Chapitre 11. Dévotions anciennes et nouvelles au XVIIIe siècle
À propos de l’état des processions de Saint-Martin de Ligueil en 1777
p. 173-185
Texte intégral
1Le 16 mai 1777, le curé de Ligueil, Corneille Clou, adressa au doyen de Saint-Martin de Tours, seigneur du lieu, un état des processions de sa paroisse, en le priant de le transmettre à l’archevêque qui avait entrepris une « réforme générale des processions ». La lettre d’envoi, l’état lui-même et les décisions de l’ordinaire inscrites à sa suite, le 25 juillet, constituent de bons documents sur les rapports entre la mentalité de clercs formés au moule de la réforme tridentine et les pratiques religieuses du peuple chrétien1. Ces textes sont un témoignage des efforts poursuivis, pendant toute la période moderne et au-delà, par un clergé soucieux d’épurer le culte des saints, au point de vue doctrinal, en luttant contre les superstitions et au point de vue moral, en combattant les comportements jugés répréhensibles, liés à ces cultes. À ce dernier point de vue, les processions sont particulièrement suspectes par les beuveries, les rixes, les débordements sexuels qui parfois les accompagnent2. La Réforme catholique a hérité, à certains égards, de la défiance de la Devotio moderna et des protestants à l’endroit de l’errance pieuse. Triomphe de la religion stable dans le cadre paroissial de la pratique régulière, rigorisme moral, recul de l’eschatologie, volonté de promouvoir un nouveau type de chrétiens, ces aspects sont bien connus. Les perspectives d’ensemble ont été tracées tant par les travaux de Jean Delumeau sur la « lutte (des réformateurs catholiques) contre une mentalité païenne » que par l’enquête d’anthropologie religieuse d’Alphonse Dupront étudiant les prolongements contemporains d’un combat douteux où la dévotion aux « bons saints » l’a parfois emporté sur la religion du curé3.
2Pour nous en tenir à l’époque moderne et à la Touraine, nous constatons que, en matière de processions, les statuts synodaux depuis la fin du xvie siècle, s’efforcent d’établir un certain ordre par la proscription des déplacements de plus d’une lieue, la séparation des sexes et le retour en rang afin que ces cérémonies ne se transforment, comme le disait l’archevêque Victor Le Bouthillier, en « parties de promenades criminelles4 ». C’est dans cette ligne pastorale austère que s’inscrit le désir de Mgr de Conzié de s’informer de l’état au vrai des processions de son diocèse, son interdiction d’en mener hors de la paroisse et sa décision de renvoyer au dimanche dans l’octave celles organisées en l’honneur des saints5. La réponse du curé de Ligueil nous donne non seulement un répertoire de pratiques cultuelles mais une série de jugements sur ces pratiques. C’est à ces deux niveaux populaire et clérical que nous devons brièvement analyser son témoignage.
Les processions de Ligueil
3Sous neuf rubriques, le curé Clou dénombre les processions qui sont d’usage particulier à sa paroisse. Il ne tient pas compte de celles qui sont communes à toute l’Église, qu’il mentionne incidemment6. Il ressort de ce répertoire et de ces mentions qu’on processionnait beaucoup à Ligueil : une trentaine de ces cortèges sont évoqués. Les deux tiers ont lieu au printemps ou en été. Près de la moitié sont liés au culte du Christ, les autres sont destinés à honorer la Vierge et les saints.
Processions christologiques
4À quatorze reprises se déroulaient des processions en l’honneur du Saint Sacrement. Il s’agit là d’une dévotion ranimée, presque recréée par la Réforme catholique7 et, dans le diocèse de Tours, développée au xviiie siècle par les archevêques pour lutter contre les influences jansénistes. Aux cortèges solennels de la Fête-Dieu et de son octave, s’ajoutait, tous les premiers dimanches du mois, une procession organisée par la confrérie du Saint Sacrement érigée, dans la paroisse, quarante ans au plus tôt par l’archevêque Jacques Chapt de Rastignac.
5Camille Clou ne parle pas de la participation populaire à ces manifestations pas plus qu’aux trois processions d’actions de grâces après la fête de Pâques (lundi, mardi de Pâques, et dimanche de Quasimodo). D’autres documents conservés dans la liasse « Processions et messes » attestent l’affluence à celle de la Fête-Dieu dont l’itinéraire est changé afin de faciliter le croisement des participants allant à la chapelle Sainte-Anne, dans les faubourgs de Ligueil, et en revenant8.
Notre-Dame-des-Anges
6La foule se rend également très nombreuse, le 15 août, à la chapelle de Notre-Dame-des-Anges, à un quart de lieue de Ligueil, puisqu’elle est « trop petite pour contenir tout le monde quoique plus grande en elle-même que beaucoup d’églises paroissiales ». Le succès connu au siècle précédent par ce sanctuaire où s’étaient multipliés les miracles « attestez par la commune croyance du peuple et des plus signalez de tout le pays9 », se maintient donc au xviiie siècle. Les paroissiens y tiennent beaucoup : « le jour de l’Assomption… occasionnera de violents murmures si les processions en sont supprimées » écrit le curé au doyen de Saint-Martin. Son mémoire est assez précis au sujet de cette solennité d’un type fort différent des processions du Saint Sacrement :
Le jour de l’Assomption de la Sainte Vierge on va après la sainte messe, c’est-à-dire après six heures, processionnellement à ND des Anges, dont cette fête est patronale. On y dit beaucoup d’évangiles jusque vers onze heures, alors on y chante la grande messe de la paroisse… Après la messe on revient et, à l’heure d’usage, on dit les vespres à l’église paroissiale, après quoy, on repart en procession en chantant complies, des hymnes et répons pour cette meme chapelle ND des Anges pour y accomplir le vœu de Louis XIII […] on revient en chantant les litanies de la Ste Vierge […] À la procession du matin tout se passe décemment mais, à raison d’une forte assemblée, qui tient autour de la chapelle à ce jour de l’assomption, il se fait confusion vers le terme de la grand-messe […] À la procession du soir, il se trouve peu de monde et encore moins au retour, à raison de l’assemblée qui ne finit qu’au coucher du soleil, néanmoins elle se fait décemment, la justice y vient en robe de palais comme pour vœu du roy, l’Hostel de ville s’y trouve aussi en corps et ce sont ces deux corps qui en font le plus grand nombre en revenant, le reste s’arreste aux cabarets et marchands.
7Deux aspects intéressants dans ce texte : la lecture des évangiles et l’assemblée. Le premier, trait de mentalité magique et rite qui s’est maintenu jusqu’à nos jours, consiste dans l’agenouillement du fidèle devant le prêtre qui, après avoir posé son étole sur son front, récite un évangile à son intention10. Le fidèle dépose ensuite une offrande et, signe de la vitalité de cette pratique, le curé écrit au doyen de Saint-Martin qu’elle lui rapporte « environ 50 livres d’honoraires » (à titre de référence, rappelons que les salaires journaliers ne dépassent guère 20 sous à la même époque).
8Quant à l’assemblée, cause de « confusion » et de « tumulte » selon le curé, ce sont les jeux et divertissements qui doublent la fête religieuse. La joie populaire se manifeste aussi par la fréquentation des établissement des cabaretiers que, dans une vision quelque peu marquée d’esprit tridentin, G. Le Bras appelait « ennemis professionnels du curé11 ».
Les « bons » saints
9Cette dévotion à Notre-Dame-des-Anges et les miracles qu’en attendent ses fidèles concernent un tout autre type de comportement religieux populaire que les dévotions christologiques dont les processions du Saint Sacrement sont le modèle. Nous atteignons ici au culte des « bons saints », c’est-à-dire des saints efficaces, capables de protéger les hommes, leur santé, leurs bestiaux ou leurs récoltes et éventuellement nuisibles si on ne les honore pas comme il convient12. Les trois dernières processions mentionnées par le curé de Ligueil entrent dans cette catégorie : si le 25 mai, jour de saint Urbain pape, le clergé et les fidèles font solennellement, à cinq heures du matin, le tour de l’enceinte de la ville en chantant les litanies des saints, ce n’est certes pas une manifestation d’ultramontanisme, mais une pratique conjuratoire. En effet le curé, après consultation des « plus anciens du pays », a appris qu’on en attribuait l’établissement à un vœu, consécutif à un orage de grêle survenu le jour de saint Urbain13.
10Même circumambulation, le 14 août, fête de saint Roch. Le saint montpelliérain thérapeute de la peste et concurrent efficace de saint Sébastien14 est ainsi honoré depuis une épidémie meurtrière.
11Enfin saint Laurent dont on promène solennellement le 10 août une relique – le curé se donne d’ailleurs beaucoup de mal pour en prouver l’authenticité –, est également un bon saint, invoqué en raison du caractère de son martyre, contre les flammes éternelles mais aussi contre les irritations de la peau et les boutons à la figure (mal de saint Laurent15).
Clergé et procession
12De l’attitude adoptée par le curé à l’égard de ces différentes manifestations, notons d’abord, sans surprise, qu’il souhaite le maintien des processions du Saint Sacrement. Il est, par contre, très embarrassé par la fête du 15 août à Notre-Dame-des-Anges. La coexistence normale pour le peuple chrétien, des réjouissances profanes et sacrées, était éminemment suspecte aux réformateurs catholiques qui y voyaient surtout une occasion de péché16. À leur suite, Corneille Clou, dont le leitmotiv tout au long de son mémoire est « tout se passe décemment », déplore la « confusion » qui s’établit ce jour-là et se dit même résigné à perdre ses honoraires d’évangiles : « j’en fais volontiers le sacrifice à cause du tumulte », écrit-il au doyen. Mais dans le mémoire destiné à l’archevêque, il exprime la conviction que la suppression de la procession n’entraînerait pas la disparition de l’assemblée et la crainte que, par suite, les fidèles ne manquent la messe.
13Les décisions de l’ordinaire tiennent compte, dans une certaine mesure, de cette pastorale tolérante en conservant non seulement les processions du Saint Sacrement et celles d’après Pâques mais celles du 15 août malgré l’assemblée. Saint Urbain, saint Roch et saint Laurent devaient être les victimes de la remise en ordre archiépiscopale : ces processions sont renvoyées au dimanche. Et pourtant le curé s’était efforcé de plaider la cause de saint Laurent dont le transfert au dimanche risquait de refroidir la piété envers le patron secondaire de la paroisse.
14Que conclure de ces documents au titre de l’acculturation religion cléricale – religion populaire ? D’abord, une diffusion tardive mais apparemment efficace du culte du Saint Sacrement et un maintien des anciens cultes guérisseurs ou protecteurs de l’agriculture. Ensuite, une participation nombreuse, semble-t-il, des paroissiens à ces cérémonies. Le seul indice de tiédeur que le curé dénonce au doyen en lui demandant d’intervenir, concerne les officiers de ce doyen-seigneur de Ligueil qui s’abstiennent parfois de venir aux processions aux jours d’usage (Chandeleur, Fête-Dieu, Assomption) ou – ce que le curé juge pire –, y viennent sans robe, mêlés au peuple. Enfin, le refus populaire des dissociations opérées par les « nouveaux prêtres » posttridentins se traduit par la persistance indestructible, avec le culte de la puissante Notre-Dame-des-Anges, de la joyeuse assemblée du 15 août.
Annexe
Pièces justificatives
Lettre du curé Corneille Clou au doyen de Saint-Martin de Tours
Monsieur,
Monseigneur ayant demandé par son ordonnance du 15 mars dernier concernant la réforme générale des processions, un état de toutes celles d’usage dans les paroisses, outre celles établies par l’église, ayant d’ailleurs provisoirement remis toutes celles qui se font en l’honneur de quelque St. au dimanche d’après la feste après vespres, par cette même ordonnance générale, je prends la liberté de vous adresser cet état comme j’eus l’honneur de vous en parler à mon dernier voyage, et de vous prier de vouloir bien le présenter à Mgr. À raison surtout de la procession du jour de saint Laurent 10 du mois d’août et même de le signer si vous le jugez à propos. Il serait difficile par rapport à vos droits, de la transférer ; ceux qui sont tenus de s’y trouver ny étant tenus que pour le 10. d’aoust aux termes des traités faits par vos prédécesseurs, autorisés d’arrest du conseil dont on fait la mention tous les ans dans les procès-verbaux que dressent vos officiers au jour de cette feste ne pourroient selon toute apparence y être contraints à autre jour, et par la vos cessions deviendroient à pure perte17. La relique sans être autentiquement reconnue a tout en sa faveur, la vénération publique depuis qu’elle existe dans le pays, la beauté et la richesse du buste qu’on a fait faire pour la renfermer, les précautions qu’on a toujours prises pour la garder non seulement le jour de la fête qu’elle sort, mais toujours, moyennant une forte grille de fer fermant à deux serrures et clefs différentes, la servitude de vos vassaux, et des seigneurs de fief dans toute votre baronnie pour cette garde au jour de la feste, l’arrest du conseil qui vous autorise à exiger cette servitude, sont, quoique preuves négatives, une espèce de conviction que la relique a de tout tems été reconnu vraye. On n’eut pas tant fait sans aucune preuve, et si nous n’en avons aujourd’huy aucuns procès-verbaux, c’est sûrement qu’ils ont été soustraits lors de la translation de cette relique de l’église Saint Laurent en la nôtre, dont nous ignorons l’époque, ce qu’on pourroit trouver ou au thrésor de votre eglise ou plutot en celuy de Beaumont qui a eu les revenus de cette église de Saint Laurent par réunion ou bien c’est qu’ils ont été pilléz lorsqu’anciennement on tenta à nous enlever le buste et sa relique ; rapt dont on ne scait pas l’époque aussi mais qui a donné lieu selon toutes les apparences à la garde renforcée et aux précautions qu’on prend depuis plus de deux cents ans pour sa conservation. Je vous supplie en conséquence ainsi que mes fabriciers et habitans, tant pour notre dévotion particulière que pour vos intérêts particulièrement, d’obtenir de Mg r une ordonnance, ou au moins permission dérogatoire à son ordonnance du 15 mars dernier, tant pour cette feste, procession et exposition de relique de Saint Laurent suivant l’ancien usage que pour les processions, des premiers dimanches du mois et du dimanche dans l’octave de la feste dieu en faveur de la confrairie erigée icy par Mgr de Rastignac. Quant aux autres processions nous suivrons volontiers l’ordonnance du 15 de mars. Le jour de l’assomption néanmoins occasionnera de violents murmures si les processions en sont supprimées au matin et au soir, – mais qu’y faire si Mgr ne les juge pas à propos, on laissera murmurer sans répondre. J’y perdray environ 50 l. d’évangiles ce jour-là, mais j’en fais volontiers le sacrifice à raison du tumulte et de la confusion qu’on y a. D’ailleurs pendant quelques années on pourrait y aller sans procession y dire la messe paroissiale comme à l’ordinaire pour maintenir le droit, et peut-être les murmures cessés, on cesseroit d’y aller, au risque de continuer si les murmures ne pouvoient cesser que par là. Je laisse cette cause entre vos mains comme vous m’avez fait l’honneur de me promettre de vous en donner la peine ; elle sera d’ailleurs défendue d’un fort apuy par vous et notre suplique plus sure d’obtenir son effet,
j’ay l’honneur d’être avec un profond respect, Monsieur, Votre très humble et très obeissant serviteur. Clou, curé de Ligueil.
16 may 1777
État des processions
État des processions qu’on est dans l’usage de faire en la paroisse de St-Martin de la ville de Ligueil, dans le cours de l’année, outre celles de St Marc, des rogations, de la feste dieu et son octave.
Le lundy de Pasques, on va processionnellement, en chantant les complies, à une petite chapelle ou oratoire dédiée à Ste Anne (mais où on n’a jamais dit la messe, on ne scait même si elle a été bénite on n’y fait aucun exercice public que celuy cy). En y arrivant on y chante l’antienne, les versets répons et oraison propres de la Ste et on revient chantant le chant joyeux de pasques, qu’on termine au retour à l’église par les versets répons et oraison du jour. Cette procession est d’un bon quart d’heure, cette chapelle étant dans un des faux bourgs à cent cinquante par environ de l’église paroissiale. Très ancien usage, par dévotion, sans autorization. Tout s’y passe avec piété et décence.
Le mardy de pasques après complies, on fait processionnellement le tour de l’église en dehors, chantant le chant joyeux de pasques qu’on termine en rentrant comme le jour précédent.
Usage fort ancien sans autorization. Tout s’y passe décemment.
Le jour de la quasimodo après vespres on va processionnellement chantant complies, et ensuite des hymnes ou répons autant que le tems l’exige à une chapelle sous l’invocation de ND des Anges, dépendante de cette paroisse distante de la ville d’un demi quart de lieue. On y fait station par une antienne, les versets répons et oraison de la Ste Vierge, et on revient chantant les litanies de la Ste Vierge, qu’on termine au retour à l’église par le te deum avec les versets répons et oraisons pro gratiarum actione.
Très ancien usage de dévotion seulement en actions de grâces de la closture des pasques. Sans autorization. Tout s’y passe décemment. Cette procession dure en total environ une heure.
Le jour de St Urbain 25 de may (ou le jour que l’église fait la feste de ce saint si elle est remise) on fait à cinq heures du matin une procession chantant les litanies des Sts autour de la ville en dehors, ce qui exige environ demie-heure, puis en rentrant à l’église on dit une messe basse.
Très ancien usage, établi dit-on, par devotion, en forme de vœu, pour obtenir des bénédictions de Dieu sur les récoltes qui essuyèrent à pareil jour une violente gresle, ce qui donna lieu à cet usage dont les plus anciens du pays ne connaissent pas l’époque. Tout s’y passe très bien.
Le jour de l’assomption de la Ste Vierge on va après la Ste messe, c’est à dire après six heures, processionnellement à N. D. des Anges cy dessus dont cette feste est patronnalle. On y dit beaucoup d’evangilles jusque vers onze heures, alors on y chante la grande messe de paroisse, a laquelle on fait les publications qui peuvent se trouver. Après la messe, on revient et à l’heure d’usage on dit les vespres à l’église paroissiale, après quoy on repart en procession en chantant complies, des hymnes et répons, pour cette meme chapelle de N. D des Anges pour y accomplir le vœu de Louïs 13. Après les prières du voeu du roy on y acquitte une fondation qui consiste en vespres des morts puis on revient chantant les litanies de la Ste Vierge, qu’on termine au retour à l’église par les versets répons et oraison du jour. Usage très ancien, il en est fait mention dans un acte d’érection en titre de bénéfice d’un des autels collatéraux de la ditte chapelle par Mgr Isoré d’Hervault en 1704, dans lequel acte les droits du curé de Ligueil sont relatés et conservés en entier sur cette chapelle, principallement les jours de l’assomption, nativité, conception et purification de la Ste Vierge jours auxquels on y va en procession avec deffenses au chapelain d’y faire aucun autre exercice que ses fondations à voix basse, et à son autel seulement, d’y faire meme de l’eau bénite s’il en manque sans le consentement du curé. Il paroit qu’on a toujours été dans l’intention de conserver les droits curiaux sur cette chapelle, ce qui a donné lieu à continuer d’y dire la messe paroissiale le jour de la feste principalle, on y chante meme dès la veille les premières vespres et les matines, mais on ny va pas pour cela processionnellement.
À la procession du matin tout se passe decemment, mais à raison d’une forte assemblée qui tient autour de la chapelle à ce jour de l’assomption il se fait confusion vers le temps de la grand-messe, la chapelle estant trop petite pour contenir tout le monde (quoique plus grande en elle-même que beaucoup d’églises paroissiales) ce qui fait que plusieurs n’entendent la messe que du dehors et sans beaucoup de dévotion. Quoique cette procession et grand messe fussent bonnes à supprimer à cause du tumulte, il seroit fort à craindre que si l’assemblée subsistoit, beaucoup ne la quitteroient pas et perdroient la messe ne voulant pas revenir l’entendre à la paroisse.
À la procession du soir il se trouve peu de monde, et moins encore au retour à raison de l’assemblée qui ne finit qu’au coucher du soleil, – néanmoins elle se fait decemment, la justice y vient en robe de palais comme pour voeu du roy, l’hostel de ville s’y trouve aussi en corps, et ce sont ces deux corps avec le clergé qui en font le plus grand nombre en revenant ; le reste s’arreste aux cabarets et marchands.
Le lendemain de l’assomption 16 août feste de St Roch on fait à cinq heures du matin une procession et au retour une messe basse, semblable à celle de St Urbain, 25 may. Elle se fait fort décemment. Très ancien usage, establi dit on dans une année de maladie épidémique qui enleva beaucoup d’habitans, on ne trouve aucune note de son établissement ny autorization.
Tous les premiers dimanches de chaque mois on fait une procession après vespres autour des murs de l’église en dehors quand il fait beau, et en dedans s’il pleut, à laquelle on porte sous le dais le St Ciboire. Tout s’y passe très décemment.
Usage établi en 1737 en faveur d’une confrérie du St Sacrement érigée cette mesme année en cette paroisse, confirmée et approuvée le 4 de décembre de la mesme année par Mgr de Rastignac, qui en examina les statuts et les aprouva, au nombre desquels se trouve l’assistance à la procession du St Sacrement aux 1o dimanches du mois, signés en fin Louis Jacques archevêque de Tours, munis de son sceau.
Cette confrairie, quoique sans lettres patentes, se conduit asses bien. Elle est dirigée par le curé, un prévôt ou fabricier pour les hommes et une fabricière pour les femmes.
Le dimanche dans l’octave de la feste-dieu on fait après vespres une procession solennelle comme celle de la feste en faveur de la susditte confrairie. Elle fait un petit tour d’environ demie heure allant très lentement, en ville seulement, la police fait tendre les rues par lesquelles elle passe, comme au jour de la feste, la justice et l’hostel de ville s’y trouve aussi comme à la feste-dieu. Et tous les confrères des deux sexes avec leurs cierges. Usage aussi de 1737, autorisé.
Le jour de St Laurent le 10 d’août second patron de cette paroisse, feste non chommée si ce n’est à l’église seulement, on fait depuis plus de deux cents ans une procession solemnelle. Dans la ville seulement, d’environ demie heure en tout à laquelle on porte les reliques du St enfermées dans un buste de vermeil, fort beau et grand (ce sont des prêtres ou au moins des ecclésiastiques dans les ordres sacrés qui le portent revestu de tunique et dalmatique). En rentrant à l’église on expose le St Sacrement et on chante une grand-messe solemnelle après laquelle on serre le St Sacrement qu’on réexpose pour et pendant les vespres, – à la suitte de quoy le salut et la bénédiction, le tout se passe très décemment.
On n’a icy il est vrai aucun procès-verbaux pour l’autenticité de cette relique, mais la beauté, la richesse du buste qui l’enferme, son antiquité ne permettent pas aisément de penser qu’on l’ait doutée apocryphe. L’antiquité de l’épocque de cette procession, avant laquelle on dresse des procès-verbaux des presens ou absens parmy les habitans tenus de s’y trouver sous peine d’amende, ainsy que tous les seigneurs de fief dans l’étendue de cette baronie, par eux mêmes ou par représentants, sous peine aussi de forte amende pour faire la garde, etant sous les armes autour de la relique, les droits cédés en conséquence de cette servitude ausdits seigneurs de fief par M. le doyen de St Martin de Tours seigneur baron de cette ville et paroisse autorisé par un arrest du conseil pour cette cession aux charges de la garde de St Laurent depuis le 9 d’aoust aux premières vespres, jusqu’aux secondes inclusivement jour de la feste 10 d’aoust, et notamment pendant la procession qui se fait au matin de la ditte feste à laquelle se portent lesdites reliques, sous peine de perdre les droits cédés par M. le baron et en outre d’amende à son profit tout, en un mot, sinon preuve complette, annonce qu’on a toujours regardé cette relique véritable. Aussi nos seigneurs, de Camilly, de Rastignac et de Fleury en ont toujours laissé faire l’exposition et la procession, et l’ont permis verballement n’ayant aucun titre assès clair pour le faire par écrit. M. de la Prunarède actuellement seigneur de cette paroisse, étant avec Mgr de Fleury lors de ses visites, scait que ce prélat a donné les permissions.
Monseigneur est supplié humblement de statuer sur toutes les processions mais sa grandeur est speciallement suppliée de laisser subsister au moins celles des premiers dimanches du mois, celle du dimanche dans l’octave de la feste dieu et celle de St Laurent au jour de la fest du 10 d’aoust. Le dérangement de cette dernière mise au dimanche d’après, selon l’ordonnance de sa grandeur du 15 mars dernier, refroidiroit beaucoup la piété envers le second patron et pourroit porter préjudice au seigneur de cette paroisse qui aux termes de l’arrest du conseil et des traités faits, peut forcer à l’assistance de cette procession pour le 10 mais ne le pourroit pour autre jour, ny rendre sujets à aucune amende en cas de refus, ce qui luy feroit perdre des droits concédés sans aucun dedommagement.
On supplie aussy sa grandeur de permettre non seulement qu’on porte la relique de St Laurent suivant l’usage, mais aussi qu’on l’expose aux yeux et à la dévotion des fidèles, à travers la grille de fer qui renferme le buste, comme on l’a toujours fait, les festes annuelles et solemnelles majeures de l’année ; cette grille fermée à deux serrures et deux clefs différentes, dont une reste entre les mains du curé et l’autre entre celles du fabricier en exercice qui la transmet à son successeur à la fin de son année.
Comme aussi d’autoriser de celebrer cette feste le meme jour 10 d’aoust à l’église seulement avec la meme solemnité que jusqu’à ce jour on l’a célébrée, au cas que les festes des patrons soient par la suitte remises au dimanche, pour les memes raisons que des autres parts. Quant aux autres processions et usages de ce present état, sa grandeur statuera, ce qu’elle jugera convenable, on se conformera à sa décision, et jusques là à son ordonnance du 15 mars dernier.
Clou, curé de Ligueil.
A. Biard, fabricier.
Biard-Veron, fabricier.
Soit communiqué au Sr. Promoteur général de notre diocèse
Décisions de l’ordinaire
Vu par nous promoteur du diocèse de Tours le présent état des processions établies dans l’église et paroisse de Ligueil, en ce diocèse, je requieres que conformément à l’ordonnance générale rendue le 15 mars dernier par Monseigneur l’archevesque de Tours, sur le fait des processions et sans y déroger, que la procession du lundy de Pasques se fasse seulement autour de l’église en dehors conformément à celle qui se fait le lendement mardy, que celle du jour de Quasimodo soit conservée pour être faite, après vespres ainsi qu’il a toujours été observé, en l’église et chapelle de Notre Dames des anges ainsi que la procession du jour de l’assomption, qu’à l’égard des processions des jours de St Urbain et de St Roch, elles soient renvoyées au dimanche suivant les festes desdits saints pour estre exécutées conformément à notre ordonnance générale, à l’effet de quoy les paroissiens seront avertis au prosne du jour où les processions se feront y attirer un plus grand concours : qu’en ce qui touche la procession qui se fait le jour de St Laurent elle soit aussi renvoyée au dimanche qui la précédera, et afin qu’elle soit fait dans les formes ordinaires, elle sera annoncée au prosne du dimanche précédent celuy où elle devra estre faite, qu’enfin les processions des premiers dimanches du mois et du dimanche dans l’octave du St Sacrement continueront de se faire par le passé.
À Tours, le vingt cinq juillet 1777.
Signé : Daprement, promoteur.
Soit fait Fr. archevêque de Tours [Mgr François de Conzié 1775-1791]
Notes de bas de page
1 Dossier « Processions et messes », Arch. dép. d’Indre-et-Loire G 18. Clou était curé depuis 1770. Il prêta le serment constitutionnel en 1791, J.-X. Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique, historique et biographique d'Indre-et-Loire, tome 4, p. 64.
2 Sauvageon, prieur de Sennely, en Sologne, au début du xviiie siècle, se reprochait d'avoir toléré ce qu'il appelle « les impietez d'un certain homme qui ne portait jamais la croix qu'estant yvre et qui, par ses démarches tortues et ses chansons bachiques, faisait rire les fous et gémir les sages », cité par B. Edeine, La Sologne, tome 2, Paris-La Haye, Mouton, 1974, p. 712. Sur les ripailles, les rixes ou la « dissipation » des processionnaires, cf. J. Ferté, La Vie religieuse dans les campagnes parisiennes, 1622-1695, Paris, Vrin, 1962, p. 337-338 et p. 360 ; R. Sauzet, Les Visites pastorales dans le diocèse de Chartres pendant la première moitié du xviie siècle, 4e partie V, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1975 ; J.-L. Flandrin, Les Amours paysannes, xvie-xviie siècles, Paris, Gallimard, 1975, p. 116.
3 J. Delumeau, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, PUF, 1971, p. 358 sq. ; A. Dupront, « De la doléance politique au pèlerinage panique », dans Niveaux de culture et groupes sociaux, Paris, Mouton, 1967, p. 144-170.
4 Cf. J. Maan, Sancta et metropolitana ecclesia Turonensis, Tours, s. n., 1667 ; Le Bouthillier, Ordonnances synodales, Tours, s. n., 1670, VI.
5 Au titre des continuités, notons que, dans la préface de son Processionnal, Conzie reprend l'exhortation du Concile provincial de Tours, en 1583, de « devote et modeste procedere », Processionale Turonense, Paris, 1784.
6 Cf. le titre de son État des processions : « outre celles de St Marc, des Rogations, de la Feste Dieu et son Octave » et, au titre 5, allusions aux processions de la Conception, Nativité et Purification de la Vierge.
7 J. Lebrun, dans Histoire spirituelle de la France, Paris, Beauchesne, 1964, p. 266 ; J. Delumeau, op. cit., p. 284 ; J. Ferté, op. cit., p. 365 sq.
8 Mémoire sur la procession du Saint Sacrement et contestations avec le sieur Biard sur les terres de qui passe le nouvel itinéraire (1777), Arch. dép. G 18.
9 Lettre d'Amiraut, intendant de la terre d'Argenson, au cardinal Richelieu, le 27 septembre 1623 citée par H.-J. Moussé, Le culte de Notre Dame en Touraine, 1915, p. 408. Fondation à « la chapelle de la bonne des Anges » en 1594, mentionnée par J. Rougé, « La baronnie de Ligueil de 1580 à 1780 d'après les registres paroissiaux », Mémoires de la Société archéologique de Touraine, 1909, p. 236. Fondation de messes à N.-D.-des-Anges (1652-1725)… dans titres de la fabrique de Ligueil, Arch. dép. G 852.
10 Sur « l'univers du magisme », cf. J. Delumeau, op. cit., p. 237 sq. Sur la pratique de la récitation des évangiles, cf. M.-V. Lemeur, « Le culte des saints dans le diocèse de Blois aux environs de 1840 », dans Cahiers de l'Institut Presse-Opinion no 2, Tours, 1974, p. 31.
11 Études de sociologie religieuse, 1955, tome 1, p. 46 et 53.
12 Cf. J. Delumeau, op. cit., p. 246 ; R. Lecotte, « Recherches sur les cultes populaires dans l'actuel diocèse de Meaux », Mémoires de la Fédération Folklorique d'Ile-de-France, tome 4, 1953, p. 255 ; M. Leproux, Dévotions et saints guérisseurs. Contribution au folklore charentais, Paris, PUF, 1957, p. 76 sq. ; B. Edeine, La Sologne, op. cit., p. 706-770.
13 Saint Urbain pape a un caractère de saint agraire par confusion avec saint Urbain de Langres, patron des vignerons, L. Reau, Iconographie de l'art chrétien, Paris, PUF, 1959, tome 3 (3), p. 1293-1294.
14 B. Edeine, op. cit., p. 763 ; M.-F. Rose, Le décor des églises de Touraine au xviie siècle, rétables et tabernacles, DES, Tours, 1969, p. 159.
15 L. Reau, op. cit., tome 3 (2), 1958, p. 787-793.
16 Cf. la lutte de Bourdoise contre les foires aux jours de fêtes religieuses, dans P. Descourveaux, La vie de M. Bourdoise, Paris, François Fournier, 1714, p. 39, 75, 331.
17 Sur la garde de la relique, imposée aux seigneurs de la baronnie et à une centaine d'habitants de Ligueil, cf. J. X. Carré de Busserolle, Dictionnaire géographique, historique et biographique d'Indre-et-Loire et de l'ancienne province de Touraine, Tours, Rouillé, 1879, tome 4, p. 70. À la mi-xviiie siècle, il y a une moitié de défaillants à ce service qui se prolongeait depuis les vêpres de la vigile jusqu'à celles de la fête du saint.
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