Chapitre 6. Discours et réalité de la conversion François de Pedoue, chanoine de Chartres (1603-1667)
p. 113-126
Texte intégral
1La conversion, exigence centrale de l’Évangile, constante de l’histoire de la religion chrétienne de saint Paul à saint Augustin, de saint François d’Assise à saint Ignace de Loyola, est particulièrement caractéristique du temps de la Réforme catholique au point qu’un éminent historien du jansénisme a pu dire que le xviie siècle, obsédé par le modèle augustinien, était le « siècle des convertis » plus encore que le « siècle des saints1 ».
2J’ai eu l’occasion d’en mesurer l’importance au titre des vocations religieuses régulières2. Je voudrais aujourd’hui l’envisager dans le cadre des communautés de chanoines dont la réforme fut si difficile et si lente. L’exemple choisi sera l’un des plus prestigieux chapitres cathédraux de l’Église gallicane : le chapitre de Notre-Dame de Chartres3. Ses dignitaires ont joué un rôle important dans l’œuvre réformatrice entamée par les évêques chartrains qui – vu l’immensité du diocèse (plus de 900 paroisses) – ne pouvaient se passer de l’assistance des archidiacres pour réaliser le programme de visites prévu par le concile de Trente4. Par ailleurs, le chapitre de Chartres, dont plusieurs membres furent docteurs de Sorbonne, subissait l’influence du milieu dévot parisien en un temps de particulière floraison intellectuelle et spirituelle. De nombreux chanoines de Chartres furent en contact avec Bourdoise, Olier, Bérulle, Vincent de Paul, Saint-Cyran, Bernières ou Antoine Arnauld. Certains d’entre eux, comme Blaise Le Féron ou, plus tard, le théologal Sarrazin furent des personnalités marquantes du groupe janséniste. Certes, ce corps riche et nombreux présentait de nombreuses faiblesses dénoncées par le fougueux polémiste Jean-Baptiste Thiers et attestées par les débris subsistants des délibérations capitulaires5, mais il fut profondément marqué au cours du xviie siècle, par le dynamisme de personnalités rayonnantes pour qui l’accomplissement de leurs devoirs d’état et la participation à la grande œuvre de réformation catholique furent soit la réalisation d’une « donnée primordiale de la personnalité6 », soit le résultat d’une conversion.
3Parmi les premiers, ce Jean de Léris, archidiacre du Vendômois (1614-1684), dont son biographe nous apprend qu’il « sceut tellement, dè son enfance, ménager la grâce de son baptesme qu’un de ses confesseurs, ayant entendu sa confession générale peu de temps après qu’il fut fait chanoine de Chartres, dit que Monsieur de Léris étoit un ange sur la terre et qu’il avoit conservé son innocence baptismale7 ». Parmi les seconds le même biographe mentionne la conversion obtenue par Bourdoise, en 1642, du grand archidiacre François Chaudet de Lazenay qui était, « avant que la grâce eût amolli son cœur, un homme de plaisir et de bonne chère qui allait en visites plutôt pour se divertir avec ses curés que pour les régler8… ». Je voudrais m’attacher, aujourd’hui, à une autre figure de proue du chapitre chartrain, François de Pedoue. Ce chanoine mériterait une étude de plus grande étendue que celles qui lui ont été consacrées jusqu’ici, notamment parce que, outre sa biographie par son ami, le chanoine Lefebvre, il existe des ouvrages de sa main antérieurs et postérieurs à sa conversion9.
4François de Pedoue est né à Paris en 1603. Fils d’un procureur, élève des jésuites de La Flèche puis d’Orléans, il devint, à vingt ans, après quelques études théologiques à Paris, chanoine de la cathédrale de Chartres10 et le resta jusqu’à sa mort en 1667. Sa vie fut coupée en deux par une conversion (1635). Les douze premières années de vie canoniale sont celles d’un jeune mondain dans la tradition de Desportes et de Régnier et dans l’atmosphère de libertinage du début du règne de Louis XIII11.
5Nous avons, sur cette période, le témoignage de la biographie de Pedoue par Lefebvre et celui des propres œuvres de notre chanoine. Il avait formé, à Chartres, une association de joyeux vivants, la « congrégation des enfants sans souci », comptant dans ses rangs plusieurs de ses confrères. Il en exprime l’idéal dans les odes bachiques, partie de ses premières œuvres, parues en 1626 chez l’imprimeur chartrain Peigné :
D’une agréable extravagance
Qu’on chante, qu’on boive et qu’on danse
Sans avoir soin du lendemain !
Car à quoi bon le souci blesme
La mort sans lui prester la main
Nous tue asssez tost d’elle-mesme.12

François Pedoue, chanoine de Chartres (1603-1667) [cliché R. P. Josset].
6Publiées au lendemain de la fameuse « crise de 1623-1625 », ces odes bachiques et les poèmes satiriques qui les suivent13 valurent quelques ennuis à leur auteur. Le 12 décembre 1626, le chapitre de Chartres lui ordonnait de « s’abstenir de faire les épistres jusqu’à Noël » et le condamnait à une amende de 10 livres « pour avoir imprimé un livre scandaleux que la compagnie fit déchirer14 ». Le biographe de Pedoue mentionne, de son côté des poursuites judiciaires faites à l’occasion de libelles diffamatoires, un exil temporaire de Chartres et une protection efficace de l’évêque, Léonor d’Estampes de Valençay, homme de confiance de Richelieu15.
7Pendant cette période de vie mondaine, un élément domine l’existence de Pedoue : la fréquentation et l’amour des femmes. Goût précoce, si l’on en croit son biographe, qui évoque une passion d’écolier à Orléans pour la fille de sa logeuse. Pedoue lui-même confirme cette précocité avouant avoir commencé d’être amoureux de la Doris dédicataire de ses premières poésies « la nuit qu’apparut la comète de l’an 1619 », soit à l’âge de seize ans16. Le chanoine Lefebvre fait état du lien de service amoureux qui l’attachait à une dame « avec tant de passion qu’il lui donna son cœur avec protestation de n’aimer jamais qu’elle. Pour la posséder, toute fatigue lui estait douce, n’ayant point égard au mauvais temps ni aux froidures de l’hiver, non plus qu’aux grandes chaleurs de l’été pour l’aller visiter à la campagne où elle faisait sa demeure17 ». Il s’agit sans doute de la Doris à laquelle il adresse ses premières œuvres où il évoque son engagement de service amoureux :
Doris prend quelque ostage
Pour te confirmer davantage
Ma servitude sous tes loix.
Tu tiens mon cœur tout plein de flame
Prends l’âme encor, si toutes fois
Tu n’aimes mieux le corps que l’âme18.
8Pedoue en chante abondamment les diverses beautés :
9son visage
L’argent de ton teint et l’or de tes cheveux
[…] Oui, ce sont deux soleils ces beaux yeux que j’adore
10ses mains
O belle main dont l’apparence
Ne nous promet que des faveurs
Et dont les effets déceveurs
Font au cœur tant de violence
11sa gorge
Vous êtes un Aethna, mont jumeau de ma dame
C’est un mont, vous deux monts de parfaite rondeur.19
12Le goût du jeune Pedoue pour les « nudités de gorge » se manifeste également dans les dialogues qui constituent son autre œuvre profane, Le bourgeois poli, où l’amant bourgeois prend ainsi congé de sa maîtresse : « m’en irois-je sans toucher ce beau sein ? Il n’y a pas moïen. Il faut que je le baise20 ». Les expériences féminines du galant chanoine n’ont pas dû, d’ailleurs, se limiter à son égérie. Il consacre un sonnet à célébrer une jeune veuve :
miracle des humains et chef-d’œuvre des cieux
13Il se justifie auprès de Doris qui l’accusait d’avoir fait des vers pour une autre21. Surtout, il relate avec abondance de détails grivois une aventure personnelle fort scabreuse, à la fois paillarde et scatologique, mal terminée pour son héros à cause de la survenue intempestive du mari jaloux :
O beau soir où j’eus de plaisirs
Plus grands mesme que mes désirs !22
14C’est seulement dix ans après la parution des Amours de Doris et des poésies satiriques qui l’accompagnaient, en 1635, que se situe la conversion de Pedoue. Il l’a présentée lui-même comme une irruption brutale de la grâce divine dans son cœur.
Ah ! que fussay-je devenu
Si Dieu n’eut faict un grand miracle.
Il le fist mais si fortement
Qu’il me changea dans un moment23.
15Son biographe évoque ce « grand miracle » qui aurait suscité une conversion foudroyante : l’effondrement d’un pont sous les pas du chanoine et de sa dame. Plus heureux que les danseurs du pont de Nantes, il s’en tira avec quelques meurtrissures. Mais, après trois semaines de fièvre, le convalescent apparut « tellement changé qu’il ne se reconnaissoit plus lui-même », se sentant tout d’un coup « un homme nouveau24 ». En fait, Lefebvre suggère un cheminement beaucoup plus lent puisqu’il consacre un chapitre entier aux « rudes combats qu’il eut trois ans durant avant sa conversion » et aux larmes de remords dont « il parsemoit le chemin » lorsqu’il se rendait chez sa dulcinée25. La part faite aux exigences du jeu littéraire, un écho de ses balancements se retrouve dans les œuvres profanes elles-mêmes où s’exprime une conscience douloureuse, de son état de sujétion :
Mon cœur, quitte ce joug qui te fait souspirer.
16Ou
Brisons, foulons aux pieds ces outrageuses chaînes
Qu’il meure cet amour qui nous faisoit mourir.
17ou encore, malgré l’invocation finale « O Dieux, ne m’exaucez pas » dans les Stances sur l’infidélité de sa dame :
Enfin la rigueur extrême
De cette ingrate beauté
Me rend fidèle à moi-même
Par son infidélité.
Je ne vis plus sous sa loy
Puisque je suis tout à moy26.
18Plus ou moins lentement mûrie, la conversion, une fois réalisée, se traduit par une rupture, une ascèse, une sublimation.
19Rupture d’abord avec la dame. Lefebvre stylise ainsi l’entretien :
Madame, je vous avois autrefois donné mon cœur. Je vous prie maintenant de me le rendre. Il n’est plus pour les créatures. Je l’ai sacrifié au créateur.
20Ce programme que Pedoue lui-même développe dans ses vers sur sa conversion implique une dure ascèse :
Je veux tout le cours de ma vie
Destruire l’amour sensuel
Qui sous un empire cruel
L’avoit autrefois asservie.
Je n’aimerai plus rien d’humain.
Cet amour si fade et si vain
Ne me sera plus qu’à souffrance
Et jusques à mon dernier jour,
Je veux pleurer de repentance
D’avoir pleuré de cet amour27.
21L’état du converti n’implique en effet nulle passivité et, dans ses écrits spirituels, Pedoue évoque la poursuite de la lutte intérieure : « Tous les jours de ma vie que je combats ici, j’attends que cette mienne transformation se fasse qui me donnera, Dieu de ma vie, que je vous embrasse et que je me perde tout en vous »28. Au départ de cet acheminement mystique, un effort rigoureux de pénitence : solitude, jeûne, macérations, destruction des écrits profanes dont il se fait restituer les exemplaires qu’il avait offerts, fuite de la fréquentation des femmes : « il sembloit qu’il eut fait un pacte avec ses yeux pour n’en regarder aucune29 ».
22Mais l’essentiel de la spiritualité de Pedoue converti, c’est l’amour vers quoi tend cette ascèse. L’abbé Edouard Jeauneau a montré les aspects bérulliens de sa spiritualité30. La connaissance du bérullisme a-t-elle joué un rôle dans les trois ans de « rudes combats » ? Nous l’ignorons, mais il est certain que, par la suite, la méditation bérullienne sur les mystères de l’amour a contribué au transfert, aspect essentiel de la conversion de Pedoue que son biographe compare à Sainte Madeleine :
Il est dit de sainte Magdeleine que Notre Seigneur en sa conversion ne luy osta pas l’inclination qu’elle avoit d’aimer mais seulement qu’il la changea de l’amour de la créature en celuy du créateur. De même, nous pouvons dire de notre saint pénitent que Dieu ne luy osta pas en sa conversion ses bons talents, ny l’adresse qu’il avoit dans le monde pour se gagner les cœurs et se lier les esprits mais seulement, il changea son motif et purifia son intention de sorte que ce qu’il avoit faict autrefois pour son plaisir et sa satisfaction, il le fit par après pour la gloire de Dieu31.
23L’« éros » de Pedoue transformé en « agapè » resta en bonne partie orienté vers la femme passage, comme chez Ignace de Loyola, du service galant de la dame à une spiritualité mariale, désir d’assurer le salut des femmes.
24Le transfert marial est l’épanouissement tardif d’une dévotion dont les germes avaient été semés par les maîtres jésuites de Pedoue. Il avait appartenu à la congrégation mariale de son collège de La Flèche. Son biographe évoque le réalisme mystique que prit alors en lui cette dévotion : Notre Dame « luy apparut, une nuict et le baisa à la bouche avec une si merveilleuse et si extraordinaire suavité qu’il en demeura tout transporté un long temps après » ; au temps de ses débordements mondains, « la sainte Vierge lui fist souvent des reproches de son ingratitude32 ». Après sa conversion, l’amour marial devait prendre une place éminente dans une spiritualité christocentrique d’esclavage spirituel à l’égard de Jésus et de Marie33.
25Quant aux femmes, si la conversion suscita d’abord en lui un mouvement de fuite, l’expérience de la direction de conscience le ramena vers elles : selon son biographe, après trois ans de retraite, Pedoue ayant admonesté une femme qui assistait à la messe la gorge découverte, celle-ci lui demanda de la diriger, « cette bonne dame ayant découvert ce riche trésor ne voulut pas, elle seule, posséder ce grand bien. Elle convia ses compagnes d’y aller, lesquelles il reçeut avec beaucoup de charité34 ». Ses succès de confesseur sévère, luttant contre les nudités de gorge, la comédie, les livres profanes qu’il se faisait apporter « pour en faire lui-même le sacrifice par le feu », mais psychologue (« il sçavoit si bien dorer la pillule qu’il la faisait avaler sans qu’on s’en aperçut »), drainent les foules de pénitents vers Pedoue qui, dans un programme très salésien, « détrompa la plus grande partie des personnes du monde qui croyaient ne pouvoir estre à Dieu ny pratiquer la vertu que dans un cloistre35 ». Il sélectionna par ailleurs, quelques-unes de ses pénitentes pour visiter les pauvres honteux puis en fit le noyau d’une congrégation dont le but initial était de « retirer, nourrir et entretenir les filles débauchées que l’on lui adressoit de toutes parts36 ». Cette tentative fut un échec, et Pedoue, ayant fait quitter à ses disciples « l’employ de ces filles incorrigibles », estimant que l’une des causes du mal qu’il voulait combattre était l’absence d’éducation des orphelines pauvres qui « n’étaient point tenues dans l’assujettissement duquel l’enfance a besoin », conçut l’idée de la congrégation de la Providence, « congrégation séculière perpétuelle et sans vœux […] pour retirer, nourrir et entretenir et instruire dans la piété et divers mestiers les petites pauvres filles orphelines de ceste ville et des faulx bourgs37 ». Il ne s’agit pas de faire ici l’histoire de la Providence de Chartres38, mais de noter à propos de sa fondation une constante féminine de l’évolution de Pedoue : de la perdition par la femme au salut par et pour la femme. Une autre constante de Pedoue au travers de sa conversion, c’est l’amour : une fois détruit et expié « l’amour sensuel », on aboutit à l’amour qui seul compte, celui de Dieu :
Aimez, Aimez tous nuit et jour.
C’est la trace que j’ai suivie
En vivant et mourant d’amour39.
26Cette conversion exemplaire nous ramène enfin, par son exemplarité même, au collectif d’où nous étions parti. Le converti exerce une véritable fascination, témoin le succès, comme confesseur de Pedoue, qui devint pénitencier du diocèse. Son confrère, le chanoine Lefebvre, atteste son rayonnement : « On ne pouvoit l’approcher sans ressentir sa flamme et par sa seule présence, par son seul regard, il enflammoit les cœurs de ce mesme amour dont il se sentoit embrasé40 ». À la même époque, en 1662, le chapitre faisait placer dans la salle de ses délibérations, le portrait d’un autre converti, le grand archidiacre François Chaudet de Lazenay41. À la conversion correspond dans une société en travail de Réforme catholique, le besoin de modèles.
Débat
27M. Perouas – Je remercie Robert Sauzet d’abord d’avoir tenu l’horaire. Ensuite, de nous avoir présenté un sujet aux facettes multiples et contrastées ; il y en a vraiment pour tous les goûts. Enfin, d’avoir retrouvé une logique dans ce qu’il appelle le transfert. Cela me paraît d’un grand intérêt.
28M. Sauzet – Je pense que le dossier, effectivement, est intéressant.
29M. Descrains – Je voudrais demander à M. Sauzet si l’intermédiaire entre François de Sales et son chanoine n’est pas Jean-Pierre Camus, qui résidait, dans ses moments de repos aux champs, à Gaudreville, qui est à quelques kilomètres de Chartres.
30M. Sauzet – Je l’ignore totalement. Les documents que j’ai vus ne m’ont pas permis de le savoir. Mais, je dois dire ceci : le dossier Pedoue m’a paru être pleinement exemplaire du thème du colloque « Conversion, rayonnement de la conversion ». Mais ce que vous dites, il est possible de le vérifier, parce que dans les œuvres de Pedoue, des personnes à qui elles sont dédiées sont évoquées. Il y a un poème, par exemple, dédié à Théophile de Viau. Il y en a d’autres. On aurait intérêt à approfondir tout ce milieu. Peut-être, en effet, retrouverait-on ce relais ; car dans la période précédant sa conversion, il est probable qu’il ait eu des connaissances, des lectures. En tout cas, le biographe parle peu d’influences. Il y a aussi le modèle augustinien de la « docte ignorance » des simples agissant sur les transformations intérieures. C’est le cas, je crois, de César de Bus, autre chanoine ou futur chanoine converti. Pour Pedoue, on dit seulement que, dans sa vie mondaine, il était traversé par des regrets ; mais je n’ai pas vu évoquer des intermédiaires humains. Pour la vie du chanoine Lazenay, dont j’ai dit seulement deux mots, c’est Bourdoise qui joua ce rôle pendant plusieurs années. Je n’ai pas rencontré le nom de Camus. J’ignorais d’ailleurs qu’il avait des attaches chartraines. Ce serait, en effet, une suggestion, une piste à suivre.
31M. Descrains – En vous écoutant, je voyais l’application pratique des chapitres théoriques que Camus consacre à l’amour dans son Traité des passions de 1614.
32M. Sauzet – Vous en retrouvez l’écho dans les œuvres de Pedoue ?
33M. Descrains – Dans son cheminement de l’humain au divin. Le Traité des passions est très spécial : elles ne sont pas mauvaises, puisque c’est Dieu qui nous les a données. Elles sont indifférentes ; à nous de bien les diriger. Le noyau de l’ouvrage (22 chapitres sur 76, le tiers du volume) est consacré à l’amour, partagé en gros par moitié : humain (20 chapitres), puis divin (2 longs chapitres). De même, haine entre humains/haine du péché, etc. On retrouvera ce schéma dans les romans.
34M. Sauzet – Je ne saurais vous dire s’il l’a lu, mais il est possible qu’il y ait une influence qui resterait à établir. Je vous en remercie en tout cas.
35M. Zuber – Il n’est pas rare qu’un auteur de cette époque se présente à la fois comme un libertin et comme un converti. Dans les premières Lettres de Guez de Balzac (1624), Jean Jehasse a bien analysé cette dialectique. De profanes lettres d’amour à « Clorinde » – qu’il n’est pas « permis aux religieuses de lire » –, de voluptueuses relations de la vie à Rome voisinent, dans ce recueil, avec des élévations spirituelles adressées à l’évêque d’Aire (Sébastien Bouthillier).
36M. Bernos – Une toute petite question à propos de cet effondrement du pont : en as-tu d’autres témoignages ? Parce que cela ressemble tellement à un topos, qu’on en reste rêveur…
37M. Sauzet – Lui, Pedoue, a raconté. On a dans les manuscrits du séminaire de Chartres sa conversion, qu’il a racontée lui-même. Il dit : « Dieu fit ce grand miracle ». Il ne dit pas : « je suis tombé dans l’eau », effectivement. D’un autre côté, Lefebvre, qui rapporte le fait, a connu intimement Pedoue. Il s’est fait enterrer auprès de lui et a administré la Providence après lui. C’est vrai, c’est sans doute un topos. Maintenant, il a bien dû se passer quelque chose. C’est un problème d’exégèse : les Évangiles de l’enfance de la conversion, si j’ose dire…
38M. Ginestier – Je voudrais faire remarquer combien cette communication est passionnante par rapport à une lecture de Tartuffe. Si on traduit toutes ces remarques par rapport au personnage de Tartuffe, c’est éclairant en diable, si j’ose dire…
39M. Lafay – J’ai beaucoup apprécié la communication de M. Sauzet. Je voudrais faire une observation sur les précautions avec lesquelles il faut utiliser les textes littéraires dans le type d’étude que vous menez. Vous dites par exemple : « changement complet entre les œuvres de l’avant-conversion et la situation d’après-conversion ». Or, on retrouve fréquemment ce type de renversement. Un ecclésiastique poitevin comme Jean Déplanches par exemple, qui, à la fin de sa vie, écrit un Misogyne, a écrit un Philogyne dans sa jeunesse, mais qui a été détruit. Dans les œuvres poétiques de François Ménard, on a dans une première partie des vers amoureux et ensuite des vers spirituels qui en sont la condamnation complète. D’une façon générale, et il semble que ce soit un petit peu quelque chose qui corresponde, j’allais dire aux structures poétiques de l’époque. Dans de nombreuses œuvres, on a précisément des œuvres amoureuses de jeunesse et ensuite des vers spirituels qui en prennent le contre-pied. Par contre, ce que vous avez dit d’une référence théophilienne est moins commun. Mais les citations que vous avez faites concernant la description des beautés de la belle, sa gorge, ses cheveux, son teint, etc., sont des thèmes tout à fait constants de la poésie encore pétrarquisante de ce début du xviie siècle. Enfin, la sublimation de l’amour de la femme en amour divin est aussi une constante. Mais, ce qui est moins fréquent, c’est le transfert marial que vous avez indiqué. Ceci ne contredit pas du tout votre démonstration, mais il faut toujours faire la part, quand on interprète les textes littéraires, de ce qui correspond tout simplement à la nature et à la structure ordinaire du type des textes considérés.
40M. Sauzet – Je vous remercie beaucoup, Monsieur, de ce que vous dites. C’est pourquoi j’ai dit (je suis très profane en la matière) qu’il fallait tenir compte du jeu littéraire. J’ai bien senti qu’il y avait une part de jeu. Mais nous n’avons pas, pour Pedoue, que des sources littéraires ; et le fait est attesté par communs témoignages qu’il y a eu changement, quand même, vraiment une coupure. Ce n’est pas seulement le diable qui se fait ermite parce qu’il commence à prendre de l’âge. Il semble bien qu’il y ait une rupture, même si elle a été stylisée par l’ami, le biographe de Pedoue. Cela dit, je ne doute pas que tous ces blasons du corps féminin et autres ne soient pas quelque chose de nouveau, un genre dont il est le créateur. Il est intéressant pour l’historien, qui est un naïf par rapport à l’œuvre littéraire, de souligner que c’est un chanoine qui écrit. Au moment où paraissent les Premières Œuvres du sieur Pedoue, c’est à Chartres le commencement de la Réforme, et le chapitre, qui avait vu régner Desportes, tout de même s’émeut un peu, puisqu’on donne à Pedoue une amende et qu’on lui défend de lire les Épîtres jusqu’à Noël 1626. C’est de ce point de vue que ces premiers écrits et les réactions qu’ils suscitent m’ont intéressé. Cela ne va pas l’empêcher en 1631 de publier le Bourgeois poli. Il faut tenir compte de tout l’élément littéraire effectivement. Il faut rechercher les gens à qui il a dédié ses œuvres. On sent qu’il y a un milieu. J’ai pensé autant au phénomène de la réforme des chapitres qu’à l’expérience de Pedoue lui-même.
41M. Blanc – À propos de ce détail tellement ambigu, ou pas ambigu du tout, si l’on veut, du baiser de la Vierge. Je voudrais savoir si on connaît d’autres exemples de phénomènes mystiques aussi nets, aussi précis. Qu’il y ait un rapport entre mystique et libido, c’est une chose bien connue, quel que soit le sens ou la portée qu’on lui donne. Ce qui est le plus frappant, ce n’est pas tellement que cela ait eu lieu, après tout, mais que ce soit avoué ingénument en quelque sorte.
42M. Sauzet – J’ai relevé la chose. Elle est racontée naïvement par Lefebvre. Lefebvre est un ami de Pedoue. Vraisemblablement, il a dû recueillir cela de Pedoue lui-même. C’est dit très naïvement, très simplement. Je ne sais pas, en effet, si c’est un type fréquent de réalisme mystique. Disons que cela évoque, à l’envers, l’expérience fameuse de sainte Thérèse d’Avila.
43Mme Descamps – À propos du baiser de la Vierge, je pense qu’il y a une source dans le Cantique des Cantiques (I, 2) : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche ». D’ailleurs, le Cantique des Cantiques a été commenté par tous les mystiques : saint Bernard, sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix… Il est à l’origine de la mystique nuptiale.
44M. Sauzet – Mais il s’agit de la Vierge.
45Mme Descamps – Oui, mais alors je n’ai pas d’exemple précis car, dans les autres cas évoqués, il s’agit toujours du Christ.
46Mme Bordes – En ce qui concerne le « transfert » de la femme à la Vierge, c’est le dernier poème du Canzoniere de Pétrarque qui sert de modèle, obligatoirement.
47M. Sauzet – Dans le cas de la femme, je pense qu’il faut souligner le fait qu’il s’agit d’un ancien élève des jésuites. Il est possible qu’il ait connu la biographie d’Ignace de Loyola. Dans le cas d’Ignace de Loyola, ce n’est pas un exercice littéraire. Il y a effectivement dans la première partie de sa vie un amour plus ou moins platonique pour une dame de l’aristocratie qu’il avait aperçue, et délibérément il transfère sur la Vierge. La veillée à Montserrat ressemble à une veillée de chevalerie. Il offre ses armes à la Vierge. Le transfert est délibéré. Je suppose qu’Ignace de Loyola, qui était d’une grande ignorance intellectuelle à ce moment-là, ne connaissait rien des œuvres littéraires des périodes antérieures en dehors des romans de chevalerie. Quant à Pedoue, il est possible qu’il ait connu, qu’on lui ait raconté la vie de saint Ignace.
48M. Perouas – Je remercie Robert Sauzet. Avec beaucoup de modestie, il s’est présenté comme historien n’ayant pas l’habitude de la critique des textes littéraires. Mais je sais pertinemment qu’au niveau des visites pastorales où nous nous rencontrons, il sait très bien critiquer les textes.
Notes de bas de page
1 R. Taveneaux, « Les voies de la sanctification chez les premiers jansénistes », 5e rencontre d’histoire religieuse, Angers – Fontevraud, octobre 1981 ; cf. du même auteur, Le catholicisme dans la France classique 1610-1715, Paris, SEDES, 1980, tome 1, p. 280 sq., tome 2, p. 301, 427 sq. Sur « l’obsession » augustinienne du xviie siècle français, cf. H. I. Marrou, Saint Augustin et l’augustinisme, Paris, Seuil, 1965, p. 169-178.
2 R. Sauzet, « La vocation religieuse d’après les chroniques des Récollets de Provence 1602-1676 », dans Colloque de Fontevraud sur la vocation, Angers, publications de l’Université d’Angers, 1979, p. 19-26. Cf. également H. Bordes, « Conflit de valeurs autour d’une vocation religieuse : sainte Jeanne de Chantal et la sœur Marie-Aimée de Morville », dans Les valeurs chez les mémorialistes français du xviie siècle avant la Fronde, Colloque de Strasbourg et Metz, Klincksieck, Paris, 1979, p. 247-268 ; J. de Viguerie, « La vocation sacerdotale et religieuse aux xviie et xviiie siècles. La théorie et la réalité », Colloque de Fontevraud, op. cit., p. 27-39, et l’étude de J. Delumeau sur les visitandines françaises dans La mort des pays de cocagne, Paris, Centre de recherches d'histoire moderne, 1976, p. 189-208. Sur l’entrée chez les chartreux résultat d’une conversion, cf. la thèse de 3c cycle de G. Chaix, Réforme et Contre-Réforme catholiques. La Chartreuse de Cologne au xvie siècle, Salzburg, Institut für Anglistik und Amerikanistik, 1981, p. 38.
3 Cf. L. Amiet, Essai sur l’organisation du Chapitre cathédral de Chartres, Chartres, Lepinay, 1922 ; M. Vovelle, « Un des plus grands chapitres de France à la fin de l’Ancien Régime : le chapitre cathédral de Chartes », Actes du 85e congrès des sociétés savantes, 1961, p. 235-277.
4 Cf. R. Sauzet, Les visites pastorales dans le diocèse de Chartres pendant la première moitié du xvie siècle. Essai de sociologie religieuse, Rome, Edizioni di storia et letteratura, 1975 ; Répertoire des visites pastorales de la France, 1re série, 1979, tome 2, p. 87-119.
5 J.-B. Thiers, La Sauce-Robert, s.l., s.n., 1676. De stola in archidiaconorum visitationibus gestanda a Paroecis disceptatio, 1674. Extraits des délibérations capitulaires par l'abbé Brillon, Arch. dép. de l'Eure-et-Loir G 340. Fragments, partiellement détruits, des registres de délibérations, Bibliothèque municipale Chartres, ms. 1009.
6 M. Join-Lambert et P. Golliet, « La transmission des traditions au sein de l’Oratoire » dans Les Valeurs chez les mémorialistes français…, op. cit., p. 343.
7 La Vie du vénérable serviteur de Dieu, messire Jean de Léris, prestre, chanoine, pénitentier et archidiacre du Vendômois en l’église de Chartres, bibliothèque de l’Arsenal, ms. 4010.
8 Cf. A. Clerval, « Un saint chanoine de Chartres au xviie siècle », Voix de Notre-Dame de Chartres, Supplément, 1909, p. 71-75.
9 L. Merlet, Notice sur François de Pedoue, p. 1 à 31 de sa réédition des Premières œuvres de Pedoue, Chartres, 1866 ; E. Jeauneau, « François de Pedoue, auteur spirituel, 1603-1667 » dans Revue d’Ascétique et de Mystique, no 131, 1957, et « Une singulière conversion », Revue des deux mondes, septembre 1957, p. 134-140. La bibliothèque du séminaire de Chartres possède l’œuvre manuscrite de Lefebvre, Recueil des actions les plus mémorables de la vie de M. Pedoue, ms. 7, in-4°, 885 pages, et un Abrégé de la vie et conversion de M. Pedoue, ms. 6, ainsi que l’ensemble des écrits spirituels de Pedoue (ms. 1-38).
10 Prestation du serment, 7 décembre 1623, Arch. dép. Eure-et-Loir G 295, p. 50.
11 Philippe Desportes fut chanoine de Chartres de 1583 à 1595 ; cf. J.-B. Souchet, Histoire du diocèse et de la ville de Chartres (écrit à la mi-XVIIe), Chartres, Garnier, 1873, p. 319. Son ami, Béroalde de Verville, appartint au chapitre Saint-Gatien de Tours de 1593 à 1629. Mathurin Régnier, Chartrain comme son oncle Desportes, obtint un canonicat à la cathédrale en 1609 et l’abandonna peu après pour d’autres bénéfices, cf. F. Lachèvre, Les recueils collectifs de poésies libres et satiriques, Paris, Champion, 1914, p. 100, 329 ; R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du xviie siècle, Paris, Boivin, 1943.
12 Les premières œuvres du sieur Pedoue dédiées à Doris, Merlet, Chartres, Garnier, 1866, p. 96, comprennent « Les quatre saisons de l’année », « Les amours de Doris », « Louanges et odes bachiques », « Lettres et aventures satiriques ».
13 L’un d’eux « Resverie de fièvre », op. cit., p. 121, est dédié à Théophile. Sur l’apogée du « libertinage flamboyant » et la période répressive qui le suit, cf. R. Pintard, op. cit., p. 33.
14 Extrait Brillon, Arch. dép. Chartres G 340.
15 Bibliothèque Séminaire Chartres, ms. 7. L. Merlet, introduction de la réédition des Premières œuvres, p. 6.
16 Ibid. et Premières œuvres, p. 31.
17 Ms. cit. et introduction, L. Merlet, p. 5.
18 Ibid., p. 59.
19 Ibid., p. 34, 35, 37, 38.
20 Le bourgeois poli où se voit l'abrégé de divers complimens selon les diverses qualités des personnes. œuvre très utile pour la conversation, Chartres, Peigné, 1631, p. 53.
21 Premières œuvres…, p. 75 et 76.
22 Ibid., p. 137.
23 Sa vie et sa conversion que luy mesme a escrite en vers, Bibliothèque séminaire Chartres, ms. 6, f° 58 v°.
24 Bibliothèque séminaire Chartres, ms. 6, f° 12 v° - ms. 7, f° 18 v°..
25 Ibid, ms. 7, chap. IV.
26 Premières poésies…, op. cit., p. 40, 41, 67.
27 Bibliothèque séminaire Chartres, ms. 16, f° 6 et 53 v°.
28 Amende honorable de M. Pedoue de tous ses péchés, op. cit., ms. 16, p. 255. Sur la grâce et la nécessaire victoire de l'« homme nouveau », cf. R. Taveneaux, op. cit., tome 2, p. 301.
29 Bibliothèque séminaire Chartres, ms. 6, f° 18 v° - ms. 7, f° 562 v° sq. ; « Analogue destruction d'œuvres licencieuses, antérieures à la conversion », dans Vie du vénérable César de Bus, par P. du Mas, Paris, Guerin, 1702, p. 42.
30 Art. cit.
31 Bibliothèque séminaire Chartres, ms. 6, f° 120.
32 Ibid., ms. 6, f° 5 v° et 9.
33 Cf. son oraison matinale « O Jésus mon amour, O Jésus mon Dieu, O Jésus mon tout me voilà votre pauvre esclave très humblement prosterné à vos pieds sacrés », ibid., ms. 7, f° 37 et sa méditation devant un tableau de la Vierge où il « eut la pensée de se donner à elle en qualité de son esclave », ibid. et ms. 6, f° 16 v°.
34 Bibliothèque séminaire Chartres, ms. 7, f° 43.
35 Ibid., ms. 7, f° 44, 63 v°.
36 Ibid., ms. 7, f° 76 vo, 77.
37 Ibid., ms. 6, f° 2 ; ms. 7, f° 78 ; délibérations capitulaires Chartres (3 décembre 1654), Bibliothèque municipale Chartres, ms. 1008.
38 Mme A. Constantin-Lhuillery a entrepris des recherches sur ce sujet.
39 Bibliothèque séminaire Chartres, ms. 6, f° 53 v° et 58 v° (testament spirituel).
40 Cité par L. Merlet, introduction aux Premières œuvres, p. 29.
41 Cf. R. Sauzet, op. cit., p. 69. À propos d'un illustre chanoine converti, contemporain de Pedoue, César de Bus, cf, ces pertinentes remarques de M. Vénard, L'Église d'Avignon au xvie siècle, Thèse, Lille III, 1980, p. 1502, « c'est dans les hommes qu'elle reconnaît pour saints qu'une société religieuse dit le mieux quels sont ses modèles, ses attentes et ses virtualités profondes ».
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