Chapitre III. De la main-d’œuvre industrielle a la classe ouvrière : une longue émergence
p. 111-155
Texte intégral
1Consciemment ou non, l’opinion commune sur le développement du prolétariat industriel reproduit l’analyse et la description qu’en a faites Marx. En même temps que lui, un peu plus tard, et longtemps, il est apparu comme la grande nouveauté du XIXe siècle et la mutation sociale qu’il traduisait a été plus fortement ressentie que le bouleversement économique qui l’avait déterminé. C’est à la « condition des ouvriers » que se sont attachés Villermé, Blanqui, Audiganne, Louis Reybaud, avant que Le Play ne déplore la dissolution de la société patriarcale : tous ont été frappés par l’émergence brutale des masses ouvrières dans le paysage géographique et social. Mais, logiquement, on a ensuite expliqué modes et rythmes de recrutement par ceux du développement industriel ; on vient d’en voir les étapes dans la région lyonnaise, pour insister, à la lumière des faits, sur les continuités plus que sur les ruptures, et, particulièrement, sur l’unité d’un premier XIXe siècle, du début de la Restauration aux années 1880 ; les décennies 1840-1860, qui ont vu se multiplier les monographies, ne sauraient être tenues pour accoucheuses d’un monde nouveau, dans l’espace lyonnais au moins. Dès lors, n’ont-elles pas découvert un prolétariat qui existait bien avant elle ? C’est poser la question de son émergence et de son développement numérique, qu’il est essentiel de cerner, même s’il n’épuise pas le problème de la condition ouvrière sur laquelle on s’était penché ; mais aussi de sa composition et des reclassements qui s’y produisent avec la redistribution des activités de l’économie tout entière et des déplacements géographiques qui les accompagnent. L’émergence de la classe ouvrière n’est pas le simple décalque de l’essor industriel ; loin de là.
I. LE MOUVEMENT D’ENSEMBLE (1851-1911)
1. La question des sources
2Le nombre ne fait pas défaut : il pullule, au détour d’un texte, à l’angle d’un rapport. Mais plaqué sur une description ou une démonstration, il la justifie a posteriori plus qu’il ne l’inspire ; la fallacieuse exactitude des chiffres farde une impression qui n’a d’autres catégories que le médiocre et l’immense et ne recule pas devant l’invraisemblable1 : à partir d’un certain niveau, on décolle du réel pour multiplier à l’image des armées de Xerxès ou des foules médiévales. Les élaborations trop subtiles sont d’autant plus trompeuses qu’elles s’appuient sur une apparente logique, comme la constance supposée des relations entre moyens de production et main-d’œuvre que les développements technologiques rendent perpétuellement caduques2 : le calcul ne peut remplacer le comput. Quant au nombre isolé, même s’il procède d’une démarche rigoureuse, il reste le plus souvent muet sur les limites géographiques ou sectorielles exactes qu’il recouvre. Remarques banales que tout cela, mais d’autant plus nécessaires pour un temps généralement considéré comme statistique.
A. Les grandes enquêtes périodiques
3En 1860 donc, on reprend la démarche décennale annoncée en 1839-1840. Lancée au lendemain du traité de commerce franco-anglais3, à la fin de l’année, elle aiguise ses méthodes dans un souci d’exhaustivité et de précision nettement affirmé4. Dans la région, l’Ardèche seule a conservé les instructions administratives qui ont guidé les démarches et la compilation récapitulative, par industrie, des bulletins originaux dont quelques exemplaires seulement n’ont pas été détruits5. Chacun d’entre eux correspond à un seul établissement manufacturier ; 45 rubriques y invitent à inscrire le « nombre moyen ordinaire » des ouvriers adultes et des enfants, à le ventiler par sexes, à séparer les emplois « exclusifs » – c’est-à-dire à plein temps – du personnel temporaire. C’est à l’industriel de le remplir ; le maire, qui le surveille, peut cependant le remplacer, et demander l’assistance des agents des contributions et des ingénieurs de circonscriptions minéralogiques ; une série de contrôles successifs par des commissions cantonales, d’arrondissement et l’autorité préfectorale ont précédé l’envoi de l’ensemble des bulletins à Paris. Il semble qu’en Ardèche au moins, le préfet ait accordé beaucoup de soins aux opérations : il insiste à plusieurs reprises sur l’homogénéité nécessaire des critères, et tranche lorsque l’« entreprise » est malaisée à isoler (tissage, carrières, etc.)6 ; mais la complexité du système garantit-elle la qualité des résultats, ou a-t-elle contribué à les gauchir ?
4L’Enquête a finalement touché 123 357 usines ou fabriques, et 1 780 000 ouvriers sur l’ensemble de la France. Mais tous les matériaux de base semblent avoir été détruits, et de l’immense recherche n’est sortie qu’une publication imprimée somme toute assez chiche eu égard à l’effort fourni7 ; sur Lyon même, un malencontreux incendie l’a anéanti, et l’on s’y tient à des évaluations globales qui empêchent tout essai de récapitulation régionale8.
5A l’inverse, le cadre de l’arrondissement qui a été retenu ne permet pas d’étude de détail. Et il semble bien que les critères de l’enquête aient privilégié les aires les moins industrialisées, où l’isolement même des manufactures a facilité le repérage ; au contraire, les secteurs en nébuleuse du Forez de la petite métallurgie, du Beaujolais cotonnier et, un peu partout, du tissage de la soie ont tous un caractère d’aberrante médiocrité, puisque le travail s’y fait en dehors des établissements9. Comme toutes les autres tentatives du XIXe siècle, celle de 1860 n’a pas réussi à mordre sur les « arts et métiers », c’est-à-dire sur une partie essentielle de la vie industrielle10. Enfin, elle est la dernière du genre, le projet de rythme décennal ayant tourné court.
6Car « l’état sommaire des industries principales » de 187311, s’il a le mérite d’ouvrir une série pour quelques branches essentielles, jusqu’en 1886, est plus que suspect, ici et là. On ignore tout de la méthode qu’ont employée les préfets pour livrer des nombres vagues, souvent incomplets, voire fantaisistes quand une source parallèle permet de les vérifier. Quant aux effectifs publiés à la veille de la Première Guerre Mondiale, ils sont précis et exhaustifs : parce qu’ils ne font que reproduire le recensement professionnel de 1906 !12.
B. Les statistiques régulières
7C’est le 10 mars 1856 qu’une circulaire du Ministre de l’Agriculture et du Commerce a invité les préfets à lui adresser, chaque trimestre, un état de la « situation des industries principales » de leur département13. Avec régularité, le tableau a été dressé jusqu’en 1886, à l’exception de 1870 et 1871 où une tentative mensuelle a été faite et rapidement abandonnée ; ce qui en reste est inutilisable, sommaire et confus. A compter de 1887, on s’est contenté d’une situation annuelle, et de 1890 à 1893 ne subsistent que des pièces erratiques. A-t-on pensé que les recensements quinquennaux des professions suffisaient à dénombrer la main-d’œuvre ? A-t-on franchement renoncé à ce qui constituait un baromètre approximatif de l’emploi et du chômage ? En tout cas, il faut stopper là – le plus souvent en 1888 et 1889 – les séries qu’on avait pu esquisser.
8A priori, le document éveille la plus grande méfiance, et à vouloir trop lui demander, un certain découragement. Car le mode d’enquête ne semble avoir été jamais précisé par le ministère. Le préfet est seul responsable : il s’adresse aux sous-préfets et aux maires le plus souvent, aux organisations patronales et aux ingénieurs des mines, quand il y en a. En tout cas, la collecte est hétérogène, quand le préfet ne dresse pas lui-même, directement, l’état récapitulatif avec un inquiétant souci de simplification et le goût des nombres ronds. L’invite au comput d’un questionnaire d’ailleurs vague14 peut ne pas être suivie, sans attirer de remontrance, au moins jusqu’en 188015. Il n’y a pas d’uniformité des démarches avant 1885 où un imprimé ministériel propose une grille socio-professionnelle détaillée, calquée dans ses grandes articulations sur les dénombrements quinquennaux de la population. Enfin, la périodicité à court terme incite à l’erreur, volontaire ou non, que l’on recopie l’exercice précédent, avec des erreurs du scribe, parfois, ou que l’on aille au plus vite, donc au minimum.
9La documentation varie donc avec le soin inégal qu’on a mis à l’élaborer. Elle a l’insigne mérite d’exister, et massivement, dans un domaine difficile à appréhender : on peut en effet constituer des séries continues, à travers les liasses complémentaires des Archives Nationales16 et des dépôts départementaux. C’est, hélas ! le Rhône17 et la Loire qui emportent, de loin, la palme de la médiocrité. De Lyon n’est jamais partie, chaque trimestre, que la plainte modulée de la Chambre de Commerce sur les malheurs de la Fabrique, assortie de quelques considérations sur les industries chimiques et la métallurgie18 ; on ne trouve d’état détaillé qu’après 1880, avec bien des lacunes, par arrondissement, et pour Lyon, on ne peut guère utiliser que les années 1883-1885. Mêmes réserves pour Saint-Etienne, car même origine, pour tout ce qui touche à la rubannerie, à la quincaillerie et à la fabrication des armes ; pour le reste, le préfet saccage allégrement les états du sous-préfet de Roanne et des ingénieurs des mines, excellents malgré quelques hésitations géographiques, mais irrégulièrement conservés. Et un classement archivistique aberrant entrave la reconstitution chronologique en dispersant aux quatre vents de la Série M les pièces d’une source dont il n’a pas su reconnaître l’unité19 ; là aussi, les seules années 1882-1885 – qui sont à Paris – constituent un ensemble homogène et complet.
10La qualité des autres départements est heureusement sans faille, à l’exception de la Savoie, où ne subsistent que des fragments épars20. Tous offrent des états réguliers, les lacunes sont rares ; la nature de l’industrie, sa localisation font l’objet d’un grand soin ; et les rapports des sous-préfets ont été souvent conservés, qui permettent de vérifier la valeur des récapitulations. Leur utilisation ne souffre guère que de la fantaisie des classements (dans le même département, tantôt par commune, tantôt par secteur, par ordre alphabétique, ou par circonscription administrative), qu’il est facile sinon rapide de rectifier.
11Les « situations industrielles » fournissent donc des états précieux et précis de la main-d’œuvre, par industrie et même, après 1885, par qualification professionnelle. Et l’on peut considérer que le changement de cadre, partout en 1885, ici et là en 1882 et 1883, a secoué une éventuelle routine21 : on disposerait là d’une coupe précieuse, après la disparition des enquêtes décennales. Simplement, il ne faut pas trop exiger, et il est impossible de récapituler à l’échelle de la région tout entière ; à l’intérieur de chaque département, même, trop d’établissements apparaissant ou disparaissant sans explication, surtout dans les industries marginales22.
12Enfin, on peut rattacher à ces états périodiques réguliers la Statistique de l’Industrie Minérale, qui donne, chaque année, de 1848 à 1913, l’état de la main-d’œuvre minière, par départements et par bassins, par sexes et par secteur d’emploi ; et, à compter de 1853, l’étend aux sidérurgistes, classés selon le produit (fonte, acier...) auquel ils se consacrent. Les chiffres ont la qualité, la régularité de toutes les autres données du document et si l’on peut s’interroger sur leur mode d’élaboration, on peut au moins être certain de sa constance23.
13Pour être nécessaire, aucune de ces sources n’est suffisante, parce que trop spécialisée, ou éphémère. Et seuls les dénombrements quinquennaux offrent, en apparence du moins, continuité et totalité.
C. Dénombrements de la population et recensements des professions
14Leur régularité ne souffre en effet pas d’exception, sauf en 1872, où le décalage est cas de force majeure. Et ils gagnent progressivement en précision, le souci de compter par professions et par statut social s’affirme avec force après 1890. Tous ont été l’objet de publications imprimées de plus en plus copieuses, de plus en plus détaillées24. Sans revenir sur la présentation critique générale et de leurs méthodes et de leurs résultats25, il faut cependant rappeler un certain nombre de difficultés qui s’élèvent quand on veut mesurer, à travers eux, l’évolution numérique, sur un demi-siècle, d’une classe sociale et même d’un simple groupe socio-professionnel. Elles tiennent à la fois aux incessants changements des critères de classement et à l’hésitation entre les préoccupations démographiques, sociales et économiques qui modifient, d’un volume à l’autre, la présentation des résultats. Fondamentalement, il s’agit de repérer ce qui, d’une date à l’autre, peut être comparé.
15En pratique, la concentration des opérations de comptage à Paris, à partir de 1896, est lourde de conséquences. Gage de qualité, elle modifie profondément certains résultats globaux26 et il est donc hasardeux de confronter, même au niveau d’ensemble, les chiffres d’avant et après. Mais, surtout, elle a entraîné la disparition totale des documents d’élaboration. Il n’y a donc plus rien entre la publication officielle, qui ne descend pas en dessous du cadre départemental, et les listes nominatives des communes, à peu près partout conservées. Précieuses pour une recherche monographique quand elles sont dignes de confiance27, il n’est pas question de les utiliser à l’échelle d’une région trop vaste pour que les comptages soient possibles ; quant au sondage comparatif, il se heurte à l’inégalité de valeur du document lui-même28. Car, d’ici à là, les autorités locales chargées de les dresser ont rarement respecté les instructions officielles, sans qu’erreurs et négligences aillent toutes dans le même sens ; la confrontation est quasiment impossible, et la méthode s’est révélée aussi éprouvante que stérile. Ainsi, l’absence des précieux comptages intermédiaires interdit-elle une étude géographique un peu précise au-delà de 1891.
16La multiplication des types de classement, l’instabilité de leurs critères reflètent sans doute la volonté de coller à ces mutations qu’entraîne précisément le développement industriel, par voie directe ou détournée. Elles n’en constituent pas moins une gêne considérable, et douze dénombrements et recensements – outre celui de 1851 – apportent trop rarement des réponses satisfaisantes.
17Une première série de difficultés tient aux variations du concept de population active et de l’importance qu’on lui attribue. Bien défini en 1851, il est aussitôt abandonné : en 1856 et en 1861, on préfère connaître la part de population qui vit de chaque grand secteur de l’économie nationale. Puis il revient et s’impose : on sépare les actifs de ceux qui sont « à leur charge », avec beaucoup de soin29. Mais il triomphe si bien qu’à partir de 1896, on néglige totalement de dénombrer les non-actifs par secteur professionnel et surtout statut social, pour ne considérer que les seuls travailleurs. Comme d’autres inconvénients éliminent les dénombrements de 1891 et 188630, on ne peut guère dépasser la notion économique de main-d’œuvre pour saisir les dimensions de la classe ouvrière au sens sociologique du terme qu’entre 1866 et 1876, et en 189131.
18Quant au statut social, il n’apparaît pas en 1856, et il est d’un intérêt relatif en 1861 puisqu’il s’applique à la masse confondue des actifs et des personnes à leur charge. Il ne ressort nettement qu’à partir de 1866, sépare patrons, employés et ouvriers, définitivement, et pousse même un instant (en 1872 et en 1876) le souci de précision jusqu’à mettre à part les manœuvres. La démarche est cependant, longtemps, trompeuse. Car la réalité n’est pas simple sous l’opposition schématique du vocabulaire. Sans doute, l’effort est certain pour y voir clair, et en 1866 on précise bien que le patron est « à son compte » et ne doit pas être confondu avec le « travailleur indépendant » et le « façonnier à domicile » ; en fait, les résultats tirent aux deux pôles, et tout au plus peut-on espérer que le partage a été fait correctement. Il faut attendre 1896 pour que les distinctions nécessaires apparaissent dans les publications imprimées et soulignent l’originalité des « petits patrons travaillant seuls » et des « ouvriers à façon ou sans place fixe et unique ».
19Enfin, le classement professionnel est entaché doublement par la même instabilité ; à la fois dans les critères de rattachement à telle ou telle spécialité des individus recensés et dans la nature et l’ordre de ses rubriques, à tous les niveaux.
20Ce n’est qu’à partir de 1896 que chaque individu se définit par l’activité collective à laquelle il participe : le recensement professionnel se fait d’ailleurs par « établissements » ; le secteur économique se substitue donc au « métier » individuel, sauf en 1911, où l’on y revient, clairement. Mais avant ? il semble bien que jusqu’en 1891 y compris, les deux notions se côtoient sans s’exclure dans le même recensement. Ici, c’est bien l’activité collective qu’on prend en compte, délimitée d’une manière disparate, soit par la matière première employée (dans les industries textiles), soit par la nature du produit fini (métallurgie différenciée), là c’est la spécialité professionnelle, le vieux « métier » (dans le bâtiment, l’habillement) ; ainsi peuvent coexister des « maçons » et le « tissage de la soie ». Comme, au contraire, la rigueur est de mise en 1911, il ne serait guère possible de comparer de part et d’autre du bloc 1896-1906, lui-même étanche ; en théorie du moins. Car, sous réserve d’une marge minime d’erreur, il semble bien qu’on puisse faire coïncider, avant 1891, le « secteur » et le regroupement des métiers qui y touchent ; à condition de s’en tenir aux grands ensembles, textiles, grosse métallurgie, etc..., la confrontation est tout de même abordable, sauf en 191132.
21Quel que soit le système adopté, métier ou secteurs, le mode interne de classement ne cesse de se modifier. Au niveau des grands ensembles, l’agriculture seule est constamment bien individualisée, et l’industrie à peu près correctement, bien qu’elle soit confondue, de 1851 à 1866, et en 1911, avec les transports. Mais le domaine du tertiaire est une perpétuelle hésitation : le « commerce » intègre la « banque » en 1896, en 1901 et en 1906, après les « transports » en 1876 ; ceux-ci sont par contre associés à la « banque » seule en 1872. Et de 1856 à 1866 existe une incertaine rubrique des « professions diverses concernant le commerce, l’industrie et les transports » et qui paraît correspondre à tout ce qui touche au courtage et au crédit. Quant aux « professions libérales », elles s’annexent le clergé depuis 1866, avant d’acquérir une certaine homogénéité ; les « fonctionnaires » ne sont dénombrés à part qu’après 1886, et les « domestiques » depuis 1891 : jusque-là, on les attribue au secteur ou à la profession de leurs employeurs, et il est donc nécessaire de les en extraire, comme en 1851. Enfin, une catégorie de « gens vivant de leurs revenus » apparaît entre 1872 et 1891 ; une rubrique « sans profession » ne vaut que de 1856 à 1886 ; tout le reste est sous le titre « inconnu » en 1876-1881 et de 1896 à 1906, et, en 1872 et en 1911, on a renoncé à classer un certain nombre de personnes ! Finalement, la seule période 1896-1906 présente une homogénéité de conception et une adéquation parfaite des grandes rubriques33.
22A l’intérieur de l’« industrie », la stabilité est heureusement plus grande, au moins pendant les premiers recensements ; les 18 titres de 185634 sont repris, sans grande modification, en 186135 et en 1866 et semblent refléter assez justement la réalité économique et sociale du temps. Puis l’effort tourne court : en 1872, on ne distingue plus que les mines, la « grande industrie » et les « arts et métiers » ; en 1876, on se borne à séparer la première, qualifiée de « mines, usines et manufactures » de la petite industrie ; en 1881 enfin, si on conserve à part les « arts et métiers », on extrait un bloc « mines, carrières, grosse métallurgie » de toutes les autres activités manufacturières. Il faut attendre 1886 et 1891 pour retrouver la nomenclature de 1861-1866, à peine, et heureusement, rectifiée36. Mais en 1896, c’est un bouleversement total, le seul critère devient la matière première qu’on travaille ; heureusement, un certain nombre de postes restent immuables, quel que soit le mode de classification, comme le textile, le bâtiment, le vêtement, les industries chimiques. Pour les autres, il faut tâcher de les reconstituer à partir des rubriques élémentaires – un troisième niveau – qui les décomposent, 89 pour l’industrie en 1866 (sur 292), 1 100 (sur un total de 1 500) à partir de 189737.
23Telles sont les sources dont on dispose ; il y aurait encore beaucoup à en dire38. Elles reflètent deux types de comptage : celui de l’emploi (statistiques trimestrielles, et de l’industrie minérale), celui de la profession et du statut social qu’on avoue (dénombrements). Une comparaison terme à terme, de l’un à l’autre, n’est bien sûr pas possible. Aussi l’essor de la classe ouvrière ne peut-il être saisi comme la construction régulière d’un bel édifice progressif, mais par des éclairages successifs divers et pas toujours complémentaires dont les conclusions ne peuvent être qu’approximatives.
2. Au début du XXe siècle : la mesure des transformations
24Même au travers des recensements professionnels, il est trop de ruptures inexplicables pour que l’apparente précision des nombres soit convaincante. Quand elle est possible, la confrontation d’avec les documents de base prouve la fréquence d’erreurs de calcul qui ne s’annulent pas forcément, et il est probable que le statut social n’a pas été toujours correctement appréhendé. La critique n’est pas neuve de ces « comptes fantastiques »39 ; mais il la faut rappeler : les chiffres qui suivent n’indiquent que des ordres de grandeur derrière la rigueur qu’ils se donnent.
A. La place nouvelle de la classe ouvrière
25D’emblée s’affirme l’ampleur des transformations que le développement industriel a provoquées dans la répartition sociale et professionnelle de la population régionale. En 1911, dans les 6 départements de 1851 il y a désormais plus de 2 ouvriers de l’industrie ou « employés » des services (43,79 %) sur 5 hommes au travail40 ; le gain est donc de 23,32 points sur le milieu du XIXe siècle (20,47 %). A l’inverse, la part des travailleurs de la terre, quel que soit leur statut social, est tombée de plus de 22 points, de 62,78 à 40,61 % et celle des patrons de l’industrie et du commerce de 16,75 à 15,60 %. En pratique, donc, le nombre des salariés dans ces deux secteurs serait passé, en soixante ans, de 215 722 à 434 027 hommes, en progrès de 101,2 %, quand la population tout entière ne gagnait guère plus du dixième (+ 11 %), quand les actifs masculins reculaient du vingtième (– 5,9 %)41. Sur 1866, le gain s’inscrit à 78,9 %, et la part augmente de 14,48 points (depuis 29,31 %) ; la prise en compte des deux Savoies moins évoluées minore les niveaux (26,8 % des actifs masculins en 1866, 40,9 % en 1911) sans changer le sens et la force de la mutation (+ 14,04 points), pour un effectif en hausse de 83,9 %.
26Parmi ces ouvriers et ces employés, il y a désormais – pour toute la région – 1 travailleur des services sur 3 (33,7 %) alors qu’on n’en comptait qu’l pour 4 (25,3 %) en 1866 – la comparaison d’avec 1851 n’étant guère possible ; et hors de la province savoyarde, leur place s’est enflée de 29,8 à 33,1 % : c’est-à-dire que le nombre des ouvriers des transports aurait doublé en 45 ans, celui des « employés » de l’administration et des professions libérales quadruplé, celui des salariés commerciaux décuplé ! L’accélération est certaine, même si elle demeure, sans doute, en deça du niveau indiqué par les chiffres.
27Pour le prolétariat industriel lui-même, on peut revenir à 1851 – donc aux seuls 6 départements : les changements d’équilibre sectoriel sont particulièrement significatifs parmi les 359 123 hommes et femmes qui y ont décliné un métier en 191142. Désormais, les grandes activités de l’industrie moderne emploient plus du tiers (33,57 %) d’entre eux, particulièrement dans la métallurgie (16,32), les mines et les carrières (6,28), la verrerie et la céramique (2,40), la papeterie (3,99), les cuirs (3,58) et la chimie. Ainsi, le nombre des mineurs aurait doublé (+ 100,6 %), ce que confirme, et au-delà, la Statistique de l’Industrie minérale : la moyenne décennale de l’effectif des seules houillères entre 1901 et 1910 est supérieure de 129 % à celle de 1851-1860, l’effectif de 1913 l’emporte de 195 % sur celui de 1850, et le mouvement réel de longue durée gagne 173 % entre 1851 et 190943. Dans la métallurgie, d’après les seuls recensements, la hausse serait de 401 %. Mouvement et répartition de la main-d’œuvre traduisent donc bien l’épanouissement de la « révolution industrielle » tel qu’il a été analysé plus haut. Hors d’elle ne s’avance fortement que le bâtiment, mais sans gagner plus de 44,9 % ; et, en revanche, le nombre des ouvriers et ouvrières du textile – dont on sait l’écrasante suprématie au milieu du XIXe siècle – est le seul à reculer en chiffres absolus, de 8,1 %.
28Ce qui explique l’affaiblissement relatif, dans l’ensemble, de la main-d'œuvre féminine, qui représente 70,37 % de l’emploi dans les filatures, les tissages et les teintureries. Elle paraît y être de plus en plus rejetée, même si sa participation n’est pas négligeable ici et là, dans la papeterie (38,03 % de l’effectif), la chimie (33,32 %), les cuirs (30,22 %) ou certaines spécialités sophistiquées de la métallurgie différenciée (26,13 %). Seul le vêtement (75,14 %) s’inscrit au-dessus, mais ce n’est pas une nouveauté. En somme, la spécialisation des femmes dans le textile traduit à la fois le recul du travail industriel comme appoint et la perte de vitesse d’un secteur à la recherche de bras moins coûteux.
29Les deux Savoies comptées à part (20 702 ouvriers et ouvrières y ont un métier industriel) ne donnent pas une autre image, malgré la fraîcheur de leur mutation. Le textile n’y représente plus que 11,8 % de l’ensemble, des femmes, à plus des quatre-cinquièmes (83,3 %), toutes les autres étant occupées, ou presque au vêtement, à l’exception de celles de l’horlogerie du Faucigny. Si l’on écarte celle-ci de la métallurgie, on retrouve la supériorité des secteurs nouveaux, même si elle s’affirme moins (26,2 %), pour cause.
30Enfin, la place accrue des citadins – 38,5 % des habitants des 6 départements contre 24,2 en 1851, 32,9 % pour l’ensemble de la région contre 23,5 % en 1861 – laisse deviner l’importance des déplacements géographiques qui ont accompagné les mutations de l’économie et de la société au profit des pôles de développement déjà en place au milieu du XIXe siècle. Car les gains les plus forts sont ceux du Rhône (de 53,2 % en 1851 et 61,4 en 1861 à 75,7 en 1911), largement expliqués par l’essor de l’agglomération lyonnaise, et de la Loire (de 28,2 et 37,6 à 54,6 %) ; l’un et l’autre se détachaient déjà nettement en 1851.
31De fait, ils rassemblent à la veille de la guerre près des trois-cinquièmes (56,3 %) des ouvriers de l’industrie régionale, pour une part respective de 31,3 et 25 %44 et leur prépondérance s’affirme dans les secteurs les plus modernes, sans qu’elle fléchisse dans les activités traditionnelles. Ainsi, plus de 3 mineurs sur 4 (75,3 %), près de 2 métallurgistes (36,7 %) et verriers ou céramistes (37,3 %) sur 5 travaillent dans la Loire, mais aussi 1 ouvrier du textile sur 4 (25,4 %). Quant au Rhône, il concentre plus du quart des verriers (26,2 %), près du tiers des métallurgistes (31,9 %) et des tisseurs ou teinturiers (31,6 %).
32Tel quel, le tableau reflète ce qu’on sait d’une société bouleversée par l’industrialisation. Il en a du moins les traits essentiels ; pris parmi d’autres moins accessibles, ils n’épuisent cependant pas la réalité.
B. Une relance de la diversité ?
33Un autre éclairage apporte de singulières nuances ; elles sont d’ordre divers, ne vont pas toutes dans le même sens, mais ont en commun de battre en brèche les idées un peu simplistes de rassemblement et d’uniformisation.
34Le passé demeure pesant, puisque malgré son recul, le textile est toujours, nettement, le premier secteur de l’emploi régional, à lui seul égal (32,9 %) à l'ensemble des activités surgies de la « révolution industrielle » (32,8 %). Mieux, dans le Rhône (33,1 %), dans la Loire (33,3 %) et l’Isère (33,5 %), il dépasse légèrement le niveau moyen ; en Ardèche, il continue à occuper près de la moitié (48,8 %) des ouvriers et ouvrières de l’industrie ; nulle part il ne cède la première place, si ce n’est dans les départements savoyards.
35La remarque vaut encore plus pour les industries de consommation, toutes caractérisées par l’inertie technologique, et qui emploient tous les autres, c’est-à-dire 34,3 % de l’ensemble. Parmi elles viennent en tête le vêtement (12,8 %), dont on sait qu’il est fortement féminisé, le bâtiment surtout, un peu moins fort au total (12,3 %), mais à peu près exclusivement masculin : si bien que le secteur à rassembler le plus de bras sous l’Ancien Régime emploie toujours le plus grand nombre des ouvriers partout, sauf, dans la Loire, et le Rhône, où il parvient cependant au second rang des « postes » du recensement de 1911. La forte part du contingent rhodanien (et sans doute lyonnais pour l’essentiel : 37,6 % des maçons, des charpentiers, des serruriers, etc., de toute la région) montre comment, en concentrant les hommes, l’industrialisation relance la marche de certaines activités de toujours. Et, au-delà, faut-il rappeler que dans le même temps – de 1866 à 1911 – le nombre absolu des travailleurs de la terre, quel que soit leur statut social, a augmenté, faiblement (+ 3,6 %) mais nettement (de 17 277 hommes). Pour avoir été déjà noté45, le fait n’en marque pas moins la limite des bouleversements.
36Or, dans le même temps, en aval, le recensement de 1911 marque l’essor rapide du nombre des « employés » du tertiaire : on en compte dans la région 1 sur 3 (33,9 %) des salariés masculins de l’industrie et des services pris tous ensemble, contre 1 sur 4 seulement (25,2 %) en 1866. On ne s’en étonne pas pour le Rhône, passé de 21,7 % à 38,9 % : les fonctions multiples de l’agglomération lyonnaise expliquent la percée. Plus surprenante en apparence est la place qu’ils tiennent dans l’Ain (41,5 %), la Drôme (41,2 %), la Savoie (42,9 %) et la Haute-Savoie (41,7 %) où les contingents industriels sont relativement médiocres ; comme si le développement des activités commerciales, surtout, y précédait la marche de l’industrialisation ; ce qui prouve, a contrario, la faiblesse de leur place dans la Loire, à 20,8 % seulement, en recul sur 1866 (29,1 %).
37Or, on sait qu’il serait absurde d’écarter la majeure partie d’entre eux de la classe ouvrière. En 1911 donc, la répartition reflète la rencontre de trois mouvements de nature et de rythmes différents : l’essor des activités liées à la « révolution » industrielle, la forte survivance des secteurs traditionnels, la place déjà large des « services ». Dès lors, la commune condition sociale l’emporte-t-elle sur la marquetterie des professions et l’inégalité des dynamismes ?
38De même, dans l’espace, la comparaison de la mutation sociale et de la migration géographique révèle, au-delà d’une correspondance générale grossière, la relative autonomie des mouvements. Ainsi qu’il apparaît en mettant en parallèle, pour chaque département, la marche des effectifs, celle de la population et l’urbanisation :
39Tout en soulignant la généralité de la poussée ouvrière, le tableau révèle que c’est en dehors des pôles de rassemblement rhodanien, forézien, voire dauphinois, qu’elle s’est produite avec le plus de force relative. Donc, localement ou dans un cadre régional étroit, l’apparition ou l’expansion d’un prolétariat industriel a pu s’accompagner d’une rapidité, et d’une brutalité, que ne connaissent plus le bassin stéphanois depuis le milieu du XIXe siècle ou l’agglomération lyonnaise malgré l’accentuation de leur suprématie et l’attraction qu’ils exercent.
40D’autre part, dans 6 départements sur 8, la population totale recule alors même que progresse la main-d’œuvre ouvrière ; et dans la Loire, où les deux mouvements vont dans le même sens, elle s’avance beaucoup moins rapidement. A l’inverse, l’urbanisation est partout en forte progression ; mais, si là elle retarde sur l’allure des effectifs industriels (dans l’Ardèche, la Drôme, la Savoie et le Rhône), elle la précède ailleurs (Ain, Isère, Loire et Haute-Savoie) ; si la comparaison intègre les salariés du tertiaire, le partage est légèrement modifié, entre l’accélération relative de l’Ain, de l’Isère et de la Loire, la lenteur de l’Ardèche, de la Drôme, du Rhône et des deux Savoies. Sans doute l’ancienneté des villes en Lyonnais et en Forez est-elle un élément d’explication : à partir d’un taux élevé en 1861, l’avance ne pouvait être que plus médiocre. Mais partiel seulement, et sans valeur pour le reste de la région, d’autant plus que les groupes de départements ainsi définis sont parfaitement hétérogènes et que leurs frontières ne s’expliquent pas par ce qu’on sait de l’évolution industrielle.
41Dès lors il faut admettre, au moins à titre d’hypothèses, qu’ici ou là, l’industrialisation a retrouvé sa vieille vocation rurale ; que malgré son ampleur, elle ne rend pas compte totalement des déplacements de population, que l’attraction des villes est un phénomène indépendant, en partie du moins, et avec elle, son envers, le départ des campagnes ; donc que, très largement, c’est l’évolution de l’agriculture et de la société rurale qui rend compte, toujours, largement de la migration professionnelle ou géographique. C’est leur étude qui contribuerait peut-être à les mieux éclairer, même si ce ne peut être ici notre propos. Nul ne doute cependant que la diversité de la classe ouvrière n’en soit encore renforcée.
42Enfin, la coupe de 1911 n’est pas l’aboutissement d’une évolution chronologique linéaire, mais le résultat, à la veille de la guerre, de mouvements divers dans leur rythme, voire dans leur sens ; comme le montrent les deux tableaux intermédiaires que l’on a pu déterminer :
SALARIÉS INDUSTRIE ET SERVICES, EN % DE LA POPULATION ACTIVE MASCULINE 1851-1911
1851 | 1866 | 1891 | 1911 | |
6 départements | 20,49 | 29,32 | 33,25 | 43,78 |
8 départements | 26,91 | 31,05 | 40,95 |
43Sans doute la date de 1866 n’a-t-elle pas grande signification pour la marche de l’industrie régionale. Elle met cependant en évidence la rapidité de l’essor pendant les quinze premières années du régime impérial : près de 9 points ; à partir de la Grande Dépression, le ralentissement est patent : on a gagné moins de 4 points en un quart de siècle. Puis la reprise marche à vive allure à partir de 1891, moindre cependant qu’au milieu du XIXe siècle. Avec les Savoies, l’allure d’ensemble n’est pas modifiée, même si les pourcentages régionaux sont encore une fois abaissés par la prépondérance de la vie agricole dans les deux nouveaux départements. Sans qu’il y ait absolue coïncidence entre les dates des dénombrements utiles et les points tournants de la conjoncture, il semble que la marche des effectifs ouvriers aille au pas des grandes phases de l’industrie régionale.
II. UN PREMIER TEMPS (MILIEU DU XIXe – VERS 1886) : EXPANSION ET INSTABILITÉ
44Il n’est pas possible de dresser une série continue entre 1851 et 1876-1881 ou 1891. Mais de part et d’autre de 1866, tout concourt à l’idée d’une progression des effectifs ouvriers. L’enquête industrielle de 1860-1861 déjà révèle un nombre supérieur (224 000 environ) à celui de 1839-1843 (219 000), bien qu’elle écarte la diaspora du textile prise en compte vingt ans auparavant. De 1856 à 1866, l’indicateur indirect de la « population vivant de l’industrie » va dans le même sens : pour les 6 départements, elle passe de 29,4 % de l’ensemble des habitants à 32,1 % ; soit un gain, par quinquennat, de 5,9 à 6,2 %, quand la population totale n’avançait pas de plus de 1,8 et 1,3 %.
45A partir de 1866, la démarche devient plus aisée, puisqu’on peut calculer tous les 5 ans le nombre des salariés de l’industrie et des services dans les 8 départements46. Leur avance est nette, pour les hommes comme pour les femmes jusqu’en 1881, accélérée après 1872, ralentie depuis 1876 ; en quinze ans, on en a recruté 96 755 en sus ; le gain est donc de 20,45 %47. Où et comment ? D’ici à là, la marche de la main-d’œuvre ouvrière paraît fort diverse.
1. L’appel de main-d’œuvre
A. La multiplication des mineurs et des métallurgistes
46L’essor a été rapide et ample dans les nouveaux emplois de la « révolution industrielle » et entraîne la concentration géographique. Ainsi, l’ensemble des mineurs de la région a augmenté de 129,1 % – mouvement de longue durée – entre 1851 et 1877, à un rythme annuel de 3,25 %. Aucun siège ne souffre d’exception : le nombre des mineurs s’est enflé de moitié (+ 48,4 %) de 1851 à 1866, puis d’un dixième (+ 11,4 %) jusqu’en 1886 dans le bassin alpin de La Mure48 qui doit déjà faire appel à un important contingent étranger : en 1870, il compterait un quart d’Italiens49. En Ardèche, le petit gîte de Prades et Nieigles avait 170 ouvriers vers 1860, il en a plus de 200 vers 1880, et l’ensemble du département plus de 300 contre une moyenne de 125 environ en 1848-185250. Mais la poussée prend toute son ampleur quand l’extraction a créé ou soutient une industrie de transformation comme celles du Vivarais et, surtout, de la région stéphanoise.
47Il n’est pas possible de dresser une série continue et unique de la main-d’œuvre du groupe ardéchois : la Statistique de l’Industrie Minérale ne compte à part les sidérurgistes qu’à partir de 1873, et semble jusque-là avoir mis un certain nombre d’entre eux parmi les mineurs ; les échanges semblent d’ailleurs constants entre les deux activités. Heureusement, les « états de situation industrielle » sont tenus régulièrement pendant 30 ans (1856-1886) avec le même soin51. On peut donc tracer deux courbes dont les niveaux diffèrent, mais que leur parallélisme d’après 1873 valide l’une et l’autre52.
48En gros, la main-d’œuvre des puits et des hauts-fourneaux fait plus que doubler (111,9 %) entre 1857 et 1883, de 1 706 à 3 616 ouvriers53. Deux fois plus rapide avant 1869 que celui de la production, l’essor continue alors même qu’extraction et coulées reculent après 1870 :
49Mieux, il s’accélère ; on a là, précocement, un exemple d’effet cumulatif – qu’on retrouvera – alors même que chancelle la santé du groupe, et que traduit l’augmentation de population des cantons de La Voulte (+ 8,7 %) et de Privas (+ 4,3 %) entre 1861 et 1876 ; et la commune même de La Voulte progresse de 50,9 % entre 1861 et 188154.
50On retrouve les mêmes traits en Forez, à l’échelle de l’arrondissement de Saint-Etienne. Jusqu’en 1877 en effet, le mouvement de longue durée de la main-d’œuvre minière révèle un gain de 138,3 % sur 1851. Et là, d’un bout à l’autre de la période, son recrutement est allé plus vite que la production, comme le montrent leurs moyennes quinquennales confrontées55 (Voir tableau page suiv.).
51Donc, même quand l’extraction se ralentit, de 1871 à 1875, le recrutement continue sur sa lancée, avec autant de force ; et, ce sont 440 nouveaux mineurs chaque année, 10 400 en 16 ans qui ont été embauchés. L’appel a touché aussi bien les spécialistes du fond – dont le mouvement de longue durée gagne 130,1 % de 1851 à 1877 – que les manœuvres du « jour » (+ 160,2 %). Parmi les uns et les autres, les femmes sont rares. En 1848, toutes les réponses à l’Enquête du travail sont négatives56 : à Saint-Etienne, à Saint-Héand pas plus qu’à Rive-de-Gier ou au Chambon-Feugerolles, elles ne descendent dans les puits. Le premier décompte par sexes de la Statistique de l’Industrie Minérale, en 1883, n’en retient que 518, toutes occupées aux installations de surface. A l’inverse, les hommes commencent tôt, malgré les dangers et la dureté du travail : en 1848 à Saint-Etienne, 280 des mineurs sont des jeunes gens de moins de 16 ans pour 2 890 adultes ; au Chambon, on en compte une centaine sur 1 100. Leur part semble baisser dans la suite, et il n’y en aurait pas plus de 400 sur 10 400 – donc 3 % – dans l’ensemble du bassin en 186057.
52Pourtant, le manque de main-d’œuvre, la difficulté à recruter des mineurs semblent avoir été un des soucis constants des compagnies houillères. Nulle part ailleurs en tout cas on ne trouve d’analyse qui dépasse la simple remarque, à l’occasion de l’Enquête parlementaire de 1872 notamment : le manque d’ouvriers est le seul obstacle au développement de la production, affirme la Chambre de Commerce de Saint-Etienne, et avec suffisamment de bras nouveaux, on pourrait l’augmenter sans peine d’un tiers ; l’Etat ne pourrait-il pas les dispenser du service militaire, suggère le Comité des Houillères de la Loire, et dans l’immédiat, libérer ceux qui se trouvent sous les drapeaux ? Il est vrai que l’on est en période de haute conjoncture charbonnière58.
53La poussée des ouvriers de la métallurgie est tout aussi vigoureuse59. D’après les « états de situation industrielle », elle triple ses effectifs entre 1856 (4 650) et 1881 (13 770), à l’apogée du Forez des hauts fourneaux. L’essentiel a été gagné de 1858 à 1861, avant un ralentissement de longue haleine (et un peu moins marqué de 1871 à 1874) et une vive reprise à compter de 1878. Ce qu’on sait de l’activité du groupe sidérurgique ne contredit pas le rythme de cette marche. Après 1873, la Statistique de l’Industrie Minérale le confirme, tout en minimisant l’élan final (+ 28,8 % au lieu de 49 % dans les états préfectoraux) qu’elle fait démarrer dès 1877 et explique par la brusque prolifération (+ 59,1 %) de la main-d’œuvre des aciéries60. Et, pour une fois, les dénombrements professionnels permettent la mesure d’un secteur aussi nettement délimité que la « fabrication des métaux » : pour 5 201 en 1851, l’arrondissement de Saint-Etienne en compte 11 209 en 1886, au lendemain même d’une crise qui a fortement diminué l’effectif ; pour être moindre, le gain n’en a pas moins une ampleur comparable à celle tirée des autres sources61. Enfin, il faut noter que la métallurgie est l’un des rares secteurs foréziens à avoir embauché des ouvriers étrangers : en 1882, il y aurait un grand nombre d’Italiens parmi les manœuvres de Rive-de-Gier62.
54Enfin, le groupe ripagérien de la verrerie double sa main-d’œuvre en une vingtaine d’années, de 1 830 ouvriers en 1849 à 3 600 « d’ordinaire » dès 1870 dans les usines du « trust » et chez les producteurs indépendants, après une marche qui semble régulière, – L’Enquête de 1860 en a compté 2 600 – avant de se stabiliser dans les années 1875-188063. Dans le même temps, Givors a quadruplé, de 187 verriers au milieu du siècle à 280 en 1864 et 780 en 188264.
55Plus que jamais, le charbon joue son rôle d’industrie peuplante. De 1851 à 1881, l’arrondissement de Saint-Etienne a vu sa population s’enfler de 48,4 % en gagnant 99 517 nouveaux habitants ; or, le canton du Chambon-Feugerolles, qui a doublé, en a accueilli à lui seul 20 398 et la ville de Saint-Etienne, 47 167 : soit, en tout, plus des deux tiers. De fait, la circonscription minéralogique qui les englobe a augmenté le nombre de ses mineurs de 184 % entre 1851-1855 et 1880-1884, tandis que celle du Gier a stagné, voire légèrement reculé, de 2,3 %65 et ne compte plus en 1881 que 43,4 % des métallurgistes contre 74,1 % en 185666. Le dynamisme démographique colle donc bien à leur multiplication et se transfère du Gier vers les vallées du Furan et de l’Ondaine67. Ainsi que le confirme le mouvement comparé de la population municipale de quelques-unes des principales villes du bassin entre 1861 et 1881, en dehors de Saint-Etienne :
56De fait, de 1851 à 1876, la densité kilométrique est passée de 1 069 à 1 615 à Saint-Etienne et dans sa banlieue, et de 192 à 389 dans les pays de l’Ondaine, mais seulement de 315 à 448 dans la vallée du Gier.
57A l’inverse, elle est restée étale dans le Pilat (de 78 à 81) a reculé, dans le canton de Pélussin (de 101 à 98), comme dans ceux de la Haute-Loire voisine, Monistrol, Saint-Didier-en-Velay ou Montfaucon. C’est-à-dire dans la zone externe de la passementerie et de la quincaillerie. Comme sur le plateau de Saint-Bonnet-le-Château et dans le sud des Monts du Lyonnais (de 82 à 75 et de 96 à 94), dans les communes de l’armurerie à domicile68.
58Pour aucune de ces activités on ne possède de dénombrement précis et sûr de la main-d’œuvre. Toutes les sources s’accordent69, tout au long de la période, sur le nombre trop rond de 30 000 à 32 000 passementiers en temps normal pendant la première décennie du Second Empire, dont 26 000 environ à l’intérieur des 4 cantons urbains de Saint-Etienne70. En 1867, Gras parle – sans citer ses sources – de 23 982 personnes occupées à la rubannerie, dont 8 933 hommes et 13 824 femmes au tissage, et 900 dans la teinture. L’Enquête parlementaire de 1885 se tient dans les mêmes eaux, en distinguant 6 à 7 000 chefs d’atelier pour 10 000 compagnons71. Le nombre paraît bien avoir été constant, dépassé seulement, et de peu, dans les meilleures années. Seule l’industrie du lacet à Saint-Chamond paraît avoir fortement augmenté sa main-d’œuvre de 1 543 hommes et 1 710 femmes en 1867 à 4 500 femmes dans la ville et à Izieux en 1878 ; l’essor n’en est pas moins marginal, et s’appuie surtout sur la main-d’œuvre féminine, voire juvénile, puisque 1 253 des 4 222 tisseuses y sont des jeunes filles de 16 à 21 ans et que 658 autres d’entre elles ont moins de 16 ans72.
59La stagnation marque aussi l’ancien travail de la quincaillerie. En 1860, l’Enquête industrielle, très restrictive, n’y trouve que 1 346 ouvriers, tous des hommes, dont 399 forgent des boulons ou des pointes et 406 taillent des limes73. En fait, des années 1850 aux années 1870, l’estimation tourne autour de 2 500 à 3 000, dont un millier occupés aux nouvelles spécialités de la vallée de l’Ondaine74.
60La dispersion de l’armurerie, la brusquerie et l’ampleur de ses pulsations rendent encore plus aléatoire le comptage de sa main-d’œuvre ; ce qu’on en peut deviner en fait un cas particulier75. La demande globale paraît, sur 30 ans, en forte expansion, de 3 000 vers 1850 à 9 000 ou 10 000 autour de 1880, mais après une pointe de 14 000 au lendemain de la guerre franco-allemande. Mais les chiffres semblent traduire plutôt une concentration géographique dans Saint-Etienne, aux dépens du travail domestique, qu’il soit rural ou urbain : en 1880, les usines n’ont que 500 ouvriers pour assembler les pièces détachées des fusils de commerce forgés par les 3 500 artisans ou compagnons des ateliers dispersés, étroitement spécialisés dans le tournage du canon, le polissage ou la taille de la platine et de l’affût ; mais la Manufacture nationale d’armes concentre 8 000 ouvriers : elle n’en avait que 1 400 en 1856. Plus qu’expansion de la main-d'œuvre, il semble qu’il y ait eu un reclassement géographique qui participe du dynamisme général de la métallurgie forézienne.
B. Un progrès général ?
61La progression des effectifs est tout aussi générale dans les villes spécialisées de la région qui fondent au contraire leur essor, on le sait, sur l’élargissement d’une tradition locale. Elle y est toujours vive, même si elle n’atteint pas les rythmes foréziens ; seule diffère sa chronologie, rarement calquée de près sur les grands rythmes régionaux : ici, le décollage est plus tardif, là le ralentissement, voire l’arrêt, est antérieur aux années 1880.
62Ainsi, à Vienne, les ouvriers de la laine se sont multipliés presqu’aussi vite que les mineurs stéphanois, après une décennie de médiocrité : un état préfectoral de 1857 n’en compte pas plus de 5 050, l’Enquête de 1860 – un peu restrictive, il est vrai – tout juste 3 319, dont 2 700 au tissage, alors qu’il y en avait déjà 4 624 en 1848 et, parmi eux, 3 750 tisseurs et tisseuses76. Puis le succès des draps Renaissance entraîne un soudain et puissant appel qui double les effectifs en 15 ans, les triple en 30 ans77. La moyenne quinquennale de 1881-1885 est supérieure de 170,5 % à celle de 1856-1860, après une marche à vrai dire assez heurtée, un instant brutalement stoppée par la forte contraction des années 1876-188078.
63L’allure est tout aussi rapide à Romans et Bourg de Péage, même si le niveau de l’emploi est plus faible. Dans la chaussure – où les nombres sont particulièrement capricieux d’une année à l’autre, la moyenne quinquennale saute de 181 % entre 1856-1860 et 1881-188579 ; pour l’essentiel, la progression était acquise dès la fin du Second Empire80. La multiplication des chapeliers – dans lesquels on a mis ceux de Montélimar – est à la fois plus puissante – de 367 % dans le même temps – et plus régulière, avec une nette accélération à compter de 1876-187781.
64A Annonay, le mouvement a eu plus de régularité, mais moins de force ; il n’en est pas moins nettement orienté à la hausse dans l’une comme dans l’autre des spécialités locales, travail des cuirs et fabrication du papier82. En 1857-1860, on y dénombre, en moyenne 2 365 ouvriers, contre 2 000 à 2 200 vers 1848, et l’Enquête de 1860 en a trouvé 3 062, dans l’ensemble de l’arrondissement de Tournon, il est vrai83. Le recrutement se poursuit jusqu’en 1875, où l’emploi est au niveau maximal de 4 119, en hausse de 62,8 % sur 1857 ; le gain de la moyenne quinquennale – 32 % de plus en 1871-1875 qu’en 1857-1861 – montre à la fois la progression et ses limites. Papetiers et mégissiers y ont contribué, mais pas à la même allure : en 1875, les premiers sont deux fois plus nombreux qu’en 1857 (+ 112,8 %) et leur moyenne quinquennale l’emporte de 51 % ; à la préparation des peaux au contraire, le plafond a été atteint dès 1866-1870 (+ 37,6 % sur 1857-1861) et un retournement s’esquisse au lendemain de la guerre franco-allemande84.
65Des centres moins importants, l’image est la même, qu’il s’agisse des villes papetières du Dauphiné ou d’autres : l’appel de main-d’œuvre y est certain ; mais de quelle force ? Pour elles, les sources hésitent entre 1586 et 2 231 ouvriers dans les années 1860 et oscillent de 3 167 à 3 308 vers 1880 ; si bien que le gain peut se situer quelque part entre 50 et 100 %85. L’incertitude n’empêche pas de reconnaître le sens du mouvement, et le progrès paraît avoir beaucoup varié d’une ville à l’autre ; parmi les principaux centres existants au milieu du Second Empire, il aurait atteint + 312 % à Domène, + 180 % à Voiron, 157 % à Renage mais 61 % à Rives et 33 % à Vizille entre 1860 et 188086. Dans la Loire, à Chazelles, c’est la chapellerie qui a doublé une première fois le nombre de ses ouvriers de 1848 à 1860, puis une nouvelle fois dans les quinze années suivantes ; dès 1873, ils sont 1 200 « occupés en temps normal » au lieu de 541 au milieu de la période impériale, et 275 sous la Seconde République, et autant vers 1880 : le gain est considérable de 335 %87. Au pied des Gras ardéchois, enfin, c’est Pavin de Lafarge et ses émules du Teil, de Cruas et Viviers qui triplent la main-d’œuvre de leurs cimenteries entre 1857 (autour de 200 ouvriers) et les années 1870 (660 environ, en 1872-1873) avant de les doubler dans la décennie suivante, ou presque : la moyenne des années 1877-1881 (1 087) l’emporte de 415 % sur celle de 1857-1861 (211) !88.
66Partout, comme en Forez et dans le Vivarais sidérurgique, la poussée urbaine traduit l’augmentation du prolétariat industriel, même si elle est moins impressionnante que dans la vallée de l’Ondaine ; les gains démographiques sont les suivants, entre 1861 et 188189 :
67Sans coller au même rythme, la progression démographique reflète donc celle de l’emploi industriel et souligne la généralité d’un mouvement qui dépasse largement les secteurs-clés de la « révolution industrielle ».
68La dispersion de la main-d’œuvre rend hélas ! bien plus malaisés à saisir les mouvements de l’industrie en nébuleuse : quelques points de repère ne suffisent pas, et il faut recourir à des mesures indirectes. Sauf pour la filature et le moulinage de soie, dont les usines bien repérées sont correctement comptabilisées, au moins dans les pays du Rhône moyen.
69Comme ailleurs, l’essor paraît très ample entre le milieu du siècle et les années 187590 : il commence à vive allure pendant la première décennie du Second Empire – l’Enquête de 1860 compte 35 722 ouvriers, en progrès des neuf dixièmes sur 1848, puis se ralentit jusqu’en 1873, avec un gain de 9,5 % en 13 ans, pour un effectif de 39 112, mais une marche fort diverse d’un département à l’autre. La Drôme seule va à contre-courant, perd un peu plus de 400 ouvriers et les « situations » trimestrielles inscrivent un recul de 15,5 % de l’emploi entre l’année moyenne de 1856-1860 et celle de 1871-1875. L’avance est en revanche nette dans la Loire (+ 20,6 %), et considérable en Savoie, où l’effectif fait plus que doubler (+ 157 %), dans le Rhône où il a quadruplé (+ 309,4 %) et l’Ain où l’on est passé de quelques dizaines de personnes à 1 900 ! A tel point que le gain ardéchois paraît fort modeste (+ 9,8 %)91 ; mais à lui seul, le pays de Vivarais concentre les trois-quarts des fileuses et des mouliniers de la région ; et les états préfectoraux de l’emploi traduisent mieux la force et la régularité de ses progrès, partis de loin – + 57 % entre 1857 et 1863 – pour atteindre + 125 % en 1872, à un niveau maximal maintenu à peu près jusqu’en 1876 ; à travers les moyennes quinquennales, l’avance est de 64,5 % entre 1856-1860 et 1871-187592.
70Pour le tissage, on doit s’en tenir à des données éparses et partielles. A l’arrondissement de La Tour-du-Pin, par exemple, où le nombre de ses ouvriers aurait doublé entre 1860 (5 220 hommes et femmes) et 1882 (11 700) – pour un gain total de 124 %, après une progression régulière (8 500 en 1872)93. Depuis le milieu du siècle, la multiplication est certaine à Bourgoin (+ 444 %), à La Tour-du-Pin (+ 1 243 %), au Grand Lemps (+ 585 %) et à Pont-de-Beauvoisin (+ 465 %). En dehors du Dauphiné, Oyonnax aurait doublé le nombre de ses tisseurs, et on en compte 951 à Nantua et 205 à Izernore dans le Jura méridional, pour quelques-uns seulement trente ans auparavant. Mais il serait hasardeux de prendre pour exacts des gains calculés à partir de nombres disparates : on ne peut guère retenir que l’idée générale d’un progrès, que signalait déjà l’essaimage des métiers. Sauf à Saint-Rambert-en-Bugey, où l’on peut saisir nettement la marche de la main-d’œuvre occupée au travail de la schappe : de 1848 à 1882, le nombre des ouvriers bondit de 314 %, et la moyenne des années 1878-1882 est à 118 % au-dessus de celle des années 1857-186194.
71Toutes les autres nébuleuses à l’est du Rhône restent aussi difficiles à saisir, qu’il s’agisse de la ganterie autour de Grenoble, de l’horlogerie en Faucigny. Peut-être y a-t-il eu aussi doublement de l’effectif pour la première, de 13 000 environ en 1851 à 24 000 en 1872. Mais après ? On sait que dans l’arrondissement de La Tour-du-Pin, il passerait de 1 500 vers 1860 à 2 600/2 800 en 1869, atteignant 22 communes pour concurrencer le tissage dans sa propre zone95. Dans la cluse de l’Arve, la fabrication des pièces de montre va au même pas, mais à un niveau moindre : il y aurait eu 1 300 horlogers au moment de l’Annexion, on en comptait un peu plus de 1 500 en 1876 – dont 400 à Cluses et à Scionzier, où sont les rares grands ateliers, et 1 175 dans les communes rurales, en deux groupes égaux autour de Magland – Araches et de Vougy – Mont-Saxonnex ; en 1880, on est à 2 500 : en vingt ans, il y aurait donc eu, là aussi, multiplication par 296.
72En Beaujolais et en Roannais, l’imbrication étroite de l’essaimage soyeux et de l’emprise cotonnière vient encore compliquer l’interprétation de nombres erratiques et divers. Pour la seule mousseline, la Chambre de Commerce de Tarare n’hésite pas à parler en 1872 de 90 000 personnes !97. Quant à l’Enquête de 1860, qui a trouvé 6 101 ouvriers à filer et tisser le coton dans l’arrondissement de Roanne et 17 512 dans celui de Villefranche – soit 23 613 en tout –, elle ne s’écarte pas trop des résultats du recensement de 1866 ; on en a alors compté 21 910, 7 090 là, 14 820 ici. Mais l’un et l’autre fixent un moment, sans qu’on puisse trouver d’autre coupe à comparer dans les années 1880. Dans le même temps, le nombre des tisseurs de soie se serait élevé à 4 917 dans la mouvance roannaise, mais seulement à 1 555 dans la totalité du département du Rhône !98. Mieux vaut renoncer.
73Heureusement, les récapitulatifs professionnels ont été conservés pour les dénombrements de 1851 et de 189199, on peut donc tirer au moins une vue d’ensemble, soie et coton mêlés pour les deux arrondissements rhodaniens ; en effet, par cantons, l’évolution est la suivante :
74Sans doute l’année 1891 est-elle tardive pour la soie. Néanmoins, de la comparaison des deux dénombrements se dégage, à l’inverse du Dauphiné, une impression de grande stabilité, puisque autour de Lyon, on note un progrès de 12,8 % pour un recul symétrique de 10 % dans le Haut Beaujolais. La carte des mouvements de population vient à l’appui de cette impression101 : un peu partout – et dans l’arrondissement de Roanne aussi – les communes du tissage demeurent inertes pendant une quarantaine d’années, à l’exception des centres urbains spécialisés du coton – et encore y a-t-il recul, du moins dans l’espace chronologique choisi, de Tarare :
75Les progrès sont très proches d’une ville à l’autre et, dans l’ensemble, supérieurs à ceux des centres spécialisés du reste de la région. A leur manière, ils traduisent l’appel de la main-d’œuvre, sa concentration, dans un environnement rural qui, lui, demeure inerte, quand il ne s’affaiblit pas légèrement.
76Enfin, il est une dernière catégorie d’agglomération ouvrière qui ne laisse nulle trace statistique, car elle disparaît aussi vite qu’elle s’était formée : c’est celle que provoquent les grands chantiers de travaux publics particulièrement importants sous le Second Empire pour la construction des voies ferrées103. Peut-être constituent-ils les plus forts rassemblements du temps ; en tout cas, ils entraînent un appel suffisamment puissant pour créer une tension locale, voire régionale du marché du travail qui court le long de la ligne avec l’avance du chantier. On les repère à la fin de 1853 et en 1864 dans les arrondissements de Tournon et de Valence, où l’on trace la liaison de Lyon et du Midi104 ; à Saint-Jean-Bonnefonds, dans la banlieue stéphanoise, où l’automne 1854 rassemble « un grand nombre d’étrangers à la localité105 ; pendant l’hiver 1855-1856, à La Pacaudière, près de Roanne : 5 000 terrassiers au moins travaillent au « Grand Central ». En décembre 1857, le chantier de Chatillon-de-Michaille, dans l’Ain, en occupe plus de 3 500 à la percée de la ligne Mâcon-Genève ; au printemps 1858, c’est au tour du Bas-Dauphiné d’être envahi par une « ... multitude d’ouvriers... » que l’on retrouve en Roannais, en 1863, pour les mêmes raisons106.
77Dans la province savoyarde, où la mise en place du réseau s’accompagne d’une politique somptuaire de bienvenue dans l’Empire, les Ponts et Chaussées ont mobilisé plus de 10 000 ouvriers dans l’année 1861, sur le ballast à Rumilly et à Cran-Gévrier, le long du Léman, au port de Thonon. En 1867, c’est au tour des grandes vallées intérieures ; plus de 1 200 terrassiers, maçons et mineurs poussent le rail vers la future percée du Mont-Cenis, en Maurienne, 5 à 6 000 construisent en 1870 la jonction entre Modane et Saint-Michel. On retrouve en 1878 un chantier de plus d’un millier d’ouvriers entre Annecy et Annemasse, et de 1875 à 1880, c’est la construction des forts et des routes stratégiques qui justifie la présence, dans l’arrondissement d’Albertville, d’« ... un nombre très élevé... » de travailleurs aux travaux publics107.
78A travers les différences dans la force et les modes d’appel, l’analyse sectorielle confirme la poussée générale de la demande de main-d’œuvre industrielle. L’offre régionale semble avoir été parfaitement en mesure d’y répondre.
2. Une réponse modulée, des cadres inchangés
A. L’offre régionale
79Malgré la situation géographique favorable, l’appel à l’étranger a été médiocre, surtout dans les départements les plus industrialisés, et demeure le plus souvent étale de 1861 à 1876. On ne compte que 3 ouvriers étrangers pour 1 000 habitants dans la Loire, au milieu du siècle comme à l’approche de la crise ; dans le Rhône, en dépit de l’ancienneté des relations de tous ordres que Lyon entretient avec l’Italie depuis toujours et des liens de la Fabrique avec ses homologues du Piémont et de la Suisse alémanique, leur part ne progresse que de 14 à 21 ‰ ; l’avance n’est notable dans les seules Savoies frontalières, de 7 à 20 ‰, mais le niveau y reste faible108. Dans son ensemble, l’immigration paraît indépendante de l’industrialisation régionale pour n’être que l’effet d’un voisinage : Italiens et Suisses y sont fortement majoritaires, même à Lyon où la diversité est plus large, comme dans n’importe quelle métropole109.
80Leur recrutement ne s’explique jamais, ou presque, par un manque d’ouvriers français, et la qualification technique n’est qu’exceptionnellement invoquée pour le justifier110. Les seules raisons sont d’ordre social. Les ouvriers étrangers se contentent de rémunérations modestes, reçoivent « ... des salaires différents... »111, travaillent « ... à meilleur compte... »112. On le sait par les plaintes des travailleurs français : en 1882, quand on demande aux tailleurs de pierre lyonnais la cause de la crise, ils n’hésitent pas : « ... c’est l’ouvrier italien... » ; le remède va de soi : « ... l’expulser, ou (le) forcer à réclamer le même prix... »113. Ses avantages ne s’arrêtent pas là : on peut se débarrasser facilement de lui quand le travail s’interrompt114 et il ne répugne pas à jouer les briseurs de grève : à l’occasion, il devient alors mineur à La Motte d’Aveillans en 1870115, métallurgiste à Rive-de-Gier en 1882116, chapelier à Montélimar en 1884117, verrier à La Guillotière en 1886118. Donc, il est là pour assouplir le marché du travail, jamais pour pallier une pénurie.
81La région lyonnaise était bien armée pour trouver en elle-même les bras dont l’industrie a pu avoir besoin. Les années 1850 s’y inscrivent dans une longue et forte poussée démographique partie au moins de la première décennie du siècle. Depuis 1801, la population avait augmenté du tiers dans les Dombes, le Bas-Dauphiné, les Terres Froides, les Monts du Roannais, la plaine du Forez et l’Ardèche montueuse du Nord ; de la moitié et plus dans les pays du Rhône moyen et les Monts du Beaujolais, sur le plateau lyonnais, les Gras vivarois et le rebord des Cévennes. Seuls avaient fait exception les chaînons méridionaux du Jura et la Bresse, l’avant-pays savoyard et les Préalpes méridionales, où le gain ne dépassait pas le dixième119. L’élan est loin d’être épuisé : dans la plupart des arrondissements, le maximum de densité est atteint sous le Second Empire – de 1856 à 1866 – et même après. Et l’on dispose, à proximité, du réservoir d’hommes que constitue le Massif Central.
82Or, rien ne permet de conclure à une libération des bras par l’agriculture : pour s’en tenir aux seuls actifs masculins, elle a gagné en 1881, 48 456 nouveaux paysans sur 1866, soit plus de 10 % ; jusqu’en 1876, leur nombre aurait même augmenté plus vite que celui des salariés de l’industrie et des services : de + 8,54 % entre 1866 et 1872 contre 4,63 % de 9,83 % de 1872 à 1876, au lieu de 8,99 %. Faut-il rappeler la prospérité des campagnes portée jusqu’à l’aube des années 1880 par la hausse des prix et des revenus agricoles ? Dans une région où les céréales ne constituent qu’une partie des productions, elle s’appuie en outre sur le développement du vignoble, à son apogée à la fin du Second Empire, et sur l’élevage du ver à soie, de plus en plus répandu ; l’un et l’autre ont même gagné des milieux en apparence hostiles, comme le Jura du sud, et en Vivarais, le vin fournit, dans les années 1860, le tiers du revenu paysan120. Ce n’est pas un hasard si, en 1872, en dehors des mines stéphanoises, les seules plaintes sur le manque de main-d’œuvre émanent d’industriels installés dans les pays de vigne ou de mûrier : à Saint-Rambert-en-Bugey, où l’on déplore que « ... depuis une dizaine d’années environ le personnel nécessaire aux diverses industries de notre région est assez difficile à trouver... », et à Aubenas, où « ... l’offre n’est pas en rapport avec la demande... »121. Si le plein emploi paraît avoir été un temps réalisé – la seule fois sans doute dans tout le XIXe siècle – c’est au moins autant sous la pression des besoins agricoles que par la demande industrielle.
83La persistance des migrations temporaires, là où elles étaient de règle ancienne, prouve ailleurs la longévité d’un équilibre rural établi souvent sous l’Ancien Régime. L’Enquête sur le travail en avait marqué la fréquence chez les montagnards du Jura habitués à aller peigner le chanvre en Bourgogne et en Franche-Comté122 ; en 1867, un observateur décrit des déplacements encore plus complexes, qui font entrer dans le cycle la moisson en Bresse et les vendanges en Bas-Bugey123 et pour être moins ample, la tradition est attestée jusqu’aux années 1880124. En Ardèche, le déplacement saisonnier n’a fait que s’amplifier depuis le début du XIXe siècle, et peut-être parvient-il à son apogée dans les années 1875-1880 : on va faner en Haut-Vivarais, moissonner en Dauphiné, arracher les garances dans le Comtat Venaissin125. Enfin, des colporteurs continuent à partir chaque automne des cantons alpins, et le sort des « petits ramoneurs » préoccupe toujours les âmes charitables de Savoie126.
84A l’inverse, l’industrialisation rurale ne retourne pas le mouvement des départs là où il a commencé avant elle. En dehors du bassin stéphanois, des abords de Lyon, de Grenoble et des centres spécialisés, la carte des changements de population entre 1861 et 1876 apparaît même comme le négatif des implantations qu’elle suscite127. Depuis 1846, les arrondissements de La Tour-du-Pin et de Saint-Marcellin sont en reflux : ils sont parmi ceux qu’a le plus favorisés l’essaimage de la Fabrique ; de 1861 à 1876, tous les cantons du Bas-Dauphiné sont touchés – à l’exception de ceux de Pont-de-Beauvoisin et de Voiron –, faiblement, mais à un degré égal à celui des grands massifs et des vallées internes moins favorisés ; l’avant-pays savoyard n’est pas épargné – sauf à Albens, La Rochette et Saint-Pierre d’Albigny ; tout comme l’Ardèche soyeuse – en dehors de La Voulte, Privas et Villeneuve-de-Berg et des cantons rhodaniens. Or, dans le même temps, les terres inhospitalières du plateau cévenol continuent à augmenter, et les arrondissements à connaître les maxima les plus tardifs – de Montbrison, de Saint-Jean-de-Maurienne, de Bonneville, de Thonon – sont précisément ceux que la vie industrielle ne touche guère. Dans l’espace non plus, elle n’a pas modifié, dans l’ensemble, des tendances nées avant et en dehors d’elle. Dès lors, par quel processus a-t-on dégagé, à l’intérieur de la région, la main-d’œuvre dont elle avait besoin ?
B. Les réservoirs de la main-d’œuvre industrielle
85En partie, c’est l’industrie qui a nourri l’industrie. Fort logiquement, seuls les secteurs en forte hausse d’effectifs ont retenu l’attention des enquêteurs, préfectoraux ou autres. Or, dans le même temps, ceux-ci ont fondu dans les secteurs en perte de vitesse absolue ou relative : ipso facto, on en sait peu de choses. On a deviné déjà plus que calculé une certaine stagnation globale des régions cotonnières. A l’intérieur même de la « diaspora » soyeuse coexistent des rythmes différents, et qui peuvent être contradictoires ; un recul local étant tout à fait compatible avec un progrès d’ensemble. L’arrondissement de Nantua, par exemple, semble avoir fait le plein dès les années 1860, le nombre des tisseurs n’y bouge plus de 1858 à 1881, autour de 2 500, dont 525 à Jujurieux, dans l’usine de C.-J. Bonnet128, et le centre haut-savoyard de Faverges, où l’on comptait 1 250 ouvriers, en atelier ou à domicile, en 1859, n’en a plus que 700 en 1876 – alors que la Fabrique est à son plus haut niveau ! – et 610 en 1881129.
86Le recul est bien sûr encore plus fort dans les secteurs en déclin ; en Dauphiné et en Savoie, dans les centres anciens de la métallurgie, même quand ils conservent une certaine activité : Cran-Gévrier, dans la banlieue d’Annecy employait plus de 300 ouvriers à la veille de l’Annexion, mais n’en compte que 155 dans les années 1860, 85 en 1882 ; les cloutiers des Bauges ne sont pas plus d’une centaine dès 1872 : il y en avait près de 400 une vingtaine d’années auparavant130 ; Allevard décline après un maximum entre 1869 (446 ouvriers) et 1873 (538), et Renage, Apprieu, Domène sont réduits à quelques dizaines d’individus131. Les pertes sont encore plus fortes dans le textile et à l’intérieur des « diasporas » rurales anciennes : en Forez, le travail des toiles autour de Panissières n’occupe plus qu’un millier de personnes – entre 700 et 1 200 – dès les années 1870132 ; la taille des peignes dans la mouvance d’Oyonnax s’est stabilisée vers 1860 autour de 2 000 ouvriers133 ; et la célèbre manufacture Duport d’Annecy, fleuron de l’industrie piémontaise s’est effondrée de 3 000 à la fin du régime sarde à une moyenne de 654 travailleurs entre 1875 et 1879, à 630 en 1882134. De ce recul, on trouve d’autres signes dans la Maurienne des mines et de la sidérurgie au bois, dans le Bas-Dauphiné de la toile et des carrières135.
87Un second réservoir, autrement important, a été la main-d’œuvre féminine et juvénile : elle suffisait, le plus souvent, aux faibles exigences qualitatives de la demande, dans le textile surtout. Seuls font exception le coton du Beaujolais et la laine viennoise, sans qu’on y néglige cependant son renfort : d’après l’Enquête de 1860, on ne compterait que 16,5 % de femmes parmi les tisseurs et les fileuses des arrondissements de Villefranche et de Roanne, mais, en 1871, la Chambre de Commerce de Tarare estime qu’elles sont aussi nombreuses que les hommes136 ; à Vienne, leur place semble reculer de 1848 (50,3 % de l’emploi total dans la draperie) à 1860 (42,7 %) : mais elles dominent dans le tissage à un niveau qui demeure constant (de 81,4 à 81,3 %)137.
88On retrouve ce partage mi-partie dans la rubannerie stéphanoise : il est certain au milieu du XIXe siècle138 et peut-être déséquilibré à leur profit par la suite, puisqu’aux enquêteurs parlementaires de 1882 on affirme que « ...le travail des femmes se substitue de plus en plus à celui des hommes... »139; on sait en tout cas qu’elles monopolisent les fabrications nouvelles, telles celles du lacet, à Saint-Chamond.
89Enfin, c’est la mobilisation des femmes et des filles de la campagne qui a assuré l’essaimage de la Fabrique, au moins dans les aires qu’elle a pénétrées après 1850 : dans l’Isère, en 1872 comme en 1860, elles constituent 80 % de sa main-d’œuvre140, à tel point qu’à elles seules, elles représentent les deux tiers (66,2 %) de la totalité de l’emploi industriel de tout le département141 ; en Haute-Savoie, leur part passe de 63,8 °/o de l’ensemble du textile en 1860 à 77,3 % en 1882, et 1 sur 3 d’entre elles a moins de 21 ans142. Et elle est quasiment exclusive dans la filature et le moulinage, hors quelques rares ouvriers masculins qui assurent encadrement et entretien : à 94 % dans les usines du Dauphiné (Isère et Drôme) en 1860, à 92 % en Vivarais : en 1882, en Ardèche, le taux n’a pas fléchi, et explique qu’elles entrent pour les deux tiers – 15 557 femmes pour un total de 25 327 – dans l’ensemble des effectifs manufacturiers143. En dehors du textile, la ganterie a fait le même choix autour de Grenoble, où plus de 20 000 couturières montent les gants préparés par 4 150 coupeurs masculins seulement, presque tous concentrés dans la ville144 ; et l’importance relative de l’embauche féminine dans des secteurs moins ruraux, comme la papeterie, prouve à quel point l’élan industriel régional s’est appuyé sur elle145.
90C’est-à-dire sur une main-d’œuvre pour qui ce travail industriel n’est qu’« ...un entracte dans la vie agricole... », comme le remarque la maison Gourd et Croizat, de Faverges, « ... entre 14 et 50 ans... », avant qu’elles ne « ...se remettent à faire valoir leurs propriétés »...146 ; n’est-il pas aussi un intermède dans la vie, tout simplement : en 1858, pense le préfet de l’Ardèche, fileuses et moulineuses n’y passent « ....qu’un temps très court... » et « ...presque toutes l’abandonnent au moment de leur mariage »147. Par le grand nombre des très jeunes filles, attesté par les rares exemples qu’on ait de structures par âge148 signalé grossièrement partout, se marque le caractère d’attente et d’appoint qu’il prend dans les campagnes : point n’était besoin d’arracher des bras, définitivement, aux travaux des champs, d’ailleurs jamais totalement délaissés149.
91Le cas est-il si différent des hommes qui déclarent un état industriel, tous les cinq ans, aux agents du recensement ?
92La main-d’œuvre des grands chantiers de travaux publics révèle d’étonnants et significatifs amalgames. Ce sont les Italiens, sans doute, qui en constituent l’essentiel. Très mobiles, ils sont des oiseaux de passage : « ...voilà que commence le passage des hirondelles... », ironisent à chaque printemps les paysans de la Maurienne traversée par « ...ces campagnards piémontais exerçant les professions de maçons, plâtriers, terrassiers, scieurs de long... », en route vers « ...les chantiers où des travaux importants s’exécutent »150. De fait, c’est à eux que l’on doit la construction du réseau ferroviaire régional ; en Roannais, en 1856151, en Michaille en 1857 (où on en compte 2 500, les trois quarts du nombre total des terrassiers)152, à Thonon en 1862153, à la percée du Mont-Cenis en 1867154, en Maurienne en 1870155, près d’Annemasse en 1878156 : on les retrouve partout, presque toujours majoritaires. A partir de 1868, c’est encore à eux que l’on fait appel pour aménager les chutes et les premières retenues du Graisivaudan, à Lancey, à Domène, à Brignoud ; pour dévier le Rhône à Bellegarde en 1872157 et pour aménager un peu plus tard les fortifications de la frontière158. Ainsi, en 1881, on compte 1 761 Italiens parmi les 1 903 ouvriers étrangers au pays des chantiers publics et privés de la Haute-Savoie159, et en 1884, ils forment un fond permanent de 300 à 700 individus, selon la saison, dans le seul arrondissement d’Albertville160. Faut-il souligner que cette main-d’œuvre flottante n’apparaît dans aucun recensement ? Et il n’y a pas vraiment rupture d’avec une immigration de toujours, à la limite de la mendicité, où se mêlaient compagnons et saltimbanques italiens, si nombreux à Lyon en 1867 qu’on envisageait de les faire rapatrier aux frais de leur Consulat161. Cette embauche temporaire des Piémontais – que l’on retrouve dans les carrières saisonnières162 – est aussi un moyen de répondre à la demande.
93Or, ils ne se retrouvent pas seuls, malgré leur place, sur les chantiers de travaux publics. Avec eux y travaillent, et les paysans français de la morte-saison, et les ouvriers d’industrie en chômage. A la fin de 1853, la construction du P.L.M. est une aubaine pour les tisseurs de Vienne, où la draperie est en pleine crise163 ; au Grand Central, en 1855-1856, ce sont ceux du Roannais qui échappent à la baisse hivernale de la « cotonne »164, en 1857, ceux du Bas-Dauphiné chassés par une des terribles crises cycliques de la soierie165 ; en 1863, à nouveau, la « famine du coton » fait retrouver aux Roannais le chemin du chantier166. La présence des uns et des autres révèle une sorte d’instabilité dont le procureur général de Grenoble marque bien la complexité, en 1863, au milieu du marasme provoqué par la guerre d’Amérique : « ...Tous les bras que l’industrie n’a pas occupés ont profité non seulement aux travaux d’utilité publique qui sont en cours d’exécution, tels que la voie ferrée entre Grenoble et Valence, la construction des prisons départementales et des casernes..., mais aussi à l’agriculture qui lutte toujours péniblement contre l’insuffisance des manœuvres.. »167. Il semble bien en effet que jusqu’aux années 1880, la migration professionnelle n’ait pas toujours été définitive, que le choix d’un secteur soit en incessant balancement, que la coupure d’avec l’agriculture soit moins nette qu’il n’y paraît.
C. Du travail mixte à l’alternance des migrations professionnelles
94L’hésitation joue d’abord à l’intérieur des activités industrielles. La médiocrité de la mécanisation et la relative simplicité des fabrications la favorisent : derrière l’apparente spécialisation, la grande masse des ouvriers de la région est constituée de manœuvres qui ne sachant rien faire sont capables de tout faire. Que de tels transferts se produisent dans le tissage n’a rien d’extraordinaire : dans les années 1860, plus de 30 000 tisseurs ruraux des environs de Roanne passent à la soie quand ils sont privés de coton168. Ils surprennent plus en ville ; dans des secteurs réputés pour un certain savoir-faire : en 1858, à Lyon, « ...les bras manquent au travail de la Fabrique... », parce que les canuts hésitent à la rejoindre après une crise où ils ont trouvé à s’employer « ...dans les autres industries... »169. A Annonay, le fait est patent à travers l’entrecroisement des courbes de l’emploi dans la papeterie et dans la mégisserie, en 1870-1871, encore plus en 1885-1887 : le chassé-croisé est d’autant plus notable qu’il s’opère entre des industries de techniques fort différentes et des groupes ouvriers que les observateurs se plaisent à opposer170. Enfin, à Givors, en 1884, 200 métallurgistes renvoyés des hauts fourneaux sont aussitôt engagés « ...en dehors de leurs professions... », de préférence à d’autres moins « ...habitués à un travail manuel pénible... »171.
95De cette souplesse, d’aucuns n’hésitent pas à faire l’un des principaux atouts du bassin stéphanois, où, grâce à la variété des industries, « ...les bras inoccupés d’un côté n’ont le plus ordinairement qu’à se tourner d’un autre pour trouver de l’emploi... » »172. Les activités traditionnelles se gonflent successivement, au gré d’une demande inégale, se renvoient mutuellement une partie de leur main-d’œuvre et en viennent à intégrer la grande industrie et l’extraction houillère dans le circuit. Quincaillerie et rubannerie constituent une masse de réserve, où l’armurerie puise régulièrement, où elle rejette ceux dont elle n’a plus besoin : en 1848, où ses effectifs sont artificieusement gonflés173, en 1857-1858 et en 1860174, à un point tel qu’en 1868, quand la passementerie est atteinte par la « presse », elle a du mal à récupérer ses tisseurs devenus fabricants d’armes de guerre175. La mine y a aussi pris sa part depuis les années 1860176, et arrache des bras à la fois au ruban et à la quincaillerie en 1872177 et en 1885178. Le mineur stéphanois peut donc être, à l’occasion, un passementier en chômage ou attiré par les salaires élevés qu’entraîne la hausse de la demande179 ; mais il peut être aussi un paysan transplanté – pour un temps.
96Car l’agriculture demeure partie prenante dans un système d’échanges multiformes et récupère au moins une partie des bras qu’elle a pu envoyer. En 1850, les mineurs de Saint-Etienne ne sont pas touchés par la mévente du charbon, car « ...ils sont employés à la campagne aux travaux de la saison... »180 ; et le commissaire de police d’avertir, à Firminy, en 1876 : les rapports sociaux s’aigrissent avec le printemps, car les mineurs comptent « ...sur les travaux agricoles qui vont s’ouvrir181 ; de fait, en 1863, un conflit s’était éternisé à Roche-la-Molière longtemps après son règlement : ils avaient refusé de rentrer, tant les activités agricoles où ils s’étaient engagés pendant la grève leur paraissaient plus avantageuses182. A Saint-Chamond, la demande saisonnière de moissonneurs suffit, dans les années 1870, à tendre le marché du travail dans la métallurgie ; car « ...les ouvriers manquent généralement aux usines pendant l’été, époque à laquelle les ouvriers...retournent à leurs montagnes pour les travaux des champs... »183.
97Et, là, le partage n’est pas spécifique de la région stéphanoise : à Lyon même, en 1869, les « canuts » préfèrent au métier à tisser la cueillette des raisins en Beaujolais !184. A plus forte raison le retrouve-t-on dans tous les centres industriels qui baignent dans le milieu rural : aux mines de La Mure, où, aux trois quarts, les ouvriers sont de petits propriétaires qui retournent aux champs en fin d’après-midi185 ; à Allevard, où l’on ne tire de minerai qu’en hiver186 ; à Cours, où les vendanges vident chaque année les ateliers, en septembre187.
98Bien sûr, occasionnel ou permanent, il est la règle dans toutes les nébuleuses industrielles des campagnes, qu’elles soient en régression ou en expansion. La mixité du travail avait été très fortement soulignée par l’Enquête de 1848 pour l’ensemble des carrières, à Bourg d’Oisans, à La Verpillière, en Bugey ; dans la mouvance d’Oyonnax, vouée au travail de la corne188 ; et en Faucigny, vers 1880, les horlogers « ...s’occupent à peu près tous d’agriculture... » et abandonnent pour elle leurs outils dès le mois de juillet189. Dans le Roannais cotonnier, en 1872, « ...4 mois sont employés à l’agriculture et 8 au tissage des étoffes... »190, à Charlieu, où la soie pénètre tardivement, « ...pendant l’hiver (quand) les travaux des champs ne suffisent plus à les occuper, la plupart des ouvriers agricoles et les petits propriétaires s’adonnent alors à l’industrie du tissage... », suivant « ...l’usage établi... » dans le canton voisin de La Pacaudière, plus précocement atteint191. Et dans la zone dauphinoise de la filature et du moulinage, c’est le calendrier de la sériciculture qui rythme les échanges192. En maint endroit, donc, la grande industrie n’a fait que se glisser dans le cycle saisonnier des activités rurales.
3. La contraction des années 1880 : un révélateur ?
A. Une progression faible à la veille de la crise
99Ce sont ces divers modes de recrutement que traduit la médiocrité finale du gain en 1881. Car c’est, en fait, la multiplication des « employés » des services qui rend compte, pour l’essentiel, de l’avance des salariés du secondaire et du tertiaire. Depuis 1866, le nombre des ouvriers de l’industrie ne s’est accru que de 3,8 %, soit 7 343 individus193 ; à tel point que leur place a légèrement fléchi (de 20,1 à 19,5 %) dans l’ensemble de la population masculine active, et que la baisse semble particulièrement forte dans le Rhône, l’Isère, l’Ardèche et la Haute-Savoie194. Sans doute s’explique-t-elle déjà par, au-delà, l’attrait du tertiaire ; pas seulement, puisque dans le même temps, la part des agriculteurs de tous ordres s’est légèrement relevée, de 50,5 à 51,1 %195. A la rapidité de l’industrialisation correspond une stabilité des répartitions socio-professionnelles et une stagnation des effectifs industriels. Pour être conforme à une hypothèse déjà formulée, au plan national, par Georges Duveau196, la constatation n’en est pas moins surprenante dans une région où l’expansion s’est appuyée sur l’abondance de la main-d’œuvre.
B. Le recul du nombre
100Quant au nombre des ouvrières de l’industrie, il accuse même un net recul sur 1876, par la perte du cinquième de l’effectif, et elles sont au total moins nombreuses en 1881 qu’en 1866. La crise des industries textiles se traduit en effet par le retournement précoce des courbes de l’emploi, la draperie viennoise aurait renvoyé plus d’1 ouvrier sur 2 (55,2 %) de 1875 à 1877, et la reprise esquissée en 1881 ne comble pas les vides197 ; les filatures et les moulinages de soie se sont séparés de plus de 2 ouvrières sur 5 dans la Drôme en 1879 (43,5 %) en Vivarais, entre 1875 et 1879 (40,2 %), et les moyennes quinquennales de 1876-1880 y sont en retrait de 20,7 et 21,5 % sur celles de 1871-1875 ; si l’Ardèche se relève légèrement entre 1881-1885 (+ 8,9 % sur les cinq années précédentes), elle demeure très en deçà des années 1870, et les effectifs continuent à s’amoindrir sur la rive gauche du Rhône (– 12,7 %)198.
101Avec la généralisation du marasme dans les années 1880, la contraction s’étend à l’ensemble des activités industrielles. Elle paraît avoir été d’une rare violence à Romans et à Bourg-de-Péage : en 1882, le nombre des ouvriers en chaussures s’effondre de 1 300 à 800199 ; à Annonay, où la mégisserie perd 1 ouvrier sur 3 (37,5 %) entre 1880 et 1883 : la moyenne de l’emploi industriel local s’inscrit en 1881-1885 à 13 % en dessous des années 1876-1880200 ; à la Manufacture d’Annecy, où la chute est supérieure à la moitié de la main-d’œuvre, de 630 en 1882 à 300201 en 1888, comme aux verreries ripagériennes tombées en 1883-1884 au-dessous du niveau des années 1850202. Elle demeure forte dans la région d’Oyonnax, de 30 % environ chez les fabricants de peigne (il n’y en a plus que 1 363 en 1884 contre 2 052 en 1881203) ; au Teil, où les cimenteries perdent 1 ouvrier sur 5 – 309 sur 1 806 – en 1884-1885204.
102Le bassin stéphanois, surtout, est gravement touché : de 1883 à 1887, on y renvoie 1 mineur sur 4 (26,9 %) après une première alerte entre 1878 et 1880 ; si bien que le mouvement de longue durée de la main-d’œuvre houillère accuse un recul de 14,5 % entre 1877 et 1886 ; il est particulièrement sensible dans l’extraction elle-même : le « fond » recule de 17,8 %, contre 7,2 % seulement pour le « jour », et l’on n’a donc pas hésité à liquider des spécialistes très recherchés en d’autres temps205 ; ; et pour l’ensemble de la région, la baisse du nombre des mineurs atteint 12.1 %. Les renvois sont moins amples dans la grosse métallurgie, ne touchent qu’l ouvrier sur 5 (20,5 %) entre 1882 et 1886 : en tout, 1 802 tout de même206 ; mais dans les centres secondaires, hors du Forez, le recul dépasse souvent la moitié : aux hauts fourneaux de Chasse, de 150 en 1883 et une soixantaine en 1885 ; aux fonderies, de Vienne de 580 en 1882 à 250 en 1886 ; aux forges de Pont-Evêque, de 350 et plus en 1881-1882 à 165 en 1886-1887 ; aux aciéries de Renage, tombées dans le même temps de 150 à une trentaine ; à Allevard, qui atteint son plus bas niveau, à 237, en 1886. En Vivarais enfin, les années 1880 sont celles d’une catastrophe sans retour, on le sait : d’après les « situations industrielles », il y a, en 1883, 2 029 mineurs et 1 587 sidérurgistes, soit 3 616 ouvriers autour des hauts fourneaux : en 1886, on n’en dénombre pas plus de 855 ; d’après la on tombe de 1 756 à 724 : entre les trois-cinquièmes et les trois quarts l’effondrement prend des allures de liquidation207.
103Le renvoi prolongé d’un grand nombre d’ouvriers d’industrie entraîne, pour la première fois, un recul absolu de la population des villes et des espaces ouvriers. L’arrondissement de Saint-Etienne perd 6 276 habitants entre 1881-1886 : c’est peu, relativement, mais particulièrement notable après trois quarts de siècle d’un essor rapide et ininterrompu208. Les quatre cantons stéphanois en perdent 5 742 (– 4,1 %) et sans que le mouvement atteigne l’ampleur dont se plaint le maire de Saint-Etienne209 en 1885, la ville même recule de 7 080 personnes (– 5,8 %), la commune de Rive-de-Gier de 14,1 % (2 322)210 ; pour Terrenoire, ce n’est qu’un début : la ville va voir partir, avec ses hauts fourneaux, 39,4 % de ses habitants entre 1886 et 1896, de 6 489 à 3 929 ! L’élan est brisé au Chambon-Feugerolles, à Firminy. Hors du bassin stéphanois, La Voulte, bien sûr (– 14,9 %), mais aussi Givors (– 1,9 %), Vienne (– 3,8 %), Chazelles (– 7,4 %), Cours (– 10 %), Tarare (5,9 %) sont touchés : c’est-à-dire tous les centres importants de l’industrie régionale ; et les autres piétinent, comme Romans211 et Annonay.
104Dans les zones rurales, la carte des mouvements de la population entre 1876 et 1891212 montre la généralisation du recul, seulement amorcé dans les quinze années précédentes, à tous les cantons de la diaspora textiles. En Ardèche, les arrondissements de Privas et de Largentière sont à peu près partout orientés à la baisse ; celle-ci s’approfondit dans la Drôme pour dépasser les 10 % dans une douzaine de cantons ; sauf à Meyzieu, Rives et Bourgoin, son accentuation est générale dans les Terres Froides et le Bas-Dauphiné, mais aussi en Graisivaudan, dans l’avant-pays savoyard où les cantons soyeux de Yenne, Les Echelles et Saint-Pierre d’Albigny sont parmi les plus touchés, en Bugey et dans le Jura du Sud – à l’exception de Saint-Rambert. En Beaujolais et en Roannais, là où le coton se mêle à la soie, l’affaissement est tout aussi marqué, et Anse, Beaujeu, Saint-Symphorien-de-Lay perdent plus d’1 habitant sur 10.
105De fait, en 1886, on compte 50 871 hommes et femmes de moins qu’en 1881 parmi les salariés des services et de l’industrie qui, à elle seule, en a perdu 39 048, soit 11,9 % pour un reflux d’ensemble de 8,93 %. Or, dans le même temps, l’agriculture a gagné 7 310 hommes nouveaux ; c’est peu – 1,40 % –, surtout après la très forte baisse des années 1876-1881213 et cependant tout à fait remarquable, car elle-même est en plein marasme depuis 1873-1875 ! Au retournement conjoncturel de ses prix vient s’ajouter la catastrophe du phylloxéra qui détruit en quelques années, depuis 1873, le vignoble régional en Lyonnais, en Beaujolais, dans le Revermont et dans le Bas-Bugey, en Vivarais ; à peine la pébrine est-elle vaincue que l’invasion des soies asiatiques précipite la baisse des cours en effondrement et empêche la restauration des magnaneries, dont on sait l’extension ; la maladie de l’« encre » frappe les châtaigneraies cévenoles – une spéculation fondamentale du Haut-Vivarais ; en Dauphiné toutes les cultures sont atteintes, et les emblavures reculent après 1882214, La crise explique sans doute la forte libération des années 1876-1881, dans un temps de haute conjoncture industrielle – sauf pour la soie ; elle n’empêche pas une récupération partielle quand l’industrie est à son tour touchée : peut-être parce qu’on ne l’avait jamais tout à fait quittée. Et des retours définitifs sont signalés ici ou là, dès avant 1876 chez les gantiers et les tisseurs du Dauphiné, dans le Faucigny de l’horlogerie en 1884215.
106La baisse absolue de la main-d’œuvre industrielle entre 1881 et 1884, sa reprise partielle par l’agriculture après une libération massive, celle-ci même pendant les 5 années précédentes jouent le rôle de révélateurs pour une réalité qui n’avait pu être qu’indirectement approchée. Jusqu’aux années 1880, l’industrie se contente du trop-plein et du sous-emploi périodique ou permanent du secteur agricole, malgré la force de son expansion ; elle se gonfle et se rétrécit au moins autant au souffle de ses besoins qu’à celui de ses propres exigences. Quand les modes même d’organisation qui avaient assuré son succès sont en cause, une partie des bras qu’elle libère retourne tout naturellement aux champs. Sauf dans les villes, la classe ouvrière est encore un produit mal fixé, dont les frontières ne sont pas celles de la main-d’œuvre industrielle.
107Or, les gens qui, de 1876 à 1891, quittent les cantons soyeux sont-ils poussés par la crise de la Fabrique ou par le marasme agricole et la décadence du vignoble et du mûrier ? Les années 1880 ouvrent des temps nouveaux au moins autant par la libération de la main-d’œuvre agricole et rurale que par le renouvellement des structures industrielles.
III. LE TEMPS DES VILLES (1886-1914)
1. Un renversement des tendances ?
A. La libération de la main-d’œuvre agricole
108La spécialisation même de ses activités empêche l’agriculture régionale de se relever, après 1895, avec le prix des céréales. Le siècle nouveau creuse l’effondrement du cours des vins et des soies et approfondit un marasme qui met fin à des équilibres séculaires216. Depuis 1886, le nombre des travailleurs de l’agriculture est orienté, définitivement, à la baisse, sans aucun retour occasionnel ; pour s’en tenir aux seuls hommes, le travail de la terre emploie dans la région 48 756 paysans de moins en 1891 que cinq années auparavant (– 9,23 %), et de 1896 à 1911, il en perd 55 814 autres (– 9,9 %)217 ; en pourcentage, le recul est quasiment de 10 points (de 69 à 59,1 %) depuis 1891218.
109Aussi la désertion des campagnes régionales s’accentue-t-elle pour déborder des zones où dispersion industrielle et spéculation agricole avaient longtemps entretenu de fortes densités219. De 1891 à 1906, 30 des 31 cantons ardéchois, 25 des 29 de la Drôme sont orientés à la baisse, qui est supérieure à 10 % pour une dizaine d’entre eux, à 5 % dans 26 autres. En Isère, 40 cantons reculent, sur 45,6 de plus du dixième, 20 de plus du vingtième ; sans doute le déchet est-il particulièrement fort dans le Bas-Dauphiné soyeux, et, tout près, dans l’avant-pays savoyard, où. Chamoux, Les Echelles, Yenne, Faverges sont parmi les plus touchés ; en Savoie, 23 cantons sur 27, en Haute-Savoie 18 sur 28 sont en baisse, de plus de 10 % pour une quinzaine de 5 à 10 % pour les autres. En Bugey aussi, les cantons de la diaspora soyeuse sont les plus gravement atteints, comme Yzernore (– 18,7 % !), Lagnieu, Brénod, mais la dépression se creuse dans 29 d’entre eux sur les 36 que compte le département de l’Ain. Et, désormais, la montagne vivaroise, les Préalpes du Nord, les vallées et les massifs internes des Alpes, les plaines du Rhône moyen, de la Dombes et de la Bresse participent de cet affaiblissement général. Comme, à l’Ouest, le massif du Pilat, la plaine du Forez jusque-là intacte, les Monts du Roannais et du Beaujolais, le Plateau lyonnais.
110Si bien que de 1881 à 1911, l’Ardèche a perdu 11,6 % (43 271) de ses habitants, la Drôme 7,5 (23 721), les plaines et les Alpes dauphinoises presque le dixième220 ; l’affaiblissement est comparable dans l’arrondissement de Belley (– 9,1 %), un peu moins fort mais net dans la Dombes (– 7,5 %) et la Bresse (– 5,6 %), la Savoie (– 7,3 %) et la Haute-Savoie (– 4,2 %). Or, à cette libération massive des bras, à leur disponibilité géographique semble avoir correspondu une décompression de la demande industrielle.
B. Un affaiblissement relatif de la demande industrielle
111Cet affaiblissement s’explique en partie par les choix de la reconversion que nombre d’industries régionales assurent par un appel massif à des moyens mécaniques jusque-là logiquement boudés. De 1879 à 1913, la puissance des appareils à vapeur qu’elles utilisent augmente de 360,4 % et les deux moyennes quinquennales extrêmes de 286,4 %, après une phase accélérée d’équipement entre 1887 et 190221. Aucune ne demeure à l’écart ; les différences de gain traduisent souvent celles de la dotation vers 1880 : ainsi, mines et métallurgie, précocement séduites, n’en ont-elles pas moins relancé le mouvement en 1889-1890, pour progresser au total de 238 et 219 %. A l’inverse, le textile est parti de plus bas, mais plus tôt, dès les années 1880 : son gain s’inscrit au taux maximal de 640 %, au double, ou presque, de la moyenne générale ; alors qu’il n’avait utilisé en 1879 que le dixième (10,1 % de la puissance-vapeur de l’ensemble régional, il en accapare à lui seul plus du cinquième (20,8 %) en 1913, alors même que son importance relative s’est affaiblie222. Gros utilisateur traditionnel de main-d’œuvre, il a valeur d’exemple : la machine a remplacé l’homme là où il était particulièrement nombreux223.
112La mécanisation n’empêche pas, ici et là, un nouvel élan de la demande de bras. Ainsi à Romans et Bourg-de-Péage où elle s’est cependant largement déployée. Sans doute le nombre des chapeliers en est-il fortement amoindri, de 800 vers 1890 à 300 en 1905. Mais l’apparition de la tannerie entraîne la création de 400 nouveaux emplois au début du XXe siècle et, surtout, les usines à chaussures occupent 4 000 personnes à la veille de la guerre : elles ont quadruplé leurs effectifs des années 1880 – (930), en le triplant jusqu’en 1893 – où l’on comptait 2 500 ouvriers contre 1 200 seulement en 1888224. En Albarine, la crise des années 1876-1880 avait à peine mordu sur la main-d’œuvre : en 1887, le groupe avait gagné près d’un millier d’ouvriers – et 50 % – sur 1879-1880 ; de 3 021, leur nombre s’élève à 3 700 en 1897, dont 2 400 à Tenay et 1 350 à Saint-Rambert, et à peut-être 5 500 en 1904 ; soit à deux fois et demi le niveau des années 1880, et la puissante « Société industrielle de la schappe » en a 1822 à elle seule225. Pour être plus modeste, l’accroissement n’en est pas moins aussi très fort dans la chapellerie de Chazelles-sur-Lyon : très régulier, il fait augmenter l’emploi de moitié entre 1875 et les années 1910, de 1 200 à 1 800-2 200 ouvriers après 1 325 en 1891 et 1 600-1 800 en 1895 ; aux trois quarts, ce sont des hommes226. Ou aux cimenteries du Teil, après un léger tassement dans les années 1890, le groupe s’est redressé et concentre 2 000 personnes à la veille de la guerre, en hausse d’environ 25 % sur 1891227.
113Dans la Loire, l’emploi de la grosse métallurgie est reparti en flèche dès 1887, à tel point que la perte des années 1881-1886 se traduit par un replat sur la courbe du mouvement de longue durée228. Le rythme du recrutement va bon train jusqu’en 1896 puis se tasse avant d’accélérer à nouveau ; au total, de 1886 à 1909, le gain est de 52,1 %. C’est la fabrication des aciers qui entraîne l’embauche : elle quintuple, ou presque, le nombre de ses ouvriers, de 2 250 à la veille des années 1880 à 10 447 en 1912. Tout près, Givors, qui n’avait que 500 sidérurgistes vers 1880, emploie 1 500 métallurgistes à l’approche de la guerre, dont 450 chez Prénat et plus d’un millier chez Fives-Lille ; où il y en avait 580 une vingtaine d’années auparavant229. Dans le bassin même, Rive-de-Gier comptait 1 672 métallurgistes dans 11 usines en 1893, elle en dénombre 2 025 dans une quinzaine d’établissements en 1911 ; Lorette est passé de 870 à 997, et le Chambon-Feugerolles de 480 à 772230 ; mais c’est la vallée de l’Ondaine, qui joue le rôle de principal centre d’appel : autour des années 1900, Firminy et Unieux concentrent 4 550 ouvriers contre 3 400 en 1893 et 2 800 vers 1880 ; en 1911, la seule usine Verdié – de la Société anonyme des forges et aciéries de Firminy – en rassemble 2 670231. Et hors du Forez, on distingue, ici et là, la reprise de centres dispersés, comme celui de Cran-Gévrier – il retrouve 195 ouvriers en 1899232 – et Allevard, qui fait plus que doubler de 1889 – (265 ouvriers) à 1912 (6 à 700, après 592 en 1905)233.
114Plus étonnant encore est l’essor de la main-d’œuvre dans les sièges dispersés de l’extraction charbonnière. Le « bassin d’Aubenas » occupe 225 mineurs à Nieigles-Prades et 285 à Banne, donc 510, en 1911, contre 473 en 1900 et 300 autour de 1880. A Communay, près de Vienne, on en compte 280 à 300 : il n’y en avait pas une soixantaine vers 1880234. Et le rassemblement est d’une autre ampleur à La Mure, qui a fait fi de la conjoncture globale : une première poussée après 1851, à un rythme annuel de 2,7 %, s’était étiolée dès 1866, après un gain de 48,4 % du mouvement de longue durée ; dans les vingt années suivantes, la progression ralentie n’avait pas dépassé 11,4 %235. Mais à partir de 1886, elle s’emballe : à raison d’un croît annuel de 3,7 %, la main-d’œuvre augmente de 122,6 % jusqu’en 1909, plus vite que l’extraction, et la moyenne quinquennale de 1909-1913 l’emporte de 126 % sur celle de 1883-1887236. Le groupe s’est fortement rassemblé à La Motte d’Aveillans et au Peychagnard, autour des puits de la Société des Mines de la Mure, à l’exception de 300 mineurs restés attachés à une compagnie dissidente, à Notre-Dame de Vaulx. La demande a été suffisamment forte pour qu’on emploie même en 1912 une vingtaine de femmes aux travaux du fond ; dans l’ensemble de l’exploitation, leur part a doublé, de 6 à 11,2 % entre 1883-1890 et 1901-1910237, à mesure que les installations de surface prenaient de l’importance : plus d’un ouvrier sur 3 y travaille au début du siècle nouveau (34 %) contre moins d’1 sur 4 (24,4 %) une vingtaine d’années auparavant.
115C’est à celles-ci aussi, que l’on doit, largement, le renouveau de l’embauche dans le bassin de la Loire : le « jour » y occupe en 1913, 35,6 % des ouvriers, au lieu de 29,7 % en 1875 et 25,8 % au milieu du XIXe siècle. De fait, le mouvement de longue durée de ses effectifs a progressé de 41,8 % entre 1886 et 1909, et a soutenu celui de l’ensemble des houillères, en hausse de 29,3 % puisque, dans le même temps, celle-ci n’a pas dépassé 23,4 % chez les mineurs du « fond »238. Le vieillissement du bassin ne stoppe pas le recrutement239 ; au contraire, il le relance et l’élargit à la recherche de manœuvres interchangeables. Le « fond » lui-même en compte une forte minorité, puisqu’on n’y trouve, en 1890, que 32,2 % de piqueurs et 24,9 % de rouleurs, remblayeurs, boiseurs et divers ouvriers d’Etat ; et au total, extraction et travaux de surface confondus, il n’y a que 38 % de spécialistes, et 465 ouvriers sans qualification pour 100 piqueurs240 ; dans certaines tailles particulièrement archaïques, la relation peut atteindre 758 pour 100 !241. Pour les trouver, on a bien mordu sur la main-d’œuvre féminine : elle est deux fois plus nombreuse (640) en 1901-1910 qu’en 1883-1890 (362), mais sa part n’en a pas été modifiée : elle aurait même légèrement reculé (de 3,5 % à 3,1 %) à un niveau voisin du pourcentage national (3 à 3,4 %).
116Enfin, en Lyonnais, c’est au tour des mines de pyrite de Sain-Bel de recruter massivement à partir de 1879, après une période cahotique d’extraction intermittente. Jusqu’en 1903, l’effectif triple quasiment (+ 173 %), d’environ 300 à 825242. Mais avec elles, on touche aux directions nouvelles de l’industrie régionale, à la chimie, dont on ne sait rien.
117Et bien sûr, l’attraction de la main-d’œuvre est très rapide dans les activités électrotechniques. De 1891 à 1913, les usines électrométallurgiques des Alpes savoyardes et dauphinoises bondissent de 2836 % et celles qui livrent l’aluminium de 2700 % entre 1905 et 1914, en neuf ans donc243.
118C’est-à-dire que là, le nombre d’ouvriers est passé de 64 à 1879, ici, de 27 à 755 : derrière les accélérations foudroyantes des rythmes, on n’a recruté, au total, que 2 543 nouveaux ouvriers. Au milieu du XIXe siècle, on avait déjà noté la médiocrité logique de la main-d’œuvre dans les secteurs de pointe. Mais ailleurs, dans les activités traditionnelles, en vat-il vraiment d’autre manière derrière les pourcentages d’augmentation ? A Sain-Bel, on n’a jamais embauché que 523 mineurs de plus, et leur nombre total retombe très tôt, dès 1903, à moins de 600, à la veille de la guerre ; à La Mure, le gain ne dépasse pas 1 200 des années 1885 à 1909 ; autour de Saint-Etienne et de Rive-de-Gier, il n’y a en 1911 que 6 980 mineurs de plus qu’en 1887, et seulement 2 114 de plus qu’en 1883 ! En tenant compte de la récupération des ouvriers renvoyés à partir de 1884, on n’y a recruté 4 fois moins de travailleurs en 27 ans que pendant le quart de siècle précédent – 7 675 de 1856 à 1883 ; et à partir de 1912, là aussi, on s’oriente à la baisse. De même dans la grosse métallurgie, où l’élan des effectifs de l’acier s’est fait aussi aux dépens de ceux de la fonte et des « fers », tombés de 3 042 en 1873 à 1 212 en 1913 ; au total, dans la Loire et le Rhône, il n’y a guère que 4 567 métallurgistes de plus en 1909 qu’en 1877. En somme, les grands secteurs de l’activité régionale – ceux du moins dont a pu apprécier le mouvement – n’ont attiré qu’un nombre restreint d’ouvriers nouveaux. Or, dans le même temps, d’autres ont reculé ou stagné.
119Quand ils n’ont pas disparu, ou presque, comme le groupe sidérurgique du Vivarais : de 1883 à 1909, le mouvement de longue durée des effectifs s’effondre de 88 %, plus même que l’extraction du minerai (– 84,8 %) et la production de fonte (– 86,9 %). En 1913, il n’y a plus que 175 ouvriers – 63 mineurs et 112 métallurgistes – au travail, au lieu de 1 760 en 1883 ; quand les puits ont fermé à Privas en 1894, il n’y restait que 80 des 760 travailleurs de 1883, Le Pouzin ne compte plus que quelques dizaines de manœuvres occasionnels à la veille de la guerre, après une baisse rapide dès les années 1890 ; et les 719 de La Voulte ont disparu avec la faillite de Terrenoire, en 1889244. De même, les forges de Pont-Evêque et les hauts fourneaux voisins de Chasse, entre Givors et Vienne, n’occupent pas plus d’une centaine de personnes au début du XXe siècle, et quelques aciéries dispersées, à Apprieu et Renage en Dauphiné, à Arvillard et Presles en Savoie vivotent avec quelques dizaines d’individus.
120Sans atteindre une telle force, la baisse des effectifs touche aussi des activités aussi diverses que le tissage des draps, la verrerie et les spécialités annonéennes car en 1895, le tissage viennois n’emploierait plus que 4 200 personnes, peut-être même 3 000245 : la baisse aurait été de moitié en une décennie ; en 1911, on n’en compte guère plus de 2 000 ; mais avec les activités annexes le groupe fait travailler 6 458 ouvriers, et le tissage lui-même s’est féminisé aux deux-tiers, le cardage aux quatre-cinquièmes, tandis que les hommes ont le quasi-monopole de l’apprêt et de la teinture et la majorité des trois-quarts dans l’effilochage des chiffons. La perte demeure considérable246. A Rive-de-Gier, les verreries n’ont jamais totalement récupéré ceux qu’elles avaient renvoyés en 1883-1884 : de 1 970 ouvriers en 1887, elles stagnent autour de 2 200 dans les années 1890 ; la poussée du département tout entier de 2 581 en 1896 à 3 435 en 1901 s’explique par l’attraction de Veauche et Saint-Romain-le-Puy : les verriers y sont environ 600 vers 1895, au lieu de 350 une douzaine d’années auparavant ; mais dès 1906, la Loire retombe à 3 019, avec les centres nouveaux qui n’en ont plus que 300 en 1914247. A Givors, d’un millier dans les premières années du siècle, on est tombé à 600 en 1912248 ; et à Lyon, les 1 400 ouvriers des années 1910 ne sont pas plus nombreux que ceux des années 1880, malgré, semble-t-il, une légère remontée récente249. Enfin, à Annonay, la mégisserie n’emploie pas plus – ou guère plus – d’un millier d’ouvriers après 1890 : 1 146 en 1891, moins de mille en 1914, peut-être 1 750 un instant, en 1894, avec les tanneurs ; quant aux papetiers, la mécanisation a bloqué leur progression : ils se retrouvent 1 600 à la veille de la guerre, moins nombreux qu’entre 1870 et 1880, et avec 3 800 ouvriers dans la ville et les communes annexes, Boulieu, Saint-Marcel, Davezieux, le groupe n’est guère au-dessus du niveau des années 1875250.
121A l’intérieur des nébuleuses, le retrait des campagnes se fait aux dépens du nombre : la progression des effectifs dans leurs noyaux urbains – certains d’entre eux s’affaiblissent aussi d’ailleurs – ne doit pas faire illusion ; et là où elle était médiocre, la féminisation va souvent de pair avec la mécanisation.
122Dans la ganterie grenobloise, cependant, la machine à coudre chasse les couturières en se généralisant après 1902. Elles étaient 20 400, en 1893-1894, dont 1 400 seulement dans la ville et sa banlieue, à La Tronche, à Eybens, à Saint-Egrève et à Fontaine ; pour elles, les peaux sont préparées par 2 400 à 3 800 mégissiers, coloristes et coupeurs – selon les estimations, presque tous grenoblois, et l’on s’accorde pour évaluer l’ensemble du groupe à 24 500 personnes251. Le nombre n’aurait donc pas bougé depuis les années 1870, et il s’amoindrit très vite après 1902 : si le noyau masculin demeure intact, le nombre des couturières tombe à 15 000 dès 1906, peut-être même 7 000 seulement. En tout cas, en 1911, il n’est que 6 658 femmes pour se dire gantières dans le département tout entier, et 2 992 hommes252. Quant au nombre des horlogers, dans la vallée de l’Arve, il a atteint un maximum de 3 000 entre 1895 et 1900 : en 1907, la concurrence suisse et la multiplication des tours mécaniques l’ont fait retomber à 2 700, et à 1 800 seulement en 1908 ; à la veille de la guerre, on se tient autour des 2 000. Il n’est plus que 13 communes à pratiquer la taille des roues et des pignons, quand il y en avait 23 au début du siècle ; les seuls centres ruraux à résister sont Araches (150 ouvriers), Magland (150) et Mont-Saxonnex (300) et l’agglomération de Cluses concentre à elle seule plus de la moitié de l’effectif, 1 000 à 1 200 horlogers, entraînée par le dynamisme de Scionzier qui en fait travailler 450 en 1907, 600 en 1908 (dont une soixantaine de décolleteurs) contre 170 en 1876253. Autour de Saint-Etienne enfin, on ne sait rien du nombre des armuriers ; mais il ne semble pas que celui des « quincaillers » – 5 000 vers 1890, dont un millier à la forge des boulons et 900 à 1 200 à la taille des limes, au Chambon-Feugerolles – ait augmenté ; jusqu’en 1914, des estimations partielles se tiennent autour des mêmes chiffres254.
123La rubannerie traduit, déjà, la contraction globale du textile. Non pas que l’effectif d’ensemble recule fortement, peut-être est-il même en léger progrès grâce au développement de l’embauche dans la tresse et le lacet à Saint-Chamond et dans ses environs : de 4 400-5 000 en 1893-1895, leur main-d’œuvre passe à 8 000-9 500 vers 1900 ; mais elle est féminine aux trois-quarts255. Quant au ruban classique, il oscille, de 1895 à 1900, autour de 15 200-15 500, et l’on ne dispose pas de nombres sûrs dans la suite. Mais, paradoxalement, la mécanisation en fait, de plus en plus, un travail familial : les compagnons tendent à disparaître, on n’en compte plus que 1 250 en 1899 – dix fois moins, dit-on, qu’en 1885 –, 900 en 1902. Il ne subsiste que 4 500 chefs d’atelier aidés par les 8 500 membres de leur famille pour faire mouvoir les métiers mécaniques installés à domicile256. La stabilité d’ensemble masque donc bien un recul de l’embauche dans la passementerie par substitution de main-d'œuvre.
124Du reste de la « diaspora » soyeuse, on ne sait à peu près rien, sauf exception : ainsi, la main-d’œuvre du moulinage et de la filature a-t-elle nettement reculé dans l’Ardèche, à 13 000 en 1912 : la perte est de 3 000 sur les années 1881-1885257. Pour le tissage, Faverges en Haute-Savoie n’emploie pas 300 ouvriers en 1900, contre 700 en 1875258. Voiron environ 2 500 contre plus de 3 000 vers 1880259. Ces relevés ponctuels sont trop rares pour être significatifs en l’absence d’un recensement d’ensemble. En 1904, les organismes patronaux lyonnais tentent un calcul pour répondre aux commissaires parlementaires : la Chambre syndicale de la Fabrique aboutit à un total de 127 500 personnes pour l’ensemble de la région, des femmes aux cinq sixièmes, et la Chambre de Commerce à 85 000 dans le seul tissage, à peu près exclusivement féminin260. Elle n’est pas loin, ainsi, des données du recensement professionnel de 1906, qui, en incluant la rubannerie stéphanoise et le moulinage dénombre 18 043 hommes et 66 768 femmes, donc 84 811 personnes261 ; en l’absence de tout élément de comparaison, le calcul est un peu vain, mais il montre à l’évidence, lui aussi, la généralisation de l’emploi féminin. Et si l’on applique la relation retenue par la Chambre patronale – 1,5 ouvrier, de quelque sorte que ce soit, par métier mécanique ou à bras – le nombre total des gens au service de la Fabrique aurait reculé de 128 000 (137 000 vers 1888-1889 et 129 000 en 1900 à 90 000 en 1914262.
125Reste le coton du Beaujolais et de ses abords. L’augmentation est certaine à Roanne, dans la lancée des deux décennies précédentes : de 6 000 environ en 1889, le nombre des ouvriers monte à 6 443 en 1894, 6 825 en 1895, et de 7 829 « en temps ordinaire » dans l’été 1897263, en 1904, l’évaluation hésite entre 8 500 et 9 000, au centre d’une mouvance immédiate de 11 000 à 12 000 ; pour 100 d’entre eux, on trouve 35 à 40 hommes, 50 à 55 femmes – particulièrement nombreuses dans le tissage mécanique – et, pour le reste, de jeune garçons ou de jeunes filles264. Mais on sait que Roanne marche un peu à contre-courant du groupe, avec les petites villes de la montagne, comme Amplepuis qui a 6 à 6 800 ouvriers dans son canton en 1904, contre 4 377 en 1891, et 3 000 dans la commune même265 ; Thizy et ses alentours sont au contraire en recul, à 2 800, dont 70 % de femmes, au lieu de 7 282 une douzaine d’années auparavant266 : mais faut-il prendre ces chiffres à la lettre ? Cours aussi semble en recul rapide et précoce. Et le grand mouvement revendicatif des années 1885, dont on verra l’ampleur, avait été largement provoqué par la désertion des campagnes. Si bien qu’au total, l’ensemble tout entier paraît d’une remarquable stabilité si l’on en juge par les données des recensements professionnels toutes situées entre 19 000 et 19 700 de 1896 à 1906267.
2. Migration géographique et migration professionnelle
A. L’élan freiné des villes ouvrières
126Le ralentissement qui frappe l’essor démographique des villes ouvrières, quelles qu’elles soient, vient corroborer cette impression de médiocrité de la demande industrielle après 1890. Partout, à une exception près, les taux de progression sont, de 1891 à 1911, inférieurs à ce qu’ils avaient été entre 1861 et 1881. Ainsi, la commune de Saint-Etienne ne gagne que 10,9 % – de 128 136 à 142 216 habitants dits « municipaux » –, quand elle avait bondi de 89 032 à 120 120, donc de 34,9 %. Elle ne fait que traduire le destin des villes du bassin forézien :
127Rive-de-Gier seul va plus vite : mais c’est pour rattraper ses pertes de la Grande Dépression, et la ville est moins peuplée, en 1911 qu’en 1881. On retrouve le dynamisme de la vallée de l’Ondaine, mais fort affaibli, et Firminy et La Ricamarie gagnent finalement moins d’habitants nouveaux, en nombre absolu que de 1861 à 1881.
128Dans les villes spécialisées du reste de la région lyonnaise, le coup d’arrêt est bien plus brutal encore :
129A Vienne, à Annonay, à Chazelles, on est cependant reparti en 1891 d’une population inférieure à celle de 1881. Or, partout les progrès sont insignifiants268 (au Teil même ils sont trois fois moins rapides, à Chazelles ils comblent tout juste les pertes des années 1880) quand il n’y a pas totale stagnation, comme à Vienne et à Rives, voire recul absolu, particulièrement sensible à Annonay. Les noyaux urbains du textile dispersé n’ont pas d’autre destin :
130Quand la population n’y baisse pas, ils entrent en léthargie avec la « Belle Epoque » : Roanne même, malgré le succès de ses fabricants, a progressé deux fois moins vite qu’entre 1861 et 1881, et, au total, a gagné moins d’habitants nouveaux.
B. Mais l’attirance de la ville
131Or, globalement, le nombre des salariés de l’industrie et des services est reparti très vite à la hausse, dès la fin de la Grande Dépression. En 1891 déjà, sur 1886, toutes les pertes ont été récupérées, et même au-delà269 : le gain est de 55 394 hommes et femmes, donc de 16,7 %, à un niveau légèrement supérieur – de 4 523 personnes, soit 0,8 % – à celui de 1881. De 1896 à 1906, le rythme est plus lent : la progression est de 15,4 %, et c’est la main-d’œuvre industrielle qui l’entraîne, puisque son gain est supérieur à la moyenne, à 16,1 %270 ; elle semble se poursuivre à un rythme accéléré à la veille de la guerre, même si les gains de 1911 sur 1906 – + 14,9 et + 14,8 % – ne peuvent être comparés à ceux des périodes antérieures, puisque la conception du recensement professionnel a changé. Dès lors, quels secteurs rendent compte de ce rapide accroissement d’ensemble de la main-d’œuvre industrielle ?
132Ce sont les mouvements géographiques de la population qui apportent un élément de solution. Dès la période de la Grande Dépression, ils avaient fait largement fi – sauf dans le bassin stéphanois – de la détérioration de la conjoncture industrielle. De 1876 à 1891271, les seuls cantons à progresser largement avaient été les cantons urbains, industrialisés ou non : ainsi, dans le Rhône, outre Lyon, Neuville, Saint-Genis-Laval, Vaugneray, tous proches de la métropole, et surtout Villeurbanne, qui avait bondi de 64 % ! Dans l’Isère, les trois cantons grenoblois s’étaient avancé de 16,7, 19,4 et 24,6 % ; ailleurs, Valence, Romans et Montélimar, Annonay, Bourgoin, Aix-les-Bains, Chambéry, Albertville, Moûtiers, Annemasse, Belley, Oyonnax, Bourg, Thizy, Roanne étaient orientés à la hausse, et même le canton de Saint-Etienne Nord-Ouest avait échappé au destin forézien en gagnant 29 % !
133La tendance ne fait que s’affirmer entre 1891 et 1906. Sans doute le mouvement cantonal reflète-t-il en partie les nouvelles implantations de la grande industrie, et sa carte272 met en relief, dans un recul général, le progrès du Viviers des cimenteries, de La Mure des houillères et de Rives des papeteries, de Cluses et de Saint-Gervais, d’Ugine et Saint-Michel-de-Maurienne en Savoie, d’Oyonnax du celluloïd et de Saint-Rambert de la schappe dans l’Ain, de Roanne du coton et de Saint-Galmier des verreries et, bien sûr, des cantons du bassin stéphanois. Mais avec eux, et souvent plus fortement s’avancent les villes du Rhône, Crest, Valence et Pierrelatte, Nantua, Bourg et Trévoux, Belleville et Villefranche, tous les cantons proches de Lyon, qu’ils soient du Lyonnais ou du Dauphiné, les agglomérations des cluses et des lacs alpins, Chambéry et Aix, Annecy et les rivages du Léman méridional, la zone d’emprise grenobloise.
134Le mouvement apparaît dans toute son ampleur quand on reprend la progression des villes de plus de 5 000 habitants dans l’ensemble des années 1886-1911. Quatre d’entre elles sont des centres anciens d’industries spécialisées : leur gain ne dépasse pas 2,3 % en 1911273 ; neuf autres étaient vouées depuis longtemps au seul textile : elles ont reculé de 2 %274. Sans doute, à l’inverse, les neuf principales villes de la région stéphanoise – à l’exception de Saint-Etienne – se sont-elles avancé de 18,3 %275 : leur essor n’en reste pas moins inférieur à celui d’une dizaine d’autres où les fonctions commerciales et administratives l’emportaient au départ et qui ont progressé de 18,8 %276. Enfin, il en était 7, dans l’ensemble de la région, à avoir plus de 25 000 habitants en 1886 : en 1911, elles ont augmenté leur population de 35,7 % : parmi elles, les 4 principales communes de l’agglomération lyonnaise de 38,5 % et Grenoble, entraînée à la fois par la séduction de la grande ville et la proximité des nouveaux pôles de développement, de 45,4 %277.
135On n’a donc pas quitté l’agriculture (et la campagne pour l’industrie), mais la campagne (et souvent l’industrie rurale) pour la ville. Là, on a trouvé les activités nouvelles nées de la métamorphose d’une tradition locale – les industries chimiques et la métallurgie différenciée – ou du rassemblement des hommes – industries alimentaires et du vêtement, celles que l’on dit « de luxe » et pour lesquelles on ne dispose pas de computs spécifiques. Mais la comparaison des recensements de 1896 et de 1906, dont les modes de classements sont parfaitement identiques, montre ces transferts de la demande. Dans l’ensemble de la région, le nombre des ouvriers de l’industrie, hommes et femmes, progresse de 16 % dans la décennie ; or, le mouvement est le suivant pour quelques-uns des principaux postes d’emploi :
136Les nombres bruts et les rythmes de progression parlent d’eux-mêmes, bien que l’ampleur de recul de la grosse métallurgie traduise en fait un glissement vers les constructions mécaniques et que le dynanisme des « mines et carrières » soit majoré par l’inclusion des extractions de chaux et de pierre à bâtir. Enfin, le tertiaire urbain absorbe une proportion grandissante des arrivants : de 1891 à 1911, la part de ses salariés parmi les actifs masculins a gagné 4,1 points (de 9,7 à 13,8 %) quand ceux de l’industrie s’avançaient de 5,8 points (de 21,3 à 27,1 %e278. Ce transfert des ouvriers français a sans doute été plus fort qu’il n’y paraît, puisque les gros employeurs traditionnels doivent encore recourir au vieil apport d’une main-d'œuvre marginale et, là où naissent de nouvelles usines hors des villes, pour la première fois, à des contingents étrangers massifs.
C. Les signes renouvelés d’une pénurie paradoxale
137Car l’ambivalence du travail ne disparaît pas totalement. En 1896 encore, les passementiers stéphanois au chômage retrouvent le chemin de la mine : mais c’est le seul cas signalé après 1890279. Par contre, la plupart des mineurs des centres secondaires d’extraction demeurent à demi-paysans, en Ardèche280, à Sainte-Foy-L’Argentière dans le Lyonnais281, aux plâtrières et aux gîtes métalliques de la Maurienne282, aux mines d’asphalte de Lovagny, près d’Annecy283. Et l’association demeure étroite avec l’agriculture chez les horlogers de Faucigny284, ou dans les régions du Haut-Rhône qui, à Montalieu, associent travaux des champs, carrière de pierre et travail de la soie285, et, aux Echelles, tissage et cultures286. Une partie de la main-d'œuvre industrielle continue à baigner dans le milieu rural. Et il est plus étonnant de voir que l’association est de règle dans les secteurs modernes de l’électro-métallurgie et de l’électro-chimie : les ouvriers des grandes usines de la Maurienne et de la Tarentaise reproduisent, à un demi-siècle de distance, le partage qui avait été celui des mineurs et des métallurgistes foréziens. A La Bathie en 1899, ils ne demandent « ...qu’à quitter l’usine pour se livrer aux travaux agricoles... »287, comme à Notre-Dame de Briançon où l’importance des stocks en 1901 entraîne des licenciements bien accueillis288 ; au Giffre en 1905, c’est la « saison » qui règle en partie le niveau de l’emploi289, et en août 1911, le directeur de l’usine d’aluminium de La Saussaz, à Saint-Michel-de-Maurienne, cède aussitôt à un mouvement revendicatif « ...vu qu’en ce moment il y a pénurie d’ouvriers en raison des travaux des champs... »290.
138Quant à la venue d’ouvriers étrangers, elle n’a rien d’un raz-de-marée, et leur place demeure médiocre à la veille de la guerre. On en compte 8 pour 100 habitants dans la Loire en 1911 et 23 dans le Rhône, contre 5 et 22 en 1891. Mais en Savoie et en Haute-Savoie, ils sont 43, au lieu de 34 et 29, et 23 dans l’Isère, là où il n’étaient que 15. La progression a donc été plus forte dans des régions proches de la frontière, mais qui sont aussi celles des nouvelles industries, électrotechniques ou autres, où se ranime le dynamisme régional.
139Ils n’ont pas perdu leurs caractères traditionnels. Ils demeurent – les Italiens surtout – la providence des usines en grève291 ; en 1893, l’usage qu’en fait le patronat contre ses ouvriers en lutte prend un tour tellement systématique que les pouvoirs pulbics s’inquiètent et redoutent des troubles politiques292. L’arrivée des ouvriers s’intègre toujours dans un courant migratoire plus vaste : en 1891, la colonie italienne de Lyon compte 6 299 femmes pour 7 738 hommes, et qu’on se souvienne du sac des magasins italiens au lendemain de l’assassinat de Carnot ; de fait, dans l’ensemble de l’arrondissement, on ne compte que 4 197 salariés d’industrie pour 7 142 étrangers masculins au travail, donc moins de 3 sur 5 (58,7 %) ; parmi eux, près d’1 sur 3 est employé dans le bâtiment (1 251, donc 29,8 %)293.
140Car celui-ci demeure leur activité de prédilection, avec les travaux publics. Entre 1900 et 1914, ils en ont quasiment le monopole dans les villes savoyardes294. Ce sont eux qui achèvent la construction du réseau ferroviaire régional, près d’Aix-les-Bains en 1899 et en 1901295, à Chamonix en 1907296 entre Moûtiers et Bourg-Saint-Maurice en 1909297, à Chambéry pour transformer le dépôt de locomotives298. Surtout, ils se font de plus en plus aménageurs de chutes et constructeurs des usines alpines. En 1894, dans la Maurienne en pleine fièvre industrielle, « ... on appelle des Piémontais pour finir les terrassements..., des Toscans pour tailler les pierres, des Vénitiens pour le percement des tunnels... » : ils sont plus de 1 500 sur les chantiers de l’arrondissement299. On les retrouve aux travaux du Drac, à Marcieu, en 1900300 ; à monter l’usine de cyanimide de calcium, à Notre-Dame-de-Briançon301 et la centrale électrique d’Eloïse, sur le Haut-Rhône, en 1907302 ; à agrandir les installations d’Ugine en 1908 – ils y sont plus de 600303 ; à barrer le Val du Fier, à Seyssel, en 1912304. Avant, ils ont été à Villard-Bonnot, à Froges, à Domène ; or, ils y sont restés, et c’est là qu’est la grande nouveauté305.
141La majeure partie des ouvriers étrangers n’est plus une fraction de cette masse de main-d’œuvre instable que l’on mobilisait en période de presse. Désormais, comme dans le reste de la France, ils assurent les travaux dont ne veulent plus les ouvriers français, ou que les campagnards chassés ont évités306. Après 1885, l’absence de plainte est caractéristique : les organisations ouvrières ne les mettent qu’exceptionnellement en cause quand les salaires s’avilissent ; ils ont cessé d’être des rivaux pour devenir des remplaçants dans les secteurs désertés. Les Piémontais, notamment, « ...véritables Chinois de l’Occident, vivant de polenta et d’eau claire, acceptent les plus dures besognes et les plus rudes métiers... »307. C’est vers eux, en partie, que se tourne l’industrie régionale308.
142Aussi les retrouve-t-on plus nombreux qu’avant dans les mines et les carrières. A Allevard, Schneider fait appel à eux après avoir racheté les mines de fer309 ; à La Mure, on en compte 250 sur 600 mineurs en 1891, et le canton, qui hébergeait alors 400 étrangers en a 1 032 en 1901, 705 en 1911310 ; dans les premières années du siècle, ils représentent les deux tiers de la main-d’œuvre aux exploitations métallifères de la région de Moûtiers311 et la quasi totalité des ardoisiers de Cevins, en Savoie, à la veille de la guerre312. En 1909 enfin, 200 des 280 mineurs de Communay sont des Italiens, la commune, qui n’en avait aucun en 1891, en compte 356 en 1911313.
143En Dauphiné aussi bien qu’en Savoie, ils viennent dans les usines électrométallurgiques, pallier l’absence d’offre par des régions en voie de « désertification »314. En 1904, il y a 2 Italiens – 220 sur 330 – sur 3 ouvriers à La Praz, plus d’1 sur 2 à Chedde en Faucigny – 101 sur 180, et 133 sur 300 en 1906315. En 1905-1906, ils représentent une forte minorité à l’usine électro-chimique du Giffre (40 sur 100)316 et à la papeterie savoyarde de Venthon (43 sur 243)317 en 1911 à la fabrique d’aluminium de La Saussaz, à Saint-Michel-de-Maurienne (75 sur 270)318 et ils sont majoritaires, en 1908, à Ugine, chez Paul Girod (200 sur 350)319. Loin des Alpes, ils fournissent, dans les premières années du siècle, le cinquième des 1 100 ouvriers des Câbles Grammond, à Pontde-Chéruy320. Si bien qu’en 1891, les « métallurgistes » sont plus nombreux que les ouvriers du bâtiment parmi les Italiens des arrondissements de Moûtiers et de Saint-Jean-de-Maurienne321. A Lyon, les usines chimiques s’en réservent une bonne part – 957 en tout, aussitôt après le bâtiment –, les autres se dispersant entre le textile et la métallurgie différenciée.
144Car, les ouvriers étrangers sont désormais partout, aussi bien dans les nouvelles industries de consommation que dans les secteurs renouvelés de l’activité traditionnelle. Au début du siècle, on les retrouve dans les fabriques de pâtes alimentaires savoyardes et dans la biscuiterie grenobloise, à la soierie de Voiron et aux teintureries de Villeurbanne, aux cimenteries Portland de Virieu-le-Grand et dans la maroquinerie lyonnaise322. Surtout, ils pénètrent la région stéphanoise, aux mines de Grand-Croix vers 1900323, dans la métallurgie de Rive-de-Gier : en 1911, la quasi totalité des manœuvres des fours Martin, chez Marrel, sont des Italiens324. Et dans la verrerie au moins, leur embauche a pris un caractère massif, par une volonté patronale délibérée. Au moment de la grande grève de 1894, la verrerie Richarme de Rive-de-Gier compte 174 Italiens pour 1 061 ouvriers ; parmi eux, 1 seul souffleur sur 163, 3 « grands garçons » sur 174, mais 21 sur 42 « chauffeurs-gaziers » et 134 « porteurs » sur 233325 : ceux-ci, sans qualification, sont pour la plupart de jeunes garçons, recrutés selon une véritable « traite » des enfants, déjà signalée et dénoncée à Oullins en 1890326. Ils sont hébergés par des logeurs qui les louent au mois, aux « Verreries réunies de la Loire et du Rhône, et qui en ont la disposition contre paiement direct d’une prime à la famille restée en Italie. A l’usine Neuvecel de Givors, l’appel à la main-d’œuvre étrangère s’accentue encore à la veille de la guerre : de 1900 à 1913, elle fournit plus de la moitié – 54,6 %, soit 2 698 – des 4 941 ouvriers embauchés ; de 1900 à 1906, leur part est de 47,1 %, de 1909 à 1913, de 61,3 % ; et aux Italiens, dont le recrutement est exclusif, jusqu’en 1907 s’ajoute un contingent espagnol en progression rapide : au cours des quatres dernières années, il représente 19 % de l’embauche étrangère327. En 1914, 2 verriers sur 3 du groupe forézien seraient des Italiens et les contingents étrangers les plus forts de la région sont ceux des communes de verrerie, Rive-de-Gier (2 653), Veauche (363) et Saint-Romain-le-Puy (327)328.
Notes de bas de page
1 Les célèbres – et par ailleurs irremplaçables – rapports politiques des procureurs généraux du Second Empire des A.N., BB 30, en sont un bel exemple. Ils fourmillent d’évaluations numériques mais ne renseignent sur rien tant les niveaux varient qui ne peuvent être, sur le court terme, autrement qu’à peu près uniformes. Et comme la vérité n’est pas forcément à mi-chemin des valeurs extrêmes...
2 C’est ainsi qu’on applique encore souvent, dans les années 1860, le rapport de 5 ouvriers à chaque métier battant dans la soierie lyonnaise, qui est du XVIIIe siècle. Or, outre qu’il est à peu près impossible, on l’a vu, de jamais connaître exactement le nombre de métiers au travail, la mécanique Jacquard et le recul des étoffes façonnées l’ont réduit à moins de 3, 2 peut-être. Cette évidence n’empêche pas de raisonner et d’aboutir à des chiffres parfois supérieurs à la population lyonnaise tout entière.
3 Sur les conditions générales – assez mal connues – de l’Enquête de 1860 et l’utilisation des résultats pour le comptage de la main-d’œuvre, cf. Gille (B.), Les sources statistiques.., ouvr. cit., p. 248-249 et Crebouw (Y.), La formation de la main-d’œuvre... t. I, p. 72 et suiv. Une circulaire du Ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux Publics précise le projet, le 22.11.1860 : « ... (il) fournira le moyen d’apprécier, plus tard, à l’occasion d’un autre inventaire décennal, les résultats de la dernière réforme douanière... » (A.D. Ar., 217 M).
4 Cf. note précédente : la circulaire poursuit pour inviter à inventorier «...l’industrie manufacturière seulement, c’est-à-dire les établissements qui fabriquent les produits en gros et les livrent au commerce chargé, à son tour, de les vendre au consommateur ».
5 L’ensemble de dossier est sous la cote M 217 aux A.D. Ar.
6 A.D. Ar, M 217, préfet, 29.1., 15.2, 25.3, et 14.5.1861.
7 Statistique de la France, Industrie, Résultats généraux de l’Enquête de 1861-1865, 2e série, t. XIX, Paris, 1873. Le volume donne également divers renseignements sur la production et l’équipement, déjà utilisés au chapitre 2, et aussi sur les salaires (cf infra, t. 2, chap. 1).
8 Lyon aurait alors compté 80 000 ouvriers, hommes et femmes, dans 720 établissements de toute nature (Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 11-13).
9 De surcroît, l’Enquête est menée, en Beaujolais et Roannais, en pleine « famine du coton » à un moment où l’emploi s’effondre. (Cf. Supra, chapitre II).
10 Et faut-il rappeler qu’à l’Enquête agricole de 1862, 1 148 918 travailleurs agricoles ont « avoué » occuper, en même temps, un autre emploi (cf. Toutain (J.), La population de la France de 1700 à 1959, Cahiers de l’I.S.E.A. AF 3, p. 89).
11 Les résultats sont contenus dans Statistique de la France 3e série, t. III. Statistique annuelle, année 1873, p. 111-136 et p. 376-429 ; ils ne concernent que 720 000 ouvriers pour la France tout entière.
12 Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Transports, Evaluation de la production, lre partie, Résultats par départements, Paris, 1917.
13 Cf. Gille (B.), Les sources statistiques..., ouvr. cit., p. 234-235. Des circulaires de 1862 et 1863 invitaient à une enquête mensuelle, mais ne semblent pas avoir eu de suite avant 1870-1871.
14 On se borne à distinguer la vente de la fabrication, à demander les causes d’une détérioration ou d’un progrès éventuels et, pour les « industries principales », le nombre des établissements et des ouvriers.
15 Cf. notamment les admonestations ministérielles au préfet du Rhône, dans A.D.R., 9 M, Situations industrielles, 1883-1884.
16 A.N., F. 12 4476 C à F, 4477 à 4479, 4482, 4499, 4509 A, 4511 B, 4532 et 4546.
17 A.D.R., 9 M non classée, 8 liasses, 1858 à 1865 et 1874 à 1892.
18 Le préfet du Rhône tente de se justifier auprès du Ministre du Commerce, le 9.1.1886, et décrit les difficultés qu’il rencontre auprès des milieux économiques lyonnais : « beaucoup d’industriels ne veulent pas comprendre l’intérêt général de l’enquête à laquelle donne lieu l’établissement de la situation industrielle ; ils craignent de la voir servir de base à des mesures fiscales dirigées contre eux. Ils ne donnent dès lors que des indications incomplètes, tronquées à dessein, quand ils ne refusent pas catégoriquement de répondre au questionnaire. D’autres apportent dans leurs déclarations sur les causes du malaise général des affaires une passion politique manifeste qui nuit à l’appréciation exacte de la situation »... (A.D.R., 9 M, Situations industrielles, 1886).
19 Les « états trimestriels » sont recopiés sur ceux de la Chambre de Commerce, dont les doubles se trouvent dans le fonds récemment versé aux Archives départementales (cf. Lorcin (J.), Une source privée, les archives de la Chambre de Commerce et d'industrie de Saint-Etienne, Etudes Foréziennes, I, Mélanges, 1970, p. 205-209) ; ils sont éparpillés dans, entre autres, A.D.L., 56 M 7 à 10 et 84 M 8 à 24.
20 A.D. A, 53 M 3, 7 à 10 et 12 (1864-1888) ; A.D. Ar, M 217 à 221 (1856-1893) ; A.D.D., 48 M 16 (1856-1886) ; A.D.I., 138 M 10 à 16 (1856-1895) et A.D.H.S., 15 M, non classée, 1861-1864 et 1872-1886.
21 Sur la qualité qui s’attache aux ruptures dans les modes d’élaboration, voir Dupeux (G.), Aspects sociaux et politiques du Loir-et-Cher, p. 268.
22 Les « états de situations industrielles » constituent par ailleurs une source unique sur le mouvement à court terme de l’emploi, donc du chômage, et à partir des années 1880, ils indiquent le taux quotidien du salaire par spécialité, sexe et qualification professionnelle.
23 A la base, il semble que le rôle essentiel ait été joué par les ingénieurs directeurs de circonscriptions minéralogiques, qui y ont appliqué toute leur compétence : les rapports qu’ils fournissent en effet au préfet de la Loire pour ses tableaux trimestriels sont calqués sur les catégories de la S.I.M. (Cf A.D.L., 84 M 10 à 12, notamment).
24 Pour la référence de ces multiples publications, cf bibliographie générale.
25 Cahen, Evolution de la population active en France depuis cent ans, Etudes et conjoncture, 1953, EF 3, p. 230-234.
26 Ainsi, de 1891 à 1896, la population active française augmenterait de 2 millions, d’un coup ; comme le note l’Introduction au recensement de 1896 (cit. par Cahen, art. cit., Etudes et conjoncture, 1953, p. 231-232) : « l’accroissement n’est aucunement l’effet d’une diminution du nombre des oisifs, c’est simplement la conséquence de l’amélioration des procédés ».
27 Les articles de J. Bienfait ont attiré à juste titre l’attention sur la falsification des listes lyonnaises, même si celles de 1901, 1906 et 1911 semblent plus sûres (cf. Bienfait (J.), La population à Lyon à travers un quart de siècle de recensements douteux, 1911-1936, R.G.L., XLIII, p. 63-94 et 95-132).
28 Sur les difficultés d’exploitation, voir Lorcin (J.), L’utilisation des listes nominatives en démographie historique, Cahiers d’Histoire, XII, 1 et 2/1967, p. 183 et suiv.
29 Ainsi, en 1891 on insiste encore sur la nécessité... « d’une séparation absolue des individus qui exercent réellement la profession indiquée... et de ceux qui vivent du travail du premier... » (cit. par Crebouw (Y.), ouvr. cit., t. I, p. 123 et suiv.
30 A l’intérieur de chaque grand secteur économique en effet, on a regroupé la totalité des non-actifs, quelle que soit leur appartenance sociale.
31 Il faut noter qu’à partir de 1896, on distingue, en théorie, ceux qui travaillent effectivement au moment du recensement, et ceux qui sont au chômage, à l’intérieur de chaque catégorie socio-professionnelle ; la séparation semble fallacieuse, et ne permet en tout cas pas de prendre la mesure du chômage, une autre affaire !
32 Ainsi, le menuisier, ou le charpentier est bien intégré au « bâtiment » jusqu’en 1891 ; mais s’il est salarié à temps plein dans une usine comme ouvrier d’entretien, il est compté avec la spécialité de l’établissement entre 1896 et 1906 et peut se retrouver dans les cuirs, le textile ou la métallurgie ! Et la multiplication des grandes unités de production à la fin du XIXe siècle décale de plus en plus la grille des « professions » de celle des « secteurs économiques ».
33 La nomenclature élaborée entre 1896 et 1906 demeure inchangée au XXe siècle : les confrontations en aval seraient donc plus aisées. A noter que les transports y sont rattachés à l’industrie ; sur ses défauts et ses contradictions internes, cf. Toutain (J.), ouvr. cit., p. 86-87.
34 Soit : tissus, mines et carrières, fabrication des métaux, fabrication des objets de métal, cuir, bois, céramique, produits chimiques, bâtiment, ameublement, habillement, alimentation, transports, sciences – arts – lettres, luxe, guerre, funéraire et divers.
35 Où l’industrie « funéraire » ( ?) disparaît au profit de l’éclairage ; il n’y a pas de changement en 1866.
36 Le nombre des rubriques est alors tombé à 16 ; les « transports » on l’a vu, sont désormais à part ; « luxe », « guerre » et « divers » ont disparu au profit des entreprises de l’Etat ; et en 1891, « sciences, arts, lettres » change de nom pour devenir « papier, imprimerie, reliure ».
37 Le classement ne change plus désormais, sauf pour intégrer de nouvelles spécialités industrielles, l’aéronautique par exemple.
38 Sur la manière dont sont calculés les nombres fournis par les «Statistiques trimestrielles », et même par la ce qu’en dit Simiand (F.), Le salaire des ouvriers mineurs en France, 1904, p. 32-33) est valable pour toutes, et peut-être aussi pour les enquêtes périodiques : est-ce l’effectif des travailleurs à date fixe (début ou fin de l'exercice) ? une moyenne de relevés périodiques ? l’ensemble des inscrits sur les registres de personnel ? Dans l’ignorance du procédé, on peut simplement espérer en son homogénéité.
39 Cf. Foville (A. de), La France économique..., 1890, p. 56-57 et Levasseur (E.), La population française..., 1889, t. I, p. 358 et suite, qui anticipent sur Cahen, art. cit., Etudes et Conjoncture, 1953, et Fourastié (J.), Migrations professionnelles, 1957, p. 138 et suiv.
40 La conception semblable des recensements de 1851 et 1911 les rend en effet comparables ; cf. Dupeux (G.), ouv. cit., p. 558 et suiv. Pour les nombres bruts, voir les tableaux hors texte no 4 à 7. On sait la nécessité de se tenir au seul élément masculin. Les militaires ont été, dans leur ensemble, exclus de la population active : il n’était pas possible de distinguer les soldats du contingent des officiers et des sous-officiers de carrière ; leur nombre est trop médiocre pour que les récapitulatifs en soient fortement modifiés.
41 Les nombres absolus sont les suivants, pour les 6 départements d’origine :
42 Cf. tableaux no 7 et 8 ; on a laissé en dehors ceux qui se sont dits « manœuvres » ou « contremaîtres », sans autre précision.
43 Soit l’effectif suivant : année moyenne, 1851-1860, 9 962 ; 1901-1910, 22 800 ; en 1850, 7 339 et 22 110 en 1913.
44 Contre la moitié seulement de la population totale des 6 départements (50,4 %, soit 29,7 % pour le Rhône, et 20,7 % pour la Loire) ; pour la place des départements dans chaque secteur industriel, cf. les nombres du tableau no 7.
45 Cf. Toutain (J.), ouvr. cit., p. 162, tableau 58, qui calcule une progression de 104 000 individus pour l’ensemble de la France, soit environ + 2 %.
46 Cf. les tableaux no 4, 9 et 10. Pour le tableau no 9 et le calcul de l’ensemble des ouvriers de l’industrie et des « employés » des services, on a mêlé ceux qui étaient dits « ouvriers », manœuvres, hommes de peine et « employés », sauf lorsque ceux-ci pouvaient être identifiés comme assumant une fonction de direction (ingénieurs, directeurs, etc.). Les nombres sont donc majorés, légèrement, puisque le mot employé est seul usité pour tous les salariés du tertiaire et inclut des gens qui ne sont pas de la classe ouvrière. Quant aux domestiques à l’exception de ceux de l’agriculture tous classés jusqu’en 1891 avec le secteur d’activité de leur maître, on les a tous réintégrés dans les « services ».
47 Le rythme régional colle donc au comportement national, avec la crue de 1872-1876 et la décrue de 1876-1886 (cf. Toutain (J.), ouvr. cit., p. 141.
48 Cf. graphique no 20.
49 D’après Faidutti-Rudolph (A.-M.), L’immigration italienne dans le Sud-Est de la France..., 1964, t. I, p. 210.
50 Annuaire de l’Ardèche..., 1861, p. 168-169 et Joanne (A.), Géographie de l’Ardèche,... p. 40-41.
51 Les « états » sont dispersés entre A.N., F. 12 4476 C à F, 4477, 4478 A et surtout 4482, et pour les doubles des manquants, A.D. Ar., M. 217 et 218.
52 Cf. graphique no 12.
53 Les effectifs sont les suivants :
L’enquête industrielle de 1860 (Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 42) dénombre 793 mineurs et 647 ouvriers des hauts fourneaux dans l’arrondissement de Privas, tous des hommes ; pour les premiers, il y a concordance à l’unité près avec le comptage de la S. I.M. et assez forte avec les « états » trimestriels (1 465 pour 1 540 ; mais l’Enquête renverse la relation ; le préfet indique 514 mineurs et 951 sidérurgistes). L’Annuaire de l’Ardèche... 1861, dénombre 692 ouvriers à l’extraction, dont 560 au fond et 132 au jour, pour 8 concessions. En 1882, une enquête ébauchée selon les principes de 1860, arrive au chiffre de 529 pour les seuls puits du canton de Privas (A.D. AR., M, Enquête industrielle... 1881).
54 La population municipale de la Voulte passe de 3 285 à 4 958 habitants en 20 ans ; de 1861 à 1876, pour les deux cantons et l’arrondissement, la population totale est de :
55 Cf. graphique nos 5 et 6.
56 A.N., C 956, Enquête... 1 848, Loire, cantons de Saint-Etienne, Saint-Héand, Rive-de-Gier et du Chambon-Feugerolles et A.D.L., 84 M 7, maire de Lorette, 19.10.1849.
57 Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 318.
58 A.N. C. 3100, Enquête... sur la situation de l’industrie charbonnière... 1872, réponse Chambre Commerce Saint-Etienne et Comité des Houillères de la Loire ; avant, S.I.M., 1865-1869, p. XVIII.
59 Cf. graphique no 9 ; outre la S.I.M., cf. A.N., F. 12 4476 C à F, 4477, 4478 A et 4511 B ; A.D.L., 84 M 8 à 23.
60 Pour les effectifs suivants :
61 A.D.L., 47 M 9, état récapitulatif professions, Loire, 1851 ; l’Enquête de 1860 (Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 320) retient 5 376 ouvriers pour la métallurgie de l’arrondissement de Saint-Etienne.
62 A.D.L., 92 M 18, préfet Loire, 3.4.1882.
63 A.N., F. 12 4511 B, Chambre Commerce Saint-Etienne, s.d. (1870) et A.D.L., 21 M 22, police Rive-de-Gier, 15.12.1849. Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 322-323.
64 A.N., F. 12 4476 E, préfet Rhône, 7.2.1865 et A.D.R., M. Situations industrielles, 1880-1881.
65 D’après Leseure (J.) Historique des mines de la Loire..., p. 337-343, la moyenne annuelle par circonscription minéralogique est la suivante :
66 Soit 4 123 sur 5 562 à la fin de 1856 et 5 981 sur 13 770 en 1881. A.D.L., 56 M 7, préfet, s.d. (4e trimestre 1856) et A.N., F. 12 4511 B, préfet Loire, 5.5.1881.
67 Cf. cartes nos 23 et 24.
68 Cf. Perrin (M.), Saint-Etienne et sa région économique... p. 365 et Schnetzler (J.), Un demi-siècle d’évolution démographique dans la région de Saint-Etienne (1820-1876), Etudes foréziennes, Mélanges I, 1968, p. 172-173.
69 A.N., F 12 4476 C, préfet, s.d. (1850), 4476 E et F 4477, 4478 A ; A.D.L., 84 M. 7 et suiv. ; Gras (L.J.), Histoire de la rubannerie,... p. 603 ; Guitton (H.), L’industrie des rubans de soie..., p. 79 ; Fohlen (C.), L’industrie textile au temps du Second Empire, p. 192.
70 Ces effectifs concernent le seul arrondissement de Saint-Etienne, et l’ensemble du groupe, avec les cantons de l’arrondissement d’Yssingeaux, ferait travailler 40 000 à 50 000 passementiers sous le Second Empire (A.N., F I C III, Loire, 6, préfet, 23.2.1854 et BB 30 379, proc. gal, Lyon, 6.7.1861).
71 A.N., F. 12 4511 B, Documents Parlementaires, juin 1885, p. 2893 ; à noter que les effectifs recensés par l’Enquête de 1860 sont très inférieurs : 7 800 ouvriers seulement, dont 4 513 femmes (Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 318-319).
72 Gras (L.-J.), ouv. cit., p. 118 et 175 ; A.D.L., 92 M 15, préfet, s.d. (1878).
73 Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 320-321.
74 Gras (L.-J.), Histoire de la quincaillerie..., p. 116 et 146 et A.N., F. 12 4511 B, qui compte, en 1881-1884, 13 000 personnes ( ?), avec les campagnes.
75 A.N., F. 12 4511 B, Documents Parlementaires, juin 1885, p. 2893 ; A.D.L., 10 M 78, police, 30.6.1880 et 81 M. 22, Directeur de la Manufacture d’Armes, 12.7.1856 ; Gras (L.-J.), Histoire de l’armurerie..., p. 240, p. 242-245 et p. 247 et suiv.
76 A.D.I, 162 M 2, Enquête sur le travail..., 1848, cantons Vienne Nord et Sud et 138 M 10, Situations industrielles, 1852-1862 ; Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p.
77 A.N., F. 12 4476 C à F, 4477, 4478 A, 4479 A et 4509 A et A.D.I., 138 M 10 à 16.
78 Cf. graphique no 2 et tableau no 12 ; calculées d’après les « situations » trimestrielles du préfet, les moyennes quinquennales de la main-d’œuvre drapière sont les suivantes :
D’autres sources partielles et moins sûres s’accordent en 1868 entre 8 000 et 10 000 (A.N., F 1 C III, Isère, 10 et A.D.I., 166 M. 1, sous-préfet Vienne, 7.4.1868) ; le procureur général de Grenoble corrobore la force de la progression, compte 3 000 ouvriers en laine en 1858, 8 000 en 1863 et 11 000 au début de 1867 (A.N., BB 30, 378, 3.7.1858, 14.4.1863 et 12.1.1867).
79 Soit de 330 à 928 ; cf. graphique no 27 et tableau no 13.
80 A.N., F. 12 4476 C à F, 4477 et surtout 4499 ; A.D.D., 48 M. 16, et Bellon (M.A.), Les ouvriers de Romans et de Bourg de Péage... 1870-1914, p. 6 et suiv.
81 L’emploi dans la chapellerie passe, par année moyenne, de 296 (1856-1860) à 1384 (1881-1885). En 1880, un état préfectoral recense un millier de chapeliers à Montélimar et 450 à Bourg-de-Péage, et environ 1 000 ouvriers en chaussure à Romans (A.D.D., 80 M 1, préfet, 25.8.1880).
82 A.N., F. 12 4476 D et A.D. Ar, M. 217 et 218.
83 A.N., id., préfet, 20.10.1857 et 21.1.1858 ; Statistique de la France, t. XIX, p. 46-47 ; Chomel (V.), Le département de l’Ardèche,... 1848, Revue du Vivarais, 149, p. 33 ; cf. tableau no 13.
84 Les moyennes quinquennales de l’emploi à Annonay sont les suivantes (cf. graphique no 26) :
85 A.D.I., 138 M 10 et 14, 162 M 3, Enquête 1872, préfet 12.11.1872 et Léon (P.), La naissance de la grande industrie..., t. II, p. 606 et suiv. ; à diverses dates les effectifs seraient :
86 Pour les effectifs suivants :
Parmi les autres centres importants en 1882, Pont de Claix (460) et Livet (285).
87 A.N., C. 956, Enquête sur le travail..., 1848, canton de Saint-Galmier ; et F. 12 4511 B, Situations industrielles Loire, 1881-1885 ; A.D.L., 92 M. 13, police, 27.4.1873 ; Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 324-325 ; Gras (L.-J.) Notices historiques,... p. 82 et suiv.
88 Cf. tableau no 13 ; pour les sources, cf. supra, note 82.
89 La période 1861-1881 permet de comparer le mouvement de la population et celui des « situations industrielles » de l’emploi qui commence en 1857-1858.
90 A.N., C. 943, 956 et 963 et A.D.I., 162 M 1 et 2, Enquête sur le travail... 1848 ; A.N., F. 12 4476 C à F, 4477, 4478 A, 4482 et 4499 ; A.D. Ar, M 217 et 218 ; A.D.D., 35 M 7 et 8, 40 M 3, 48 M 10 et 10 ; Statistique de la France, 2e série, t. XIX et id., 3e série, t. III, p. 428-431.
91 Les effectifs seraient les suivants :
L’Isère possède aussi des moulinages, mais les comptages les mêlent au tissage.
92 Cf. tableau no 12 et graphique no 25 ; le mouvement s’inscrit dans les moyennes quinquennales :
93 A.N., F. 12 4511 B et 4536 ; A.D.I., 138 M. 14, et aussi 62 M 44, Sous-préfet La Tour-du-Pin, 1.3.1863 ; 162 M. 3, préfet, s.d. (1872) donne par contre 2 400 tisseurs seulement pour l’arrondissement ; l’Enquête de 1860 n’en comptait déjà que 2343, pour un total de 6 671 dans l’Isère. La simple comparaison de ces nombres montre la difficulté à s’y retrouver !
94 Cf. tableau no 12 ; A.N. F. 1 C. III, Ain, 4, Sous-préfet Nantua, 31.3.1859 et F. 12. 4476 C à F, préfet Ain, 11.1.1866 notamment, F. 12, 4479 A ; A.D.A., 53 M., 3, 7, 8, 10 et 12 ; Lebeau (R.), La vie rurale dans le Jura méridional... p. 453 et suiv.
95 A.D.I., 138 M. 10 à 16, Situations industrielles, 1852-1887 ; 154 M 1 et 162 M. 3, Enquête parlementaire, 1872, préfet Isère ; 12.11.1872 ; Veyret-Verner (G.), L’industrie des Alpes françaises..., p. 16 et 112.
96 A.D.H.S., 15 M ; Situations industrielles, 1874-1884, Sous-préfet Bonneville, 25.11.1876 et 30.12.1879 ; d’après A.D.H.S., id., 1861-1863, et Guichonnet (P.), Une concentration industrielle originale... Le Globe, 1961, p. 27 et suiv., la marche des effectifs serait la suivante : 1849, 678 ouvriers ; 1851 : 1 125 ; 1863 : 2 400 – mais, pour le préfet, 1 312 seulement. Y a-t-il eu un premier palier dans les années 1860, ou régularité de la progression ? On ne peut trancher.
97 A.N., F. 12 4532, Chambre Commerce Tarare, 1.3.1871.
98 A.D.R., M., non classée, Dénombrement de 1866, tableau No 8, population classée par professions et A.D.L., 47 M 15, id., Loire ; Statistique de la France, 2'série t. XIX, p. 326-327 et p. 572-573.
99 A.D.R., M., non classée : 1) Dénombrement de 1851, états annexes aux listes nominatives, reliées par cantons ; 2) Dénombrement de 1891, état des professions, 1 liasse, 1 feuille par commune ; A.D.L., 49 M. 54 à 86. Dénombrement de la population, 1851, listes nominatives par canton.
100 Dans l’arrondissement de Villefranche, on a reconstitué dès 1851 le canton d’Amplepuis formé seulement en 1869.
101 Cf. cartes nos 23 à 25.
102 Bien qu’elle ne coïncide pas avec l’ensemble de la période d’expansion du coton, on a pris les années 1861-1881 pour permettre la comparaison avec d’autres centres industriels. De 1851 à 1881, le gain est bien sûr plus ample pour Roanne – Le Coteau (+ 84,2 %), Amplepuis (42,6), l’agglomération thizerote (+ 49,7 % Cours (46,5 %) et Tarare s’inscrit aussi à la hausse (+ 28,1 %).
103 Il faudrait y ajouter les chantiers urbains d’un temps qui démantèle un peu partout ses remparts et sacrifie à la fièvre immobilière, ceux de Lyon notamment, bouleversé par le préfet Vaïsse (cf. Kleinclausz (A.), Histoire de Lyon, t. III, p. 179-180, et surtout Leonard (Ch. M.), Lyon transformed – Public works of the Second Empire, Berkeley, 1961). Mais en ville, le gonflement de la main-d’œuvre du bâtiment et des travaux publics passe plus inaperçu que dans le plat-pays.
104 A.N., BB 30 378, proc. gal Grenoble, 31.1.1855 et F. 1 C. III, Ardèche, 8, Sous-préfet Vienne, 27.4.1854.
105 A.D.L., 10 M. 52, police, 26.10.1854.
106 A.N., BB. 18.1548 et 6313, proc. gal Lyon, 13.10.1853 ; BB. 30.378, id., Lyon, 5.8.1853 et 30.379, id. 18.12.1857 ; A.N., F. 1 C III, Drôme, 8, Sous-préfet Die, 25.3.1858 et id., Loire, 6, Sous-préfet Roanne, 5.1.1866 ; A.D.I., 52 M 36, Sous-préfet La Tour-du-Pin, 29.3.1858.
107 A.N., F 1 C III, Savoie, 1, préfet, 1.4.1867 et BB. 30.390, proc. gal Chambéry, 1.7.1870 ; A.D.S., 9 M II/4 préfet, 2.12.1861 et/5, Sous-préfet Albertville, 1.5.1877 ; A.D.S., 33 M. VI, divers, 1879-1889 ; A.D.H.S., 6 M, Affaires politiques, 1860-1862 et 15 M, Situations industrielles, rapports ingénieurs Ponts et Chaussées, 1878-1882.
108 Statistique de la France, 2e série, t. XIII, p. 76-83 et id., Résultats généraux du dénombrement de 1876..., p. XXXV ; on a écarté le recensement de 1851 qui met les Savoyards au nombre des étrangers.
109 En 1861, Italiens (2 829) et Suisses (2 585) représentent à eux seuls 29 et 27 % des 9 454 étrangers du Rhône ; dans la province savoyarde, leur part respective s’inscrit à 59 (2 206) et 31 % (1 161) du total (3 711) ; à Lyon même, les Allemands arrivent après, mais loin.
110 Les notations sont rares : en 1870 on juge à La Mure que les Piémontais sont « ... particulièrement habiles pour les percements du rocher... » (A.D.I., 166 M. 1, ingénieur, 24.2.1870) et, à Vizille, en 1872, que l’Italie est une « ...véritable pépinière d’ouvrières en soie » (A.N., C 3021, enquête parlementaire 1872, Peyron, industriel Vizille) ; à Allevard, ils auraient eu une réputation de forgerons (Faidutti-Rudolph, A.-M. ouvr. cit., t. 1, p. 242.
111 A.D.L., 92 M 10, préfet Loire, 5.6.1856.
112 A.N., C 3362, Enquête parlementaire... 1882, réponse usine carbonisation os Fontaines-sur-Saône ; A.D.H.S., 6 M, Affaires politiques..., 1860-1862, préfet, 22.10.1862.
113 A.N., C 3364, Enquête parlementaire..., 1882, Chambre syndicale ouvriers tailleurs pierre Lyon. De fait, en janvier 1884, aux chantiers de la nouvelle préfecture du Rhône, on expulse les Français au profit des Piémontais, « ... payés 0,30 franc de l’heure au lieu de 0,35 à 0,40, prix d’ordinaire exigé par les tâcherons français... » (A.N., F 12 4662, préfet Rhône, 4.1.1884).
114 A.N., BB 30 375, proc. gal Chambéry, 31.12.1863 et A.D.H.S., 15 M, Industrie et Commerce, s.d., ingénieur en chef P. et C., 10.1881 à 2.1882 : pendant l’hiver, la compression du personnel sur les chantiers hauts-savoyards porte sur la seule main-d’œuvre italienne, dont la part baisse de 42 à 25 %.
115 A.D.I., 166 M. 1, ingénieur Mines, 24.2.1870.
116 A.D.L., 92 M. 18, préfet, 14.4.1882.
117 A.D.D., 84 M. 1, police, 21.2.1884.
118 A.D.R., M. grèves, 1886-1888, police, 21.6.1886.
119 Cf. tableau no 13 ; Statistique générale de la France, Résultats statistiques du recensement général de la population... 1901, t. 1, p. 252 et suiv. ; les indices de 1906 ont été calculés de même manière.
120 Lebeau (R.), ouvr. cit., p. 441 et suiv. ; Bozon (P.), La vie rurale en Vivarais..., p. 88 et suiv., et Gilbert Garrier sur Les campagnes de l’ouest lyonnais ; il est bien évident que seuls quelques jalons peuvent être aperçus, dans un domaine qui suffisait à justifier un travail original.
121 A.N., C 3021, enquête parlementaire... 1872, entreprise Franc, Saint-Rambert et C. 3022, id., Chambre Commerce Aubenas.
122 A.N., C 948, Enquête... 1848, Ain, canton d'Izernore ; cf aussi, pour la région de Nantua, A.N., F 1 C III, Ain, 6, Sous-préfet, 31.12.1858.
123 Evoqué dans Lebeau (R.), ouvr. cit., p. 313.
124 Chatelain (A.). L’émigration temporaire des peigneurs de chanvre..., Etudes rhodaniennes, 1946, XXI, p. 170 et suiv., et Les migrations temporaires françaises au XIXe siècle, Annales de Démographie Historique, 1967, p. 18-19.
125 A.D. Ar, 15 M. 35, préfet, 7.9.1860 ; Boyer (A.), Les migrations saisonnières de la Cévenne vivaroise, R.C.A., 1934, XXII, p. 577 et suiv. ; Bozon (p.), ouv. cit., p. 139 et suiv.
126 A.D.I. 162 M. 1, Enquête... 1848, canton de Valbonnais et A.D.S., 9 M. 11/8, préfet Savoie, 28.10.1862. En Chablais en 1881, de Samoëns et de Taninges, on part chaque été travailler au bâtiment à Genève ; de Chamonix, Sallanches et Saint-Gervais, on va vers Lyon et Paris exercer divers métiers (A.D.H.S., 15 M, Situations industrielles, 1875-1881, Sous-préfet Bonneville, 5.4.1881).
127 Cf. tableau no 14 et carte no 23.
128 A.N., F 1 CIII, Ain, 6, Sous-préfet Nantua, 31.3.1859 et F. 12.4479 A, préfet, 14.9.1881.
129 A.D.H.S., 15 M, Enquête industrielle 1882 et Le château ouvrier de Faverges..., s.d., p. 17.
130 A.D.H.S., 15 M, Enquête industrielle... 1882 et Lovie (J.), La Savoie dans la vie française... p. 181-184.
131 Léon (P.), Crises et adaptations... d’Allevard, Cahiers d’Histoire, VIII, 1963, p. 154 et suiv.
132 Gras (L.-J.), Notices historiques..., ouvr. cit., p. 34 et suiv.
133 A.N., F 1 C III, Ain, 6... etc., cf. supra, note 118.
134 A.D.H.S., 15 M, Situations industrielles, 1861-1878 et 1875-1879 ; Barbier (V.), La Savoie industrielle... t. I, p. 308-314.
135 A.D.S., 33 M I/3, Sous-préfet Saint-Jean-Maurienne, 31.10.1884 et A.D.I., 52 M 42, préfet Isère, 8.1.1860 et 162 M. 3, Enquête parlementaire 1872, Sous-préfet La Tourdu-Pin, 17.11.1872.
136 La répartition est la suivante : 13 319 hommes, 4 761 femmes, et 730 « enfants » dont le sexe n’est pas précisé ; cf. Statistique de la France, 2e série, t. XIX, auquel on renvoie pour l’ensemble du paragraphe ; en 1871, la Chambre de Commerce de Tarare parie de 47 000 hommes et de 43 000 femmes et enfants (A.N., F. 12 4532, 1.3.1871).
137 Pour 1848, A.D.I., 162 M. 2, Enquête sur le travail... cantons de Vienne, qui compte 1 890 femmes pour 1 964 hommes et 750 enfants ; celle de 1860 indique 1 392 pour I 669 et 258.
138 Soit 12 440 femmes, 964 « enfants » et 10 406 hommes dans les 4 cantons stéphanois en 1848 (A.N., C 956, Enquête sur le travail..., Saint-Etienne) ; en 1849, il y aurait 12 800 femmes dans la passementerie sur un total de 25 100 : à titre de comparaison, quincaillerie et armurerie sont masculines aux neuf-dixièmes (A.D.L., 84 M 7, Maire Saint-Etienne, 20.10.1849).
139 A.N., C 3353, Enquête parlementaire ... 1882, et A.D.L. 90 M1, réponse de la Société de Secours mutuels des rubanniers.
140 A partir de récapitulatifs fort différents cependant : l’Enquête de 1860 compte 6 671 ouvriers occupés au tissage de soie, dont 5 425 femmes, et le préfet, en 1872, 9 200 pour un total de 11 400, y compris 1 550 « enfants » (A.D.L, 162, M. 3, 12.11.1872).
141 A.D.L, 162 M. 3, préfet, 1.X.1871, qui estime leur nombre à 12 828 pour 19 168 salariés dans les établissements industriels autres qu’artisanaux.
142 Soit 496 jeunes filles sur 1 315 femmes, pour un total de 1 698 (A.D.H.S., 15 M, Enquête industrielle..., 1882). A Faverges en 1881, on compte 550 femmes sur 610 salariés.
143 D’après l’enquête de 1860, la répartition de la main-d’œuvre dans les moulinages et les filatures de soie est la suivante :
Pour 1882, Ar, M. non cotée, enquête industrielle, 1882
144 A.D.I., 162 M. 3, préfet Isère, 12.11.1872 ; en 1860, on avait dénombré 1 270 coupeurs pour 10 255 couturières.
145 En 1872, il y aurait 2 femmes pour 5 ouvriers – 1 200 sur 3 000 – dans les 45 papeteries recensées en Dauphiné (A.D.I., 162 M. 3, préfet, 12.11.1872), et 1 209 pour 281 hommes et 52 « enfants » dans celles d’Annonay en 1866, où il y a « des travaux appropriés à tous les âges et à toutes les forces » (Albigny, P. d’, Les industries dans le département de l’Ardèche..., 1875, p. 23).
146 A.N., C 3021, enquête parlementaire..., 1872, réponse de Gourd et Croizat, industriels à Faverges.
147 A.N., F 1 C III, Ardèche, 11, préfet, 31.12.1858.
148 Ainsi, en 1878, on connaît la répartition par âges dans 4 usines de glaçage des fils pour la rubannerie, à Saint-Etienne : sur 133 ouvrières, 92 ont moins de 26 ans, dont 69 moins de 21 et 13 moins de 16 (A.D.L., 92 M 15, police, 11.8.1878).
149 Les ouvrières en soie, en Vivarais « ... ne sont pas occupées d’une manière continue. Quand l’industrie prospère le premier agriculteur venu, sa femme et ses filles entrent à l’atelier ; un ralentissement s’opère dans les commandes, le métier s’arrête et la famille retourne aux champs... » (A.N., F 1 C III, Ardèche, II, préfet, 31.12.1858) ; et en 1872, la Chambre de Commerce d’Aubenas décrit la désertion des ateliers au printemps et en été, où les ouvrières sont « ... utilisées chez leurs parents ou chez les étrangers par les travaux de la sériciculture... » ; pour la Drôme, cf. AN, F 12 2370, préfet, 22.6.1853.
150 A.D.S., 9 M 11/8, police Saint-Michel-de-Maurienne, 5.3.1872.
151 A.D.L., 92 M 10, Gendarmerie, s.d. (1856).
152 A.N., BB 30 379, proc. gal Lyon, 18.12.1857.
153 A.D.H.S., 6 M, Affaires politiques, 1860-1862, préfet, 22.10.1862.
154 A.N., BB 30 375, proc. gal Chambéry, 31.12.1867.
155 A.N., BB 30 390, id., 1.7.1870.
156 A.D.H.S., 15 M., Situat, industr., 1861-1878, ingénieur P. et C., 16.2.1878.
157 Faidutti (A.M.), ouvr. cit., t. I, p. 237.
158 A.D.S., 9 M. 11/5, Sous-préfet Albertville, 1.5.1877.
159 A.D.H.S., 15 M, Situat, industr., s.d. (1881), Sous-préfets Saint-Julien et Bonneville.
160 A.D.S., 33 M.I/7, préfet, s.d. (1881).
161 A.N., BB 18 1747. Parquet Lyon, 20.4.1867.
162 Ainsi en trouve-t-on, hors des mines de la Mateysine, aux carrières d’Argis en Bugey, en 1859 (A.N., F 1 C III Ain, 6, Sous-préfet Belley, 31.3.1859), aux plâtrières et ardoisières de Maurienne, en 1886, pour la moitié des effectifs (A.D.S., 33 M VI, Souspréfet Saint-Jean-de-Maurienne, 20.1.1887).
163 A.N., BB 30 378, proc. gal Grenoble, 31.1.1855 et F 1 C III, Isère, 7, Sous-préfet Vienne, 27.4.1854.
164 A.N., BB 30 379, proc. gal, Lyon, 18.12.1857.
165 A.D.I. 52 M. 36, Sous-préfet La Tour-du-Pin, 29.3.1858.
166 A.N., F 1 CIII, Loire, 6, Sous-préfet Roanne, 5.1.1866.
167 A.N., BB 30 378, proc. gal Grenoble, 28.10.1863.
168 Dumoulin (M.), En pays roannais..., p. 254.
169 A.D.R., 9 M, Situat, industr., an X-1865, préfet, 17.6.1858.
170 Cf. graphique no 26.
171 A.D.R., 9 M., Situat, industr., 1883-1884, préfet, 3e trimestre 1884.
172 A.N. BB 30 379, proc. gal Lyon, 22.10.1866.
173 A.N., C 956, Enquête... 1848, Cantons de Saint-Etienne, qui a dénombré 8 740 armuriers, alors qu’il n’y en aurait eu que 4 000 à 5 000, d’après Gras (L.-J.), Historique de l’armurerie stéphanoise..., p. 237.
174 Après un mouvement en sens inverse en 1855-1856 ; cf. A.N., BB 30 379, proc. gal Lyon, 16.10.1860, qui note « ... plus d’un ouvrier en soie songe à échanger sa profession contre celle d’armurier.. ».
175 A.D.L., 10 M. 60, police, s.d. (1867) et 10 M. 61, police, 24.1.1868 (« ... beaucoup d’ouvriers ayant abandonné leur métier au plus fort de la crise antérieure, il est difficile d’en trouver de disponibles, puisqu’ils sont employés dans d’autres industries... »).
176 A.N., BB 30 379, proc. gal Lyon, 22.10.1866, et F. 1 C III, Loire, 9, préfet, 31.5.1865 ; A.D.L., 10 M 48, police Saint-Héand, 4.7.1862.
177 A.N., C 3022, Enquête parlementaire... 1872, réponse Chollet et Cie, Saint-Etienne, et F 12 4511 B, Chambre Commerce Saint-Etienne, s.d. (1871).
178 A.N., F 12 4511 B, Documents parlementaires, juin 1885, p. 2893, où les commissaires remarquent : « ...D’après les dépositions que nous avons entendues, les ouvriers passementiers sont habitués à se livrer en temps de chômage à des travaux tout à fait étrangers à leur métier. La plupart sont capables d’être employés dans les ateliers et même dans les mines... »
179 L’idée souvent admise (et notamment par la S.I.M., 1865-1869, p. XVIII) sur la spécificité du métier de mineur (il ne s’improvise pas, et « ... les hommes qui n’ont point été habitués dès leur enfance aux travaux souterrains n’aiment point à descendre dans les puits... ») paraît difficilement soutenable, dans le bassin stéphanois du moins.
180 A.N., BB 30 379, proc. gal Lyon, 20.8.1850.
181 A.D.L., 92 M 15, Grèves, 1876-1879, police Firminy, 9.4.1871.
182 A.D.L., 92 M 11, préfet Loire, 18.7.1863. A noter que cet abstentionnisme saisonnier est déploré, dans le même temps, par les administrateurs de Carmaux, mais ils semblent se leurrer sur les Stéphanois, considérés comme « de vrais mineurs » (Cf. Trempé, R., Les mineurs de Carmaux..., t. I, p. 234) ; la situation ne semble guère avoir évolué, aux alentours de 1880, par rapport au début du XIXe qui a connu les mêmes problèmes (cf. Caulier-Mathy, La composition d’un prolétariat industriel, le cas de l’entreprise Cockerill, Revue d’Histoire de la Sidérurgie, IV, 1963, p. 210 et Hardach (G.), Les problèmes de la main-d’œuvre à Decazeville, id., VIII, 1967, p. 59 et suiv.).
183 A.N., C 3022, enq. parlement 1872, Chambre Commerce Saint-Chamond ; Vial J., L’industrialisation de la sidérurgie française..., t. I, p. 157, pense, à propos du Creusot notamment, qu’en matière sidérurgique, même la grande entreprise ne détruit pas le lien rural.
184 A.N., F 1 C III, Rhône, 5, préfet, 14.10.1869.
185 A.D., 162 M 3, Enquête... 1872, préfet, s.d., et 166 M 1, « La situation vraie des Compagnies des mines d’anthracite de La Motte d’Aveillans vis-à-vis de ses ouvriers », tract, 1870.
186 A.D.I., 162 M 3, Enquête,... 1872, préfet, s.d.
187 A.D.R., Grèves antérieures à 1879, préfet Rhône, 29.7.1875.
188 A.N. C 943, Enquête sur le travail... 1848, canton de Nantua ; A.D.I., 162 M 1, id..., Bourg d’Oisans et 162 M 2, id., La Verpillière.
189 A.N., C 3021, Enquête parlement... 1872, réponses Jacottet – Carpano, Cluses, et maison Favre Lydrel et Cie ; A.D.H.S., 15 M., Situat, industr. 1872-1874, Sous-préfet Bonneville, 4.1.1873 et 1874-1884, préfet, 22.8.1881.
190 A.N., C 3022, enquête parlement... 1872, Chambre Commerce Roanne ; cf. aussi Fohlen (C.), L’industrie textile au temps du Second Empire, p. 186 et suiv.
191 A.N., F 12 4511 B, préfet Loire, 16.6.1881.
192 Cf. supra, note 149.
193 Cf. tableau no 9.
194 Cf. tableau no 11.
195 Soit 521 093 agriculteurs (salariés et chefs d’exploitation ou propriétaires) sur une population masculine active de 1 019 695 en 1881, contre 479 871 sur 953 512 en 1866.
196 Duveau (G.), La vie ouvrière en France sous le Second Empire, p. 195 et suiv., a pu se demander, à la suite d’A. de Foville, si la population ouvrière n’avait pas diminué sous le Second Empire, limité à vrai dire aux années 1860-1871, donc à la « famine du coton » et aux reclassements qu’imposent les traités de commerce et la guerre franco-allemande.
197 Cf. tableau no 12 et graphique no 23.
198 Cf. tableau no 12 et graphique no 25.
199 Cf. tableau no 13 et graphique no 27 ; Bellon (M.A.), ouvr. cit., p. 6 à 9.
200 Cf. tableau no 13 et graphique no 26.
201 A.D.H.S., 15 M, police, 24.9.1888.
202 A.N., F 12.4511 B, préfet Loire, s.d. et A.D.L., 10 M. 102, police, avril 1894.
203 A.N., F 12.4479 A, préfet Ain, 14.9.1881 et C 3330, id., 7.11.1884.
204 Cf. tableau no 13.
205 Cf. graphique no 6. Les moyennes quinquennales révèlent à la fois la précocité de la tendance aux renvois, et leur accélération avec les difficultés de la production :
206 Cf. graphique no 9.
207 Cf. graphique no 12 ; Reynier (E.), Mines, métallurgie et voies ferrées de la région privadoise..., 1943, p. 45 et Bourdin (L.), Le Vivarais, essai de géographie régionale, 1898, p. 232 ; A.D. Ar, 15. M. 53, préfet, 4.9.1889.
208 La population « totale » est en effet de :
209 Aux enquêteurs de 1885, il déclare que « ... la ville se dépeuple avec une rapidité véritablement effrayante. Pendant ces deux dernières années, elle a perdu 25 000 habitants, et il est à craindre qu’il se produise une diminution égale pendant les 2 années prochaines... » (A.N., F. 12 4511 B, Documents Parlementaires, juin 1885, p. 2893).
210 Il s’agit, dans ce cas, de la seule « population municipale ». L’évolution est la suivante dans le bassin stéphanois :
et pour les autres centres industriels régionaux :
De 1876 à 1881, Romans avait gagné 1 997 habitants ; Annonay, 1 459 ; et Firminy, 1 774 ; Le Chambon, lui, a reculé de 1876 à 1881 et ne fait guère que regagner ses pertes.
211 En 1883, au moins 600 ouvriers en chaussures auraient quitté Romans (Bellon, M.A., ouvr. cit., p. 6 et suiv.
212 Cf. carte no 17.
213 De 1876 à 1881, la perte de main-d’œuvre masculine dans l’agriculture aurait été de – 9,11 %, pour 52 192 paysans de tous statuts.
214 Lebeau (R.) ouvr. cit., p. 411 et suiv., p. 418 et suiv. Bozon (P.), ouvr. cit., p. 88 et suiv. et p. 378-392 ; Barrai (P.), Le département de l’Isère sous la IIIe République..., p. 122 et suiv.
215 A.D.I., 162 M 3, enquête... 1872, préfet Isère, 12.11.1872 et A.D.H.S., 15 M, Situation industrielle arrondissement Bonneville, 1884.
216 Bozon (P.), ouvr. cit., p. 286-298, et p. 131 et 375 (cartes de la production de cocons) a montré, en Vivarais, la simultanéité des crises du mûrier et des pulsations migratoires.
217 Le recul se décompose, d’un recensement à l’autre :
218 Alors qu’en plus de temps – un quart de siècle – le recul relatif avait atteint tout juste 4,2 points de 1866 à 1891 (73,2 à 69 %).
219 Cf. carte no 18.
220 Soit, par arrondissement :
221 Cf. graphique no 4 ; par secteurs, le gain de la moyenne quinquennale 1909-1913 sur celle de 1879-1883 est de 198 % dans les mines et carrières, de 176 % dans la métallurgie et de 423 % dans le textile.
222 Sans prendre en compte les machines qui produisent de l’électricité thermique, inexistantes en 1879 ; si on les y incorpore, la part du textile tombe à 16,3 % en 1913.
223 Et comme on le note à diverses reprises, sur le court terme : dès 1876, à Vienne (A.N., F 12 4654, préfet Isère, 15-11-1876), en 1882 à la Manufacture d’armes de Saint-Etienne (A.D.L., 93 M 53, police 31.11.1882) et au aciéries de la Marine (A.D.L., 92 M 21, préfet, 5.1.1883), chez les horlogers de Cluses (A.D.H.S., Situat, industr., 1874-1884, préfet, janvier 1883). A la fin de 1891, deux mégissiers d’Annonay achètent des machines « ... qui leur permettraient de réduire des trois-quarts l’effectif de leur personnel... » (A.D. Ar, 141 M 1, Sous-préfet Tournon, 6.12.1891) à Roanne en 1894, l’introduction d’une machine à parer entraîne la mise à pied d’un grand nombre d’ouvriers chez Bréchard, et l’on craint sa généralisation (A.D.L 92 M 61, Sous-préfet, 8.12.1894) et chez les mégissiers grenoblois, les patrons font venir en 1906 des engins à dépoiler les peaux, dont chacun... « fera le travail de 12 ouvriers... » (A.D.I., 166 M 9, police, 24.4.1906).
224 Bellon (M.A.), ouvr. cit., p. 6 et suiv ; Lyon en 1906, t. I, p. 369.
225 A.N., F 7 12767 et A.D.A., M, non cotée, police, 19.1.1904, et Ministère du Commerce,..., Statistique des grèves... 1899, p. 481.
226 A.D.L., 54 M 10, police s.d. (1891) et 93 M 91, police, 27.4.1912 ; Gras (L.-J.), Notice historique sur la chapellerie de Chazelles, p. 85 et suiv.
227 Serret (G.), Chaux et ciments de Lafarge..., 1938, p. 17 et Bozon (P.), Histoire du peuple vivarais..., p. 219-220. La progression des effectifs est d’autant plus remarquable que les Pavin de Lafarge ont fait un effort considérable d’équipement et de modernisation ; cf. tableau no 13.
228 Cf. graphique no 9 et, outre la S. I.M., A.N., F 12 4511 B Situations industrielles, 1884-1885 et F. 7 12780, état des usines métallurgiques de gros œuvre en 1899 ; A.D.L., 10 M 102, police, avril 1894 ; Gras (L.-J), Histoire économique de la métallurgie de la Loire..., 1908, p. 222-229, p. 235-237, p. 328 et suiv., et 359 et suiv.
229 A.D.R., 9 M, Situat, industr. 1882 et Abeille (E.), Histoire de Givors..., 1912, p. 296-297.
230 A.D.L., 92 M 46, police, s.d. et 93 M 12, id., 16.6.1911.
231 A.N., F 12 4511 B et F. 7 12780 état des usines... 1899 ; A.D.L., 10 M. 102, police, avril 1894 et 14 M 11 id., 28.2.1911.
232 A.N., F. 7 12780, état des usines... 1899.
233 Léon (P.), art. cit., Cahiers d’Histoire, VIII, 1963, p. 154 ; alors que le nombre des mineurs atteint un maximum en 1894, d’après la pour baisser rapidement ensuite, de 383 à une cinquantaine dès les années 1900.
234 Outre la A.N., F. 7 12780, « relevé général des ouvriers des charbonnages, 1901 » et « enquête générale sur les effectifs » des mineurs de France... 1912 ; A.D. Ar, 477 M, police, 22.10.1901 et A.D.I., 166 M 10, préfet, 18.3.1912.
235 Cf. graphiques nos 19 et 20.
236 De 1886 à 1909, le mouvement de longue durée de l’extraction n’a augmenté que de 62,5 % ; avant 1866, au contraire, en gagnant 76,8 % sur 1851 et 3,8 % de plus par an, il était allé plus vite que celui de la main-d’œuvre.
237 Alors qu’en 1848 (A.D.I., 162 M 1, Enquête sur le travail..., canton de La Mure) et en 1860 (Statistique de la France, 2e série, t. XIX, p. 289), le travail féminin semble avoir été étranger au bassin.
238 Cf. graphiques nos 5 et 6.
239 Le mouvement comparé, par coupes quinquennales, des effectifs et de la production montre le retard régulier de la main-d’œuvre sur l’extraction, sauf entre 1891-1895, où se poursuit un certain rattrapage, et de 1901-1905, continue malgré une contraction momentanée des livraisons :
240 Ainsi, d’après la p. 242 et suiv., le bassin de la Loire est celui où les « manœuvres » tiennent la place la plus importante, puisqu’il y a, pour 100 ouvriers du « jour » et du « fond », 39 spécialistes à Alès, 45 à Blanzy, 48 à Carmaux, 53 à Valenciennes et 69 à La Mure ! Et que pour 100 piqueurs, on compte seulement 322 autres ouvriers dans le Gard, 316 à Blanzy, 242 dans le Pas-de-Calais, 182 dans le Nord et 170 à La Mure.
241 Dans les puits de la Compagnie de la Chazotte, notamment, qui a la concession du P.L.M. (A.D.L., 92 M 21, Ingénieur mines Saint-Etienne 3.10.1889).
242 Cf. graphique no 22.
243 D’après les relevés de la S.I.M., 1891-1913.
244 A.N., F 12 4476 E et F 7 12780, Etat des établissements métallurgiques de gros oeuvre en 1899 ; A.D. Ar, 141 M 1, Maire Privas, 14.10.1894 ; S.I.M., 1909-1913 ; Reynier (E.), Mines, métallurgie... dans la région privadoise..., 1943, p. 45 et suiv.
245 A.D.I., 166 M. 3, préfet Isère, 10.10.1895 et 166 M. 4, office du travail, s.d. (1895) ; Urbal (d’), L’industrie drapière de Vienne,... 1911, p. 238-239.
246 Un état très postérieur de la préfecture, en 1930, parle de 6 292 ouvriers pour l’ensemble de la laine viennoise à la veille de 1914 (A.D.I., 166 M 3, préfet Isère, s.d.).
247 A.D.L., 10 M 102, police, avril 1894, 92 M 50, Commiss. spéc. Saint-Etienne, 19.10.1913 et 92 M 52, police, 24.3.1894 ; Gras (L.-J.), Histoire des eaux minérales du Forez.... 1923, p. 137-142, p. 196, p. 203-207 et p. 220 ; Pelletier (P.), Les verriers dans le Lyonnais et dans le Forez..., 1887, p. 217.
248 A.N., F. 7 12531, police, 24.4.1906 et Abeille (E.), ouvr. cit., p. 292.
249 A.N., F. 7 12531, police, 24.4.1906 et A.D.R., 9 M, Situations industrielles, 1889 ; Ministère du Commerce, Evaluation de la production..., 1912, ouvr. cit., t. 1, p. 328-329 et Pelletier (P.), ouvr. cit., p. 246 et suiv.
250 A.D. Ar, 15 M 43, Sous-préfet Tournon, 24.2.1894 ; Joanne (A.), ouvr. cit., 1881, p. 46 et Reynier (E.), L’organisation syndicale dans l’Ardèche, 1913, p. 5 et suiv.
251 A.D.I., 162 M. 4, Situation... industrielle du 1er semestre 1894, et Lyon en 1906, ouvr. cit., t. 2, p. 369.
252 Id., et Cote (L.) L’industrie gantière à Grenoble..., 1902, p. 49. L’estimation rétrospective de Du Vabre (G.), Le développement industriel de la région grenobloise..., R.G.A., 1919, p. 134 semble nettement exagérée : 23 000 personnes, dont 2 800 en usines ; en effet, la production correspondante qu’il indique (800 000 douzaines de gants) n’est pas supérieure à celle donnée par Lyon en 1906, t. II, p. 369, pour 1902, malgré le développement des moyens mécaniques intervenus entre les deux dates.
253 A.D.H.S., 11 M, Grèves 1904, préfet, s.d. ; id., grèves, 1907-1909, préfet, mai 1907 et Sous-préfet Bonneville, 20.12.1908 ; Méjean (P.), Le bassin de Bonneville, R.G.A. XVI, 1928, p. 120 et suiv. ; Guichonnet (P.), art. cit., Le Globe, 1961, p. 33-34.
254 A.D.L., 92 M 16, Maire Chambon-Feugerolles, 22.1.1889 et 92 M 26, gendarmerie, 1.6.1889 ; A.D.L., 10 M 1500, police, 16.12.1912.
255 A.D.L., 10 M 102, police, 10.4.1894, et Gras (L.-J.), Histoire de la rubannerie..., 1906, p. 738 ; en 1895, le lacet compte 4 404 ouvriers et ouvrières, dont 2 544 à Saint-Chamond et 1 445 à Izieux.
256 A.D.L., 92 M 89, police, 2.12.1899, 92 M 94, préfet, 28.4.1900, et 92 M 106, id., 15.1.1902 ; hors des ateliers familiaux, il y a 2 000 ouvriers dans les usines de tissage ou de teinture.
257 A.D. Ar, 141 M 1, préfet, 12.9.1898 et M 478, gendarmerie, 18.4.1902 ; Reynier (E.), L’organisation syndicale..., ouvr. cit., p. 11 et Bozon (P.), Histoire du peuple vivarais..., p. 440.
258 Le château ouvrier de Faverges..., s.d. (1911), p. 14.
259 A.D.I., 166 M 3, préfet, 9.1.1895.
260 Chambre des Députés, Rapports, session de 1904, P.V. de la Commission chargée de procéder à une enquête sur l’état de l’industrie textile..., 1906, t. III, p. 39.
261 Soit, par département, la répartition suivante :
262 Cf. supra, chap. 11, pour les éléments du calcul.
263 A.D.L., 10 M 85, police, 22.4.1889, et 92 M 75, police, 1.9.1897 ; Dumoulin (M.), ouvr. cit., p. 260-262 et Déchelette (Ch.), L’Industrie cotonnière à Roanne, 1910, p. 50-51.
264 Chambre des Députés, session 1904, Rapports..., ouvr. cit., t. III, réponses Union des industries cotonnières de Roanne..., p. 347, de l’Union syndicale de l’industrie textile..., p. 365 et du Conseil des Prudhommes de Roanne, p. 375.
265 Id., réponse du juge de paix d’Amplepuis.
266 Id., p. 225, Chambre Syndicale des tisseurs et similaires Bourg-de-Thizy et p. 228, Conseil des Prudhommes de Thizy.
267 Cf. Forrester (R.B.), The cotton industry in France, 1921, p. 20 et suiv. Les recensements professionnels donnent les effectifs suivants (en 1906, on s’est contenté du total, car la distinction n’est pas faite d’avec les patrons et entre les sexes : le léger recul en est d’autant plus intéressant).
268 Pour Romans, il paraît cependant logique de prendre aussi en compte Bourg de Péage ; dès lors, en vingt ans, l’agglomération passe de 19 250 à 20 985 habitants, et augmente donc de 9 %.
269 Cf. tableau no 9.
270 L’essentiel de l’accroissement semble acquis entre 1896 et 1901, où les nombres sont supérieurs à ceux de 1906 ; après, il y a en 5 ans un léger fléchissement de 1,7 % dans l’industrie, de 1,4 % pour l’ensemble de l’emploi secondaire et tertiaire.
271 Cf. carte no 17.
272 Cf. carte no 18.
273 Annonay, Montélimar, Romans et Chazelles, passées de 48 330 habitants en 1886 à 49 423 en 1911.
274 Charlieu, Amplepuis, Tarare, Cours, Voiron, Bourgoin, Vienne, Aubenas et Privas (1886 : 86 181 habitants ; 1911 : 83 605).
275 Firminy, La Ricamarie, Rive-de-Gier, Izieux, Saint-Chamond, Saint-Julien-en-Jarez, Terrenoire, Le Chambon-Feugerolles, Givors (de 87 075 à 103 076).
276 Aix-les-Bains, Chambéry, Annecy, Thonon, Bourg, Valence, Crest, Panissières, Montbrison et Villefranche (de 107 822 à 128 143 habitants).
277 Grenoble (de 46 407 à 67 513), Roanne, Saint-Etienne et l’ensemble Lyon, Villeurbanne, Caluire, Oullins (de 407 883 à 565 633) ; l’ensemble est passé de 597 126 à 810 513 en un quart de siècle.
278 Cf. tableau no 11.
279 A.D.L., 10 M 114, police, 25.12.1896 ; l’échange s’était encore produit en 1890 avec l’armurerie (Arbogast, M., L’industrie des armes à Saint-Etienne..., 1937, p. 82).
280 A.D. Ar, 141 M 1, ingénieur mines Alais, 9.6.1890 et A.D. Ar, 477 M, police, 29.4.1901.
281 A.N., F. 12 12779, police, s.d. (1901).
282 A.D.S., 33 M VI/4, police, 8.7.1906.
283 A.D.H.S., 11 M, grève, divers, gendarmerie, 22.6.1911 et L'Industriel savoisien, 20.6.1908.
284 A.D.H.S., 11 M, grèves, 1904-1906, Commiss. spéc. Annemasse, 27.7.1904, et grèves 1907-1909, id., 20.6.1907, et préfet, mai 1907.
285 A.D.I., 166 M 7, préfet Isère, 16.1.1904.
286 A.D.S., 33 M VI/3, préfet Savoie, 24.8.1904.
287 A.D.S., 33 M VI/3, police Albertville, 7.3.1899.
288 A.N., F. 7 12734, commiss. spéc. Moûtiers, 7.10.1901.
289 A.D.H.S., 11 M, grèves 1904-1906, préfet, s.d. (1905).
290 A.D.S., 33 M VI/5, gendarmerie, 8.8.1911 et Sous-préfet Albertville, 15.5.1914.
291 On fait venir des Italiens pour briser la grève à l’usine de toiles métalliques de La Bridoire, en Savoie en 1889 et à l’usine de carbure de calcium de La Bathie en 1899 (A.D.S., 33 M VI, police, s.d. (1889) et préfet Savoie, 10.3.1899), aux carrières dauphinoises de Bouvesse-Quirieu en avril (A.D.I., 166 M 3, Sous-préfet La Tour-du-Pin, 18.4.1892) et au tissage Giraud, de Roanne, en juin 1892 (A.D.L., 92 M 43, Sous-préfet Roanne, 30.6.1892), aux verreries de Rive-de-Gier en 1894, etc.
292 A.D.L. 92 M 50, police Rive-de-Gier, 7.10.1893.
293 A.D.R., M, non cotée, Dénombrement de 1891, Etat numérique des étrangers ; à noter, en Savoie, la place des cordonniers : on les retrouvera (A.D.S., 93 M VI/4, police, 8.4.1908).
294 En 1904, on en compte 240 sur 500 ouvriers occupés aux 22 chantiers d’Aix-les-Bains (A.D.S., 33 M VI/3, police, 13.2.1904), mais l’emploi est à peu près exclusif dans les grandes entreprises (A.D.S., 33 M VI/3, police, 28.6.1898) comme Grosse, qui compte, en 1914, 155 Italiens, tous de Bologne, où on va les chercher, sur 165 ouvriers (A.D.S., 33 M VI/5, préfet, 14.5.1914) ; cf. aussi A.D.H.S., 11 M, grèves diverses, gendarmerie, 16.1.1913).
295 A.D.S., 33 M VI/3, préfet, 2.3.1899 et 10.5.1901.
296 A.D.H.S., 11 M, grèves 1907-1909, Sous-préfet Bonneville, s.d. (1907).
297 A.D.S., 33 M VI/5, préfet, 15.4.1909.
298 A.D.S., 33 M VI/4, préfet, s.d. (1908).
299 A.D.S., 33 M VI/3, Sous-préfet Saint-Jean-de-Maurienne, 12.10.1894.
300 A.D.L, 166 M 5, préfet, 20.7.1900.
301 A.D.S., 33 M VI/4, Sous-préfet Moütiers, 30.4.1907.
302 A.D.H.S., 11 M, grèves, 1907-1909, police, 16.1.1907.
303 A.N., F. 7.12734 et A.D.S., 33 M VI/4, gendarmerie, 7.4.1908.
304 A.D.FI.S., 11 M, grèves, s.d., gendarmerie, 24.4.1912.
305 Faidutti-Rudolph (A.-M.), ouvr. cit., t. I, p. 237.
306 Comme le note Didion (M.), Les salariés étrangers en France..., 1911. p. 16 : « Ils se livrent en France aux travaux trop durs ou trop grossiers qui ne sont plus exécutés par des Français... ».
307 Boissieu (De), Une pépinière d’émigration vers les villes.... Soc. Eco. Po. Lyon, C.R. travaux, 1903-1904, p. 191.
308 La présence de spécialistes est très exceptionnellement notée, comme celle de pareurs suisses dans le coton roannais en 1892 (A.D.L., 92 M 43, Sous-préfet Roanne, 30.6.1892) et de contremaîtres saxons l’année suivante (A.D.L., 14 M 7, police, 2.5.1893) ; à Lyon, dans la brasserie travaille un important contingent germanique (A.D.R., M, Grèves, 1896, police, 9.4.1896) et la naissance des industries électrotechniques des Alpes attire des techniciens helvétiques, allemands et anglais (Morsel, H., Les industries électrotechniques des Alpes françaises du Nord, de 1869 à 1921, in L’industrialisation en Europe au XIXe siècle..., 1973, p. 578).
309 Faidutti (A.-M.), ouvr. cit., t. I, p. 237.
310 A.D.I., 166 M 3, police, 5.12.1911 et Letonnelier (G.), Les étrangers dans le département de l’Isère, R.G.A., XVI, 1928, p. 697-743.
311 A.D.S., 33 M VI/3, préfet, 30.9.1901.
312 A.D.S., 33 M V/5, Sous-préfet Albertville, 12.8.1911.
313 A.D.I., 52 M 87, Sous-préfet Vienne, 5.6.1909.
314 Selon l’expression de Morsel (H.), art.cit.. L'industrialisation en Europe au XIXe siècle..., p. 577.
315 A.D.S., 33 M VI/3, police, 7.9.1904 et A.D.H.S., 11 M, grèves 1904-1906. Commiss. spéc. Cluses, 18.9.1904 et préfet, 6.6.1906.
316 A.D.H.S. 11 M, grèves, 1904-1906, préfet, s.d. (1905).
317 A.D.S., 33 M VI/4, gendarmerie, 10.2.1906.
318 A.D.S., 33 M VI/5, gendarmerie, 19.8.1911.
319 A.N., F 7.12734, Commiss. spéc. Albertville, 7.4.1908. D’après Letonnelier (G.), art. cit., R.G.A., 1928, p. 727 et suiv., la colonie étrangère augmente très vite, de 1891 à 1911, à Livet et Gavet, Villard-Bonnol, Voiron, etc.
320 A.D.I. 166 M 6, Sous-préfet Vienne, 12.5.1905.
321 A.D.S., M 370, Dénombrement de 1891, Etrangers.
322 A.D.S., 33 M 61, police, 23.4.1906 ; A.D.L, 166 M 4, police, s.d. (1878) ; A.D.L, 166 M 5, préfet, s.d. (1900) qui signale des tisseuses italiennes chez Permezel. à Voiron, et A.D.R., 10 M, Grèves, 1913-1914, police, 20.6.1913, sur la main-d'œuvre étrangère aux teintureries Gillet ; Trenard (L. et G.), Le Bas Bugey.... 1951, p. 321, comptent 600 Italiens en 1900 aux 2 cimenteries de Virieu.
323 A.D.L., 10 M 97, Ingénieur Mines, 28.2.1900.
324 A.D.L., 14 M 11, préfet, 6.9.1911.
325 A.D.L., 92 M 53, Etat des ouvriers de la verrerie Richarme, 1895.
326 Le Progrès, 10.6. 1890.
327 Archives de la verrerie B.S.N., Givors, Livrets d’embauche, 1900-1913.
328 Perrin (M.), ouvr. cit., p. 381, et Bonnet (J.-Ch.), Histoire de la main-d'œuvre étrangère dans l’agglomération industrielle stéphanoise. D.E.S., Lyon, 1960, p. 18.
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