le même environnement géographique mais aussi la proximité d’une chose ou d’une personne, comme dans l’exemple proposé par Furetière : « le voisinage d’un ennemi puissant est à craindre17.»
11De voisin provient aussi voisiner, un verbe attesté dans la langue française à partir du xvie siècle. Littéralement, il signifie : voir, fréquenter, bavarder, aller faire la causette chez un voisin, le visiter familièrement. C’est le sens que lui donne le Dictionnaire de Trévoux dans l’exemple suivant : « Les hobereaux de campagne subsistent en allant voisiner chez les uns et chez les autres18.» Voisiner peut également s’employer pour dire « être placé auprès de quelqu’un ou de quelque chose ». Dans ce cas, le verbe est suivi de la préposition « avec » et se confond, quant au sens, avec le verbe avoisiner.
12Plus instructifs pour l’observateur d’aujourd’hui sont les proverbes, les adages et autres dictons reproduits dans les dictionnaires par les auteurs de manière à illustrer, par l’exemple, le sens des mots. Ces formules, parce qu’elles appartiennent à la « sagesse populaire », sont significatives à bien des égards. Elles expriment une vérité d’expérience ou un conseil pratique et témoignent d’une culture commune, partagée par une grande partie du corps social. De nombreux dictons rappellent les nécessaires rapports de solidarité et d’amitié que doit entretenir tout voisin. « Pour grasse que soit la géline (c’est-à-dire la poule), elle a besoin de sa voisine » déclare-t-on dès le xiiie siècle, signifiant par là que le destin individuel est inséparable du destin collectif et que l’entraide de chacun conditionne la survie de tous19. C’est que la proximité bienveillante d’un voisin est toujours un bienfait apprécié, comme le rappelle le proverbe suivant : « Il est meilleur avoir amy voisin, que voires un propre frère duquel lointaine soit la demeure20. » On attend des maisons les plus proches et de leurs habitants des rapports sans histoire et un soutien désintéressé en cas de besoin. Car, ainsi que le rappellent les dictionnaires, « n’est pas voisin qui ne voisine », autrement dit « il faut s’entre-visiter et se donner mutuellement à manger »21. A défaut, on ne saurait s’honorer du titre de « bon voisin »22. Quoi de plus satisfaisant en effet que de vivre entouré d’une « bonne et saine compagnie » avec laquelle tout se passe cordialement ? L’amitié entre voisins, le respect et l’entraide réciproques définissent une certaine forme de « bonheur » comme le rappelle Rétif de la Bretonne dans ses Nuits de Paris. Prêtant sa voix à un moribond, il écrit :
J’ai été le plus heureux des hommes : j’ai eu la meilleure femme, de bons enfants ; du travail, de la santé, l’estime de mes pratiques et de mes voisins, qui mettaient trop de prix aux petits services que j’aimais à leur rendre : ha ! Monsieur ! J’ai été heureux en ce monde23.
13L’auteur ne fait qu’exprimer ici un vieux sentiment populaire qu’on retrouve formulé dans cet ancien dicton : « Bien en a sa maison que de ses voisins est aimé24. » Furetière émet une opinion similaire en rappelant les termes du célèbre proverbe : « Qui a bon voisin a bon matin » lequel, explique-t-il, s’utilise « pour dire que qui a bon voisin vit en repos, sans inquiétude, qu’on peut toujours en attendre du secours »25. À y regarder de près cependant, cette maxime peut se comprendre de façon toute différente. Ne sous-entend-elle pas en effet une vérité opposée, à savoir qu’un mauvais voisin rend insupportable la vie quotidienne ? « On dit qui a mal voisin qu’il a souvent mal matin » assure un vers du Roman du Renard cité par la Curne de Sainte-Palaye26. De manière significative, de nombreux dictons renchérissent et insistent sur les difficultés qu’entraîne la proximité d’un fâcheux. Sont particulièrement redoutés les individus procéduriers et chicaniers – « Bon avocat, mauvais voisin » – mais aussi les personnes malhonnêtes qu’il faut, le cas échéant, savoir corriger : « Bien doit porter bâton qui a voisin félon » clame-t-on au Moyen Âge27 ; ou encore « Qui a félon voisin par maintes fois en a mauvez voisiné28. » En fin de compte, l’idéal reste la proximité d’une personne loyale, dotée d’une fortune « médiocre », c’est-à-dire moyenne. « Il ne fait pas bon avoir un voisin trop pauvre ni trop riche29. » Seul un homme, à égale distance de l’indigence et de l’opulence arrogante est en mesure d’entretenir avec la collectivité des relations de voisinage honnêtes et durables. Si le voisin reste un être dont on se méfie toujours – bien que, par ailleurs, sa présence soit régulièrement sollicitée – c’est parce que rien ne lui échappe. Sa curiosité insatiable traque, jusque dans les détails, l’existence de chacun. « Voisin sait tout » affirme une sentence du xve siècle30. Aussi convient-il de se protéger et de limiter ses intrusions inopportunes. La proximité des habitations ne l’impose-t-elle pas ?
2. Voisin, maison et communauté de voisinage
14Deux ouvrages permettent d’aller plus avant dans l’étude du vocabulaire. Le premier a déjà été utilisé : c’est le Dictionnaire historique de l’ancien langage français. Rédigé par La Curne de Sainte-Palaye dans la seconde moitié du xviiie siècle, il est publié un siècle plus tard, en 1875. Le second, le Dictionnaire de la langue française (édition 1873), est l’oeuvre d’Émile Littré. Achevé quelques années avant la mort de l’auteur, il représente une véritable somme érudite à laquelle le célèbre savant consacra une partie de sa vie31. Chacun de ces deux dictionnaires scrute l’ascendance et l’histoire des mots. Il reconstitue leur filiation et s’attache à retrouver les variations de sens qu’ils ont pu connaître. Ainsi le Littré enseigne-t-il que le mot voisin vient du latin vicinus, lequel dérive à son tour de vicus, un terme qui se rattache au vocable grec oikos, généralement traduit par maison ou par demeure32. Pour sa part, La Curne rappelle que le voisin désigne au Moyen Âge le compatriote, c’est-à dire l’habitant, le membre de la collectivité, celui qui partage son horizon géographique33. Ces renseignements sont d’importance : ils montrent que le lien primitif entre voisins découle de la juxtaposition des maisons qu’ils habitent. Plutôt qu’un rapport personnel d’individu à individu, le rapport de voisinage se définit donc d’abord comme une relation entre habitations contiguës. De nombreuses chartes ou coutumes médiévales s’enracinent dans cette représentation, commune à l’Europe toute entière. Du sud de la France au Portugal, le vezi de Provence, le vehi de Catalogne, le Besi de Gascogne et des Pyrénées, le vecino d’Espagne désignent le voisin, entendu comme l’homme libre du vicus, celui qui habite une maison avec sa famille34. Cette notion se retrouve également dans le Nord de l’Europe, dans la charte de Prisches notamment, que l’historien L. Verriest a étudiée35. Cette dernière consacre deux de ses articles à la question du voisinage. Le premier exonère du droit de mutation tout villageois qui vend sa maison à un voisin. Le second permet à chaque habitant de quitter son toit s’il a auparavant réuni le groupe des voisins et lui a apporté la preuve qu’il avait réglé ses dettes. Ainsi dépeint, le voisin est celui « qui tient une maison dans le village de Prisches ». Cette qualité lui est donc reconnue par le biais de sa demeure qu’il doit posséder en propre. Pareille exigence, il faut le souligner, se retrouve aussi, à la même époque, dans le Sud-Ouest de la France et en Espagne du Nord36. De sorte que l’on comprend mieux la forme, en Europe méridionale, de certains villages aux maisons accolées et serrées : puisque l’habitation reste l’articulation principale des rapports de voisinage et des solidarités quotidiennes, l’architecture ne matérialise-t-elle pas, en fin de compte, cette conception ? Les liens qui se tssent entre voisins se nouent ordinairement de maison à maison. Comment pourraient-ils ne pas être particulièrement étroits ?
15Au voisin/vicus, maître de sa maison, s’ajoute le voisin/proximus, proche, géographiquement, des autres habitants. L’un et l’autre se complètent pour ne composer qu’une seule et même personne, agrégée à la communauté des voisins. Si celle-ci se caractérise par la forte solidarité dont font preuve ses membres, elle déploie aussi une certaine méfiance à l’égard de l’étranger. De ce sentiment de suspicion découle le statut d’infériorité dans lequel le « forain » est ordinairement maintenu. En Dauphiné, par exemple, le délit commis par un étranger est plus sévèrement puni que celui qui est commis par un voisin37. Aux environs de Bayonne, la condamnation est moins lourde quand la victime n’habite pas le village38. Dans le Hainaut, les étrangers payent le tonlieu sur les marchandises transportées alors que les villageois en sont exemptés39. De nombreux exemples montrent que le voisinage affirme clairement sa différence avec l’étranger. C’est contre lui, notamment, que les habitants défendent leur territoire et leurs pâturages communs. En Haute-Provence, certaines coutumes autorisent même le recours à la force lorsque des intrus accaparent les pâturages d’altitude40. Pourtant, en dépit des tensions qui caractérisent le couple voisin/étranger, il est un domaine où les relations se nouent de village en village : le mariage. Les coutumes et les chartes attestent que l’intégration de l’étranger par le mariage et son accès à la qualité de voisin sont toujours possibles, moyennant, parfois, versement d’un tribut41. Bien que les alliances restent pour l’essentiel endogames, des échanges matrimoniaux ont lieu entre villages. La communauté de voisinage témoigne ainsi de sa capacité à renouveler ses membres. Bien sûr, l’intégration au groupe se fait progressivement. Dans les Pyrénées, le nouvel arrivant doit attendre un an et un jour avant de devenir voisin à part entière et être agréé par la communauté42. Ailleurs, il lui faut parfois aussi s’acquitter d’un « droit d’entrance », prêter serment de respecter les usages ou encore acquérir une maison. En fait, les modalités d’installation d’un étranger varient selon les lieux et les époques. Chaque communauté règle, au mieux de son intérêt, le flux migratoire. Mais, si la collectivité est capable d’absorber une quantité croissante de forains, il faut du temps à ces derniers pour qu’ils puissent bénéficier de la confiance de leurs concitoyens. C’est pourtant à l’aptitude de faire une place à l’étranger que se mesure la vitalité du groupe des voisins.
16Naturellement, cette conception du voisinage, héritée du Moyen Âge se transforme à l’époque moderne. Le développement des villes, l’afflux des immigrants, la confiscation du pouvoir par les notables brisent l’autonomie culturelle et sociale des communautés villageoises43. Seuls, semble-t-il, le Sud-Ouest de la France et les vallées pyrénéennes maintiennent plus durablement la tradition44. Ailleurs le voisin cesse de se confondre avec la maison et la famille qu’elle abrite. La distinction se fait plus claire entre l’habitant et sa demeure. Est-ce à dire pour autant que la communauté de voisinage ne constitue plus la cellule de base de la vie collective et qu’elle n’exerce plus son emprise sur le groupe des habitants ? Assurément, non. Les recherches entreprises dans le cadre de cette étude montrent clairement le contraire. Seulement, les règles se diversifient et cherchent à se libérer du vieux droit communautaire. À cet égard, l’exemple de Lyon est significatif et témoigne du chemin parcouru depuis l’époque médiévale. Des dispositions juridiques voient le jour qui s’efforcent de tenir compte des aspirations à une liberté plus individuelle et des exigences de la vie en société. Face à la pression urbaine, le droit de la propriété et de l’immeuble retient toute l’attention des législateurs. Des devoirs sont imposés aux propriétaires d’un fonds – les servitudes – mais en même temps, les hommes de loi affirment toujours plus distinctement le principe selon lequel « propriétaire est toujours maître chez lui ». À ces dispositions s’en ajoutent d’autres : les obligations auxquelles sont tenus – personnellement ou collectivement – les occupants de l’immeuble. Ainsi émerge une série de mesures réglementaires qui dotent la ville d’une véritable législation de voisinage.
II – LA LÉGISLATION DU VOISINAGE
17Définir le droit privé de l’immeuble, on l’a dit, est chose difficile tant les principes juridiques sont flous, voire contradictoires. Toutefois, il est possible de dégager un certain nombre de traits essentiels en ce qui concerne les frontières juridiques de l’immeuble, les servitudes qui grèvent un fonds et les obligations de voisinage, étant entendu, une fois pour toutes, que lorsque des droits ou des devoirs sont reconnus à un propriétaire, ils s’appliquent de la même manière aux locataires.
1. Les frontières juridiques de l’immeuble
18Sous l’Ancien Régime, le propriétaire d’un immeuble peut user de son bien comme il l’entend dans la mesure où il ne nuit pas à son entourage. Non seulement il a la liberté d’accomplir tous les actes de jouissance et d’usage qu’il désire mais encore il peut faire exécuter les travaux qui lui plaisent. Pour éviter toute contestation la loi lui impose cependant de circonscrire avec précision les frontières de son fonds. Dans une grande ville comme Lyon, cependant, la juxtaposition des immeubles et la rareté des emplacements compliquent singulièrement le tracé des propriétés. Elles posent, plus qu’à la campagne, le problème des limites de la propriété foncière. Quelles frontières doit-on fixer, en hauteur et en profondeur, à l’immeuble ? Quelles sont les règles relatives au bornage et à la mitoyenneté ? À quelles contraintes juridiques est-il soumis ? Autant de questions essentielles qui doivent permettre de définir les limites juridiques de l’immeuble.
a) Les droits du propriétaire sur le dessus et le dessous
19Si les pays de droit écrit appliquent dès l’origine le principe romain d’une propriété exclusive et absolue en faisant du propriétaire un être isolé et souverain sur son fonds, il en va tout autrement dans les pays coutumiers : là, le propriétaire ne dispose pas librement de son bien et doit tenir compte des charges et des services qui le grèvent au profit de la communauté45. À partir du xvie siècle et au cours des siècles suivants, cependant, l’opposition entre pays coutumiers et pays de droit écrit tend à s’estomper. Sous l’influence de l’école romanisante, un puissant courant intellectuel, porteur d’idées philosophiques et juridiques nouvelles, se développe qui attribue à la propriété un statut à la fois moins disparate et plus individualiste. Locke, par exemple, considère qu’elle est un « dominium [une possession] exclusif du reste de l’humanité » séparant ainsi le propriétaire et « sa » chose du reste du monde46. Furetière, pour sa part, identifie le propriétaire à un maître tout-puissant sur son domaine en affirmant que la propriété est « un droit par lequel une chose appartient en propre à quelqu’un ; (un) domaine, (une) seigneurie dont on est maître absolu, qu’on peut vendre, engager ou dont on peut disposer à son bon plaisir47. » Juristes puis philosophes de l’école du droit naturel développent, chacun à leur manière, l’idée du droit à l’appropriation des choses, soulignant qu’il est le plus important de tous, car de lui dépend la survie de l’humanité48. Ce droit de disposer librement de son bien apparaît comme une modification profonde sur le plan juridique et consacre l’idée d’une propriété libérée de toute entrave communautaire. Il est aussi le signe d’une rupture philosophique puisqu’il place l’homme au centre de toutes choses en l’autorisant à posséder comme il l’entend. Plus tard, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, le courant physiocratique donnera à cette « liberté » un contenu nettement plus économique.
20Le droit romain proclame que le propriétaire du sol l’est aussi sur toute la hauteur et la profondeur de son terrain et qu’il peut en disposer librement : il peut creuser le sol, construire une cave ou hausser un bâtiment à sa guise. La Coutume de Paris, elle aussi, reconnaît ce droit de disposer du dessus et du dessous et autorise dans l’article 195 chaque propriétaire à exhausser une construction « si haut que bon lui semble » sauf, bien entendu, quand une convention particulière avec le voisin ou un règlement de police l’interdit49. Du Rousseaud de la Combe, s’interrogeant sur le régime des eaux, admet qu’un propriétaire puisse user d’un ruisseau à sa volonté quand il prend sa source dans son héritage et cite l’exemple d’un arrêt du 9 juillet 1619 au rôle de Lyon qui autorisa un particulier à retenir la source d’une fontaine qui prenait naissance dans sa propriété pour faire tourner un de ses moulins et ce, au préjudice d’un propriétaire voisin50. Coquille, pour empêcher tout droit sur les gisements miniers, estime qu’aucune limite ne borne la propriété en profondeur et qu’elle s’étend « jusqu’au centre de la terre »51. On pourrait multiplier les exemples. Dans tous les cas, on soutient que le propriétaire peut faire ce qu’il veut sur son fonds, en hauteur comme en profondeur, même s’il cause préjudice à son voisin. La seule limite reconnue à l’usage de la propriété dans les textes est le tort causé volontairement à autrui car il rend toute vie en société impossible.
21La jurisprudence semble cependant avoir interprété avec beaucoup de prudence et de souplesse ces principes individualistes. Sans jamais remettre en cause le droit de disposer librement de son fonds, au-dessus et en dessous du sol, elle rejoint cependant les sages conseils de Ferrière qui estime que l’élévation d’un immeuble ne doit pas priver le voisin de lumière52, ceux de Beaumanoir qui ne permet pas de surélever sa maison de façon telle que le voisinage perde toute clarté53 ou encore ceux de Bourjon qui n’accepte pas qu’on hausse exagérément et avec « malignité » un mur de clôture54.
22À Lyon, les autorités manifestent une modération identique et donnent le plus souvent raison au propriétaire ou au locataire gêné par une construction embarrassante. En cas de plainte ou de requête, le lieutenant général de la sénéchaussée dépêche sur place un expert-juré – un charpentier, un architecte ou un maçon selon les cas – pour visiter les lieux et examiner l’objet du contentieux. L’expert, conformément à l’ordonnance de 1667 sur la procédure civile, est désigné d’office par cette juridiction royale à moins que les parties ne s’entendent pour choisir en commun un autre homme. Il joue un rôle important puisque, assisté d’un greffier, il dresse sur place un procès-verbal – on dirait aujourd’hui un rapport technique – destiné à aider le voyer de la ville dans son appréciation. En cas de nécessité, ce dernier peut ordonner la destruction partielle ou totale du bâtiment en imposant les conditions et les délais de démolition. Ce type de procédé, s’il reste rare, illustre bien cependant les limites que peut rencontrer un propriétaire dans l’exercice de son droit de propriété. Ainsi, dans une requête qu’il adresse à la sénéchaussée, Pierre Lombard, un marchand vinaigrier, exige la destruction d’un cabanon qu’un propriétaire voisin a fait élever devant une de ses fenêtres. Un maître menuisier, expert-juré de la sénéchaussée, procède à l’enquête. Il constate « qu’il n’y a que 4 pieds et 11 pouces de distance de ladite fenêtre à ladite construction (c’est-à-dire au cabanon) et que la susdite construction a 14 pieds 8 pouces de hauteur sur 10 de largeur […] si ladite construction était […] couverte et close, le bas où nous sommes serait entièrement privé de jour au point qu’il serait impossible d’y travailler sans lumière ». Fort de ce rapport, Pierre Lombard interpelle les autorités et leur enjoint de procéder à la démolition immédiate du cabanon55. Tout le monde cependant n’agit pas de manière aussi légale. Certains, moins scrupuleux, font justice eux-mêmes et détruisent l’édifice incommodant. Antoine Bechetoille, un marchand de boutons installé place de la Fromagerie Saint-Nizier, déplore ce genre de pratiques qu’il juge contraire aux règles les plus élémentaires du savoir-vivre. Il a fait construire, explique-t-il, une cabane dans la cour de son immeuble mais le propriétaire voisin l’a fait démolir, de sa seule autorité, sous prétexte que « dans les temps pluvieux l’eau qui tombait sur la cabane rejaillissait sur l’auvent d’une des fenêtres de son magasin et le pourrissait ». Or, précise Antoine Bechetoille, le voisin aurait dû s’adresser à la justice au lieu d’agir comme il l’a fait. Son attitude mérite donc un « châtiment rapide et exemplaire ». On ne sait pas si, dans cette affaire, il y eut sanction. En revanche, quelques jours plus tard, un représentant de la sénéchaussée criminelle accompagné de deux architectes vint dresser un procès-verbal sur la façon dont était construit le cabanon. Il reconnut à son tour qu’il occasionnait une gêne incontestable pour le voisin56.
23Ainsi, comme l’illustrent ces deux exemples, bien que les principes énoncés dans les textes soient ceux d’une propriété absolue aux mains d’un propriétaire maître du dessus et du dessous de son fonds, la réalité apparaît beaucoup plus nuancée. Les juridictions municipales et royales tiennent toujours compte des situations concrètes rencontrées sur le terrain et, de façon générale, n’admettent pas qu’on gêne un voisin par des constructions trop hautes ou exagérément profondes. D’ailleurs, pour contenir l’égoïsme des propriétaires, des règlements de voirie exigent le respect de certaines règles de construction. À Lyon, toute personne désirant exhausser un bâtiment, construire une cave, poser un balcon ou entreprendre quelques réparations dans sa maison doit demander un permis de construire appelé alignement ou permis de voirie. Un membre du Consulat est envoyé pour inspecter les lieux et apprécier le degré de nuisance de ces travaux sur le voisinage immédiat. En cas de rapport défavorable, le permis de construire n’est pas délivré.
24La propriété du sol inclut donc celle du dessus et celle du dessous avec les restrictions évoquées dans les lignes qui précèdent. En surface, les limites sont beaucoup plus précises car bornées par le fonds du voisin.
b) Bornage, clôture et mitoyenneté
25La propriété privée dessine en surface des figures complexes qu’il est nécessaire de savoir identifier et circonscrire. Les pouvoirs du propriétaire en effet s’arrêtent là où commence la propriété du voisin et disparaissent au-delà des frontières de son fonds. Une délimitation du terrain, stricte et incontestable, est donc indispensable. Elle donne lieu à une opération juridique qui consiste à fixer une ligne de séparation entre plusieurs fonds : c’est le bornage ou la clôture des propriétés. À la campagne, quand les terrains ne sont pas bâtis, on fiche dans le sol des bornes grossièrement taillées aux côtés desquelles, pour éviter toute manipulation frauduleuse, on enterre des fragments d’une même tuile appelés garants ou témoins. En agglomération, ce sont le plus souvent les murs qui matérialisent cette séparation et qui départagent les propriétés voisines. Chaque propriétaire peut exiger du voisin qu’il participe à cette reconnaissance de frontières et que soit établi contradictoirement un procès-verbal fixant les limites des fonds adjacents. Dans le Lyonnais, la sénéchaussée envoie sur place un expert-juré, d’ordinaire un maître-maçon. Sa fonction est de vérifier de visu « l’existence des bornes […] et de leurs garants, la distance où elles sont l’une de l’autre » ou de reconnaître « l’état du mur […] et constater tout ce qui peut déterminer la ligne séparative des possessions des parties »57. Une fois la visite achevée, on dresse un procès-verbal de bornes ou de mur. La délimitation est alors définitive, à moins, bien sûr, qu’un nouvel accord à l’amiable intervienne entre les parties et modifie le tracé des frontières.
26Au xviiie siècle, dans les villes et les faubourgs, clore sa propriété est une obligation et un propriétaire peut contraindre son voisin à élever et entretenir à frais communs un mur de séparation. La hauteur de ce mur varie selon les usages locaux mais à Lyon, on se conforme aux us et coutumes de Paris et l’on exige qu’il ait au moins 10 pieds de haut (3,30 m).
27Les clôtures peuvent être privatives ou mitoyennes. La clôture privative appartient en propre à celui qui l’a fait construire à ses frais, aux confins de son domaine. En principe, le voisin peut demander au propriétaire du mur construit en limite de lui en céder la moitié contre remboursement. Refuser est considéré comme une « malice contraire aux devoirs d’amitié qui se doivent entre les voisins »58. Quant à la clôture mitoyenne, construite à la frontière entre deux fonds, elle est commune aux deux propriétaires voisins, soit qu’elle ait été construite à frais communs soit que, privative à l’origine, elle ait fait l’objet d’une cession de la part de son propriétaire. Dans la pratique, cette mise en commun engendre de nombreux conflits et c’est pourquoi les textes juridiques s’en préoccupent fréquemment. Les Romains avaient résolu à leur façon le problème en laissant entre propriétés contiguës un espace libre qui variait de deux pieds et demi à quinze pieds selon les lieux. Cet intervalle était destiné à éviter tout conflit de voisinage et à « matérialiser une zone de non-contact »59. À l’opposé, dans les provinces coutumières, on développa le principe de la mitoyenneté et la Coutume de Paris, pour ne parler que d’elle, contient, à cet égard, de nombreuses dispositions énoncées dans les articles 195 à 21460. Lyon, zone de droit écrit, s’aligne dans ce domaine sur la capitale et les experts-jurés de la sénéchaussée veillent à ce que soient strictement appliquées les prescriptions parisiennes.
28Normalement, le copropriétaire doit informer son voisin de ses intentions quand il veut toucher au mur mitoyen. Il lui est interdit, notamment, d’y faire une fenêtre ou d’y pratiquer des ouvertures. Dans le même ordre d’idée, toute installation de privés ou de cheminée demande l’accord préalable du voisin. En cas contraire, il est possible d’en exiger la destruction. Certains propriétaires pourtant ne tiennent aucun compte de ces prescriptions comme en témoignent de nombreuses procédures judiciaires. Dans sa plainte, François Gorlier, un négociant de la rue Saint-Pierre, explique que lui-même et le sieur Pregry, maître entrepreneur, sont copropriétaires d’un mur mitoyen. Or, ce dernier « a fait construire une cheminée sur le derrière d’un magasin qu’il occupe » et a dégradé le mur mitoyen au point d’y faire une grosse brèche. Le fait est d’autant plus condamnable, explique-t-il, que son voisin « aurait dû prévenir qu’il faisait percer un trou dans le mur de son magasin ». Derrière le mur, il y avait en effet un placard qui renfermait des dentelles d’une valeur de soixante-dix mille livres61.
29Chaque copropriétaire a l’usage du mur mitoyen qui se trouve de son côté dans la mesure où il en use « en bon père de famille et de manière qu’il ne cause aucun préjudice à ceux avec qui la chose lui est commune »62. C’est ainsi qu’il peut l’utiliser comme support en y enfonçant des poutres, perpendiculairement à la façade, comme c’est souvent le cas dans les constructions lyonnaises. Il a aussi la possibilité d’y adosser des constructions légères si elles ne nuisent pas à la solidité du mur. Enfin, le copropriétaire a le droit d’exhausser le mur mitoyen pour y appuyer de nouveaux bâtiments, mais alors les frais entraînés lui reviennent entièrement63. D’ordinaire, lorsque des travaux de quelque importance sont engagés, ils donnent lieu à une convention entre propriétaires, passée devant notaire.
Le sieur Flandrin, peut-on lire dans les papiers du notaire Pierre Duguyet, consent que le sieur Thollet continue l’élévation du mur mitoyen qu’il doit faire dans sa maison située rue Saint-Georges joignant et séparant celui du sieur Flandrin […] laquelle élévation sera environ 12 pieds [c’est-à-dire 4 m.] au-dessus de l’ancien mur et sans que ledit sieur Flandrin soit tenu en rien à ladite élévation laquelle demeurera aux frais et dépens du sieur Tollet64.
30Le mur mitoyen doit être entretenu par les deux copropriétaires et les réparations effectuées à frais communs, ce qui suscite parfois des difficultés. Réparer un mur, en effet, coûte cher et certains propriétaires ne peuvent engager une telle dépense. En cas d’impossibilité financière, il leur est possible de s’y soustraire mais ils doivent alors renoncer à leur part. Le voisin devient alors propriétaire du mur privatif qu’il répare désormais à ses frais65.
31Il n’est pas toujours facile de savoir si une clôture séparative est mitoyenne ou non. En principe, le propriétaire d’un mur privatif et celui d’un mur mitoyen doivent posséder un titre ou un acte de notaire qui l’atteste. À défaut de titre ou de preuve suffisante, il existe dans la structure même des bâtiments des marques de mitoyenneté que les experts-jurés de la sénéchaussée savent reconnaître. Ainsi, quand le mur est appuyé des deux côtés sur des jambes ou des revêtements de pierre de taille ou encore lorsqu’il « est chaperonné des deux côtez » il est présumé mitoyen66. Il en va de même pour tout mur séparant deux bâtiments ou séparant une cour et un jardin. D’ordinaire, dans les grandes agglomérations comme Lyon, peu de murs sont privatifs mais, pour peu que les bâtiments soient anciens, c’est un cas de litige toujours possible. Cependant, sous l’effet conjugué de la pression urbaine et de simples considérations de bon sens, la mitoyenneté devient peu à peu le régime normal des murs séparatifs67. Pothier déclare que « lorsqu’on ignore par qui et aux frais de qui un mur séparatif a été édifié, on le dit mitoyen »68. Furetière lui fait écho en affirmant que « deux voisins sont en mitoyerie lorsque le mur qui partage leurs maisons est mitoyen, s’il n’y a titre au contraire »69. Les rédacteurs du Code Civil reprendront plus tard l’énoncé de ce principe. Sur ce point-là, la préférence donnée à la mitoyenneté illustre la victoire du droit coutumier et plus particulièrement de la Coutume de Paris sur le droit romain.
2. Les servitudes
32Le voisinage est une réalité vivante et aucune propriété ne peut exister repliée sur elle-même. Cette contiguïté forcée entraîne entre propriétaires voisins une foule de devoirs et d’astreintes qui les obligent les uns envers les autres : ce sont les « servitudes », ainsi nommées car elles restreignent sensiblement les droits du propriétaire et lui retirent même parfois l’usage d’une partie de son bien pour le service d’un immeuble ou d’un fonds voisin. Les juristes de l’Ancien Régime considèrent les servitudes comme un droit « réel » quand elles s’exercent sur une chose et non sur une personne. Ils désignent par là les charges et les obligations que l’on soustrait aux prérogatives d’un propriétaire. Elles sont donc un droit sur le bien d’autrui et Domat, en spécialiste, peut les assimiler à une restriction du droit de propriété70. Dans une ville comme Lyon, ces servitudes forment une famille nombreuse et variée. Combien sont-elles ? Comment s’établissent-elles ? De quelle façon pèsent-elles sur le propriétaire ? À ces interrogations il est possible de répondre en examinant les textes juridiques et les règlements en vigueur.
a) L’acquisition et l’extinction des servitudes
33À Lyon et en pays de droit écrit, une servitude peut être établie de trois façons bien différentes : par titre, par prescription ou par destination du père de famille.
34La servitude acquise par titre est la plus courante. Le titre peut se présenter sous la forme d’un accord ou d’une convention entre deux propriétaires voisins ou encore d’un acte entre vifs, passé sous seing privé lors d’une vente ou d’une donation d’un fonds. Ce peut être aussi une disposition particulière énoncée sur un testament, précisant que l’un des voisins lègue à l’autre une de ses servitudes. Dans tous les cas, il s’agit d’un acte juridique et les parties peuvent toujours modifier une des clauses et en établir de nouvelles.
35La servitude peut également être acquise par prescription c’est-à-dire sans titre, par la seule possession prolongée et non interrompue. Les modalités d’acquisition sont cependant très différentes selon les régions de France. Dans les pays coutumiers, tout est divergence et confusion. La Coutume de Paris, dans son article 186, prohibe entièrement l’acquisition des servitudes par la prescription, même pour une possession dite « immémoriale » c’est à dire centenaire. Par peur de l’usurpation, elle établit la règle « nulle servitude sans titre »71. Guyot justifie cette position de la façon suivante : « La familiarité qui subsiste entre voisins leur fait si souvent tolérer de choses […] qu’il n’est pas étonnant […] qu’on ait rejeté la prescription des servitudes72. » D’autres coutumes, au contraire, admettent la prescription pour toutes les servitudes et cela sans aucune distinction : c’est le cas de la Coutume d’Artois ou de celle d’Auvergne. À Lyon, on adopte un système intermédiaire. Conformément au droit romain, on déclare seulement prescriptibles les servitudes dites « continues » c’est à dire celles qui, une fois établies, s’exercent de façon ininterrompue comme la servitude de ne pas bâtir, de conduite d’eau ou de vue. Elles s’acquièrent par une possession paisible de trente ans et c’est ainsi, par exemple, qu’une fenêtre construite à une distance insuffisante du fonds du voisin peut être conservée en l’état si, pendant trente ans, elle n’a donné lieu à aucune contestation. En revanche, son non-usage pendant une autre période de trente ans entraîne l’extinction de la servitude73. Notons qu’à Lyon, une disposition particulière interdit de prescrire contre un bâtiment par crainte sans doute d’une appropriation abusive. Sont au contraire imprescriptibles les servitudes dites « discontinues » car elles ne sont pas susceptibles de possession permanente et « qu’elles ne paraissent que quand on les exerce »74. C’est le cas notamment des servitudes de passage, de puisage ou encore des eaux d’écoulement. Là, on veut éviter que l’entraide et la solidarité entre voisins ne se transforment en obligation pour le propriétaire et que cette gracieuse et révocable concession ne devienne pour lui une charge insupportable.
36Le dernier mode d’établissement des servitudes est celui dit « par destination du père de famille ». Il se propose de résoudre le cas de deux propriétés voisines, appartenant à un seul propriétaire, et entre lesquelles s’établit un arrangement semblable à une servitude s’il s’agissait de deux propriétés appartenant à deux propriétaires différents. C’est le cas par exemple de l’ouverture d’une vue droite dans une première maison à une distance insuffisante d’une seconde maison. Lorsque ces deux fonds appartiennent à une même personne, la servitude, bien sûr, n’existe pas. Cependant, si le propriétaire décède et que l’une des propriétés est vendue, une disposition particulière est convenue qui fait naître, de fait, une servitude sans qu’il y ait ni titre ni prescription. La destination du père de famille se retrouve dans toutes les provinces françaises et équivaut à un titre. Seule, la Coutume de Paris, dans les articles 125 et 126 exige qu’elle soit manifestée par écrit pour être valable et valoir titre75.
37La propriété qui est assujettie à une servitude s’appelle le fonds servant et le propriétaire ne peut rien faire qui puisse empêcher son exercice même si elle diminue notablement l’usage de son bien. Le fonds qui bénéficie de la servitude s’appelle le fonds dominant : propriétaires, locataires ou usufruitiers sont tous en droit d’en profiter tandis qu’à l’inverse, ceux d’un fonds servant se doivent de la supporter. Les servitudes, à la façon d’un droit immobilier, se transmettent avec la propriété à la mort du propriétaire. Elles sont indivisibles, et, sur un fonds appartenant à plusieurs particuliers, aucune ne pourra être établie sans le consentement de tous les copropriétaires. Chacun d’entre eux, naturellement, aura un droit entier à l’exercice de la servitude laquelle ne pourra s’éteindre que d’un commun accord. Signalons enfin qu’une servitude ne peut être saisie ni hypothéquée séparément et qu’il est impossible de la détacher d’un fonds pour la reporter sur un autre.
b) Les différents types de servitudes
38Les servitudes sont nombreuses et leur nombre n’est limité par aucun texte : chaque propriétaire, en effet, peut en créer de nouvelles s’il le désire. Par commodité, les auteurs de l’Ancien Régime ont pris l’habitude de les distinguer les unes des autres et, pour ce faire, ont repris la classification romaine. Les servitudes établies en faveur d’un fonds ou d’un immeuble (praedia) – celles que l’on nomme les servitudes prédiales et qui sont les seules à nous intéresser ici – sont divisées en trois grandes catégories, les servitudes rustiques, les servitudes naturelles et les servitudes urbaines.
39« Les servitudes rustiques, écrit Furetière, sont dues par le fonds où il n’y a aucun édifice comme le droit de chemin ou de passage ; d’aller puiser de l’eau à une fontaine76. » Autrement dit, les servitudes rustiques sont toutes celles qui s’exercent sur un fonds non construit. On les désigne ainsi car elles grèvent un fonds servant non bâti (en latin, rusticum) mais peuvent naturellement s’appliquer à une propriété située en agglomération. Ces servitudes concernent d’abord le droit de passage en cas de fonds enclavé. Dans ce cas et moyennant parfois une indemnité, le « voisin est tenu de donner passage dans son héritage quand son voisin n’a d’autre chemin, en récompensant s’il y a chemin ailleurs quoique plus long et plus fâcheux77. » Les deux voisins doivent passer entre eux un accord ou bien, à défaut, faire procéder à une décision de justice. Un itinéraire est alors arrêté qui crée le moins de dommage possible à la propriété servante. Si nécessaire, « le propriétaire du fonds dominant recevra […] une clé de l’enclos ou du bâtiment assujetti78. » Est encore considérée comme servitude rustique le « droit d’aqueduc » selon lequel un propriétaire peut faire passer une canalisation sur le fonds du voisin pour irriguer ses terres et cela sans aucun titre particulier ni remboursement parce que « sans le secours de l’irrigation, les prés seraient stériles particulièrement dans les pays secs »79. Néanmoins, « celui qui a le droit d’aqueduc sur le fonds d’autrui ne peut concéder l’eau à autrui » aussi longtemps qu’elle n’est pas parvenue sur sa propriété80. Enfin, le droit de puisage est également reconnu comme une servitude rustique, qu’elle s’exerce à la ville ou à la campagne. Dans la plupart des cas, ce sont les usages locaux ou des conventions entre propriétaires voisins, parfois passées sous seing privé, qui règlent les modalités d’exercice de cette servitude. Souvent, cependant, des habitudes se sont prises entre locataires d’immeubles voisins. Des actes de simple tolérance se transforment en actions usuelles puis quotidiennes et il est difficile alors au propriétaire de dénoncer cette servitude à laquelle sa propriété est injustement soumise. Les archives judiciaires donnent l’exemple de plusieurs propriétaires dépossédés par le voisinage dans l’exercice de leur droit de propriété. Ainsi Pierre Guillot, un charpentier demeurant quai de Retz :
Il est propriétaire d’une maison située rue Grolée pour le service de laquelle il y a une pompe à eau qui n’est que pour l’usage des locataires de ladite maison et encore à la volonté du remontrant […] le nommé Mathias, maître boulanger demeurant dans une maison voisine est venu prendre de l’eau à la pompe […] le remontrant l’a invité d’en user avec modération mais ledit Mathias a accablé le plaignant d’injures, l’a traité de gueux et de mâtin et lui a dit qu’il prendrait toujours malgré lui de l’eau dans sa pompe81.
40La force de l’habitude contredit parfois les intérêts du propriétaire.
41Les servitudes naturelles sont multiples et variées. Elles émanent de la nature elle-même et résultent d’une situation des lieux particulière.
Il y a des servitudes naturelles, [explique Furetière], par exemple si l’on ne peut recueillir les fruits de son champ, ou réparer sa maison sans passer sur les terres de son voisin qui l’environnent de tous côtés, en ce cas le voisin est obligé de souffrir le passage […]. C’est encore une servitude naturelle que la décharge et l’écoulement de l’eau du fonds supérieur sur l’inférieur82.
42De fait, les servitudes naturelles les plus fréquentes sont celles qui découlent d’une différence d’altitude d’un fonds. Dans ce cas, le fonds inférieur est tenu de recevoir les eaux de pluie qui s’épanchent du fonds supérieur et cela sans qu’aucun règlement ou convention entre les parties soit nécessaire car il s’agit d’un phénomène naturel. Du Rousseau de la Combe ajoute même qu’en cas d’inondation du fonds servant, le fonds dominant n’est tenu à aucun dédommagement83. La configuration du terrain ou de la propriété peut encore obliger le propriétaire à se soumettre à d’autres servitudes de même type. C’est ainsi qu’il est tenu de supporter l’échelle et les matériaux d’un voisin engagé dans des réparations si sa maison est bordée de bâtiments. Là encore, de la nature dérive l’obligation.
43À la différence des servitudes rustiques, la servitude urbaine concerne les charges et les services dus par un fonds bâti (en latin urbanum).
Elle est due, précise Furetière, par un bâtiment ou une maison, en quelque lieu qu’elle soit située, ou à la ville ou à la campagne, comme de souffrir une vue, un égout ; de porter une gouttière, de soutenir, ou le toit ou les sommiers de la maison voisine, de ne pouvoir hausser ou le toit ou les murailles84.
44Les servitudes urbaines jouent naturellement un rôle important en ville à cause de la concentration des immeubles et de la proximité des propriétés. Les juristes romains, dans leur souci de garantir le plus possible le droit du propriétaire, les ont restreintes autant qu’ils ont pu. Le droit coutumier, au contraire, en a formulé beaucoup, répétant en général les prescriptions de la Coutume de Paris. À Lyon, comme dans d’autres agglomérations de droit écrit, en l’absence de règles et de dispositions locales satisfaisantes, c’est la Coutume de Paris qui définit pour l’essentiel l’usage des servitudes urbaines. Convaincue que l’espacement entre les hommes est nécessaire pour préserver la paix et la bonne entente entre tous, elle énonce notamment les précautions et les distances à observer par un propriétaire qui veut faire des travaux chez lui et d’abord par celui qui veut pratiquer des ouvertures dans un bâtiment. Car, s’il est une nécessité, c’est bien de se protéger des indiscrétions et des regards du voisinage. Les ouvertures sont classées en deux grandes catégories : les vues et les jours. Les vues sont des fenêtres que l’on peut ouvrir et qui laissent passer la lumière. À ces fenêtres, doivent être naturellement assimilés les balcons : ils forment, eux aussi, des ouvertures libres qui donnent le passage à l’air et à la lumière. Quant aux jours, ce sont de petites baies, généralement sans fermeture, parfois grillagées, qui donnent de la clarté. À Lyon, on les confond souvent avec les larmiers et ils servent d’échappée pour les locaux de service, les arrière-magasins du rez-de-chaussée, les caves ou les greniers.
45Pour le voisin, les vues sont plus gênantes que les jours car elles sont de dimension supérieure et plus propices aux regards indiscrets, aux jets d’ordures et aux indélicatesses en tous genres. Afin de limiter ce genre d’inconvénients, la Coutume de Paris a formulé des règles précises. Les autorités lyonnaises les ont reprises pour l’essentiel. C’est ainsi qu’il est toujours permis au propriétaire d’un immeuble d’ouvrir une fenêtre, un balcon ou même une terrasse quand la vue donne sur son fonds. En revanche, quand il s’agit d’une vue droite ouvrant sur une propriété voisine, il faut observer une distance minimale de six pieds (2 m.) entre cette ouverture et le fonds voisin85. Dans le cas d’une vue oblique, on estime qu’une distance de deux pieds (0,66 m.) est suffisante parce qu’alors la curiosité est plus difficile à assouvir86. D’autres restrictions, plus sévères encore, s’imposent quand un mur est situé à l’extrême limite de deux fonds : dans ce cas là, le propriétaire ne peut ouvrir que des vues dites « aux coutumes de Paris ». Celles-ci sont à verre dormant, recouvertes d’un maillage de fer et doivent être élevées suffisamment haut pour ôter toute envie d’aller y regarder. Au rez-de-chaussée d’un immeuble, ces vues doivent être à neuf pieds (3 m.) du niveau du sol au moins et, aux étages, à sept pieds (2,30 m) du plancher. Précision importante, ces ouvertures ne peuvent être pratiquées que dans un mur privatif et aucune vue, même à verre dormant ne doit être réalisée sans le consentement exprès du voisin87.
46En cas de litige, de plainte ou de requête d’une des parties, un expert juré, architecte ou maître maçon, est mandaté par la sénéchaussée pour examiner si les ouvertures sont conformes à la Coutume de Paris. Au cours de l’été 1776, un conflit oppose les propriétaires de deux maisons voisines, sises rue Neuve. Le différend porte sur l’existence d’une fenêtre disposée de telle façon qu’elle indispose les locataires d’une des deux propriétés. Jean-Pierre Dumont, maître maçon envoyé par la sénéchaussée, est chargé d’établir un rapport. Il doit « faire la description des constructions de ladite fenêtre et […] donner son avis si elle est faite […] conformément aux coutumes de Paris ». Après un examen minutieux « il a reconnu que ladite fenêtre est construite à côté du mur mitoyen, qu’elle n’est élevée du plancher ou échafaudage […] que de deux pieds dix pouces ». La conclusion de l’expert est catégorique : « suivant les lois du bâtiment cette fenêtre ne doit pas être à jour droit, elle doit être élevée du carrelage à son ouverture de sept pieds et doit être barrée de fer et grille88.»
47La Coutume de Paris formule d’autres règles encore concernant les servitudes urbaines. Ce sont toutes les précautions à prendre par un propriétaire quand il veut élever des constructions à l’extrême limite de son fonds. En principe, il en a le droit mais il doit respecter certaines distances et élever des ouvrages protecteurs. Ainsi, quiconque veut adosser une étable à un mur mitoyen est tenu de protéger ce dernier en construisant un contre-mur d’un demi-pied d’épaisseur depuis le sol jusqu’au niveau de la mangeoire89. Le propriétaire désireux de construire une cheminée, un four de boulanger ou un fourneau, doit laisser entre l’ouvrage et le mur mitoyen un espace d’un demi-pied de largeur pour éviter tout risque d’incendie. En cas de contestation un architecte-juré est chargé d’examiner la construction. Dans son rapport, le sieur Loras, un architecte mandaté par la sénéchaussée, dresse l’état d’un four installé contre le mur mitoyen d’une maison située quai Pierre Scize. Sa tâche, explique-t-il, consiste à savoir :
Si ledit four est construit selon les us et coutumes […] et à se prononcer sur les dangers et accident qu’il peut occasionner, sur l’état du mur où le four est adossé notamment s’il n’y a pas à craindre quelque incendie.
48Or, qu’observe-t-il ?
Au devant dudit four est une chaudière adossée elle aussi au mur mitoyen qui est sans contre-mur ni intervalle, que l’un et l’autre sont construits d’une manière contraire aux us et coutumes et notamment à l’article 190 de la Coutume de Paris qui veut qu’il y ait un intervalle de six pouces (2 m) entre le mur mitoyen et celui qui compose le four.
49Conclusion de l’architecte :
Il serait dangereux de laisser exister ledit four dans l’état actuel […] attendu qu’il n’y a point d’intervalle entre iceluy et le mur mitoyen, que selon l’usage il doit y avoir un mur pour le porter d’un pied d’épaisseur.
50Il demande donc sa destruction car, sous sa forme actuelle, il risquerait de « donner lieu à un incendie »90.
51La dernière série de règles formulée par la Coutume de Paris a trait aux lieux d’aisance. Pour éviter toute contamination de la maison voisine, un ouvrage protecteur d’un pied doit préserver le mur mitoyen. D’autre part, s’il existe un puits à proximité, le propriétaire doit régulièrement visiter ces lieux pour s’assurer que l’évacuation s’effectue bien et qu’aucune infiltration ne souille l’eau. La teneur de certains rapports, cependant, montre que ces instructions restent souvent lettre morte et que d’aucuns n’hésitent pas à jouer avec la santé des populations.
Procès verbal sera dressé, lit-on dans une requête du lieutenant général de la sénéchaussée, de l’état des caves de Maître Guillermin où les matières des sacs de la veuve Cocq fluent […] il sera reconnu si le sac de ladite maison a les contremurs nécessaires prescrits par la loy.
52Après examen des lieux, l’expert constate que « contre le mur mitoyen entre ladite veuve Cocq et le sieur Guillermin il filtre […] de la matière fécale qui passe au travers dudit mur ». Conformément à la loi, il engage « la dame veuve Cocq à faire vuider la fosse d’aisance […] et à faire dans icelle les réparations nécessaires »91.
53La Coutume de Paris, si précise par ailleurs, est muette sur tout ce qui concerne l’écoulement des eaux pluviales provenant des toitures ou sur les distances à observer quand un propriétaire veut faire des plantations sur son fonds. Dans les deux cas, la règle suivie semble être le simple bon sens. À Lyon, le Consulat n’admet pas que les toitures empiètent en surplomb sur le fonds d’autrui ni que l’eau de pluie s’écoule directement des toits chez le voisin. Les toitures doivent être équipées de cornets d’évacuation dont la pose est assurée par un maçon. Les eaux ainsi recueillies se déversent sur la voie publique, sur le terrain du propriétaire ou s’acheminent dans les conduits qu’abrite la cour de l’immeuble. Même prudence en ce qui concerne les plantations : la proximité des arbres peut incommoder le voisin ; l’ombre, les racines ou la chute des feuilles l’empêcher de jouir normalement de sa propriété. Pour pallier ces inconvénients, « tout arbre planté doit être placé à cinq pieds (1,65 m) du voisin » et le propriétaire d’un fonds envahi peut toujours en couper les branches ou les racines92. On accepte cependant que « le voisin qui veut souffrir que les branches de l’arbre voisin pendant sur son bien » soit récompensé et recueille les fruits tombés de ces branches93. Il faut admettre cependant que les dispositions concernant les plantations sont rarement de mise à Lyon tant la densité urbaine est forte et les immeubles de rapport la règle.
54Ainsi, entre immeubles voisins naissent de nombreux rapports de servitudes. Les textes juridiques, les conventions entre parties ou les usages les définissent et établissent leurs modalités d’exercice. Ces servitudes sont des services fonciers puisqu’elles sont attachées à un fonds, qu’il soit bâti ou non. En plus de ces contraintes, les propriétaires ou leurs ayants cause sont soumis personnellement à des charges et à des devoirs : ce sont les obligations de voisinage.
3. Les obligations de voisinage
55Entre voisins lyonnais, qu’ils soient propriétaires ou locataires, il existe deux types d’obligations : une obligation personnelle de bon voisinage d’une part, une obligation collective d’autre part. La première exige de chaque voisin qu’il ne fasse rien délibérément qui puisse nuire ou causer une gêne intolérable à autrui. La seconde assujettit la maisonnée tout entière et contraint ses occupants à des travaux communs afin de garantir au mieux l’hygiène et la sécurité de l’immeuble. Ces deux obligations, l’une individuelle, l’autre sociétaire, composent les devoirs dits « de bon voisinage ». À la différence des servitudes qui, rappelons-le, sont attachées à une propriété foncière, ces devoirs sont dus par l’individu lui-même. Ils revêtent de ce fait une certaine coloration « morale ».
a) Les obligations personnelles de voisinage
56La conception romaine et individualiste de la propriété, remise à l’honneur par les juristes et les penseurs de la France moderne, n’est viable que si l’on y joint un principe essentiel : celui de ne pas de nuire volontairement à autrui. L’usage de la propriété ne doit pas être tel qu’il porte préjudice à autrui et nul ne peut causer de tort à son voisin de façon délibérée. Agir autrement serait se comporter en « mauvais voisin » et risquerait d’entraîner une sanction. Coquille, évoquant les troubles de voisinage, les assimile à un désordre social.
Chaque habitant, dit-il, doit par courtoisie et honnête volonté ne rien faire qui puisse nuire à son voisin : ce qui n’est pas droit de servitude mais le droit de cité en laquelle chacun doit vivre en amitié et union94.
57Domat partage cet avis. Il en appelle à la responsabilité de chacun en affirmant que « l’engagement de chaque particulier à ce qui regarde l’ordre de la société dont il fait partie […] l’oblige aussi de telle manière qu’il ne fasse aucun mauvais usage ni de soi-même ni de ce qui est à lui95. » Un propriétaire commet donc une faute quand, dans l’exercice de son droit sur le dessus, le dessous ou la surface de son fonds, il fait une action sans utilité pour lui-même mais qui ne peut avoir d’autre objet que celui de troubler son voisin. Des accusations de cette nature, pourtant, sont régulièrement proférées et transmises aux autorités judiciaires. « Le jour de sa boutique, se plaint Christophe Michellier négociant rue Basse Grenette, est intercepté par la fermeture du sieur Deplace épicier ». La sénéchaussée, pourtant, a déjà ordonné à cet épicier de procéder aux modifications nécessaires. Il fait cependant la sourde oreille et « par méchante malice […] jamais il n’a voulu l’arranger bien qu’il en fut obligé »96. Pareille conduite est répréhensible. De fait, quand on peut prouver que l’intention de nuire est effective, que l’acte commis par le propriétaire ne lui est d’aucune nécessité et que seule la méchanceté a guidé son action, alors le préjudice causé au voisin doit être réparé.
58S’il n’est pas permis de troubler autrui par pure malice, il n’est pas accepté non plus d’occasionner au voisinage une gêne intolérable. Un propriétaire et ses locataires sont tenus de faire usage du fonds sur lequel ils sont installés de façon raisonnable et leur attitude ne doit pas devenir une source d’inconvénients pour les autres. Les propriétaires le savent bien qui précisent dans leur bail à loyer que leurs locataires doivent se comporter dans leurs appartements « en bon père de famille » c’est-à-dire avec mesure. L’odeur, le bruit, les troubles anormaux de voisinage sont donc condamnables quand ils deviennent intolérables pour les voisins. Les règlements municipaux, les ordonnances relatives à la voirie et à la police établissent un certain nombre de règles qui s’efforcent de fixer les limites à ne pas dépasser pour permettre à chacun de se supporter. Entreprise malaisée quand on connaît la propension populaire à s’étendre et à accaparer l’espace. Dix commissaires de police, parfois accompagnés d’huissiers, sont envoyés par le Consulat à travers la ville97. Attachés à la surveillance d’un des dix secteurs de la cité, ils sont chargés de faire appliquer les ordonnances municipales. Ces officiers sont également habilités à recevoir les plaintes et les requêtes des Lyonnais, à les présenter au lieutenant général de police et à dresser des procès-verbaux. Il semble cependant que leur prestige et leur autorité soient au plus bas en cette fin de siècle. En témoigne un rapport non daté du Consulat qui évoque les commissaires de police en ces termes :
Quelle autorité pourrait avoir sur le peuple la plupart des commissaires de police que Messieurs les Échevins ont nommés ? Ce sont souvent des ouvriers ou des gens qui ne possèdent ni l’extérieur ni le talent de se faire respecter […]. Comme les gages des commissaires sont très médiocres, il serait préférable […] d’accorder des gratifications à ceux qui s’acquittent mieux de leur devoir que leurs confrères98.
59À en croire les commissaires eux-mêmes, leurs fonctions ne suscitent guère le respect des populations. Pire, elles déclenchent parfois l’hilarité et l’arrogance des contrevenants :
Étant au quatrième, raconte l’un d’entre eux, nous avons heurté à la première porte, une demoiselle assez jolie a paru […] comme elle riait et se moquait des observations que nous lui faisions sur les petits tas de balayures contre sa porte […] est sorti le Sieur Gercin nous disant que nous n’avions qu’à balayer ou envoyer balayer nous-mêmes99.
60Pour lutter contre les mauvaises odeurs, combattre l’égoïsme des habitants et garantir la salubrité publique, les règlements consulaires interdisent, sous peine de fortes amendes, de déposer des immondices ou de les jeter par les fenêtres100 ; d’accaparer abusivement l’espace public101. Ils obligent chaque locataire à entretenir son foyer, à le nettoyer régulièrement, à s’abstenir d’y entasser des ordures102. Par souci de sécurité, les cheminées doivent être ramonées deux fois dans l’année au moins103. Enfin, le Consulat exige que tout propriétaire fasse nettoyer les sacs des latrines de son immeuble entre le mois d’octobre et le mois de mai pour éviter la période des grosses chaleurs104. Toute vidange commencée doit se poursuivre sans discontinuer mais on ne travaillera que la nuit, à partir de onze heures du soir. Pour faciliter le travail des vidangeurs, le locataire auquel est attribuée la cave où se trouve le sac des latrines sera tenu de souffrir leur passage.
61Toutes ces prescriptions sont répétées inlassablement par la municipalité. Leur réitération illustre bien les difficultés que rencontrent les autorités lorsqu’il s’agit d’imposer des mesures d’hygiène et de changer les habitudes d’une population démunie, le plus souvent, du moindre élément de confort. Certaines catégories professionnelles sont d’ailleurs particulièrement visées car très polluantes et nauséabondes dans leurs activités105. À la fin du xviiie siècle cependant, l’odorat se fait plus délicat. La puanteur est objet de dégoût notamment chez les plus riches. La mauvaise odeur indigne les philosophes et les médecins qui lancent une véritable offensive contre « l’intensité olfactive »106. Cette opération, toutefois, se heurte aux populations, rétives à l’idée de devoir changer leurs comportements ancestraux.
62Les règlements municipaux sont beaucoup plus discrets quant aux dispositions concernant le bruit107. Il est vrai que le gros de la population lyonnaise est composé d’artisans qui exercent à longueur d’année un métier bruyant, le plus souvent à domicile108. Les ordonnances de police stipulent cependant que les cabaretiers et les aubergistes doivent fermer leur boutique à dix heures du soir l’automne et l’hiver et à onze heures le reste de l’année, qu’il est défendu « à toutes personnes de heurter à la porte desdits cabaretiers après les dites heures […] de s’attrouper et de faire du bruit dans les rues, sous peine d’être puni comme perturbateur du repos public »109. Dans le même registre, pour garantir la tranquillité nocturne et la sécurité des Lyonnais, chaque locataire doit veiller à fermer la porte de l’immeuble à clé. Gare à celui qui trouble le repos d’une population de travailleurs soumise à des horaires éprouvants. Les Lyonnais n’apprécient guère la proximité d’un voisin turbulent, surtout quand il perturbe la maisonnée un jour de congé.
Nous, peut-on lire dans un rapport de police, […] commissaires de police […] savoir faisons que ce jourd’hui […] jour de dimanche seraient venus à nous différentes personnes […] l’un à quatre heures du matin, à huit heures, l’autre à neuf heures […] disant que depuis minuit le nommé Fleury, menuisier demeurant Quai du Rhône faisait travailler dans sa boutique tous ses garçons qui faisaient un bruit horrible et empêchaient les voisins de se reposer ; que ce même bruit causait un scandale dans le quartier en annonçant au peuple un jour ouvrier et pendant l’office110.
63Multiples et variés sont les troubles de voisinage. Il n’est pas question d’en dresser ici une liste exhaustive car on y reviendra de façon beaucoup plus précise au cours d’un chapitre suivant111. Notons cependant que, quelle que soit la raison de ce trouble – le bruit, la fumée, l’accaparement de l’espace public – la conduite suivie par la justice demeure toujours la même : la nuisance volontaire d’une part, la gêne inconsidérée d’autre part sont également condamnables car elles font fi de l’obligation personnelle et morale de bon voisinage. Reste qu’à Lyon d’autres devoirs sont estimés comme nécessaires par les autorités municipales. Ce sont les travaux et les charges collectives auxquels sont astreints les habitants de l’immeuble.
b) Les obligations collectives de voisinage
64Les habitants d’un immeuble – locataires et propriétaires confondus – sont reconnus par l’autorité royale, judiciaire ou municipale comme membres solidaires d’une même communauté et, à ce titre, soumis à des obligations, des tâches, des responsabilités collectives. Cette solidarité forcée et ordonnée est révélatrice, sans doute, d’une société où l’interdépendance active des hommes est grande et l’esprit d’entraide nécessaire à la survie de chacun. Ce qui est certain c’est qu’elle constitue aussi un des ressorts importants sur lesquels cherche à s’appuyer la puissance publique pour asseoir sa domination. Le pouvoir royal et la justice, les premiers, exigent de la maisonnée toute entière, qu’elle coopère loyalement avec eux dans l’exercice de leur mission. Ainsi l’ordonnance royale de 1273 demande-t-elle aux voisins d’accourir quand un crime est commis ou de pousser de hauts cris pour faciliter l’arrestation d’un malfaiteur. À défaut, les réfractaires risquent une amende112. La Justice réclame aussi la collaboration du voisinage en cas de visite d’un huissier. Si le domicile perquisitionné a été déserté, le mandataire doit afficher « l’exploit » à la porte du contrevenant et en aviser le plus proche voisin. Il lui demande alors de signer une attestation de passage, ce que très peu de voisins acceptent de faire par peur, sans doute, de se compromettre113. En cas de saisie et avant d’entrer dans un appartement pour y soustraire quelques effets, l’huissier doit se faire accompagner par deux voisins. Ceux-ci vérifient l’état du domicile et des biens avant leur confiscation114. La loi précise, avec sagesse, que s’il n’y a point de voisins, l’huissier est tenu de le signaler expressément dans son rapport. De fait, la suspicion à l’égard de ces professionnels est telle qu’il leur est souvent difficile de trouver des témoins. Les habitants prêtent rarement main forte à la justice autant, semble-t-il, par méfiance que par peur de rompre une solidarité de voisinage solidement ancrée. L’unité et la cohésion de la maisonnée, en effet, en dépendent.
65À la demande des familles ou des particuliers, le Procureur du Roi peut aussi assigner le voisinage à comparaître devant le tribunal de la sénéchaussée. Cette disposition est fréquemment utilisée pour mettre sous tutelle ou curatelle une personne estimée inapte à la conduite de ses affaires ou encore pour désigner le tuteur d’un enfant mineur. Amis, voisins, membres de la famille donnent leur avis au juge qui entérine le plus souvent leur recommandation. Ainsi procède-t-on pour parvenir à l’interdiction d’Ennemond Michel Talon, un homme convaincu de démence :
Qu’il nous plaise ordonner que les parents […] et à défaut de parents, des amis et voisins seront assignés à comparaître à notre Hôtel pour délibérer sur le parti à prendre à cause de la démence du sieur Ennemond Michel Talon, sur le choix d’un curateur qu’il conviendra de choisir115.
66La communauté des habitants est également sollicitée par les autorités municipales pour exécuter des travaux d’entretien collectifs. Le Consulat, en quête d’une meilleure hygiène, fixe en effet un certain nombre de tâches à effectuer. Des obligations collectives de nettoyage des maisons sont soumises au propriétaire ou au locataire principal qui, à l’instar des concierges parisiens, sont tenus de veiller à la bonne exécution de ces corvées. Règlements consulaires et ordonnances de police se succèdent et précisent les services publics à accomplir : chaque habitant de l’immeuble doit balayer et nettoyer à tour de rôle l’escalier, l’allée, la cour, les latrines, bref, tous les espaces communs de l’immeuble et cela, à grandes eaux116. Les règlements précisent que cette besogne est quotidienne et qu’elle s’effectue avant sept heures du matin l’été et neuf heures l’hiver. Les occupants de l’immeuble doivent s’organiser et, sous la responsabilité du locataire principal, dresser un tableau pour se distribuer les tâches et fixer les jours de la semaine où ils seront de service117. Recommandation leur est également faite de dénoncer ceux qui se montreraient récalcitrants dans l’exécution de ce travail. Les propriétaires réitèrent eux aussi ces règlements de voirie dans tous leurs baux de location et rappellent à chaque locataire qu’il doit contribuer à l’entretien de l’immeuble « à son tour et à son rang ».
67La ville contraint aussi les riverains des rues à nettoyer au devant de leur domicile. Tous les habitants – mais plus particulièrement ceux qui occupent les appartements et les boutiques du rez-de-chaussée qui donnent sur la rue – doivent balayer une fois par jour au moins la chaussée. Un employé municipal, le réveille-matin, frappe sur une cloche chaque matin et donne le signal du balayage au devant des maisons118. En été, les opérations doivent débuter à sept heures. Par temps chaud, deux fois par jour, on jette dans la rue de l’eau et le pavé doit être mouillé « du mur des maisons jusqu’au ruisseau »119. En hiver, le travail commence à neuf heures. Sur toute la longueur de la maison et jusqu’à la moitié de la rue, on balaie les ordures et la neige que l’on jette, en principe, dans les fleuves120. Par souci d’efficacité et d’hygiène et pour éviter que la saleté des rues ne « scandalise autant les étrangers que les bons citoyens », le Consulat interdit d’entreposer les immondices en tas, au coin des rues, ou de les pousser au devant de l’immeuble voisin sous peine d’une amende de dix livres121. En outre, par grand froid, pour éviter les chutes dues au verglas, il est demandé à la communauté des locataires de jeter sur la glace de la cendre, de la poussière ou de la sciure pour pouvoir marcher en toute sécurité122.
68Toutes ces dispositions sont inlassablement répétées par la municipalité, qui se plaint souvent du manque de civisme de ses administrés. Malgré la multiplicité des règlements,
la malpropreté des rues […] fait assés connaître le peu d’attention que les bourgeois et les citoyens de cette ville ont de les faire nettoyer devant chez eux […] ainsi qu’il a pourtant été ordonné par une infinité d’ordonnances123.
69Pour faire appliquer ces règles d’hygiène et imposer ces charges collectives aux locataires, les autorités n’ont pas trop de la surveillance active du propriétaire et du locataire principal. Le commissaire de police joue lui aussi un rôle important puisqu’en cas de désobéissance répétée de la communauté des locataires, il peut transmettre à ses supérieurs un rapport défavorable. Alors, sur ordre du lieutenant général de la police, la maisonnée toute entière est mise à l’amende. Ses habitants, déclarés solidairement responsables, sont solidairement redevables124. Chaque locataire est dès lors tenu de contribuer au règlement de la contravention collective.
III – LES USAGES DU MOT VOISIN DANS LES ARCHIVES JUDICIAIRES
70Pour circonscrire précisément le sens du mot voisin, il faut aussi recourir aux archives judiciaires qui, plus que toutes les autres, s’enracinent dans le quotidien. Si, selon les dictionnaires, le voisin est celui qui demeure à proximité, la définition reste floue : mon voisin est-il celui qui habite sur le même palier que moi ? Dans la même maison ? La même rue ? Le même quartier ? La même paroisse ? Le voisinage, d’autre part, n’opère-t-il pas, à sa manière, une sorte de tri entre le bon voisin, reconnu et apprécié par le groupe pour ses qualités et son attitude et le mauvais voisin, asocial et rétif à l’esprit communautaire ? L’étude de l’usage et des occurrences du mot voisin, menée à partir des plaintes et des témoignages, doit permettre de préciser ces points et déboucher sur une définition claire.
1. Le sens géographique du mot voisin
71Le dénombrement systématique, dans les archives judiciaires, du mot voisin – où qu’il se trouve dans la phrase et quelle que soit sa fonction grammaticale – autorise une approche sémantique destinée à mieux comprendre le sens que le terme recouvre chez les Lyonnais de la fin du siècle. Adjectif ou substantif, sujet, attribut ou complément, le vocable doit être repéré et ses différentes significations précisées. La première piste qu’on se propose d’explorer consiste à définir le mot voisin dans son acception spatiale. À partir de quelle distance géographique un voisin est-il reconnu comme tel ? Corrélativement, au-delà de quelle limite cette notion cesse-t-elle d’être pertinente ?
Voisin désigne un homme ou une femme qui loge | Nombre de mentions |
Sur le même palier | 87 |
Dans le même corps de logis | 68 |
À un autre étage mais dans la même maison | 378 |
Total même maison | 533 |
Dans la même rue | 314 |
Dans le même quartier | 152 |
Autre cas | 37 |
72Du relevé des occurrences figurant dans ce tableau, se dégagent plusieurs sortes d’informations.
73En premier lieu, dans son acception la plus courante, le voisin désigne l’individu qui réside à proximité immédiate, c’est-à-dire dans le même immeuble (ou maison), qu’il soit domicilié – ou non – dans le même corps de logis (68 occurrences), au même étage ou sur le même palier (87 occurrences). Précisons d’ailleurs que dans ces deux derniers cas, le terme consacré est celui de « pré », « près » ou « proche » voisin, un terme officialisé par les autorités auquel se rattache un certain nombre d’obligations125. Louise Damange, épouse Lait, se classe ainsi parmi les « proches » voisines de la fille Lafitte, « laquelle a son domicile dans la même maison et précisément juste à côté du sien »126. Cas identique pour le dénommé Barrère qui loge « porte à porte avec les époux Royet »127.
74La qualité de voisin est attribuée aussi, bien qu’à un degré moindre, aux habitants d’une même rue ou d’une même place. Pierre Quinet, maître pâtissier « a pour voisin le sieur Lance enjoliveur qui demeure la même rue […] en face »128. Jacques Vermare habite « place du Change […] vis à vis les époux Renaud, ses voisins »129. On notera toutefois que, fort logiquement, dans les rues surpeuplées du centre ville ou dans les grandes artères, le voisin désigne rarement une personne domiciliée à plus de quelques bâtiments de distance. Ainsi le ménage Peyron, domicilié rue de la Poulaillerie, reconnaît avoir pour voisin « Antoine Goutelle logé deux maisons plus bas ». En revanche, il ignore l’existence de François Lacroix qui réside à quelques pas de là, « à l’angle de la rue du Bessard »130. À l’inverse, dans les espaces moins denses ou parsemés d’hôtels particuliers, l’intervalle augmente et l’horizon du voisinage se fait moins rétréci.
75Deux voisins, enfin, peuvent résider dans des rues qui portent des noms différents. Jacques Couterisan, sergent du guet, habite montée du Change. Il témoigne dans une affaire « en qualité de voisin du domicile des Guigonnand », lesquels résident rue Juiverie131. Les époux Cheval, rue Pareille, évoquent « leur voisine […] Geneviève Rousset » domiciliée rue Saint-Marcel132. Dans tous les cas rencontrés, ou presque, il s’agit de personnes résidant dans un même quartier, à une relative proximité les unes des autres par conséquent, puisque les quartiers de Lyon, ceux de la presqu’île en tout cas, recouvrent des superficies plutôt restreintes133.
76Reste le cas de ceux qui se déclarent voisins alors qu’ils résident dans des quartiers différents. Ils sont peu nombreux et représentent moins de 4 % du corpus. Cette particularité s’explique aisément. Le découpage urbain a pu séparer en deux pennonages différents un même îlot d’habitations ou encore, et surtout, la juxtaposition des quartiers rend certains immeubles contigus. La maison Cusset, par exemple, située rue de l’Enfant-qui-pisse (quartier de la Place Saint-Pierre) jouxte des demeures établies dans le quartier de la Pêcherie. Doit-on tenir compte de ces situations particulières au risque de brouiller la figure du voisin et de donner du voisinage une image incertaine ? Évidemment non. Par conséquent, ne seront pas pris en compte les individus issus de pennonages différents, le quartier marquant la limite au-delà de laquelle une petite partie seulement des habitants les reconnaissent comme voisins.
77Après examen des archives judiciaires, il est donc possible de donner du voisin la définition suivante : dans son acception spatiale, le terme désigne un ou plusieurs individus qui résident dans la même maison, la même rue ou le même quartier. Si la définition reste approximative et élastique – mais comment pourrait-elle être plus précise ? – elle a l’avantage de fixer un cadre cohérent et non équivoque. Aussi est-ce celle qui sera retenue pendant la durée de cette étude.
2. « Bon » et « mauvais » voisin
78Le voisin ne se définit pas seulement en termes géographiques. Au mot est également associée quantité de qualificatifs dont font mention les archives judiciaires. Le voisin idéal, le « bon voisin », celui avec lequel chacun souhaiterait pouvoir cohabiter, se voit ainsi doté de nombreuses vertus qui s’ordonnent autour de quatre registres principaux : ce sont, par ordre d’importance décroissante : l’entraide et la solidarité, l’honnêteté et la probité, la discrétion et la tranquillité, la bienveillance et l’urbanité. De toutes ces conduites, il sera largement question dans les chapitres qui suivent parce qu’elles commandent en grande partie les relations de voisinage. On se limitera donc ici à quelques remarques d’ordre général.
Le bon voisin
I. Entraide et solidarité | |||
Qualités reconnues | Nombre d’occurrences | Qualités reconnues | Nombre d’occurrences |
S’interposer dans une querelle pour retenir ou calmer un voisin | 312 | Recueillir la femme d’un voisin battue | 47 |
Accommoder ou réconcilier un voisin | 137 | Pourchasser un voleur surpris dans l’immeuble ou dans le quartier | 42 |
Donner l’asile à un voisin | 96 | Prévenir le chirurgienou le curé | 41 |
Aider financièrement ou matériellement un voisin en difficulté | 81 | Participer activement aux travaux collectifs | 32 |
Défendre un voisin en s’opposant aux représentants de l’ordre | 53 | Surveiller les enfants ou la boutique du voisin | 23 |
Aller chercher la garde | 51 |
II. Honnêteté et probité | |||
Qualités reconnue | Nombre d’occurrences | Qualités reconnues | Nombre d’occurrences |
Être franc, loyal et intègre | 85 | Faire preuve de modération ou de tempérance | 47 |
Avoir des mœurs irréprochables | 63 | Veiller un voisin défunt | 32 |
Se montrer digne de confiance | 54 | Respecter l’Église et les valeurs chrétiennes | 14 |
Honorer ses dettes | 52 |
III. Discrétion et tranquillité | |||
Qualités reconnues | Nombre d’occurrences | Qualités reconnues | Qualités reconnues |
Respecter le repos des voisins | 76 | Bannir les comportements égocentriques (accaparement des espaces collectifs, pollution olfactive…) | 43 |
Ne pas s’immiscer dans les affaires d’autruis | 52 | Parler doucement | 22 |
IV. Bienveillance et urbanité | |||
Qualités reconnues | Nombre d’occurrences | Qualités reconnues | Qualités reconnues |
Trinquer ou fréquenter le cabaret avec le voisin | 207 | Se montrer poli et courtois | 69 |
Converseraimablement | 126 | S’informer de l’état de santé du voisin | 55 |
Rendre visite au voisin | 112 | Donner de bons conseils | 39 |
Inviter son voisin à déjeuner ou à souper | 76 | Être cordial | 25 |
79En premier lieu, l’exigence de solidarité, si souvent exprimée dans les archives judiciaires, est étroitement liée au mode de fonctionnement d’une société à l’économie encore peu productive. Le tissu des relations, quand il est suffisamment serré, constitue un véritable rempart contre l’incertitude du lendemain, la précarité ou la pénurie. De tradition en effet, la pauvreté relève d’abord de la charité des voisins même si, à la fin du siècle, prévaut de plus en plus l’idée que c’est à l’État et au roi de prendre en charge les indigents134. D’autre part, un certain nombre de pratiques solidaires visent à maintenir la paix au sein de l’immeuble ou du quartier comme l’interposition entre violents, l’appel à la raison, la recherche de l’accommodement ou l’accueil des femmes battues135. L’intervention des voisins dans les conflits, leur détermination à neutraliser les plus agressifs sont autant de comportements appréciés par la collectivité. À l’inverse, le spectateur impassible ou indifférent est mal jugé. Son attitude est condamnée au même titre que celle du violent qui s’est laissé emporter par la colère. De fait, selon le point de vue le plus courant, l’important est de ne jamais laisser face à face deux adversaires : l’aveuglement et la passion risqueraient de les conduire à commettre des actes irréparables.
80L’honnêteté est la seconde des vertus attribuées au « bon voisin ». Ce terme générique recouvre une pluralité de sens qui sont le fruit d’une longue évolution sémantique136. Si l’honnête homme du xviie siècle est affable et de conversation agréable, s’il cultive le courage, les vertus chrétiennes et le goût de la poésie, il est aussi celui qui limite ses ambitions aux possibilités de sa naissance et qui sait rester à sa place. Au siècle suivant, bien que les honnêtes gens soient encore décrits comme devant être conformes « à l’honneur et à la vertu » par le Dictionnaire de l’Académie, ils sont aussi emplis de « probité »137. À la notion d’honneur donc – si fortement ancrée dans les mentalités populaires, comme le montreront d’autres chapitres –, s’ajoutent celles de loyauté et de droiture. L’honnête homme devient l’homme intègre. Il est celui en qui on a une entière confiance au point de lui laisser sa boutique à garder ou ses enfants à surveiller. Au fond, dans l’opinion commune, l’honnête homme c’est le « brave homme », respectueux du bien d’autrui et doté d’un véritable sens moral.
Le sieur Bonnefond, lit-on dans une procédure, s’est toujours comporté de la manière la plus honnête qui soit. Il a une conduite très régulière et entretient avec ses voisins des relations sans histoire. Son tempérament calme et tranquille, sa modération l’ont toujours tenu éloigné des querelles inutiles. La confiance qu’il inspire le fait estimer de tous les habitants de l’immeuble138.
81Avec le temps, l’honnêteté se charge d’autres vertus encore : l’intégrité physique, la propreté et la fierté familiale139. Ainsi que le dit l’Encyclopédie, elle entretient « l’esprit de justice, la bienséance, la délicatesse, la décence, enfin le goût […] des bonnes manières »140. En ce sens, dans la nation comme dans la communauté de voisinage, elle est garante de l’ordre et de l’harmonie sociale.
82Le respect de la quiétude et du repos public, la bienveillance et l’urbanité représentent deux autres catégories de vertus hautement appréciées chez un voisin. Rester discret, éviter le bruit et les altercations inutiles, garder son sang-froid mais aussi savoir se montrer sociable et avenant vis-à-vis de la collectivité sont autant de qualités que chacun aimerait voir prévaloir dans les rapports sociaux. N’est-ce pas là aussi le vœu des juristes quand ils cherchent à fixer les devoirs dits de bon voisinage141 ? Dans l’esprit de tous, la meilleure conduite possible consiste à suivre la voie du juste milieu et de la modération. Réservé sans être indifférent, ennemi des discordes mais volontiers convivial et aimable, le « bon voisin » sait respecter la tranquillité de ses compatriotes. À sa façon, il fait siennes les préoccupations qui habitent les manuels de civilité, les traités de bienséance et les catéchismes quand ils appellent au contrôle des affects et des pulsions : la parole et le corps y sont présentés comme les lieux par excellence de la démesure. La première, note Gracian, est « une bête sauvage qu’il est très difficile de remettre à la chaîne, quand une fois elle est échappée »142. Au siècle suivant, l’abbé Dinouart incite à son tour à retenir sa langue et à ne prononcer que des choses raisonnables143. N’est-ce pas la meilleure façon d’éviter les écarts de langage et, partant, les injures et les calomnies ? Quant au corps, il doit être tenu en laisse lui aussi, c’est-à-dire ne pas céder aux pulsions sexuelles ou aux passions belliqueuses. La collectivité toute entière y gagnera calme et concorde.
83Si l’examen des procédures judiciaires permet de dégager les qualités du « bon voisin », de même, il renseigne sur son contraire : le « mauvais voisin ». Le plus souvent, les documents décrivent des attitudes ou des comportements négatifs qui se situent à l’opposé de ceux qui viennent d’être évoqués : à la franchise se substitue la déloyauté, à l’amabilité la rudesse, à la modération l’intempérance etc. Parfois, cependant, le « mauvais voisin » se voit affublé de défauts ou de tares plus spécifiques.
Le mauvais voisin
I. Comportement asocial ou inadapté à la vie collective | |||
Caractéristiques | Nombre d’occurrences | Caractéristiques | Nombre d’occurrences |
Recourir à l’injure, à la calomnie, à la diffamation | 728 | Être grossier ou goujat | 76 |
Se montrer agressif ou violent à l’encontre des voisins | 482 | Refuser de participer aux travaux collectifs | 32 |
Troubler la quiétude de la maisonnée ou incommoder les voisins | 223 | Être acariâtre | 26 |
Provoquer ou se moquer | 167 | Refuser de secourir charitablement autrui | 22 |
Exciter la jalousie entre voisins | 127 |
II. Mauvaise conduite morale | |||
Caractéristiques | Nombre d’occurrences | Caractéristiques | Nombre d’occurrences |
Être malhonnête | 187 | Se montrer impudique | 27 |
Se comporter en libertin, débauché, ivrogne | 112 | Manquer d’autorité sur sa femme ou sur ses enfants | 21 |
Faire preuve d’hypocrisie ou être déloyal | 49 | Témoigner d’unesprit irréligieux | 13 |
III. Atteinte à la propriété ou aux biens d’autrui | |||
Caractéristiques | Nombre d’occurrences | Caractéristiques | Nombre d’occurrences |
Voler | 91 | Désavouer ou ne pas honorer ses dettes | 79 |
Dégrader ou détériorer la propriété d’autrui | 67 |
IV. Appartenance à une catégorie de personnes étrangères ou jugées suspectes | |||
Caractéristiques | Nombre d’occurrences | Caractéristiques | Nombre d’occurrences |
Être un étranger, un forain, un individu venu de l’extérieur du royaume | 76 | Être un vagabond, une personne sans aveu | 46 |
S’être nouvellement installé dans le quartier ou dans l’immeuble | 52 | Être un Juif | 7 |
84Quatre raisons principales distinguent le « mauvais voisin » : un comportement contraire à la vie en collectivité, une inconduite notoire et scandaleuse, une offense à la propriété d’autrui ou encore une origine étrangère ou jugée « suspecte ».
85Sans s’attarder sur chacune de ces attitudes, on notera cependant que, dans la conscience commune, le « mauvais voisin » c’est, d’abord, celui qui foule aux pieds le pacte communautaire. Par son comportement négatif et son mépris des autres, il contribue à la déliquescence de la collectivité et aggrave les tensions entre ses membres. L’injure, la calomnie, l’agressivité, la violence gratuite, le vol, le refus de venir en aide à autrui sont, dans l’ordre, les conduites jugées les plus attentatoires à la vie du groupe. Ce sont elles aussi qui se trouvent à l’origine de la plupart des plaintes entre voisins144.
86Le non-respect de la morale traditionnelle constitue un autre type de grief adressé au « mauvais voisin ». Dans une société où la vie familiale et privée est encore fortement marquée par l’intervention de la collectivité, l’intempérance et l’immoralité sont jugés infamantes, comme l’irréligion. Elles contreviennent en effet aux vertus modernes et chrétiennes de la modération et de la modestie145. Surtout, elles menacent l’ordre et la paix interne de la maisonnée en instillant une dangereuse portion d’individualisme et d’égoïsme incompatible avec les prérogatives reconnues à la communauté.
87Le « mauvais voisin », enfin, c’est l’individu de passage, l’étranger nouvellement installé dans la rue ou dans l’immeuble, celui que le groupe ne reconnaît pas comme étant un des siens en raison de sa marginalité sociale ou de sa religion.
Les habitants de l’immeuble, peut-on lire dans une plainte, ont toujours témoigné la plus grande méfiance à l’adresse du sieur Guichard. Il habite le quartier depuis un mois […] et fait partie de ces gens suspects comme le sont […] les tripoteurs, les agioteurs, les Juifs, les colporteurs, les gibiers de potence146.
88Cette défiance à l’égard d’un inconnu, issu d’espaces ignorés, mi-travailleur, mi-vagabond, n’est pas nouvelle. L’étranger, parce qu’il échappe aux formes ordinaires du contrôle et de l’encadrement social ou religieux est porteur de danger. Plutôt qu’un rejet catégorique, il suscite une pluralité de réactions qui vont de la réserve prudente à la jalousie tenace en passant par la curiosité, l’interrogation, la peur ou l’angoisse. La haine déclarée, en revanche, reste exceptionnelle. Ce mélange de sentiments est étroitement lié à l’histoire de la ville qui attire chaque année son lot de « forains ». L’arrivée massive d’immigrants est perçue à la fois comme une nécessité – elle est garante du rayonnement et de la vocation internationale de Lyon – et un facteur de déstabilisation, source de tensions entre travailleurs concurrents. De ce paradoxe naissent des attitudes équivoques ainsi qu’un sens de l’hospitalité discutable, plus développé, selon certains observateurs chez les personnes de qualité que dans les catégories populaires147. Les archives judiciaires confirment le discrédit dont souffre l’étranger et la difficulté qu’éprouve la collectivité à reconnaître le nouveau venu comme un voisin à part entière.
Le sieur Legras, est-il écrit dans une procédure, […] a dit qu’il n’avait pas besoin d’avoir pour voisin un inconnu, un ignorant qui ne cherche qu’à tromper et qui a peut-être éprouvé des châtiments honteux148.
89Le groupe des voisins, inquiet pour son unité, déstabilisé par la venue de forains à la culture et aux traditions différentes, troublé par les soubresauts chroniques de la Fabrique a tôt fait de voir dans l’étranger l’instable, le marginal, le mendiant, le responsable de ses difficultés. Cette antipathie jouera à fond lors des troubles de l’année 1789149.
Notes de bas de page
1 L’expression est de Pierre Rétat. Elle est citée par Antoine de Baecque dans Rioux, Sirinelli, dir., Histoire culturelle de la France, T. III, op. cit., p. 20.
2 Chambers Ephraïm, Cyclopaedia or Universal Dictionary of Arts and Sciences, 2 vol., London, 1741.
3 Chartier Roger, dans Burguière André, Revel Jacques, dir., Histoire de la France, T. IV, Choix culturels et mémoire, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 2000, p. 90.
4 Darnton Robert, L’Aventure de l’Encyclopédie, 1775-1800. Un best-seller au temps des Lumières, Paris, Librairie Académique Perrin, 1982, p. 37.
5 Chartier Roger, dans Burguière André, Revel Jacques, dir., Histoire de la France, T. IV, op. cit., p. 90.
6 Cité par Chartier Roger, dans Burgière André, Revel Jacques, dir., Histoire de la France, T. IV, op. cit., p. 90.
7 Quémada Bernard, Les Dictionnaires du français moderne 1539-1863. Étude sur leur histoire, leurs types et leurs méthodes, Paris-Bruxelles-Montréal, Didier, 1967, p. 205-234.
8 Ourliac Paul, Malafosse Jehan de, Droit romain et ancien droit, T. II, Les Biens, Paris, PUF, coll. « Thémis », 1961, p. 362 à 367.
9 Depuis l’ouvrage de Marc Bloch, Les Caractères originaux de l’histoire rurale française, Oslo, H. Aschehoug, 1931, il est devenu classique d’opposer deux types de civilisations agraires et juridiques : celle du nord et de l’est de la France, où les champs ouverts correspondraient à un régime de propriété collective marqué par de fortes contraintes communautaires et celle du centre, du sud et de l’ouest aux champs clos de haies, correspondant à un régime de propriété beaucoup plus individualiste.
10 Planiol Macel, Traité élémentaire de droit civil, T. I, Paris, 1915, 7e édit., p. 1-23.
11 Furetière Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et les arts, T. III, La Haye-Rotterdam, A. et R. Leers, 1690, s. v. Voisin, non paginé.
12 Dictionnaire universel français et latin vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, T. VII, Paris, Compagnie des Libraires associés, 1752, s. v. Voisin, p. 910-911.
13 Nouveau Dictionnaire de l’Académie française dédié au Roi, T. II, Paris, J.-B. Coignard, édit. 1718, V° Voisin, p. 801.
14 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de lettres, T. XVII, Paris, Briasson, 1765, V° Voisin, p. 426.
15 Furetière, op. cit., s. v. Voisinage ; Richelet Pierre, Dictionnaire de la langue française ancienne et moderne, T. III, Lyon, Duplain, 1759, s. v. Voisinage.
16 Godefroy Frédéric, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous les dialectes du ixe au xve siècle, T. VIII, Paris, F. Vieweg, 1895, p. 289.
17 Furetière, op. cit., T. III, s. v. Voisinage.
18 Dictionnaire de Trévoux, op. cit., T. VII, s. v., Voisiner, p. 911.
19 La Curne de Sainte-Palaye Jean-Baptiste de, Dictionnaire historique de l’ancien langage français ou Glossaire de la langue française depuis son origine jusqu’au siècle de Louis XIV, T. X, Paris, Champion, 1875, s. v. Voisin, p. 185.
20 Ibid.
21 Dictionnaire de Trévoux, op. cit., T. VII, s. v. Voisin, p. 911.
22 Furetière, op. cit., T. III, s. v. Voisin.
23 Rétif de la Bretonne, Nicolas-Edme, Les Nuits de Paris dans Paris le jour, Paris la nuit, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », 1990, p. 861.
24 La Curne de Sainte-Palaye, op. cit., p. 185.
25 Furetière, op. cit., T. III, s. v. Voisin.
26 La Curne de Sainte-Palaye, T. X, op. cit., p. 185
27 Ibid.
28 Cité par Delumeau Jean, dans La Peur en Occident ( xive-xviiie siècles), Paris, Hachette Littératures, coll. « Pluriel », [1re édit. 1978] 1999, p. 72.
29 Ibid., p. 72.
30 Cité par Delumeau, op. cit., p. 72.
31 Littré Émile, Dictionnaire de la langue française, 2 vol., Paris, Hachette, 1873-1879.
32 Littré, op. cit., T. II, s. v. Voisin, p. 2528.
33 La Curne de Sainte-Palaye, T. X, op. cit., p. 185.
34 Toulgouat Pierre, Voisinage et solidarité dans l’Europe du Moyen Âge, « lou besi de Gascogne », Paris, G. P. Maisonneuve et Larose, 1981, p. 9-10.
35 Pour une présentation succincte de cette charte, consulter Bourin Monique, Durand Robert, Vivre au village au Moyen Âge, Les solidarités paysannes du xie au xiiie siècle, Paris, Messidor, 1984, p. 140-142.
36 Toulgouat, op. cit., p. 73 et suivantes.
37 Bourin, Durand, op. cit., p. 141.
38 Toulgouat, op. cit., p. 100.
39 Bourin, Durand, op. cit., p. 142.
40 Ibid.
41 Toulgouat, op. cit., p. 186.
42 Ibid., p. 86.
43 Duby George, Wallon Arnaud, dir., Histoire de la France rurale, T. III, L’Âge classique des paysans, de 1340 à 1789, Paris, Seuil, coll. « Points Histoire », 1975, p. 143-147.
44 Toulgouat, op. cit., p. 115-133.
45 La propriété, alors, n’est pas libre au sens où nous l’entendons aujourd’hui : elle est encombrée de nombreuses obligations et il n’est pas rare qu’elle soit détenue simultanément par plusieurs propriétaires cf. Patault Anne-Marie, Introduction historique au droit des biens, Paris, PUF, coll. « Droit fondamental. Droit civil », 1989, p. 37-74.
46 John Locke cité par Patault, op. cit., p. 142. Sur l’importance de Locke dans la naissance de l’individualisme moderne, voir Spitz Jean-Fabien, John Locke et les fondements de la liberté moderne, Paris, PUF, coll. « Fondements de la politique. Série Essais », 2001.
47 Furetière, op. cit., T. III, s. v. Propriété.
48 Particulièrement Grotius Hugo, op. cit., livre II, chap. 6, § 1, et Pufendorf Samuel, op. cit., T. II, livre IV, chapitre 4.
49 Olivier-Martin François, Histoire de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, T. II, Paris, Leroux, 1920, p. 5.
50 Du Rousseau de la Combe, op. cit., s. v. Eau, p. 258-259.
51 Coquille, op. cit., p. 162.
52 Ferrière, op. cit., t. II, p. 370.
53 Cité par Olivier-Martin, op. cit., p. 79.
54 Bourjon, op. cit., T. II, section III, XIV, p. 19.
55 Archives départementales de Rhône (ADR), BP 2572, 11 août 1776, rapport d’experts.
56 ADR, BP 3537, 31 octobre 1790.
57 ADR, BP 2573, 23 mai 1778.
58 Pothier Robert-Joseph, Œuvres annotées et mises en corrélation avec le code civil et la législation actuelle, T. IV, Paris, Marchal et Plon, 1890, p. 334.
59 Patault, op. cit., p. 153.
60 En ce qui concerne la mitoyenneté et les servitudes de vues et d’égout, la Coutume de Paris reprend l’essentiel des dispositions exposées par Jacques d’Ableiges dans Le Grand Coutumier de France, Paris, Nicolas Hygman, 1523, non paginé, dans son chapitre intitulé « Des veues et esgous des maisons ».
61 ADR, BP 3475, 14 novembre 1781.
62 Pothier, Œuvres annotées, T. IV, op. cit., art. 207, p. 316.
63 Furetière, op. cit., T. III, s. v. Mitoyen.
64 ADR, 3E 9459, 7 juin 1777.
65 Olivier-Martin, op. cit., p. 76.
66 Furetière, op. cit., T. III, s. v. Mitoyen.
67 Olivier-Martin, op. cit., p. 84.
68 Cité par Patault, op. cit., p. 156.
69 Furetière, op. cit., T. III, s. v. Mitoyen.
70 Domat, op. cit., p. 67.
71 Du Rousseau de la Combe, op. cit., s. v. Servitudes, p. 643-646.
72 Cité par Patault, op. cit., p. 150.
73 Du Rousseau de la Combe, op. cit., p. 643-646.
74 Dunod de Charnage François-Ignace, Traité des prescriptions, de l’aliénation des biens d’église et des dixmes suivant les droits civil et canon, la jurisprudence du royaume, et les usages du comté de Bourgogne, Paris, Briasson, édit. 1765, p. 266.
75 Carbonnier Jean, Droit civil, T. III, Les biens. Monnaie, immeubles et meubles, Paris, PUF, coll. « Thémis », 1992, p. 290.
76 Furetière, op. cit., T. IV, s. v. Servitudes.
77 Du Rousseau de la Combe, op. cit., s. v. Chemin, p. 88.
78 Carbonnier, op. cit., p. 269.
79 Du Rousseau de la Combe, op. cit., s. v. Eau, p. 258-259.
80 Ibid.
81 ADR, BP 3479, 20 mars 1782.
82 Furetière, op. cit., T. IV, s. v. Servitudes.
83 Du Rousseau de la Combe, op. cit., s. v. Eau, p. 259.
84 Furetière, op. cit., T. IV, s. v. Servitudes.
85 Olivier-Martin, op. cit., p. 75.
86 Ibid., p. 78.
87 Ibid., p. 77.
88 ADR, BP 2572, 1er juillet 1776.
89 Olivier-Martin, op. cit., p. 86.
90 ADR, BP 2575, 24 janvier 1778, rapport d’experts.
91 ADR, BP 2575, 26 mai 1778, rapport d’experts.
92 Du Rousseau de la Combe, op. cit., s. v. Arbre, p. 40.
93 Ibid., p. 40.
94 Coquille, op. cit., T. II, p. 168.
95 Domat, op. cit., livre 1, chap. 5, art. 3.
96 ADR, BP 3473, 23 août 1781.
97 Sur la fonction de commissaire voir l’introduction générale, note 2, p. 6.
98 Archives municipales de Lyon (AML)., FF 09, non daté.
99 AML, FF 047, 21 février 1776.
100 AML, FF 09, ordonnance du 7 septembre 1729 art. XIII.
101 AML, FF 039, ordonnance de police du 8 août 1727.
102 AML, FF 039, ordonnance de police du 6 juillet 1763.
103 AML, FF 039, ordonnance de police du 24 octobre 1755.
104 AML, FF 09, ordonnance du 10 juin 1761.
105 C’est le cas notamment des charcutiers et des bouchers à qui une ordonnance de mars 1788 interdit « de jeter aucune chose par les fenêtres (…) et auxquels il est ordonné de descendre les cuirs de leur grenier ». Dans la même ordonnance défense est faite « à toutes personnes même aux bouchers et charcutiers, de nourrir des porcs en ville », AML, FF 09, 15 mars 1788.
106 Corbin Alain, Le Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social. XVIIe-xixe siècles, Paris, Flammarion, 1986, p. II.
107 Sur l’évolution du paysage sonore, consulter Gutton Jean-Pierre, Bruits et sons dans notre histoire, essai sur la reconstitution du paysage sonore, Paris, PUF, coll. « Le nœud gordien », 2000, p. 61-104.
108 Ainsi les ouvriers en soie, les selliers, les charrons ou les chapeliers.
109 AML, FF 09, art VI, ordonnance du 30 novembre 1780.
110 AML, FF 047, 1er juin 1777.
111 Cf. troisième partie, chapitre 1.
112 Decrusy, Isambert, Jourdan, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, T. II, Paris, Belin-le-Prieur, 1822-1833, p. 650.
113 Jousse Daniel, Nouveau Commentaire sur l’ordonnance civile de 1667, T. I, Paris, Debure, 1757, Titre II, p. 20.
114 Ibid.
115 ADR, BP 3475, 5 décembre 1781.
116 AML, FF 09, ordonnance du 10 juin 1761.
117 AML, FF 039, ordonnance de police du 6 juillet 1763.
118 La fonction du réveille-matin est attestée jusqu’à la Révolution. Il avertit les habitants « au son de la cloche » et les enjoint de balayer les rues et de les arroser, Vial Eugène, « Le réveille-matin de Lyon », Revue d’histoire de Lyon, T. II, 1903, p. 345-356.
119 AML, FF 039, ordonnance de police du 19 juillet 1760.
120 AML, FF 09, ordonnance du 7 septembre 1729, art. XII.
121 AML, DD 23, ordonnance du 16 novembre 1733.
122 Ibid.
123 Ibid.
124 AML, FF 09, ordonnance du 7 septembre 1729.
125 De nombreux exemples montrent que le « près » ou le « proche voisin » est régulièrement sollicité pour servir de relais aux décisions de justice. Illustration : « En vertu d’un décret de prise de corps passé en la sénéchaussée criminelle de Lyon le 24 mai dernier à l’encontre du sieur Durand, faute par ce dernier d’y avoir satisfait […] nous nous sommes transportés au devant […] du domicile dudit Durand où étant j’ai affiché copie […] contre la porte de son domicile […] et l’ai recommandé à un proche voisin » ADR, BP 3436, 17 février 1777.
126 ADR, BP 3454, 8 mars 1779.
127 ADR, BP 3454, 20 février 1779.
128 ADR, BP 3463, 30 avril 1780.
129 ADR, BP 3473, 12 août 1781.
130 ADR, BP 3508, 10 juillet 1786.
131 ADR, BP 3472, 11 juin 1781.
132 ADR, BP 3471, 3 avril 1781.
133 Garden, op. cit., p. 7
134 Le droit du pauvre à la subsistance est une idée qui naît au siècle des Lumières. La rupture avec l’aumône et la charité traditionnelle marque le passage vers une bienfaisance publique et nationale que la Révolution aura à cœur d’organiser. Sur ce thème, voir Duprat Catherine, « Pour l’amour de l’humanité ». Le temps des philanthropes. T. I, La philanthropie parisienne des Lumières à la monarchie de Juillet, Paris, CTHS, coll. « Mémoires et documents », 1993, p. 289-358.
135 Voir deuxième partie, chapitre 3.
136 Sur le concept d’honnêteté, consulter Castan Yves, Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, Plon, coll. « Civilisations et mentalités », 1974, p. 22-35.
137 Dictionnaire de l’Académie française, T. I, Paris, Veuve B. Brunet, édit. 1762, s. v. Honnête, p. 882-883.
138 ADR, BP 3514, 21 février 1787.
139 Cabourdin Guy, Viard Georges, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Paris, A. Colin, 1990, s. v. Honnêteté, p. 163.
140 Encyclopédie, op. cit., T. XVII, s. v. Honnêteté, p. 704.
141 Cf. première partie, chapitre 1, p. 37 et suivantes.
142 Gracian Baltasar, L’Homme de cour, trad. fr., Paris, Ivréa, 1993 [1re édit. 1647], p. 135.
143 Dinouart (Abbé), L’Art de se taire, Paris, Petite collection Atopia, 2002 [1re édit. 1771], p. 38.
144 Cf. troisième partie, chapitre 1.
145 ADR, BP 3453, 23 janvier 1779. La modestie des attitudes et son apprentissage deviennent une matière nouvelle d’enseignement dans les petites écoles dès la fin du xviie siècle. On y apprend la civilité selon les principes exposés par Jean-Baptiste de la Salle dans son ouvrage intitulé les Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne. Ce manuel, publié une première fois en 1703 connaît aussitôt un succès considérable. Il sera republié plusieurs fois au cours du siècle, cf. Chartier Roger, Compère Marie-Madeleine, Julia Dominique, L’Éducation en France du xvie au xviiie siècle.
146 ADR, BP 3453, 23 janvier 1779.
147 « Il y a à Lyon », constate Élie Brackenhoffer dans Voyages en France, 1643-1644, Nancy-Paris-Strasbourg, Berger-Levrault, 1925, p. 115, « beaucoup de gens discrets qui se montrent polis et bienveillants envers les étrangers, en particulier ceux qui ont eux-mêmes voyagé et qui se sont frottés à d’autres gens ; mais la grande masse est ce qu’elle est partout. »
148 ADR, BP 3482, 23 septembre 1782.
149 Trénard, op. cit., p. 174.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Aux origines du socialisme français
Pierre Leroux et ses premiers écrits (1824-1830)
Jean-Jacques Goblot
1977
L'Instrument périodique
La fonction de la presse au xviiie siècle
Claude Labrosse et Pierre Retat
1985
La Suite à l'ordinaire prochain
La représentation du monde dans les gazettes
Chantal Thomas et Denis Reynaud (dir.)
1999
Élire domicile
La construction sociale des choix résidentiels
Jean-Yves Authier, Catherine Bonvalet et Jean-Pierre Lévy (dir.)
2010