La mise en texte de la mémoire de Omolocô, à Lisbonne
p. 121-137
Texte intégral
1Cette communication fait partie d’une recherche plus ample sur l’Umbanda que je développe au Portugal, depuis 1994, et qui s’intitule : La Mémoire luso-afro-brésilienne dans l’Umbanda portugaise.
2J’ai tout d’abord découvert ce qui pourrait être désigné comme un terreiro originel, le Terreiro de l’Umbanda Ogum Megê, celui de Mme Virginia Albuquerque, Mère de saint qui est reconnue par la communauté umbandiste portugaise comme l’initiatrice des mères de saint des trois autres terreiros qui existent à Lisbonne. C’est aussi dans ce terreiro qu’ont été produits les textes utilisés par les fils de saint durant les divers cours sur la religion, qu’elle administre. Dans des travaux antérieurs (Pordeus, 1995), j’ai souligné le processus de transculturation de la mémoire collective brésilienne umbandiste et l’utilisation de ces textes dans les processus de mutation de la tradition orale et écrite. Ainsi l’oralité, dans la transmission et la production de la mémoire, s’ajoute à l’écrit, qui acquiert un autre statut dans ce contexte historique.
3Le binôme tradition-changement est considéré par Georges Balandier (1970) comme fondamental dans toute société. La période de grandes transformations que connaît la société portugaise contemporaine, de par l’intensité, l’accumulation et la généralisation des changements, présente deux caractéristiques : une crise de la culture établie et la multiplication des relations de type conflictuel, qui gère des réactions contestant la vision dominante du monde (Pordeus, 1993). Que ce soit la rupture d’avec le système salazariste et la redémocratisation qui a suivi, ou que ce soit l’insertion de la société portugaise, en tant que société périphérique, dans des sociétés centrales de civilisation comme, par exemple, la Communauté européenne (Souza Santos, 1994 : 98). C’est pourquoi, de cette façon, il est nécessaire de considérer les mutations dans les systèmes de valeur, les diverses expressions culturelles et les conflits qui sont, à la fois, leurs indicateurs et leurs instruments.
4Dans ce sens, la religion umbandiste représente une manifestation de cette crise. La possession y est recherchée et utilisée comme technique pour entrer en contact avec le sacré, mais aussi comme un des indicateurs des phénomènes de ruptures sociales (De Certeau, 1970). Comme le dit Roger Bastide, toute religion est commémorative, car elle se base sur le mythe, qui n’est plus la répétition du mythe des origines, de la vie du fondateur, où les souvenirs ne sont pas le passé mais sa reconstruction dans la vie changeante des hommes, des groupes ou même des institutions. Cependant, pour s’insérer dans le présent, un présent toujours nouveau, il est nécessaire de réaliser une adaptation des souvenirs, où les mythes subissent une sélection, ceux qui demeurent ne possèdent plus la même valeur sémantique ou effective qu’autrefois, et au lieu d’être de simples commémorations ils se transforment en faits vécus.
5Dans les villages, les bourgs et les villes du Portugal, selon Moisés do Espirito Santo (travail sur la religion populaire portugaise),
continuent à se pratiquer des rites venus du fond des temps, condamnés d’innombrables fois par les institutions ecclésiastiques ou même par les règlements municipaux. Religion chrétienne, magie, sorcellerie forment un tout cohérent au sein des couches populaires, recourent aux mêmes symboles (...), la religion paraît ici immuable depuis des siècles (Espirito Santo, 1990 : 20).
6Et c’est ce caractère conservateur et immobiliste de la religion, ce rôle de frein et d’obstacle au changement, aux transformations et aux mutations des mentalités et des structures du social dans tous ses aspects qui est qualifié de permanence par Bastide (1975). C’est par cela que l’analyse que je propose dans cette communication s’appuie sur le trinôme : tradition-changement-permanence.
De l’oral à l’écrit
7Il est remarquable que l’Umbanda, dès sa création, a utilisé des moyens médiatiques pour diffuser la religion, de préférence les écrits dans les journaux, (Conconne, s/d) et l’édition de milliers de livres. Cependant, durant mes recherches, particulièrement au Nord-Est du Brésil, je n’ai jamais rencontré (Pordeus, 1988 ; 1991 ; 1993) de terreiros qui se consacrent à la production des textes aussi systématiquement que l’Ogum Megê de Lisbonne. Comme nous le rappelle Bourdieu,
le mythe ou rite, qui à l’origine était « pratiqué » et non pensé, et qui remplissait une fonction pratique en tant qu’instrument collectif d’une action symbolique sur les autres et sur le monde, devient objet de lectures érudites et tend à recevoir des fonctions complètement différentes, soit pour donner lieu à des rationalisations « routinières » de la part des lettrés, soit pour susciter des réinterprétations... (Bourdieu, 1982 : 177).
8Dans une étude sur la littérature médiévale, Paul Zumthor (1987) souligne le fait qu’admettre qu’un texte à un moment quelconque de son existence a été oral, c’est avoir conscience d’un fait historique qui ne se confond pas avec une situation dans laquelle subsiste la trace de l’écrit. Plus qu’une rupture, le passage par le vocal manifeste une convergence entre les modèles de communication ainsi confrontés, le binôme voix-écriture est traversé de tensions, d’oppositions conflictuelles, qui avec le recul du temps, apparaissent fréquemment aux médiévistes comme contradictoires. Ce n’est pas différent dans d’autres configurations culturelles. Le langage qui fixe le manuscrit reste, potentiellement, celui de la communication directe.
9Écrire, qui était un travail servile dans l’Antiquité et un apostolat dans le Haut Moyen Âge, consiste maintenant à décanter la parole collective. Écrire consiste à coucher la voix sur le papier. La modalité de l’écriture conditionne la lecture. L’écriture remplit deux fonctions dans cet univers traditionnel : elle assure la transmission d’un texte, ainsi que sa conservation. La mémoire est double : collectivement, elle est source de savoir ; individuellement, elle est une façon de se l’approprier et de s’enrichir. Un message écrit triomphe de la dispersion spatiotemporelle, par extension, par prolongement, de telle manière qu’il recouvre cette double extension et se dilate. Une œuvre orale recherche le même objectif par des moyens contraires, elle réduit la durée à un moment unique : à l’espace et à l’unité figurée d’un seul lieu affectif. La fixation, dans et par le moyen de l’écriture, d’une tradition qui a été orale, ne met pas nécessairement fin à celle-ci, et ne la marginalise pas définitivement non plus. Une symbiose peut s’installer ou, au minimum, une certaine harmonie : l’oral s’écrit, l’écrit se montre en tant qu’image ; en tout état de cause, référence est faite à l’autorité d’une voix. Le texte, reçu auditivement, engendre la conscience commune, de la même façon que le langage engendre la société qui parle.
Les publications
10Mère Virginia, en apprenant que je m’intéressais aux publications, me prêta quatre collections d’apostilles qui sont utilisées pendant les cours sur l’Umbanda administrés dans le terreiro :
111) La collection, que nous connaissions depuis notre premier séjour et qui a déjà été objet d’analyse (Pordeus, 1995), a pour titre Les Orixas Africains : Exu, Oxalá, Nanam, Oxossi, Oxum, Iemanjá, Iansã, Ogum e Oxumaré.
122) Les autres collections ont pour titre général Manuel de l’Étudiant et se subdivisent en quatre :
13a) Le mystique et son pouvoir mental, qui a pour thèmes : Ce qu’est le mysticisme ; Mémoire ; Le Mysticisme ; L’Art de la Concentration ; Le Magnétisme ; Les Forces à l’intérieur de l’Homme ; Rien n’est à nous, tout appartient à la nature ; Les Forces subjectives.
14Dans cet exemplaire, on peut lire à la dernière page : « Le mystique et son pouvoir mental, c’est un ensemble de huit manuels, qui doivent être lus dans leur intégralité plusieurs fois afin de mieux profiter des études mystiques et d’apprendre à s’aider soi-même en toutes circonstances ».
15b) L’Umbanda et ses mythes : L’Étudiant ; L’Homme et la Religion et La Religion et sa signification. À partir du numéro 4, cette série prend le titre de Le Culte des Ancêtres et a pour thème : Le Terreiro ; Le Culte ; L’Âme ; La Connaissance ; La Communion.
16c) Iyawo : Le Symbole ; Divinités Primordiales ; L’Héritage des Orixás ; L’Initiation des Orixâs ; Les Nombres.
17En plus de ces collections qui sont destinées aux cours administrés dans le terreiro, il existe une publication mensuelle, intitulée Notre Revue, qui traite des sujets les plus divers. L’ensemble est complété par deux autres apostilles : Statuts, Règlements et Proposition d’Association.
18Nous pouvons nous apercevoir d’après le nombre des titres que, parmi les activités régulières du terreiro, l’écriture et les publications occupent une place remarquable. Comme je l’ai déjà souligné, je n’ai pas connaissance d’une telle pratique dans les terreiros précédemment étudiés. La mémoire umbandiste, qui au Brésil est liée à l’oralité et au corps au travers de la possession, paraît exiger l’écriture, lors du processus de transculturalité. Au Portugal, au-delà de l’efficacité des pratiques rituelles et symboliques, il est possible de penser que l’écriture peut donner une légitimation à l’Umbanda en tant que connaissance et savoir. De plus, en s’éloignant des pratiques traditionnelles du catholicisme populaire portugais, dans lequel la religion chrétienne, la magie et la sorcellerie forment un tout cohérent, le recours à l’écrit paraît une tentative de fonder une nouvelle religion. Mais comme tous les débuts contiennent un élément de souvenir, il est important de souligner que c’est dans les pratiques du catholicisme populaire que se trouve le terrain fertile sur lequel l’Umbanda s’épanouit.
La nécessité de l’écriture
19Mère Virginia a été amenée à écrire à cause des questions qui lui étaient posées par des personnes ne connaissant pas l’Umbanda. La conscience du facteur temps, différent du temps brésilien, la lenteur du temps traditionnel, la rapidité du temps contemporain portugais, le temps fugace qui évoque son passage, interdisant au présent de durer, l’obligèrent à mettre la tradition par écrit.
...il y avait des fils de saint qui posaient des questions, ensuite un autre arrivait qui posait les mêmes questions, et il fallait toujours que je répète tout ; la même chose et donc, je sais que dans le candomblé traditionnel tout est transmis oralement, c’est vrai que c’était oralement, mais c’était du temps où les pères de saint n’avaient pas tant de choses à faire, et les fils se dédiaient vraiment au terreiro, ils étaient là jour et nuit si nécessaire, jusqu’à ce qu’ils apprennent tout, et ils n’en sortaient que quand ils étaient tout à fait prêts. Aujourd’hui, non, aujourd’hui il y a tellement de livres sur l’Umbanda, sur le candomblé, il y a tellement de livres sur le marché, que chaque fils de saint veut en savoir plus, et plus et plus encore, ou alors il y a ce qu’ils disent : je veux apprendre vite. Ils vont acheter plein de livres. Alors un auteur des fois parle des choses différemment de l’autre ; les auteurs ne sont pas toujours d’accord sur tout, il y a une très grande diversité de rituels qui ne sont pas différents, mais qui dans ce cas symbolisent la même chose.
20Nous sommes face au passé dilué dans les expériences vécues, conservées dans la mémoire et menacées de destruction par l’oubli, face à la nécessité de fixer un savoir, une mémoire. Face à sa mémoire menacée par les trous de mémoire, à la confrontation de différentes mémoires, à la brièveté de la vie et à son propre périssement à l’horizon,
... et je veux enregistrer parce qu’après ma mort, ou quand je ne pourrai plus, bien, ceux qui resteront, resteront avec beaucoup de choses écrites et s’ils veulent s’en servir, ils s’en serviront ; s’ils ne veulent pas, ils en apprendront d’autres. Mais au moins celles-ci seront écrites à ma manière, selon ma façon de sentir, ma façon de voir. Enregistrer ce que j’ai appris, ce que j’ai en moi, et que les fils suivent plus ou moins ce que j’ai enseigné. À partir de là, ils peuvent le transmettre aux autres.
21La recherche du savoir, de la connaissance, la nécessité de la recherche systématique, le savoir dans une vision du monde contemporain - tout en ne réfutant pas le savoir traditionnel-, la permanence de valeurs, l’inspiration et l’oralité, l’intuition, l’entendre et le sentir, l’inspiration, sont présents dans le discours de Mère Virginia :
il fallait que je me serve tout de suite du peu que je savais et de mon intuition, qui disparaissait parfois. Alors qu’est-ce que j’ai décidé de faire ? J’ai décidé d’étudier moi-même ce que je connaissais déjà, ce que j’avais vraiment appris, ce qui m’avait été enseigné, aussi bien spirituellement qu’oralement, par ma mère, et quelques pères de saint que j’ai eus. Aussi par les amis ; pendant de longues années j’ai eu une maison de culte au Brésil, une herboristerie. J’écris, je fais les brouillons. Si je copie d’ici et que je vois que ce paragraphe-là est beau, j’utilise le paragraphe, et j’en prends plus. Je peux même extraire une page entière, parce que tout est en rapport avec ce que je souhaite. Si, par hasard, je veux parler d’un sujet qui n’est écrit dans aucun livre, je l’écris à ma manière ; j’écris, je fais le brouillon et après quelqu’un corrige le portugais, met les points, les accents, les virgules parce que je ne connais pas le portugais.
22L’oralité associée à la tradition, à un temps antérieur vécu pendant son propre apprentissage perdu dans la mémoire du vécu en un autre espace/temps, voilà ce dont il est question ici. L’écriture comme mémoire fondatrice, comme point de départ entièrement nouveau. Une traduction de la mémoire, un sentiment d’appartenance à une langue portugaise, à sa propre langue (Capinha, 1988).
De la recherche à l’inspiration
23Les sources des phrases, des paragraphes, des idées qui composent les textes produits par mère Virginia ne sont pas passibles d’identification, à l’inverse du public cible qui, lui, est connu, comme nous le verrons postérieurement. Il faut rappeler, comme l’ont signalé les chercheurs des religions afro-brésiliennes, l’utilisation par les pères et mères de saint, de livres académiques sur le thème - comme information ou même comme légitimation :
... Voyez, on peut dire que j’ai tiré beaucoup de choses pour l’Umbanda de ce livre (Antologia de Umbanda, de Atila Nunes). Beaucoup de choses viennent de 1’Umbanda, mais pas tant que ça ; j’ai aussi consulté d’autres livres, sur les légendes, Pierre Verger, Roger Bastide...
24La dispersion des résumés extraits des livres et des transcriptions pour les textes élaborés par l’auteur rend également difficile la recherche des sources d’une tradition, dans la mesure où s’y trouvent des dictionnaires, des encyclopédies, des auteurs umbandistes et des chercheurs avec leurs diverses interprétations :
...maintenant il y a tant de livres d’Umbanda, de Candomblé, il y a tellement de livres qui sortent, tant de livres sur le marché... Moi, par exemple, je suis en train de faire un travail tiré du Livro dos Símbolos, sur l’eau, la terre, sur le feu et sur l’air... Je peux avoir cherché dans le livre ou dans le dictionnaire pour voir ce que voulait dire le mot réincarnation. Je parle des Indiens du Brésil, j’en parle un petit peu ici... Je ne parle pas de ce qu’il y a là-bas, je manque de livres qui me parlent des choses... ça je l’ai tiré de mon encyclopédie... Donc c’est ce que j’ai à la maison... j’ai trois encyclopédies : j’ai la Delta Larousse, fai l’Enciclopédia Portuguesa e Brasileira, et j’en ai une autre, c’est l’Enciclopédia dos Nomes. On voit un nom, on va là et tout est écrit,... s’il n’est plus actualisé, s’il est déjà dépassé ou non, alors là, je ne sais pas, je sais seulement que ce sont ces livres-là que j’ai pour étudier... par conséquent, quand je n’ai pas ce qu’il faut, je cherche ; quand je ne trouve pas, je me guide avec ce que j’ai à la maison... voilà, si je n’en ai pas plus, je ne peux pas aller chercher plus loin.
25Il serait possible d’affirmer comme le fait Connerton (1993) que l’expérience du présent dépend dans une grande mesure de la connaissance qu’on a du passé et que les images du passé légitiment le présent. Et les images et les connaissances recueillies sont transmises et conservées par l’écriture aussi bien que par les rituels.
J’avais une boutique d’Umbanda, et beaucoup de pères de saint y faisaient leurs courses et ils étaient devenus mes amis... L’un parle d’une façon, l’autre d’une autre, et j’en écoutais un, puis l’autre, j’ai fait ma récolte. Alors, en me basant sur ce que j’avais déjà entendu, sur ce que j’avais appris (parce que ma mère de saint me l’avait enseigné), et sur ce que j’avais appris spirituellement, j’ai encore cherché dans certains livres qu’on trouvait sur le marché par ici. Ça, c’était ici au Portugal que j’ai fait ça, pas là-bas. J’ai choisi une demi-douzaine de livres qui étaient en accord avec ma façon d’être, qui étaient en accord aussi avec ce que j’avais appris. Alors j’ai décidé de prendre un peu dans un, un peu dans l’autre, d’ajouter les choses que je savais et de tout mettre dans un seul livre, pour dire à mes fils de saint : « Vous voulez savoir comment c’est ? Selon ma loi, chez moi, c’est comme ça. Étudiez. » Voilà, ce sont des livres d’études... j’ai tout lu, plus tout ce que j’ai eu sous la main, j’ai dépassé certaines choses, j’en ai laissé d’autres de côté, et j’ai décidé de faire des livres pour qu’ils comprennent mon idée, ou qu’ils suivent plus ou moins ce que je voulais qu’ils apprennent. À part ça, ils cherchent d’autres livres, d’autres pères de saint ; parfois, chacun a ses idées différentes de celles des autres.
Ce qui ne peut être mis en texte
26La mère de saint écrivain allègue que tout ne peut pas être écrit, non seulement en ce qui concerne les rites d’initiation ou la tradition orale, mais aussi les dessins et les symboles. La répétition aléatoire, la compilation des symboles sans signification pertinente par rapport à leurs producteurs, la négation du secret, du mystère et l’interprétation intuitive ne peuvent pas être enregistrées, elles sont momentanées et individualisées. Écrire un rêve, l’interpréter, c’est être à l’écoute de l’inspiration, étudier, chercher. Ce qui peut être mis en texte, c’est ce que tout le monde sait.
Et ce sont des explications que je vous donne mais que je ne donne pas à mes fils de saint... parce que sinon ils copient ; là il y a ça, ça c’est pour moi... j’ai un autre livre là ; une explication que je donne du chant (ponto) de la vieille Maria Conga. Mais après, j’ai regretté, je l’avais déjà publié et j’ai regretté, parce qu’il apparaissait des filles de saint ici qui commençaient à chanter exactement la même chose ; c’était la mode, tous commençaient à chanter comme Maria Conga. Ce n’était pas Maria Conga, mais voilà, à part Maria Conga, qui peut le faire... Cette étoile de David est très utilisée pour Preto-Velno ; maintenant vous pouvez demander à Preto-Velho pourquoi il fait l’étoile de David, il peut dire parce que c’est l’étoile de David. C’est l’étoile de David et c’est tout. Et il faudrait qu’il explique pourquoi il utilise l’étoile de David. Parce qu’il faut voir que le pourquoi la plupart du temps ils ne savent pas répondre. À mon avis, ce ne sont pas ces pretos-velhos qui viennent vraiment d’autrefois, ils sont des manifestations déjà un petit peu plus récentes, des fois qui ne savent même pas les symboles, et ils sont des personnes. Le medium lui-même ne s’est jamais intéressé à l’étude des symboles... et par conséquent le médium lui-même ne sait pas faire la relation parce que le médium en écrivant le chant doit avoir une vision de ce qu’il y avait à écrire... C’est pour le médium, c’est une interprétation qui ne concerne que lui ou Preto-Velho, ou le guide qui le fait, c’est quelque chose qui n’arrive pas toujours. Alors, qu’est-ce que je fais, quand je fais une initiation, et qu’ils sont en repos pendant sept jours ? Je dis : tout ce que vous allez rêver, vous écrivez tout ce que vous aurez vu, même si ça paraît absurde, vous l’écrivez. Et c’est moi, après, qui vais déchiffrer ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont senti, et alors j’ai une conversation avec eux.
27C’est la connaissance qui se met en texte. Et nous voyons l’inverse au sujet des rêves des fils de saint qui doivent être écrits pour ne pas être oubliés et pour qu’ils puissent être interprétés plus tard, même s’il est affirmé que l’interprétation des symboles est réservée au médium et aux entités.
La plupart des gens ici au Portugal qui commencent à fréquenter l’Umbanda (et au Brésil je pense que c’est la même chose) n’étudient pas les symboles, ils n’étudient pas le pourquoi des racines, le pourquoi des choses. Ce sujet m’intéresse vraiment, parce que j’aime approfondir, j’aime savoir... Bien sûr qu’il y a des choses qui ne s’écrivent pas, mais, bon, d’une manière générale, ce qui s’écrit c’est ce que tout le monde peut savoir, et ce que tous savent. Là-dessus il n’y a pas de secret. Les gens pensent qu’il y a des secrets mais il n’y a pas de secret. Le secret est en notre esprit, le secret est en nous, il n’est qu’à nous pour une raison : l’inspiration divine qui nous vient ne vient que pour nous... notre intuition n’est qu’à nous. Par exemple, il y a des gens qui viennent ici avec des problèmes, et moi, je vois en plus que le jeu dit que la vie de la personne va mal, mal, mal, et je commence à me désespérer, mais pour cette personne comment ça va se passer ? Comme vont les choses, c’est un vrai chaos, alors d’un coup il vient quelque chose dans ma tête et je dis : fais ceci, ou fais cela, fais comme ça et ais confiance. Eh bien, c’est une inspiration divine que je ne peux pas mettre dans les livres... pas du tout... et il y a beaucoup de livres qui disent : dans ce cas, faire ce Ebó, dans cet autre cas faire cet autre ebó. Combien de livres de jeux de cauries sont pleins de ébós et disent comment faire ces ébós. Pour les pères de saint du candomblé, c’est une erreur, parce que si un ébó est comme ça, c’est parce qu’il faut le faire comme ça, mais parfois je pense : mais à quoi ça m’avance de passer ça sur le corps du client ? Parce que il me vient une intuition : ce n’est pas vraiment de ça qu’il a besoin. Alors je peux tout changer, je peux faire une partie pareille, mais je vais faire aussi autre chose, selon mon intuition, en accord avec ce que sur le moment on me fait faire. Ça je ne vais jamais l’écrire dans un livre, et ça ne sert que pour moi... ça ne fonctionne que si c’est moi qui le fais ; si c’est les autres qui le font, ça ne marche pas.
28L’individuation des travaux ne permet pas l’écriture, puisque
... ça ne peut pas s’écrire, et je trouve que c’est absurde d’écrire tant de livres, avec tant de ébós, ébós de toute sorte, de tout style, certains qui ressemblent même à des recettes de cuisine, comme je dis dans un des livres que j’ai écrit, parce que je pense que ce n’est pas comme ça. Je pense que chez l’être humain, l’un est complètement différent de l’autre. L’un est complètement à part de l’autre : la situation peut être identique, le destin peut être identique, mais il y a quelque chose qu’il faut faire pour celui-ci qui est différent de ce qu’il faut faire pour celui-là. Par exemple, encore mercredi, j’ai fait un travail pour un monsieur, un sacrifice, et dans ce cas, un sacrifice on le fait toujours de la même manière, mais au dernier moment, quand j’étais concentrée, j’ai vu qu’il manquait quelque chose à ce sacrifice-là, quelque chose qu’il n’est pas courant de mettre, et après j’ai commencé à analyser. J’ai demandé au jeu si c’était correct et Oxalá m’a répondu que oui, que c’était correct. Cette personne, ce saint, exigeait autre chose qu’on n’a pas l’habitude d’utiliser dans les sacrifices, mais puisqu’il l’exigeait, alors je l’ai mis... (ça ne peut pas se mettre dans le livre). Non, bien sûr que non, parce que si on l’écrivait, même le père de saint serait capable de se dire comme ça cette ferrure est folle... ça ne s’écrit pas... (dans les livres on écrit les grandes lignes)... les lignes générales, la manière dont on fait en général, ce qui est bien, le reste, ça vient de notre intuition, ça vient de notre spiritualité, ça vient de notre esprit, ça vient de ce que vous voulez nommer...
Texte en cours d’élaboration
29La fixation dans et par l’écriture d’une tradition qui a été orale n’achève pas nécessairement celle-ci, et ne la marginalise pas définitivement non plus, comme le fait remarquer Paul Zumthor :
Une symbiose peut s’instaurer, au moins une certaine harmonie : l’oral s’écrit, l’écrit se veut une image de l’oral, de toute manière référence est faite à l’autorité d’une voix. (...) Le texte auditivement reçu engendre la conscience commune, à la manière dont le langage engendre la société qui le parle : effet beaucoup plus fort que ce texte est moins appropriable, moins marqué par un individu concret qui en revendiquerait, comme nous disons, les « droits » (Zumthor, 1988 : 173).
Moi, par exemple, je suis en train de faire en ce moment un travail pour les cours, mais des fois c’était écrit d’une manière et je modifie tout ça de telle façon que je donne l’ordre queje veux et le travail en devient différent. Par exemple, ici, je parle du Destin. Naturellement je vais voir les livres, je regarde dans le dictionnaire, je fais des recherches dans le dictionnaire, je fais des recherches partout, dans le livre des symboles, je fais des recherches dans tout ce qui parle du Destin, et après je sélectionne. Seulement ce n’est pas toujours écrit exactement comme dans le livre ; parfois je finis par écrire à ma façon. Celui-là, par exemple, sur l’eau, est complètement changé, ça n’est pas du tout comme dans le livre, j’ai changé. Là je vais chercher des choses ici, d’autres là, je commence à partir du milieu, du début à la fin et de la fin au début, et après j’écris d’une façon complètement différente de ce qui est dans le livre. Mais bon, il y a beaucoup de choses qui viennent réellement des livres et des dictionnaires ; par exemple, ce livre-là, cette lettre ici, de la réincarnation. Tout ça vient seulement de ma tête, je n’ai pas fait de recherche. J’ai seulement cherché dans le livre ou le dictionnaire, ce que voulait dire le mot réincarnation. Je commence toujours comme ça, des fois je vais chercher tel mot qui a telle signification, et après je commence à développer le sujet à partir de ça... C’est une manière d’écrire différente, mais c’est comme ça et je cherche beaucoup dans les livres, c’est vrai. Et si je vais chercher c’est parce que je ne sais pas. Qu’est-ce que je sais ? Je suis allée jusqu’à la quatrième année à l’école, je ne sais pas grand-chose pour pouvoir écrire sur tout et n’importe quoi sans m’informer dans les livres. Mais ma manière d’écrire est parfois un peu différente. Par exemple, ici nous avons le symbole écrit qui veut dire la racine, puis j’ai le Karma... j’aime donner toujours le sens de certains mots... il y a beaucoup de gens ici au Portugal, aussi incroyable que ça paraisse, qui ne savent pas ce que veut dire le mot Karma... Alors j’ai écrit tout ça pour mes élèves pour ainsi dire, pour qu’ils sachent ce que veut dire le mot Karma, ici c’est au premier de Oxalá que je commence à écrire, j’ai mon introduction, il veut que je mette cette introduction, et voilà... (elle a écrit les chapitres). C’est-à-dire, je mets comme ça et elles corrigent après, et selon ce que je mets, il faut seulement corriger le portugais... mais c’est moi qui organise tout., ici je parle des provinces du Nigeria, je parle un peu de l’histoire du Nigeria, un petit peu seulement, parce que le Keto est vraiment une grande nation, et nous, nous pouvons retenir ce qui est vrai, et ici au Portugal le Keto est très en évidence, tout ce qui vient par ici maintenant c’est Keto, c’est Keto, c’est Keto, c’est Keto, mais je pense qu’au Brésil tout change pour devenir Keto... j’ai pensé qu’il valait mieux parler du Keto...
30En écoutant le discours de Mère Virginia, il est possible de percevoir la recherche d’une érudition et d’une systématisation, à travers l’écriture, mais qui garde son principe d’oralité. Et c’est cet aspect qui n’a généralement pas été pris en compte en ce qui concerne la littérature produite par les théologiens umbandistes. Toutes les publications que nous avons citées plus haut ont la même caractéristique : les thématiques s’entrelacent comme en une fugue baroque ; la multiplicité des sources et la façon fragmentée d’élaborer un texte démontre une convergence entre les modes de communication qui sont confrontés : le binôme voix-écriture est parcouru de tensions, d’oppositions conflictuelles qui paraissent contradictoires. Le langage qui fixe le manuscrit appartient à celui de la communication directe, le début de l’oralité.
Je suis en train de penser à écrire un livre sur l’Angola et le Mozambique, mais les données que j’ai sont encore trop peu nombreuses, nous sommes allés à l’ambassade, Pedro (fils charnel de Virginia) est allé à l’ambassade du Nigeria, et ils lui ont donné un petit livre, et alors j’ai pris de ce petit livre les extraits qui sont ici.. et voilà... et maintenant je suis prête à faire un livre sur l’Afrique plus la partie de l’Angola ; que je devais commencer par l’Angola et je n’ai pas commencé... Parce que Pedro est allé là à l’ambassade de l’Angola et ils ne lui ont rien donné, et ils ont dit « ah, revenez ici plus tard, monsieur, il faut écrire une lettre avec ce que vous voulez, ce que vous ne voulez pas, et je ne sais quoi »... et après on a oublié.
La symbologie OGUM MEGÊ
31La couverture des publications est normalisée, de couleur bleue pour la collection qui a pour nom Les Orixás Africains, jaune pour le Manuel de l’Étudiant. Elle représente deux colonnes, dont les chapiteaux sont en forme de fleur de lis soutenant un portail de style néo-classique, sur lequel est inscrit le mot « Connaissance » d’un côté, au milieu d’une étoile à six branches, et le mot « Sagesse » de l’autre côté.
... L’Umbanda n’est pas une étude, une science, une connaissance et une sagesse ? Au travers des lois de l’Umbanda, l’étoile de David. Cette étoile pour nous est un symbole, c’est l’union des deux forces terrestres et astrales ; par conséquent l’homme et Dieu s’unissent, et les deux forces unies forment une étoile à six branches.
32Au centre du tableau est dessiné l’Orixá et est écrit le nom Terreiro de Umbanda Ogum Megê. À côté, un logotype avec au fond un autel et une croix. Posé contre la croix, un bouclier avec une étoile à cinq branches. Aux pieds de l’autel, deux épées aux poignées croisées :
... ça ici c’est le symbole du terreiro, donc, Terreiro de Umbanda Ogum Megê, et ça c’est le symbole d’Ogum, le mien, seulement que ici, comme c’est en noir et blanc, les couleurs n’apparaissent pas, et celui-là il est en couleurs. Ça c’est le symbole de mon Ogum, une croix avec... donc la croix représente l’homme, les trois marches, donc c’est un piédestal, c’est les trois échelons que je lui attribue, quand je suis en relation avec les âmes, c’est la croix des âmes, mais les trois marches symbolisent les trois échelons que tout initié doit au moins parcourir, plus de trois échelons s’il veut, au-delà c’est déjà parce qu’il a vraiment eu un don pour ça. (...) Chaque marche, chaque initiation a une signification, et les initiations ont une signification. Le premier degré c’est l’entrée du fils de saint ou de la fille. Je te donnerai après le livre des initiations. Les épées sont des symboles « Par en haut », symboliquement ça veut dire qu’elles sont croisées au repos, par conséquent ce ne sont pas des épées prêtes à être utilisées au premier signal de guerre, mais plutôt pour supporter les fractions qui doivent être coupées pour que l’homme puisse évoluer, mais jamais pour reculer ; par conséquent, l’épée est un symbole de loi, ce n’est pas un symbole de guerre, elles sont croisées parce qu’elles sont au repos, et ce cercle signifie l’homme ; donc ici c’est le bouclier, la défense de l’homme, la défense que tout homme doit avoir pour se défendre ; mais ça c’est le symbole du Ogum Megê.
33En bas, séparé par un trait, reliant les deux colonnes, il est possible de voir du côté gauche le mot Paix et une colombe avec un rameau dans le bec ; du côté droit, le mot Lumière, sur un soleil. Entre une colonne et l’autre, il est écrit en majuscules Les Orixás africains. Douze médailles contenant une feuille de vigne ferment le tableau et relient les colonnes :
... ça c’est la feuille de vigne et c’était dans un livre de dessins (...) la treille et ici les grappes de raisins... sont bien représentés, donc je me suis inspirée de la vigne et c’est vraiment une plante que l’homme doit cultiver avec beaucoup de tendresse, car elle donne un nectar très précieux, très apprécié, mais il faut avoir vraiment beaucoup de tendresse avec la vigne, non ? Donc, eh... je l’ai pris dans un livre de dessins et je l’ai fait, par contre le petit livre ici tout petit c’est moi qui l’ai dessiné, ces petites lettres-là et j’ai mis et fait (les deux colonnes) c’est un temple. L’entrée d’un temple. Ces colonnes s’appuient sur la paix et la lumière... c’est un symbole aussi. L’Umbanda c’est la paix et la lumière. Elles mènent à la connaissance et à la sagesse. A la base, parce que c’est le travail de l’homme. Relié avec la partie Terre, donc au travail humain. La partie matérielle représente la partie du bas, et la partie spirituelle, la partie du haut. Les deux se complètent, parce que la sagesse et la connaissance viennent souvent d’en-haut ; c’est ce que je pense. On peut tout lire dans les livres, mais il y a des choses qui ne nous sont vraiment transmises qu’à travers notre esprit, et notre esprit est en-haut, il n’est pas en bas... avec les pieds nous marchons sur le sol... les pieds travaillent, l’esprit travaille d’une manière différente.
34Les représentations des constructions relevées ici, le système de connaissance proposé partiellement bien sûr, revêtent pour la mère de saint suffisamment de consistance pour qu’elle les comprenne et qu’ils soient compris par le groupe.
Bon, mais comme j’aime tout lire, aussi je m’inspire de tout, je m’inspire de la maçonnerie, des roses-croix, de tout... j’ai déjà lu tout ce que j’ai pu lire, c’est-à-dire, il y a beaucoup de choses que j’aimerais lire encore, mais que dans l’Umbanda nous avons aussi... Allons voir : vous pouvez être allé dans beaucoup de terreiros d’Umbanda, mais ils ne font pas tous attention aux symboles. Quand j’ai fait ça, ça comme ça, ils ont pensé qu’il y avait d’autres choses plus jolies, et ils ont même voulu le modifier, et d’ailleurs ça a été modifié, j’ai fait le pilier avec huit parties, et par conséquent, quatre apparaissent et quatre n’apparaissent pas parce que c’est rond. Ils ont changé à l’ordinateur et l’ont fait comme ça. Une, deux, trois, quatre, cinq, six. J’ai dit : laissez comme ça, parce que douze aussi c’est Xangô ; c’est le symbole de la loi, laissez comme ça. Mais ils ont fait ça par hasard, parce qu’ils pensaient que quatre, c’était trop peu, et après il a fallu que j’explique pourquoi je l’avais fait avec quatre. Parce que c’était huit, ça représentait Oxalufã qui est mon Oxalâ. Mais comme j’avais beaucoup de vibration avec Xangô, j’ai dit ça va, Xangô aussi. Le temple aussi est en pierre, et la colonne aussi, alors on peut laisser les douze. La fleur de lis aussi c’est une fleur très utilisée dans les symboles. C’est un ornement. C’est pensé, j’ai cherché dans les livres. Certaines choses comme cette petite feuille ce n’est pas moi qui l’ai dessinée, je l’ai copiée dans un livre, je l’ai mise là et c’est tout. Si je n’ai pas de dessinateur pour dessiner... Ces choses-là c’est moi qui les ai dessinées... après une fille de saint a fait les retouches, en regardant aussi dans un petit livre, et après on l’a pris d’ici. Ça c’est moi qui l’ai dessiné, ce pigeon-là je l’ai tiré d’un livre aussi... Seulement les symboles je ne sais pas les dessiner mieux, je vais les chercher dans les livres (chaque couverture d’orixá montre quelque chose en rapport avec lui)... Ça c’est le Oxalá, ça représente Oxalá, le pigeon aussi représente Oxalá : celui-là ici c’est le symbole de Abó, c’est-à-dire du Axé, de l’eau. L’escargot est exactement le symbole de Oxalá, du sacrifice de Oxalá ; le sperme de l’homme est considéré comme étant du sang d’escargot. Donc, on n’offre à Oxalá qu’un animal à sang froid... dans ce cas un escargot... pour Oxalá lui-même, parce que pour une entité liée à Oxalá on peut mélanger...
35Il est aisé de percevoir dans le discours de Mère Virginia que, dans le processus de mise en texte de la mémoire, on retrouve dans l’Umbanda la permanence de pratiques traditionnelles du catholicisme populaire portugais. Et, en un sens, l’Umbanda pourrait être pensée comme si seul le nom de l’ancienne religion « catholicisme populaire » avait été changé, comme s’il ne s’agissait pas d’un changement de religion.
L’art de l’impression
Des fois c’est ma fille, ma fille charnelle, d’autres fois c’est la fille de saint, et après Pedro ou d’autres qui écrivent et le mettent à l’ordinateur. Par exemple, vous pouvez prendre un livre de Oxum ; le livre de Oxum doit être complètement changé, mais jusqu’à maintenant, il ne l’a pas encore été parce qu’il est écrit exactement comme je l’ai écrit... la fille de saint qui l’a copié, a tout écrit pareil que ce que j’ai écrit. Et je lui ai dit, mais alors tu n’as pas corrigé le portugais ? « Ah mais je trouve que c’est bien ». J’ai ait non, je ne pense pas, je pense qu’il y a beaucoup de choses qui ne sont pas bien... Donc vous allez emporter ce livre, il est écrit exactement comme je l’ai écrit, parce que elle-même, après c’est moi qui ai dû lui dire, regarde, mais ici il faut une virgule, ici ça s’écrit comme ça, on va faire comme ça, c’est moi-même qui ai corrigé, mais je pense que ce n’est pas bien, qu’il faut la touche particulière de quelqu’un qui connaisse vraiment un portugais meilleur que le mien, parce que mon portugais n’est pas bon, et alors il faut que ça soit réécrit, les autres l’ont tous été, celui d’Ogum aussi a été écrit comme je l’ai écrit, il n’a pas été corrigé non plus, alors vous allez voir que la manière d’écrire est un peu différente. J’écris, alors quelqu’un met la ponctuation, met les petits points..., il y a une correction, et après Pedro ou un fils de saint digitent à l’ordinateur, une fille de saint peut faire ces travaux. Et après c’est photocopié...
36La production artisanale nous renvoie à la facture traditionnelle des almanachs et des brochures dans les anciens ateliers graphiques du Nord-Est brésilien. Composer avec les caractères typographiques la production des textes, couper le papier, tailler le bois d’imburana (bursera leptophleos) pour faire la xylogravure de la couverture, imprimer puis plier les pages, « fabriquer » les feuillets... (Carvalho, 1994). La différence se trouve dans les ressources technologiques, mais les relations imposées par la précarité, entre autres, rapprochent les deux situations.
37La production littéraire du Terreiro de Umbanda Ogum Megê est destinée, basiquement, à la consommation interne, soit de ses fils de saint, soit de sa clientèle.
Ils sont exposés pour les fils de saint parce que c’est un bien pour le terreiro ; donc les fils de saint vont en-haut acheter, mais ça tourne au profit du terreiro ; et si quelqu’un du dehors, qui est parfois quelqu’un du dehors mais qui est comme ça lié au terreiro, donc une personne qui fréquente ici depuis longtemps le terreiro et qui veut étudier, qui veut se perfectionner, alors elle demande si elle peut acheter, j autorise et l’argent de ce livre va être comptabilisé à part parce que ça fait partie des dépenses du terreiro, donc ce n’est pas pour vendre au public, même si on le vend au public, ce n’est pas une publication pour vendre au public, c’est une publication interne, c’est pour ça qu’on fait tout en photocopie, ce n’est pas une publication d’un livre qu’on pourrait publier. Non. Non parce que voilà, et les filles après payent... par exemple les cours ne donnent rien, mais tous payent une mensualité, par mois, il y a une cotisation, alors avec cet argent de la cotisation on peut payer, par exemple des cours, un livre ou quelque chose d’autre. Ces livres à la couverture jaune sont donnés, ils ne sont pas vendus... Ça vient de l’argent de la cotisation, tout fils de saint a le droit d’emporter un de ces petits livres, ou deux ça dépend si je vois que je peux en donner, j’en donne, un par mois ou deux par mois, je les donne comme ça...
38Ainsi, comme pour les livrets et les almanachs, les tirages sont limités, puisque la production, dans ce cas, selon ses propres dires, est restreinte aux fils de saint et à quelques clients, ceux qui viennent pour des travaux ou pour consulter le jeu de cauries. Les livres restent exposés à côté de livres d’Umbanda édités au Brésil, classés approximativement dans la même catégorie, celle de la littérature religieuse umbandiste.
39La ressemblance avec la littérature des feuillets, qui venait du Portugal et s’intégrait au patrimoine oral, n’est pas gratuite, dans la mesure où cette littérature s’est installée au Nord-Est brésilien pour s’étendre à tout le pays en maintenant son principe d’oralité.
Tradition- mise en texte - permanence
40La transcription écrite de la mémoire orale afro-brésilienne qui a commencé dans les milieux universitaires avec Nina Rodrigues, avec un abord basé sur le déterminisme physiologique et le primat de la notion de race, a été poursuivie par Manuel Quirino, un intellectuel de couleur, qui s’est opposé à ces thèses, avec un abord privilégiant le culturel.
41La production systématique de textes ayant pour objet une théologie et une transmission de la mémoire religieuse commence à partir de la création de l’Umbanda aux environs de 1930. L’oralité dans la transmission et la production de la mémoire est remplacée par l’écriture dans ce contexte de fondation d’une nouvelle religion. Paul Connerton a raison quand il affirme que
tous les débuts contiennent un élément de souvenir. C’est surtout ce qui se passe quand un groupe social se concentre sur l’effort à fournir à partir d’un point de départ entièrement neuf. Il y a quelque chose de complètement arbitraire dans la nature même de tout début ainsi tenté. Les débuts n’ont absolument rien pour se raccrocher. C’est comme s’ils émergeaient du néant. Pour un moment, le moment du commencement, tout se passe comme si les pionniers avaient aboli la séquence de temporalité elle-même et avaient été expulsés de la continuité de l’ordre temporel (Connerton, 1993 : 7).
42Les auteurs umbandistes vont argumenter autour de l’ancienneté de cette nouvelle religion, en opposition aux pratiques traditionnelles des religions afro-brésiliennes (Matta E Silva, 1975).
43Un savoir oral traditionnel qui se met en texte pour entrer dans le monde de l’érudition, dans le processus de transculturation des traditions religieuses, la nécessité de l’écriture comme non aléatoire, mais conséquence d’une situation historique, où la transvocalité n’occupe plus le rôle antérieur, l’écriture devient l’instrument d’évocation d’un Afrobrésil imaginaire, concrétisé dans l’espace religieux du Terreiro Ogum Megê, à Lisbonne.
44Au Portugal, l’écriture servirait, dans le terreiro, de complexe hétérogène de conduites et de modèle discursif commun, utilisé par Virginia de Albuquerque dans son rôle de fondatrice de l’Umbanda dans ce pays. Elle déterminerait un système de mémoire et de représentation qui se manifeste dans les trois autres terreiros dont elle a initié les mères de saint, reproduisant ainsi, dans ces nouvelles maisons, l’Umbanda de Omolocô. L’Umbanda de Omolocô met en scène par la possession des Orixás, Caboclos, Pretos-Velhos et Exus, la synthèse opposée à celle que prétend faire la si fameuse « Umbanda blanche » dans sa tentative de rupture d’avec les traditions des religions afro-brésiliennes. Cette autre synthèse, Omolocô, place côte-à-côte dans son panthéon et ses rituels le Candomblé et l’Umbanda.
45Puisque c’est l’Omolocô qui s’est installé au Portugal, nous en revenons aux thèses de Boaventura de Sousa Santos pour lequel
en raison du type et de Thistoricité de son niveau de développement, intermédiaire, la société portugaise est très hétérogène. Elle se caractérise par des articulations complexes entre pratiques sociales et univers symboliques divergents, qui permettent la construction sociale, aussi bien des représentations centrales que des représentations périphériques (Sousa Santos, op. cit. : 59).
46La réalité périphérique dépasse souvent la fiction. Je peux donc affirmer qu’en mettant en texte l’Omolocô, Mère Virginia assumerait le paradigme d’une idéalisation portugaise dont l’origine se perd dans les profondeurs du temps, en termes de représentations et de ses concrétisations, un Portugal-Afrique-Brésil fondus en une unique unité symbolique.
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Auteur
Université du Ceará, Fortaleza
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