Un cas d’exorcisme
p. 127-131
Résumé
The story which is presented here and analysed in religious terms is that of a young catholic girl, who asked for exorcism prayers on several occasions. The interest of this case comes from the fact that it contains few outstanding features concerning psychopathological symptoms or signs of a possible evil influence. This moderation brings out the person’s story all the better. We should notice the passing from one culture to another -from Maghreb to France-which makes the persecutive interpretation easier in the case of a person looking for her identity.
No evidence backs up the young girl’s claim of bewitchment. However the distress which occurred during the deliverance prayers seemed to justify resorting to exorcism prayers. During the following years, the young girl was able to find a place in society and get married.
Texte intégral
1Dans le cas d’Alberte, que je vais exposer, il semblerait, à première vue, qu’il n’y ait qu’un trouble psychique, greffé sur une mauvaise représentation de la foi chrétienne. Pourtant des indices m’ont amené à pratiquer plusieurs exorcismes, marqués de manifestations significatives. L’histoire de la famille d’Alberte autorisait à attribuer ces troubles à des agissements maléfiques.
1. Le milieu familial
2La famille, qui habite dans une ville importante de l’Est, a vécu en Algérie dans le bled jusqu’en 1963. C’est un milieu aisé, mais simple. Issu du continent, le père est représentant, travailleur, silencieux. N’étant pas homme de relation, il n’aime pas recevoir à la maison. Il aime ses filles, surtout l’aînée, Laurence.
3La mère, d’origine « pied-noir », est très sensible, de nature très ouverte et elle a souffert du caractère fermé de son mari ; l’entente du ménage en a été rendue difficile. En Algérie, la grand-mère maternelle vivait non loin d’eux, avec ses deux sœurs non mariées. Dans la ville où ils sont, la grand-mère jusqu’à sa mort et l’une de ses sœurs ont vécu à la maison, tenant une grande place et catalysant beaucoup d’attentions et de soins. La famille ainsi constituée est repliée sur elle-même, vivant en vase clos. Les deux filles aînées, Laurence et Alberte, en ont été marquées.
4Chez les femmes de la famille, il y a une grande fragilité psychique, tenant, semble-t-il, de la mère, voire de la grand-mère et de l’éducation fermée. Après une « conversion » la mère a eu un sentiment religieux très vif, menant une vie d’oraison, axée sur les souffrances du Christ, avec beaucoup de pratiques de piété. Elle a des tentations de suicide et elle en a fait des tentatives. Quand Alberte a eu dix ans, en France, sa mère a eu une crise violente contre Dieu où elle a saccagé une image du Sacré-Cœur, en prononçant des blasphèmes. Un prêtre est alors venu pour un exorcisme.
5Ses deux filles aînées sont en réaction à l’égard de leur mère, malgré son amour pour elles.
2. L’histoire d’Alberte
6Alberte est née en 1956, je l’ai connue il y a dix ans, alors qu’elle arrivait à Lyon. Avec un diplôme de secrétaire, elle y cherchait du travail, à distance de ses parents. Craignant des influences mauvaises sur sa famille, elle pensait avoir besoin d’un exorciste ; elle avait déjà vu celui de sa ville. Quelques temps après j’ai fait pour elle une prière de délivrance.
7Il s’agissait surtout d’un accompagnement spirituel. J’essayais de remettre d’aplomb sa façon de voir les choses : Alberte se basait trop sur des interventions continuelles de Dieu guidant ses faits et gestes. Alberte était généreuse, elle s’est fait des amies et a trouvé du travail. Elle fréquentait des « hommes d’affaire du Plein Evangile » groupe chrétien d’origine pentecôtiste américaine, qui allait dans la pente de son sens religieux. Une retraite selon les Exercices Spirituels chez les Jésuites, avec accompagnement individuel, avait orienté Alberte vers une communauté nouvelle charismatique. Après des prises de contact, elle y entra en 1986. Elle y resta trois ans. On y fut prudent avec elle. On la sevra de relations avec sa famille, en particulier avec sa mère. Alberte était généreuse, travailleuse, ouverte et docile envers les responsables dans les deux maisons successives où elle resta. Elle avait des difficultés psychiques, des exaltations et des blocages.
8Elle dira après qu’au fond elle voyait toujours Dieu comme méchant, et qu’il lui était caché comme d’une couverture. Elle ressentait une connivence secrète avec le Mauvais. Cependant elle apprit à lutter et à dire : « Je ne veux pas ! ». Sa voisine de chambre se rendit compte qu’elle avait été en combat toute une nuit et en avertit la responsable.
9Cependant, au bout de trois ans, elle prit l’habit, mais peu après elle dut sortir de la communauté pour troubles psychiques. Elle était revenue comme à l’âge de cinq ou six ans, parlant à peine. La communauté la confia à un médecin qui en était proche pour une psychothérapie intensive pendant un mois, suivie de deux entretiens par mois. Elle fit aussi un court séjour dans un établissement de soins psychiatriques et de discernement où se produisit une certaine guérison intérieure. La responsable de la communauté continua d’accompagner Alberte avec sagesse. Alberte revint chez ses parents et retrouva du travail. Sans être fermée à l’hypothèse d’influences diaboliques, la responsable qui accompagnait Alberte et la connaissait bien pensait que ses troubles étaient d’ordre psychique.
3. Les signes d’influence maléfique
10S’il y a des troubles psychiques, pourquoi donc penser qu’il peut y avoir l’action du démon ? Voici quelques indices dans le cas d’Alberte. Alberte a toujours pensé, ainsi que sa mère, qu’il y avait quelque chose de mauvais sur sa famille. A trois ou quatre ans, elle avait un cœur ouvert à Dieu, mais cela s’est bloqué vers quatre ou cinq ans, à l’époque où elle est venue en France avec sa mère, tandis que la sœur aînée restait avec le père en Algérie.
11Après sa sortie de la communauté, depuis un an qu’elle était revenue à la maison, Alberte avait des oppositions intérieures pour se rendre à la messe. Quand elle y allait, elle avait envie de partir, de tout casser. Des paroles de blasphème lui venaient intérieurement à la Consécration, comme si quelque chose l’empêchait de rester. Tout ceci est assez significatif chez une personne sincèrement tournée vers Dieu. Des pensées d’orgueil lui « tombaient dessus ». Elle n’arrivait pas à faire une heure d’adoration. Elle allait à un groupe de prière, mais elle en était sortie à plusieurs reprises, parce qu’elle ne pouvait le supporter. Par ailleurs, à la maison, soit elle, soit son père étaient pris de crises de rage contre la mère. Cela aussi mérite attention : le diable est le diviseur.
12Après ces quelques indices d’influence maléfique, il faut parler aussi de ce que dit la femme de ménage portugaise de ses parents, car Alberte y croit et subit son influence. Cette femme responsable d’un groupe de prière de portugais a eu intérieurement comme l’image d’une femme algérienne. Alberte reconnaît en cette dernière une femme de ménage d’autrefois qui, en même temps qu’un vieil Algérien, ferait du mal à la famille d’Alberte et causerai un envoûtement. Dans ce contexte Alberte a ressenti profondément qu’un Algérien, faisant partie d’une secte et ayant fait un pacte avec le démon, avait agi contre sa famille. Elle était persuadée que toute la famille, avec ses tantes, avait été ainsi attaquée et le demeurait ; certains événements qui s’étaient passés en Algérie auraient pu, en effet, corroborer ses craintes.
4. Les exorcismes
13Sur les instances répétées d’Alberte, je consens à faire seul un exorcisme, en présence de sa sœur. Cet exorcisme est marqué d’agitation avec le rejet du crucifix, et de cris, avec ces mots : « Je reste là, moi, vous ne me ferez pas sortir ! » Par la suite, ayant pris conseil, il me semble qu’il y a là du diabolique et qu’il faut combattre avec les armes habituelles de la prière et de la persévérance dans la foi. Alberte constate alors en elle un progrès dans la lumière et dans la volonté de lutter, mais ce n’est pas fini.
14Deux mois après, nous faisons à deux un nouvel exorcisme pour Alberte. Le second exorciste dit les prières très calmement. Les réactions sont violentes et longues, puis elles s’estompent. Alberte est restée consciente et a collaboré intérieurement à la prière.
15Le lendemain, un dimanche, Alberte vient participer à la messe, que je célèbre seul dans une chapelle. Elle est détendue et elle prie. Mais après la consécration elle s’agite : cela va durer une demi-heure avec des poussées plus fortes et des accalmies. Je prie et le calme revient. Au moment de la communion, elle refuse et l’agitation recommence. Je fais un exorcisme simple, le calme revient et elle communie avec foi.
16Il y a eu, depuis, une véritable libération pour Alberte dans sa vie chrétienne. Dans les années qui ont suivi, cette jeune fille a retrouvé une insertion sociale et s’est mariée.
5. Réflexions sur ce cas
17Lorsqu’il apparaît des problèmes psychiques, j’ai vraiment de la difficulté à admettre qu’il y ait des influences maléfiques. Je ne suis pas assez attentif alors aux signes spirituels dans le cheminement des personnes tendant vers Dieu. Il est certes fort utile de parler des cas avec un psychiatre, mais plus encore avec un homme spirituel, ayant du discernement.
18L’aide à apporter à ces personnes peut passer par un exorcisme, voire plusieurs lorsque cela paraît nécessaire, mais aussi principalement par un accompagnement spirituel éclairé.
Auteur
Exorciste diocésain, Lyon.
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