La présence des symboles judéo-chrétiens dans l’ésotérisme d’une religion afro-brésilienne
p. 189-198
Résumé
Following extensive field work, we have centered our interest in the process of symbolization – rather than in the system of symbols or a symbolic code – as the result of a social distance disclosed in the context of the heterogeneous and polycultural Brazilian society. Analysing rites and the adepts’ speech, the ambiguity of this symbolic mosaic became evident. On the one hand, this assemblage accompanies the hierarchized social relation model. On the other hand, it points to - vis-à-vis the dominant Jewish and Christian religious ideology - strategic mechanisms for capturing new adepts, as well as to the maintenance of a particular «black» and/or «afro» cosmovision in the process of symbolic appropriation and reinterpretation.
Texte intégral
1Dans le contexte d’un Brésil hétérogène, multiracial et polyculturel, il faut penser la mosaïque symbolique présente dans l’imaginaire des communautés de Candomblé comme résultat d’enjeux sociaux complexes. L’analyse des rites et des discours des croyants montre que, d’un côté, l’assemblage des symboles judéo-chrétiens suit le modèle hiérarchisé des rapports sociaux, et que, d’un autre côté, cet ensemble met en lumière, vis-à-vis de l’idéologie chrétienne dominante, certains mécanismes qui attirent sans cesse de nouveaux adeptes. Cette communication a pour but de montrer comment des éléments étrangers à la tradition du Candomblé sont intégrés et réinterprétés par cet imaginaire religieux soit-disant « noir » et/ou « afro ».
1. Candomblé : l’imaginaire religieux non-exclusif
2Il faut d’abord esquisser un résumé de la formation de la société brésilienne pour comprendre le rôle singulier que le concept d’identité religieuse peut jouer dans une société nouvelle, polyculturelle et multiraciale. On doit souligner que les fonctions opératoires de l’identité religieuse sont elles-mêmes marquées par des critères sociaux et des mécanismes de découpage fondés sur un système hiérarchisé d’organisation sociale. Dans ce système, nous pouvons repérer des frontières nettes établies pour l’affirmation de soi-même – aux niveaux individuel et de groupe – comme les croyances et l’apparence physique (la couleur de la peau, les cheveux, les visages, les vêtements et bijoux, etc.). L’appartenance à l’un des nombreux groupes professionnels et religieux petit, elle aussi, délimiter les couches de la pyramide sociale.
3A la diversité humaine rencontrée au Brésil s’ajoute la présence frappante de plusieurs croyances et de lieux religieux ; en milieu urbain principalement on voit, aujourd’hui, proliférer les formes religieuses les plus exotiques, à côté de formes qui ont été établies pendant la colonisation et qui sont considérées comme brésiliennes.
4Les multiples religions dites afro-brésiliennes sont en même temps ainsi pensées par leurs participants et par la culture officielle. Les mots « Terreiro », « Roca », « Candomblé » jouent un rôle d’identification dans un système socio-religieux très complexe. Ces mots suggèrent aussi un langage sensoriel, qui s’expose et s’impose : la musique, la danse, la sensualité, la nourriture, les odeurs des herbes employées pour les bains et pour la purification rituelle, les vêtements, de petits gestes quotidiens, etc. Ils marquent encore une identité spécifique hiérarchisée et une organisation de pouvoir très élaborée. Ces mots sont, par la suite, très utiles pour la reconnaissance de la forme religieuse ; aussi sont-ils employés pour nommer l’espace occupé par les communautés1.
5On considère le Candomblé comme une manifestation religieuse résultant de la réinterprétation de plusieurs cosmovisions africaines transplantées à l’époque de la traite d’esclaves2. A partir du XVIIIe siècle (Verger, 1985), ce mot africain est employé pour nommer les groupes de noirs organisés et voués au culte des dieux d’Afrique. La Candomblé constitue, donc, à côté des formes de résistance politique – les « quilombos », avec qui les groupes étaient souvent associés – le fondement d’une identité « noire », liée aux pouvoirs magiques et aux maléfices, en opposition à l’identité chrétienne, tout à fait « blanche » puisque ancrée dans les valeurs dominantes européennes.
6Au début du XXe siècle, dans le sens commun et au niveau du religieux, les mots « Macumba » et « Macumbeiro »3 sont devenus, comme étiquettes employées par les élites blanches, des désignations génériques qui nomment tous les groupes et leurs adeptes. C’était une façon de classifier et de marquer négativement ces croyances et leurs croyants, ainsi que d’autres manifestations culturelles perçues comme d’origine « africaine » et/ou « afro-brésilienne ». Cela s’est passé aussi dans le domaine de la musique : l’étiquette « batuque » comprenait tous les rythmes, les danses et les expressions corporelles, comme la « capoeira »4. Cette attitude s’est bien établie et a réussi, en tant que mécanisme efficace, à réduire l’importance et la légitimité des différences culturelles non européennes, en les vidant de leur contenu symbolique d’origine, en les rendant homogènes et, bien sûr, « inférieures ».
7Pourtant, à partir des années 60, des mouvements sociaux organisés (le « mouvement noir », « de conscience noire », « de négritude », etc.) ont réussi, peu à peu, à changer la signification « officielle » donnée aux biens symboliques et matériaux considérés comme « noirs ». Cet effort politique des gens engagés – l’avant-garde noire, ainsi que des intellectuels, surtout des anthropologues et écrivains – a pris pour référence principale le Candomblé (vu comme symbole des religions noires) pour redresser la connotation d’infériorité acquise par tout ce qui était étiqueté comme « noir », « afro », « macumba », « macumbeiro ». Le résultat construit au long des années 60-70 a fait refleurir ces manifestations culturelles et a donné à ceux qui assument une identité noire – et aux noirs en général – une autre dimension dans le processus historique de la formation de l’identité brésilienne. Il faut remarquer pourtant que la lutte pour l’attribution d’un rôle plus important aux manifestations culturelles et à la population noire brésilienne est encore en développement.
8Il faut donc « relativiser » la vision hégémonique à l’égard des groupes religieux et centrer leur perception sous d’autres aspects que l’aspect proprement liturgique. Les « terreiros » (les « Maisons de Saints », les « Ilés ») dépassent le sens proprement religieux immédiat, car ils se constituent comme des communautés qui possèdent des formes spécifiques d'organisation sociale et de travail, d’acquisition et de transmission de connaissances, de rapport avec l’environnement.
9Néanmoins, il faut dire que les traumatismes passés sont encore présents, par exemple ceux qui ont été provoqués par la domination idéologique et par la police. Ces situations ont été « réafricanisées » dans l’imaginaire du Candomblé, c’est-à-dire qu’elles ont été l’objet d’un processus de réinterprétation et de synthèse et sont devenues « afro-brésiliennes ». Un processus similaire s’est déroulé aussi au niveau de la mémoire africaine (des traditions religieuses) qui a été, elle aussi, réinterprétée et synthétisée d’après les paradigmes de la perspective religieuse du « povo-de-santo » (« peuple-de-saint ») : gens qui partagent l'idéal « afro » général dans l’ensemble socio-culturel diversifié et complexe d’un Brésil plongé dans les profondes contradictions du capitalisme imposé aux pays en voie de développement et dans les embarras de choix que la modernité suppose. Voilà le cadre résumé des facteurs intervenus dans notre « objet ».
10Au regard de l’ethnologue, plusieurs symboles judéo-chrétiens se présentent au sein des communautés de Candomblé, surtout celles situées dans les villes de Salvador, Rio de Janeiro et Sao Paulo et leurs environs, dont les populations dépassent les cinq millions d’habitants.
11On y rencontre, en grande intimité et connivence, plusieurs éléments originaires d’autres traditions religieuses, parmi eux la croix chrétienne, l'étoile de Salomon, et la demi-lune. Ils sont présents dans les principales pratiques liturgiques : le « Jogo de Buzios5 » (système divinatoire joué avec des coquillages spécifiques et soi-disant « d’Afrique », l’un des axes de cette cosmovision), dans les offrandes aux dieux (« ebos ») au cours de l'initiation, ou lors des funérailles. Ils se trouvent aussi inscrits sur les représentations matérielles des divinités – les « assentamentos » – collectives et individuelles qui composent le décor et l’ambiance des « terreiros » et qui « sont la demeure des divinités (...) et d’où elles sortent pour chevaucher leurs initiés à l’occasion des cérémonies... » selon la définition d’un directeur de groupe (« Pai-de-Santo »), opinion partagée par presque toutes les personnes interrogées, membres du « povo-de-santo » (« peuple-de-saint »).
12Ainsi, dans le contexte des Candomblés coexistent des carrefours symboliques, des mosaïques de symboles. On y trouve surtout des symboles catholiques et judaïques introduits dans la multiplicité de l'imaginaire des groupes. Mais on peut souvent en rencontrer d’autres (comme l’emploi des cartes divinatoires gitanes, du Tarot, etc.) qui ne seront pas analysés dans ce travail.
13Il faut souligner aussi que les communautés de Candomblé jouissent d’une réelle liberté pour interpréter, adapter et innover des éléments étrangers à la tradition « afro », ce qui leur permet de manipuler ces symboles selon leur perspective particulière. Malgré l’indépendance de chaque groupe, il y a un univers symbolique commun qui lie et qui contribue à la formation d’un groupe plus élargi – le « povo-de-santo » – facilitant les influences réciproques dans une situation d’échange symbolique, ce qui crée un réseau de coopération parmi les groupes (Texeira, 1987).
14Ignorer la présence des symboles judéo-chrétiens et d’autres complexes symboliques dans l’imaginaire religieux du Candomblé, c’est donc refuser d’accepter la complexité de ce système de croyance. C’est aussi éviter de discuter un complexe – le syncrétisme – lequel devient maintenant l’objet d’intérêt pour ceux qui s’intéressent à l’anthropologie des religions et qui ont besoin de se redéfinir.
15Il faut alors absolument chercher non seulement le « pourquoi » de ces présences, mais aussi s’interroger sur la « fonction » et le « sens » que jouent les symboles mentionnés dans le discours, et les pratiques liturgiques et quotidiennes.
16Il faut encore remarquer que, dans le milieu urbain brésilien, la quête de la magie et de l’ésotérisme devient un phénomène croissant. Cela préfigure peut-être une voie possible pour échapper à la fragmentation de l’individu et au désenchantement idéologique – au désordre, à l’incertitude, aux crises politiques et d’interprétation (Balandier, 1988) – manifestés par la modernité imposée.
2. La croix latine et l’étoile de Salomon : des symboles médiateurs de communication et d'identité
17La présence de la croix est universelle. « Les représentations de la croix dans l’Amérique pré-colombienne démontrent son expansion indépendamment du symbole chrétien » (Cascudo, 1962 : 254). Or, la croix, symbole de l’harmonie entre Dieu et la terre, a un sens évident d’orientation, et au point de rencontre de ses branches – son centre – la possibilité de rapport entre dieu(x) et l’humanité est représentée.
18Bien sûr, au Brésil, la croix latine possède une mémoire ancienne, ayant été diffusée comme symbole de christianisation, surtout du catholicisme officiel. Marque de l’église, la croix synthétise les histoires religieuse, sociale et politique qui, ensemble, ont donné lieu à l’implantation de l’ordre et du système chrétiens/catholiques.
19En tant que représentation de la force, de l’action et du pouvoir colonial (Todorov 1982), en tant que légitimation de l’autorité, de l’invasion et de la conquête par le pouvoir colonial en Amérique, Afrique et ailleurs, la croix est vue comme l’image du catéchisme et de l’imposition de la seule vision religieuse légitimée.
20Nonobstant cet aspect négatif, la croix apparaît dans toutes les sociétés coloniales comme symbole de Dieu, du Christ, de protection, de l’autorité divine, etc., même si elle a subi plusieurs réinterprétations. Dans les deux cas, la croix représente une correspondance spatiale et physique entre le monde et l’homme. « De même, les quatre bras de la croix sont identifiés aux quatre régions du ciel et du monde. Sur ce plan simple se construit aussitôt toute une symbolique de plus en plus subtile et profonde, par laquelle tout le contenu intérieur de la foi se tourne vers l’extérieur et s’objective en rapports spatiaux élémentaires » (Cassirer, 1972 : 130). Statistiquement, la croix se présente comme le symbole le plus commun et le plus utile aux objectifs et conceptions les plus excentriques6. Elle signifie aussi les quatre points cardinaux, des références très importantes dans toutes les cérémonies du Candomblé.
21La présence constante de la croix dans différents moments rituels et dans l'imaginaire du Candomblé peut d’emblée conduire l’ethnologue à la considérer comme exemple de syncrétisme pur et simple. Ce premier regard doit conduire à l’analyse de la complexité du processus historique brésilien et, dans le cadre de celui-ci, du rôle des Noirs et de la difficile formation des communautés du Candomblé.
22On peut voir des croix dans les peintures murales, en bois et autres matériaux employés pour l’architecture des communautés, par exemple sur le décor des vêtements – richelieu des blouses, jupes, étoles –, ou inscrites sur les « armes » et les parures des divinités, tels que les éventails (« abebes »), épées, casques, etc. Et encore dans les manifestations d’art éphémère : confiserie, gâteaux et petits souvenirs qui sont distribués aux participants lors de certaines occasions rituelles.
23Les corps des adeptes du Candomblé sont marqués au cours du processus initiatique par des croix qui composent des formations symboliques avec des traces verticales et horizontales. Les adeptes parlent de cette pratique comme Cascudo l’a fait (1962 : 253), “la croix protège et empêche l’action des êtres diaboliques et des esprits mauvais ».
24Un des cas plus évidents d’incorporation et d’adaptation de l’imaginaire afro-brésilien est celui du « Crucifié » de l’iconographie traditionnelle de l’Église. En bois, en statues de céramique polychromée, métaux divers, gravures, dessins, peintures, le Christ est identifié avec « Nosso Senhor de Bomfin ». Ramené de Setubal (Portugal) à Salvador (Bahia), le culte de cette représentation de Jésus a un rôle remarquable et permet l’adhésion du « povo-de-santo ». Appelé « Bomfin » d’une manière très chaleureuse, il est immédiatement identifié avec le dieu « Oxala », un des « orixa » les plus vénérés par les adeptes du Candomblé, protecteur de la vie, la fertilité et la paix. Cette familiarité existe aussi chez les catholiques qui disent souvent : « on va payer une grâce au Bomfin ».
25Le crucifix est l'objet d’un culte très répandu au Brésil, surtout au « Bomfin », où chaque année, au mois de janvier, les adeptes du Candomblé vont accomplir un rituel de purification : « le lavage du Bomfin », c’est-à-dire le nettoyage de l’église avec l’eau des fleurs et des plantes liturgiques, avec le chant des hymnes « afro-brésiliens ». Malgré l’opposition (« les mauvais yeux ») du clergé catholique, cette fête populaire « afro » fait partie du calendrier touristique officiel bahien.
26Le crucifix est compris dans l’ensemble des éléments indispensables à la divination – le « jogo de buzios » –, pratique fondamentale pour le développement de n’importe quel rituel du Candomblé. Il est souvent présent sur les « assentamentos » (ensemble des détails divers et de matériaux qui forment l’emblème de chaque dieu) en tant que symbole de l'ancienneté ou de suprématie primordiale du dieu représenté. Chevalier et Gheerbrant (1988 : 314) montrent que, dans l’art africain, les motifs en croix sont nombreux et riches en sens. La croix y représente les carrefours et les chemins du destin humain, représentant le rapport entre la vie et la mort, entre l’ici et l’au-delà, un symbole de la totalité du cosmos.
27Dans la mosaïque symbolique du Candomblé évidemment un discours est toujours en train de s’actualiser – il y a presque toujours le sentiment du mystère, nécessaire au sentiment religieux de ceux qui émettent et de ceux qui reçoivent des messages.
28Ce qu’on vient de décrire se passe aussi avec le symbole – emblème du judaïsme : l’étoile de Salomon. L’étoile à six pointes – l’entre-croisement de deux triangles – est considérée comme une représentation de sagesse et de pouvoir. Associée avec d’autres étoiles, le pentagramme ou l’étoile de David et à côté d’autres symboles astraux (la lune, la demi-lune, le soleil, etc.), elle s’attache au décor des tables divinatoires et à un grand nombre d’instruments employés aux « terreiros ».
29Il faut remarquer qu’il y a une correspondance millénaire entre les nombreux dieux et déesses – eux-mêmes définis comme des éléments de la nature – et les forces naturelles, qui sont également associées aux plantes et aux arbres, aux animaux, aux pierres et aux quatre éléments fondamentaux : terre, feu, eau et air.
30Les étoiles sont appelées les symboles « de la surveillance et de la protection divines », conçues par la kabbale (Cascudo, 1951 : 73). D’après les propos des adeptes : « elles sont la sécurité pour les vivants et les gardiennes des morts ».
31Les étoiles, aussi bien que la demi-lune, figurent obligatoirement sur les objets emblématiques des divinités féminines, surtout celles qui sont associées à la fertilité et à la maternité comme « Iemanja » et « Oxum ». Elles possèdent aussi une connotation de beauté et de mystère, caractéristique inhérente de tout ce qui concerne les femmes dans ce contexte religieux. Les étoiles sont perçues comme le féminin par excellence ; elles jouent un rôle significatif dans l’ornement des outillages de culte : armes, « abebes » (éventails), épées, en lames découpées, dans les parures de tête (« ades »), brodées en fils dorés ou argentés, en boules de verroterie, dentelles et maints objets qui composent les vêtements rituels des déesses quand elles s’incorporent à leurs initiés. Les étoiles, surtout celles de Salomon, peuvent être communément vues dans l’orfèvrerie afro-brésilienne des Candomblés, composant à côté d’autres symboles, des colliers, des bracelets, bagues, boucles d’oreilles, forgés en acier et en métaux argentés ou dorés.
32Dans les salons des cérémonies publiques des Candomblés, au sein des demeures des participants des « terreiros », on peut fréquemment trouver la présence d’un symbole (l’étoile de Salomon, ou celle de David) accouplé avec la croix latine. Fait en bois ou en métaux, il est placé sur les murs, d’une manière spéciale au dessus des portes et des fenêtres : sa fonction est de protéger et de porter bonheur et aisance, de la même façon que ces attributs s’appliquent aux deux symboles séparément.
3. Transsymbolisation ou syncrétisme ?
33En tant que religion non exclusive, le Candomblé attribue, selon sa perspective, des valeurs fonctionnelles et dynamiques à divers éléments non africains. Par conséquent, la perspective religieuse « vorace » du Candomblé « se révèle finalement indispensable pour assurer l’adaptation sans cesse vacillante de l’individu à son environnement social et quotidien de vie et, indirectement, pour maintenir la pérennité de la société » (Julliard, 1991 : 37).
34Ni archaïsme ni babelisme, ce qui définit le Candomblé en tant que religion, c’est sa cohérence interne et sa capacité d’échange toujours fructueuse. On peut dire que l’imaginaire du Candomblé produit une mise en scène de toutes les voies et moyens d’être fournis par le social. D'une certaine façon, cette « voracité » met en lumière la capacité d’adoption sélective, part d’un processus d’évaluation qui sépare et classifie ce qui peut être inclus et sacralisé. Cela traduit les notions et concepts d’une vision religieuse du monde qui comporte des manières de captation d’adeptes, d’élargissement d’espaces (physique et symbolique), de flexibilité de communication et de réponse à l’appropriation de son univers symbolique par la société globale.
35Bref, la mosaïque symbolique du Candomblé relève d’une dimension de recomposition de sens, et cela dans une société qui n’a pas les moyens de donner cette faculté à la plupart des individus des couches moins favorisées et moyennes. Elle offre aussi la possibilité de transcompréhension. De plus, cette mosaïque pose un vrai défi aux ethnologues qui ne refusent pas l’enjeu : redéfinir et réinterpréter des situations et des éléments hétéroclites.
Bibliographie
Bibliographie
BALANDIER, G. : Le Désordre, Paris, Fayard, 1988.
CASCUDO, L. C. : Dicionario do folclore brasileir, RJ, INL, 1962. :
Melagro, RJ, Liv. Agir, 1951.
CASSIRER, E. : La Philosophie des formes symboliques, Paris, Minuit, 1972.
CHEVALIER, J. et GHEERBRANT, A. : Dicionario de simbolos (tr. brés.), RJ, José Olympio, 1988.
JULLIARD, A. : « Champs et concepts de l’anthropologie religieuse », in Corps, religion, société, Lyon, PUL-CREA, 1991 (pp. 27-58).
RODRIGUES, R. N. : O animismo fetichista dos negros baianos, RJ, Civilizaçao Brasileira, 1935.
: Os africanos no Brasil, RJ, Ed. Nacional, (5 ed.), 1977.
TEXEIRA, M. L. L. : « Logorum : identidades sexuais e pooler no Candomblé », in Candomblé desvendando identidades, SP, EMW Ed., 1987 (pp. 33-52).
TODOROV, T : La conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Paris, Seuil, 1982.
VERGER, P. : Orixas, Salvador, Corrupio, 1985.
Notes de bas de page
1 Les « Terreiros » se distinguent les uns des autres par une nomenclature basée sur les différences rituelles et un vocabulaire africanisé employé lors des cérémonies religieuses et des activités quotidiennes. Ces désignations permettent la différenciation et constituent les « naçoes » (les « nations ») dont chacun invoque et revendique certaines racines africaines. Les « naçoes » sont, alors, des étiquettes ataviques attribuées à des modèles ethnoculturels, ou mieux à des modèles imaginés ou supposés, le plus souvent résultant des réinterprétations effectuées selon les conditions adverses auxquelles les religions afro-brésiliennes ont été soumises.
2 Dès le début ces communautés ont rassemblé des adeptes métis et blancs, d’après les travaux ethnographiques de Nina Rodrigues (1935, 1977) et la tradition orale des groupes. A la fin du XIXe siècle – noyau d’un nouvel ordre économique (l’abolition de l’esclavage,1888) et politique (proclamation de la République, 1889) – les Noirs et leur culture sont devenus « objet d’étude », selon les normes de la sociologie et de l’ethnologie modernes. Le but principal était la définition scientifique de la nation et du peuple brésilien, face à la nécessité de l’instauration d’un nouvel ordre pour régir les rapports entre les différents agents sociaux, selon les paradigmes positivistes et évolutionnistes de l'époque.
3 Dans le vocabulaire populaire, le mot « macumba » désigne un acte de magie – le « feitico » – fait par quelqu'un pour atteindre un autre, représenté par divers matériaux (des animaux, des offrandes de nourriture, boissons, bougies, etc.) et visible un peu partout dans la ville : sur les plages, places, dans les carrefours, jardins, etc.
4 On peut définir la « capoeira » en tant que lutte et en tant que danse. Aujourd’hui, son aspect ludique est remarquable ; elle est « jouée » par les jeunes (noirs, blancs et métis) qui, en écoutant le rythme des instruments d'origine africaine (« atabaque », « agogo », « berimbau », etc., les mêmes que ceux qui sont employés dans les « terreiros »), chantent des faits et des aspects de l’histoire afro-brésilienne, et « luttent » d’une façon stylisée.
5 Ce système divinatoire a pour but d'établir la communication entre le prêtre, le client et/ou l’adepte et les divinités. « Ifa » est le dieu en charge du « jeu » ; le tirage est fondé sur un corpus mythique de plusieurs versions des « histoires de vie » des dieux. Par conséquent, en plus de sa fonction de socialisation d’un client et d’un nouvel adepte, ce système est le principal responsable de la formation d’identité individuelle des initiés.
6 Un cas évident qui réunit conventionnellement les principales matrices culturelles de la société nationale est celui de l’« Ubanda » considérée parfois comme « la religion nationale ». Ici nous faisons allusion à ses « pontos » (« points »), graphismes faits avec la « pemba », produit industriel dont la matière première est la pierre calcaire à pigments divers. Ils sont faits sur le sol, sur bois et d’autres surfaces et deviennent des élément-clefs pour conduire les dieux aux « Terreiros », ainsi que pour l'incorporation de ces divinités auprès de leurs fidèles.
Auteurs
Université Fédérale de Rio de Janeiro.
Fundaçao Gilberto Freyre.
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