La naissance de la presse périodique locale à Lyon
Les Affiches de Lyon, Annonces et avis Divers*
p. 61-80
Texte intégral
1La presse sous l’Ancien Régime est un phénomène resté longtemps méconnu et négligé On s’accordait pour ne témoigner un intérêt à la presse qu’à partir de la période révolutionnaire. Récemment les études sur la presse aux XVIIe et XVIIIe siècles se sont développées, apportant un éclairage nouveau et parfois inattendu à l’histoire des idées. Ces travaux portèrent essentiellement sur des périodiques d'intérêt national, le plus souvent parisiens. La presse locale est encore peu connue. C’est son apparition que nous avons voulu étudier en choisissant l’exemple de Lyon pour plusieurs raisons : pour sa situation de seconde ville du royaume, afin d’avoir accès aux documents, et parce que Lyon fut la première ville de province à se doter d’une presse locale.
2Les Affiches de Lyon, annonces et avis divers constituent le premier périodique local lyonnais. L’absence d’intérêt pour cette presse se manifeste dans l’état des collections : des deux collections de la Bibliothèque Municipale de Lyon, la plus complète se limite aux années 1750, 1759 - 1772 et An III - An VII. La Bibliothèque Nationale possède une collection qui comporte également des lacunes. Ce sont les seules collections existantes, à notre connaissance. Les Archives Départementales et Municipales n’en ont pas gardé de trace.
3Les Affiches de Lyon présentent deux caractères qui ont éveillé notre intérêt : d’une part, leur similitude avec le premier périodique français, la Gazette de Théophraste Renaudot - l’origine en fut également l’établissement d’un Bureau d’avis et d’adresse, et c’est en partant de cette fonction utilitaire que la presse parisienne s’est développée d’autre part, le caractère peu littéraire de cette feuille, par comparaison avec les principaux journaux de l’époque, comme le Mercure. Il nous a semblé que cette feuille pouvait mieux refléter les préoccupations quotidiennes des Lyonnais au XVIIIè siècle, et qu'à travers elle, pouvait se dégager l’image d’une société qui ne serait pas limitée à l’élite intellectuelle.
I - SITUATION DE LA PRESSE AU MILIEU DU XVIIIè SIECLE
1 - La presse parisienne et les réimpressions en province
4Dans la première moitié du XVIIIè siècle, la presse parisienne jouit d’une situation très favorable à l’intérieur des limites du pays. Un privilège accordé par le pouvoir royal réserve, par exemple, la diffusion des nouvelles politiques à la Gazette de France. En général, l’autorisation de faire paraître une nouvelle feuille devait s’accompagner de l’obligation de verser au titulaire du privilège une redevance destinée à le dédommager du préjudice que risquait de lui causer cette création.
5Cette situation comporte cependant des atténuations : ce sont les cessions de privilèges, l’introduction en France de gazettes étrangères, et les contrefaçons. Les propriétaires de privilèges pouvaient, en effet, céder à des libraires de province l’autorisation de reproduire leur feuille, en y ajoutant éventuellement des nouvelles locales. La Gazette de France a ainsi été réimprimée à Lyon par Antoine Jullieron et Valfray et le Mercure par Amaulry au XVIIè siècle.
6L’introduction de gazettes étrangères en langue française était également réglementée, mais il semble que dans la pratique elle fut relativement aisée. Leur diffusion devait être assez importante au début du siècle pour que les autorités prennent des mesures à leur encontre. Une ordonnance est prise à Lyon le 11 juillet 1702, en ces termes : « Savoir faisons que sur ce qui nous a été remontré par le Procureur du Roi de ladite juridiction qu’il a été informé que quelques particuliers débitent dans cette ville des gazettes d’Angleterre, d’Hollande, de Genève, et de Berne (...) avons fait très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de (les) débiter, vendre ou donner à lire publiquement.. »1.
7En 1708, un jugement condamne le nommé Pascal « atteint et convaincu d’avoir contrevenu en récidive à (l’)ordonnance du 11 juillet 1702 en continuant à distribuer en cette ville et ailleurs les gazettes étrangères (...) au bannissement pendant trois années de la ville et fauxbourgs de Lyon... ». (1) Un autre texte de 1721 témoigne de l’inefficacité de cette législation.
8Il semble que ces gazettes aient eu un succès important à Lyon au milieu du siècle, si l’on en croit Aimé Delaroche : « Les gazettes d’Amsterdam, d’Utrecht, de Leyde, de La Haye, de Bruxelles, de Cologne et de Berne sont si connues et depuis si longtemps qu’on croit pouvoir se dispenser de s’étendre sur leur utilité. »2. Leur impression était interdite en France, mais il était possible de les recevoir par l’intermédiaire du Bureau des gazettes étrangères à Paris, et dans des bureaux établis dans les principales villes de province. La presse parisienne dut admettre cette atteinte de fait à son monopole.
9Enfin les contrefaçons de périodiques, interdites par le droit, parvenaient également en France. C’est ainsi qu’en Avignon la Gazette d’Amsterdam fut réimprimée et diffusée en France à partir du début du XVIIIè siècle. Mais en 1750 ce procédé fut formellement interdit.
10On peut donc dire qu’à part les exceptions mentionnées ci-dessus, la presse française du XVIIIè siècle est une presse essentiellement parisienne, à l’égard de laquelle la concurrence est très limitée grâce au système du privilège. C’est par rapport à cette situation très centralisée que prend son sens la création d’une presse locale en province et que peuvent s’expliquer certains de ses caractères.
2 - L’apparition d’une presse périodique locale en province
11Dans la plupart des grandes villes de province ont été créées, entre 1750 et la Révolution, des Affiches : C’est par cette forme de périodiques que débute la presse provinciale. Les Affiches de Lyon ouvrent en 1750 une liste fort longue, suivies par les Affiches de Toulouse en 1759, celles de Normandie, de Nantes, de Bordeaux en 1762. On en créera ainsi jusqu’à la veille de la Révolution, par exemple à Saintes en 1786. Certaines de ces Affiches ont fait l’objet d’études particulières.3
3 - La création des Affiches de Lyon
A - Historique et présentation
12Une première tentative de création d’un « Bureau d’avis et d’adresse » eut lieu en 1740. Elle était l’initiative des sieurs Renard et Minazio. Un extrait du registre du Conseil d’Etat du Roi en témoigne : « Sur la requête présentée au Roi en son Conseil par les sieurs Renard et Minazio contenant que dans les principales villes d’Allemagne, d’Angleterre, d’Hollande et d’autres pays étrangers on a établi sous l’autorité des magistrats des Bureaux d’avis ou d’adresse pour que le public puisse avoir avec facilité toutes les connaissances qui lui sont nécessaires sur une infinité de choses qui intéressent le commerce et la société civile, que les suppliants qui connaissent l’utilité de pareils établissements ont projeté d’en former un de la même nature dans la ville de Lyon (...) les Prévôts des Marchands et des Echevins ont donné le 1er octobre 1740 un avis où ils disent que l’Etablissement dont il s’agit ne contenant rien qui gêne la liberté publique (...), ils consentent à leur égard à cet établissement (...). Le Roi en son Conseil a permis et permet auxdits Renard et Minazio d’établir dans ladite ville de Lyon un Bureau d’adresse.. »4
13C’est ainsi qu’Aimé Delaroche imprime le 5 janvier 1742 une Instruction au public sur l’établissement d’un bureau d’avis ou d’adresse. A l’établissement de ce bureau devait être liée l’impression d’une feuille du bureau d’avis, dont on trouve la mention dans un article du Glaneur du 15 janvier 1744 et dans l’Almanach de Lyon. La publication de cette feuille se serait poursuivie jusqu’à la fin de l’année 1744, et le Bureau d’avis et d’adresse aurait cessé son activité au début de l’année 17455. Ce bureau était situé « rue et place de l’herberie, dans la maison de M. Carra », selon l’Instruction au public...
14Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’Aimé Delaroche relança l’entreprise La permission d’imprimer fut accordée par Delafrasse de Seynas, le 30 novembre 1749 en vertu de « l’arrêt du 29 août 1741 portant permission pour l’établissement du Bureau d’avis et d’adresse et la cession des propriétaires dudit privilège à Sr Aymé Delaroche ». Le premier numéro des Affiches de Lyon put ainsi être imprimé le 6 janvier 1750, et non en 1748 comme on le croit parfois. Après Aimé Delaroche, ce seront les imprimeurs Ballanche et Barret qui reprendront leur publication en l’An III.
15Au début de leur publication, les Affiches de Lyon comportent huit pages d’un format exceptionnel, de 9,5 cm sur 24,5 cm. Mais quelques années plus tard, elles adoptent le format in-4°. Leur nombre de pages se limitera en général à quatre, excepté autour de l’année 1765, où il sera souvent doublé. Leur parution est hebdomadaire. Quelques suppléments sont parfois imprimés la même semaine, lorsque l’édition normale n’a pu suffire à l’impression de toutes les annonces, ou bien en raison d’une communication particulière : annonce d’un sujet de concours à une académie, avis d’adjudication pour l’Hôpital Général de Lyon, avis de souscription pour les ouvriers de la Fabrique, etc.
16Leur prix était de 6 sols en 1750 ; on pouvait également s’abonner pour l’année, pour une somme de 9 livres.
B - Aimé Delaroche
17Il fut un des imprimeurs lyonnais les plus importants de cette époque : Reçu imprimeur - libraire en 1736, il exerça son activité jusqu’en 1793. Il entra à la Chambre des syndics en 1738 et fut adjoint de 1743 à 1748, et de 1766 à 1768. Son imprimerie était située aux Halles de Grenette, et il possédait en outre une boutique de libraire, rue Mercière. L’enseigne en était en 1742 « à l’occasion », mais plus ambitieux sans doute quelques années plus tard, il la remplacera par une autre : « A la boule du Monde ».
18Aimé Delaroche portait le titre d’imprimeur du Gouvernement et de l’hôtel de ville. A ce titre, il imprima les actes officiels du Consulat, de l'Archevêché, du Gouvernement et de l’Académie : Sa position était donc très officielle, et cela ne manque pas de se ressentir dans le contenu des Affiches. La direction du Bureau d’avis et la publication des Affiches de Lyon le placèrent au centre du réseau des libraires et imprimeurs - libraires lyonnais dont il annonça chaque semaine les nouveautés.
19Il imprima à partir de l’année 1740 l’Almanach astronomique et historique de la ville de Lyon, et se servit des Affiches pour recueillir les renseignements nécessaires à son impression : chaque année, au cours du dernier semestre, il demande au public de lui faire parvenir ces informations, et proteste souvent contre le peu de zèle des Lyonnais.
20Son intérêt pour la ville de Lyon se marqua par l’impression de l’état mensuel des baptêmes, mariages et décès à la fin des Affiches durant les années 1761 - 1765. Il imprima aussi, en 1768, l’État des baptêmes, des mariages, et des mortuaires de la ville et des fauxbourgs de Lyon pour les années 1766 et 1767, dans lequel il souligne l’intérêt des statistiques démographiques. Dans le même ordre d’idées, il conçut au début de l’année 1765 le projet d’un Dictionnaire topographique pour lequel il avait lancé des « circulaires » auprès des propriétaires de la région et de la ville. La parution en était annoncée pour le mois d’avril, mais cet ouvrage ne put être réalisé faute de réponse.
21Ces deux exemples traduisent l’intérêt d’Aimé Delaroche pour tout ce qui concerne sa ville, intérêt qu’il exprime chaque fois qu’il le peut dans les analyses d’ouvrages traitant de l’histoire de Lyon.
22La publication des Affiches de Lyon s’inscrit dans le même ordre de préoccupations. Dans le premier numéro de chaque année, il fait part à ses lecteurs de ses objectifs, du peu de succès que rencontre sa feuille dans les débuts, de sa reconnaissance envers son public. Il semble en effet que les Affiches de Lyon aient connu des débuts difficiles sur lesquels Aimé Delaroche ne s’exprime ouvertement qu'en 1768, lorsque leur succès est acquis : « A présent que l’on connaît toute l'utilité d’un établissement que nous avons soutenu malgré les dégoûts des commencements et le peu de bénéfice que nous en avons eu d’abord, nous avons souvent plus de matière qu’il ne faut pour remplir les quatre pages destinées à cette feuille. » A la fin de la même année, il avoue que « les premières années (...) furent infructueuses ; (qu'il) essuy(a) des déboires, des mortifications même et (qu’il) a fallu beaucoup de courage pour soutenir cette entreprise. »
23Tout ceci marque un souci du bien public, une volonté d’être utile se donnant souvent pour une forme d’apostolat, dont l’expression fait écho à certains articles de l'Encyclopédie, et qui traduisent une évolution de la sensibilité et de la morale qui ne se limita pas aux milieux encyclopédiques.
II - LES AFFICHES DE LYON ET LA SOCIETE LYONNAISE
1 - Fonction économique
24Les Affiches de Lyon, se différenciant en cela des journaux parisiens, ont une fonction essentiellement économique. Les appels répétés d’Aimé Delaroche invitant les « littérateurs » et « amateurs des arts » à lui communiquer leurs productions, ne semblent pas avoir été suivis d’effet. Aussi s’excuse-t-il souvent de l’aridité de sa feuille, mais pour lui leur utilité suffit à les rendre nécessaires : « Nos feuilles ne sont pas toujours aussi amusantes que nous le souhaiterions, mais nous sacrifions volontiers la satisfaction de les donner jolies et l’intérêt même qui nous en reviendrait au plaisir de les rendre nécessaires. L’utile doit toujours l’emporter sur l’agréable... »6.
25Il s’agit pour lui, en imprimant ces annonces, de faciliter les échanges commerciaux de toute sorte et de permettre aux offres et demandes d’emploi d’être satisfaites.
26Dans cette seconde moitié du XVIIIè siècle, Lyon devient une grande ville commerciale et industrielle. La diffusion de cette presse locale participe à ce développement qui s’accentuera au XIXè siècle.
27Les annonces contenues dans les Affiches de Lyon concernent des biens très variés. Les premières rubriques, regroupant les propriétés foncières sont parmi les plus stables. Les offres concernent souvent des biens de valeur, comme les fonds de commerce. Elles portent aussi sur des biens de moindre importance, mais qui témoignent de la vie quotidienne.
28Le second pôle de cette fonction économique des Affiches est constitué par les offres et demandes d’emploi. La seconde moitié du XVIIIè siècle se caractérise par une accélération des migrations vers Lyon. Le développement des activités urbaines nécessite l’apport d’une main d’œuvre extérieure à la ville. Les Affiches contiennent surtout des demandes et offres d’emploi de domestique, mais aussi de gouvernante et de précepteur.
29Les annonces constituent enfin une forme de publicité, par exemple pour les médecins qui, souvent extérieurs à la ville, annoncent leurs produits, ou pour les libraires.
30La fonction économique des Affiches est donc variée. En l’absence d’autre forme d’information en ce domaine, elles ont constitué, à notre sens, un facteur essentiel de développement économique et commercial.
2 - Le public des Affiches de Lyon : annonceurs et lecteurs
31On peut supposer que les lecteurs des Affiches se recrutent parmi un public plus large que celui des autres journaux de l’époque, en raison de son caractère pratique. Si les annonces s’adressent le plus souvent à des membres de la bourgeoisie, si les articles et comptes rendus de livres intéressent essentiellement cette même catégorie sociale, il n’en demeure pas moins que, directement ou non, elles touchent des catégories sociales beaucoup plus modestes. Elles ont constitué par là un facteur de communication entre classes sociales et de participation à la vie locale, et ont certainement favorisé de manière indirecte l’accès de nouvelles catégories sociales à la lecture de la presse.
3 - Informations sur quelques milieux lyonnais particuliers
32S’il est difficile de dégager des Affiches de Lyon une image globale de la société lyonnaise, on peut néanmoins y découvrir des informations intéressant certains milieux : médecins, membres d’académies, enseignants, artistes.
A - Les médecins
33Les Affiches ont souvent constitué pour les médecins ce que nous appellerions aujourd’hui un support publicitaire. La situation particuliaire de Lyon explique en partie ceci : ne disposant pas d’université, Lyon et sa région sont dans la nécessité de faire appel à des praticiens formés à l’extérieur de la ville, en particulier à Montpellier : Ceux-ci et plus encore les médecins étrangers effectuant des séjours à Lyon, utilisent les Affiches pour prévenir la population de leur arrivée, des maladies qu’ils soignent et des méthodes utilisées.
34Ces annonces nous offrent une image vivante des maladies qui préoccupaient les Lyonnais à cette époque : Il est intéressant, par exemple, de noter, à côté d’annonces portant sur des maladies traditionnelles telles que goitres, cancers, hernies, maladies vénériennes, l’importance accordée dans les années 1760 aux opérations de la cataracte, liée à des considérations sur la vision et l’origine des connaissances.
35L’intérêt du public pour la médecine se développa, en effet, à partir des années 1750 : les annonces plus fréquentes d’ouvrages de médecine par les libraires en portent témoignage, mais aussi, vers 1760, l’organisation de cours publics d’anatomie, qui seront suivis en 1765 et 1766 de cours de chimie et d’hygiène. Ces cours publics étaient donnés par des médecins de Montpellier.
36Les séances publiques de l’Ecole Royale Vétérinaire connurent aussi un succès important, non seulement en raison des applications pratiques dans le traitement des épizooties, mais surtout, semble-t-il, par un goût du public, se révélant de façon assez soudaine, pour la connaissance scientifique expérimentale.
37Le tableau de la médecine à Lyon à travers les Affiches serait incomplet si nous ne mentionnions l’Hôpital Général. Celui-ci utilisa en 1761 les Affiches pour faire connaître son activité. Il fit paraître un avis d’adjudication appelant les Lyonnais à lui soumettre des plans pour l’organisation du travail de ses occupants.
38On voit par ces exemples que les Affiches de Lyon ont joué un rôle non négligeable dans la diffusion de l’information médicale, et dans l'intérêt croissant qui se fait jour pour la médecine.
B - Les académies
39Les Lyonnais étaient également informés par les Affiches des travaux des académies et sociétés qui se sont multipliées en province dans la seconde moitié du siècle. Outre l’Ecole vétérinaire que nous avons citée et que la publicité donnée à ses travaux rapproche des académies, il faut mentionner la Société Royale d'Agriculture dont la création en 1761 est relatée dans les Affiches.
40Mais c’est surtout aux travaux de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts, née en 1759 de la réunion de l’Académie des Sciences et Belles-Lettres et de celle des Beaux-Arts, que les Affiches de Lyon accordent leur attention. Les séances publiques y sont annoncées à l’avance, et un compte rendu en est donné. Si les membres de ces académies sont en nombre limité, elles intéressent cependant un public important, en particulier par leurs membres associés, dont l’éventail d’âge est très ouvert : témoin ce jeune garçon de quatorze ans, associé de plusieurs académies, et dont les Affiches font paraître en 1766 un poème adressé à Voltaire, avec la réponse de ce dernier. Les Affiches ont ainsi permis aux Lyonnais d’être tenus au courant des travaux des académies de province, et ont participé à la diffusion des connaissances et des préoccupations nouvelles.
C - L’enseignement
41Les Affiches de Lyon nous offrent également un reflet de l’enseignement à Lyon dans la seconde moitié du siècle.
42A côté de l’enseignement dispensé par les Jésuites, établis au Collège de la Trinité jusqu’en 1762, date de leur expulsion, l’enseignement particulier tient une grande place. Ce sont surtout des ecclésiastiques de la ville ou de la région qui sollicitent des emplois de précepteurs, en indiquant le programme de leurs cours. Ce sont aussi des étrangers de passage à Lyon ou établis provisoirement, qui se proposent d’enseigner leur langue, et vantent la rapidité de leur méthode.
43Après 1762, les Oratoriens prennent la place des Jésuites au Collège de la Trinité. Les Affiches relatent les distributions des prix et séances publiques. Le départ des Jésuites favorise le développement des cours particuliers et la création de nouvelles institutions privées qui n’hésitent pas à faire paraître des annonces pour attirer des élèves. On peut citer comme exemple plusieurs annonces, parues dans les Affiches de 1765, et concernant un « nouvel établissement fait à Belleville pour l’éducation de la jeunesse », et qui se propose de « faire des élèves dont (il) se chargera des chrétiens et des citoyens ; on s’y servira de méthodes aussi claires que neuves relativement à l’enseignement... » Il s’agissait, en prenant la place laissée vacante par les Jésuites, de concurrencer les Oratoriens en modernisant comme eux les méthodes et le contenu de l’enseignement.
44Les années 1760 ont vu se développer pour la pédagogie un intérêt qui s’est manifesté par la publication d’ouvrages, mais aussi par une réflexion au sein des établissements d’enseignement. Une harangue du P. Lasserre, de l’Oratoire, annoncée en 1765, et portant sur « la méthode qui lui paraît la meilleure pour élever la jeunesse » en porte témoignage. De même que dans le numéro 44 des Affiches de 1768, un article sur les avantages de « l’éducation publique », comparés à ceux de «l’éducation domestique ».
45En marge de cet enseignement pour la jeunesse, se développe une formation permanente par des cours publics et gratuits : l’Ecole Gratuite de Dessin organise, par exemple, des cours de géométrie pratique, destinés aux artisans, particulièrement aux menuisiers.
46On saisit ainsi, à travers les Affiches de Lyon la vitalité d’un enseignement se développant en dehors de formes figées, et permettant aux initiatives individuelles de se manifester.
D - Les activités artistiques
47Les Affiches de Lyon fournissent aussi à leurs lecteurs des informations sur les activités artistiques à Lyon. Des artistes étrangers de passage dans la ville proposent aux Lyonnais de réaliser pour eux des tableaux ou des gravures. Mais l’art que les Lyonnais semblent avoir le plus goûté est sans doute la musique. Les offres et demandes d’instruments de musique sont très nombreuses dans la rubrique des « Effets à vendre » et dans celle des « Demandes particulières ». La vente des œuvres musicales était assez importante pour que plusieurs libraires se soient spécialisés dans ce domaine : les frères Le Goux, le sieur Castaud, auxquels se joint en 1767 le sieur Serrière. Celui-ci annonce dans les Affiches la création d’un « magasin de musique moderne tant instrumentale que vocale », dans lequel a lieu, l’année suivante, l’exécution d’œuvres musicales.
48Les Affiches de Lyon annoncent chaque semaine le programme du Concert. Les goûts musicaux des Lyonnais semblent avoir été assez stables : pendant des années sera donné l’Acte des sauvages des Indes galantes de Rameau. On retrouve très souvent aussi les noms de Mondonville et de Lalande. De la même manière qu’au théâtre, où étaient jouées au cours d’une représentation une pièce courte et une autre plus importante, les programmes du Concert comportent dans une seconde partie des ariettes et airs italiens. La société du Concert accueillait également les artistes étrangers. C’est ainsi que par le numéro des Affiches daté du 13 août 1766, les Lyonnais furent informés que « Wolfgang Mozart, enfant de neuf ans, compositeur et maître de musique, exécutera(it) plusieurs pièces au clavecin, seul. »
49Il ressort de cet examen de certains aspects de la société lyonnaise à travers les Affiches de Lyon que cette feuille a contribué au rayonnement de l’élite intellectuelle sur le reste de la population. Dans une période où la province s’éveillait à des préoccupations nouvelles, et malgré la centralisation parisienne, elle a permis aux Lyonnais d’être informés des activités de leur ville, et éventuellement d’y participer. Aussi modeste fût-il, ce rôle nous semble capital dans l’affirmation de l’originalité lyonnaise, et manifeste tout au moins une volonté de résistance à l’emprise de la capitale.
50Les Affiches de Lyon nous offrent ainsi le reflet d’une société en pleine mutation où, du moins pour une certaine classe sociale, la culture fait partie des préoccupations quotidiennes.
III - LE RÔLE DES affiches de lyon DANS LE DÉVELOPPEMENT DE LA LECTURE ET LA DIFFUSION DES IDÉES -
51Les Affiches de Lyon ne furent pas seulement un moyen de communication sociale à l’échelle de Lyon et de sa région. Bien qu’elles se distinguent des autres périodiques par leur aspect peu littéraire, elles n’en réservent pas moins une place aux informations concernant les livres et périodiques, et jouèrent par là un rôle non négligeable dans la diffusion de l’imprimé et le développement de la lecture à Lyon. Mais on peut se demander, en considérant le contenu des comptes rendus de livres, dans quelle mesure elles ont participé à la diffusion des idées nouvelles et quelle fut leur position dans le débat philosophique.
1 - Les Affiches de Lyon et le développement de la lecture
A - Les Affiches et le commerce des livres et périodiques
52Les libraires lyonnais ont pu trouver dans les Affiches un excellent moyen de publicité. Il faut souligner qu’avant la création des Affiches de Lyon, les lecteurs lyonnais ne pouvaient être informés par la presse que de la production parisienne et vendue à Paris. Dans les premières années, les Affiches ont également annoncé des livres vendus à Paris. Par la suite, elles se sont consacrées à la librairie lyonnaise. Cette fonction est importante dans une période où la production lyonnaise en matière de livres est éclipsée par celle de Paris.
53Les annonces de livres nouveaux, peu nombreuses dans les premières années, se multiplient vers la fin des années 1760. La plupart des libraires lyonnais ont annoncé leurs livres dans les Affiches. En 1759, on trouve les noms de Jacques-Marie Bessiat, Jean-Marie Bruyset, Bruyset-Ponthus, Louis Buisson, Certe, Cizeron, Aimé Delaroche, Deville, des frères Duplain, de Placide Jacquenod, Paganucci, Perisse, Geoffroy Regnault, Jean-Baptiste Reguilliat et de Ollier. En 1769, un nouveau libraire, Claude Morlet, est établi Place Confort ; en cours d’année, Deville s’associe à Rosset, et Rusand à Jacquenod père, tandis que Jacquenod fils tient une autre librairie ; les frères Duplain font paraître leurs annonces séparément. On rencontre d’autres nouveaux noms, tels que Cellier, Louis Cutty, Faucheux, Berthoux.
54Dans cette énumération, il faut accorder une place particulière au libraire Los Rios qui ne fait pas paraître d’annonces de livres nouveaux, mais informe à plusieurs reprises les lecteurs de son activité. Ce libraire anversois, établi à Lyon en 1766, s’était spécialisé dans la vente de livres anciens. Il déclare en 1766 disposer d’un fonds d’environ mille livres, « volumes de tout genre et de toutes langues ». Peu de temps après, il en précise la composition : il l’a « augmentée considérablement par les correspondances qu’il s’est procurées en Hollande et en Angleterre », et se dit « en état de satisfaire les curieux par le grand nombre de volumes rares et recherchés qu’il doit recevoir incessamment : ce qui formera avant la Saint-Jean une librairie de plus de 25.000 volumes parmi lesquels on trouvera quantité de livres gothiques du XIVè siècle, de manuscrits en vélin, et plusieurs livres uniques et excellents en leur genre. »
55Les annonces de livres comportent le titre de l’ouvrage ; en général l’auteur n’est pas mentionné. Par contre, le prix est presque toujours présent. La date de l'édition est souvent indiquée, mais l’adresse ne l’est que très rarement, et dans ce cas, il s’agit d’ouvrages portant une adresse étrangère : Londres, Amsterdam, Genève, etc. Ces annonces sont parfois suivies d’un compte rendu qui traduit le plus souvent les centres d’intérêt du rédacteur.
56L’étude de ces annonces pour les années 1759 et 1769 montre une nette évolution des sujets des livres proposés par les libraires. On constate une diminution des ouvrages de théologie qui ne font l’objet que de 5 % des annonces en 1769, au lieu des 24,5 % en 1759. On peut noter par contre un développement de l’intérêt pour le droit et surtout pour la jurisprudence, pour lesquels les annonces passent de 8 % à 11, ainsi que pour l’histoire, essentiellement l’histoire profane. Il semble que les Belles-Lettres bénéficient également du déclin de la théologie : 28 % des annonces en 1759, 40 % en 1769, de même que les livres de Sciences et Arts : 25,5 en 1759, 29,5 en 1769.
57L’information consacrée à l’imprimé dans les Affiches ne se limite pas aux livres, mais concerne aussi les périodiques. Aimé Delaroche, convaincu de leur importance, semble avoir pris un soin particulier pour faire connaître à ses lecteurs les périodiques qu’ils pouvaient se procurer à Lyon. Lui-même, mais aussi d’autres libraires, recevaient les abonnements. Les frères Duplain recevaient les abonnements aux gazettes étrangères en langue française, « d’Amsterdam, d’Utrecht, de Leyde, de La Haye, de Bruxelles, de Cologne et de Berne », très connues à Lyon en 1759 selon Aimé Delaroche, et dont il annonce une diminution du prix jusque là très élevé grâce à des « arrangements avec la Ferme des postes de France et avec les propriétaires de ces gazettes dans les pays étrangers... »
58Les autres libraires prenaient aussi des abonnements pour les périodiques, comme Jean Deville en 1759 pour le Journal des dames récemment créé. Les « marchands de musique » Le Goux et Castaud recevaient la Feuille chantante hebdomadaire. Les abonnements pouvaient être reçus par des particuliers, comme le sieur Chomety qui annonce en 1766 « qu’on s’abonne chez lui aux gazettes étrangères et autres. »
59Aimé Delaroche se fait un devoir de soutenir cette presse. Il ne semble pas qu’il y ait eu aucune forme de concurrence entre les autres périodiques lus à Lyon et les Affiches. Ainsi, en 1765, Aimé Delaroche se félicite des « progrès successifs (du Journal des Dames) qui, peut-être un peu lents ne l’ont pas moins amené à une certaine réputation. » Il insiste sur les difficultés qu’ont eues ces feuilles, souvent méprisées par les gens de lettres, dans le dernier numéro de l’année 1768 : « Les meilleures choses que l’on présente au public sont ordinairement bien reçues des uns et mal accueillies des autres ; cette Feuille en est une preuve. Plusieurs en connaissent l’utilité, le plus grand nombre la voit avec indifférence et quelques-uns peut-être la désapprouvent. »
60Pour Aimé Delaroche, ces feuilles, très importantes, témoignent de la vitalité des diverses branches du savoir : Dans un compte rendu de 1765, il s’exprime ainsi : « La littérature porte partout ses lumières, elle éclaire toutes les branches des connaissances humaines. Presque chaque partie a son journal ou sa feuille périodique : La théologie, la jurisprudence, les finances, le commerce, l’agriculture, l’éloquence, la politique, la musique trouvent partout des instructions et des secours... »
61Dans une critique du Journal politique, il donne sa conception de l’information. La collecte des informations de ce journal repose sur « une correspondance très étendue et bien établie », et « on n’a point à lui reprocher cette partialité qui a souvent enlevé la confiance du Public à quelques écrits de ce genre. On se contente ici d’exposer les faits sans les altérer et on ne s’y permet pas d’ajouter des réflexions ou des interprétations hasardées et toujours déplacées dans ces sortes d’écrits... »
B - La diffusion non commerciale de l’imprimé
621- Echanges entre particuliers - Les Affiches de Lyon en faisant paraître des demandes et offres de livres par les particuliers, ont permis un développement des échanges autour du livre et de la lecture.
63Les livres proposés dans la rubrique « effets à vendre » sont le plus souvent des dictionnaires : ainsi, en 1759, sont proposés le Dictionnaire historique et critique de Bayle, le Dictionnaire universel de commerce de Jacques Savary Desbrûlons Plusieurs exemplaires du dictionnaire de Furetière sont également offerts, de même que le Thesaurus linguae latinae de Robert Estienne.
64Les offres portent en général sur des ouvrages de valeur, en plusieurs volumes, comme le Grand Atlas de Janson, l’Histoire générale des voyages de l’abbé Prévost, ou l’Histoire naturelle de Buffon. Ces ouvrages étaient souvent acquis par souscription, et il arrive que l’on offre les volumes déjà reçus avec la souscription, par exemple pour l’Encyclopédie de Diderot.
65Des collections de périodiques figurent souvent parmi ces offres. On voit par là que les périodiques étaient conservés et destinés à former des collections. Un particulier offre par exemple en 1759 une collection de trente-quatre années du Mercure de Hollande, en 1769, on propose le Journal des savants de 1665 à 1740. Certaines collections de périodiques sont très demandées, comme l’Année chrétienne, le Mercure de France, les Mémoires de Trévoux.
66Les offres de livres ne portaient pas seulement sur des ouvrages isolés mais aussi sur des bibliothèques ; les ventes se faisaient aux enchères, et avaient souvent lieu chez le libraire Duplain. Ces annonces mentionnent parfois le contenu de ces bibliothèques. Ainsi, en 1759, un cabinet de livres qui va être mis en vente, contient « les meilleurs livres d’histoire et de littérature, grecs, latins ou français, espagnols, italiens.. » Une autre bibliothèque, vendue en 1769, et comprenant six cents volumes, se compose de livres de « droit, Belles-Lettres et autres.. » et de cinquante volumes de livres grecs et latins » sortant des presses d’imprimeurs célèbres. Ces bibliothèques sont en général composées pour l’essentiel de livres de Belles-Lettres, mais aussi d’histoire et de droit, et on voit se manifester également un goût pour la bibliophilie.
672 - L’organisation de la lecture - Mais plus originale que les ventes entre particuliers, furent la constitution de cabinets de lecture et les associations pour la lecture des périodiques.
68Certains de ces cabinets de lecture furent créés par des libraires, d’autres par des érudits soucieux de mettre leurs livres à la disposition du public. Parmi les libraires, Geoffroy Regnault propose en 1759 à ceux « qui souhaiteraient s’abonner pour lire (...) une collection de bons livres en tous genres. » Le cabinet de lecture le plus important tenu par un libraire, fut certainement celui que forma le libraire Cellier en acquérant ceux de Jean-Baptiste Reguilliat et de Geoffroy Regnault, d’après le numéro 21 des Affiches de 1769 : « M. Cellier, quai Saint-Antoine au Cabinet littéraire, vient d’acquérir de M. Reguilliat le Cabinet littéraire que ce dernier avait ci-devant établi, aux charges par le sieur Cellier de remplir tous les engagements pris par le sieur Reguilliat avec MM. les abonnés... » Nous retrouvons le libraire Cellier et son Cabinet littéraire rue Saint-Dominique, en l’an VII. A ce moment-là, se créent d’autres cabinets littéraires, comme celui installé place Saint-Pierre, et dont les Affiches de l’an VII nous relatent la création.
69En dehors des libraires, des particuliers ont tenté d’organiser des cabinets de lecture, ouverts au public. Ainsi, le sieur Chomety annonce en 1766 « qu’il (...) reçoit également pour son compte (des gazettes) qu’il donne à lire dans un cabinet destiné à cela (...). Il offre aussi de procurer la lecture de tous ces papiers publics, moyennant le prix de 36 livres par an, en les faisant porter chez ceux qui le désireraient. »
70Témoignant de l’intérêt des Lyonnais pour la lecture des journaux, des associations furent formées en 1759 entre particuliers. Dans le numéro 34 des Affiches, paraît cette annonce : « On demande que quelque particulier, qui prend le Courrier d’Avignon, veuille bien en faire remise après lecture faite ; on entrera en participation pour le paiement, ou on lui communiquera d’autres gazettes, s’il le souhaite. »
71Dans le numéro 39 de la même année, l’idée d’une véritable association est exprimée en ces termes : « Un particulier, amateur de désirerait être au courant de tout ce qui paraît dans la République des Lettres. Les journaux peuvent plus que tout autre moyen le satisfaire, mais la dépense pour se les procurer allant à près de 360 livres, y compris les ports, il voudrait trouver quatorze amateurs comme lui, qui avec la mise d’un louis d’or, se procureraient mutuellement la lecture de ces journaux. » Le choix des gazettes, assez étendu, comprend dix-neuf titres. Une semaine plus tard, une nouvelle société est en voie de formation. L’idée est approuvée dans la Feuille de Paris qui, d’après les Affiches, « invite les villes de province à suivre en cela l’exemple des associés de Lyon. » D’autres tentatives de ce genre ont lieu en 1761.
72Il s’agit là de tentatives qui méritent d’être relevées, car elles montrent l’intérêt croissant pour la presse de la part d’un public qui, quoique limité, a su s’organiser, ne pouvant lire gratuitement les périodiques, pour y avoir néanmoins accès. Elles montrent aussi le rôle joué par un périodique local dans le développement de la lecture, et plus généralement de la vie culturelle, en mettant en relation des habitants d’une même ville.
2 - Les Affiches de Lyon et la diffusion des idées nouvelles
A - Rôle positif
73Les Affiches de Lyon ont joué un certain rôle dans la diffusion des idées nouvelles à Lyon. Elles se sont fait l’écho de l’évolution des centres d’intérêt qui marque un peu partout la seconde moitié du XVIIIè siècle. Ceci se manifeste en 1759 par l’apparition de nouvelles rubriques, telles que « histoire naturelle », « économie ». Elles s’intéressent d’autant plus aux travaux des académies et sociétés savantes que celles-ci se tournent vers les applications pratiques.
74Un enthousiasme pour tout ce qui peut améliorer la condition des hommes parcourt les Affiches de Lyon, et traduit certainement un état d’esprit de la bourgeoisie lyonnaise. Un goût pour les connaissances se manifeste aussi, dont Aimé Delaroche se fait l’écho en 1765 : « Combien de dictionnaires, combien de recueils en tout genre ! La manie de se renfermer dans sa science et d’en border les avenues par des mots rebutants, barbares et indéchiffrables est passée ; le savant aime à se communiquer : tout s’éclaircit, tout s’explique... » Diderot n’eût pas, à mon sens, désavoué ces lignes.
75Les Lyonnais turent avertis par les Affiches de la souscription à l’Encyclopédie dans le numéro du 15 décembre 1750, et furent tenus au courant durant les années suivantes de l’arrivée des volumes en librairie. L’imprimeur se contente de passer les annonces. Ce n’est que vers la fin des années 1760 qu’il se permet de louer l’utilité de l’ouvrage.
76Les Affiches de Lyon ont également participé à la diffusion d’une certaine sensibilité qui se fait jour au XVIIIè siècle. En 1765, Aimé Delaroche exprime son goût pour l’œuvre de Richardson. Le compte rendu très élogieux qu’il lui consacre se termine par une phrase qui a tout d’un slogan publicitaire : « Peintres, poètes, gens de goût, gens de bien, lisez donc Richardson, lisez-le sans cesse. »
77Il manifeste d’autre part son approbation pour des initiatives telles que les consultations gratuites données aux pauvres par certains médecins et chirurgiens de la ville. Les préoccupations sociales ne sont pas, en effet, totalement absentes des Affiches. Sensible à la misère des ouvriers de la Fabrique, il imprime en mai 1766 un avis de souscription pour ces derniers, et approuve cette initiative.
B - Les résistances
78Si ouvert qu’il fût aux préoccupations de son époque, Aimé Delaroche n’en demeure pas moins un esprit convaincu du bien-fondé de la religion et décidé à la mettre hors de portée des attaques. Pour cela, il ne ménage pas ses colonnes lorsqu’il s’agit de présenter un ouvrage d’apologétique. L’année 1759 est particulièrement riche en livres de cette catégorie. On peut citer l’Oracle des nouveaux philosophes, qui est une satire contre Voltaire ; Le philosophe moderne ou l’incrédule condamné au tribunal de la raison. Tous ces ouvrages comportent des comptes rendus importants dans lesquels le rédacteur exprime ses idées, qui sont tout à fait orthodoxes. Mais on ne peut savoir où s’arrête la sincérité et où commence la prudence.
CONCLUSION
79Daniel Mornet, dans son ouvrage consacré aux origines intellectuelles de la Révolution française, nous parait résumer en quelques lignes les principaux caractères des Affiches et l’intérêt que présente leur étude : « Les Affiches et même les journaux veulent renseigner et distraire, non combattre. Ils se tiennent à l’écart de toutes les questions brûlantes. Mais leur étude n’en est que plus significative. Comme celle de l’enseignement et des journaux parisiens, et mieux encore, elle peut montrer comment des idées, qui auraient été scandaleuses ou hardies cinquante ou même vingt ans plus tôt, sont devenues banales et d’apparence inoffensive ; comment, sans le vouloir sans doute ou, du moins, sans qu’on puisse leur en vouloir, ils ont servi, si peu que ce fût au progrès dans les provinces d’un certain esprit philosophique. »7.
80L’étude des Affiches de Lyon nous incite, pour notre part, à penser que c’est à tort que l’on a négligé l’apparition de cette forme de presse en province. En effet, dans une période où la domination parisienne était très importante dans les domaines du livre et de la presse, ces feuilles manifestent l’impossibilité découlant de la législation en vigueur d’une presse provinciale analogue à celle de Paris.
81Mais elles sont aussi la preuve que de réels besoins d’information existaient en province, auxquels elles ont répondu dans des limites modestes, mais qu’elles ont aussi contribué à développer. On peut en voir une preuve dans le fait qu’aux approches de la Révolution, la plupart des Affiches se sont transformées en journaux ordinaires.
82Il semble d’autre part que dans cette société d’Ancien Régime que nous pourrions à tort croire figée, la part de l’initiative individuelle et de l’innovation ait été importante malgré les obstacles. L’organisation de cours publics, l’importance de l’enseignement privé, le goût pour la lecture de la presse, la faveur que rencontrent auprès du public les séances publiques des académies et sociétés savantes, tout ceci manifeste la vitalité de la province et en particulier de Lyon, et son effort pour affirmer son originalité par rapport à la capitale.
83Avec les Affiches de Lyon apparaît donc la presse provinciale, qui sera toujours par la suite soumise à la concurrence de la presse parisienne, et qui devra constamment, pour subsister, développer ce qu’elle possède d’original et qui réside, non dans l’information générale, mais dans son rôle économique et de communication sociale. Au XXè siècle encore, la presse provinciale est restée fidèle à ses origines.
Notes de bas de page
1 A.Μ Lyon, inventaire Chappe, vol. V, p.187
2 Affiches de Lyon, 1759, No 41.
3 Études portant sur des Affiches de province : Labadie (Ernest), « Origines de la presse bordelaise. » In : Revue d’histoire de Bordeaux, 1908, t. I.
Lebrun (François), « Une source de l’histoire sociale : la presse provinciale à la fin de l’Ancien Régime : Les Affiches d’Angers (1773 - 1789). In : Le mouvement social, 1962, no 40, p. 56 - 73.
4 Inventaire Chappe, vol. XX, p.583.
5 Loche (Michel), « Journaux imprimés à Lyon (1633 - 1794), in : Le vieux papier, 1968, fasc. 229, p. 7 - 8.
6 Affiches de Lyon, 1759, no 1, p. 11.
7 Mornet (Daniel), Les origines intellectuelles de la Révolution française, Paris 1954, p. 351.
Notes de fin
* La présente étude a d’abord été conçue comme une « note de synthèse » présentée pour le diplôme de fin d’études de l’école nationale supérieure des Bibliothèques.
Auteur
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