1 Le mot apocolocyntosis est un néologisme grec (ἀποκολοκύντωσις), formé sur le modèle d’apotheosis (ἀποθέωσις), et signifiant « transformation en citrouille ». Il a été identifié comme le titre de cette œuvre d’après un passage de Dion Cassius (Histoire romaine, LX, 35). Les manuscrits n’en portent en effet aucune trace. Les plus anciens présentent deux formules de titre bien différentes : Senecae ludus de morte Claudii Caesaris ; Divi Claudii ἀποθέωσις Annei Senecae per saturam (titre présent uniquement dans un manuscrit de Saint-Gall du xe -xie siècle). Sur ce titre, voir Alice Bonandini, Il contrasto menippeo : prosimetro, citazioni e commutazione di codice nell’Apocolocyntosis di Seneca. Con un commento alle parte poetiche, Trento, Università degli Studi di Trento, 2010, p. 216-233.
2 Voir Joel C. Relihan, Ancient Menippean Satire, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1993, p. 12.
3 On peut citer par exemple l’œuvre de Juste Lipse, Satyra Menippea. Somnium. Lusus in nostri aevi criticos, ou la Satyre Ménippée : de la Vertu du Catholicon d’Espaigne et de la tenuë des estats de Paris, œuvre collective écrite en France en 1593. Sur ce dernier texte, voir Frank Lestringant et Daniel Ménager (dir.), Études sur la Satyre Ménippée, Genève, Droz, 1987.
4 J.C. Relihan, Ancient Menippean Satire, op. cit., p. 12, situe le premier emploi de l’expression comme terme générique en 1581, date de publication de la Satyra Menippea de Juste Lipse.
5 A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 16-20.
6 J.C. Relihan, Ancient Menippean Satire, op. cit., p. 17-21.
7 Ibid., p. 91 ; A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 23-28.
8 Aristophane faisant en effet voyager ses personnages dans le ciel et mettant en scène le triomphe du bon sens sur le dogmatisme : J.C. Relihan, Ancient Menippean Satire, op. cit., p. 32.
9 Nous employons ici le terme « citation » dans un sens large, désignant toute forme d’emprunt, explicite ou non, à un autre auteur. Nous sommes bien consciente qu’une étude plus fine nécessiterait une distinction entre les citations explicitement assumées comme telles (l’auteur en étant désigné) et les emprunts tacites qui relèvent du mécanisme de l’allusion. Pour cette distinction, voir Goulven Madec, « Les embarras de la citation », dans Petites études augustiniennes, Paris, Institut d’études augustiniennes, 1994, p. 307-318 ; Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Le Seuil, 2002, p. 192 (l’emprunt nécessite « un travail interprétatif »).
10 Nous nous appuyons ici sur le tableau synthétique réalisé par A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 205-210, sur les citations dans l’Apocoloquintose ; notons qu’elle considère également comme poétiques trois autres citations ou emprunts (la citation de Varron en VIII, I ; la formule grecque en XIII, 6 ; le proverbe grec en XIV, 2), dont elle reconnaît le schéma métrique, mais que nous ne prenons pas ici en compte, car leur origine poétique n’est pas avérée.
11 Sénèque, Apocoloquintose, V, 4 ; IX, 2 ; XI, 6 ; XIII, 3. Ce sont d’ailleurs les seules, sur les 21 citations présentes dans l’œuvre, qui lui soient attribuées. Les dix-sept autres sont insérées dans le discours (direct, à deux exceptions près) des personnages.
12 Sénèque, Apocoloquintose, V, 3-4. Nous reproduisons ici le texte de l’édition des Belles Lettres : Sénèque, L’Apocoloquintose du divin Claude, éd. et trad. R. Waltz, Paris, Les Belles Lettres, 1966. Nous reprenons également la traduction de René Waltz, en la modifiant ponctuellement.
13 Formule homérique récurrente : Odyssée, I, 170 ; X, 325 ; XIV, 187 ; XV, 264 ; XIX, 105 ; XXIV, 298. Le premier hémistiche se trouve aussi en Iliade, XXI, 150 ; Odyssée, VII, 238.
14 Odyssée, IX, 39.
15 Odyssée, IX, 40.
16 A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 65-82 (« dialogo omerizzante », p. 65). Le présent paragraphe doit beaucoup à ces analyses, notamment à l’étude par Alice Bonandini des trois citations et de leur fonction caractérisante.
17 Voir supra note 13.
18 Aulu-Gelle, Nuits attiques, I, 2, 7-8.
19 Voir par exemple Suétone, Vie du divin Claude, 42.
20 Sénèque, Apocoloquintose, II, I-III, I.
21 Quintilien, Institution oratoire, VIII, 6, 59-60.
22 Même effet également avec les références explicites au genre et à la forme des troisième et quatrième insertions poétiques (voir la dernière colonne du tableau synthétique présenté en annexe, en fin d’article).
23 A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 274, remarque d’ailleurs que le motif astronomique est repris dans la section poétique suivante, de forme épique également, où l’empereur Néron est comparé à un astre chassant les ténèbres.
24 Ibid., p. 270 (références en note 31). Sénèque lui-même raille cette manie poétique chez un poète contemporain de Tibère, Montanus Julius, dans ses Lettres à Lucilius, XX, lettre 122, 11-13.
25 Sénèque, Apocoloquintose, IV, 3 : Vltima uox eius haec inter homines audita est, cum maiorem sonitum emisisset illa parte, qua facilius loquebatur : « Vae me ! puto, concacaui me. » Quod an fecerit nescio. Omnia certe concacauit. (« La dernière parole qu’on entendit de lui parmi les hommes, après le bruit énorme qu’il lâcha du côté où il s’exprimait plus facilement, fut celle-ci : “Ah ! misère, je me suis chié dessus, je crois.” Ce qu’il en était, je l’ignore. Mais il est vrai qu’il a chié sur tout. »)
26 Sénèque, Apocoloquintose, I, 1.
27 Ibid., I, 1-2.
28 Ibid., I, 2-3 : Tamen, si necesse fuerit auctorem producere, quaerito ab eo qui Drusillam euntem in caelum uidit : idem Claudium uidisse se dicet iter facientem « non passibus aequis ». Velit nolit, necesse est illi omnia uidere quae in caelo aguntur : Appiae Viae curator est, qua scis et diuum Augustum et Tiberium Caesarem ad deos isse. Hunc si interrogaueris, soli narrabit. Coram pluribus nunquam uerbum faciet : nam ex quo in senatu iurauit se Drusillam uidisse caelum ascendentem et illi pro tam bono nuntio nemo credidit, quod uiderit uerbis conceptis affirmauit se non indicaturum, etiam si in medio Foro hominem occisum uidisset. (« S’il est cependant nécessaire que je fournisse un répondant, adressez-vous à l’homme qui vit Drusilla aller au ciel. Il vous dira qu’il a vu Claude faire le même voyage “d’un pas inégal” [Virgile, Énéide, II, 724]. Qu’il le veuille ou non, il voit forcément tout ce qui se passe au ciel : il est curateur de la Voie Appienne, par où l’on sait que le divin Auguste et Tibère César ont passé pour aller chez les dieux. Si vous le questionnez, il parlera en tête à tête. En public, jamais il ne soufflera mot : car, depuis qu’il a juré devant le Sénat qu’il avait vu Drusilla monter au ciel et que, pour le payer d’une si bonne nouvelle, personne ne l’a cru, il a pris le solennel engagement de ne plus jamais révéler ce qu’il aurait vu, même s’il voyait un homme assassiné en plein forum. »)
29 Sénèque, Apocoloquintose, I, 3.
30 Voir aussi ibid., IX, 2, pour une autre affirmation ludique de fidélité aux faits parodiant l’écriture historique : le narrateur annonce qu’il ne rapporte pas (non refero) le discours de Janus, qui n’a pu être pris en notes par le sténographe, afin de ne pas substituer son style à celui de l’orateur – ce qu’il fait cependant dès la phrase suivante, tout d’abord au discours indirect, puis au discours direct (IX, 3). Ce passage est identifié comme la parodie d’un topos de l’écriture historique, celui du discours fictif, par Otto Weinreich, Senecas Apocolocyntosis, Berlin, Weidmann, 1923, p. 96-97 ; voir aussi J.C. Relihan, Ancient Menippean Satire, op. cit., p. 80, note 16, qui y voit un procédé de mise à distance ironique de la source supposée du narrateur.
31 Sénèque, Apocoloquintose, IV, 3 : voir supra note 25.
32 La dimension parodique est renforcée par la présence d’une « erreur » historique, relevée par J.C. Relihan, Ancient Menippean Satire, op. cit., p. 79 : Tibère n’a jamais reçu les honneurs de l’apothéose, comme le laisse penser le narrateur dans le prologue (I, 2, texte cité supra note 28).
33 J.C. Relihan, Ancient Menippean Satire, op. cit., p. 80, note que la parodie de l’histoire et de l’épopée dans le prologue de l’Apocoloquintose n’a pas une simple fonction humoristique ; elle participe à la présentation, comique et distanciée, du narrateur.
34 Sénèque, Apocoloquintose, I, 1.
35 Sénèque, Apocoloquintose, VII, 1 : Et, quo terribilior esset, tragicus fit (littéralement « il devient tragique »).
36 Sénèque, Apocoloquintose, IX, 1.
37 Sénèque, Apocoloquintose, VIII, 1 (le dieu inconnu) ; IX, 1 (Jupiter).
38 Sénèque, Apocoloquintose, IX, 1 ; X, 1 ; X, 2 ; X, 3 ; XI, 4. L’expression est utilisée une fois par Jupiter quand il rappelle les dieux à l’ordre et au respect des règles du Sénat, et les quatre autres fois par Auguste, dont le discours est le plus argumenté et le moins ridicule.
39 On relève notamment les expressions sententiam dicere (Sénèque, Apocoloquintose, IX, 1 ; IX, 3 ; X, 1) et interrogatur sententiam (IX, 2 ; IX, 4) ; voir aussi IX, 6 (deux occurrences), XI, 4 (associé à censeo), XI, 6.
40 Sénèque, Apocoloquintose, IX, 3 ; IX, 5 ; XI, 4. Voir aussi censet (IX, 4).
41 Sénèque, Apocoloquintose, IX, 3.
42 Ibid., IX, 1 : Tandem Ioui uenit in mentem, priuatis intra Curiam morantibus, nec sententiam dicere licere nec disputare. « Ego, inquit, P. C., interrogare uobis permiseram, uos mera mapalia fecistis. Volo ut seruetis disciplinam Curiae. » (« À la fin Jupiter s’avisa que, tant que des particuliers sont présents dans la Curie, on ne doit ni donner son avis ni débattre. “Pères Conscrits, dit-il, je vous avais permis de poser des questions, mais vous avez fait du pur gâchis. J’exige que vous observiez le règlement de la Curie.” »)
43 Sénèque, Apocoloquintose, XI, 6.
44 Voir ibid., IX, 2 (posture d’historien déjà évoquée supra note 30).
45 Ibid., XII, 3.
46 A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 402.
47 Pour une comparaison détaillée entre la naenia de l’Apocoloquintose et le modèle de la laudatio funebris, voir A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 409-412 ; elle analyse notamment (p. 410-411) comment le parcours de Claude sur terre, dans le récit de Sénèque, se superpose au parcours traditionnel de la pompa funebris dans Rome.
48 Sénèque, Apocoloquintose, IV, 1.
49 Procédé décrit et analysé par A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 469.
50 Sénèque, Apocoloquintose, XIV, 5-XV, 1.
51 A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 465.
52 Sénèque, Apocoloquintose, XV, 2.
53 Il s’agit de Caligula.
54 Sur les liens supposés entre l’Apocoloquintose et les Saturnales, voir A. Bonandini, Il contrasto menippeo…, op. cit., p. 31-43.
55 Voir supra note 1.