Conclusion
p. 253-256
Texte intégral
1L’apparition de la peinture sur pierre et son développement sont liés aux expérimentations qui découlent des possibilités offertes par la peinture à l’huile. Avec ce procédé, les artistes étaient amenés à employer de nouveaux supports, la toile en particulier, et à en exploiter les capacités artistiques : glacis, accentuation des contrastes d’ombre et de lumière sont autant d’effets rendus possibles par cette innovation.
2Elle se rattache également aux réflexions émises par l’Église sur l’art en tant qu’instrument de propagande. Sac de Rome et Concile de Trente sont à l’origine d’un profond bouleversement des comportements. Et la réponse aux attaques protestantes se veut ferme. Des personnalités comme Cesare Baronio, Charles Borromée promeuvent un art qui se réfère aux décorations et dispositions des premiers édifices chrétiens. Les fouilles archéologiques conduites par les ecclésiastiques n’ont pour but que de valoriser ces divers témoignages. De l’organisation à l’ornementation, tout, dans l’église, doit ramener le fidèle en communion avec Dieu. Les artistes s’adaptent, tant par obligation que par adhésion à ce mode de pensée, le dogme chrétien. Sebastiano del Piombo, Marcello Venusti, Scipione Pulzone et bien d’autres encore, présentent un art narratif simplifié dont le rôle est de transmettre un message prosélyte. Ces dispositions expliquent l’emploi d’un support sombre, uni comme l’ardoise ou le marbre qui mettent en valeur la scène représentée et rappellent, par l’aspect archaïque, l’art paléochrétien.
3Vers la fin du XVIe siècle, les supports se diversifient. Les pierres imagées qui concèdent à l’imagination une place importante sont accueillies avec enthousiasme par les milieux cultivés. Alors qu’au premier abord, l’utilisation des pierres imagées paraît s’appuyer sur une culture différente, en rupture avec les traditions élaborées par les ecclésiastiques, elle repose en fait sur des considérations similaires. L’emploi de l’agate, des albâtres ou de toutes autres pierres proposant des motifs, répond évidemment aux besoins de superposer deux créations, celle du support et celle de l’artiste. Mais, dans un même temps, ces compositions, collectionnées et parfois présentées dans les cabinets de curiosité avec les objets naturels, artificiels comme les cornes de licorne ou autres bizarreries, engendrent une réflexion identique et évoquent l’intervention divine dans la Nature. Il est dès lors compréhensible que les pierres imagées intéressent autant un dilettante comme Ulisse Aldrovandi qu’un jésuite comme Athanasius Kircher.
4La peinture sur pierre répond donc aussi bien aux aspirations des réformateurs rigoristes, aux goûts pour la curiosité et la diversité des savants, qu’aux valeurs esthétiques de la noblesse dirigeante comme les familles Borghese ou Barberini. Toutes ces raisons expliquent une ample diffusion sur l’ensemble du territoire italien entre 1530 et 1630, et parfois plus tardivement.
5À partir des premières expérimentations à Rome de Sebastiano del Piombo, qui proposait des peintures profanes et religieuses, de nombreux artistes reprennent cette technique et participent à son développement. Marcello Venusti, les frères Zuccari, Scipione Pulzone et Girolamo Muziano promeuvent les peintures d’autel sur ardoise, alors qu’un groupe de peintres toscans composé de Francesco Salviati, Jacopino del Conte, mais aussi Giorgio Vasari, répondent aux commandes de peintures de chevalet. À partir de ces différentes expériences, Giorgio Vasari se fait l’instigateur de la pratique de la peinture sur pierre à Florence. Le soutien et la passion des Médicis pour les pierres dures conduisent les artistes à diversifier les supports et à proposer des compositions raffinées exécutées, bien souvent, sur des pierres imagées. Parmi ceux-ci, Antonio Tempesta propose des sujets de l’Ancien ou du Nouveau Testament peints sur marbre ou lapis-lazuli, qui connaissent un vif succès auprès des milieux érudits. Il est alors suivi dans ses expérimentations par un grand nombre de peintres présents à la cour de Rome comme Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d’Arpin.
6Parallèlement, la Vénétie et notamment l’école véronaise, développe une production atypique : les peintures sur pierre de touche. Les exemples de Sebastiano del Piombo, puis de Titien, servent aux Bassano pour mettre en place un véritable atelier produisant en série des petits tableaux de sujets dévots sur pierre noire. C’est alors que les artistes véronais s’appuient sur ces modèles pour étendre cette production. Des personnalités comme Alessandro Turchi ou Marcantonio Bassetti sont amenées à travailler autant pour les collectionneurs vénitiens que romains voire espagnols.
7La Ligurie ou la Lombardie ne sont pas exemptes de toute création. À partir des années 1580, les peintres lombards proposent également des peintures de chevalet sur ardoise destinées aussi bien à la noblesse milanaise qu’espagnole. L’intercession de Charles Borromée, puis de son neveu, Frédéric, dans la rénovation ou plutôt dans la restructuration des églises, entraîne à la fois l’élaboration d’œuvres atypiques comme les maîtres-autels et l’émergence de nouvelles personnalités. Le phénomène est identique en Ligurie. Les visites de Francesco Bossio à partir des années 1580, dans les églises génoises, permettent un renouvellement des commandes. Il est alors compréhensible que l’ardoise, qui était un matériau déjà particulièrement apprécié en architecture et en sculpture, devienne un des supports privilégiés. Tout comme à Rome, dont l’influence s’était déjà fait particulièrement sentir avec Perino del Vaga, les peintures d’autel connaissent une large diffusion jusque dans la première moitié du XVIIe siècle.
8Le constat, à partir de l’étude de ces différents centres, est identique. L’essor de la peinture sur pierre en Italie correspond à une période bien particulière où se côtoient ferveur religieuse, superstitions, recherches de l’étrange et de la préciosité. Au milieu du XVIIe siècle, l’Église victorieuse fait appel à de nouveaux procédés qui célèbrent la magnificence tout en rejetant une culture de l’intime et du minutieux.
9Simultanément ce même savoir est proscrit des classes savantes qui commencent à privilégier non plus une accumulation de tous les objets présents dans la nature mais une classification, une organisation par catégories. Les monstres ou autres étrangetés n’ont plus lieu de siéger aux milieux des instruments astronomiques et les collections tendent à se spécialiser.
10Dans ce travail, certains points n’ont été qu’effleurés et méritent pourtant des observations particulières : la fécondité des échanges artistiques entre les cultures septentrionale et méditerranéenne.
11Il serait, en effet, intéressant de comprendre et comparer l’essor de la peinture sur pierre en Italie, en Espagne ainsi que dans les pays septentrionaux. Sous quelles formes le support est-il employé ? Quelle est sa place dans les collections ? Pourquoi la peinture sur pierre est-elle tant appréciée alors que dès 1550, Giorgio Vasari souligne que lorsque celles-ci étaient finies « l’on ne pouvait soulever ni les peintures ni l’ornementation à cause du poids1 » ? Comment se déroule sa diffusion ?
12Toutes ces questions sont d’autant plus intéressantes qu’elles n’ont jamais fait l’objet d’études particulières. Depuis les premières recherches de Marco Chiarini en 1970 jusqu’à l’exposition milanaise de 2000, cette thématique est abordée de manière similaire. Certains aspects comme la participation d’artistes étrangers ont souvent été éludés.
13Les essais présentés dans le catalogue, Pietra dipinta, reposaient essentiellement sur la place de la peinture sur pierre dans les collections vénitiennes, romaines ou bolonaises et proposaient un examen approfondi des inventaires, au détriment, parfois, de l’analyse de la production. Il importait alors de se démarquer de ces réflexions pour apporter au sujet de nouvelles interrogations. Parmi celles-ci, il semblait nécessaire de présenter le développement et la diffusion des peintures d’autel dans un contexte historique précis. Des artistes comme Taddeo et Federico Zuccari ou Marcello Venusti avaient certes été étudiés dans une production globale mais sans prendre en considération l’approche technique de ces peintres. À partir des documents d’archives, il était possible de comprendre les mécanismes de l’atelier et de cerner son fonctionnement. Sous la direction du maître s’affère un groupe d’artisans devant préparer les plaques d’ardoise qui ont été achetées à Gênes – souvent par un agent du commanditaire – et portées à Rome par voie de mer. Puis, les pierres sont confiées à un stuccatore ou scarpellino chargé de polir et parfois tailler aux bonnes dimensions les plaques. Celles-ci sont alors assemblées sur un mur qui a été soigneusement aplani par un muratore. Lorsque ces diverses préparations sont achevées, l’artiste intervient. Les documents relatifs aux peintures d’autel révèlent des informations essentielles à la compréhension des différents rouages du travail d’équipe. Par comparaison, les commandes de peintures de chevalet demeurent plus problématiques. Le choix du support et son prix sont souvent difficiles à déterminer. Une telle étude exigerait la découverte de séries importantes de listes de prix permettant une analyse des coûts de la toile, des panneaux et enfin de la pierre tout en prenant en compte les dimensions, l’artiste ou le sujet qui peuvent également faire varier le prix. Hormis ces difficultés, on constate qu’un support comme le marbre ou l’albâtre entraîne des frais plus importants pour le commanditaire que si l’artiste avait peint sur toile. Par ailleurs, la majeure partie des peintures exécutées sur lapis-lazuli sont commandées par des grandes familles comme les Barberini ou les Borghese pour, bien souvent, être offertes comme cadeau diplomatique. Par conséquent, ce présent doit comporter une valeur marchande. Ce facteur explique alors l’essor ou l’arrêt de cette technique, liée en grande partie au prestige du commanditaire. Ainsi, la diminution des peintures sur pierre à Florence après la mort de Cosme II, s’inscrit non pas uniquement dans un changement de goût de Ferdinand III mais aussi dans une situation de déclin économique qui fait que certaines productions doivent être suspendues.
14Les tableaux exécutés sur pierre correspondent donc à une logique de marché où l’artiste doit s’adapter aux conditions financières et aux exigences du collectionneur.
15Il paraissait également important d’approfondir le développement de la peinture sur pierre à Florence et d’élargir le champ d’étude aux origines même de cette technique, en insistant tout particulièrement sur le rôle de Giorgio Vasari dans l’emploi de la peinture sur pierre à Florence et dans sa diffusion. En confrontant nos informations avec les nombreux essais portant sur le milieu véronais, il nous importait d’esquisser le développement de la peinture sur pierre en Vénétie – Bassano, Vérone, Padoue – et de revenir sur quelques personnalités comme Paolo Farinati dont la production, en partie documentée, méritait une attention plus importante. Au cours de cette recherche d’autres difficultés sont apparues : les problèmes d’atelier et de productions en série à partir des dessins ou gravures du maître, les difficultés posées par les portraits exécutés dans les années 1530-1550 autour de Sebastiano del Piombo ou les tableaux de petits maîtres méconnus. Toutes ces difficultés n’ont pu être résolues même si elles ont permis de souligner le rôle de certaines personnalités dans l’émergence de la peinture sur pierre, de découvrir des documents et des peintures inédits.
Notes de bas de page
1 « Ma finite non si potevano ne le pitture, ne l’ornamento per il peso movere », Vasari, 1550, p. 899.
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