Le ministère d’exorciste
p. 121-125
Résumé
Whilst we are able to pay little attention to psychopathological symptoms or unusual appearances, the practice of deliverance and exorcism prayers directly and abruptly raises the question of filiation. Around the anguish and the violence encountered by those who complain of bewitchment or attacks by the devil, there are always circumstances that make them prone to it. Precisely, it is the pursuit of a Father who would impose His power and who would assure His children of success and happiness. The inherent pedagogy of exorcism practices tries to rid the person of a persecutive interpretation in a divided world, in order to help him to accede to the responsibility of his acts and to personal autonomy. It is a way of being reunited with psychic effort which is the recognition of our filiation.
Texte intégral
1Le ministère d’exorciste est une modalité particulière et un lieu révélateur de l’expérience humaine la plus décisive qui est la découverte et la reconnaissance de la filiation. A travers la complexité des pratiques de guérison et des parcours individuels, la question que posent sans le savoir les demandeurs à l’exorciste est celle de la paternité de Dieu. Ils mettent en cause le premier article de la confession de la foi : « Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. » Tout se passe pour eux comme si le Dieu des croyants était tenu en échec par des forces au moins aussi puissantes et antagoniques.
2Cette question de la paternité de Dieu est à la fois soulevée et cachée par l’angoisse du demandeur et les mécanismes de défense qui l’accompagnent habituellement, et qui sont les plus archaïques : le clivage des objets, la projection et l’idéalisation, le tout sur un fond de dépendance anaclitique.
1. Un ministère confié par l’évêque
3Comme le nom de ministère (service) l’indique, l’exorciste s’acquitte d’une charge qui lui est confiée par l’évêque et qu’il reçoit dans l’obéissance. Il doit l’exercer en communion avec l’évêque et l’Eglise. Si ce ministère demande la discrétion, il n’a rien de secret. L’exorcisme est une prière liturgique (publique), prévue au rituel.
4Il y a là déjà plusieurs éléments qui s’opposent à des caractéristiques des puissances des ténèbres et de ceux qu’elles attirent :
- l’obéissance est l’antidote de la division ;
- le ministère et la prière de l’Eglise sont à l’opposé du secret ;
- L’acceptation d’un ministère dégage de la problématique du « don personnel », dans laquelle les demandeurs veulent souvent enfermer l’exorciste, présumé plus ou moins « fort » que celui du diocèse voisin, plus ou moins compétent (« Etes-vous allé en Afrique ? Pouvez-vous quelque chose contre les démons africains ? »).
5Le monde des désenvoûteurs et des guérisseurs de tous genres est régi par la recherche du don personnel, assorti de la garantie de l’efficacité rapide et vérifiable. Cette mise en valeur du don personnel est le lieu de la curiosité, de la domination et de la dépendance, sans que personne ne sache ni ne nomme l’origine du don supposé.
2. Le discernement
6Tâche délicate s’il en est, le discernement d’une éventuelle intervention des puissances maléfiques se heurte à l’écueil habituel d’une sorte de diagnostic différentiel : ou bien le trouble désigné est d’ordre psychopathologique ou bien il est d’ordre spirituel.
7L’illusion de cette problématique est la bipartition du psychisme et du spirituel comme de deux régions voisines aux frontières contestées ! Or le spirituel (entendu comme l’accueil du don de Dieu) passe par le psychisme et la tentation emprunte les voies humaines. Les drames spirituels les plus graves, comme l’orgueil, n’entraînent pas immédiatement de troubles psychiques. Des signes spectaculaires de désordre ne correspondent pas forcément à un trouble spirituel grave, alors qu’ils indiquent la fragilité du terrain. Tout compte fait, c’est la collaboration habituelle entre eux qui peut aider les psychiatres et les exorcistes à se dégager de cette problématique dominante, rivée à la première lecture de contenus manifestes du discours du demandeur.
8En prenant en compte la triade classique des signes du Rituel de 1614 (violence surhumaine, usages de langues inconnues du sujet, connaissance de faits distants ou cachés), il est bon de se référer à d’autres signes d’ordre moral :
- l’opposition habituelle à Dieu qui se manifeste par la dérision, la désobéissance, voire la haine de Dieu, et cela notamment par le refus des gestes et des prières de la vie quotidienne (sacramentaux et sacrements).
- l’intention délibérée et durable de provoquer la division entre les proches dans les familles et les communautés.
- l’intention délibérée et durable de dominer, de malmener, voire de détruire des personnes.
9En règle générale on ne peut parler de « symptômes » pour le discernement, car les faits ou les souffrances ne sont pas véritablement répétitifs, reproductibles et contraignants. Il est plus prudent de parler d’indices, au sens de ce qui permet de présumer l’influence de forces maléfiques sous bénéfice d’investigation suivie.
10Dans la même attitude de prudence, il est impossible à un exorciste d’attribuer la moindre créance aux voyantes ou guérisseurs qui enferment le demandeur dans une mentalité persécutive (« quelqu’un vous ‘travaille’... Est-ce que quelqu’un de votre entourage vous veut du mal ? »).
11A fortiori, si l’on reconnaît dans le diable le père du mensonge, il ne faut accorder aucune créance aux prétendues révélations de possédés, qui ne demandent pas mieux que de discourir sur les origines et circonstances de l’intervention maléfique examinée.
12Ce qui fausse également le discernement, c’est de penser en tout ou rien, comme s’il y avait oui ou non « possession ». Il y a plutôt en fait de multiples degrés de l’intervention satanique, selon la profondeur de l’aliénation infligée, à l’encontre de la confiance filiale.
3. Le piège de la contre-violence
13Autant il est rare que des personnes nomment Satan et se plaignent d’être possédées, autant il est fréquent que des personnes se plaignent d’être envoûtées et cherchent dans l’exorciste un désenvoûteur, c’est-à-dire en fait un contre-sorcier. Or la demande de désenvoûtement est en elle-même un piège à tout point de vue, à commencer par l’obscurité et la passivité qui l’affectent...
14La conversion est un retournement sur lui-même. L’exorcisme doit en effet aboutir à ce que le demandeur fasse retour sur soi-même, prenne conscience de sa personnalité, reconnaisse sa faute, prenne en charge comme acteur sa propre vie.
15La demande de désenvoûtement a une forme typique. Une personne souvent marginale, et notamment par rapport à la vie chrétienne, se plaint de subir l'influence maléfique d’une force extérieure peu identifiable. Le demandeur met parfois en cause une personne de son entourage. L’exorciste est mis en demeure de prouver sa force ou sa compétence pour tenir en échec la personne qui exerce l’influence maléfique.
16Ainsi présentée schématiquement, la demande de désenvoûtement porte une vision du monde clivée sous l’effet de la projection. La dénonciation d’un persécuteur induit la mise en œuvre d’une contreviolence qui peut passer par les paroles ou les gestes de l’exorciste, ou du moins par ses sentiments. Le demandeur reste comme extérieur au combat qu’il veut enclencher, mais il propose de l’argent pour donner sa part et il attend une solution rapide, satisfaisante et sûre.
4. La découverte de la paternité de Dieu
17Au fond des troubles désignés par celui qui consulte un exorciste, il y a habituellement une méconnaissance du mystère de la paternité de Dieu, révélé dans l’abandon filial de Jésus en son Agonie et sur la Croix. Toute la vie chrétienne a pour contenu l’expérience de la filiation. L’exorcisme est la recherche plus que tout de la paix et de l’unité par la réconciliation. Il est le début du chemin d’accès au cœur profond. Il suppose le détachement et le recueillement, le silence et l’adoration.
18Beaucoup imaginent l’exorcisme comme une mise en scène grandiloquente, bruyante et violente. Se laisser attirer sur ce terrain, c’est en fait une manière de se laisser séduire par l’Adversaire, car c’est l’opposé du climat indispensable de la prière et au discernement. Le piège de l’exorcisme, c’est de se livrer à la contre-violence pour riposter à l’Autre sur son propre terrain et avec ses propres armes. De toutes les manières, pour ne pas se laisser attirer par lui, il faut éviter le combat singulier contre l’adversaire. Ce qui peut déjouer le piège de la contre-violence, avec l’illusion d’un pouvoir personnel contre le monde des ténèbres, c’est le partage fraternel et l'ouverture à la communion des saints.
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Le Défi magique, volume 2
Ce chapitre est cité par
- Aubourg, Valérie. (2019) Les quatre saisons du Renouveau charismatique, 1967–2017. Social Compass, 66. DOI: 10.1177/0037768619832804
Le Défi magique, volume 2
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