1 Le seul manuel épistolographique du xviie siècle à inclure la lettre d’exhortation dans sa taxinomie se présente comme un simple prolongement des traités épistolographiques en latin du siècle précédent : Jacob Paul, Le Parfait Secrétaire…, Paris, Antoine de Sommaville, 1646.
2 Le Secrétaire inconnu de Barthélemy Piélat (Amsterdam, J.-J. Waesberge, 1671) contient trois lettres d’exhortation : « Il exhorte une Dame à établir une Église » (lettre XIV, p. 49-52 – en vernaculaire) ; « Il exhorte son Ami a l’estude & l’asseure de son Amitié » (lettre CLXXIV, p. 379-380 – en latin) ; « Il exhorte son frere à l’estude » (lettre CLXXV, p. 381-383 – en latin). Les Lettres sur toutes sortes de sujets de Pierre Ortigue de Vaumorière (Paris, J. Guignard, t. II, 1695) contiennent une lettre d’exhortation : « Lettre d’un nouveau converti pour exhorter son frere à renoncer au Calvinisme », p. 257-260. Le Recueil de lettres sur divers sujets de Charles-Honoré de Grimarest (Paris, J.-L. Nyon, G. Janot et N. Pissot, 1725) contient trois lettres de « Conseils et exhortations » : « A un Secretaire par son Protecteur » (lettre CXIII, p. 206-208) ; « D’un père à son fils sur sa conduite » (lettre CXII, p. 264-267) ; « A un ami sur son mariage » (lettre CXLIV, p. 270-274).
3 L’« instruction à escrire des lettres » de Jean Puget de la Serre (Le Secrétaire à la Mode, Amsterdam, L. Elzevier, 1646) prouve que l’épistolier est souvent amené à exhorter son destinataire – qu’il s’agisse de l’« exhorter à suivre le conseil qu’on lui donne » dans ses lettres de conseil (p. 10), de l’« exhorter à se retirer de ce vice & changer de vie » dans ses lettres de remontrance (p. 10-11), de l’« exhorter qu’il prenne de là occasion de se surmonter » dans ses lettres de congratulation (p. 28), ou encore de l’« exhorter à ne se point attrister » dans ses lettres de consolation (p. 30).
4 « J’ai choisi les sujets les plus ordinaires, comme Félicitations, Condoléances, Sollicitations, Prieres, Exhortations, Reproches, Complimens, à des égaux & à des Supérieurs » (Grimarest C.-H., « Préface » au Recueil de lettres sur divers sujets, op. cit., s.p.).
5 Richelet Pierre, Dictionnaire françois, contenant les mots et les choses…, Genève, Jean Herman Widerhold, 1680, s.v. « exhortation ».
6 Furetière Antoine, Dictionnaire universel…, La Haye/Rotterdam, Arnout et Reiner Leers, 1690, s.v. « exhortation ».
7 Ibid.
8 Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, Veuve Jean-Baptiste Coignard, 1694, s.v. « exhorter ».
9 Papon Jean, Secrets du troisième et dernier notaire, Lyon, J. de Tournes, 1583, p. 58.
10 Données entre parenthèses, les références aux lettres de Mme de Sévigné mentionnent la date de la lettre et sa pagination (tome et page) dans l’édition de référence : Correspondance, éd. par R. Duchêne, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1978. Nous ne précisons le destinataire que lorsqu’il ne s’agit pas de Mme de Grignan. Dans toutes les citations, les italiques sont nôtres.
11 La lettre d’exhortation est celle « dans laquelle un ami est averti et incité soit à embrasser et à réaliser avec ardeur ce qui lui semble être le meilleur, soit, au contraire, à repousser et à fuir ce qui lui semble honteux ou mauvais » (in quibus amicus monetur atq ; excitatur, ut vel quod optimum esse factu videtur, cupide amplectatur ac suspiciat : vel contra, quod turpe, aut malum, aversetur ac fugiat), Junius Melchior, Scholae rhetoricae. De contexendarum epistolarum ratione, Bâle, C. Uvaldkirch, 1608, p. 24.
12 Les précautions que Paul Jacob recommande de prendre dans la lettre d’exhortation montrent que l’efficacité de celle-ci dépend en grande partie de la capacité de l’épistolier à donner de lui une image d’ami fidèle et dévoué, prêt à faire bénéficier généreusement son correspondant de son expérience : « Pour ce qui est de nostre personne, on a égard à l’ancienne amitié, à nos services continuez, ou rendus, à l’utilité de nos conseils, puis qu’ils luy ont esté autrefois profitables, ou qu’il les approuvoit : à l’autorité que nous avons sur son esprit, ou la creance qu’il a en nous ; que nous nous interessons en ce qui le concerne, que nous agissons fidellement, & sans feinte ; qu’il doit cela à nostre amitié ; & que nous sommes asseurez que nos avis seront en quelque consideration aupres de luy » (Le Parfait Secrétaire…, op. cit., p. 283-284).
13 Après avoir souligné le caractère utile et nécessaire des lettres d’exhortation (Et sunt epistolae tales cumprimis utiles et necessariae), M. Junius insiste sur le fait que « nous ne pouvons mériter mieux de nos amis qu’en les exhortant à ce qui est honnête et glorieux » (Neque melius de amicis mereri nostris possumus, quam si ad illa quae honesta sunt & praeclara eos hortemur), Scholae rhetoricae…, op. cit., p. 24.
14 « On ne sçauroit croire combien l’exhortation est adoucie, si la personne, qui exhorte, est estimée vertueuse » (Jacob P., Le Parfait Secrétaire…, op. cit., p. 293).
15 […] si persona, quae hortatur, plurimum habeat auctoritatis, minus pugnax rationibus, minus calens, & profusa verbis videri debet […]. Nam dignitas ipsa potentissimum est ad feriendos animos telum […] (Caussin Nicolas, Eloquentiae sacrae et humanae parallela. Libri XVI, Paris, S. Chappelet, 1619, p. 514).
16 Érasme oppose les critères distinctifs de l’exhortatio et de la suasio en de rigoureuses antithèses : De Conscribendis Epistolis (1522), dans Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, éd. par J.-C. Margolin, Amsterdam, North Holland Publishing Co., t. I-2, 1971, p. 315.
17 Citons par exemple Voellus Joannes, De Ratione conscribendi epistolas utilissimae praeceptiones, Lyon, J. Pillehotte, 1578, p. 19, ainsi que Junius Melchior, Scholae rhetoricae…, op. cit., p. 24.
18 C’est par cette mise en contraste que commencent tous les descriptifs théoriques, parmi lesquels ceux de Nicolas Caussin (Eloquentiae sacrae et humanae parallela…, op. cit., p. 514), de Gerardus Joannes Vossius (Rhetorices Contractae, sive Partitionum oratoriarum. Libri V, Brunswick, C.-F. Zilliger, 1647, p. 193), de Charles Pajot (Tyrocinium eloquentiae sive Rhetorica nova, et facilior (1647), Venise/Bassano, A. Remondini, 1708, p. 258-259), de Gérard Pelletier (Reginae Palatium Eloquentiae, Lyon, J.-A. Candy, 1653, p. 778).
19 « L’exhortation ne differe pas beaucoup de la persuasion, il n’y a que la fin qui les distingue : l’une donne de la hardiesse, & enseigne par des mouvemens puissans, & l’autre par des raisons & par des preuves : nous persuadons à ceux qui chancelent, & nous exhortons ceux qui desistent, ou qui sont refroidis » (Jacob P., Le Parfait Secrétaire…, op. cit., p. 281).
20 On aura reconnu la distinction que faisaient les Grecs entre deux types de conseils : la sumboulè, qui désigne « le conseil que l’on donne à propos de matières contestables, non encore tranchées », et la parainesis, qui « est un conseil portant sur des matières incontestées, admises par la communauté, mais dont il faut réactiver la présence dans l’esprit de l’auditoire » (Danblon Emmanuelle, « La rationalité épidictique », dans La Mise en scène des valeurs. La rhétorique de l’éloge et du blâme, éd. par M. Dominicy et M. Frédéric, Lausanne/Paris, Delachaux et Niestlé, 2001, p. 38).
21 Jacob P., Le Parfait Secrétaire…, op. cit., p. 279.
22 Érasme précise que « parmi les nombreuses sortes de styles, le style solennel (grave), fougueux (acre), enflammé (ardens) et rapide (incitatum) convient particulièrement à l’exhortation ». Pour décrire la véhémence nécessaire, il insiste sur son caractère mâle : « Car si le fleuri, l’élégant et le spirituel ont ailleurs des grâces, ici le style doit être viril (masculus), et, si je puis dire, vigoureux (robustus), ample (amplus) et énergique (nervosus) » (De Conscribendis Epistolis, op. cit., p. 341-342).
23 Érasme souligne qu’aucun procédé n’est plus apte que les tropes à « rendre le discours fougueux (acrem) et enflammé (ardens) » – tropes parmi lesquels il mentionne la métaphore (ibid., p. 348).
24 S’il s’agit d’abord d’exhorter le destinataire « par paroles propres à cela d’estre meu de douleur et desplaisir », c’est pour mieux, ensuite, lui « demonstrer, comme il est necessaire se facher et contrister en telles calamitez, afin qu’après la douleur vienne la pensée d’amander et restaurer les affaires perdues » (Chappuys Gabriel, Le Secrettaire [1588], éd. par V. Mellinghoff-Bourgerie, Genève, Droz, coll. « TLF », 628, 2014, p. 218 et 263). Sur le passage des « pleurs et larmes », qui ont pour effet d’« inciter et enflammer les cœurs », à l’action d’une « louable entreprinse », ibid., p. 286.
25 Sur la « fonction argumentative » du proverbe, cité « pour renforcer la crédibilité d’une explication ou le bien fondé d’un conseil », voir Tamba Irène, « Le sens métaphorique argumentatif des proverbes », Cahiers de praxématique, 35, 2000, p. 46.
26 Pour suggérer la violence expressive que doit déployer l’exhortation efficace, c’est-àdire capable de provoquer une réaction affective chez le destinataire, les théoriciens ne sont pas avares d’images spectaculaires – qu’il s’agisse des « torches de l’émotion et des affects (motus & affectuum faces) » ou des « clous (clavi) enfoncés très profondément dans l’âme des auditeurs » (Caussin N., Eloquentiae sacrae et humanae parallela…, op. cit., p. 514-515).
27 Le Guern Michel, « Métaphore et argumentation », dans L’Argumentation, Lyon, PUL, 1981, p. 75.
28 Tels sont les principaux procédés que préconisent les manuels de rhétorique et d’épistolographie, et dont Paul Jacob fait la synthèse dans son Parfait Secrétaire (op. cit., p. 284, 276, 271, 274, 277 et 293-294).
29 Exhortationis anima est pugnax quidam calor, qui plurimus in figuris acribus, & densis agnoscitur (Caussin N., Eloquentiae sacrae et humanae parallela…, op. cit., p. 515).
30 Telle est la condition paradoxale d’une exhortation réussie (& si minime argumentosa debeat esse cohortatio, & prolixis rationibus effluens ; sunt tamen vividae, & pressae rationes afferendae, ibid., p. 515).