Chapitre 12. Réforme catholique et déchristianisation dans le sud du diocèse de Chartres1
XVIe–XVIIIe siècle
p. 187-189
Texte intégral
1La région de Blois a suscité depuis une vingtaine d’années des travaux de très bonne qualité, qu’il s’agisse des recherches d’Annie Cosperec sur la ville, de Marie-Claude Dinet-Lecomte sur l’assistance, de Marie-Thérèse Notter sur les ordres religieux féminins ou de Françoise de Person sur les voituriers par eau. Menée à bien, malgré de lourdes obligations professionnelles, « sans hâte ni recours » à l’instar du cheminement des pèlerins de la Virgo paritura, la thèse de Marc Bouyssou éclaire, pour les temps modernes, la vie religieuse du Blésois et du Vendômois, partie méridionale de l’ancien diocèse de Chartres. Ce travail est fondé sur une documentation considérable, notamment un corpus de plus de 2000 testaments. Il a été précédé par des recherches sur l’iconographie religieuse et sur l’espace sacré. En liaison avec l’équipe de Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, Marc Bouyssou a notamment travaillé sur les pouillés et la carte de Cassini, relevant en particulier l’importance des « bons saints » (c’est-à-dire des saints efficaces) comme patrons secondaires. Cet ensemble de recherches – séries de titulatures, séries iconographiques, séries testamentaires – présente une grande unité dans une problématique d’ensemble largement inspirée du séminaire d’Alphonse Dupront.
2L’ensemble des testaments étudiés provient des archives paroissiales, complétées par des sondages dans les minutes notariales. On teste beaucoup moins en Blésois et Vendômois, où la dévolution des biens est réglée par la coutume, que dans les pays de droit écrit où le testament s’impose à tous en raison de l’institution d’héritier. Il est d’autant plus intéressant de constater que le testament qui est ici un acte surtout religieux est souvent – près de la moitié du corpus – le fait de paysans, beaucoup plus forte proportion qu’en Bretagne, par exemple. L’apogée du flux testamentaire se situe au xviie siècle puis recule au xviiie siècle, époque où diminue également la part des testateurs sachant signer ce qui traduit le détachement des plus instruits à l’égard des fondations.
3Le discours testamentaire est l’objet d’analyses très précises, traduites en tableaux et graphiques correspondant aux séquences principales. Il en ressort qu’au xviie siècle une religion de la gloire s’efface au profit de conceptions plus doloristes et plus individualistes : en effet, « Dieu créateur » cède la place à « Dieu père » tandis que Jésus-Christ est de plus en plus mentionné et que la Vierge « glorieuse » devient « bienheureuse ». Au xviiie siècle, la référence christique s’efface, surtout, curieusement, dans les testaments passés pardevant les curés. Il y a là un mystère sur lequel il convenait de s’interroger avec prudence comme le fait Marc Bouyssou qui rappelle opportunément à ce propos la violence des controverses jansénistes dans la région, notamment les affrontements entre le Père Brisacier et Callaghan, le curé augustinien de Cour-Cheverny. Éliminer la formule « Jésus-Christ notre sauveur et rédempteur » est, peut-être, un ralliement implicite à la position janséniste pour qui il est « semi-pélagien de dire que le Christ est mort pour tous les hommes ».
4Concernant les inhumations, un contraste se marque entre le Blésois et le Vendômois. Le choix du cimetière supplante plus vite, dans la région blésoise, l’élection de sépulture dans l’église paroissiale. Le Vendômois reste plus traditionnel, fidèle aux enterrements dans les édifices cultuels, traduisant un besoin plus grand de participation aux sacralités ecclésiales. Même dimorphisme à propos des demandes de messe ou des dons aux fabriques paroissiales ou aux diverses « boîtes » qui connaissent un essor, suivi d’un décrochement plus précoce en Blésois (vers 1660) qu’en Vendômois (vers 1700). Les confréries, aussi bien traditionnelles (Saint-Jacques, Saint-Sébastien) que celles encouragées par la Réforme catholique (Saint-Sacrement, Rosaire) sont victimes d’un net déclin au xviiie siècle.
5Ici se pose un problème important : la possibilité d’un certain détachement du religieux voire d’un début de déchristianisation, même en milieu rural, avant la Révolution française. Ce problème, Marc Bouyssou l’aborde avec une prudence qui exclut toute prévention et tout fanatisme. Étudiant, naguère, les visites pastorales du diocèse de Chartres au xviie siècle, j’avais rencontré, d’une part, le rigorisme brutal d’un clergé renouvelé à l’égard de certaines manifestations de la dévotion populaire, d’autre part, des attitudes de refus ou d’opposition de la part des paroissiens. Cela m’avait conduit à me demander si ce n’était pas au sein de la Réforme catholique que s’étaient préparés les détachements ultérieurs. L’idéal tridentin de différenciation des clercs pouvait aboutir à faire d’eux des étrangers. Les conclusions de Marc Bouyssou renforcent cette hypothèse qui ne correspond évidemment pas à toutes les régions. La greffe tridentine a pris dans certaines provinces : en Bas-Languedoc, en Bretagne (sauf le Tregorrois) ou en Flandre par exemple. Elle a suscité, par contre, un rejet dans d’autres secteurs : ainsi, dans le Limousin ou en Touraine. De même, les archidiaconés qui ont constitué, en 1697, l’essentiel du diocèse de Blois ont connu un échec global de la pastorale tridentine. Même en Vendômois où il y a eu une majorité de curés réfractaires, la pratique s’est effondrée après la Révolution. Comme Georges Minois pour la région de Tréguier, Marc Bouyssou constate un « glissement vers l’indifférence religieuse » masqué longtemps par l’unanimisme d’une pratique contrainte. Cette thèse montre qu’il serait inexact ou tendancieux de faire de la France du xviiie siècle un pays où s’épanouirait partout l’œuvre pastorale du siècle précédent. Il s’agit, en fait, d’une histoire nécessairement plurielle.
Notes de bas de page
1 Préface de la thèse de Marc Bouyssou, thèse soutenue à l’université de Tours en 1995 et publiée en 1998 par la Société archéologique d’Eure-et-Loir, Chartres, 1998.
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