Chapitre 2. Les conditions sociohistoriques de l’émergence du champ chorégraphique en France sous l’ancien régime
p. 45-75
Texte intégral
1Dans ce chapitre, nous fixons notre attention sur les modalités concrètes de la rationalisation et de la professionnalisation de l’art chorégraphique naissant. En particulier, nous nous intéressons aux outils cognitifs et pratiques des « théoriciens » de la danse de la Renaissance et du XVIIe siècle, à partir desquels ils ont instauré un rapport distant au corps, objectivant les principes moteurs ainsi que les valeurs esthétiques de leur art. Le principal outil concerne la codification par l’écriture des schèmes esthétiques des danses et mouvements qui vont être retenus pour les compositions chorégraphiques. La codification scripturale se porte sur les positions du corps dans l’espace et la rythmique. Grâce à cette logique scripturale, les pratiques (et les pratiquants) vont pouvoir être évaluées d’après des critères « objectifs », et enseignées de manière rationnelle par des professeurs qui devront de plus en plus intégrer les savoirs pédagogiques à leur expérience pratique du métier de danseur. La conséquence en est également une rationalisation des règles du métier de maître à danser puis de professeur de danse, ainsi qu’une certaine forme de « théorisation » des principes esthétiques de la danse chorégraphique avec la création d’un espace de critiques.
I. Les « outils » d’un champ en émergence ou les « formes de la rationalisation » de la danse chorégraphiee
2Les systèmes de notation de la danse, les innovations architecturales des scènes — qui induisent les usages de l’espace du danseur —, les transformations des costumes qui, s’allégeant considérablement notamment au XVIIIe siècle, vont peu à peu faciliter l’exécution de mouvements, permettre plus de brio et favoriser la complexité de la technique corporelle, et également les transformations des formes d’exercice du pouvoir politique sont autant d’éléments mis en jeu dans l’élaboration d’une esthétique chorégraphique. Une telle perspective conduit à considérer les formes de danse comme les produits jamais achevés de formes de rationalisation de l’art chorégraphique. En témoignent notamment les premiers traités de danse ; puis l’application de concepts géométriques et cartésiens dans l’écriture chorégraphique ; la transformation de l’espace de représentation selon les principes de la scène à l’italienne, la constitution d’un espace social de professionnels d’une part et de critiques d’autre part ; plus tard l’invention des pédagogies et des didactiques de la danse. Autant d’activités pratiques tramées par l’écriture, et ainsi objectivées, théorisées, parfois codifiées.
1. La rationalisation de l’espace scénique
3En entrant dans le théâtre, le corps dansant incorpore la logique spatiale du lieu. Il est un corps qui doit être vu, qui est mis en représentation. Il a évidemment partie liée avec les conceptions cartésiennes du corps, machine dominée grâce à l’analyse, qui procède à sa décomposition en éléments simples et pouvant être aisément formalisés. L’analyse cartésienne facilite la (re)composition en suivant un modèle d’harmonie géométrique. L’espace est pensé selon les règles de la perspective qui reconstruisent la réalité par abstraction des multiples dimensions distinctes de l’espace visuel et tactile, et dirigeant les directions vers un centre visuel.99. Dans le ballet de cour, ce centre était habité par le roi danseur qui se trouvait au cœur de l’action et de l’espace et sur lequel se concentraient les regards (les lignes de fuite). Quand le monarque devient uniquement spectateur, il se fait « centre de vision » à partir duquel se modèle l’espace scénique.100
4L’espace de la scène privilégie la symétrie et la logique géométrique ; ainsi, le corps dansant est, à partir de cette époque, codifié en suivant des règles géométriques, comme le formalisera le traité de Feuillet.
5Au siècle des Lumières, le sens de l’organisation scénique du ballet se modifie avec celui du pouvoir politique : il est de moins en moins déterminé par un point de vue centralisateur, mais par des points individualisés, dynamiques et plus expressifs sur scène. Dans la salle aussi le public se diversifie. Bientôt les points de vue (visuels et politiques) commencent à diverger explicitement. Le ballet se transforme également, s’élaborant à partir d’une pluralité de directions scéniques, tandis que les corps dansants inventent des formes gestuelles inédites. Encore plus tard, la scène de théâtre ne sera plus l’unique lieu de représentation de l’art chorégraphique.
2. La rationalisation scripturale des schèmes moteurs et sensori-moteurs
6Les traces les plus anciennes de la rationalisation scripturale de la danse qui ont été conservées, sont les traités de maîtres à danser italiens de la Renaissance. Imitant la notation musicale, la mise en écriture des danses débute à la Renaissance et se poursuit jusqu’au XIXe siècle. S’appropriant fréquemment les pas de danses populaires, la danse aristocratique (ou la danse dite « noble ») les modifie en introduisant de la mesure et en adoptant des préceptes des traités de « civilité » qui édictent les règles de la bonne tenue en société. Le ballet classique est directement issu de cette histoire de la danse noble et « civilisée ». Il en garde encore quelques traces significatives qui sont l’empreinte des contextes sociaux, politiques et culturels qui ont fait naître et évoluer les schèmes corporels et esthétiques de la chorégraphie occidentale.
A. Premiers traités de danse de la Renaissance
7Dans la constitution d’un esthétisme du corps dansant, les théoriciens de la Renaissance avaient fait porter à la danse une signification esthétique inséparable d’une intention pratique (en imitant l’harmonie céleste, le corps dansant la réalise sur terre et dans les âmes des spectateurs). La signification esthétique était investie de métaphysique, tout en mettant en jeu, paradoxalement, un fondement rationnel de la beauté à partir d’une réflexion sur la mesure, les proportions, la géométrie. De fait, dans l’accomplissement de leurs intentions, les créateurs de la Renaissance ne séparent pas la théorie et la pratique, la science et l’art.101
8Les traités des maîtres à danser italiens analysés par Sylvie Gamero102 s’ouvrent tous trois sur une définition de la danse. Elle cite le début du texte de G. Ebreo :
La douceur du chant qui vient de l’harmonie de l’ouïe, voyage jusqu’au cœur et de sa grande douceur naît une vive ardeur qui incite à danser et donne tant de plaisir. Mais qui veut tirer mérite d’une telle science se doit d’apprendre avec intelligence et sans erreur six principes et qu’il les mette en actes, comme je les décris, enseigne et chante. La mesure vient en premier et rend nécessaire la mémoire. Puis le rapport à l’espace, l’élévation, le style et le sens du mouvement. Avec une douce grâce, ces éléments donnent gloire à la danse pour qui reçoit les rayons de l’ardente étoile. Tes pas et tes gestes seront alors bien réglés, et toute ta personne sera adroite, ton intelligence à l’écoute de la musique.103
9L’esthétique de la danse qui se dégage de ces traités porte sur la notion de mouvement, engageant la personne dans sa globalité : le dynamisme est fondateur et lié à l’alternance du mouvement et de la pause, elle-même n’est jamais totalement statique.104 Mouvement et pause s’articulent à une troisième notion, l’imagination (la fantasia), qui permet d’inventer et de composer un ballet en suivant des règles de la danse savante. L’analyse de la danse en tant que dynamisme et imagination s’ordonne autour de cinq autres catégories majeures : mesura, memoria, compartimento – partire del terreno, maniera, aiere.
La mesure (mesura) est pour Domenico da Piacenzia, le fondement du métier, c’est-à-dire un rythme contrôlé venant de la régularité du temps alternant entre inspiration et expiration. Selon Michael Baxandall, il s’agit d’une lenteur tempérée par la vivacité, d’un rythme souple. Nous y repérons un rapport au temps qui est contrôlé et n’a plus à voir avec l’instantanéité et la spontanéité du kairos, tel qu’il est à l’œuvre dans le jeu de l’action, sans distance ni recul, sans délai.105
Seconde catégorie : la mémoire (memoria). À partir de cette notion, Sylvie Garnero fait une distinction entre danse improvisée (qui ne nécessite pas de mémorisation d’ensemble de pas) et danse modèle à apprendre et à mémoriser. La mémoire des pas modélisés et à répéter avec exactitude rend nécessaires certaines attitudes mentales : Guglielmo Ebreo insiste sur la concentration nécessaire, et Domenico da Piacenzia sur la prudence. Cette notion est importante aussi pour comprendre les processus de l’apprentissage, pour saisir comment les danseurs comprennent et mémorisent la suite de mouvements enseignés. En effet, Carnazano « voit dans la mémoire des pas la base de l’apprentissage de la danse ».106
Troisième notion : la division de l’espace, sens de l’espace (compartimento, partire del terreno). Sylvie Gamero précise qu’ici sont associés la musique, le mouvement et l’espace. C’est dans les relations que forment ensemble les danseurs que se définissent l’espace scénique ainsi que le geste situé dans l’espace. Espace et gestes sont aussi structurés par la musique. Il y a donc interdépendance entre ces éléments décrits comme si les danseurs étaient vus par des spectateurs.107
Quatrième catégorie : la manière, la façon d’exécuter le mouvement (maniera). Notion complexe, elle relève d’une « intentionnalité du mouvement »108 se rapportant à la façon de danser en transférant le poids du corps d’un pied à l’autre, en procédant à des torsions du buste dans la direction du pied en mouvement, et en ajustant l’épaulement selon la diagonale du tronc. Domenico da Piacenzia définit ainsi les principaux éléments constitutifs du mouvement, que l’on retrouvera plusieurs siècles après dans des analyses de von Laban (chorégraphe et auteur d’un traité de notation du mouvement au début du XXe siècle). Ces éléments fondamentaux sont l’espace, le temps, le poids (force donnée au mouvement), et l’énergie (la dynamique du mouvement).109
Ultime catégorie : l’élévation (aiere). L’élévation est le principe fondamental de la danse du Quattrocento et d’une manière plus globale de la danse noble. Cette notion caractérise la suspension du mouvement, l’étirement du corps, les personnes s’élevant comme de « menues vagues d’une mer calme, ces vagues s’élevant légèrement pour retomber aussitôt ».110 Cette notion revêt aussi celle de grâce qui donne l’illusion de l’élévation et séduit les spectateurs. Dans ce dernier sens, l’élévation (la grâce) est à rapprocher de l’ornementation. En effet, selon les analyses de Baxandall, la grâce appliquée à la peinture est un mélange d’ornato (ornementation, orné) et de varieta (variété) ; l’ornementation selon les traités de peinture renvoie à la précision, à l’élégance du style et du mouvement d’une figure peinte. La variété est saisie, dans le traité d’Alberti (Della pittura, écrit en 1435), par le contraste des nuances et des attitudes des figures représentées. Si l’on en revient à la danse, il s’agirait alors de diversifier les manières de danser et les danses elles-mêmes dans la chorégraphie. Cette idée se trouve d’ailleurs dans le manuscrit de Cornazano. Sylvie Garnero y détermine un troisième niveau de compréhension de la manière au sens d’ornementation : la maniera (chez Cornazano) introduit un partage entre danse masculine et danse féminine ; ici, la maniera relève du domaine du masculin, car elle implique des tours, des demi-tours effectués de diverses façons.111
B. Les systèmes d’écriture de la danse, de Toulouze à Rameau
10Plusieurs traités avaient une vocation d’enseignement et peuvent être considérés comme les prémices de la pédagogisation des pratiques de danse. D’autres entreprennent aussi de noter les danses, de les décomposer en éléments simples et codifiés pour en faire des sortes de partitions (des tabulations). Analysant, par des descriptions minutieuses, les schèmes entrant en jeu dans les postures, dans les mouvements et dans le réglage des figures dans l’espace (et par rapport à la musique), le notateur a l’intention de trouver un système de transcription des ballets. Parallèlement, des conseils concernant les façons de danser sont fournis aux lecteurs de ces traités.
11Sont conservés et connus112, pour le XVe siècle, au moins un manuscrit de basses danses pour Marguerite d’Autriche, un traité de Michel Toulouze, ainsi que deux autres anonymes dans les archives de Cervera (vers Barcelone) qui utilisent une notation des pas basée sur une symbolisation abstraite. La Renaissance savante favorise ainsi l’apparition de ce nouvel instrument intellectuel de l’exercice graphique113 qu’est le système de codification et qui participe à stabiliser l’art chorégraphique naissant.
12Publié en 1488, le traité de Michel Toulouze (L’Art et l’instruction de bien dancer) décrit quarante huit basses danses notées sous la partition musicale. Les pas de danse sont codés par une lettre ; par exemple ; s = simple ; b = branle ; d = double ; r = révérence. Usant d’un procédé littéraire qui, d’après les analyses de Martine Risch, « implique un vocabulaire limité de pas et de gestes, une exécution standard »114, le système des abréviations ne peut être compris que par un lecteur qui connaît les pas, les gestes et leur nom. Toulouze ne fournit pas de valeurs qualitatives aux mouvements (amplitude, force...). En revanche, il lie la notation du temps à la notation des pas et crée ainsi une écriture rythmique des pas de danse.
13Un siècle plus tard, sous forme de dialogues avec Capriol, Thoinot Arbeau (anagramme de Jean Thabourot) définit la danse, créant son propre code associé à un répertoire des danses de son époque.115 Thoinot Arbeau partage avec les théoriciens de la Renaissance certaines habitudes mentales. Il insiste lui aussi sur l’analogie entre danse et musique, affirmant l’idée selon laquelle la danse est une rhétorique muette, dans laquelle la mimique (les expressions du visage) tient un rôle privilégié (notamment dans une danse dénommée la courante). Il préfigure, avec ce principe, l’élément dramatique du ballet de cour.
De mon jeune age ils dressoient sur la Courante une forme de jeu et ballet. Car trois jeusnes hommes choisissaient trois jeunes filles : et s’estants mis en renc, le premier danceur avec sa damoiselle la menoit en fin sister à l’aultre bout de la salle, et retornoit seul avec ses compaignons, le deuxieme en faisoit de mesme, puis le troisieme, tellement que les trois filles demeuroient separees à l’un des bouts de la salle, et les trois jeusnes hommes de l’aultre : Et quant le troisieme es toit de retour, le premier alloit en se gambadant et faisant plusieurs mines et contenances d’amoureux, comme espoussetant et guindant ses chausses, tirant sa chausse bien à propos, alloit (dis-ie) requerir sa damoiselle, laquelle luy faisoit reffus de la main, ou luy tornoit le doz, quoy voyant le jeusne homme s’en retornoit en sa place, faisant contenance d’estre desespere : Les deux autres en faisoient autant. Enfin ils alloient tous trois ensemble requerir leurs dites damoiselles chacun la sienne, en mettant le genoil à terre et demandant mercy les mains joinctes ; Lors les dites damoiselles se rendoient entre leurs bras, et dancoient la dite courante pesle-mesle.116
14Le traité de Thoinot Arbeau comporte des passages qui rappellent les règles de courtoisie régissant les rapports entre hommes et femmes et exigeant plus particulièrement de la « mesure » chez les femmes et de l’« honnêteté » chez les hommes. Il n’est pas non plus éloigné de la « civilité » pour ce qui concerne le comportement et les convenances extérieures du corps. En situant ce traité dans le processus de civilisation occidentale, analysé par Norbert Elias, nous comprenons mieux la façon de danser décrite par Thoinot Arbeau. Elle implique de la maîtrise de soi et un fort autocontrôle dans les rapports sociaux, qu’ils se déroulent dans la vie quotidienne de la cour ou plus particulièrement au bal entre cavalier et cavalière. Ce type de relations aux autres engage l’observation de soi et d’autrui, et caractérise une nouvelle forme d’interdépendance entre les individus.
15Usant, comme Michel Toulouze, d’un procédé littéraire, Thoinot Arbeau (d) écrit la danse à l’aide des lettres de l’alphabet, après avoir composé une courte introduction dans laquelle il explique comment danser. Après avoir codifié vingt-cinq éléments de base à partir desquels il décrit les mouvements, il consigne ses descriptions dans une tabulation située à droite de la partition musicale et tournée dans le sens vertical ; enfin, sur la gauche il note les noms des mouvements de danse. Les descriptions alphabétiques des pas de danse s’accompagnent de dessins figuratifs représentant les danseurs. Par exemple, les mouvements de la basse danse se codent ainsi : R b ss d r d r b ss ddd r d r b ss d r b c ;il s’agit de trois parties (la basse danse, le retour de la base danse et le tordion) ; R b ss = retour de la basse danse ; r = révérence ; d = pied droit ; c = congé.
Thoinot Arbeau ne se contente pas d’encoder les danses, il explique comment faire les pas, et précise leur éventuelle fonction, comme le « congé » : « Elle signifie le congé qu’il faut prendre de la Demoiselle, en la saluant, la tenant toujours par la main pour retourner où l’on a commencé, afin de danser la seconde partie et retour de la dit basse danse ». Enfin, Thoinot Arbeau fournit quelques conseils concernant les instruments de musique (et le chant) employés dans les danses. La description des pas à enchaîner se fait en parallèle de la mesure musicale.
16Codifications, descriptions de pas et de comportements civilisés, conseils pratiques (et normatifs) sont présents dans un même traité. De fait, le processus de scripturalisation n’instaure pas seulement un rapport analytique en usant de procédés abstraits et symboliques encodant les gestes ; ce dernier se fait aussi rapport normatif et pratique à la danse. Comme les civilités, dans ce type d’ouvrage « le dire correspond au faire » et « le précepte devient une norme directement et immédiatement applicable, sans exercices préalables, sans un ‘‘travail" sur les positions. Tout au plus s’accompagne-t-il de quelques justifications ».117
17L’écriture a des implications cognitives et motrices sur les pratiques ainsi formalisées : en décrivant les danses à partir de l’alphabet, les auteurs des traités introduisent une pensée analytique et donc distante par rapport à l’action ; celui qui veut connaître ainsi les danses doit d’abord saisir la logique d’un système arbitraire (comme l’alphabet) et à partir de celui-ci apprendre ou corriger les façons de danser. Lorsque se rajoutent à cela des conseils de bienséance par rapport aux partenaires, de rythme à observer, ou d’apparence à maintenir, les écritures de la danse deviennent en quelque sorte les agents de socialisation des manières d’être (de danser) légitimes.
18Au début du XVIIIe siècle, le maître à danser Rameau consacre encore plusieurs chapitres à la description des révérences, des « manières d’ôter son chapeau et de le remettre », en les référant aux manières de se conduire à la cour, c’est-à-dire à « la manière de se conduire avec politesse dans les bals réglés » :
Ainsi chacun étant placé dans le même ordre, lorsque sa Majesté souhaite de commencer, elle se lève, et toute la Cour en fait de même. Le Roi se place à l’en droit de l’appartement où l’on doit commencer la danse [...] ».« Et dans ce même ordre on se fait la révérence l’un devant l’autre, suite sa majesté et sa dame mènent le branle, qui était la danse par où les bals de la Cour se commençaient, tous les Seigneurs et dames suivent leurs majestés, chacun de leur côté, et à la fin du couplet, le Roi et la reine se mettaient à la queue, et celui et celle qui était derrière leurs Majestés mènent le branle à leur tour ; ensuite se vont placer derrière le Roi et la Reine, et successivement les autres de deux à deux [... ].118
19Pierre Rameau définit l’attitude du corps en examinant chacune des positions de base à partir desquelles sont créés les autres pas. Il précise qu’il se fonde sur sa propre expérience et sur l’observation de maîtres à danser qu’il a fréquentés. La structure de l’ouvrage se compose de deux parties. La première décrit le positionnement du corps, les mouvements des jambes, certaines danses, les marches, les révérences ; la seconde concerne uniquement le haut du corps : les bras, les poignets, l’épaule.119 Le principe mis en œuvre (pour bien danser) est celui des « justes positions », qu’il s’agit de pratiquer en connaissant leur « mobile », c’est-à-dire en respectant les règles de l’art du mouvement. L’art de la danse a perdu le caractère poétique et surtout métaphysique, que lui assignaient les maîtres de la Renaissance, même si Rameau s’y réfère discrètement. Il souligne davantage ses fonctions sociales justifiant en cela l’écriture de son traité. La danse, selon lui, éduque les corps et façonne de bonnes manières de se comporter. Mais dans le contexte des divertissements de cour, elle a une fonction sociale : se montrer aux yeux de tous, prouver son statut de courtisan et ainsi d’appartenance à la cour. Aussi, le manuscrit est-il destiné à « tous les hommes » qui ont besoin d’apprendre les règles pour « bien marcher, saluer et faire les révérences convenables dans toutes sortes de compagnies ».
Le traité de Pierre Rameau veut faciliter l’enseignement en dégageant une méthode permettant de comprendre et d’exécuter plus facilement la danse. Cette méthode repose sur la définition des règles et préceptes de l’art de danser. En fournissant de longues descriptions analytiques, qu’il illustre par des dessins (car « les préceptes qui passent par les yeux ont toujours beaucoup plus d’effet, que ceux qui sont dénués de secours120) » Rameau décompose le corps. L’analyse porte sur des positions, des postures, des mouvements : les danses, les marches, les mouvements des bras (etc.), en leur assignant parfois des connaissances biomécaniques : « Il y a deux manières de se mouvoir ; (à) savoir tension et extension, suivant le terme de l’anatomie, qui est ce que nous appelons lever la pointe et la baisser ».121 L’unité du mouvement est rarement rappelée, si ce n’est par quelques indications d’ordre rythmique ou spatial. « Il faut donner à sa manière de marcher un temps qui ne soit ni trop vite, ni trop lent ».122
Le livre rappelle les principes des positions du corps (l’en-dehors, les positions de base, etc.) et est parsemé de préceptes qui continueront à structurer l’organisation pédagogique des savoirs dansés au siècle suivant. Notamment, il décrit les mouvements de base qui forment les pas (qui, plus tard, seront utilisés pour composer des exercices d’échauffement dans les cours de danse), il insiste sur la qualité des pliés, parce que c’est de « bien savoir plier qui fait le bon danseur » et souligne la nécessité de travailler la latéralisation, en privilégiant l’exécution d’un mouvement des deux côtés du corps.123
20Toute la danse n’est pas rationalisée dans ces écritures, puisque la codification porte sur la danse de l’époque soumise aux façons d’être et aux normes sociales des univers sociaux où elle se développe.124 Au cours des décennies, il n’y a pas accumulation de savoirs, mais conservation et réactualisation de certains principes ainsi objectivés et constitutifs des pratiques. Plus largement, l’étude des traités de danse soulève la question de l’incorporation ou de l’appropriation, par les pratiquants, des savoir-faire et des règles de comportement ainsi explicités, décrits de manière analytique et en partie codifiés. En cela, la rationalisation des pratiques modifie les procédures d’incorporation des techniques de danse125 faisant du corps dansant un objet de savoir à maîtriser par la connaissance, par la science. Donnant lieu à des conduites analytiques du corps (par exemple les théories du mouvement et les méthodes d’entraînement du danseur qu’elles engagent, telle que la kinésiologie appliquée au mouvement dansé), elles peuvent s’opérer également sur le mode du non su (intellectuellement parlant) quant à la maîtrise de soi et du corps.
C. L’écriture Feuillet
21Louis XIV avait passé commande, auprès de l’Académie royale de danse, pour l’élaboration d’un système de notation de la danse susceptible de supplanter les autres et ayant la prétention de pouvoir coder toutes les danses. Un système (appelé le système Feuillet) s’est alors imposé et a connu une large diffusion, en France et hors de France, jusqu’au XIXe siècle. Son application (avec l’obligation qui est faite aux maîtres de danse de noter leurs danses, s’ils voulaient obtenir l’autorisation de les produire devant un public et de les enseigner) a conduit à distinguer les danses et les maîtres de danse en fonction de leur plus ou moins grande proximité avec la norme établie par l’écriture Feuillet et de fait, par l’État absolutiste.
22D’un côté, se retrouvent les maîtres qui connaissent le procédé et sont capables de l’utiliser (les académiciens et ceux qui sont reconnus par l’Académie) ; de l’autre, les maîtres qui ne connaissent pas ou ne peuvent pas appliquer ce système de notation, et qui sont ceux dont les pratiques les éloignent de la sphère autorisée à exercer le métier de maître à danser. De cette manière, le pouvoir politique se donne la possibilité de contrôler et de censurer les pratiques les plus susceptibles d’être subversives par rapport à l’État, telles que les pratiques régionales. La codification a pour préalable la délimitation des règles de la danse. Elle implique le choix d’une forme de danse (à coder), celle qui est légitimée par l’État, à partir de laquelle les autres formes de danse sont appréciées. En ayant pour fonction de noter les danses pour que celles-ci puissent être autorisées et conservées, l’usage de la notation a contribué à réduire l’espace des pratiques légitimes possibles et reste un élément essentiel de constitution de la forme de danse académique.
23En se dotant de l’écriture Feuillet, les maîtres à danser se confrontaient à l’idée qu’un même langage — sinon universel du moins commun et homogène — pouvait être appliqué à toutes sortes de danses (qu’elles soient danses de théâtre ou danses communautaires). Ce processus d’universalisation les conduisaient à penser la danse comme une entité globale, censée incorporer différents styles (ou traditions), sans que son identité universelle en soit remise en cause.126
24Une polémique entre deux académiciens trame l’histoire de ce système de notation. En effet, s’il est publié par Feuillet, il semblerait qu’il fut inventé par Beauchamps qui attaqua Feuillet en justice en 1704, en déclarant que, trente ans plus tôt (en 1673), le roi l’avait chargé de concevoir une notation et qu’il s’était exécuté aussitôt. L’écriture Feuillet serait un plagiat de son propre système. Avant d’être académicien, Beauchamps127 fut maître à danser à la cour de Louis XIV (à partir de 1650), créant également de nombreux ballets pour les pièces de Molière mais aussi pour les fêtes des collèges des Jésuites, et travaillant avec Lully à l’Académie de musique de 1673 à 1687. Il avait appris la danse par son père qui l’enseignait, comme c’était le cas de nombreux membres de sa famille qui avaient appartenu à la corporation des maîtres à danser et joueurs de violon : son grand-père était joueur d’instrument ; son père, maître à danser, appartenait à la troupe des violons du roi. Répondant au souhait de Louis XIV de déterminer un canon esthétique pour la danse, il s’était attaché à codifier les pas et les positions de la danse, formalisant notamment les cinq positions de base, toujours en vigueur aujourd’hui. Développant par ailleurs la technique corporelle en la fondant sur le principe de l’en-dehors et l’élévation, il avait établi les principes de dissimulation de l’effort et de grâce. C’est à lui que l’Académie royale de danse doit sa première troupe de danseurs professionnels.
25L’écriture Feuillet objective les éléments des mouvements (les pas, les positions du corps...) et donne des indications sur leur dynamique du mouvement ainsi que sur leur « style » (les façons de danser). Les mouvements sont encodés par des signes abstraits et figuratifs, représentant les déplacements sur un plan spatial et rythmique. Contrairement aux systèmes antérieurs, il ne se réfère plus à l’alphabet ni à des mots descriptifs, mais utilise des signes abstraits.128 Le système s’appuie sur plusieurs procédés de codification :
Un procédé d’écriture musicale à qui il emprunte des signes tandis que le trajet, figuré par une ligne (le chemin), est divisé par des petites barres (représentant les mesures musicales) placées perpendiculairement à la ligne du trajet.
Un procédé d’écriture symbolique pour décrire le parcours du danseur reposant sur l’encodage des positions du corps qui forment le mouvement, et qui selon Martine Risch, constitue un ensemble d’images successives qui font apparaître le mouvement.129
Un procédé d’écriture sémiotique dans le sens où il créé des signes abstraits et arbitraires permettant l’encodage des éléments du mouvement.
26L’ouvrage est dédié à Pecour (maître de ballet de l’Académie royale de musique et de danse), et rend hommage au traité de Thoinot Arbeau qui a donné les premières idées à l’auteur. Le manuscrit débute par une première définition des éléments composant la danse (on se sert de positions, de pas, de plié, d’élevés, de sauts...), avant de décrire et de représenter l’espace de la salle, les positions du corps dans cet espace, les cinq positions de base des pieds, les pas, les mutations de pas. Il utilise des tabulations dans lesquelles il codifie des figures (temps de courante, demy-coupés, des coupés, pas de bourrée, jettés, contre-temps, pirouettes, chassés, pas de cissone, cabrioles, entrechats). Puis il procède à la description des mesures (ou cadences) utilisées dans la danse. Notant les mouvements de mains et les ports de bras, il en vient à donner des instructions pour écrire les danses. L’ouvrage s’achève sur deux recueils de danses ainsi retranscrites.130
27En résumé, les principes de codification suivis par Feuillet sont cartésiens puisque le mouvement se décompose en éléments simples à analyser et est pensé géométriquement. Les positions et les mouvements des danseurs sont situés précisément dans l’espace de la salle conçu comme « carré plus long que large » et noté à partir des points A B C D, tandis que les positions spatiales du corps sont elles-mêmes figurées et organisées par la symétrie. Il inventorie les éléments simples (au nombre de 460), susceptibles de se combiner et ainsi de composer chaque mouvement.131 Les mouvements sont aussi représentés dans l’espace, sur une ligne de trajet (le chemin) divisée en parties représentant des mesures musicales. Usant de quelques signes musicaux, Feuillet procède à une notation du temps (durée, pause) succincte mais précise. Il distingue les positions des demi-positions, qui se font sur un seul pied. Les positions, au nombre de cinq, sont représentées par des signes abstraits. Les pas ont cinq caractéristiques : ils peuvent être droits (marcher sur une ligne droite), ouverts, ronds (le pied en marchant fait une figure ronde), tortillés (le pied tourne en dedans et en dehors) ou battus (le pied et la jambe battent l’un contre l’autre). Feuillet codifie uniquement les mouvements, pas et positions exécutés en position debout, avec les jambes et ce qui est visible par le spectateur.
3. Évolution des écritures de la danse
28Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, les systèmes de notation de la danse sont abandonnés au profit d’une notation générale des mouvements du corps humain (qu’ils soient ceux du danseur, du sportif, du comédien ou de l’ouvrier). L’analyse du mouvement repose aussi sur une décomposition analytique et scientifique qui n’est pas sans lien (pour ceux du début du XXe siècle) avec les procédés cinématographiques. Aujourd’hui deux systèmes dominent : la Laban notation et le système Benesh. L’objectif de tels procédés de notation vise la conservation des œuvres chorégraphiques. Quand il s’agit de remonter un ballet, ils peuvent être mis en œuvre de manière complémentaire avec d’autres moyens de recomposition (tels la vidéo) et se substituer en partie à la mémoire des créateurs ou des interprètes ayant participé à la création.
II. La Professionnalisation de la danse
29Les différentes dimensions (esthétique, théorique, normative et pédagogique) des traités de danse écrits jusqu’au XIXe siècle relèvent plus largement des fonctions qui incombaient aux maîtres à danser (qui étaient les auteurs des traités), à savoir : composer et régler les ballets et les danses de bal, enseigner la danse (ou les danses), conserver les oeuvres par écrit. Effectuées généralement sur le mode pratique, ces tâches vont faire l’objet d’une réflexion par les membres de l’Académie royale de danse. La réflexion conduira à la spécialisation constante des différentes dimensions du métier de maître à danser, en instaurant une division sociale des métiers de la danse.
30Max Weber avait observé que le processus de rationalisation de la musique se rattachait indéniablement à la constitution d’un corps professionnel de musiciens. Il en est de même pour la danse et certainement pour la plupart des espaces professionnels qui par ailleurs s’accompagnent d’une prise de distance réflexive sur eux-mêmes. « Lorsque l’évolution de la musique en fait un "art" professionnel [...], c’est-à-dire lorsqu’elle dépasse l’utilisation des formules traditionnelles à des fins purement pratiques et donc lorsque s’éveillent des besoins purement esthétiques, c’est alors que commence en règle générale la rationalisation proprement dite ».132
31Dans l’exercice quotidien des métiers de la danse, les différentes tâches ne s’excluent pas nécessairement ; certaines dominent selon les situations des artistes : on peut être compositeur de ballets et donner des cours de danse, danser et composer, etc. Cependant, leur spécialisation est devenue enjeu de l’identité professionnelle. Selon cette orientation, il faut entendre le terme de « profession » comme Everett C. Hughes l’a défini, c’est-à-dire en lui accordant une dimension de prestige et donc de pouvoir à partir de la mise en oeuvre de savoirs spécialisés. Dans cette perspective théorique, les membres d’une profession revendiquent un statut d’expert, par opposition aux profanes et aux amateurs, et ainsi un « droit exclusif de pratiquer, dans le cadre d’un métier, l’art qu’ils font profession de connaître, et de prodiguer le type de conseils qui a sa source dans leur savoir spécialisé ».133 En s’organisant en corporation puis en académie royale, les maîtres à danser se sont constitués en experts, s’autorisant seuls à décréter quelles sont les compétences nécessaires pour pratiquer leur métier, définissant des règles et des critères afin d’établir les conditions d’entrée des nouveaux venus dans le métier. Or, c’est dans un tel contexte que les maîtres se mettent à noter la danse. Aussi envisageons-nous les traités de danse comme des indices de l’émergence du champ de l’art chorégraphique, qui instituent les savoir-faire comme autant de savoirs spécialisés.
32La définition que donne Pierre Bourdieu d’un champ est, on le sait, très proche des analyses de Max Weber sur la professionnalisation. En effet, un champ est structuré autour de positions d’individus dotés inégalement de capitaux et luttant dans l’espace professionnel pour imposer leurs valeurs, leurs principes et règles d’action.134 L’accroissement de l’autonomie d’un champ va donc de pair avec la division du travail, la spécialisation de ses agents et une plus forte réflexivité des producteurs sur leurs activités, donnant naissance d’ailleurs à un espace de débats et de critiques.135 L’art chorégraphique au XVIIIe siècle réunit ces conditions.
33À Paris, la fondation de la « Communauté parisienne des maîtres à danser et joueurs d’instruments », datant de 1407136, correspond globalement à un fonctionnement proche de celui des corporations qui réglementent l’accès à la profession. Ceux qui veulent échapper à la communauté doivent se mettre sous protection royale.137 C’est ce que vont initier quelques maîtres à danser en 1661, en créant l’Académie royale de danse — les lettres patentes seront vérifiées par le parlement en 1662.138 Les membres de l’Académie royale de danse avaient pour tâche de fixer par écrit les règles de la danse, les pas et les figures afin de mener à bien un travail de transcription des ballets. Toutefois, leur objectif était aussi d’instaurer un monopole en matière d’enseignement qu’ils s’octroyaient dans leurs statuts (et par arrêt du Conseil en 1682), refusant de l’accorder aux autres maîtres à danser tels que leurs concurrents de la Communauté parisienne des maîtres à danser et joueurs d’instruments.
34Le processus de professionnalisation de la danse ébauche plusieurs espaces de concurrences, interne au métier de maîtres de danse d’une part, et externe d’autre part (vis-à-vis des musiciens). Les académiciens ont en effet cherché à conquérir leur légitimité professionnelle en se séparant de la tutelle de la corporation des « violons », tout en affirmant le statut d’art libéral de la danse. Faire de la danse un art libéral est un thème qui ne se limite pas aux XVIIe et XVIIIe siècles. Dans son traité de 1588, Thoinot Arbeau fait dire à son élève Capriol : « Puisque c’est un art, il dépend donc de l’un des sept arts libéraux ».139 Cette idée est présente également dans les traités italiens étudiés par Sylvie Garnero qui précise que les trois maîtres à danser en question ont défini un lexique commun à une « danse savante » (Bassedanze et Balli), à laquelle ils voulaient donner un statut d’art libéral.140 Dans ces contextes, l’engagement à faire de la danse un art libéral se justifie en partie par le procédé analogique de la culture humaniste, consistant à unifier les arts d’après un principe d’imitation de l’harmonie céleste : c’est parce qu’ils imitent les proportions cosmiques que la musique, la poésie, la peinture et la danse sont capables d’attirer l’harmonie des cieux sur terre, de rétablir dans les corps et dans les âmes les justes proportions de l’harmonie originelle. La danse peut donc légitimement prétendre, comme sa « sœur » la musique, à être reconnue comme un art.
La revendication d’art libéral pour la danse a également été exprimée dans les propos du jésuite Ménestrier, en 1682. « Ces spectacles où l’esprit, l’oreille et les yeux trouvent de quoi se divertir si agréablement, ne méritaient pas moins d’application que la Musique, la Peinture et la Poésie, ces trois admirables Sœurs, que tant de gens ont cultivé. Le Ballet est leur frère aîné, mais quoi qu’il ait toutes leurs grâces, et toutes leurs perfections, il a tellement été négligé, que plusieurs encore aujourd’hui, croient qu’il n’est qu’une invention de pur caprice, où l’on peut faire entrer ce que l’on veut, tandis que d’autres à la vérité moins hardie, mais aussi peu instruits que ceux-là de la nature de ces représentations, se persuadent qu’ils les faut régler sur la Pratique du théâtre, et faire des Comédies à danser, et des Tragédies muettes pour faire des justes Ballets ».141
35En France, la quête d’autonomie professionnelle par rapport à la musique est nouvelle au XVIIe siècle. Elle naît d’un rapport de force institutionnel favorable à la danse, parce qu’elle suscite un fort attrait sur les « dirigeants » des institutions. Se juxtaposant aux affrontements internes auxquels se livrent les deux principales organisations de maîtres à danser au XVIIe siècle (la Communauté parisienne qui réunit maîtres de danse et « violons », et l’Académie royale de danse), la tension entre musiciens et maîtres à danser se manifeste par des prises de position critiques de part et d’autre.
1. Le contexte de création de l’Académie royale de danse
36Dans le même mouvement de création des académies royales, sous le règne de Louis XIV, la création de l’Académie royale de danse en 1661 participe d’une mainmise du roi sur le ballet. Si la mise en place des Académies royales ne relève pas d’un plan concerté, en revanche, elle participe bien du phénomène de captation des formes culturelles et artistiques par l’État monarchique, en tant que « monopolisation progressive d’un certain nombre d’activités et de pratiques culturelles qui, auparavant, c’est-à-dire avant le XVIIe siècle, appartenaient à la sphère du privé, du particulier ».142 Par exemple, l’Académie française a eu essentiellement une compétence en matière de langue et de ses usages, affirmant une préférence nationale (et par là une identité nationale) contre les langues anciennes, régionales ou vulgaires qui étaient concurrentes.143
37Plus généralement, l’académisation des pratiques et des métiers à la fin du XVIIe siècle a été rendue possible par un double processus : d’une part la généralisation de l’écrit et la rationalisation des activités sociales ; d’autre part la volonté de contrôle étatique sur la production esthétique, intellectuelle et scientifique. Il s’agissait d’imposer des normes culturelles et esthétiques (reposant sur le modèle de la beauté classique) en réduisant au maximum les particularismes régionaux ou propres à des corporations. Dans ce sens, la doctrine académique, selon le terme de Ernest Lavisse, était une méthode d’abstraction des règles et conduisant à penser l’universel au mépris des particularismes et des réalités historiques.144
38Paradoxalement, la monopolisation du ballet par la monarchie absolue a offert à la danse des conditions propices à sa professionnalisation. En effet, le phénomène de contrôle de la vie artistique et intellectuelle, qui amène l’État français à créer des institutions culturelles et artistiques, se concrétise pour la danse par la constitution de la première Académie royale de danse, qui est, quelques années après la déposition de ses lettres patentes, associée à l’Académie royale de musique (quand Lully rachète le privilège de l’abbé Perrin en 1672 et confie la danse à Pierre Beauchamps). Elle a pour mission officielle de contrôler l’exercice de l’enseignement, ainsi que la création chorégraphique. Le contrôle nécessite d’établir une codification unique de la danse, afin de noter et de conserver les œuvres. Il est également prévu l’ouverture d’une école nationale de danse (qui deviendra l’école de danse de l’Opéra de Paris). Le roi autorise donc treize maîtres à danser à constituer une académie, en se munissant d’avantages qui leur donnent une supériorité dans l’exercice de leur métier par rapport aux autres maîtres (non membres de l’académie).145
39L’institutionnalisation de l’art de la danse procède de la même logique d’institutionnalisation des arts, de la vie intellectuelle et des sciences sous le règne de Louis XIV. Selon Raymonde Moulin, la carrière au sein de l’académie est hiérarchisée et correspond à une carrière de dignitaires dont la compétence ne l’emporte pas sur l’honneur des individualités et sur le bon plaisir du roi.146 Il est vrai que les académiciens en danse vont déployer leurs efforts pour l’obtention d’un monopole professionnel. Œuvrant à la délimitation des droits d’exercice du métier de maître à danser (enseignement) et de maître de ballet (création des œuvres), ils contrôlent le recrutement interne à la profession en cherchant à éliminer les individus appartenant à la communauté des maîtres à danser et joueurs d’instruments. Un rapport de force s’instaure entre la communauté et l’académie, rendu visible par une longue querelle exprimée dans un procès. Cette confrontation entre deux institutions est particulièrement intéressante à étudier parce qu’elle tend à confirmer la thèse développée par Nathalie Heinich, selon laquelle une des fonctions des académies était d’assurer un recrutement interne des professionnels des académies par distinction avec le recrutement propre à la tradition des métiers artisanaux corporatifs.147
40Ainsi, d’après les études menées par Jean Cordey, l’établissement de l’académie a déclenché un sérieux schisme avec la corporation, conduisant à sa dissolution. Le « roi des Violons » s’étant opposé à la déposition des lettres patentes de l’académie — car la scission affaiblissait considérablement l’importance de la confrérie —, les académiciens répliquèrent en écrivant un discours dans lequel ils défendaient l’idée selon laquelle la danse peut se passer de musique. Un an plus tard, la corporation renvoyait une réponse défensive, qui reprochait aux membres de l’Académie royale leur grand orgueil à vouloir instituer l’indépendance de la danse par rapport à la musique. La danse était jugée par les auteurs de la missive non pas en tant qu’art mais comme exercice et, de fait, ils la renvoyaient à une pratique de moindre envergure par rapport à la musique. La querelle se poursuivit à un niveau institutionnel à l’aide des armes juridiques. Un procès fut tenté par la corporation, mais le « roi des Violons » fut débouté. Il dura vingt ans, jusqu’à ce que l’Académie royale de danse obtienne définitivement le monopole de l’enseignement : un arrêt du Conseil interdit alors aux maîtres de danse, restés dans la communauté, d’exercer leur métier.148
Bien que l’Art de la Danse ait toujours été reconnu l’un des plus honnêtes arts et plus nécessaires à former le corps, et lui donner les premières et plus naturelles dispositions à toute forme d’exercices [...] ; et par conséquent l’un des plus avantageux et plus utiles à notre Noblesse [...], néanmoins il s’est pendant les désordres et la confusion des dernières guerres, introduit dans ledit Art, comme en tous les autres, un si grand nombre d’abus capables de les porter à leur ruine irréparable [...]. Ce qui fait que nous en voyons peu dans notre Cour et suite, capables et en état d’entrer dans nos Ballets et autres semblables divertissements de Danse [...]. À quoi étant nécessaire de pourvoir et désirants rétablir ledit Art dans sa première perfection, et l’augmenter autant que faire se pourra.149
41Les académiciens, ainsi que leurs enfants, possédaient le droit de créer des ballets sans lettres de maîtrise, et jouissaient « des autres droits des officiers commensaux de la maison du roi, c’est-à-dire qu’ils étaient exempts de garde, de taille, de tutelle et de guet ».150 Les aspirants académiciens (non fils d’un académicien déjà en place) devaient être jugés capables d’enseigner la danse et payer la somme de trois cent livres à l’académie. Les créateurs de ballet dépendaient aussi du jugement académique : il leur était interdit de représenter leurs danses sans l’autorisation des académiciens. Autorisés à « aviser et délibérer sur les moyens de perfectionner » la danse, et d’en « corriger les abus et défauts qui y peuvent avoir été ou être ci-après introduits », les académiciens garantissaient une homogénéisation du style des œuvres chorégraphiques dignes d’être présentées en France et à l’étranger (où elles représentaient le style français autant qu’elles mettaient en valeur l’État français). Les maîtres non membres devaient demander l’autorisation d’exercer leur activité. « Tous ceux qui voudront faire profession de danse en ladite ville et faubourgs, seront tenus de faire enregistrer leurs noms et demeures, sur un registre qui sera à cet effet tenu par lesdits Anciens [...] ».151
42L’académie ne remplit pas totalement ses prérogatives, ses membres jouissant de leurs privilèges sans parvenir à travailler ensemble. Elle cessa ses activités en 1778 après avoir été rattachée en 1672 à l’Académie de musique (créée en 1669). En rejoignant l’Académie royale de musique (l’Opéra de Paris), les membres de la première Académie royale de danse réussirent, avec plus de succès qu’antérieurement, à formaliser les règles de la danse et à imposer la légitimité du ballet de style français.
2. L’organisation de l’enseignement académique
43Dans son ouvrage, Nathalie Heinich indique que l’enseignement académique se caractérise par des séances collectives où s’apprennent des règles théoriques concernant le domaine étudié, et comprend des cours d’atelier.152 Les académies avaient également des fonctions d’expertise auprès des autorités. De plus, en instaurant une division et une hiérarchisation des manières d’exercer les métiers, les académiciens accordaient le primat au savoir théorique et livresque par rapport au savoir pratique.153
44Comment les académiciens concevaient-ils l’enseignement de l’art de la danse ? Peu de documents permettent de répondre à cette interrogation. En revanche, des indices peuvent être découverts dans les critiques formulées par Georges Noverre, maître de danse, ayant publié pour la première fois ses Lettres sur la danse en 1760 à Lyon. Il juge la danse académique comme étant trop mécanique, effectuée par un homme machine, c’est-à-dire par un danseur virtuose mais qui ne transmet pas d’émotion et n’attendrit pas le public.
45Georges Noverre, né à Paris en 1727 (décédé en 1810), est le fils d’un aide de camp de Charles XII qui voulait que son fils fasse une carrière militaire. Étant attiré par le théâtre, essentiellement par la danse, il devint l’élève du maître à danser Louis Dupré. Parallèlement à sa formation de danseur, il apprit l’anatomie et la musique. Son maître le présenta en 1742 dans un spectacle de la cour de Louis XV, à Fontainebleau. Ensuite, il dansa à l’Opéra Comique, devint maître de ballet à Paris en 1749, puis travailla en province et à Londres. Occupant la fonction de maître de ballet à la cour du duc de Wurtemberg à Stuttgart, il développa pendant huit ans sa conception de la danse : le ballet action. En 1768, Noverre est appelé à la cour impériale de Vienne et certains historiens pensent qu’il a été le professeur de danse de Marie-Antoinette. Dans ses lettres, il décrit la danse académique tel un assemblage arbitraire de pas et de positions, dans lequel l’âme du danseur ne joue aucun rôle. Elle est comme un arrangement de mots : « fait... pas... le... la... honte.... non... crime... et.... l’échafaud », qui, dit-il, ne fait pas deviner le vers du comte d’Essex « le crime fait la honte et non pas l’échafaud ».154 D’après lui, pour bien danser, il est nécessaire d’oublier la rigidité des positions apprises, et de ne pas se laisser enfermer dans la technicité de postures souvent acrobatiques. Comment former les danseurs pour ne pas en faire des machines ? Proposant un programme de formation du corps et de l’esprit, il conseille aux élèves de ne pas étudier la danse « avec fureur », encore moins « machinalement », mais avec raison, et de mener une existence sobre.155
46L’enseignement académique, semble-t-il, préconisait la force, la contrainte du corps, la répétition routinière de positions et de pas, jusqu’à obtention des résultats souhaités. Noverre estime qu’il faut le réformer, en créant des exercices modérés et continuels, adaptés au corps des danseurs et donc respectueux de leur anatomie. Dans ce sens, il devient indispensable, pour les maîtres de ballet, de connaître l’anatomie afin de procéder à un examen des possibilités physiques des élèves. D’ailleurs, il trouve que les danseurs de l’Opéra sont trop « jarretés » (en dedans) ou trop arqués (en dehors), preuve, selon lui, d’un manque de vigilance des professeurs quant à leurs possibilités physiques. « C’est au peu d’application que les maîtres apportent à dévoiler la conformation de leurs écoliers [... ] que l’on doit cette nuée de mauvais danseurs, qui serait moindre, sans doute, si on avait eu le talent de les placer dans le genre qui leur était propre ».156
47D’une manière générale, Noverre juge qu’il n’y a pas assez de bons maîtres ; les élèves sont naturellement les copies de ces enseignants médiocres qui se donnent en modèles. Ses critiques concernant les qualités physiques des danseurs formés à l’Opéra, sont réappropriées explicitement au XIXe siècle, par un premier danseur de l’académie, Deshayes. Estimant lui aussi que l’on ne prend pas assez en compte les possibilités physiques de chaque danseur, il note qu’il serait nécessaire de sélectionner les élèves à l’entrée de l’école à partir de critères anatomiques, puis de poursuivre cette surveillance en cours de formation et de développer des rôles secondaires, qui exigent moins de qualités corporelles157, pour ceux qui ne correspondent pas au modèle corporel idéal. L’établissement de telles normes pensées et raisonnées en fonction d’un type idéal sont d’une certaine manière toujours en vigueur dans la formation académique.
48Les conceptions de la formation du danseur de Noverre traduisent à leur manière les idées des philosophes des Lumières, plus particulièrement celles de Diderot en matière de définition de l’art et celles de Rousseau concernant l’éducation. Le maître de ballet suggère que le danseur ne doit pas seulement entraîner son corps, mais recevoir une éducation généralisée aux choses de l’esprit. Ce précepte est le pendant de la conception de l’éducation de Rousseau, qui estime en effet que « pour apprendre à penser, il faut donc exercer nos membres, nos sens, nos organes, qui sont les instruments de notre intelligence ; et pour tirer tout le parti possible de ces instruments, il faut que le corps, qui les fournit, soit robuste et sain. Ainsi, loin que la véritable raison de l’homme se forme indépendamment du corps, c’est la bonne constitution du corps qui rend les opérations de l’esprit faciles et sûres ».158
Les moyens les plus simples et les plus naturels sont toujours ceux que la raison et le bon sens doivent adopter lorsqu’ils sont suffisants ». Noverre donne un exemple d’exercice pour le travail de l’en-dehors : « Il ne faut donc pour se mettre en dehors qu’un exercice modéré mais continuel. Celui des ronds ou tours de jambes en dedans ou en dehors, et de grands battements tendus portant la hanche, est l’unique et seul à préférer ».159
49D’une domestication des corps dansants, l’entraînement académique, entre le XVIIe et XVIIIe siècles, a été productrice d’un nouvel « art du corps » plus réfléchi, plus théorique qu’auparavant. En mettant en place des exercices censés respecter les tendances naturelles du corps, en élargissant l’apprentissage à des connaissances théoriques et musicales, les écrits de Noverre élaborent les principes cartésiens de la pédagogie de la danse. L’apprentissage de la danse va ainsi devoir intégrer des savoirs, des méthodes analytiques soucieuses du détail, des connaissances anatomiques pour éviter de déformer les corps, et s’organiser en leçons.
50Les modes d’apprentissage de la danse académique, jusque dans les premières décennies du XXe siècle, s’organisent selon le modèle de la « discipline ». Historiquement, ce modèle s’appuie sur l’élaboration d’une science du mouvement qui a favorisé la création d’exercices rationnels et progressifs, suscitant de cette manière une « manutention pédagogique » efficace.160 Au XIXe siècle, l’analyse méticuleuse du mouvement humain et la fixation des conventions de la danse classique conduiront à la stabilisation de l’entraînement du danseur « classique » dont la rationalité favorisera la subordination des corps dansants à un « vocabulaire » technique relativement codifié. La « discipline » n’est pas uniquement à l’œuvre dans la danse. Comme forme spécifique de relations sociales et de socialisation, elle s’est développée dans d’autres domaines de pratiques — à l’armée notamment — avant de s’adapter à la danse académique. Entre les XVIIIe et XIXe siècles, elle s’est appliquée à ce nouveau mode de socialisation des enfants qu’est la « forme scolaire ». D’après Michel Foucault, la « discipline » est indissociable d’une « mécanique du pouvoir » agissant sur les corps.161 De l’imposition de règles (académiques), à la sollicitation de la raison des élèves (programme de Noverre), la discipline n’est pas toujours et partout de même nature. Au cours du XXe siècle, en lien avec les pédagogies nouvelles de l’école, un nouveau modèle d’apprentissage de la danse concurrencera la première « discipline ». Il s’agira de la « pédagogie du sujet », (comme elle est parfois dénommée de nos jours), reposant moins sur l’imposition de codes gestuels et d’une technique formalisée, que sur un travail de recherche de mouvements articulé à l’acquisition d’une technique corporelle basée sur une représentation différente du corps : le corps exprime cette fois-ci non plus l’harmonie céleste, ni l’ordre politique et social, mais un « monde intérieur » ou une idée, un « imaginaire », etc. Cette orientation pédagogique est à l’œuvre essentiellement dans l’apprentissage des styles de danse contemporaine qui font référence à l’expressivité et/ou à la créativité ; actuellement, elle prédomine dans les didactiques de la danse en milieu scolaire.
3. L’école de danse
51La discipline, comme première forme scolaire (pédagogique) de la danse, individualise les corps, leur fournissant notamment un emploi (les danseurs ne font plus ce qu’ils ont envie), ce qui facilite leur organisation en un ensemble de relations scéniques hiérarchisées.162 Elle les rend ainsi plus soumis aux regards du public, ayant à exprimer un rôle sans pouvoir se dissimuler derrière des masques, de lourds costumes et des acrobaties jugées gratuites par le maître de danse réformateur. Elle caractérise l’école de l’Opéra de Paris au XVIIIe siècle.
52Quand l’école de danse de l’Opéra s’ouvre en 1713, les cours sont en principe obligatoires aux danseurs de la troupe. Marie-Françoise Christout précise qu’on y enseigne le style français fondé sur l’harmonie, la coordination des mouvements, la justesse du placement corporel et la dissimulation de l’effort.163 Il est prescrit que « pour parvenir à élever des sujets propres à remplir les emplois qui manqueront, sera établie une école de musique, une de danse et une d’instruments et ceux qui y auront été admis y seront enseignés gratuitement ».164 Il s’agit donc bien de former ou de perfectionner les professionnels pour l’Opéra. En 1776, les règlements, qui indiquent qu’elle est ouverte aux enfants, prévoient la gratuité de la formation. Les élèves doivent avoir moins de 12 ans au moment de leur entrée dans l’école, à moins qu’ils soient déjà engagés par l’académie en tant que danseurs — l’école leur donnant alors l’occasion de se perfectionner. Les statuts fixent par ailleurs les devoirs du maître à danser. Ce dernier accueille uniquement les élèves qui lui sont adressés par une lettre du Comité ; il doit se rendre à l’école chaque jour et respecter les horaires « pour donner l’exemple aux élèves ». Les professeurs sont enfin susceptibles d’être contrôlés par l’inspecteur général de l’académie.
53Le corps de ballet, créé par Beauchamps et Lully (en 1672), marquait la séparation définitive entre danseurs de cour (amateurs) et danseurs de théâtre (professionnels), distinction qui exigeait la mise en place d’une formation spécialisée. Avant la création de l’école, les danseurs de cette institution étaient formés par des maîtres à danser, lors de leçons privées (auprès de Beauchamps notamment, et d’autres maîtres comme Desbrosses, Favier, de Lorge...). L’application de la « forme scolaire » à la danse a transformé le mode d’apprentissage et le rapport au « maître », passant d’un apprentissage « sur le tas », pratique et souvent individualisé, à des leçons collectives (qui n’excluent pas les cours particuliers) suivant un programme rationalisé et graduel. La formation du danseur de l’Opéra s’est donc constituée en pratique « pédagogique » visant à inculquer aux élèves des codes esthético-moteurs pour la plupart fixés par écrit, transmettant de la sorte des savoir-faire liés à des « savoirs » anatomiques et biomécaniques et censés être adaptés à la morphologie des élèves.
54L’école de l’Opéra est confiée à des maîtres à danser, dont Beauchamps, Blondy, Dupré, Pecour. Selon l’historienne Agnès Wasserman, la plupart des sujets qui sont engagés à l’Opéra sont des danseurs ayant fait leur preuve dans d’autres théâtres. Seuls les figurants sont effectivement formés dans cette école.165 L’école au XVIIIe siècle n’a pas bonne réputation.166 Agnès Wasserman précise que, pour les filles, être engagées par l’Opéra signifiait échapper à l’autorité familiale et maritale, en étant sous l’autorité royale (l’encatalogue), tandis qu’entretenir une « fille d’opéra » était une pratique courante pour certains spectateurs.
55À l’issue de leur formation, nombreux sont les élèves qui vont se produire dans d’autres théâtres, tandis que l’administration de l’Opéra se plaint de l’indiscipline des danseurs engagés qui s’absentent, prennent des vacances, demandent des augmentations d’appointement. Un Arrêt du Conseil du Roi en 1780 transforme la gestion de l’institution. La direction est confiée à un comité où la danse est représentée par des professionnels (Noverre, Pierre Gardel, Auguste Vestris) ; quelques mois plus tard, le règlement de l’école est lui-même modifié. L’inspection des enseignements devient effective et les élèves sont tenus de figurer dans les ballets de l’Opéra au moins pendant six ans ; s’ils se retirent de l’académie avant ce délai, ils doivent verser un dédommagement de 500 livres pour chaque année non servie.167 Un concours est organisé pour l’entrée des élèves de l’école dans le Ballet de l’Opéra, ce qui favorise la compétition entre danseurs. La spécialisation sexuée des techniques de danse conduit à séparer les classes de filles des classes de garçons (les leçons sont données aux mêmes heures) ; seules les répétitions réunissent les danseurs et les danseuses.
IIΙ. Élaboration d’un espace critique et prises de position esthétiques au xviiie siècle.
56Les prises de position ainsi que les luttes internes des maîtres de ballet et des critiques vis-à-vis de la danse académique témoignent du processus d’autonomisation que connaît alors l’art chorégraphique. Des débats font se confronter les défenseurs du « baroque » et ceux du « classicisme », les « anciens » et les « modernes ». Comme le précise Roger Chartier « à chaque fois, les enjeux sont de même nature, indissolublement esthétiques et institutionnels. Dans la chronique de chaque dispute, ce sont en effet les critères d’approbation ou de rejet des oeuvres (dont dépendent réputations, commandes et positions) qui sont en question ».168
57L’académisme avait été initié par Lully, qui avait tenu les rênes de l’Académie de musique de 1672 jusqu’à sa mort (en 1687), mettant en place avec succès la tragédie ballet (ou opéra-ballet). Les airs de musique se fondaient dans le récitatif interrompu régulièrement par des entrées dansées. Les maîtres de ballet et les danseurs recherchaient les prouesses corporelles, tandis que, parallèlement, les ballets devenaient monotones au goût de certains spectateurs et maîtres de ballet réformateurs. Ces derniers vont faire connaître leur avis et contribuer à créer un espace de critiques inédit dans le domaine de la danse. Ce qu’ils remettent principalement en cause est, d’une part le souci de plaire à tout prix au public et, d’autre part, la formation ainsi que l’organisation hiérarchique des danseurs qui tendent à les enfermer dans des emplois, conduisant ceux qui tiennent les rôles nobles à régler eux-mêmes leur danse, multipliant les pas où ils excellent, sans se préoccuper de la cohérence (narrative) de l’ensemble chorégraphique. Les lettres laissées par Georges Noverre constituent un rare témoignage sur une telle remise en cause de la danse académique. Il lui oppose le ballet d’action, dans lequel il diminue la part de prouesses pour privilégier l’expression.
58Un maître de ballet italien exerçant à Vienne, Gaspare Angiolini, dispute à Noverre la paternité du ballet d’action169 tout en lui rétorquant que l’académie n’a pas failli à sa mission (qui est de former de bons danseurs et de bons maîtres de ballet).170 La dispute entre défenseurs de l’académisme (les anciens) et les réformateurs (les modernes) semble dès lors engagée. Selon Marie-Françoise Christout, Gaspero Angiolini était danseur et chorégraphe en Italie, ainsi qu’à Vienne et en Russie. Il était réputé brillant mime et bon musicien, et défendait la primauté de la musique sur la danse. L’historienne cite quelques-unes de ses œuvres, telles que Orphée et Eurydice (1762), Sémiramis (1765), L’Orphelin de la Chine d’après Voltaire sur une musique de Gluck.171
1. L’expression contre l’ordre académique
59Contre l’ordre géométrique et symétrique des figures, Noverre préconise une danse d’expression, qui est l’« art de faire passer par l’expression vraie de nos mouvements, de nos gestes, et de la physionomie, nos sentiments et nos passions dans l’âme des spectateurs ».172
60L’art chorégraphique est donc une imitation raisonnée de la nature humaine. Dans le même sens, Denis Diderot précise que dans la peinture d’un corps (naturel) toutes les parties doivent avoir leur expression, car l’expressivité « comme le sang et les fibres nerveuses, serpente et se manifeste dans toute une figure ».173 Ainsi, quand Noverre conseille aux danseurs d’imiter la « belle nature » pour être expressif, il se rapproche de l’idée philosophique selon laquelle la nature à imiter est celle qui est contrôlée et corrigée par « l’éducation ».
61La raison ne s’oppose pas à la sensibilité, mais l’organise.
La poésie, la peinture et la danse ne sont, Monsieur, ou ne doivent être qu’une copie fidèle de la belle nature ; c’est par la vérité de cette imitation que les ouvrages des Racine, des Raphaël ont passé à la postérité [... ].174 Le maître de ballet veut-il peindre, par exemple, la jalousie et tous les mouvements de fureur et de désespoir qui la suivent. Qu’il prenne pour modèle un homme dont la férocité et la brutalité naturelles soient corrigées par l’éducation ; un paysan ou un portefaix seraient dans leur genre des modèles aussi vrais, mais ils ne seraient pas si beaux [...] ; et cette imitation, quoique prise dans la Nature, révolterait l’humanité et ne tracerait que le tableau choquant de ses imperfections.175
Jean-Jacques Rousseau pose aussi ce type de distinction sociale en opposant la nature paysanne (maladroite et rustre), à celle du bon sauvage. « Les premiers sont rustres, grossiers, maladroits ; les autres, connus par leur grand sens, le sont encore par la subtilité de leur esprit ; généralement il n’y a rien de plus lourd qu’un paysan, rien de plus fin qu’un sauvage. D’où vient cette différence ? C’est que le premier, faisant toujours ce qu’on lui commande, ou ce qu’il a vu faire à son père, ou ce qu’il a fait lui-même dès sa jeunesse, ne va jamais que par routine [... ], l’habitude et l’obéissance lui tiennent lieu de raison »176
62L’idée d’imitation de la nature est évidemment reprise dans l’Encyclopédie méthodique de Diderot et d’Alembert. La partie réservée au ballet a été confiée à un amateur de danse, M. Cahusac, qui tient un discours très proche de celui de Noverre et de Diderot, au point de reprendre certaines de leurs expressions :
La poésie, la peinture et la danse ne sont ou ne doivent être qu’une copie fidèle de la belle nature. C’est par la vérité de l’imitation que les ouvrages de Racine et de Raphaël ont passé à la postérité, après avoir obtenu (ce qui est assez rare) les suffrages même de leur siècle. Que ne pouvons-nous joindre avec nombre de nos grands hommes, ceux des maîtres de ballet qui se sont rendus célèbres dans leur temps ! Mais à peine les connaît-on, est-ce la faute de l’art ? Est-ce la leur ? Un ballet est un tableau, ou plutôt une suite de tableaux liés entre eux par l’action qui fait le sujet du ballet. La scène est pour ainsi dire, la toile sur laquelle le compositeur rend ses idées ; le choix de la musique, la décoration, le costume en sont les coloris ; le compositeur le peintre.177
2. Débat autour de la définition de l’artiste
63Outre sa volonté de faire évoluer la danse et de réorganiser la profession de danseur à l’Opéra, Georges Noverre a participé à l’autonomie de la danse vis-à-vis de la musique et de la demande sociale. Ses prises de position visent à défendre une danse « pure » et non une danse servant de faire-valoir aux œuvres lyriques de l’Opéra de Paris en répondant à tout prix au goût du public. Adoptant les idées rousseauistes, il recommande aux danseurs de ne pas absolument rechercher les applaudissements par des prouesses corporelles.
[... ] c’est avec des entrechats qu’ils fascinent les yeux de la populace ; et le débit de leurs remèdes augmente ou diminue à proportion que leurs divertissements sont plus ou moins nombreux [...]. Le public, de son côté, aime à se faire une douce illusion et à se persuader que le goût et les talents de son siècle sont fort au-dessus de ceux des siècles précédents ; il applaudit donc avec fureur aux cabrioles de nos danseurs et aux minauderies de nos danseuses [... ]. Les applaudissements sont les aliments des arts, je le sais, mais ils cessent d’être salutaires, s’ils ne sont distribués à propos [... ].178
64Le processus d’autonomisation de la danse au XVIIIe siècle s’observe encore dans la volonté de détacher la danse de la musique officielle académique, représentée par les compositions de Lully qui a longtemps dirigé l’Académie royale de musique et de danse, imposant ses compositions musicales et ses conceptions chorégraphiques. Noverre voit une grande évolution de la danse depuis l’époque de Lully : les pas se sont multipliés, les mouvements sont devenus plus rapides, les enchaînements et le mélange des temps sont sans nombre, les cabrioles plus variées, etc. De fait, la musique du compositeur ne convient plus, dit-il. Prenant distance avec les conventions du ballet mis au service du roi, il individualise également la danse : l’expression du visage des danseurs doit être vue et comprise par le public. En privilégiant ainsi l’expression individuelle contre les règles académiques, il déplace les valeurs de l’art : ce n’est plus le respect des règles académiques qui fait l’art, mais la personnalité de l’artiste qui sait jouer, interpréter des rôles.
65Cet engouement pour l’expression théâtrale s’oppose à l’intérêt pour les « prouesses » techniques. Il est particulièrement manifesté par Laus de Boissy défendant la danse d’action de Noverre, et qui dans ses Lettres critiques sur notre danse théâtrale179 se plaint que la danse à l’Opéra soit ennuyeuse. Pour lui, la danse académique n’est pas la « Danse », et Vestris (danseur de l’Opéra) n’est pas un « artiste ». La « véritable » danse est théâtrale, c’est-à-dire « l’art de rendre les diverses impressions de l’âme par les mouvements variés des différentes parties du corps », écrit-il.180 La danse ne doit ainsi pas donner à voir la virtuosité corporelle répondant aux règles académiques, mais se faire l’expression des passions humaines : « La danse unie à la Pantomime, est un Art ; la Danse, séparée de la Pantomime, n’est plus qu’un métier ».181
La lettre de Laus de Boissy débute ainsi :
« Monsieur le Spectateur,
Je reviens de l’Académie royale de musique, où je vais très régulièrement une fois l’an, et je m’y suis ennuyé assez passablement. J’y étais allé pour voir danser le Sieur Vestris et la Demoiselle Heinel, qui, disait-on, déployaient de plus beaux talents dans le Nouvel Opéra : je les ai vus et je baille encore [...]. Cependant, malgré l’ennui que j’ai éprouvé à ce spectacle, j’y ai fait une réflexion. Nous n’avons pas de Danse, me suis-je dit ; mais ne pourrions-nous pas en avoir ? J’entends déjà nos agréables papillons du foyer de l’Opéra [...] s’écrier d’une voix unanime : Nous n’avons pas de Danse ! Quelle hérésie ! Quelle absurdité [...] ».182
Il donne ensuite sa définition de la danse :
« La Danse, la Véritable Danse théâtrale enfin [...] est l’art de rendre les diverses impressions de l’âme par les mouvements variés des différentes parties du corps [...]. La Danse, je le répète, doit être une imitation des actions et des passions humaines : donc elle ne fera rien sans la Pantomime. La Danse, unie à la Pantomime, est un Art ; La Danse, séparée de la Pantomime, n’est plus qu’un métier [...]. Il s’ensuivrait de ces réflexions que le Sieur Vestris ne danserait jamais. Cet homme a beau changer de casque, d’habit et de masque, c’est toujours lui qu’on voit dans le personnage qu’il veut représenter [...] A ingénieux Noverre ! Venez ici recevoir un juste tribut d’admirations et d’éloges. Vous seul avez connu jusqu’à présent le véritable caractère de la danse théâtrale. Que l’Académie royale de musique vous remette la direction de cette partie si intéressante de son spectacle. Accourez à Paris, vous y trouverez encore des sujets qui pourront exécuter le noble, le touchant et le gracieux de nos Ballets admirables [...]. Alors vous serez le Restaurateur de la Danse ancienne, et le Créateur de cet Art dans un pays où l’on n’en a pas la moindre idée ».183
66S’opère ici la distinction entre « raison » et métier versus « sens » et « art » (entre règles impersonnelles formatrices d’une compétence technique de haut niveau et démarche expressive et créative), plaçant l’art du côté du beau expressif. L’opposition met en présence une position défendant l’idée que le mouvement se suffit à lui-même (la danse est une technique qui a pour finalité de produire des mouvements habiles) et une position expressionniste ou narrative de la danse (le mouvement pantomime ou théâtral). Elle annonce aussi la querelle philosophique et esthétique entre les défenseurs du romantisme et ceux du classicisme, préfigurant la conception romantique de l’artiste moderne opposée à celle de l’académicien.
67La position défendue notamment par Gaspare Angiolini revendique au contraire le respect des règles académiques. L’imitation de la nature n’est pas possible sans en étudier les règles : « Sachez qu’il faut infiniment plus de génie pour faire des Pièces dans les règles qu’il n’en faut pour en faire sans les règles [...]. Les règles gênent à chaque pas, le caprice n’est jamais gêné ».184 Inversement, selon Noverre, il faut, certes, savoir les règles mais surtout savoir les quitter pour avoir du « goût » et du « génie ». Angiolini rétorque que, précisément, en faisant des ouvrages selon les règles, il prouve qu’il a fait ses preuves bien avant le présomptueux maître de ballet (Noverre).
Dans une lettre, Angiolini reprend les points que Noverre a développés dans un précédent échange épistolaire :
« Vous dites à la 4.[sic] page de votre petite réponse que les règles d’Aristote n’ont jamais été faite pour la Danse. Vous confondez visiblement la Danse mécanique avec le Drame en danse, l’action en danse, en un mot la Danse Pantomime [...]. Oui Monsieur, Drame veut dire une action, et cette action est ou déclamée dans la Tragédie [...] ou dansée dans la pantomime sur un théâtre à des Spectateurs ; or, comme Aristote dans sa Poétique a donné des règles pour une action Théâtrale quelconque, l’action Pantomime étant de ce marbre, vous allez être enfin convaincu que les règles d’Aristote portent sur l’action dansée, ou Pantomime, aussi bien que sur l’action déclamée de la Tragédie [...]. Vous avancez à la même page que dans les Chefs-d’œuvre du Théâtre français il y a des anachronismes, des suppositions, des épisodes, et cela pour en conclure qu’il existe des Chefs-d’œuvre dramatiques, où les règles n’ont pas été observées. Mais Monsieur vous ne faites pas attention que vous confondez encore les objets. Les règles Dramatiques n’ont rien de commun avec certains anachronismes permis, et vraisemblables [...].Vous écrivez à la page 12. [sic] qu’Angiolini attaque le Public lorsqu’il attaque votre Ballet et Agamemmon, et que ce Public le jugera, non suivant les règles, mais d’après les lois épurées du bon goût. Et justement les lois épurées du bon goût sont les règles ».185
68L’espace naissant des critiques de la danse traduit donc des prises de position sur un plan esthétique qui mettent en jeu la définition de l’artiste. Cette notion d’artiste met en débat la définition du « talent individuel » : l’expression capable de dépasser la technique dans la danse action ? Ou la « règle académique » qui recherche la virtuosité et contraint les danseurs dans des rôles spécifiques ? D’ailleurs, les danseurs acquièrent une nouvelle conscience de leur valeur professionnelle. Agnès Wasserman note que le ballet action a donné le sentiment aux danseurs d’appartenir à une « élite artistique », les amenant à fréquenter la « haute société » de par des emplois de plus en plus importants.186
69Les débats sont à comprendre en relation avec les transformations sociopolitiques de cette époque qui, quelques années avant la Révolution, opposent conservatisme et libéralisme, dans un « siècle rationaliste » où prédomine « la valeur de l’émoi et de l’intensité ».187
70Plus largement, l’observation des prises de position internes (entre experts) et des oppositions entre groupes artistiques rivaux témoigne de la manière dont un champ de l’art de la danse s’annonce entre le XVIIe et le XVIIIe siècles. L’arbitre de l’équilibre des forces est l’État absolutiste, qui maintient son contrôle sur les danseurs et sur les musiciens en distribuant ses privilèges tantôt à l’un (comme le fait d’accorder les lettres patentes de l’Académie royale de danse), tantôt à l’autre (par exemple, en mettant Lully à la direction de l’Académie royale de musique et de danse). La professionnalisation des danseurs, passant par une réglementation scolaire de leur formation et de leur pratique, se concrétisera à la fin du XIXe siècle et dans les premières années du XXe siècle, avec la création d’un véritable marché, grâce au mécénat privé, et soutenu par les institutions publiques. Les lieux de diffusion des œuvres se diversifieront, tandis que la modernité prendra deux formes différentes, l’une s’appliquant au ballet (les ballets russes, les ballets suédois), l’autre étant créatrice d’une nouvelle forme de danse (la danse libre et la modern dance américaine) annonciatrice de l’avant-gardisme du milieu du siècle.
Notes de bas de page
99 E. Panofsky, La Perspective comme forme symbolique, Paris, éditions de Minuit, 1975.
100 M. Michel et I. Ginot, La Danse au XXe siècle, Paris, Bordas, 1995, p. 14. Cf. J. Starobinski, L’Invention de la liberté 1700-1789, Genève, Albert Skira, 1987, p. 10-11.
101 E. Panofsky, L’Œuvre d’art et ses significations...,op. cit., p. 86-89. E. Panofsky indique que ce n’est qu’après la Renaissance qu’il y aura à nouveau cloisonnement entre sciences, humanités et art.
102 Textes de Domenico da Piacenzia, De arte saltandi et choreas ducendi/de le arte di danzare et ballare, 1445 ; de Guglielmo Ebreo, De pratica s eu arte tripudii vulgare opusculum, 1463 ; de Antonio Cornazano, Libro d’ell’arte del danzare, 1455.
103 S. Garnero, « Les premiers traités de danse au XVe siècle... », article cité, p. 148.
104 Il « s’agit plutôt d’un passage, d’un accent dans la fluidité du geste ». S. Garnero, ibidem, p. 157.
105 P. Bourdieu, Le Sens pratique, op. cit., cf. p. 137.
106 S. Gamero, « Les premiers traités de danse... », article cité, p. 149.
107 M. Baxandall, L’Œil du Quattrocento...,op. cit., p. 122-123.
108 S. Gamero, « Les premiers traités de danse... », article cité., p. 150.
109 Ibidem, p. 150-151.
110 Domenico da Piacenzia cité par M. Baxandall, L’Œil du Quattrocento...,op. cit., p. 122-123.
111 S. Garnero, « Les premiers traités de danse... », article cité, p. 157.
112 L. Louppe (sous la direction de), Danses Tracées. Dessins et Notation des Chorégraphes, Paris, édition Dis Voir, 1991. M. Risch, Les Procédés d’écriture des systèmes français de notation du mouvement, mémoire pour l’obtention du diplôme de spécialité en notation du mouvement, Université Paris Sorbonne (Paris IV), cursus d’études supérieures en danse, 1987, p. 7-9.
113 À propos de l’apparition des lexiques, dictionnaires et inventaires, Marcel Détienne évoque les « nouveaux instruments élaborés dans l’exercice graphique qui peuvent, dans certaines conditions, jouer un rôle actif dans une nouvelle organisation des savoirs, contribuer à l’avènement d’un nouveau régime intellectuel, voire — et c’est le cas sur le terrain grec — inventer de nouveaux objets, ou poser des problèmes découvrant à leur tour des avancées de l’intelligence », Les Savoirs de l’écriture en Grèce ancienne, Lille, Presses universitaires de Lille, 1992, p. 12.
114 M. Risch, Les Procédés d’écriture des systèmes français..., op. cit., p. 107.
115 T. Arbeau, Orchésographie, Vieweg Libraire, édition de 1888 (1ère édition en 1588). D’après le portrait qui en est dressé par Michel Saint-Léon, maître de ballet et inventeur d’un système de notation de la danse au XIXe siècle, il apparaît que Thoinot Arbeau était chanoine, né en 1519 et décédé en 1596. Son père était conseiller du roi et procureur au bailliage de Dijon. M. Saint-Léon, La Sténochorégraphie ou Art décrire promptement la danse, chez Brandus et Cie éditeurs de musique, 1852.
116 T. Arbeau, L’Orchésographie, op. cit., p. 5, cité dans M. McGowan, L’Art du ballet de cour en France, 1581-1643, op. cit., en italique dans le texte, p. 66.
117 G. Vigarello, Le Corps redressé..., op. cit., p. 21.
118 P. Rameau, Le Maître à danser, Paris, chez Rollin fils, 1725, p. 50-52.
119 La première partie s’ouvre sur un chapitre intitulé « De la manière de se poser le corps ». Les chapitres suivants concernent la marche, les positions qui ont été fixées par Beauchamps, les révérences : « Des révérences de plusieurs manières », « des révérences entrant dans un appartement ou dans une assemblée ». Un chapitre porte sur le cérémonial de la cour, plusieurs concernent les pas de danse : « Du pas de Menuet et la méthode la plus facile pour la faire de différents côtés », « Des temps de Courantes, ou pas graves », « Des coupés de différentes manières », etc. La seconde partie est consacrée aux positions des bras : « Discours sur les bras et sur l’utilité de les savoir conduire avec grâce », « De la manière de prendre des mouvements du poignet », « Du mouvement du coude et de l’épaule »., etc., P. Rameau, Le Maître à danser, op. cit.
120 Ibidem, p. VIII.
121 Ibid., p. 68.
122 Ibid., p. 6.
123 C. Blasis en 1820 fera débuter sa leçon de danse par les « ployés » dans toutes les positions et précisera qu’une leçon de danse doit veiller à organiser les exercices d’une jambe puis de l’autre. Cf. C. Blasis, Traité élémentaire, théorique et pratique de la danse, Milan, Chez Joseph Beati et Antoine Terenti, 1820.
124 L’écriture et la codification sont en effet plurielles. Selon les époques considérées, les traités de danse s’écrivent en usant de nouveaux procédés, qui n’excluent jamais totalement les procédés précédents, leurs trouvant souvent un nouvel emploi.
125 S. Faure, Apprendre par corps...,op. cit.
126 Jean-Noël Laurenti pense que les maîtres à danser français ont eu à unifier des vocabulaires d’origines diverses pour constituer la part du commun au sein de la diversité et en distinguer les constituants. Le projet devait aboutir à une notation qui utiliserait les mêmes signes pour écrire les danses quels que soient leur style et leur origine. Le système Feuillet traduit ainsi, selon lui, cette démarche qui amène à « une sorte de langage universelle de la danse » à partir duquel les maîtres à danser espèrent communiquer entre eux en parlant la même langue. J.-N. Laurenti, « La pensée de Feuillet », Danses tracées, (sous la direction de L. Louppe), op. cit., p. 107-131, p. 113.
127 Selon Michel Saint-Léon, il serait né à Versailles en 1636 et décédé à Paris en 1705.
128 Il se différencie ainsi d’un système qui lui est contemporain, celui de André Lorin (en 1688), qui mêle diagrammes et symboles (essentiellement des signes alphabétiques comme abréviation d’un mot ; par exemple P = « pas vers l’avant », un p couché signifiant « pas de côté » et un P écrit à l’envers = « pas en arrière »). André Lorin, Le Livre de la contredance du Roi, 1688.
129 Cf. M. Risch, Les procédés d’écriture des systèmes français de notation du mouvement, op. cit., p. 108.
130 R.-A. Feuillet, Chorégraphie ou l’art de décrire la danse, par caractères, figures et signes démonstratifs avec lesquels on apprend facilement de soy-même toutes sortes de Danses, chez l’auteur, 1700, 106 p., suivi de : Recueil de danses composées par M. Feuillet, 84 p., et Recueil de Danses composées par M. Pecour, 72 p.
131 Cf. F. Lancelot, « L’écriture Feuillet, regard sur la terminologie et typologie », La Recherche en danse, no 4,1986-87, p. 19-28. M. Risch, Les Procédés d’écriture..., op. cit.
132 M. Weber, Sociologie de la musique. Les Fondements rationnels et sociaux de la musique, traduction, introduction et notes de J. Molino et E. Pedler, Paris, Métailié, 1998, p. 76.
133 E. C. Hughes, Le Regard sociologique. Essais choisis, Paris, éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1996, p. 108.
134 Cf. P. Bourdieu, avec Loïc J.-D. Wacquant, Réponses, Paris, éditions du Seuil, 1992, « La logique des champs », p. 71-90.
135 P. Bourdieu, Les Règles de l’art..., op. cit., p. 337 et p. 412-413.
136 Ses statuts auraient été approuvés par Louis XIV en 1658, d’après Jean Cordey, « L’Académie Royale de Danse (1661-1778) », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 1953, p. 177-185.
137 Cf. R. Moulin, l’Artiste, l’institution et le marché, op. cit.
138 J. Cordey, « L’Académie Royale de Danse (1661-1778) », article cité, p. 177-185.
139 T. Arbeau, Orchésographie, op. cit., p. 5.
140 S. Gamero, « Les premiers traités de danse au XVe siècle... », article cité, p. 145-173, p. 147.
141 C.-F. Ménestrier, Des ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre, Minkoff-Reprint, 1972 (1ère édition à Paris en 1682), p. 1-2.
142 R. Chartier, Pouvoir(s) et culture(s), Cahiers de recherche du GRS, Université Lyon 2,1993, p. 15-16.
143 R. Chartier, Pouvoir(s) et culturels), op. cit., cf. p. 17.
144 E. Lavisse, Louis XIV. Histoire d’un grand règne, 16431715, Paris, Robert Laffont, 1989, cf. p. 450-451.
145 L’historien de la danse Léandre Vaillat pense que cette première Académie Royale de Danse fut créée par Louis XIV car il ne trouvait pas suffisamment de recrues pour ses ballets. Il reprend ainsi sans distance le onzième article des lettres patentes du roi où il est noté que « le roi ayant besoin de personnes capables d’entrer et danser dans les Ballets et autres divertissements de cette qualité, sa Majesté faisant l’honneur à ladite Académie de l’en faire avertir, lesdits Anciens sont tenus de lui en fournir incessamment d’entre eux ou autres tel nombre qu’il plaira à sa majesté d’ordonner », Lettres patentes du Roi pour l’établissement de l’Académie Royale de danse, Librairie du roi, mars 1662.
146 R. Moulin, L’Artiste..., op. cit.
147 N. Heinich, Du peintre à l’artiste. Artisans et académiciens à l’âge classique, Paris, éditions de Minuit, 1993.
148 J. Cordey, « L’Académie Royale de danse (1661-1778) », op. cit.
149 Début des Lettres patentes, op. cit. (pas de pagination).
150 F. de Ménil, Histoire de la danse..., op. cit., p. 174.
151 Lettres patentes...,op. cit.
152 N. Heinich, Du peintre à l’artiste..., op. cit.
153 Ibidem, p. 93.
154 G. Noverre, Lettres sur la danse, Paris, éditions Ramsay, 1978, p. 80.
155 G. Noverre, Lettres sur la danse, op. cit., p. 244.
156 Ibidem, p. 130.
157 Deshayes, Idées générales sur l’Académie Royale de Musique et plus Spécialement sur la Danse, chez Mongie, 1822, p. 13-14. Dans ce document, le premier danseur réclame le rétablissement de l’Académie Royale de danse de 1661, afin de préserver et maintenir la danse contre la musique et l’opéra. Il estime notamment que trop de gens « étrangers à cet art préconisent des écarts que le goût désavoue tout bas », p. 18.
158 J.-J. Rousseau, Émile ou De l’éducation, Garnier frères, 1961, p. 128.
159 G. Noverre, Lettres sur la danse, op. cit., p. 265.
160 P. Legendre, La Passion d’être un autre..., op. it., p. 151-152.
161 M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 139.
162 Michel Foucault précise que la discipline individualise par une mise en ordre spatial qui permet ensuite de distribuer les corps et de les faire circuler dans un réseau de relations. Surveiller et Punir, op. cit., p. 147.
163 Cf. M.-.F. Christout, Le Ballet occidental..., op. cit., p. 41.
164 Cf. le document édité par l’Opéra de Paris, École du ballet de L’Opéra de Paris, 1993.
165 A. Wasserman, « Les danseurs de l’Opéra sous Louis XVI », pré-actes du 4e congrès international sur la recherche en danse, 1989.
166 École du ballet de L’Opéra de Paris, op. cit., p. 4.
167 Ibidem, p. 4.
168 R. Chartier, « Trajectoires et tensions culturelles de l’Ancien Régime », Histoire de la France : Les formes de la culture, sous la direction de André Burguière et Jacques Revel, Paris, Seuil, 1993, p. 384.
169 D’après Germaine Prudhommeau, ce genre a été inventé en Angleterre. John Weaver (1673-1760) a présenté des ballets d’action peut-être dès 1702 et sûrement, d’après elle, en 1717 avec un ballet intitulé « Les Amours de Mars et Vénus » (Londres). L’œuvre est qualifiée de dramatique, insérant mimes et pantomimes devant rendre compte des sentiments et des passions des acteurs-danseurs. Cf. G. Prudhommeau, « La représentation dramatique en danse dans les premiers ballets sans parole », Danse et pensée. Une autre scène pour la danse, Sammeron, éditions GERMS, 1993, p. 177-186.
170 Cité par J. Cordey, « L’Académie Royale de danse... », op. cit., p. 184. La lettre n’est pas référencée dans l’ouvrage de Cordey Par contre, nous avons trouvé une seconde lettre du même auteur datant de 1774 et qui est une contre-attaque à la réponse que Noverre avait fournie à cette première lettre. On peut donc la situer autour de 1770-1774. Lettre de Monsieur Angiolini au Grand Noverre, chez Jean-Baptiste Bianchi, 1774, 24 p.
171 M.-F. Christout, Le Ballet occidental..., op. cit., p. 48-49.
172 G. Noverre, Lettres sur la danse, op. cit., p. 198.
173 D. Diderot, « Essais sur la peinture », Œuvres complètes, Paris, Garnier Frères, 1965, p. 666-740.
174 G. Noverre, Lettres sur la danse, op. cit., p. 93.
175 D. Diderot, « Essais sur la peinture », op. cit. cité aussi dans l’ouvrage de Pierre Legendre, La Passion d’être un autre, op. cit., p. 117. Pierre Legendre voit dans cette citation plus que l’expression du goût « aristocratique bourgeois » : il s’agit de l’expression de moyens techniques et politiques (c’est-à-dire d’une éducation) pour perfectionner la danse en la soustrayant aux manières populaires.
176 J.-J. Rousseau, Émile ou De l’éducation, Paris, Garnier Frères, 1961, p. 118.
177 Encyclopédie méthodique. Arts Académiques. Équitations, Escrime, Danse et Art de nager, Paris, chez Panckoucke, 1789, partie consacrée à la danse p. 312-424, p. 339.
178 J.-J. Rousseau, Émile ou De l’éducation, op. cit., p. 119-120.
179 Laus de Boissy, Lettres critiques sur notre danse théâtrale, adressées à l’Auteur du Spectateur Français par un homme de mauvaise humeur, imprimerie du Magasin de la rue Saints-Nicaise, Foyer de l’Opéra, 1772.
180 Laus de Boissy, Lettres critiques sur notre danse théâtrale, op. cit., p. 6.
181 Ibidem, p. 6.
182 Ibid., p. 4-5.
183 Ibid..
184 Lettres de Monsieur Angiolini au Grand Noverre, op. cit., p. 9. Rappelons le contexte de cette lettre. Angiolini est maître de ballet à Vienne (Noverre y avait travaillé avant de venir à l’Opéra de Paris). Il s’oppose aux préceptes de Noverre, se positionnant dans le pur respect de l’académisme. Il a envoyé une première lettre avant celle-ci, à laquelle Noverre a répondu de manière, semble-t-il, dédaigneuse. Par ce document, Angiolini réagit donc à la réponse de Noverre et semble vexé par le peu de considération que lui accorde ce dernier.
185 Lettres de Monsieur Angiolini au Grand Noverre, op. cit., p. 4-13.
186 A. Wasserman, « Les danseurs de l’Opéra sous Louis XVI », op. cit.
187 J. Starobinski, L’Invention de la liberté, 1700-1789, Genève, Albert Skira, 1987, p. 10.
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