Chapitre 3. Entre le moi et le monde : Mémoires et autobiographie
p. 105-136
Texte intégral
1« Il me serait impossible de dire comme un général d’ailleurs célèbre (Dumouriez) : “Tandis que la France était en feu, j’étais enrhumé au fond de la Normandie”1. » On pouvait compter sur Benjamin Constant pour trouver une formulation concise, juste et ironique pour exposer un des enjeux problématiques les plus épineux qu’affrontent les mémorialistes : comment articuler le récit du monde avec le récit de soi ? Quel traitement réserver à la disproportion du particulier et du général ? Schématique à souhait dans sa confrontation entre l’individu et l’histoire, la phrase attribuée à Dumouriez comme un propos rapporté a sans doute été taillée sur mesure par la tradition orale, en vue de la meilleure efficacité critique : en mettant le rhume et le feu ensemble, le chaud et le froid en oxymore, elle construit une image frappante. Et elle pose bien le problème : comment autoriser le discours sur soi à se mêler au discours sur le monde ? Comment lui préserver sa dignité dans une juste mesure où il ne soit ni enflé ni écrasé ? Quelque effort qu’on y mette, résistera-t-on à la pente héroï-comique ? Benjamin Constant désigne la difficulté pour la dire insurmontable, pour justifier qu’il n’écrira pas de Mémoires et ne laissera que des souvenirs épars. Son allusion au rhume normand de Dumouriez est précédée d’un avertissement très clair :
Des fragments, dis-je, et pas autre chose ; écrire des Mémoires me répugne. Les hommes les plus spirituels, les plus distingués par le tact et la mesure, sont, à leur insu, entraînés par ce genre de travail à parler beaucoup de ce qui les concerne personnellement. Je ne les en blâme pas ; je lis sans ennui ce qu’ils nous apprennent de leur naissance, de leur éducation, de leurs amours, même de leurs maladies ; mais je ne m’intéresse pas assez à moi pour en occuper si longuement les autres […] Dans tout ce que je vous enverrai, je ne parlerai donc de moi qu’autant qu’il le faudra pour indiquer comment j’ai su les faits que je raconterai. Il n’y a au fond que la vérité de ces faits qui ait quelque importance2.
2Le constat est fait, dans ces lignes, que les Mémoires sont un genre où l’on parle de soi…
3Évidence première ? Constant ne passe pourtant pas pour un émule de La Palice. Il faut noter, au contraire, que si l’auteur observe que parler de soi est une nécessité du genre, elle s’exerce selon lui à l’insu de ceux qu’elle « entraîne » : ce serait une dérive inévitable plus qu’un moteur premier. Dans le principe – au niveau des intentions qu’on proclame haut et fort –, c’est l’établissement des faits d’histoire qui importe : sur ce point la plupart des mémorialistes est d’accord avec Constant. Mais ce dernier préfère s’abstenir d’écrire ses Mémoires, parce qu’il observe que, en pratique, les ouvrages qui empruntent ce modèle discursif ne parviennent pas à respecter cette intention3. La position de Constant n’est cependant pas aussi radicale qu’elle en a l’air : certes, il n’écrira pas de Mémoires, mais laissera des fragments ; certes, les mémorialistes commettent malgré eux l’impair de parler d’eux-mêmes, mais Constant dit lire « sans ennui » leurs confidences sur leur éducation, leurs amours… L’ambiguïté, en fait, n’est pas propre à une lecture équivoque que pratiquerait Benjamin Constant4, mais elle est inhérente au genre.
4Que le moi soit haïssable, la chose est entendue depuis longtemps, comme convention littéraire au moins. Pour proférer encore et toujours cet anathème, on aurait pu penser que les Mémoires n’étaient pas le lieu propice, ni les années qui s’étendent entre 1815 et 1830 l’occasion favorable. Et pourtant il n’est guère de mémorialistes qui ne sacrifient au rite d’un avertissement similaire et aucun ne reprend à son compte la provocation que Vittorio Alfieri a mise en tête de Ma vie :
Parler de soi, et plus encore écrire sur soi, naît sans aucun doute d’un grand amour de soi-même. Je ne veux donc faire précéder cette histoire de ma vie ni de faibles excuses, ni de raisons fausses et illusoires […] C’est pourquoi, je le confesse ingénument, la principale raison qui me porte à dérouler le récit de ma propre vie, raison sans doute mêlée à d’autres, mais la plus forte de toutes, c’est l’amour de moi-même5.
5Voilà qui n’est pas œuvrer avec « le tact et la mesure » dont parlait Constant. De manière symétrique et antithétique, l’un et l’autre écrivain, Constant et Alfieri, ont trouvé une voie pour échapper au péril commun des « faibles excuses » : le premier a renoncé aux Mémoires, le second fait délibérément basculer les siens dans l’autobiographie.
6La difficulté à assigner leur place respective au « moi » et au monde dans le récit de soi amène à interroger la différenciation habituellement faite entre Mémoires et autobiographie. C’est aussi un moyen pour mieux com-prendre les Mémoires que de les confronter à un de leurs termes proches.
Un genre aristocratique dans un âge démocratique : des « mémoires aristocratiques » aux « mémoires historiques »
7Mémoires et autobiographie sont habituellement opposés comme deux démarches distinctes pour narrer à la première personne l’histoire d’une vie : en en faisant, d’un côté, l’histoire d’une carrière et, de l’autre, l’histoire d’une personnalité. Dans un cas, le livre se mettrait au service du tableau historique d’une époque, dans l’autre, au service d’une analyse de soi par introspection. L’énoncé d’une telle répartition, s’il aide la réflexion critique à prendre ses repères, ne peut servir que comme tremplin pour parvenir à une représentation plus nuancée. L’histoire des idées de la première moitié du xixe siècle y invite et y oblige. Les deux sentiments qui y deviennent culturellement dominants, le culte de l’histoire et le culte du moi, se cherchent une formulation commune : la passion éditoriale qui entoure la mémoire historique subjective se comprend dans cette rencontre.
Sécession de l’autobiographie par rapport aux Mémoires
8C’est précisément à la charnière des xviiie et xixe siècles que le terme d’autobiographie est forgé afin de désigner un nouveau type de texte qui, proche du modèle des Mémoires, ne s’assimile cependant pas à lui. Le constat a été fait que l’appellation générique de Mémoires ne pouvait pas prendre en charge cette nouveauté, sauf à trop sacrifier de ce que voulait sa tradition. Le moment marquant de cette rupture a lieu, c’est bien connu, avec la publication des Confessions de Rousseau : le récit absolument égocentré d’un homme qui ne réunit aucun des titres sociaux requis pour écrire sur soi constitue un tel écart par rapport à la norme des Mémoires qu’il ne peut être compris uniquement par rapport à elle. Le geste rousseauiste a connu un tel retentissement qu’il s’est fixé comme une référence obligée et, dans une large mesure, normative, pour une nouvelle tradition de l’écriture de soi que la création d’un mot nouveau a confirmée6.
9Cependant, malgré l’éclat de la déclaration liminaire des Confessions (« je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple… »), on ne peut pas tenir l’entreprise rousseauiste pour le fruit d’une génération spontanée. Parmi les influences qu’elle a pu connaître (la confession religieuse écrite, le mémoire judiciaire, le roman-mémoires), il faut signaler, aussi celle des Mémoires, dont l’infléchissement biographique s’est fait de plus en plus net au xviiie siècle.
Infléchissement biographique des Mémoires au xviiie siècle
10Le modèle initial des Mémoires d’épée savait produire ostensiblement un discours sur soi, compris comme une orgueilleuse mise en valeur. Mais au xviiie siècle, quand les aristocrates ne sont généralement plus des guerriers, on observe un infléchissement de cette pratique : les mémorialistes s’autorisent de plus en plus des récits de soi qu’aucune geste héroïque ne justifie. Des expériences purement individuelles, non référables à une construction politique, s’expriment désormais. Dans ses Mémoires – que le xixe siècle rééditera avec admiration –, Madame de Staal-Delaunay se consacre principalement à étudier sa vie morale, qu’elle approche en une sorte de cartographie intérieure : « mon âme, n’ayant pas pris d’abord le pli que lui devait donner la mauvaise fortune, a toujours résisté à l’abaissement et à la sujétion où je me suis trouvée : c’est là l’origine du malheur de ma vie7. » Sainte-Beuve signale que c’est avec ces Mémoires parus en 1755 que « commencent véritablement le genre et le ton propres aux femmes du xviiie siècle »8. Les hommes cependant ne sont pas exempts non plus d’un fort recentrement sur soi du récit de la mémoire. L’anthologie de Mémoires établie par Arnaud de Maurepas et Florent Brayard, Les Français vus par eux-mêmes. Le xviiie siècle, dispose d’assez de matière pour consacrer une large section aux « âges et choses de la vie », grâce aux mémorialistes qui, en grand nombre, évoquent précisément leurs années de formation ou des aspects de leur vie familiale. On peut retenir une belle formule du comte Dufort de Cheverny : « j’épousais une femme dont la figure se déployait et devait nécessairement attirer les regards […] C’est donc ici que je finirai la première époque de ma vie9. » Ainsi, au xviiie siècle, les Mémoires aristocratiques sont de moins en moins arc-boutés sur une fonction de représentation publique : les incursions personnelles y deviennent fréquentes, au point que, dans la cadre d’une histoire des mentalités, ce corpus a pu être utilisé pour esquisser un tableau général de la formation des jeunes aristocrates au temps des Lumières10.
11Cette évolution des Mémoires ne s’explique pas seulement par le changement dans la situation du groupe social qui les produit ; elle manifeste aussi la perméabilité de cette forme vis-à-vis d’autres modèles d’écriture, religieux ou romanesques. Marc Fumaroli a montré qu’il n’était pas possible de maintenir une étanchéité entre les deux traditions, profane et religieuse, des Mémoires et de la confession écrite. Dans les Mémoires d’épée, le « réalisme de la connaissance et de l’action a pour contrepartie un sentiment tragique et pessimiste de la vie humaine […]. Le genre des Mémoires, né sous le signe secrètement épique des Commentaires de César, révèle très vite ses affinités avec les Confessions de saint Augustin11. » Cette convergence serait devenue sensible dans un contexte où, aux xviie et XVIIIe siècles, l’influence augustinienne renouvelle le sentiment religieux des catholiques et des protestants (jansénisme, quiétisme, piétisme…) en privilégiant une morale de l’introspection, soucieuse de découvrir une vérité de l’âme repliée dans le for intérieur de chacun et inaccessible au « siècle ». Le véritable itinéraire de chacun, de ce point de vue, est spirituel plutôt que mondain.
12Il s’est trouvé en outre que, dans la première partie du xviiie siècle, l’évolution du roman a encouragé aussi à aller dans le sens d’une connaissance du « moi intérieur ». Des travaux d’histoire de la littérature ont souligné l’interaction forte qui s’est exercée, dès la fin du xviie siècle, entre l’écriture des Mémoires et celle du roman. Plus précisément, on a pu montrer que le roman d’analyse psychologique avait préparé le terrain à l’autobiographie rousseauiste, « en éliminant presque entièrement la part du romanesque et en développant celle de la vie intime »12.
La rupture rousseauiste
13Cette histoire littéraire ne se comprend que dans le cadre plus large d’une histoire des idées à forte implication politique : les narrations de vie accomplies à la première personne se trouvent en première ligne pour se faire l’écho de l’évolution des rapports entre l’individu et la société. Les Confessions de Rousseau paraissent au moment même où éclate la Révolution française (les six premiers livres en 1782, la suite en 1789). Observer la concomitance historique entre l’émergence du phénomène littéraire et l’événement politique majeur, ce n’est que se permettre un constat évident : Les Confessions, dans le domaine littéraire, manifestent la même évolution que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans le domaine politique, à savoir l’émergence de l’individu comme valeur. Dans la cité politique, l’individu possesseur de droits devient le citoyen ; dans la littérature, il devient le « Moi », champ d’exploration nouveau : on découvre que ses multiples facettes, affective, morale, intellectuelle et sociale, se sont peu à peu imbriquées au fil d’une histoire qui a commencé dès l’enfance. L’autobiographie naît dans un contexte qui la désigne comme une expression nécessaire dans un mouvement général de l’histoire des idées, et pas seulement dans l’histoire des formes littéraires.
14La nouveauté rousseauiste n’empêche pas le modèle des Mémoires de prospérer encore au xixe siècle. Mais c’est dans la gêne car, pour l’écriture de soi, les Mémoires perdent l’innocence de leur évidence. Ils sont désormais confrontés à un rival, voire à un contre-modèle, qui ne manque pas d’atouts pour séduire.
15Parmi les éléments marquants du geste de Rousseau, l’évidence première désigne l’appartenance sociale de l’auteur : il n’a que la « célébrité des malheurs »13 pour légitimer son entreprise mais retourne de manière spectaculaire cette prétendue infirmité de rang comme un atout supérieur : il prétend, au delà de lui-même, tenir un discours à portée exemplaire et anthropologique. C’est au point que, dans les intentions proclamées par Rousseau, on hésite à identifier le statut de l’individu dont il parle : singularité absolue ou exemplarité universelle ? Cela fait toute la tension du livre : l’auteur s’adresse à « [ses] semblables » mais, considérant les hommes, « ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent »14. Le « moi » des Confessions est certes livré comme « une pièce de comparaison »15 pour l’anthropologie : mais sa singularité farouche fonde nettement l’autobiographie comme un genre qui se consacre à un individu.
16Rousseau innove en outre dans les modalités qu’il applique pour mener à bien ce projet. Son besoin de se faire connaître des autres – pour qu’ils se connaissent mieux eux-mêmes – se situe au croisement des démarches montrées par la confession religieuse et par les mémoires judiciaires. Il ne veut pas seulement représenter une vie mais une personnalité. S’appuyant sur une connaissance intuitive et spontanée de soi (« je sens mon cœur » ; « je ne puis me tromper sur ce que j’ai senti »16), il lui faut se rendre intelligible dans le cadre d’une argumentation verbale qui adopte, pour convaincre, le cheminement causal d’une démonstration censée rendre son « âme transparente aux yeux du lecteur ».
17Ainsi, dans ses intentions comme dans sa réalisation, l’entreprise des Confessions ne se reconnaît pas dans les usages reçus de la tradition des Mémoires : l’enquête s’y consacre à l’histoire de soi plus qu’à celle du monde ; la connaissance revendiquée y est moins celle d’une époque que celle de l’être humain pris comme une donnée an-historique.
Mémoires et autobiographie : enjeux de la différenciation
18Le langage critique a rapidement pris acte de la rupture de code effectuée par Les Confessions en trouvant, pour désigner ce type de texte, d’autres termes que « Mémoires » : « confession » ou « autobiographie ». Les dictionnaires français ont attendu la seconde moitié du xixe siècle pour admettre ce néologisme, résistant longtemps à reconnaître sa nécessité. Le Dictionnaire de l’Académie française franchit le pas en 1856, Littré en 1863, Larousse en 1866.
Un problème de réception
19Pleine de circonspection devant un mot « d’origine grecque et de fabrique anglaise », la notice que Pierre Larousse consacre à « autobiographie » dans le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle fixe durablement les données de l’argumentation pour distinguer entre Mémoires et autobiographie :
Pendant longtemps, en Angleterre comme en France, les récits et souvenirs laissés sur leur propre vie par les hommes marquants de la politique, de la littérature ou des arts, prirent le nom de Mémoires. Mais, à la longue, on adopta de l’autre côté du détroit [de la Manche] l’usage de donner le nom d’autobiographie à ceux de ces mémoires qui se rapportent beaucoup plus aux hommes mêmes qu’aux événements auxquels ceux-ci ont été mêlés. L’autobiographie entre assurément pour beaucoup dans la composition des mémoires ; mais souvent, dans ces sortes d’ouvrages, la part faite aux événements contemporains, à l’histoire même, étant beaucoup plus considérable que la place accordée à la personnalité de l’auteur, le titre de mémoires leur convient mieux que celui d’autobiographie17.
20Cette différenciation est celle-là même qui s’est facilement laissé figer de la manière schématique que nous avons déjà évoquée : histoire d’une carrière/histoire d’une personnalité. Un nominalisme spontané a tenté, à partir du moment où existaient deux mots, d’identifier par eux deux essences hétérogènes l’une à l’autre. Mémoires et autobiographie ont eu chacun leur champ de compétence et leur mode de réception : historique pour les premiers, littéraire pour la seconde. Cette spécialisation est très souvent allée de pair avec une hiérarchisation. En effet, quoique répartis dans des domaines séparés, Mémoires et autobiographie ont persisté à être comparés au nom de leur fond commun : comme deux variantes pour le récit de soi. L’exaltation des Mémoires comme une tradition éminemment française, du plus haut prestige historique, s’est fréquemment faite, au xixe siècle, en les opposant au genre sans vertu publique que serait l’autobiographie rousseauiste (on le voit dans les études de Caboche et de Biré). À l’inverse, pour établir la prééminence littéraire de cette dernière, l’argumentation critique n’a pas eu de mal à la faire valoir face à des Mémoires dont les auteurs avouaient ingénument, fièrement, ne pas être du métier des lettres (et dans ce contexte de démonstration, les Mémoires d’outre-tombe sont volontiers annexés comme une forme d’autobiographie). En somme, chacun juge de l’autre terme selon les critères du sien propre et programme par avance son verdict : comme Mémoires, l’autobiographie ne fera jamais aussi bien que des Mémoires ; comme autobiographie, les Mémoires connaîtront la même limite.
21Cette distorsion de la réception peut porter ses fruits lorsque qu’elle est menée de manière lucide. Frédéric Briot en donne l’exemple dans un essai consacré aux Mémoires de la période pré-rousseauiste18. Refusant qu’on lise ces ouvrages comme de simples collections d’anecdotes, il revendique l’emploi anachronique de la notion d’autobiographie pour la constituer en outil critique et montrer comment il y a projection de l’espace intérieur du mémorialiste sur le monde qu’il évoque : « le dit du dehors devient l’écrit du dedans. C’est donc là où le récit nous semble le plus impersonnel, dans les récits de bataille, les querelles de préséance, les anecdotes bouffonnes ou scabreuses, que le cœur se met à nu. Les Mémoires présentent donc une délocalisation générale et généralisée du discours autobiographique19. » Cette hypothèse séduit pour autant qu’elle s’applique à des auteurs – Retz et Saint-Simon – qui sont des maîtres du genre, au sens où ils le hissent jusqu’à la littérature ; mais il serait sans doute hasardeux de l’étendre à tous les mémorialistes. Le mode de lecture proposé manifeste, en fait, un véritable horizon d’attente autobiographique : on peut choisir d’adopter ce dernier pour en faire son mode de réception des Mémoires ; mais on peut penser, aussi, qu’il ne se promène pas si aisément le long des siècles.
22Une fois qu’on a identifié la promotion des Mémoires et celle de l’autobiographie comme deux modes de réception distincts, voire antagonistes (littéraire/historique), il faut signaler que la situation n’est pas équilibrée pour les deux formes. Si l’autobiographie reste – ou devient de plus en plus – une valeur sûre pour la littérature, les Mémoires, eux, se sont vus peu à peu négligés par les historiens : ces derniers ont pu se lasser de leurs approximations et surtout valoriser d’autres matières historiques que les faits et gestes des grands personnages, au point de s’intéresser plutôt aux récits de vie des gens modestes. Ainsi les Mémoires ont fini par être deux fois expulsés, de la littérature et de l’histoire. Un historien comme Pierre Nora le regrette : « la fixation de l’autobiographie dans le sens d’une histoire intérieure, psychologique et littéraire, va renvoyer définitivement les Mémoires au récit linéaire d’une histoire extérieure. Dignité, mais infirmité des Mémoires, tous chargés d’une solennité historique et d’une illustration sociale qui en font la fadeur. […] L’autobiographie les a fait apparaître du même coup comme fondés sur des présupposés élémentaires et même triviaux, ce à quoi ils sont loin de se réduire20. » L’auteur de ces lignes ne dit pas assez, cependant, que ce sont les promoteurs des Mémoires (les éditeurs et les auteurs, les historiens du xixe siècle) qui sont les principaux responsables de cette relative débâcle dans la postérité. Les mémorialistes ont tout fait pour ne pas être pris pour des autobiographes, pour se désolidariser du modèle rousseauiste : c’est pourquoi il leur est difficile de bénéficier du durable prestige que s’est finalement acquis ce dernier.
23Au xixe siècle, choisir entre l’autobiographie et les Mémoires apparaît comme l’alternative qui s’impose à quiconque entend faire la narration écrite de sa vie. Il y a deux modèles concurrents, les mémorialistes choisissent l’un contre l’autre (l’un des principaux traits d’exception de Chateaubriand étant d’arriver à lier les deux). En publiant par centaines des écrits qui se veulent dans la continuité des Mémoires anciens, ils refusent de compter Les Confessions pour un de leurs antécédents, le constituent comme un contre-modèle latent. Cette attitude de rejet a beaucoup contribué, d’emblée, à cliver les Mémoires et l’autobiographie comme des genres en tous points antagonistes qui demandent à être isolés comme des essences poétiques distinctes.
Modération obligée de la poétique descriptive
24Est-il possible d’échapper à la relativité de la réception et de distinguer Mémoires et autobiographie à partir de critères internes aux textes ? Georges Gusdorf, qui consacre une large part de ses deux volumineux ouvrages rassemblés sous le titre de Lignes de vie à cette tâche (à la volonté de trouver la « ligne de démarcation » qui sépare les deux) conclut que « les écritures du moi forment un champ unitaire, au sein duquel il n’est pas possible d’établir des compartiments étanches »21. En effet, si l’on peut aisément, dans le cadre d’une analyse théorique, opposer un moi social à un moi intime, il n’en va pas de même dans le cours effectif d’un récit. Gœthe l’exprime très clairement dans la préface de Poésie et vérité, où il énonce le problème que l’écriture du livre lui a posé :
Comme je m’efforçais d’exposer en bon ordre les impulsions intérieures, les influences extérieures, les échelons que j’avais franchis dans la théorie et la pratique, je fus poussé, du cercle étroit de ma vie privée, dans le vaste monde ; les figures de cent personnages marquants, qui avaient exercé sur moi une action proche ou lointaine, se présentèrent à mes yeux ; enfin, les formidables mouvements de la politique générale du monde, qui ont eu sur moi, comme sur toute la masse de mes contemporains, la plus grande influence, méritaient une considération toute spéciale22.
25Articuler l’histoire de soi à l’histoire du monde n’est pas qu’une difficulté littéraire ; c’est plus largement un enjeu qui concerne les représentations que l’on se fait de l’existence. Dans la mesure où le récit, dans les Mémoires comme dans l’autobiographie, prétend accomplir « la mise en présence du monde et d’un individu », la distinction entre les deux ne peut se faire que dans la nuance.
26Or, il ne s’agit pas simplement d’évaluer l’importance relative accordée au « moi » et au monde pour ranger un ouvrage sous une étiquette ou sous l’autre. La lucidité de Gœthe rend vaine l’approche tatillonne – celle que suggère Pierre Larousse en 1866 – qui voudrait isoler, au sein d’un même ouvrage, la part qui revient à l’autobiographie de celle qui revient aux Mémoires, en traçant une frontière entre les parties ou chapitres qui analysent des faits de vie privée et psychologique (inquiétude affective, recherche intellectuelle) et ceux qui narrent des moments décisifs de la vie publique du narrateur-personnage.
27Que l’interaction entre vies privée et publique structure l’existence des individus est un fait certain et sans doute heureux, mais c’est là un jugement politique et moral. Ainsi, même si leur choix peut sembler unilatéral entre l’immersion dans le social et la sécession par rapport à lui, le mémorialiste et l’autobiographe n’occupent jamais des positions extrêmes, un tout ou rien entre le monde et le moi. Entre les deux, il ne faut pas voir un rapport de proportion que l’écriture de soi construirait comme un compromis. Ce qui compte, ce n’est pas la vie que l’auteur a menée comme personnage, mais précisément le choix qu’il fait : le projet d’écriture qui l’anime comme narrateur. L’argumentation de Philippe Lejeune est très convaincante : « il ne s’agit pas seulement d’une question de proportion entre les matières intimes et les matières historiques. Certes, Larousse a raison de souligner que beaucoup d’œuvres comportent une partie de mémoires et une partie d’autobiographie : mais l’importance respective des deux parties n’est que la conséquence du projet fondamental de l’auteur23. » Par exemple, dès les premières pages des Mémoires de Bourrienne, quand on découvre que le traditionnel « je suis né » a cédé la place à un tout autre incipit (« Bonaparte (Napoléon) est né à Ajaccio, en Corse, le 15 août 176924 »), le « projet fondamental » de l’auteur se révèle : on comprend très vite que les dix volumes qui commencent ne vont pas accomplir un exercice d’introspection. La notion de projet est pertinente puisque, par elle, on fait se rencontrer la production et la réception de l’ouvrage.
28C’est dans cette perspective que Philippe Lejeune considère la présence – ou non – d’un récit d’enfance dans un récit de vie comme un critère discriminant pour distinguer Mémoires et autobiographie : le récit d’enfance n’étant une condition nécessaire que de cette dernière. Dans la conception nouvelle de l’individu qui émerge au xviiie siècle et que sanctionnent, littérairement, Les Confessions, l’enfance s’impose comme le premier jalon à établir pour constituer l’histoire d’une personnalité (l’individu étant, dans une certaine mesure, causa sui). Rousseau déclare :
J’ai promis de me peindre tel que je suis et pour me connaître dans mon âge avancé, il faut m’avoir bien connu dans ma jeunesse […] Je m’applique à bien développer partout les premières causes pour faire sentir l’enchaînement des effets25.
29Pour l’histoire de la personnalité, qui fait le fond de l’autobiographie, le moment initial de l’enchaînement causal ne peut pas être éludé : et même, inversement, il peut suffire. Gœthe, Stendhal, Gide, Sartre et bien d’autres ne conduisent pas le protagoniste de leur autobiographie au delà de l’adolescence, le laissant précisément au moment où, formé, il va entrer dans le monde. Au contraire, la pratique courante des Mémoires historiques fait succéder, à une généalogie circonstanciée du personnage-narrateur, son entrée dans le monde. L’absence du récit d’enfance n’y est pas perçue comme solution de continuité dans la causalité que développent ces ouvrages : ils traitent d’une autre histoire que celle de la personnalité. Georges Gusdorf constate, par exemple, à propos des Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps de Guizot : « le “Je” de l’auteur ne fait pas problème ; il se présuppose lui-même et demeure identique du commencement à la fin de son récit, lequel ne commence pas avant la maturité atteinte26. » Occupés principalement de l’histoire politique contemporaine du pays, les mémorialistes s’estiment tenus à rendre compte d’eux-mêmes à partir du moment où ils atteignent l’âge de la conscience et de l’action politiques : ils ne deviennent dicibles comme personnages que par cet acte de naissance « mondain ».
30La nécessité de nuancer la distinction entre Mémoires et autobiographie est due au fait que les critères discriminants qui permettent de rattacher un ouvrage à l’un ou à l’autre ne sont pas des éléments de forme mais de contenu. Or, dans les manières d’orienter le récit de sa vie plutôt vers le « moi » ou plutôt vers le monde, toutes les gradations sont pensables. C’est pourquoi la différenciation poétique des deux genres, en ce qu’elle reflète des conceptions diverses du rapport entre l’individuel et le social, repose d’abord sur un fondement politique.
Mémoires et autobiographie : un clivage politique
31Même si les détracteurs de Rousseau font mine de condamner en termes moraux son affirmation de soi, le problème est ailleurs : traditionnellement portés par un orgueil nobiliaire, les Mémoires d’épée n’étaient pas, loin de là, un genre fait pour narrateur modeste, à profil bas. L’hostilité de nombreux mémorialistes du xixe siècle à l’autobiographie rousseauiste n’est pas non plus réductible au rejet politique conjoncturel qui se nourrit du lien que certains font entre le maintien du flambeau de la mémoire aristocratique et un engagement contre-révolutionnaire hostile à Rousseau. L’incompatibilité est politique, certes, mais plus profonde : le genre des Mémoires est mal à l’aise avec la notion d’individu telle que le xviiie siècle l’a fait émerger et telle que Les Confessions et la Révolution en ont pris acte, narrativement et juridiquement.
Les Mémoires face à la redéfinition du public et du privé
32Le genre aristocratique des Mémoires se voit contraint de prendre ses repères dans un âge démocratique. Le bouleversement intellectuel et social des « Lumières » puis de la Révolution engendre une redistribution des rapports entre la société et chacun de ses membres. Récits de vie à la première personne, les Mémoires et l’autobiographie sont des formes de discours exposées en première ligne pour en prendre acte : elles y répondent en prenant deux directions politiques différentes. Structurellement similaires, leurs situations d’énonciation les opposent pourtant politiquement et les amènent à produire des représentations antagonistes des rapports entre le moi et le monde.
33La réflexion que Jürgen Habermas a développée sur la redéfinition des rapports du public et du privé dans la France du xviiie siècle apporte un éclairage précieux pour le comprendre27. Habermas y soutient que le mouvement dit des Lumières doit moins être décrit comme un ensemble d’idées que comme un ensemble de pratiques (explosion de la sociabilité, de la conversation, de la diffusion des livres) par lesquelles le particulier, malgré son absence de légitimité politique a priori, est parti à l’assaut du général. Les sujets de Louis XV et de Louis XVI, qui n’avaient formellement pas le droit de prétendre à l’émulation de la gloire dans l’État, ont trouvé dans la sphère publique de la circulation des discours (dans les « Lumières ») un espace alternatif à ce lieu fermé du pouvoir. Ne disposant que de leurs expériences d’individus privés, les hommes et les femmes qui y sont intervenus ne se trouvèrent de langage commun que celui qu’ils avaient en tant que maris et femmes, parents et enfants, frères et sœurs. Ils parlèrent du monde depuis ces positions et, en un deuxième temps, systématisèrent leur modèle de parole comme un nouveau langage politique et civil. Sarah Maza explique par cette mutation la portée politique qu’acquièrent les mémoires judiciaires de la fin de l’Ancien Régime et justifie le titre de l’étude qu’elle leur consacre (Vies privées, affaires publiques). C’est aussi ce cours nouveau qui rend la publication des Confessions de Rousseau aussi fracassante que celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. À l’opposé, la conception même des Mémoires aristocratiques semble disqualifiée dans ce contexte : qu’ils soient « d’épée » ou « de cour », ces textes méritent la qualification de « Mémoires d’État » que leur donne Pierre Nora. Ils se consacrent en effet au service ou à la contemplation de l’État dans son incarnation traditionnelle et bientôt subvertie par la société. Délimitant la sphère du pouvoir comme un espace réservé, ils participent de la représentation politique que l’émergence de la notion d’individu, mise en avant par l’autobiographie, contribue à abattre.
Les Mémoires face à la notion d’individu
34La seule contre-offensive possible des Mémoires est une attaque de la notion d’individu telle que la pensée politique nouvelle l’a construite. Tout mémorialiste n’est cependant pas un Tocqueville pour élaborer une réflexion fine à ce sujet : mais sa pratique d’écriture doit lui faire rencontrer cette question. On connaît l’analyse menée par l’auteur de De la démocratie en Amérique sur le caractère moral (mélancolique) de l’individu en démocratie. Alors qu’en société aristocratique, écrit-il, les hommes étaient « presque toujours liés à quelque chose qui est placé en dehors d’eux », en démocratie :
Ils n’attendent pour ainsi dire rien de personne ; ils s’habituent à se considérer toujours isolément. […] Ainsi, non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur28.
35L’analyse politique s’achève sur une observation de moraliste : épaisseur affective est donnée au fait démocratique, ce qui le tranforme en expérience vécue. L’argumentation de Tocqueville a hérité des pages des Réflexions sur la révolution de France où Burke, en 1790, reprochait aux « Droits de l’homme » leur abstraction : les objets et les êtres y sont « dépouillés de tous [leurs] caractères concrets, dans la nudité et dans tout l’isolement d’une abstraction métaphysique »29. Le succès durable de l’argumentaire de Burke critiquant la Révolution comme édifice d’abstractions se retrouve, latent, assimilé, dans l’écriture des Mémoires.
36Un passage remarquable des Mémoires de Madame de Genlis rassemble ces griefs. Évoquant son retour à Paris en 1800, après neuf ans d’émigration, il lui faut constater : « tout me paraissait nouveau ; j’étais comme une étrangère que la curiosité force à chaque pas à s’arrêter » ; « je trouvais tout changé, tout jusqu’au langage »30. Et elle consacre une dizaine de pages à faire le détail de mots et expressions nouveaux qui sont pour elle autant de monstruosités linguistiques suscitées par la vulgarité, mais aussi un penchant immodéré à l’abstraction :
Voici encore des phrases du langage révolutionnaire, qui ne me déplurent pas moins : aborder la question, en dernière analyse, traverser la vie. On ne traverse un chemin que dans sa largeur, car y marcher dans sa longueur, c’est le suivre. Ainsi, traverser est toujours faire un petit trajet : quand on vit d’âge d’homme, on n’a point traversé la vie, on l’a parcourue, l’expression était donc impropre ; on ne pourrait dire que d’un enfant mort au berceau, qu’il a traversé la vie31.
37Que l’analyse s’arrête sur cette formule est particulièrement significatif : la leçon est qu’il faut toujours être concret lorsqu’on parle du monde et ne pas entrer dans les formalisations de l’« abstraction métaphysique » (ce dernier point étant le privilège de la religion révélée).
38La pensée contre-révolutionnaire prône le retour à une langue concrète. Une phrase, pour peu qu’elle contienne un mot dont le référent se situe dans le monde concret, porte un discours assagi : la représentation mimétique conduit en effet à respecter un réseau de cohérence. De même que l’objet du monde n’est connu de l’expérience que dans le contexte des lois physiques et morales (les coutumes) où il est perçu, de même le mot de la phrase n’est autorisé qu’à de certaines alliances. Dans l’exemple cité, Madame de Genlis, en rétablissant la cohérence d’une image, réordonne le monde. Et exemplairement, ce qu’elle désigne d’abord comme concret, sans hésitation, c’est la vie : il n’y a pas de doute, la vie est un trajet, un chemin qu’on parcourt. Cette certitude métaphorique n’est pas le résultat de la démonstration, mais son postulat.
39Le genre des Mémoires, polémiquement, voudrait faire reconnaître ainsi son prestige moral et politique : son objet n’est pas l’individu, ce concept abstrait qu’a construit la langue du droit qui piège l’autobiographie ; son objet est une personne, c’est-à-dire l’incarnation concrète de l’individu dans le monde. Les Mémoires, ainsi, ne s’égareraient pas à contempler une abstraction métaphysique (l’individu irréductible) ; ils rendraient compte d’une vie, de l’inscription concrète d’une trajectoire particulière dans le monde, dans les cadres où se construisent peu à peu la personne morale et sociale.
Des « Mémoires aristocratiques » aux « Mémoires historiques »
40Aucun contemporain de la Révolution ne peut échapper au sentiment nouveau qu’occasionne la redéfinition des rapports entre l’individuel et le collectif : si l’inspiration des mémorialistes rejette le modèle politique nouveau, démocratique, elle n’en est pas moins conduite à subir fortement son influence. Les Mémoires s’imposent à eux-mêmes de représenter conjointement l’individu et la société, ils refusent la sécession égotiste où prospère l’autobiographie : ils se tiennent donc exactement sur le terrain le plus sensible pour subir de plein fouet la redistribution politique de la donne sociale. Scrutateurs des fluctuations qui relient les destins particuliers à la continuité pérenne de l’État, ils inventent une issue pour remotiver leur discours en intégrant la temporalité historique comme leur matière nouvelle et spécifique.
41Les Mémoires aristocratiques ne connaissent plus de refuge dans le « hors-temps » de la sphère aulique : pour maintenir leur projet de fidélité à l’observation de l’État, ils sont contraints de devenir des Mémoires historiques. Ce constat corrobore l’analyse proposée par Pierre Nora : « c’est sous l’influence de trois grands faits que le terme de “Mémoires” a pris son acception contemporaine : l’approfondissement de l’analyse du moi, l’effacement d’un type de pouvoir de droit divin et l’accélération brutale de l’histoire. Trois faits intimement liés entre eux à la fin du xviiie siècle, et qui ont fixé définitivement le genre, dans sa tradition démocratique32. » La désignation d’une tradition démocratique des Mémoires paraît trop audacieuse : c’est l’autobiographie de type rousseauiste qui incarne la mémoire particulière dans une démarche démocratique. Mais il est certain que l’entrée dans un âge politique nouveau a eu de grandes conséquences pour un genre de tradition aristocratique. Quand bien même ils restent aristocratiques de part l’appartenance sociale de beaucoup d’auteurs, les Mémoires ne peuvent plus, au xixe siècle, se contenter de proroger les modèles anciens, « d’épée » et « de cour ». Dans l’âge démocratique, il leur faut réinventer leur légitimation et c’est en devenant historiques qu’ils y parviennent. C’est la voie par laquelle ils échappent à l’emprise de Rousseau, continuent à triompher malgré les prestiges nouveaux de l’autobiographie. La mémoire historique se découvre même une saveur nouvelle puisqu’elle peut désormais s’apparenter à la nostalgie, à la reconfiguration dans le passé d’un pouvoir qui n’est plus dans la réalité. La mémoire est en quelque sorte le privilège que la noblesse a gagné la nuit du 4 août 1789.
Les Mémoires : entre le moi et le monde, entre l’autobiographie et l’histoire
42La double appartenance qui rend « amphibies » les Mémoires (un pied dans l’autobiographie, un pied dans l’histoire) n’est pas une double postulation : les déclarations d’intention sont loin de tenir la balance égale entre les deux. S’élever à la hauteur de l’histoire, se montrer digne au moins de la « servir », est une volonté sans cesse proclamée. L’autobiographie, au contraire, est la menace dont il faudrait se préserver : parler de soi hors de l’histoire est donné pour malséant et ne se fait qu’au prix d’excuses.
43Qu’on se souvienne de la manière dont Benjamin Constant expliquait son refus de pratiquer le genre : malgré eux, les hommes « les plus distingués par le tact et la mesure » y sont entraînés à « parler beaucoup de ce qui les concerne personnellement ». Quant aux fragments qu’il consent à donner, Constant les soumet à la règle que nous pouvons citer à nouveau, tant il formule avec clarté ce que les mémorialistes seraient prêts, en majorité, à contresigner : « je ne parlerai donc de moi qu’autant qu’il le faudra pour indiquer comment j’ai su les faits que je raconterai33. » Une promesse si scrupuleuse est peut-être chimérique : il est demandé au narrateur de s’abstraire comme point focal, l’invisibilité devenant un atout du bien voir. Quintes-senciée, la mémoire historique est réduite à la fonction de témoignage historique. Mais évidemment, l’incarnation du témoin, sa consistance corporelle, émotive et intellectuelle, ne se laissent pas si facilement annihiler : et c’est ce que Constant reproche au genre.
44Dans la double appartenance où les Mémoires sont installés, la répartition des rôles est en tout cas bien claire : l’un est digne, cause d’orgueil et source inépuisable de légitimité (l’histoire) ; l’autre est indigne, faiblesse qui peut facilement devenir indécence morale et sociale (l’autobiographie). Ceux qui exaltent les Mémoires comme le genre d’une excellence nationale cherchent à se rassurer en prétendant, malgré Rousseau, l’autobiographie antipathique au sol français. C’est ce qu’essaie de croire Pierre Larousse : « en France, si bonne opinion qu’on ait de soi-même quand on transmet le souvenir de sa personne à la postérité, on écrit toujours un peu plus la vie des autres que la sienne propre »34. Et pourtant la mémoire historique connaît l’énonciation à la première personne pour sa nécessité constitutive, le déroulement chronologique pour son vecteur le plus commode : elle n’en refuse pas moins de se laisser imposer comme objet de discours ce que la conjonction de ces éléments semble appeler nécessairement, le moi. Comment rendre supportable cette nécessité qui fait qu’on dit « je » quand on parle ? La question peut sembler absurde, elle révèle l’aliénation à laquelle a conduit, après cent cinquante ans, le dogme pascalien du « moi haïssable » figé en précepte de morale. Un esprit aussi éclairé que celui de Germaine de Staël n’hésite pas à écrire, au début de Dix années d’exil : « je me flatte de me faire souvent oublier en racontant ma propre histoire35. » La proposition est radicale sans être originale : elle ne fait que pousser à sa limite le discours qui se rencontre chez beaucoup de mémorialistes du temps. La « grande affaire » qui mobilise l’énergie de ceux-ci et allonge leurs discours de la méthode, c’est en effet l’articulation du discours sur le monde avec un discours sur soi. À voir la longue suite de Mémoires publiés depuis le xviie siècle et réactualisés avec force par les rééditions des années 1820, on aurait pu croire que certaines solutions exemplaires avaient été trouvées pour traiter cette difficulté qui est une donnée constitutive du genre.
45Or, tel n’est pas le cas : l’écriture de la mémoire historique reste tourmentée par cette difficulté têtue. Les conditions nouvelles, « tocquevilliennes », de l’existence, celles qui isolent l’individu dans la responsabilité de sa propre histoire, font s’entrechoquer le monde et le moi comme un enjeu unique pour la conscience. Inscrit dans le monde et sa chronologie comme dans le cadre abstrait où s’exercera sa compétence, l’individu y construit le sens qui lui est propre. Mais les exigences de cette conscience nouvelle se heurtent violemment au code d’expression qui dit le moi « haïssable ». La génération qui écrit ses Mémoires dans les années 1820 et 1830 maintient cette convention pour réguler les usages de la sociabilité et de l’écriture. Les mémorialistes de ce temps font donc mine de souscrire à cette exigence : mais ils sont conscients que, par le fait même de leur démarche, ils la violent nécessairement.
46Pour articuler et rendre compatibles les discours menés sur le moi et sur le monde, les mémorialistes essaient principalement deux solutions qu’ils mènent de front. La première serait radicale si elle était possible absolument : l’effacement de soi, obtenu en contenant le plus possible la subjectivité dans un idéal d’abstraction testimoniale. La seconde procède à un travail constant de rectification : la volonté d’effacement laissant toujours quelques « je » en représentation, il faut s’en excuser, s’en justifier ; dès que la situation narrative impose un passage un peu trop abrupt du monde au moi, on fait appel à des segments métadiscursifs pour opérer des raccords visibles entre les deux termes. Les exemples de Bourrienne et de la duchesse d’Abrantès, tous deux concernés par le même enjeu (comment évoquer sa relation avec Napoléon ?), permettent d’illustrer ces démarches. Nous verrons cependant qu’elles ne sont pas exclusives et que d’autres mémorialistes inventent d’autres solutions.
L’effacement de soi : la stratégie de Bourrienne
47On a vu que Bourrienne signalait à peine la date de sa naissance, ou plus précisément ne s’autorisait à la dire qu’après celle de Napoléon : parmi les mémorialistes, il est certainement l’un de ceux qui affichent le plus soigneusement la volonté de s’effacer comme personnage. Écoutons-le proclamer avec fierté son désir d’être humble :
J’ai lieu d’espérer que si mes lecteurs ont quelques reproches à me faire, du moins ils n’auront pas à me reprocher de les avoir trop souvent entretenus de moi ; je m’efface, autant que je le puis, derrière les personnages beaucoup plus importants que j’ai vus de près, et que je tâche de leur faire connaître. Cependant il est quelques circonstances qui me sont personnelles et que je ne crois pas devoir omettre : telles sont les infâmes calomnies dont je n’ai pas cessé d’être poursuivi, avec un acharnement implacable36 […]
48Malgré tout, parle-t-il de lui-même quelquefois ? « C’est une nécessité à laquelle on est condamné quand on se résout à publier ses Mémoires37 »: la nécessité de dire « je » quand on parle ! Ce qu’on tiendra pour une contrainte structurelle du genre est expliqué autrement : la faute en est aux « infâmes calomnies ». Les Mémoires, qui se voudraient historiques, semblent alors rattrapés par leur filiation judiciaire : parce qu’un méchant a dit « tu » (ou « vous »), il faut bien répondre avec un « je ». Forçant le narrateur à sortir du bois – de l’effacement – et à se montrer à découvert – comme personnage –, la calomnie est une catastrophe double : morale (dans la vie) et poétique (dans les Mémoires). Il faut alors employer les grands moyens, redoubler les effets d’annonce et d’excuse : « ici, quelque répugnance que j’ai à parler de moi, il faut bien que j’entre dans quelques détails sur les attaques que mes ennemis dirigèrent contre moi avec une si cruelle persévérance38. » Enfin, la vraie catastrophe, celle qui aboutit à l’extinction du fil narratif de ces Mémoires (qui s’étendent quand même sur dix volumes), c’est le moment des Cent-Jours et de Waterloo. Alors, en effet, s’efface celui derrière lequel le mémorialiste s’effaçait constamment : défait sur le champ de bataille, Napoléon est expulsé du premier rôle. Et c’est ainsi, à la fin du dixième et dernier volume qu’on trouve enfin une allusion de Bourrienne à sa famille, qu’on apprend qu’il a des enfants. Il fuit Paris au moment des Cent-Jours, parce qu’il avait fait le choix, peu avant, d’une carrière auprès des Bourbons (étant nommé préfet de Paris une semaine avant le retour de Napoléon) :
Je trouvai à Lille, et plus tard à Hambourg, des nouvelles de ma famille que j’attendais avec grande impatience, et auxquelles j’emprunte les détails suivants sur ce qui se passa relativement à moi lors de l’entrée de Bonaparte à Paris. […] J’étais, comme on l’a vu, parti à quatre heures du matin ; deux heures après mon départ, Madame de Bourrienne quitta aussi Paris, emmenant avec elle ses enfants, pour se rendre à sept lieues de la capitale, dans un asile qu’un de mes amis lui avait offert39.
49On remarquera que, pour qu’un passage de précision personnelle si rare advienne, il a fallu que Bourrienne dissocie radicalement son sort politique de celui de Napoléon, en passant dans le camp adverse. Notons aussi que si, dans ce passage, Madame de Bourrienne et « ses enfants » sont convoqués in extremis, c’est comme une extension des yeux et des oreilles du mémorialiste : clairement désignés comme source d’informations, ils sont utilisés, pendant les Cent-Jours, pour que ne soit pas rompue la fonction testimoniale concentrée sur les activités de Napoléon, seule légitimation de ces Mémoires.
50En dehors de ces grandes crises de l’histoire où l’individu est mis en situation d’autonomie et de responsabilité, Bourrienne tient-il bien, dans ses Mémoires, ses intentions d’effacement ? Il faut reconnaître qu’il cède à un autre le rôle de protagoniste. Ancien secrétaire particulier du Premier Consul, il prétend rester dans sa tâche discrète de scribe : s’imposer, en quelque sorte, comme le secrétaire perpétuel de la geste du grand homme. On se doute de l’ambivalence de cet effacement de soi, puisqu’il n’est pas sans compensation d’orgueil – si l’on veut bien raisonner un instant à partir des termes moraux implicites chez l’auteur comme pour la convention du « moi haïssable ». Le titre de son ouvrage n’use pas du terme de « Mémoires » dans un emploi absolu. Mémoires de M. de Bourrienne, ministre d’État, sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration : faut-il retenir surtout qu’il s’agit de « Mémoires de » ou de « Mémoires sur » ? Entre les deux acceptions du terme, l’ambiguïté est cultivée : cette mémoire est annoncée comme transitive, éloignée de tout solipsisme, mais la mémoire historique d’un ministre (Bourrienne l’est devenu sous Louis XVIII) est forcément personnalisée. Après le titre, Bourrienne fait figurer en épigraphe le bref extrait d’un dialogue qu’il aurait eu avec le jeune général Bonaparte :
Eh bien, Bourrienne, vous serez aussi immortel, vous ? — Et pourquoi, général ? — N’êtes-vous pas mon secrétaire ? — Dites-moi le nom de celui d’Alexandre ?…
51Ce petit échange verbal est repris en tête de chaque volume : l’initiative ne manque pas de piquant et manifeste, avec une touche d’autodérision, une certaine habileté dans l’art d’inscrire son propre rôle. Il se trouve en effet que le contexte auquel est emprunté l’extrait lui donne un prolongement très suggestif ; on le trouve à l’intérieur des Mémoires :
Bonaparte ignorait le nom du secrétaire d’Alexandre, et je ne pensai pas, dans le moment, à lui dire que ce secrétaire s’appelait Callisthènes : il a écrit des Mémoires sur Alexandre comme j’en écris aujourd’hui sur Napoléon ; mais je ne crois pas plus, malgré cette ressemblance, à l’immortalité de mon nom que je ne la désire40.
52La convention de l’effacement de soi, respectée dans la lettre, est complètement subvertie : même déniée, une forme d’immortalité, gravée dans la légende, est promise. Quand bien même il se retire du devant de ses Mémoires, Bourrienne entend bien, en creux, voir sa présence s’épaissir, se construire au fur et à mesure de la qualité de ce qu’il dira d’un autre. Dans l’attente de ce gain ultime, ses Mémoires respectent leur programme biographique : c’est l’existence de Napoléon, et non pas celle de l’auteur-narrateur, qui fournit la trame du récit, son vecteur premier.
Le moi et le monde juxtaposés : les raccords discursifs de la duchesse d’Abrantès
53Tout entier placé sous le couvert d’une épigraphe qui le rend très ambigu, l’effacement de Bourrienne dans ses Mémoires n’a rien d’une disparition : mais il est néanmoins vrai que, par son souci de limiter sa place comme personnage du récit, l’auteur-narrateur Bourrienne adopte une solution tranchée. Dans les Mémoires de l’époque, la démarche la plus fréquente est autre : elle consiste à juxtaposer les récits de soi et les récits du monde, des interventions discursives de la narration venant combler l’entre-deux et faire office de raccords. Le modèle le plus fréquent est le suivant : on déclare en avant-propos son souci d’un strict contrôle de la place du « moi » dans le texte (c’est la clause obligée du pacte de la mémoire historique). Mais ensuite, cette règle est rappelée aussi souvent que le réclame l’avancement du récit, c’est-à-dire aussi souvent qu’elle est transgressée, et le texte finit par être bardé de discours justificatifs. Pour un « je » narratif commis dans le texte, cinq ou six « je » discursifs surgissent afin de l’enserrer, l’excuser et le protéger, le masquer : le résultat est évidemment contre-productif ! L’intention qui a été énoncée au départ est ainsi, régulièrement, reprise et modulée : entre le récit du monde et le récit de soi, cette inflation de discours joue le rôle de charnières efficaces à défaut d’être élégantes. C’est ainsi que, sous couvert d’enjeux moraux, ce sont des considérations de type poétique qui ponctuent le texte : « comment passerais-je sous silence la part que je pris à cette affaire ? », « puis-je parler de moi dans mes Mémoires ? », « peut-on parler de soi dans des Mémoires ? » Etc.
54De ces raccords discursifs, la duchesse d’Abrantès, n’a pas l’apanage mais seulement une pratique très voyante. Dans le chapitre introductif de ses Mémoires, elle sacrifie à un rite quand elle légitime son ouvrage en établissant la nature du lien particulier qui, dans son existence, a lié le moi et le monde. L’événement remonte à son enfance et déterminera sa vie :
C’est à peu près vers cette époque [la Révolution] que des intérêts particuliers, d’une haute importance pour ma famille, dans les suites qu’ils eurent relativement à elle, vinrent s’enchaîner à l’intérêt général. Je veux parler des relations très étroites qui existaient entre ma mère et la maison Bonaparte41.
55Le problème délicat de l’inscription de soi dans le monde est ainsi évacué avec une superbe aisance : la fréquentation longue et intime de Napoléon par la duchesse rendrait impossible de parler de l’un sans parler de l’autre. Comme Bourrienne, la duchesse d’Abrantès unifie sa démarche de mémoire historique dans la perspective d’une biographie napoléonienne, mais en prenant une autre position que le retrait du scribe : ses Mémoires sont vivifiés par l’évocation d’une relation d’amitié toujours dynamique avec le grand homme. Ces conditions, posées en introduction, sont rappelées de temps à autre pour devancer le reproche de trop parler de soi :
Bien que mes intérêts privés ne soient pas destinés à être retracés dans cet ouvrage, il en est toutefois qui tiennent à la grande figure que j’ai jetée en moule en commençant ces Mémoires, et, en les omettant, je pourrais peut-être faire tort à l’effet que doit produire la réunion de l’homme privé à l’homme immense qui se trouve hors de toute route connue et même battue42.
56La destination a priori de l’ouvrage – et du genre dont il relève – est clairement rappelée (il n’est pas fait pour les « intérêts privés »), mais pour ce qui la concerne, la duchesse d’Abrantès a trouvé le moyen de contourner cet interdit. Ce type de discours est censé excuser le fait de parler de soi : or, évidemment, il ne rend la chose que plus voyante.
57Ainsi, pour un mémorialiste, le privilège n’est sans doute pas tant d’avoir vécu la conjonction de son expérience particulière avec le courant de l’histoire : le privilège est de savoir l’exprimer. En effet, comment ne pas déraper dans cette poétique propre à la mémoire historique que caricature Benjamin Constant quand il fait dire au général Dumouriez : « tandis que la France était en feu, j’étais enrhumé au fond de la Normandie » ? Si la guerre était là d’une part, mais le rhume non moins avéré de l’autre, comment, quand on n’envisage pas un instant d’écrire pour amuser, tenir l’engagement de la mémoire historique ? Les mémorialistes se posent plus souvent la question qu’ils ne savent la résoudre : ils se situent parfois dans les parages de ce que Constant a si bien moqué. Madame d’Abrantès n’hésite pas à étoffer son évocation de Waterloo d’un retentissement à focalisation particulièrement restreinte : au sommaire du chapitre, on lit qu’elle traitera aussi bien du mouvement des armées que de « ce que m’a coûté l’invasion des puissances étrangères »43, à savoir la terrible réduction de son train de vie.
58Madame de Genlis opère une mise en rapport du moi et du monde plus maîtrisée quand elle signale ainsi le commencement de la Révolution :
La révolution éclata le 9 juillet ; c’était la veille de ma fête, que l’on célébrait à Saint-Leu par de charmants spectacles. Un peintre, nommé Giroux, jouait dans une pantomime le rôle de Polyphème ; nous apprîmes les premiers mouvements de Paris pendant nos spectacles44.
59L’histoire publique est ici contextualisée dans la vie personnelle, plutôt que l’inverse : mais c’est au service du témoignage historique de l’auteur, cela sert à montrer l’impréparation de l’aristocratie de cour à la tournure nouvelle des événements. Il en va tout autrement quand, à son tour, Madame de Campestre expose la contiguïté, dans sa vie, des plaisirs mondains et des grands bouleversements politiques (en l’occurrence, le retour de Napoléon de l’île d’Elbe) :
Les neuf à dix premiers mois de la Restauration étaient à peine écoulés, que Paris fut surpris tout-à-coup par un bruit qui d’abord ne circula que sourdement et répandit l’inquiétude dans les esprits. On se disait à l’oreille que Bonaparte venait de débarquer à Cannes et marchait sur Paris. À la première nouvelle d’un si étrange événement, mon frère courut au château pour apprendre quelque chose de certain. Le château était calme ; il questionna plusieurs personnes : on lui dit que c’était un bruit en l’air, que tout était tranquille en France. Il vint m’apporter ces nouvelles, qui me firent beaucoup de plaisir, car ce jour-là même je devais aller d’abord à un bal de société, ensuite à un bal masqué de l’Opéra, et j’aurais été bien fâchée que les affaires d’État vinssent déranger mon aimable partie45.
60Dans ces Mémoires marqués du modèle judiciaire, l’auteur érige en système de défense le fait de se présenter comme une écervelée en politique – quand bien même l’ensemble de son ouvrage la montre constamment impliquée dans des intrigues autour de gens en place. Le bal est évidemment désigné comme un symbole de futilité, d’une action qui refuse de calculer ses conséquences dans la durée. Qu’on retrouve, dans ces deux exemples, le bal et le spectacle comme lieu et moment de la rencontre imprévue entre le moi et le monde n’est pas indifférent : alors que cette mise en rapport des deux éléments fait le principe même de l’écriture des Mémoires, elle embarrasse généralement les mémorialistes comme si elle était un écart de conduite auquel exposerait parfois le genre, plutôt que sa norme. C’est pourquoi ces mémorialistes théâtralisent avec ostentation la rencontre du moi et du monde dans un même récit comme un scandale qu’ils ont subi sans le vouloir, une anomalie qui montre à quel point de dérèglement les temps en sont venus. Le cours normal de la vie est surpris au théâtre ou à l’Opéra, ces espaces si propices pour servir de comparants dans une métaphorisation du monde : public et privé, tout se confond sur une même scène.
61Certains auteurs de Mémoires, assez rares, choisissent d’assumer plus directement les conséquences narratives de leur choix d’une mémoire historique énoncée à la première personne : contraints de dire « je », ils décident de n’avoir ni peur ni fausse honte à le faire. L’artificialité d’un effacement de soi à la Bourrienne ne leur convient pas ; la juxtaposition lourde des discours sur soi et sur le monde, faite à coups de transitions embarrassées, leur apparaît comme des hypocrisies morales et des faillites stylistiques. Ils ne sauraient sacrifier leur bon goût à de tels expédients et cherchent à mettre au point des stratégies plus subtiles pour imposer l’inscription de soi dans le monde, pour acclimater ensemble le récit du monde et le récit de soi.
L’autobiographie masquée du chevalier de Fonvielle
62Sachant que la modestie de son rôle social fait de lui un auteur inattendu pour des « Mémoires historiques », le chevalier de Fonvielle affronte le paradoxe avec audace. À défaut de titres à faire valoir, il met en avant une personnalité complexe : celle-ci, quoique singulière, vaudra comme emblème des temps nouveaux. La rhétorique est directement tirée du modèle rousseauiste : la valeur du moi vient suppléer la défaillance du rang.
63D’emblée, Fonvielle doit se défendre contre les sarcasmes sur l’indignité sociale de sa mémoire. Il le fait dès les premières lignes des onze pages de sa « Préface » :
L’impression de cet ouvrage était déjà en mouvement lorsqu’on a doucement insinué dans un journal qu’il y avait une sorte de ridicule attaché à l’idée d’un honnête père de famille qui, n’ayant rien été, s’était avisé de penser que le public accueillerait avec quelque intérêt ses Mémoires particuliers, qu’il intitulerait mémoires historiques, parce que, dans le cours de sa vie inconnue, il aurait eu quelques démêlés avec la révolution46.
64Au terme de la préface, l’argumentation prend le tour d’un vrai pastiche des Confessions :
Si l’un d’eux [les journalistes hostiles] va s’aviser de chercher, dans mes Mémoires, ce qui lui semblera prêter au ridicule, au lieu d’en discerner le but éminemment moral, je ne perdrai ni mon temps ni mon encre à répondre au critique : j’irai à lui, je l’envisagerai, j’étudierai sa physionomie, je la graverai dans ma tête : rentré chez moi, j’écrirai mes remarques à la manière de Lavater, et je mettrai au bas : voilà les traits d’un méchant homme47.
65Rousseau désignait le lecteur récalcitrant comme « un homme à étouffer » : la physiognomonie, on le voit, est une avancée qui permet une méthode plus policée ! On peut trouver, plus généralement, que Fonvielle, né en 1760, apparaît à travers ses Mémoires historiques comme un Rousseau qui serait né cinquante ans après Jean-Jacques – le talent en moins. Mais cette différence de période est essentielle : elle empêche Fonvielle, dans l’élaboration de son récit de soi, de tenir l’histoire en dédain – alors que, dans une certaine mesure, c’est ce que fait Rousseau, homme du xviiie siècle que l’histoire concerne abstraitement comme devenir théorique et comme support d’invention mythographique48.
66La référence convoquée par Fonvielle est cependant celle d’un autre fameux diseur de « moi », Montaigne, à l’occasion d’un passage très évocateur en ce qu’il rappelle la doxa qui ne veut pas de « moi » dans des « Mémoires historiques » et énonce la nécessité de passer outre :
Le titre d’historiques que j’ai donné à ces mémoires semblerait, au premier aspect, m’interdire de parler de moi, ou du moins m’imposer le devoir de ne me mettre en scène que lorsque ce qui m’est purement personnel se trouvera indissolublement lié aux faits véritablement historiques que j’aurai à y rappeler pour juger à ma manière, ou à y exposer au jour pour la première fois. C’est ainsi que d’abord j’en ai jugé moi-même ; aussi mon premier mouvement, quand j’ai tracé le plan de mon ouvrage, a-t-il été de m’effacer entièrement, autant qu’il me serait possible, pour n’y admettre aucun détail étranger à l’histoire de la révolution. Mais bientôt j’ai considéré que l’étude de l’homme avait aussi son importance. Élève de Montaigne, je me suis rappelé que ce maître, trop légèrement accusé d’égoïsme par des esprits chagrins qui n’ont pas su l’apprécier, n’avait atteint les sommets les plus élevés d’une sage philosophie qu’en se rendant lui-même l’objet de ses méditations, qu’en cherchant jusque dans les derniers replis de son propre cœur le type des sensations morales qui déterminent nos actions, engendrent nos vertus ou nos vices, et constituent ce moi dont nul être créé ne saurait éviter l’inflexible influence49.
67Que nul être ne puisse échapper à l’influence de son « moi »… c’est heureux ! Au temps même où le genre des Mémoires triomphe, écrire sur soi est encore si peu admis que certaines évidences premières ne sont retrouvées qu’au terme d’argumentations serrées. Ici, il est rappelé d’abord que le « moi » est banni, que l’auteur doit s’employer à l’effacer. Mais heureusement Montaigne est là, sollicité comme une autorité plus recommandable que Rousseau : et aussitôt l’argumentation se renverse. « L’étude de l’homme » est un objet qui vaut qu’on s’y arrête : dans l’axiologie du texte, la caution historique est supplantée par la validité anthropologique. De cette manière, un auteur qui a du mal à se faire reconnaître dans le champ historique peut glisser dans le champ de la science morale et parvenir à devenir, quand même, un personnage.
68Refusant l’attitude convenue de l’effacement de soi – « n’ayant rien été », il juge n’avoir pas même à s’effacer…– Fonvielle invente, au contraire, de se mettre en avant. L’ouvrage peut bien s’appeler Mémoires historiques, son « projet fondamental » le situe nettement dans le sillage des Confessions de Rousseau : un homme a l’abnégation de s’y donner pour « pièce de comparaison ».
Récit d’enfance
69Fonvielle est en effet l’un des très rares auteurs à entrer dans le détail de son enfance et adolescence : parmi les auteurs dont s’occupe cette étude, seuls Chateaubriand et, dans une moindre mesure, Madame de Genlis, le font. La présence du récit d’enfance, rupture avec l’usage admis des Mémoires, appelle un métadiscours justificatif :
Cependant comme il me paraît indispensable que mes lecteurs sachent qui je suis, et qu’ils puissent apprécier les titres que je crois avoir à leur attention, j’ai jugé à propos, avant d’entrer dans mon sujet, de donner une esquisse rapide de ma vie jusqu’au moment où la révolution vint en troubler le cours naturel, bouleverser toutes mes idées, détruire toutes mes espérances, et me forcer à faire un choix entre ses doctrines et celles dont je m’étais nourri pendant près de trente ans50.
70Fonvielle ne va pas se contenter, en fait, d’esquisser ses trente premières années : bien plus qu’une entrée en matière, celles-ci formeront en soi un premier sujet, déplié sur plus du tiers de l’ensemble (un volume et demi sur quatre). L’auteur convoque, au gré d’une apostrophe appuyée, les « souvenirs de [ses] jeunes années » : « venez me consoler ; venez me convaincre que je méritais plus de bonheur […] Entrez dans tous les détails de mon existence passée. Je cherche à me connaître51. » Par ces derniers mots, « projet fondamental » d’une autobiographie, le récit d’enfance est installé comme une nécessité.
71De cette enfance détaillée de Fonvielle, on peut retenir, par exemple, le récit de ses diverses fugues, de son placement dans une « maison de correction redoutée »52, de son initiation forcée dans un mauvais lieu où il compatit avec le sort d’une jeune prostituée53… Tant de précisions dans ce récit se légitiment ostensiblement par la connaissance anthropologique de « l’homme » et non pas par celle, historique, des années 1760 à 1770. À travers son enfance, Fonvielle décrit l’enfance, ou un certain type d’enfance : très vive, faite de chahuts, avec des « espiègleries » qui vont loin54. Il peut sembler parfois que la narration fasse quelque effort louable pour motiver, quand on ne s’y attend pas, l’épithète « historique » portée par le titre. Par exemple lorsque le discours du narrateur valide sur ce plan telle expérimentation dont ce récit d’enfance abonde. L’enfant a six ans et demi :
À cette époque il me survint un grand chagrin. J’avais renfermé plusieurs grillons dans une petite cage ; un matin je les trouvais tous morts, dévorés par des fourmis sans nombre qui étaient venues les attaquer. Je pleurai amèrement ces pauvres insectes, et je fis des cages plus grandes pour en élever d’autres, calculant qu’ils étaient assez forts pour se défendre, s’ils pouvaient se mouvoir dans un espace suffisant. Je me dis que, quelque nombreuses que fussent les fourmis, je n’aurai rien à craindre pour mes grillons, si je les laissais en état de développer tous les moyens de résistance dont la nature les avait dotés. L’essai me réussit : les fourmis ne purent plus rien contre ma nouvelle ménagerie… Il y aurait là, je crois, un assez bon sujet d’apologue, applicable à la position où se trouvent en France les honnêtes gens vis-à-vis des révolutionnaires55.
72Le discours politique encadrant, contre-révolutionnaire, se rappelle au lecteur : mais au sein d’un récit qui l’avait par ailleurs évacué, tout entier consacré à l’évocation intimiste des jeux de l’enfant, de ses frères, de ses précepteurs… En fait, l’apologue qu’on nous propose est sans doute moins historique que moral : que l’auteur ne pense pas cette distinction – et même la récuserait violemment – n’empêche pas de le faire à sa place. Comme apologue, la scène des grillons vaut surtout dans le récit de formation du personnage : elle l’éduque et lui donnera, par exemple, un outil métaphorique pour penser la Révolution.
73En somme, l’évocation de son enfance par Fonvielle construit avant tout un récit d’apprentissage. À la Rousseau, il scande régulièrement la narration de ses turbulences enfantines de réflexions qui les réinscrivent dans le projet fondamental de se connaître, de voir une personnalité se former. Par exemple, de son placement en maison de correction, contraire à une promesse faite par sa mère :
J’avoue que cette trahison déposa dans mon âme un levain qui aurait pu produire de très fâcheux effets, si mon bon naturel ne l’avait bientôt fait disparaître. Il m’en est resté une horreur invincible pour le mensonge et la dissimulation56.
74On peut citer encore, ponctuant le récit d’une fugue qu’il accomplit à douze ans en y entraînant ses deux jeunes frères :
Ce petit trait de force est le premier développement de mon caractère. Durant tout le cours de ma vie, lorsque j’ai conçu un dessein, je l’ai suivi avec une ténacité qui m’a rendu faciles tous les efforts qu’il a pu me coûter. Aussi, généralement parlant, ai-je toujours réussi à ce que j’ai voulu… Hélas ! peut-être le temps des succès est-il passé pour moi, et ai-je atteint celui des infortunes !… Soit !… mais mon courage ne doit pas se laisser abattre… Continuons mes souvenirs. […] J’en retrouve un grand nombre dans mes notes, dont je n’offre ici qu’un extrait ; je les supprime, soit parce que quelques-unes d’entr’elles pourraient convenir tout au plus à un roman tel que le roman de Faublas, soit parce que mon unique but est de découvrir les racines de ce qui constitue mon caractère, comment je suis devenu homme, pourquoi je suis ce que je suis57.
75Inutile de souligner encore combien se trouve explicité, dans ces dernières lignes, le projet de l’auteur. Le passage apporte d’autres intérêts. D’une part, Fonvielle se montre conscient que le trop de soin qu’il met à détailler son récit expose celui-ci au péril du romanesque, identifié par une certaine gratuité du sens : quand les péripéties prennent une telle ampleur et densité qu’elles s’émancipent du pouvoir d’encadrement du discours finalisant initialement prévu. On constate d’autre part que l’auteur n’hésite pas à donner libre cours à une série d’exclamations dolentes, exprimées au temps de l’énonciation, dans lesquelles on peut entendre l’écho d’accents rousseauistes qui se sont intégrés aux conventions de l’écriture de soi : à côté du récit picaresque de l’enfance et du discours anthropologique et moral qui l’enserre, l’auteur trouve la respiration nécessaire pour faire sa place à cette troisième veine qu’est la plainte.
76Il est donc légitime de tenir les Mémoires historiques du chevalier de Fonvielle pour une autobiographie, mais masquée en Mémoires. Le masque est facile à lever car le titre, en couverture, fonctionne comme un leurre. L’ouvrage est organisé en douze livres (subdivisés en chapitres), dont les intitulés sont éloquents : « Considérations préliminaires » ; « Souvenirs de l’enfance » ; « Souvenirs de ma jeunesse » ; « Souvenirs de l’âge viril » ; « Aurore de la maturité » ; « Souvenirs de la maturité » ; « L’Émigration » ; « L’homme fait » ; « Le père de famille » ; « L’homme public » ; « La restauration. Première époque » ; « La restauration. Deuxième époque ». Les éléments de périodisation historique et personnelle sont mêlés mais les deuxièmes l’emportent largement. Dans l’économie interne de la narration, les transitions articulent fréquemment les étapes d’un récit de soi dégagé des références au contexte historique :
Ici commence une autre époque de ma vie, que je ne sais comment intituler. Ce n’est plus mon enfance, ce n’est plus le temps des études, ce n’est pas ma maturité, ce n’est pas même mon adolescence : c’est ici que va se former la chaîne des événements qui ont maîtrisé ma destinée ; c’est ici, qu’entraîné par une pente irrésistible, je subis l’épreuve des caprices de la fortune ; c’est ici que mon cœur, accessible à tous les extrêmes, va s’épurer au feu de toutes les passions ; c’est ici enfin que, livré à moi-même, jeté sans boussole et sans guide sur la mer la plus orageuse, je traverse tous les écueils, non pas sans les heurter, mais sans périr58.
77Quoique l’auteur ait dit son souci de ne pas appliquer à soi les recettes d’un romanesque à la Faublas, on constate que le récit est à ce point centré sur son individualité que les événements du monde, pris dans cette focalisation, y deviennent « caprices de la fortune », métaphorisés sous la forme d’« écueils », ces obstacles-types du picaresque. Pourtant Fonvielle n’a pas appelé son livre « confessions » ou « histoire de ma vie » : c’est que la vague des « Mémoires historiques » qui déferle dans les années 1820 lui sert à légitimer ce qu’il publie en 1824, tant vis-à-vis du public que sans doute de lui-même. Malgré Rousseau, l’autobiographie proprement dite reste pour Fonvielle difficilement justifiable dans ses principes : aussi livre-t-il la sienne, à peine amendée, sous l’étiquette recevable de « Mémoires historiques ». C’est un auteur qui se débat contre le préjugé tenace du « moi haïssable » et contre la rigidité inhérente aux typologies génériques : moqué comme indigne d’avoir une mémoire historique, Fonvielle trouve refuge dans une démarche autobiographique mais ne s’autorise pas à la revendiquer ouvertement.
78Confronté à la même difficulté, Chateaubriand lui trouve une tout autre solution. Les Mémoires d’outre-tombe mettent en œuvre une stratégie discursive qui leur permet d’acclimater ensemble le récit du monde et le récit de soi. C’est en restant dans le cadre de « Mémoires » que Chateaubriand parvient à imposer un discours sur soi.
Chateaubriand et le rehaussement poétique des Mémoires
79En voulant écrire sur soi, Chateaubriand s’est d’emblée heurté au modèle rousseauiste sur lequel il s’est exprimé en termes de rejet très clairs : « Rousseau croit devoir à sa sincérité, comme à l’enseignement des hommes, la confession des voluptés suspectes de sa vie […]. Si je m’étais prostitué aux courtisanes de Paris, je ne me croirais pas obligé d’en instruire la postérité »59. Quand il écrit, en 1809, un préambule à ce qui s’appelle encore « Mémoires de ma vie », il précise la difficulté de ce qu’il entreprend :
Je me suis souvent dit : « Je n’écrirai point les mémoires de ma vie ; je ne veux point imiter ces hommes qui conduits par la vanité et le plaisir qu’on trouve naturellement à parler de soi, révèlent au monde des secrets inutiles, des faiblesses qui ne sont pas les leurs et compromettent la paix des familles. » Après ces belles réflexions me voilà écrivant les premières lignes de mes mémoires. Pour ne pas rougir à mes propres yeux, et pour me faire illusion, voici comment je pallie mon inconséquence. D’abord je n’entreprends ces mémoires qu’avec le dessein formel de ne disposer d’aucun nom que du mien propre dans tout ce qui concernera ma vie privée. J’écris principalement pour rendre compte de moi à moi-même. […] je veux, avant de mourir, remonter vers mes belles années, expliquer mon inexplicable cœur60 […]
80Dans ce texte programmatique, on remarque que l’auteur ne dispose que d’un seul terme générique, « mémoires », dont les contenus varient : certains récusés, d’autres valorisés. Avec la même insistance qu’il condamne le précédent rousseauiste, Chateaubriand annonce pourtant que son « moi » sera au cœur de son ouvrage. Le projet fondamental de cette écriture de soi semble bien celui d’une autobiographie : une explication de soi qui sera une histoire de soi, allant des causes aux effets. Une précision que Chateaubriand apporte – ce sera « l’histoire de mes idées et de mes sentiments plutôt que l’histoire de ma vie » –, en resserrant l’objet d’étude sur un for intérieur irréductible, ne fait que spécifier le projet dans un sens encore plus égocentré. En fait, de la mise en œuvre initiale des Mémoires de ma vie à ce qui restera comme les Mémoires d’outre-tombe, le projet fondamental va changer : pour atteindre une meilleure intelligence de soi, la focalisation ne sera plus concentrée sur les replis individuels mais élargie aux rapports avec le monde. Ce n’est pas seulement parce que Chateaubriand évalue qu’il est d’une époque où les vies construisent beaucoup de leur sens en relation avec l’histoire générale ; c’est aussi parce qu’il parvient à une compréhension profonde du genre des Mémoires, qui lui fait trouver la voie d’une écriture non rousseauiste de soi.
81S’il commet, à l’instar de tout mémorialiste, quelques va-et-vient très explicites entre son histoire personnelle et l’histoire générale, Chateaubriand épargne au lecteur de passer par de laborieux raccords. Cette concurrence entre les deux histoires est une fois – quand il vient de rapporter l’agonie de son amie Pauline de Beaumont, morte à Rome en 1803 –, l’objet d’un métadiscours appuyé. Comme le feraient d’autres mémorialistes, Chateaubriand y devance le reproche de s’être consacré trop longuement au récit d’un événement privé. Mais il ne s’agit pas, pour lui, de formuler de plates excuses ; il y trouve l’occasion d’une problématisation large de la question, présentée sur le mode de la sagesse méditative :
Si l’on rapportait à l’échelle des événements publics les calamités d’une vie privée, ces calamités devraient à peine occuper un mot dans des Mémoires. Qui n’a perdu un ami ? qui ne l’a vu mourir ? La réflexion est juste, cependant personne ne s’est corrigé de raconter ses propres aventures […] Chaque homme renferme en soi un monde à part, étranger aux lois et aux destinées générales des siècles61.
82De cette dernière maxime, l’auteur donne la preuve une autre fois, quand il évoque la mort de sa sœur Lucile, à laquelle il n’a pas pu donner les derniers soins. Avec éclat, il repousse les conventions de la discrétion, de l’effacement de soi derrière l’ampleur des mouvements nationaux : quoi qu’en dise Benjamin Constant, la mémoire trouve parfois plus que des rhumes à mettre en balance avec les guerres. Lucile meurt :
Ce sont là les vrais, les seuls événements de ma vie réelle ! Que m’importaient, au moment où je perdais ma sœur, les milliers de soldats qui tombaient sur les champs de bataille, l’écroulement des trônes et le changement de la face du monde ? La mort de Lucile atteignit aux sources de mon âme62.
83Pourtant, lorsque s’achèvent les Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand ne semble pas avoir encore réglé la question de savoir ce qui l’emporte vraiment dans sa « vie réelle » : l’avant-dernier chapitre a pour titre « Récapitulation de ma vie » ; reste encore au dernier à opérer le « Résumé des changements arrivés sur le globe pendant ma vie ». Les deux axes de la narration sont juxtaposés avec une incontestable superbe. Dans le corps de ses Mémoires, Chateaubriand a cependant trouvé le moyen d’éviter la juxtaposition, il a découvert et exploré une autre voie que celle des récits alternés.
La représentativité comme indice de littérarité
84L’annonce très célèbre contenue dans la « Préface testamentaire » de 1833 formule le projet poétique des Mémoires d’outre-tombe en mettant en rapport le moi et le monde dans une relation métaphorique fondamentale :
Si j’étais destiné à vivre, je représenterais dans ma personne, représentée dans mes mémoires, les principes, les idées, les événements, les catastrophes, l’épopée de mon temps63.
85« Ma personne », « mes mémoires », « mon temps » : avec une vigueur extraordinaire, Chateaubriand condense le projet de sa mémoire historique en surimposant ces trois termes pour les lier dans un rapport de représentation : le premier, représenté par le deuxième, représentera le troisième. Il ne faut pas en déduire que Chateaubriand a conçu un dispositif qui rendrait particuliers les Mémoires d’outre-tombe : il faut plutôt admirer qu’il ait compris ce qui fait l’essence de l’écriture mémorialiste pour en tirer le meilleur parti. Il n’importe pas d’évaluer en termes psychologiques d’orgueil ou de vanité sa facile propension à l’emploi de la première personne : on a vu que le système énonciatif des Mémoires empêchait les narrateurs voulant s’effacer de le faire discrètement. Chateaubriand use de l’adjectif possessif sans louvoiement : personne, Mémoires et temps sont directement rattachés à soi. De la part de l’auteur, ce n’est pas bouffée d’orgueil mais appropriation lumineuse de la forme d’écriture qu’il pratique comme un genre à travailler : sur cette prémisse, il peut porter ce genre à un degré d’accomplissement remarquable.
86En effet, la métaphore fondamentale n’est plus, chez Chateaubriand, celle du monde comme un théâtre, où l’individu et la société se tiendraient dans un rapport d’inclusion problématique : il sort le genre des Mémoires de l’à-peu-près bricolé qui juxtaposait ces deux termes. Dans les Mémoires d’outre-tombe, moi et monde ne sont plus hétérogènes, mais consubstantiels : c’est la personne même du mémorialiste qui métaphorise le monde. Plus exactement, on peut analyser ce rapport nouveau comme l’abandon d’une perspective métaphorique au profit d’une invention métonymique. La partie vaut pour le tout : « mes mémoires » seront à l’image de « ma personne » et donc à l’image de « mon temps ». C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la portée intrinsèquement littéraire des Mémoires de Chateaubriand. Ceux-ci capitalisent comme autant d’atouts les éléments qui font s’enliser d’autres Mémoires dans des bourbiers métadiscursifs. En effet, c’est dans leur principe même que les Mémoires connaissent une tension entre leur situation d’énonciation et les intentions de leur énoncé (le moi/le monde). La solution que Chateaubriand apporte à cette difficulté est un véritable accomplissement poétique du genre, en tant qu’elle exploite absolument les potentialités inscrites a priori dans les données de l’énonciation. Cette solution est à mettre au compte du talent d’écrivain de ce mémorialiste, car elle passe par l’invention d’une métonymie fondamentale qui permet de nommer le rapport du moi et du monde d’une autre manière. Chateaubriand invente le dispositif qui surimpose « ma personne », « mes mémoires », « mon temps ». La représentativité est le vecteur fondamental de cette métonymie, révélée comme constitutive du genre.
87Il faut insister : sa mise à jour et son exploitation furent le fruit d’un travail poétique sur les données formelles de la pratique d’écriture mémorialiste telles qu’elles existaient a priori. C’est pourquoi on peut tenir la représentativité pour un indice de littérarité dans les Mémoires : et cela, au delà du seul cas des Mémoires d’outre-tombe, même si ceux-ci permettent de le penser et fondent sur ce principe leur exception littéraire dans le contexte de la littérarité défaillante de la plupart des Mémoires.
88Résiduellement, on en trouve trace chez d’autres mémorialistes dont la littérature n’est pas l’ambition première : c’est, pourra-t-on dire, que les lois du genre les y poussent. La duchesse d’Abrantès explicite, comme à son corps défendant, la nécessité qui lui a imposé de représenter la France :
Je n’ai ni la possibilité ni le talent, et, moins que tout cela, la volonté d’écrire l’histoire ; mais ma vie et celle de ma famille ne sont éclairées que par les lueurs sinistres qui luisaient à cette époque [la Révolution] ; il m’a fallu, comme la France entière, traverser ce temps de folies sanguinaires, où le peuple français, dépouillant sa grâce courtoise, son urbanité, semblait avoir fait un appel aux monstres des déserts, pour les défier de cruauté64.
89Cette représentativité que Laure d’Abrantès a acquise s’est peut-être constituée malgré elle : mais elle l’autorise à laisser des Mémoires, car ce phénomène est au fondement du genre. Bourrienne, pour se justifier de ne pas toujours parvenir à s’effacer, fait mine, parfois, de découvrir que son cas est riche d’une portée générale. Il dit « je » dans les moments où il lui faut répondre directement à la calomnie, mais ce n’est pas pour autant que le lecteur sera enfermé dans les détails d’une affaire particulière : « dans le tableau du déchaînement des passions haineuses, alors même qu’elles n’ont pour but que la perte d’un individu, il y a toujours quelque chose à prendre pour l’étude de l’homme en général65. » Dans ces deux exemples, une forme de représentativité est mise en avant : mais de manière adventice, comme par souci de varier les excuses régulièrement apportées au fait de parler de soi. En aucun cas le phénomène n’y est assumé comme un principe d’écriture.
90C’est à Chateaubriand qu’il revient de l’identifier comme tel et d’estimer que cela appelle la mobilisation d’un travail littéraire et poétique : il écrit « l’épopée de [son] temps » et, en conséquence, dessine la figure d’un « héros ». L’inspiration littéraire requise est en effet de nature épique : ce constat est le même que celui qui a fait reconnaître la vie de Napoléon comme « un poème »66. Personnage principal des Mémoires d’outre-tombe, leur auteur-narrateur se désigne sans détour pour le héros de ladite épopée, ne consentant à partager cette première place qu’avec Napoléon. Dans la vision romantique de l’histoire que Chateaubriand contribue à mettre en place, le héros, le grand homme, c’est celui qui porte haut l’esprit du temps pour en éclairer la société. En contexte, on peut enrichir cette conception – qui rend définitivement caduque l’opposition entre le moi et le monde – d’un point de vue allemand, celui de Friedrich Schlegel :
Il n’y a pas d’autre connaissance de soi que l’historique. Nul ne sait ce qu’il est, s’il ne sait ce que sont ses compagnons – et avant tout le suprême compagnon de l’alliance, le maître des maîtres, le génie de l’époque67.
91Le génie personnel de chacun ne parvient à la connaissance de soi que dans sa confrontation avec le génie de l’époque, ou « esprit du temps » (der Zeitgeist). Est-ce le héros, le grand homme, qui fait son siècle, ou bien est-ce le siècle qui fait le héros ? Dans l’ombre portée du souvenir napoléonien, cette question est devenue obsessionnelle : la réponse, quelle qu’elle soit, reconnaît au héros le privilège de ne pas être concerné par la dissociation du moi et du monde. C’est pourquoi, pour Chateaubriand, il ne s’agit plus d’être une « pièce de comparaison » anthropologique, comme le voulait Rousseau, mais de se faire un héros. Il y a réussi complètement, selon un lecteur comme Sainte-Beuve :
On parle toujours, comme d’une force fatale et comme d’une cause souveraine, de l’esprit du siècle, de l’esprit du temps : cet esprit du temps, à chaque époque […], n’est qu’un effet et un produit. Ce sont quelques hommes supérieurs qui le font et le refont sans cesse en grande partie, et qui le déterminent […], en s’appuyant sans doute sur ce qui est à l’entour et en partant de ce qui a précédé, mais en renversant aussi d’ordinaire tout un état de choses, même au moral, et en le renouvelant. À chaque tournant du siècle, il y a de ces hommes qui donnent le signal, – c’est trop peu dire – qui donnent du coude à l’humanité et lui font changer de voie. Supposons Bonaparte noyé dans la traversée en revenant d’Egypte ou Chateaubriand mort de la fièvre à quelques lieues de Namur, et demandons-nous ce que deviendra la double forme initiale du xixe siècle, la direction nouvelle dans l’ordre politique et subsidiairement dans l’ordre poétique et littéraire68…
92Cet exemple montre que, dans une large mesure, Chateaubriand est parvenu à imposer, comme un fait historique, son association dans l’héroïsme aux côtés de Napoléon. Le héros est plus qu’une pièce de comparaison : selon une métaphore d’époque, il est un phare lumineux qui sert de repère invariant pour les contemporains, afin qu’eux-mêmes puissent comprendre leur temps. Ce dernier, quoique confus et d’apparence contradictoire, est clairement résumé, et donc rendu intelligible, dans un destin individuel. Dans les Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand se construit le rôle du héros, c’est-à-dire qu’il se fait l’emblème de son époque : comme elle, il s’est « rencontré entre deux siècles, comme au confluent de deux fleuves »69. Cet effort comporte sans doute une forme d’asservissement, comme l’indique la velléité de rébellion esquissée au moment de la mort de Lucile : tentation de répudier l’histoire du monde comme subalterne. Mais il permet surtout à la mémoire historique de ne plus connaître de schize : le livre fait tenir ensemble, de manière homogène, une conception de l’histoire, de la morale et de l’écriture. C’est là une réussite essentielle grâce à laquelle les Mémoires de Chateaubriand se sont imposés comme un modèle littéraire durable : dans ce récit, le moi et le monde ne sont plus concurrents, ils sont un.
93À ce titre, cette œuvre est précieuse pour problématiser la distinction entre Mémoires et autobiographie et obliger à la sortir de tout schématisme. On peut certes lire sans anachronisme ces « Mémoires » post-rousseauistes d’après un horizon d’attente autobiographique ; mais on s’aperçoit que Chateaubriand a été capable de fondre le « moi » et le monde en un seul objet de discours parce qu’il a reconnu que cette volonté morale rencontrait la forme esthétique des Mémoires.
94Il n’est pas question pour ce mémorialiste-écrivain de tenir en antagonisme la littérature et l’histoire : les Mémoires d’outre-tombe montrent l’essence commune des deux et c’est en cela qu’ils aident à penser les Mémoires comme un genre et constituent pour eux une sorte d’aboutissement. Ils leur permettent d’échapper à une caractérisation perpétuellement amphibie en leur inventant un contenu unifié, autorisant par là la poétique d’une mémoire historique devenue littérature.
95Cette harmonie poétiquement provoquée entre les représentations de soi et du monde reste l’exception. Les autres mémorialistes en ignorent la possibilité et s’embarrassent de stratégies laborieuses pour régler leur rapport honteux à l’autobiographie. L’écriture de l’histoire politique nationale est en effet la seule légitimité qu’ils veulent se faire reconnaître. C’est pourquoi, plus encore que celle induite par la proximité énonciative de l’autobiographie, la différenciation essentielle à opérer, pour cerner les Mémoires comme un genre spécifique, est celle qui sépare ces écrits des livres d’histoire proprement dits. Nos trois chapitres suivants vont s’occuper de cette question.
Notes de bas de page
1 B. Constant, « Souvenirs historiques », Revue de Paris, 1830, repris dans Portraits, Mémoires, Souvenirs, Paris, H. Champion, « Dimension 2 », 1992, p. 72.
2 Loc. cit.
3 Il n’y a pas de « Mémoires » de Benjamin Constant, au sens plénier du terme. On connaît sous le titre de « Mémoires inédits » de B. Constant les confidences orales qu’il a faites à Jean-Jacques Coulmann en 1828 et que celui-ci a transcrites dans ses Réminiscences (Paris, Michel Lévy frères, 1862-1869, 3 vol.). Ce qui a été publié sous le titre de Souvenirs historiques reprend trois textes parus sous forme de lettres dans la Revue de Paris en 1830. Ses Mémoires sur les Cent-jours (publiés en deux parties, en 1819 et 1822, puis globalement en 1829 avec l’ajout d’une longue « Introduction ») sont des mémoires justificatifs directement consacrés à l’attitude de l’auteur pendant la période désignée par le titre. Enfin, Constant a effectivement rédigé, sous le titre de Mémoires, des portraits de différents personnages de la Révolution et de l’Empire qu’il confia à Juliette Récamier en 1815. Celle-ci les donna à publier à l’éditeur Ladvocat en 1832 sous le titre de Portraits et Souvenirs. Voir, pour toutes ses questions, l’introduction d’Éphraïm Harpaz aux Portraits, Mémoires, Souvenirs, de B. Constant, op. cit., p. 19-29.
4 On sait bien que, comme écrivain, il est par ailleurs l’un des maîtres de l’introspection et on pourrait interpréter, après tout, son refus d’écrire des Mémoires complètement à rebours des raisons qu’il avance : sa gêne avec les Mémoires vient-elle vraiment de ce qu’ils sont un genre où l’on ne peut pas éviter de parler de soi ? Ou bien, s’explique-t-elle au contraire par le fait que, a priori, on n’a pas le « droit » de le faire, parce qu’il n’y faudrait parler que des autres ?
5 V. Alfieri, Vita, Milano, A. Mondadori, « Oscar classici », 1987, p. 41. Nous traduisons.
6 Jacques Voisine a montré combien l’impact produit par le livre de Rousseau, bientôt renforcé par les œuvres apparues dans son sillage – Poésie et vérité de Gœthe, Ma vie d’Alfieri, Le Prélude de Wordsworth – a été déterminant dans la nécessité néologique qui a fait progressivement admettre, au xixe siècle, le terme « autobiographie ». Voir J. Voisine, « Naissance et évolution du terme littéraire “autobiographie” », La Littérature comparée en Europe orientale, Conférence de Budapest, 26 au 29 octobre 1962, Budapest, Akademiai Kiade, 1963, p. 278-286.
7 Mme de Staal-Delaunay, Mémoires de Madame de Staal-Delaunay sur la société française au temps de la Régence, [Mémoires, Paris, 1755] Paris, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », [1970] 2001, p. 37.
8 Ch. de Sainte-Beuve, Portraits littéraires, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1993, p. 1001. Il rend compte de ces Mémoires dans Le Journal des débats du 21 octobre 1846.
9 Cité par A. de Maurepas et F. Brayart, Les Français vus par eux-mêmes. Le xviiie siècle, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1996, p. 272-273. Le même auteur ne passe aucun détail de l’évocation de ses maladies (« bientôt, je ne fus qu’une plaie encroûtée »), ibid., p. 325-332.
10 Voir l’article de L. Bély, « L’élève et le monde. Essai sur l’éducation des Lumières d’après les mémoires autobiographiques du temps », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XXVIII, janv. -mars 1981, p. 3-35. Laurent Bély explique avoir dépouillé cent vingt Mémoires dont les auteurs sont nés entre 1683 et 1783.
11 M. Fumaroli, La Diplomatie de l’esprit, Paris, Hermann, « Savoir : Lettres », 1994, p. 239.
12 J. Merlant, Le Roman personnel de Rousseau à Fromentin, Genève, Slatkine Reprints, [Paris, 1905] 1970, p. xxxii. Voir aussi R. Démoris, Le Roman à la première personne du classicisme aux Lumières, Genève, Librairie Droz, « Titre courant », 2002.
13 J.-J. Rousseau, Les Confessions, Œuvres complètes I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1959, « Préambule de Neuchâtel », p. 1151.
14 Ibid., p. 5.
15 Ibid., p. 1149 (« Préambule de Neuchâtel »).
16 Ibid., p. 5 et p. 278.
17 P. Larousse, Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, Genève-Paris, Slatkine Reprints, [Paris, Administration du Grand Dictionnaire universel, 1866-1879] 1982, 17 t. en 34 vol., t. I [1866], p. 979.
18 F. Briot, Usage du monde, usage de soi. Enquête sur les mémorialistes d’Ancien Régime, Paris, Seuil, « La Couleur de la vie », 1994.
19 Ibid., p. 117.
20 P. Nora, « Les Mémoires d’État : de Commynes à de Gaulle », Les Lieux de mémoire. La Nation II, Paris, Gallimard, 1986, p. 355-400, p. 377.
21 G. Gusdorf, Les Écritures du moi, Lignes de vie 1, Paris, O. Jacob, 1991, p. 241.
22 J. W. von Gœthe, Poésie et vérité, trad. de l’allemand par P. du Colombier, Paris, Aubier, « Domaine allemand », 1941, p. 12.
23 Ph. Lejeune, L’Autobiographie en France, Paris, A. Colin, « U2 », 1971, p. 15-16.
24 Bourrienne, Mémoires de M. de Bourrienne, ministre d’État, sur Napoléon, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration, Paris, Ladvocat, 1829, 10 vol., vol. I, p. 18.
25 J.-J. Rousseau, Les Confessions, Œuvres complètes I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1959, p. 174-175.
26 Ibid., p. 260.
27 J. Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. de l’allemand par M. B. de Launay, Paris, Payot, [édition originale en 1962] 1986.
28 A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, choix de textes édités par J. P. Mayer, Paris, Gallimard, « Idées », [1840] 1968, p. 243-244.
29 Cité par M. Lelièvre, Chateaubriand polémiste, Paris, P. U. F., 1983, p. 113.
30 Mme de Genlis, Mémoires inédits de Madame la comtesse de Genlis, sur le xviiie siècle et la Révolution française, Paris, Ladvocat, 1825, 8 vol., vol. V, p. 85 et p. 91.
31 Ibid., vol. V, p. 95-96.
32 P. Nora, « Les Mémoires d’État », art. cité, p. 376.
33 B. Constant, « Souvenirs historiques », Portraits, Mémoires, Souvenirs, op. cit., p. 72.
34 P. Larousse, Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, op. cit., [1866] vol. I, p. 979.
35 Mme de Staël, Dix années d’exil, Paris, Fayard, 1996, p. 46. « On aurait honte de parler de soi, précise-t-elle, si les événements qui nous concernent n’étaient pas liés à la grande cause de l’humanité menacée », p. 45.
36 Bourrienne, Mémoires, op. cit., vol. IX, p. 66-67.
37 Ibid., vol. IX, p. 228.
38 Loc. cit.
39 Ibid., vol. X, p. 309.
40 Ibid., vol. IV, p. 328.
41 L. d’Abrantès, Mémoires de Madame la duchesse d’Abrantès, Souvenirs historiques sur Napoléon, la Révolution, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration, Paris, Garnier frères, [Paris, Ladvocat puis L. Mame, 1831-1835, 18 vol.] 1893, 10 vol., vol. I, p. 8.
42 Ibid., vol. IV, p. 129.
43 Ibid., vol. X, p. 122.
44 Mme de Genlis, Mémoires, op. cit., vol. IV, p. 1.
45 Mme de Campestre, Mémoires, op. cit., vol. I, p. 293-294.
46 Fonvielle, Mémoires historiques de M. le Chevalier de Fonvielle, de Toulouse, de l’ordre de l’éperon d’or, secrétaire de l’Académie des Ignorants, Paris, Ponthieu, 1824, 4 vol., vol. I, p. v.
47 Ibid., vol. I, p. xvj.
48 Voir plus loin (p. 139, début du chapitre 4) pour cette pensée de l’histoire au xviiie siècle.
49 Ibid., vol. I, p. 12-13.
50 Ibid., vol. I, p. 15.
51 Ibid., vol. I, p. 32.
52 Il explique comment il s’est laissé abuser par sa mère qui l’y conduisit : « À ce nom effroyable j’entre en fureur, je saute sur la geôlière, je saute sur ma mère, je demande la clef. Le deux femmes me domptent, la rage me suffoque, et je reviens à moi me trouvant les fers au pieds et seul dans un cachot. », ibid., vol. I, p. 63-64.
53 « Je lui demandai tristement pourquoi elle était triste ; elle se mit à pleurer […] Cette fille nous raconta qu’un abbé l’avait enlevée de chez ses parents, et que s’en voyant abandonnée, elle avait été forcée à mener une vie qu’elle détestait. », ibid., vol. I, p. 69.
54 « Mes espiègleries recommencèrent et s’envenimèrent par degrés », ibid., vol. I, p. 75. Il raconte comment, lors d’une fête de quartier « où les servantes et les artisans dans[ai]ent dans la rue au son du tambour », il fixa un éperon de son père à son soulier avant d’aller se joindre à « la farandole, piquant tout ce qui se trouva sur [son] passage », loc. cit.
55 Ibid., vol. I, p. 40-41.
56 Ibid., vol. I, p. 64.
57 Ibid., vol. I, p. 59.
58 Ibid., vol. I, p. 77-78.
59 F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, J.-Cl. Berchet éd., Paris, Bordas puis Classiques Garnier, 1989-1998, 4 vol., vol. I, p. 260.
60 F.-R. de Chateaubriand, Mémoires de ma vie dans Mémoires d’outre tombe, op. cit., vol. I, p. 7.
61 F. -R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, op. cit., vol. II, p. 117.
62 Ibid., vol. II, p. 209.
63 Ibid., vol. I, p. 846.
64 L. d’Abrantès, Mémoires, op. cit., vol. I, p. 16.
65 Bourrienne, Mémoires, op. cit., vol. IX, p. 228.
66 F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, op. cit., vol. III, p. 661.
67 F. Schlegel, Fragments de l’Athenæun, Ideen, § 139 ; trad. et cité par Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire, Paris, Seuil, 1978, p. 209-210.
68 Ch.-A. de Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’Empire, cours professé à Liège en 1848-1849, 5e leçon, 1849, Paris, Garnier frères, 2 vol., vol. I, p. 115-116.
69 F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, op. cit., vol. IV, p. 597.
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