Chapitre 3. L’exécutant principal des Statuts de l’ordre de Saint-Michel, associé privilégié d’Étienne Colaud
p. 215-227
Texte intégral
1Les singularités plastiques de l’Adoration des mages du livre d’heures de Londres et de l’Assaut de Beauvais du manuscrit des Mémoires de Philippe de Commynes de Nantes procèdent manifestement, comme on l’a démontré, de l’échange de modèles entre Étienne Colaud et l’exécutant principal des Statuts de l’ordre de Saint-Michel produits en série (fig. 51 et 651). Mais, en dehors de ce cas, les œuvres respectives de ces deux historieurs se distinguent nettement l’une de l’autre sous le rapport de la facture. En effet, la palette, l’importance du trait et certains types physiques caractérisent les œuvres de l’exécutant principal des Statuts et de certains de ses associés ponctuels, comme celui intervenant dans le feuillet volant de la bibliothèque Ambrosiana (pl. XII2). ou encore celui réalisant la miniature du Smith-Lesouëf 76 des Statuts et les deux histoires du Registre du procès criminel du connétable de Bourbon (pl. XIII et fig. 303.
LE CORPUS, PRESENTATION
2Aux quatre – voire cinq – exemplaires des Statuts qui peuvent être attribués à l’exécutant principal4, deux autres ayant été réalisés, on l’a vu, par des aides ponctuels travaillant certainement dans son atelier5, viennent s’ajouter treize autres manuscrits.
3Sept d’entre eux ont déjà été abordés : le Roman de Palamon et Arcita de la bibliothèque de l’Arsenal et l’évangéliaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève, où il intervient sous l’égide de Colaud6, celui de Saint-Pétersbourg dont il supervise cette fois la réalisation7, le manuscrit des Mémoires de Philippe de Commynes de Nantes8, le Panégyrique de François Ier9, le frontispice de la Réponse à Érasme de la Bibliothèque nationale10 et enfin le traité sur les souffrances de l’Italie11.
4Les six autres dans lesquels on peut reconnaître sa main sont la miniature d’un pontifical conservé à Bordeaux12, un traité de guerre de Béraud Stuart passé successivement sur le marché de l’art en 2007 puis en 200813, deux livres d’heures à l’usage de Rome, l’un conservé à New York, l’autre à la Bibliothèque nationale14, la traduction par François Bergaigne du Paradis de Dante15, une Paraphrase sur les paroles de l’Évangile Verbum caro factum est16 et plusieurs enluminures ornant un ensemble de huit antiphonaires conservés à Malte17.
5À la différence de Colaud, dont les œuvres sont difficiles à dater en raison du caractère hétérogène que présentent les canons physiques et les physionomies tandis que la palette chromatique et les encadrements ne changent guère, c’est le constat inverse qui peut être formulé pour les miniatures de l’exécutant principal des Statuts de l’Ordre. On ne peut, pour cette raison, retenir l’attribution au Maître de François de Rohan qui a été suggérée au sujet du traité de guerre. Pour prendre la pleine mesure de cette évolution qui s’étend sur une vingtaine d’années, les éléments de datation que livrent certains manuscrits ou bien le contexte historique dans lequel ils s’inscrivent fournissent des jalons.
LA CLIENTELE DE L’EXECUTANT PRINCIPAL
6Parmi les six exemplaires qui viennent s’ajouter à ceux déjà abordés, quatre portent des armoiries identifiées. Le pontifical de Bordeaux contient celles de Philippe de Lévis, évêque de Mirepoix18 ; la traduction du Paradis de Dante celles d’Antoine Duprat, auquel la dédicace est aussi adressée19 ; la Paraphrase sur les paroles de l’Évangile Verbum caro factum est celles du dauphin, François, dont l’initiale figure à plusieurs reprises sur le frontispice20 ; enfin, l’un des antiphonaires de Malte celles de Philippe de Villiers de l’Isle-Adam accompagnées de sa devise21.
7En revanche, les armes qui figurent sur le premier feuillet du traité de guerre de Béraud Stuart, « d’argent au chevron de sable chargé en chef de deux gerbes de blé dorées et, en pointe, d’une rose de même », n’ont pu être rattachées à aucune famille. Quant au manuscrit des Mémoires de Philippe de Commynes de Nantes, l’interprétation qui a été faite de la brisure, une bordure engrelée, prête à discussion. Au vu du frontispice, le chanoine Durville avait situé la réalisation de cet exemplaire avant 1500 puisque, à cette date, Jean d’Albret, sire d’Orval, adopta les armes pleines22. Mais dans l’édition des Mémoires auquel il collabora en 1924, il est seulement fait mention du terminus ante quem donné par la mort du commanditaire, le 10 mai 152423. Or, l’examen matériel du manuscrit fait apparaître que cette brisure a été ajoutée postérieurement. L’hypothèse la plus probable est qu’elle fut faite pour Marie, fille aînée de Jean, qui aurait hérité des Mémoires à la mort de celui-ci. Marie reprit en effet cette brisure, comme on peut le voir dans le manuscrit historié par Colaud de l’Instruction d’un prince chrétien datable de 1523-152424. Quant aux armes pleines telles qu’elles étaient à l’origine, ce sont celles que Jean d’Albret porta de fait de 1500 à son décès25. À l’intérieur de cette large fourchette de 24 années, on peut affiner la datation en raison de la reprise partielle dans une miniature d’une gravure de 1518 d’Agostino Veneziano. Le style des vêtements représentés dans les tableaux correspond d’ailleurs bien aux premières années du règne de François Ier plutôt qu’à ceux de Louis XII. On dispose ainsi d’une fourchette de réalisation que l’on peut situer entre 1518 et 1524.
8Plus restreinte est celle de la Paraphrase sur les paroles de l’Évangile Verbum caro factum est qui porte les armes du dauphin : elles sont en effet entourées du collier de l’Ordre du roi. Or, François fut certainement nommé chevalier en 1532 puisque le roi adressa à Philippe de Neuville un courrier pour qu’on fasse parvenir à son fils, « naguieres créé Chevalier », un collier avant la date prévue du chapitre26. L’année de sa mort, 1536, fournit la date ante quem d’exécution de l’ouvrage.
9Élu grand maître de l’ordre militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem en 1521, Villiers de l’Isle-Adam assuma, lui, cette charge jusqu’à sa mort, en 1534. La marge d’exécution est donc assez large pour les antiphonaires de Malte. Il a été suggéré que ceux-ci auraient pu être commandés juste après sa nomination27. Néanmoins, l’histoire de l’Ordre même amène à considérer qu’ils ne le furent certainement pas avant 1523. En effet, au tout début des années 1520, Villiers de l’Isle-Adam et ses compagnons se heurtèrent à l’hostilité des musulmans à Rhodes. À l’issue du siège mené par Soliman le Magnifique en 1522-1523, les chevaliers quittèrent définitivement l’île. Ce n’est qu’en 1530 que Charles Quint, en leur confiant Malte, leur donna l’occasion de s’installer de manière durable en ce lieu. On sait qu’en quittant Rhodes, les chevaliers purent emporter avec eux une partie du trésor, mais les conditions ne se prêtaient guère en revanche pour mener à un mécénat artistique. Par contre, à compter de 1528, année de son installation en France, Villiers de l’Isle-Adam n’hésita pas à financer la construction de l’une des chapelles du Grand Prieuré du Temple à Paris dont les derniers vitraux furent posés en 153228. Il est donc plus vraisemblable que les antiphonaires, qui trahissent bien une origine parisienne, aient été commandés lorsque le grand maître de l’Ordre résidait dans la capitale, c’est-à-dire entre 1528 et 1530, et emportés ensuite à Malte.
10Bien que François Bergaigne, le traducteur du Paradis de Dante, ne se nomme pas dans le livre de Duprat, il le fait dans un autre exemplaire où l’œuvre est dédiée à Guillaume Gouffier, mort en 152529. L’existence d’un troisième manuscrit, aujourd’hui non localisé, a permis d’établir que ce texte n’aurait pas pu être composé après 1524, date de la mort de Claude de France à laquelle il appartenait30. On peut donc retenir, comme cela a été proposé par Myra Orth, une datation vers 1524-1525, antérieure à la captivité du roi, ce que paraît confirmer l’étude stylistique des miniatures31.
11Enfin, le livre d’heures à l’usage de Rome de la Bibliothèque nationale porte sur le premier feuillet, outre son titre, la date de 1531. On peut donc en situer l’achèvement selon toute vraisemblance entre Pâques de cette année, le 9 avril et le 30 mars de l’année suivante32.
12À ces éléments de datation viennent bien sûr s’ajouter ceux déjà évoqués à propos des Statuts de l’ordre de Saint-Michel et des ouvrages exécutés en collaboration avec Étienne Colaud. On dispose donc d’un nombre non négligeable d’indications pour pouvoir suivre assez précisément la production de cet exécutant sur une vingtaine d’années.
13L’œuvre la plus ancienne est manifestement le manuscrit français 14361, l’un des exemplaires des Statuts de l’Ordre parmi les plus anciens du règne de François Ier. C’est entre les années 1520 et 1525 que peut être situé le manuscrit français 14365 de la Bibliothèque nationale, un autre de ces livres produits en série, ainsi que le feuillet volant de la bibliothèque Ambrosiana dû cette fois à un associé. Les encadrements trouvent en effet leur pendant le plus proche avec celui entourant la miniature de Charles le Téméraire assistant au conflit des membres de la famille de Gueldres dans les Mémoires de Philippe de Commynes de Nantes. On peut également constater, sous le rapport formel, les types de dais et de trône auxquels s’apparentent étroitement ceux du feuillet volant. De cette période datent aussi probablement les miniatures du traité sur la guerre passé sur le marché de l’art en 2008, du Roman de Palamon et Arcita de la bibliothèque de l’Arsenal et, peu après, du manuscrit du Paradis et du pontifical de Bordeaux.
14Vers 1525-1526, l’artiste travailla à l’évangéliaire de François Ier conservé à Saint-Pétersbourg et à celui de la bibliothèque Sainte-Geneviève, aux antiphonaires de Malte et au livre d’heures de New York. Enfin, c’est dans la décennie suivante, et pas après 1536, que furent historiés la Réponse à Érasme de la Bibliothèque nationale, le traité sur les souffrances de l’Italie, le frontispice de la Réponse à Érasme, le livre d’heures de la Bibliothèque nationale, le Panégyrique de François Ier, le manuscrit des Statuts de l’ordre de Saint-Michel de La Haye et la Paraphrase sur les paroles de l’Évangile Verbum caro factum est. C’est aussi durant cette période qu’il fit appel à celui qui réalisa la miniature de l’exemplaire Smith-Lesouëf 76 des Statuts de l’Ordre de la Bibliothèque nationale et celles du Registre du procès criminel du connétable de Bourbon.
15L’absence d’œuvres antérieures au règne de François Ier laisse penser qu’il pouvait être plus jeune qu’Étienne Colaud, d’autant que durant la première décennie de son activité, il travailla soit sous l’égide de celui-ci, soit seul, sauf pour le feuillet volant des Statuts dont il supervisa l’exécution. En revanche, à compter des années 1525, s’il continua à collaborer avec Colaud, les rapports s’inversèrent parfois puisqu’il dirigea la réalisation de l’évangéliaire de Saint-Pétersbourg et le traité sur les souffrances de l’Italie. C’est aussi durant cette période qu’il fit appel à d’autres personnalités avec lesquelles il collabora dans les antiphonaires de Malte et la Paraphrase sur les paroles de l’Évangile Verbum caro factum est ou à qui il confia l’exécution de la miniature du manuscrit Smith-Lesouëf 76 des Statuts de la Bibliothèque nationale et de celle du Registre du procès criminel du connétable de Bourbon. Il resta donc un collaborateur proche de Colaud, mais leur association n’était pas exclusive.
16Le recensement des possesseurs de ses manuscrits montre que cette personnalité dominante au sein des Statuts s’était créé sa propre clientèle. Ainsi, le chancelier Duprat s’adressa à lui pour l’illustration du Paradis puis, quelques années plus tard, pour le Registre du procès criminel du connétable de Bourbon. Plus prestigieuse encore est la commande par Philippe de Villiers de l’Isle-Adam de huit antiphonaires de dimensions in-folio : la taille et le nombre des miniatures attestent une réputation sérieuse lorsque l’on prend en compte le coût d’un tel travail.
17En revanche, le pontifical de Bordeaux, l’évangéliaire de Saint-Pétersbourg, le traité sur les souffrances de l’Italie, la Réponse à Érasme et le Panégyrique de Francois Ier nous ramènent à des commanditaires qui firent aussi appel à Étienne Colaud. Le premier livre porte en effet les armes de Philippe de Lévis, évêque de Mirepoix, pour lequel Colaud réalisa un lectionnaire-évangéliaire ; les autres étaient tous destinés au roi, soit commandés par celui-ci comme les Statuts de l’ordre de Saint-Michel, soit lui étant offerts. Enfin, les Mémoires de Philippe de Commynes de Nantes furent enluminés pour Jean d’Albret, sire d’Orval ; or, c’est pour la fille de celui-ci, Charlotte, que l’exemplaire de l’Instruction d’un prince chrétien fut peint par Colaud. Que tous deux se soient répartis les commandes en fonction de leurs disponibilités du moment apparaît comme l’hypothèse la plus vraisemblable, ce que vient aussi confirmer l’étude qui a été faite des manuscrits des Statuts de l’ordre de Saint-Michel.
UNE PRODUCTION HOMOGENE
18Qu’il s’agisse de la palette chromatique, des encadrements, des formules de compositions, de certaines silhouettes ou de physionomies, on se rend compte qu’au-delà des manuscrits des Statuts de l’ordre de Saint-Michel, la production de l’artiste se caractérise par une extrême cohésion, quelle que soit la date d’exécution.
Les encadrements
19Lorsque ceux-ci n’imitent pas des cadres de tableaux, comme dans le traité de guerre, le Panégyrique de François Ier, la Réponse à Érasme et le traité sur les souffrances de l’Italie, ou bien lorsqu’ils ne sont pas empruntés à Colaud, comme cela a pu être constaté pour l’Assaut de Beauvais des Mémoires de Philippe de Commynes, plusieurs types d’encadrements se retrouvent régulièrement. Certains sont extrêmement simples, avec un entablement droit comme dans le manuscrit français 14361, le plus ancien des Statuts de sa main, dans le Roman de Palamon et Arcita de la bibliothèque de l’Arsenal et l’évangéliaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Ailleurs, on relève fréquemment la présence de colonnes renflées, distribuées symétriquement ou non, et parfois ceintes en leur milieu par une bague. En soi, ce type n’a rien de bien particulier et pourrait s’appliquer à nombre d’œuvres d’autres artistes parisiens. En revanche, les entablements combinés à ces colonnes sont plus intéressants. Ceux formés par un arc en accolade sont utilisés pour les frontispices des Mémoires de Philippe de Commynes de Nantes et du Paradis (fig. 92 et 93). On le retrouve, inversé, dans le pontifical de Bordeaux ainsi que dans le livre d’heures de la Bibliothèque nationale mais dans une version plus stylisée (fig. 94). L’utilisation d’un arc incurvé dont les extrémités s’achèvent par des rouleaux, comme dans le feuillet volant des Statuts de la bibliothèque Ambrosiana (pl. XII) ou bien par des pots-à-feu, se repère dans quatre ouvrages dont les deux livres d’heures. Enfin, la combinaison d’arcs accolés passant devant l’entablement droit dans deux manuscrits des Statuts de l’ordre de Saint-Michel, le manuscrit français 14365 et l’exemplaire de La Haye, et pourvus d’écoinçons de marbre est reproduite à l’identique dans l’une des miniatures des Mémoires de Philippe de Commynes. Comme autre élément du répertoire décoratif de cet exécutant, on peut évoquer la perle ornant l’une des miniatures de l’évangéliaire de Saint-Pétersbourg, plusieurs scènes des deux livres d’heures ou l’entablement du frontispice du Registre du procès criminel du connétable de Bourbon. Quant aux têtes de putti alternativement roses et bleues qui flanquent l’entablement de ce dernier, on en relève aussi la présence dans la Paraphrase sur les paroles de l’Évangile Verbum caro factum est.
Figures et formules de compositions récurrentes
20De même, on retrouve fréquemment dans les scènes d’intérieur le mur percé de fenêtres et recouvert d’une courtine, le trône avec des montants ornés de boule, la frise décorative placée en haut des murs ou encore l’arc s’achevant en rouleaux pour les ouvertures. On a déjà pu constater la reprise de figures à l’intérieur d’une même miniature comme Érasme et Pio dans la Réponse à Érasme de la Bibliothèque nationale ou d’une scène à l’autre comme Thésée placé de dos dans le Roman de Palamon et Arcita de la bibliothèque de l’Arsenal qui évoque les chevaliers situés habituellement au premier plan dans les exemplaires des Statuts. On retrouve la même silhouette dans la Vocation de Pierre et Paul de l’évangéliaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève et dans la Veillée funéraire de Louis XI des Mémoires de Philippe de Commynes (fig. 35, 88 et 95).
21Les deux cavaliers brandissant leurs épées au centre de la Bataille de Nancy des Mémoires de Philippe de Commynes sont reproduits dans la Bataille entre le comte de Warwick et Édouard IV, roi d’Angleterre, peinte dans le même livre. Un même constat peut être formulé pour les miniatures du Paradis : Dante et Béatrice y sont aisément reconnaissables d’une miniature à l’autre, mais l’exécutant s’est contenté pour d’autres personnages d’en reproduire exactement le type (fig. 34). À ces silhouettes récurrentes vient s’ajouter la reprise de compositions. Ainsi, la Présentation au Temple de l’évangéliaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève se retrouve quasiment à l’identique dans l’un des antiphonaires de Malte (fig. 87 et 96). De même, dans ce dernier, le Christ chassé du Temple présente des liens étroits avec la même scène de l’évangéliaire de Saint-Pétersbourg (fig. 78 et 97). Le phénomène ne se limite pas aux miniatures d’un même thème. Dans la scène de présentation du traité de guerre, les attitudes du roi et des deux nobles auxquels il fait remettre une lettre reprennent celles de Charles le Téméraire et des hérauts d’armes dans la miniature des Prétendants à la main de Marie de Bourgogne des Mémoires de Philippe de Commynes de Nantes. Dans ce manuscrit, la scène de l’Assemblée de Tours évoque le lit de justice du Registre du procès criminel du connétable de Bourbon (fig. 98 et 30), celle du duc de Bourgogne assistant au conflit de la famille de Gueldres (fig. 99) nous ramène à celles ornant les Statuts de l’Ordre produits en série, où plusieurs chevaliers sont représentés dans des attitudes identiques, tandis que le visage du duc rappelle indiscutablement celui du roi de deux exemplaires des Statuts, le manuscrit français 14361 et le livre de Naples (pl. X et XVI).
Gamme chromatique et facture
22Si la reprise de figures s’observe tout au long de la carrière de l’artiste, la gamme chromatique, elle, évolue. Elle s’élargit progressivement, aussi bien pour les Statuts produits en série que pour les commandes ponctuelles. Réduite à l’emploi d’azur, d’or, de rouge, de violet et de noir dans l’exemplaire des Statuts le plus ancien de cet exécutant, le manuscrit français 14361, elle s’enrichit dans les années 1520 de vert, puis dans les années 1530 de rose et d’un bleu froid. La manière dont l’historieur restitue le modelé des visages, en revanche, n’évolue guère. Ainsi, quel que soit le type de physionomie, celui du souverain de l’Ordre, ceux des chevaliers de profil copiés par exemple dans le Roman de Palamon et Arcita de la bibliothèque de l’Arsenal, dans les Mémoires de Philippe de Commynes ou dans l’évangéliaire de Saint-Pétersbourg, ou encore ceux au visage émacié comme le sont le copiste de Commynes et les hérauts d’armes dans ce même (fig. 71 et 92), tous se caractérisent par un menton et une pomme d’Adam très prononcés ainsi que par des lumières posées autour des yeux et à la base du cou. On peut toutefois constater qu’au fil du temps, les visages deviennent plus massifs et les nez plus pointus. De même le traitement des plis des vêtements, extrêmement cassés à l’origine, s’assouplit progressivement, comme en témoignent ceux dont sont revêtus la Samaritaine dans le Panégyrique de François Ier, le saint Jean du livre d’heures de la Bibliothèque nationale ou encore l’Allégorie de Rome du traité sur les souffrances de l’Italie (fig. 100 et 101).
Sources
23Comme Colaud, l’exécutant principal des Statuts a utilisé un fonds de modèles que l’on peut partiellement reconstituer, notamment pour ses deux livres d’heures. Plusieurs de leurs miniatures peuvent être mises en rapport avec des gravures, les unes données à Jean Pichore, les autres à l’école allemande. La Présentation au Temple et la Fuite en Égypte du manuscrit de New York trouvent ainsi leur équivalent gravé dans un livre d’heures imprimé à Paris par Simon Vostre vers 1515, même si le cadrage a été modifié et les canons physiques rendus légèrement plus trapus (fig. 102 et 103). Absents dans l’édition de Vostre, les encadrements, eux, relèvent bien du répertoire de l’exécutant principal des Statuts.
24Des liens comparables unissent les histoires du livre d’heures de la Bibliothèque nationale et plusieurs figures provenant d’un livre d’heures imprimé à Paris en latin par Simon du Bois pour Roffet en 152733. Seule la scène de l’Adoration des mages enluminée est inversée par rapport à la gravure et la position de Melchior légèrement modifiée ; le recours à une autre édition ne peut donc être exclu. Pour les autres miniatures, celles de la Présentation au Temple, de l’Annonce aux bergers et de la Nativité, les changements sont minimes (fig. 104 et 105).
25La reprise aussi fréquente d’éléments de la miniature des Statuts par l’exécutant principal de cette production en série ou par ses aides ponctuels amène inévitablement à se demander si on peut lui en donner l’invention. Il convient certes d’être prudent car rien ne permet d’exclure que cet historieur ait réemployé une composition qui n’était pas sienne à l’origine. Cependant, compte tenu des liens que celui-ci entretenait avec Colaud, l’hypothèse se révèle tentante. Les modifications qui ont pu être relevées dans les Statuts de sa main face à l’ensemble le plus cohérent d’un point de vue formel au sein de cette production pourraient ainsi s’expliquer : il aurait lui-même transposé de plus en plus librement au fil du temps une de ses propres inventions.
Notes de bas de page
1 Londres, Brit. Libr., ms. Add. 18854 ; Nantes, Musée Dobrée, ms. XVIII.
2 Milan, Bibl. Ambrosiana, F. 277 Inf. no 59.
3 BnF, ms. fr. 5109 et ms. Smith-Leousëf 76.
4 La Haye, Musée Meermanno-Westreenianum, ms. 10 C 8 ; BnF, mss fr. 14361 et 14365 ; Saint-Pétersbourg, RNB, ms. Fr. Q.v.II, 2. Le cinquième est le manuscrit de Naples : Bibl. oratorienne des Girolamini, ms. C.F. 1-3.
5 Milan, Bibl. Ambrosiana, F. 277 Inf. No 59 ; BnF, ms. Smith-Lesouëf 76.
6 Bibl. de l’Arsenal, ms. 5116 ; BSG, ms. 106.
7 Saint-Pétersbourg, RNB, ms. Lat. Q.v.I, 204.
8 Nantes, Musée Dobrée, ms. XVIII. Sur celui-ci, cf. M.-B. Cousseau, « Les Mémoires… ».
9 Chantilly, Musée Condé, ms. 892 (XIV H 2).
10 BnF, ms. fr. 462.
11 New York, Publ. Libr., Spencer Coll., ms. 81.
12 Bordeaux, Bibl. mun., ms. 1859. Sur celui-ci, cf. P. Roudié, « Un pontifical… » (cote erronée) ; J. Bayle, « Les livres liturgiques… », p. 171-173.
13 Western Manuscripts and Miniatures…, 2007, lot 26 ; Rare Books…, 2008, lot 24.
14 New York, Pierpont Morgan Library, ms. M 632 ; BnF, ms. lat. 10563. Pour l’exemplaire de New York, cf. J. Plummer et J. Clark, The Last Flowering Frenh Painting…, no 120 (notice de J. Plummer) ; R.S. Wieck, Painted Prayers…, no 26. Pour celui de la Bibliothèque nationale, cf. V. Leroquais, Les livres d’heures…, t. II, p. 31-35 ; R. Marichal et C. Samaran, Catalogue…, t. III, p. 187.
15 BnF, ms. n.a.fr. 4119. Sur celui-ci, cf. L. Auvray, Les manuscrits de Dante…, p. 129-135 ; M.D. Orth, « French Renaissance Manuscripts… », 2001, p. 255-256.
16 BnF, ms. fr. 25453.
17 Malte, Musée conventuel de l’église Saint-Jean, livres I à VIII. Sur ceux-ci, cf. H.P. Scicluna, The Church…, p. 185 ; The Order’s Early Legacy…, no 33 (notice de M. Buhagiar) ; T. Zammit Lupi, Cantate Domino…
18 Bordeaux, Bibl. mun., ms. 1859.
19 BnF, ms. n.a.lat. 4119.
20 BnF, ms. fr. 25452.
21 Malte, Musée conventuel de l’église Saint-Jean, livre VIII, fo 1r°. Les autres lettres historiées portent en bordure sa devise.
22 P. de Commynes, Mémoires, t. I, p. 469-470. Il se fonde pour cette attribution sur les pièces vues par le père Anselme (Histoire généalogique…, t. VI, p. 217-218).
23 P. de Commynes, Mémoires, t. I, p. XXIII.
24 BSG, ms. 2217.
25 J. Roman (Inventaire des sceaux…, no 121) cite un sceau de Jean d’Albret avec les armes pleines du 31 décembre 1498 mais son état de conservation, très médiocre, ne permet pas d’être affirmatif. Ces armes pleines figurent également sur le sceau de son cousin Alain d’Albret, dit le grand, comte de Gavre, de Périgord et de Castres, vicomte de Limoges (ibid., no 110, p. 13, sceau de 1495, 1er octobre ; mais aussi BnF, P.O. 25 ; no 200, 1505, 5 mai-copie). Il meurt en 1522. Cependant, une commande faite par lui est peu probable étant donné la présence postérieure du manuscrit dans la branche cadette de la famille. D’autre part, les supports – les sauvages – sont ceux adoptés par Jean d’Albret, tandis que ce sont des lions pour la branche aînée.
26 Cité d’après les Statuts…, p. 135.
27 The Order’s Early Legacy…, no 33 (notice de M. Buhagiar).
28 G.-M. Leproux, « Sept vitraux… ».
29 L. Auvray, Les manuscrits de Dante…, p. 129-135.
30 L. Delisle, « Manuscrits… », p. 160 ; L. Auvray, Les manuscrits de Dante…, p. 129.
31 M.D. Orth, « French Renaissance Manuscripts… », 2001, p. 255-256.
32 R. Marichal et C. Samaran, Catalogue…, t. III, p. 187.
33 BnF, Est. Rés., Ea-11-(2)-FOL École du Nord 1429 et ms. lat. 10563.
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