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Les traces de l’occulte dans le folklore roumain

p. 135-148

Résumé

Folklore, being magical, has always been a great medium for the occult. Compared with certain traditions, the Rumanian branch has kept its secret aspects. Communication with the beyond (through the ritual of the silent table, incantations, etc.), astrology done with logos-stars and an initiatory school of Salomonari – mythical hypostases of King Solomon – are all signs of the occult that we can follow.


Texte intégral

1Sans aucun doute, on ne pourra pas analyser ici tous les aspects de ce grand sujet. Mais parce que nous sommes à une conférence, parler de la magie, de la circonférence et du mystère de la Table Ronde sera une bonne occasion d’effleurer le problème de l’occulte dans la tradition populaire roumaine.

2On sait bien que beaucoup de phénomènes occultes se manifestent sous le sceau de la circularité. L’exemple-type est le cercle d’invocation des esprits. Dans la psychologie analytique de C.G. Jung, le cercle est le symbole du Soi. En tant qu’archétype de la totalité, le cercle évoque plusieurs symbole : le soleil, les mouvements des astres, l’image du Zodiaque, la Roue, le Temps (on pense ici à l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue, symbole des alchimistes) ; et enfin, le cercle évoque l’expression la plus adéquate d’un espace centré, le tremplin magique pour les communications avec d’autres dimensions du réel.

3L’idée de cercle et d’espace magique est bien représentée matériellement par la Table Ronde. Son symbolisme a plusieurs aspects :

  1. La table nourrit, donc elle est la source. Elle attire et enrichit la vitalité. C’est un symbole de centralité et de stabilité.
  2. La table évoque le repas communiel. Elle participe aux rassemblements rituels. C’est un objet de (ré)unions, de communions et de communications.
  3. A l’image du cosmos, la Table Ronde est une petite imago mundi, un Orbis Terrarum, lieu concentré et ouvert à la concentration spirituelle. La célèbre Table Ronde des chevaliers du Graal, qui recevait le Graal en son centre, concrétise l’idée d’un centre spirituel où la révélation du secret se fait sous une forme réservée seulement aux initiés. C’est l’aspect collectif du passage à la conscience de soi.
  4. Si l’on rapproche la table ronde d’un autel circulaire (en pensant par exemple à l’autel portatif (en or massif) Orbiculus ou Missorium du roi Salomon1), la Table devient un espace d’invocation et de rencontres magiques entre la terre et le ciel.

4Mais la Table Ronde est plutôt un symbole céleste. Dans la tradition chinoise, le disque en jade PI percé dans son centre était l’image du ciel (fig. 1).

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Fig. 1 : L’image du ciel. Le disque en jade « PI ».

5Au plan symbolique c’est le mystère du Grand Vide et de l’invisible qui se cache en son centre. On peut y voir aussi le cercle du Zodiaque et le Calendrier.

6Rappelons quelques Tables plus ou moins rondes, mais pleines de riches significations mythologiques.

  1. Une Table Solaire (ηλιακη τραπεσα – heliake trápesa) a tenu une place importante dans les mystères orphiques de l’Antiquité. Proclus raconte qu’Orphée connaissait le cratère (κρατηρ) de Dionsos et qu’il avait rassemblé autour de cette Table Ronde de nombreuses personnes.
  2. Dans la tradition islamique, la première chose créée par Dieu fut la Table Secrète2. Elle est constituée d’une perle blanche nouée au Trône. Sur elle, Dieu écrit (grave) d’une Plume magique (Al Qalam), faite de lumière, toutes les destinées du monde.
  3. Dans la tradition hermétique, la Table d’Emeraude ou Tabula Smaragdina où sont inscrits en 13 lignes les préceptes de l’hermétisme, est très célèbre. On dit qu’elle a été taillée d’une pierre (émeraude) qui sauta de la couronne de Lucifer, quand l’archange Michel le frappa. Elle est la pierre des élus, tombée du ciel.

7Mais revenons au cas de la Roumanie.

8La table traditionnelle roumaine est une table ronde en bois. Elle est de petite hauteur (à peu près 40 cm) et repose sur trois petits pieds. On ne peut s’empêcher de penser au trépied d’invocation de l’Antiquité grecque.

9On la place habituellement près du mur, en direction du levant, juste au dessous de l’icône. La table n’est disposée au centre de la pièce qu’à l’occasion de la célébration de rites. Les principales circonstances liées à l’utilisation rituelle de la Table Ronde sont :

  • la naissance ;
  • la commémoration des esprits.

10— 1. Durant la troisième nuit après la naissance de l’enfant, on prépare la Table Ronde pour invoquer les fées du destin. Au milieu de la table on pose un pot avec de la farine et on allume trois chandelles. L’accoucheuse (une vieille femme — moasa) restée seule, commence son invocation à minuit :

« Oh, vous les saintes,
Les bonnes,
Soit que le bon Dieu vous envoie
Lumineuses
Bonnes comme le pain...
Limpides comme l’eau »3.

11On parle aussi d’un livre des fées, une sorte de Liber Vitae dans lequel elles lisent le destin. Le texte du livre est chanté. Il s’agit d’un message magique des fées qui peut uniquement être écouté par l’accoucheuse, car si quelqu’un d’autre l’écoute, il sera tué par l’enfant quand celui-ci deviendra grand.

12La lumière des trois chandelles invoque les trois fées, de vieilles vierges incorruptibles, nommées Ursitoarea, Soarta, Moartea.

13— 2. La Table Ronde en bois joue aussi un rôle important dans les rituels de commémoration des esprits des ancêtres. En Roumanie, il y a toute une série de fêtes appelées « mosi » (les ancêtres) qui se succèdent de l’hiver au printemps. On peut répertorier environ vingt fêtes : pour les ancêtres d’hiver, les ancêtres de printemps, les ancêtres du Grand Jeudi, etc.

14On connaît un très beau rituel en Olténie. Tard dans la nuit (aux abords de l’aube) le jour qui précède le Grand Jeudi (Pâques), on transporte la table ronde4 dans la cour, où les vieux allument des feux. Autour de la table, on installe des chaises, rondes elles aussi. La vieille femme de la maison reste alors seule et commence des incantations. Tandis qu’elle range les mets sur la table, elle chante et balbutie des mots magiques. En réalité, elle invoque les esprits des ancêtres et parle avec eux car la tradition veut que durant la nuit les esprits viennent et s’assoient autour de la table pour se reposer et se réchauffer auprès des feux allumés. Bientôt s’établit la communication entre la vieille femme et les esprits.

15La Table Ronde, au milieu de la nuit, participe en tant que support matériel d’une communication médiumnique (le médium étant la vieille femme) avec les morts. Contournant la table, elle chante, murmure des mots secrets, connus seulement de la famille et transmis oralement d’une génération à l’autre.

16A l’instar du spiritisme occidental, on a affaire ici à une sorte de « spiritisme naturel », habituel à la vie paysanne traditionnelle.

17Cette coutume a été immortalisée dans une célèbre sculpture nommée La Table du Silence par le Roumain Constantin Brîncusi. La sculpture (qui se trouve à Tîrgu Jiu, en Roumanie) figure une Table Ronde, en pierre, entourée de douze chaises rondes. Avec ces douze chaises, on a souvent vu dans cette Table du Silence un symbole eucharistique. Mais la tradition chrétienne n’admet le retour des morts qu’une seule fois, lors de la grande renaissance d’Apocalypse. La sculpture ne véhicule pas un symbole chrétien mais une très archaïque coutume autochtone.

18Nous avons parlé jusqu’ici de tables en bois. Mais le folklore roumain en connaît d’autres, cette fois-ci en pierre. Le rituel qui les concerne s’est perdu, mais des traces sont restées dans les chants de Noël (Colinde) et dans d’autres cantiques archaïques.

19L’image paradisiaque véhiculée par les cantiques figure une table ronde, en pierre, qui se trouve d’habitude au pied d’un arbre cosmique. La table est entourée de chaises et souvent de personnages surnaturels (portant des noms chrétiens, mais d’essence païenne) buvant dans une coupe d’or.

« Au milieu d’Eden
Assise à la Table,
... Autour de la Table
Sont rangées les chaises.
En couvre la Table
Un tapis en soie (vert). »

20On peut penser à des tables vertes mythiques : Table du Graal, Tabula Smaragdina, le PI chinois (en jade), etc.

« Au milieu de la Table
Un arbre en perles5 »
Il y a toute une catégorie de cantiques qui s’appellent Table Ronde-
Roulette (Masa Rotilata).
« Table Ronde-Roulette
Jaune et en pierre faite,
Arbre fleuri
De fruit enrichi6
(l’arbre en question est une pomme !)

21ou encore :

« A la Table Ronde-Roulette
La vierge pure, immaculée
Toaste avec une coupe jaune7. »

22Le terme « Ronde-Roulette » (en roumain rotilata) est une dénomination archaïque qui a été traduite seulement par « ronde »8. Mais nous supposons ici une connotation dynamique (le même terme rotilat est attribué au glaive du héros en suggérant un mouvement circulaire de ce glaive). Ronde-Roulette pourrait très bien traduire un mouvement circulaire de la Table en question. Autrement dit, il s’agirait d’une Table Tournoyante. Notre hypothèse s’avère intéressante surtout quand on la rapproche de la tradition des Chevaliers de la Table Ronde.

23La Table Tournoyante, dans un paysage Edénique, rappelle l’Ile tournoyante (île paradisiaque) qui, dans l’ancienne légende celtique s’identifie au royaume d’Arthur, à Avallon (Ile des pommes ou encore Ile blanche). C’est une allusion à la « Terre polaire » symbole d’une dimension occulte qui, en tant que centre mythique de rotation, entraîne le monde dans son mouvement circulaire.

24La coupe ou le verre jaune (en or) brillant de lumière avec lequel on lève son verre à la Table Ronde-Roulette nous rappelle l’emblème du Graal.

25D’ailleurs, le Graal est également décrit comme « une pierre de lumière ». Le verre avec lequel on boit à la Table Ronde-Roulette dans les cantiques roumains est « écrit » avec des rayons du soleil. Même le nom du cantique fait penser à la cour d’un Roi.

Quelles sont ces cours ?
Des cours hautes et merveilleuses...
La Dame de ces cours
Toaste d’un verre jaune...
L’anse du « verre-merveille »
Est écrit par les rayons du Soleil
Et là où on tient avec la main fière
Ce sont écrites la lune et la lumière »9.

26L’allusion à la coupe du Graal devient claire dans les variantes où l’on précise que ce verre d’or est la chose la plus précieuse de la maison10. Ce verre ne peut être vendu pour rien au monde.

« On toaste d’un verre
Un verre jaune en or...
Ce verre n’est pas à vendre
Je ne pourrai pas le changer
A aucun prix
Toute ma vie »11.

27D’autres variantes de ce type de cantique (le cantique du vautour12) renforcent encore l’assimilation symbolique de ce verre (ou globe !) avec l’emblème du Graal. Nous y trouvons un épisode significatif : deux vautours se battent pour un globe d’or et les héros du cantique prennent l’objet. Finalement, ce globe brillant est posé sur la Table Ronde-Roulette.

28On voit donc que l’image véhiculée par les cantiques roumains – la Table Ronde placée dans un paysage Edénique et portant un verre (globe) resplendissant de lumière – rappelle l’Ile tournoyante qui, comme lieu paradisiaque, est le siège du Graal (la pierre de lumière)13.

29On l’appelle aussi l’Ile de verre, l’Ile blanche ou l’Ile d’Avallon.

30Dans le folklore roumain, il y a bien des traces mythiques concernant une île blanche (insula alba) ou l’Ile des serpents dédiée au culte d’Apollon, personnification du Soleil et du dieu hyperboréen de la lumière. Cette île existe comme telle dans la mer Noire, entre le Danube et le Nistre. Actuellement, elle est une possession russe. Les ballades roumaines et les chants de Noël parlent d’un monastère blanc ou d’une citadelle blanche élevée par le Soleil lui-même. Cela devient intéressant quand on pense que Avallon a été identifié avec Ablun ou Belen, comme le dieu du Soleil celtique et hyperboréen. D’autant plus que la légende dit que l’île d’Avallon ou-La Terre Solaire » fut transportée symboliquement du Nord à l’Ouest (cf. René Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée, Paris, Gallimard, 1962, chap. Le Saint Graal, p. 117). L’allusion à cette île de bienheureux nous donne les commencements mêmes des cantiques :

« Bienheureux celui qui
Au milieu d’Eden...
Est assisà la Table
Et autourde la Table
Des chaises sont rangées »14.

31Pour en finir, il faut préciser un détail significatif. L’image véhiculée par les cantiques roumains, celle de la Vierge qui toaste en levant un verre en or, est tout à fait inhabituelle pour la tradition chrétienne. Jamais les femmes n’ont joué un rôle dans la liturgie. En revanche, dans les légendes du Graal, ce sont presque toujours des femmes qui portent le Graal comme coupe ou plateau15. D’ailleurs, les femmes surnaturelles qui portent des symboles royaux sont bien connues dans la tradition celtique16.

1. Les légendes du Roi Salomon et la Table Ronde dans le folklore roumain

32Le deuxième type de table ronde (en pierre) véhiculé par le folklore roumain est, en fait, une pierre de moulin.

33De quoi s’agit-il ? Nous avons devant nous un mélange des thèmes concernant le Roi Salomon, les dragons, les procédés magiques pour déclencher la pluie, ainsi que d’étranges personnages-sorciers appelés Solomonari. Les Solomonari passent trois ou sept années dans une école énigmatique pour apprendre à dominer les dragons et le temps.

34En ce qui concerne le Roi Salomon, on sait qu’il était un grand astrologue et qu’il comprenait le langage des animaux. Les informations concernant ce roi biblique ont pénétré dans le folklore roumain vers le XVIIIe siècle par l’intermédiaire des légendes canoniques et des textes apocryphes. La trace linguistique de ce célèbre roi-mage (appelé par les Roumains « le très intelligent Salomon ») est restée fixée dans toute une série de noms désignant l’idée de sorcier17 :

solomonar : sorcier
a solomoni : faire un sortilège
solomonit : ensorcelé
solomonie : livre magique, livre de sorcier

35Le Solomonar est décrit comme un mendiant portant des objets particuliers : un frein, un bâton avec lequel a été tué un serpent, une hache charmée et un livre.

36Il y a des informations qui présentent les Solomonari comme des personnes ayant vendu leur âme au diable18. D’ailleurs leur initiation se fait, comme on le verra, à l’aide d’une pierre de moulin. Les croyances populaires roumaines déclarent d’ailleurs fermement que le moulin est une invention du diable19, qui a son siège sous la roue du moulin. On dit aussi que si le diable n’existait pas, les roues ne tourneraient pas. Les textes s’accordent à présenter les Solomonari comme de vrais sorciers qui souvent étaient capables de tuer par un simple regard20. On leur attribue aussi la maîtrise de toutes sortes de brigandages. Les légendes roumaines, ainsi que celles des peuples balkaniques, parlent d’une Ecole Salomonienne21. Ses absolvants s’appellent Solomonari. Cette école se trouve « au centre du monde », « dans le nombril du monde », quelque part, sous la terre, dans un au-delà magique. En ce lieu appelé l’Ecole du Dragon est donnée une véritable initiation. Il faut préciser que, selon les croyances roumaines, les serpents deviennent dragons après un séjour de neuf ans dans les entrailles de la terre.

37Dans l’Ecole du Dragon on apprend toutes sortes de formules magiques, ainsi que le langage des animaux. Dans cette école entrent habituellement sept, dix ou treize élèves. Mais seulement six, neuf ou douze initiés en ressortent (c’est-à-dire un de moins à chaque fois).

38Des croyances prétendent que ceux qui deviennent Solomonari sont enlevés par un vieux sorcier et cachés sous la terre pendant sept années. Dans l’Ecole du Dragon, les Solomonari lisent des livres magiques22, apprennent comment chevaucher les dragons volants, comment faire des sortilèges et comment lier ou délier la pluie. On peut signaler ici une étrange correspondance symbolique avec le dieu de la pluie mexicain Tlaloc, qui a comme emblème deux serpents-dragons entrelacés et gravés sur une tablette ronde en pierre (fig. 2), trouvée au Yucatan23.

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Fig. 2 : Symbole en pierre du dieu de la pluie mexicain Tlaloc

39Le rituel d’initiation de Solomonari dans l’Ecole du Dragon utilise une pierre de moulin. C’est une sorte de table ronde ou disque de pierre. Les élèves sont assis sur cette pierre ronde qui tourne à grande vitesse24. On dit que, dans ces circonstances, l’un d’eux est toujours ravi par un démon. En effet, on peut y voir une initiation à la table tournante. Le contexte rappelle le sacrifice archaïque offert au démon de la roue. Les Indiens connaissent Chakravartin (celui qui fait tourner la roue) tandis que chez les Celtes on l’appelle Mag-Puith (le servant de la roue).

40D’autres informations sur l’école des Solomonari racontent que dans ces lieux sont suspendues de grandes pierres rondes (pierres de moulin) qui menacent ceux qui passent au dessous d’elles. Deviennent Solomonari seulement ceux qui ont le courage de passer au dessous de ces pierres rondes25. D’autres sources parlent d’une caverne. Ici les élus étaient initiés en les asseyant sur une pierre de moulin suspendue. La pierre tournait vertigineusement à la lumière d’une lampe paysanne26.

41Des commentateurs y ont vu les fragments d’un rituel orphique27. D’ailleurs, les fragments orphiques avertissent : « Je me suis évadé du cycle triste et ennuyeux » ou « Je me suis évadé de la fatigante roue ». Il est question d’un symbolisme bien connu, celui de la roue de l’existence ou la Roue du Monde, Rota Mundi, dont parle Virgile (dans son Eneide) et que les fresques des églises médiévales présentent en train de jeter les pécheurs.

42Les Celtes croyaient en une « roue des naissances », Kiklos Genéseos. Les rituels orphiques de la roue sont attestés dans la littérature (cf. J. Harrison, Prolegomena to the Study of Greek Religion, Cambridge, 1922). On cite des roues conservées dans les temples pour l’usage rituel. L’initiation suppose que le candidat doit entrer et sortir d’un cercle ou d’une roue.

43Les traditions paysannes roumaines connaissent une danse en cercle nommée « la danse ronde de Solomonari ». On l’appelle aussi Solomonita ou encore « danse ensorcelée »28.

44Les croyances roumaines précisent que dans l’Ecole du Dragon, l’initiation des Solomonari s’est faite encore à l’aide d’un livre magique présenté souvent comme une pierre29. On l’appelle « la pierre des sages » ou Solomonia. Parfois, ce livre a seulement neuf lettres mystérieuses et se présente comme un carré magique (fig. 3).

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Fig. 3 : Livre (pierre) de Solomonari

45La légende de ce livre a fleuri au XVIIIe siècle dans la tradition des livres divinatoires. Dans les milieux populaires ont été très en usage à une époque des livres divinatoires nommés La Roue de Salomon ou Le Livre divinatoire du Roi Salomon (fig. 4).

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Fig. 4 : « La Roue de Salomon » ou « Le Livre divinatoire du Roi Salomon ».

46Il s’agit évidemment d’un livre magique. En effet, tout l’Occident médiéval a connu la tradition de ces recueils de formules magiques attribuées au Roi Salomon30. Ils ont circulé sous le nom des Douze clés de la magie ou encore Les Douze clavicules de Salomon, que tout sorcier devait posséder, écrites de sa propre main, et sans lesquelles il ne pouvait pas invoquer les Démons.

47Les contes roumains nous apportent quelques informations supplémentaires31. Un Solomonar et un paysan voyagent ensemble dans une charrette. Le Solomonar s’endort et le paysan commence à lire le livre de son compagnon. C’est un grand livre avec des lettres anciennes. Tout à coup, pendant que le paysan lit, la charrette s’envole vers le ciel. Il faudra que le Solomonar commence à lire les lettres du texte à l’envers pour ramener la charrette sur terre.

48Ce livre magique, tantôt carré, tantôt rond, était aussi nommé « la Pierre des Sages ». Le livre servait au Solomonar pour invoquer les dragons. Devant un lac, le Solomonar lit son livre et les dragons commencent à venir. Avec son frein, le Solomonar fixe le dragon, s’assied sur son dos et s’envole dans le ciel.

49Dans la bataille au milieu du ciel entre les deux Solomonaries, l’un et l’autre chevauchant leurs deux dragons, s’était décidé le bon ou le mauvais temps. Les textes qui décrivent cette bataille véhiculent une image-symbole très ancienne. On sait que « lorsque le temps est lourd c’est que deux dragons (montures des Solomonari) se sont rencontrés face à face. Ils s’opposent toujours symétriquement, l’un de l’Est, l’autre de l’Ouest. Ils ne se battent pas n’importe comment, mais seulement avec leurs têtes et leurs queues. Quand on voit les éclairs, ont dit : « Les dragons se battent avec leurs têtes et leurs sabots »32.

50L’image ci-dessous reproduit le motif mésopotamien des deux serpents dressés l’un contre l’autre dans l’emblème du Caducée hermétique. On trouve cette image comme attribut du Héros dans certaines ballades (jeudi matin – Joi de dimineata) :

« Sur la route, sur les champs
Un brave passant...
Son frein ;
Deux dragons dorés
Mâchoires serrées
Queues nouées »

51Des serpents stylisés qui s’affrontent symétriquement figurent aussi sur les costumes populaires roumains33.

52Arrêtons-nous ici et tentons d’envisager la confrontation Est-Ouest de l’autre côté. Plus réelle mais peut-être aussi plus subtile.

Notes de bas de page

1 Emma Jung, Marie Louise Von Franz, La Légende du Graal, Paris, Albin Michel, 1988.

2 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1982.

3 Simion, Fl Marian, Nasterea la români, Bucuresti, 1892.

4 Romulus Vulacanescu, Mitologie româna, Bucuresti, Ed. Academiei, 1985, pp. 374-381 ; Elena Niculita Voronca, Sarbatoarea Mosilor în Bucuresti, Studiu comparativ, Bucuresti, 1915. I. C. Chitimia, Masa tacerii sau fondul autohton al inspiratiei lui brîncusi, Comunicare la al Ill-lea Simlpozion Interjudetean, Turnu Severin, 4-6 decembrie 1980.

5 Sabin Dragoi, 303 Colinde, Craiova, Ed. Scrisul Românesc (colind 171, jud. Hunedoara).

6 Sabina Ispas, Flori dalbe de mar, Din poezie obiceiurilor de iarna, Bucuresti, ed. Academiei, 1987, p. 14.

7 L’archive de l’institut du Folklore, Bucarest (le cantique fg. 3388c, Brasov, enregistré en 1937).

8 Sabina Ispas, Flori dalbe de mar, Din poezie obiceiurilor de iarna, Bucuresti, ed. Academiei, 1987, p. 14.

9 Sabina Ispas, Flori dalbe de mar, Din poezie obiceiurilor de iarna, Bucuresti, ed. Academiei, 1987, p. 14.

10 Monica Bratulescu, Colinda românesca, Bucuresti, Ed. Minerva, 1981, p. 256 ; Nicoleta Coatu, Structuri simbolice solare (manuscrit) 1988.

11 L’archive de l’Institut du Folklore, Bucarest, fg. 5262 a, jud. Fagaras.

12 Octavian Buhociu, Folclorul de iarna, ziorile si poezia pastoreasca, Bucuresti, Ed. Minerva, 1979, p. 124.

13 J. Evola, Le Mystère du Graal, Ed. Traditionnelles, Paris, 1982.

14 Sabin Dragoi, op. cit., p. 117 (colind 187, jud. Hunedoara si, colind 94, p. 103, jud. Hunedoara).

15 J. Evola, op. cit., p. 90-112.

16 A. Brown, The Origin of the Grail legend, Cambridge, 1910, p. 211. On trouve des renseignements sur le celtisme en Roumanie dans Virginia Cartianu, Urme celtice în spiritualitatea si cultura românesca, Bucuresti, Ed. Univers, 1972.

17 Andrei Oisteanu, Motive si semnificatii mito-simboloce în cultura traditionala românesca, Bucuresti, Ed. Minerva, 1989, p. 166-244, cap. Balaurul si Solomonarul.

18 I. A. Candrea, Preminte Solomon, Legendele Solomiene în basmele si credintele noastre, Cercetari Folklorice, Bucuresti, 1947, vol. I, p. 104.

19 A. Oisteanu, op. cit., p. 235.

20 Pierre Carnac, Les trois âges du Dragon, Atlantis, η 306, 1979-

21 Adrian Fochi, Datini si eresuri populare de la sfîrsitul secolului al ΧΙΧ-lea, Bucuresti, Ed. Minerva, 1976, p. 329.

22 Sabina Ispas, Raporturi între literatura apocrifa, cartile populare si folclor. Coclul solomonian în cultura româna, teza de doctorat, Bucuresti, 1979.

23 Silvia Chitimia, « Le motif des serpents « Machoires serrées, queues nouées » dans le folklore roumain-, Ethnologica, Bucuresti, 1983·

24 Traian Gherman, Météorologie populara, Blaj, 1929, cap. Solomonari, p. 141.

25 Romulus Vulcanescu, op. cit., p. 425.

26 Romulus Vulcanescu, op. cit., p. 425.

27 Adrian Sustea, « La facerea lumii cerul... », Ethnologica, Bucuresti, 1985.

28 R. Vulcanescu, Fenomenul Horal, Craiova, Ed. Ramuri, 1944, p. 99 si G. Niculescu Varone, Elena c. Varone, Dictionarul jocurilor populare românesti, Bucuresti, Ed. Litera, 1979, p. 170.

29 A. Oisteanu, op. cit, p. 235.

30 Pierre d’Abane, Heptameron ou Eléments de magie, Liège.

31 Elena Niculita Voronca, op. cit., vol II Cap. Solomonarii si balaurii, p. 807-809.

32 Silvia Chitimia, op. cit., p. 106.

33 Maraina Marinescu, Arta populara românesca, cluj, Ed. Dacia, 1975, p. 112-117.

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