Chapitre 1. Qui était Étienne Colaud ? Anciennes attributions et nouvelle proposition
p. 161-174
Texte intégral
1La connaissance de l’enluminure en France au XVIe siècle a, sur certains points, évolué depuis les travaux de Durrieu. Il convient donc de distinguer tout d’abord les manuscrits de la collection de Sir Thomas Phillips à Cheltenham que cet auteur donnait, en 1889, à Étienne Colaud1, des attributions plus récentes.
LA FORTUNE CRITIQUE DES ATTRIBUTIONS FAITES PAR DURRIEU
2Trois manuscrits étaient recensés dans la collection de Sir Thomas Phillips en 18892. L’un d’entre eux, le Procès et réhabilitation de Jeanne d’Arc, a été acquis en 1998 par le Victoria and Albert Museum3. C’est à cette occasion que les miniatures furent attribuées à un enlumineur rouennais actif autour de 1525, le Maître des Heures Ango4. Les deux autres, en revanche, ont bien été réalisés à Paris : il s’agit de deux traductions, l’une par Simon Bourgoing de la Vie d’Hannibal, et l’autre par François d’Assy de la version italienne du Roman de Lérian et Lauréolle.
3Le Roman de Lérian et Lauréolle appelé parfois La Prison d’amour, récit chevaleresque de Diego de San Pedro, eut très vite un grand succès à travers l’Europe. Publié à Séville en 1492, le texte fut imprimé en italien en 1513 et traduit en français par François d’Assy à partir de cette dernière édition. Dès mars 1526, Galliot du Pré en vendait un tirage. Des commandes de tapisseries sur ce thème attestent aussi cette vogue. Myra Orth a pu recenser sept manuscrits de la traduction française, tous réalisés selon elle à Paris vers 1525-15285. Parmi ceux-ci figurait celui de l’ancienne collection de Cheltenham, désormais conservé à Genève dans la bibliothèque Bodmer6.
4Aucun de ces manuscrits, lorsqu’ils sont pourvus d’histoires, ne comporte le même nombre d’illustrations. Mais deux, celui de Genève et un autre conservé à Oxford7, présentent des similitudes stylistiques indéniables. Le premier fut exécuté pour Charles de Bourbon, duc de Vendôme, et sa femme, Françoise d’Alençon8 ; on ne connaît pas le commanditaire du second. Les analogies sont évidentes lorsque l’on compare la scène de dédicace du premier avec celle, par exemple, de Lérian remettant une lettre à Lauréolle du second. Isabelle Delaunay a proposé de façon convaincante de les attribuer au Maître des Entrées parisiennes9. On peut en effet comparer ces miniatures avec celles données par Myra Orth à ce groupe, comme la Complaincte de dasme Pasmée contre Fortune qu’écrivit Catherine d’Amboise10 (fig. 22 et 23). Ainsi, l’encadrement entourant la miniature du Clerc apportant un message à la dame pâmée est, excepté la guirlande, en tout point comparable à la scène de dédicace de Genève. Surtout, les physionomies, notamment féminines, évoquent bien celles des personnages des deux Romans de Lérian et Lauréolle.
5Le manuscrit de la traduction de la Vie d’Hannibal de Plutarque par Simon Bourgoing, in-folio orné de 17 miniatures offert par le comte Guy de Boisrouvray à la Bibliothèque nationale avant 1961, a d’abord été considéré, notamment par Jean Porcher, comme l’œuvre d’un artiste de l’école de Rouen (fig. 2611). James P. Carley et Myra Orth ont proposé depuis d’en situer l’exécution dans les décennies 1510-1520, la date ante quem étant fournie par la mort du commanditaire, Guy de Baudreuil, abbé de Saint-Martin-aux-Bois près de Clermont en Beauvaisis, en 153112.
6Il y a tout lieu de croire que l’on a plutôt affaire à un enlumineur parisien, à défaut d’un intervenant du groupe Colaud. Le vocabulaire est certes vaguement commun avec les encadrements architecturaux des Statuts, mais on ne trouve pas dans ceux-ci l’équivalent des personnages aux nez très prononcés, aux commissures marquées de la scène de dédicace ou encore des sénateurs que l’on peut voir dans une double scène représentant, à gauche, Hannibal et les ambassadeurs de Rome, et, à droite, le Sénat romain13.
7En revanche, des figures très comparables peuvent être observées dans un livre d’heures de la bibliothèque de l’Arsenal exécuté pour Étienne Aleaume, seigneur de Verneuil, et sa femme, Jeanne Tenon14. Chacun d’eux y figure sur une miniature avec son saint patron. Les encadrements présentent des similitudes étroites avec ceux de la Vie d’Hannibal. La disposition générale de l’architecture, le décor écaillé porté sur le fût des colonnes et la forme des tailloirs des chapiteaux sont identiques. Le visage d’Étienne Aleaume rappelle celui de Symon Bourgouyn et, dans la scène de la Prédication de saint Jean-Baptiste à laquelle assiste Jeanne Tenon, certaines figures masculines sont très proches des sénateurs et des ambassadeurs de Rome du manuscrit de Guy de Baudreuil.
8Il est donc probable que ces deux livres soient l’œuvre d’un même exécutant, et que celui-ci était parisien : Étienne Aleaume était bourgeois de Paris et conseiller de la ville de 1512 à 1531, et commis au gouvernement de l’Hôtel-Dieu, jusqu’à sa mort, antérieure au 19 janvier 1531. Le livre porte plusieurs mentions de sa main, parmi lesquelles celle du baptême de l’aîné de ses quatre enfants, Louis, au mois de mai 1524 en la paroisse Saint-Paul, sans doute l’enfant représenté agenouillé dans la miniature aux côtés de son père avec saint Étienne. La fourchette de réalisation peut donc être située entre 1524 et 1531, ce qui conforte celle proposée pour la Vie d’Hannibal.
ATTRIBUTIONS RÉCENTES
9Depuis deux décennies, le nom de Colaud a été associé ponctuellement à plusieurs œuvres. L’étude qui vient d’être faite des Statuts produits en série sous le règne de François Ier et de ce qu’il convient désormais d’appeler le « groupe Colaud » permet d’éclairer sous un jour nouveau ces attributions, lorsqu’elles ont, du moins, donné lieu à des rapprochements formels précis ou à une tentative de distinction de mains. Pour les autres, il faut bien admettre que, comme la traduction de la Vie d’Hannibal, le nom de Colaud désigne au mieux un milieu parisien dont la connaissance demeure encore limitée15. Le manuscrit des Chants royaux est, en ce sens, exemplaire16.
Le manuscrit des Chants royaux du Puy de la Conception de Rouen
10Ce manuscrit a fait l’objet d’une littérature abondante pour son décor comme pour sa teneur textuelle. Témoignage des palinods qui avaient lieu chaque année dans la capitale normande à l’occasion de la fête de la Conception, il constitue le recueil des 50 meilleurs chants royaux présentés de 1519 à 1528. Les trois primés chaque année, ainsi que deux autres, sont retranscrits, chacun étant précédé d’une miniature de pleine page illustrant le plus souvent des métiers ou des activités de la vie quotidienne.
11En 1999, lors d’un colloque sur les palinods, Myra Orth remit en cause l’origine rouennaise de l’œuvre17. Elle y distinguait trois exécutants : le Maître d’Anne de Graville pour le Travail du teinturier (folio 16vo) et, pour le reste, sans détailler, le Maître des Puys de Rouen et Étienne Colaud, son « associé étroit ». Elle concluait que le livre avait été enluminé à Paris vers 1530-1535.
12Or, si le Travail du teinturier (fig. 37) se distingue indiscutablement, donner à deux autres mains le reste des enluminures ne s’impose pas lorsque l’on en étudie la facture (fig. 24 et 25). La seule différence réside en effet dans la présence plus ou moins appuyée de couleurs appliquées autour des encadrements architecturaux. En revanche, aucune nuance n’est perceptible d’une miniature à l’autre, qu’il s’agisse des teintes employées, du traitement des matières ou des objets. À la palette chromatique des scènes mêmes, constituée de rouge, d’azur, de vert, de violet et d’or, viennent s’ajouter le rose, le bleu et le vert froid souvent combinés à l’or des encadrements. Les scènes sont peintes sans restituer ni profondeur ni épaisseur des matières ou des visages. Le modelé des vêtements rouges, bleus ou violets est uniquement rendu par l’emploi abondant d’or. Le marbre est suggéré par de grossières hachures. Les plis des vêtements sont lâches, les mains et les visages disproportionnés par rapport aux corps. Enfin, malgré la diversité des types physiques, on peut observer que les visages masculins sont toujours carrés, accentués au niveau des commissures des lèvres, que les ombres sont fortement marquées le long des tempes et que les chevelures raides s’achèvent en grosses boucles aux abords du visage.
13La manière de l’historieur intervenant ici se distingue donc, comme celui de la traduction de la Vie d’Hannibal de Plutarque par Simon Bourgoing (fig. 26), de celle des divers exécutants des Statuts. De même, les encadrements, bien que d’un esprit commun aux exemplaires tardifs de cette production en série, sont sans équivalents. Tout au plus peut-on relever une ressemblance lointaine entre certains de ces visages aux traits presque caricaturaux et ceux de chevaliers des Statuts. C’est le cas, par exemple, pour deux relecteurs de la miniature représentant l’intérieur d’une imprimerie (fig. 24) qui rappellent, dans une version épaissie, certains chevaliers de face du manuscrit des Statuts de La Haye peints vers 1530 (pl. XIV18). La comparaison avec l’une des marques de l’imprimeur Josse Bade qui a visiblement servi ici de modèle à l’enlumineur (fig. 2719) montre qu’il s’agit de silhouettes qui ont été rajoutées.
14Les douze miniatures de pleine page et les six petites qui subsistent dans un livre d’heures présenté par la galerie Les Enluminures sous le nom « Cercle d’Étienne Collault20 », dont l’exécution daterait des années 1525, présentent des liens beaucoup plus étroits avec celles des Chants royaux du Puy de la Conception de Rouen, à commencer par le style des encadrements. Ainsi, le soubassement figurant au bas de l’Annonciation est d’une forme identique à celui du Songe de Jacob (fig. 28). Les dragons formant l’arc de l’entablement se ressemblent aussi. On retrouve non seulement la même palette, mais aussi une manière analogue de modeler les vêtements, par exemple par l’utilisation à profusion d’or pour donner du relief aux étoffes violettes (fig. 29). Enfin, la confrontation des physionomies plaide indiscutablement en faveur d’un même artiste.
15Les liens entre cet exécutant et ceux du groupe Colaud sont donc, sur le plan de la facture, trop ténus pour que l’on puisse retenir ces œuvres dans le corpus, et ils paraissent s’expliquer uniquement par le milieu étroit dans lequel ces enlumineurs, tous contemporains, travaillaient à Paris. Il en va différemment pour cinq autres manuscrits : le Registre du procès criminel du connétable de Bourbon, la Réponse à Érasme, une traduction du Paradis de Dante par François Bergaigne, tous trois à la Bibliothèque nationale21, le manuscrit appelé usuellement le Roman de Palamon et Arcita d’Anne de Graville de la bibliothèque de l’Arsenal22 et le Panégyrique de François Ier de René Bombelles conservé à Chantilly23.
Le Registre du procès criminel du connétable de Bourbon
16Mgr Gabriel, en proposant une datation vers 1522-1523 du feuillet volant de Milan (pl. XII), a supposé que les miniatures des Statuts produits en série trahissaient l’influence de celle placée en tête du Registre du procès criminel du connétable de Bourbon24. Cette miniature représente François Ier présidant un lit de justice (fig. 30). À l’appui de cette hypothèse, il citait la forme du trône analogue à celui des Statuts de la bibliothèque Ambrosiana, les gestes des pairs de la Couronne, semblables à ceux des chevaliers dans les manuscrits produits en série, et le style comparable des encadrements.
17Il ne peut guère s’agir d’influence : le procès commença certes en 1523, mais il ne s’acheva qu’en 1527, et la conclusion, qui figure dans le manuscrit, ne fut donnée par la cour du Parlement qu’en mai 1528. Le frontispice, exécuté au verso d’un bifeuillet préliminaire, est donc postérieur au feuillet volant des Statuts conservé à Milan, comme les autres enluminures, ajoutées après la copie du registre25. Celui-ci fut exécuté pour le chancelier Duprat, dont les armes figurent en effet au premier feuillet de texte26. La date de mort du commanditaire permet donc de préciser la fourchette de réalisation : après mai 1528 et avant juillet 1535.
18En revanche, les liens entre le frontispice et les Statuts produits en série sont réels, surtout avec les exemplaires les plus tardifs, le manuscrit Smith-Lesouëf 76 de la Bibliothèque nationale et celui de La Haye (pl. XIII et XIV), dans lesquels on retrouve, comme pour le feuillet de la bibliothèque Ambrosiana, un trône identique. Dans le frontispice exécuté pour Duprat, au lieu des chevaliers, ce sont les pairs de France, laïcs à gauche, ecclésiastiques à droite, qui sont assis autour de François Ier. Excepté le chancelier Duprat, identifiable par son habit de cardinal et un certain embonpoint, les autres personnages, y compris le roi, reprennent les mêmes physionomies que celles relevées dans les Statuts. Leur répartition en losange ne trouve, par contre, son pendant qu’avec la miniature du manuscrit Smith-Lesouëf 76 où l’on note une conception analogue de l’espace. D’autres détails communs laissent penser que l’on a affaire au même exécutant. On observe ainsi un décor semblable sur la retombée du dais, une structure analogue des visages, assez triangulaires, l’emploi de teintes rousses pour certaines chevelures et barbes, rares dans les autres manuscrits des Statuts, un esprit naturaliste similaire, avec les feuilles d’acanthes se mêlant aux arcs formant l’entablement.
La Réponse à Érasme d’Albert Pie, comte de Carpi
19La miniature de l’exemplaire de la traduction anonyme de la Réponse à Érasme d’Albert Pie, comte de Carpi27, présente, elle, des liens étroits avec les Statuts de La Haye, exemplaire le plus tardif peint par l’exécutant principal, et semble bien être de la main de celui-ci (fig. 31).
20Il est établi, depuis longtemps, que François Ier était le destinataire de cet ouvrage : ses armes figurent au bas de la miniature et le prologue lui est adressé28. La datation, en revanche, peut être précisée. La lettre à Érasme fut écrite en 1526 et publiée à Paris, en latin, en 1529. Or, il existe un autre exemplaire portant les armes de Guillaume de Montmorency, en même temps qu’une dédicace adressée à celui-ci29. C’est donc entre 1529 et la mort de Guillaume de Montmorency, en 1531, que peut être située la date de la traduction ainsi que celle, probable, de la réalisation de la miniature30.
21Les 220 autres feuillets in-folio ont été transcrits rapidement sur un parchemin de qualité grossière et avec un nombre inégal de lignes de texte, la réglure maîtresse seule ayant été tracée à la pointe. Or, le décor secondaire est sans comparaison avec ce que l’on connaît à Paris à la même époque : bordures, lettres ornées, pieds-de-mouche et bouts-de-ligne ont été peints en lavis. La rupture de la règle de Grégory entre les folios 1vo et 2ro montre d’ailleurs que la miniature a été ajoutée au reste du volume. L’historieur a imité un cadre doré en relief également présent, d’ailleurs, dans le Panégyrique de François Ier. Par contre, il a repris le système du mur orné d’une courtine fleurdelysée commune à une partie des Statuts. Le visage de François Ier est en tout point identique à celui du souverain des Statuts de La Haye (pl. XIV). Quant à ceux d’Érasme et de Luther, il serait bien vain de tenter de les identifier : ils reprennent les physionomies impersonnelles des chevaliers que l’on trouve toujours au premier plan dans les Statuts.
Le Roman de Palamon et Arcita, la traduction du Paradis de Dante par François Bergaigne et le Panégyrique de François Ier de René Bombelles
22Plus intéressants encore sont trois autres manuscrits, qui donnent à voir un autre pan de la production de cet exécutant, ce qui explique, sans doute, que Myra Orth ait tout d’abord distingué l’intervention de deux enlumineurs pour les trois miniatures du Panégyrique de François Ier que René Bombelles offrit au roi en 153131. La miniature sur laquelle s’ouvre cet ouvrage, le jurisconsulte blésois présentant son livre au roi en présence de membres de sa cour, s’apparente en effet étroitement à celle des Statuts ou à celle de la Réponse à Érasme32. La pièce ornée d’une tenture fleurdelysée en haut de laquelle est tracée l’inscription « francois roy de fr[ance] par la grace de dieu », la position centrale du roi et la distribution circulaire des personnages, excepté dans la partie inférieure gauche où se tient René Bombelles, sont communes à la plupart des exemplaires produits en série33. Par ailleurs, la traduction du Paradis de Dante, quoique lacunaire34, laisse penser qu’Antoine Duprat s’était déjà adressé à cet exécutant principal des Statuts avant de faire exécuter le décor dans la copie du Registre du procès criminel du connétable de Bourbon35. Surtout, le Roman de Palamon et Arcita, étudié dès 1997 par Myra Orth, atteste d’un travail en collaboration avec le Maître d’Anne de Graville et un autre enlumineur.
23Ce Roman de Palamon et Arcita est une traduction française en vers de La Théséïde de Boccace entreprise par Anne de Graville à la demande de Claude de France dont elle était l’une des dames d’honneur. Six exemplaires de ce roman épique, dont la traduction a été faite entre 1520 et 1524, ont pu être recensés36. Seul le manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal est pourvu d’histoires, au nombre de treize. En dépit de son titre d’usage, ce volume comprend également la traduction du latin en français par Macé de Villebresme de l’Épître de Clériandre la romaine à Reginus de Fausto Andrelini et de l’Épître de Maguelonne à Pierre de Provence composée par Clément Marot37, comportant chacune une miniature du troisième exécutant.
24Le destinataire du manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal demeure énigmatique et la datation du décor incertaine. Myra Orth considérait qu’il s’agissait de l’exemplaire offert par Anne de Graville à la reine en raison du programme iconographique qui y était développé et de la scène de présentation qui y figurait38. Cependant, la dédicace à la reine se retrouve dans l’un des cinq autres exemplaires recensés, dans lequel les armoiries de Claude de France ont été peintes39. En revanche, il est assuré qu’Anne de Graville, dont l’anagramme figure dans le manuscrit, a été le commanditaire.
25Les sept miniatures que l’exécutant principal des Statuts a peintes à la suite des quatre du Maître d’Anne de Graville, dans le Roman de Palamon et Arcita, sont, en tous cas, particulièrement proches de celles de la traduction du Paradis de Dante dont l’exécution a pu être située vers 1524-152640 et annoncent déjà celles du Panégyrique de François Ier. Certaines physionomies masculines rappellent non seulement celles du manuscrit français 14365 des Statuts (pl. XI) mais aussi celles, plus tardives, de l’exemplaire de La Haye (pl. XIV). L’aspect stéréotypé des chevaliers, le caractère sériel et lacunaire de cette production ainsi que la difficulté à ne pouvoir établir qu’une chronologie relative incitent certes à la prudence, mais plusieurs éléments engagent à penser que l’exécution du décor du Roman de Palamon et Arcita et du Paradis se situent précisément entre celle des deux exemplaires des Statuts.
26Excepté dans la miniature représentant Émilie et Thésée en présence de Palamon et d’Arcita dont les teintes pâles font davantage écho à celles employées par le Maître d’Anne de Graville au folio 8v° (fig. 32 et 33), on retrouve ces mêmes couleurs de gris, d’azur, de rouge, de noir et d’or intenses auxquelles vient s’ajouter le vert des scènes d’extérieur, teinte également présente dans les miniatures du Paradis (fig. 34). Cependant, la palette vient s’enrichir, pour les encadrements, d’un bleu auquel le blanc confère une teinte extrêmement froide, parfois de rose, ce que l’on ne trouve pas dans le manuscrit français 14365. Pour autant, la facture ne diffère guère de celle du manuscrit français 14361 des Statuts. Tous les visages, quel qu’en soit le type, se caractérisent par un menton et une pomme d’Adam très prononcés ainsi que par des lumières posées autour des yeux et à la base du cou.
27Dans les deux commandes ponctuelles, on constate que certains encadrements, des formules de composition voire certaines silhouettes ou physionomies sont très proches de ceux des manuscrits de l’exécutant principal. Ainsi, la combinaison d’arcs accolés passant devant l’entablement droit d’un des encadrements du Paradis (fig. 34) reproduit celle relevée dans le manuscrit français 14365 (pl. XI) et dans celui de La Haye (pl. XIV). C’est avec un chevalier du premier de ces deux exemplaires des Statuts que Thésée, dans la scène où il donne son pardon à Émilie (fig. 35), trouve son équivalent le plus proche. La même remarque pourrait être faite pour plusieurs autres figures.
28Si l’on fait le bilan des attributions qui ont été formulées jusqu’ici, plusieurs constatations s’imposent. D’une part, toutes ne peuvent être retenues dans le groupe Colaud. Lorsqu’elles ne sont pas rouennaises, comme dans le Procès et réhabilitation de Jeanne d’Arc du Victoria and Albert Museum de Londres, le lien entre certaines miniatures et celles des Statuts produits en série procède seulement de l’appartenance à un même milieu artistique. C’est le cas du Roman de Lérian et Lauréolle de Genève, de la Vie d’Hannibal ou encore des Chants royaux du Puy de la Conception de Rouen. On ne peut conserver, sur des critères techniques et formels, que les miniatures du Registre du procès criminel du connétable de Bourbon, de la Réponse à Érasme, du Panégyrique de François Ier, de la traduction du Paradis de Dante et une partie du décor du Roman de Palamon et Arcita de la bibliothèque de l’Arsenal.
29Il apparaît donc que la conception du groupe Colaud a été faussée par une analyse incomplète des manuscrits des Statuts produits en série et n’a pas assez tenu compte de ceux qui forment le premier ensemble, le plus cohérent au niveau formel. Excepté le Registre du procès criminel du connétable de Bourbon dont les deux miniatures sont de l’exécutant du manuscrit Smith-Lesouëf 76 de la Bibliothèque nationale, les histoires des autres livres conservés au groupe Colaud peuvent être données à l’exécutant principal des Statuts, celui intervenant sur une quinzaine d’années dans les manuscrits français 14361 et 14365 de la Bibliothèque nationale ainsi que dans les exemplaires de Saint-Pétersbourg et de La Haye. Cet exécutant, on l’a vu, ne peut être Étienne Colaud à qui revient seulement, au sein de cette production en série, le manuscrit français 19815. Ce dernier, toutefois, ainsi que le livre d’heures de 1512 peuvent être mis en relation avec une vingtaine d’autres livres dans lesquels on retrouve un style et une facture proches41.
Notes de bas de page
1 P. Durrieu, « Les manuscrits à peintures… », nos LXXVII-LXXXII.
2 Cheltenham, coll. Sir Thomas Phillips (1889), nos 3110, 6448 et 9297. Aucun n’est recensé dans l’ouvrage de A.L.M Munby, Phillips Studies…
3 Londres, Victoria and Albert Museum, Departement Word and Image, NAL, MSL/1998/3. Cf. « Principales acquisitions… », p. 75, no 276.
4 G. Ritter et J. Lafond, Manuscrits à peintures…, p. 29-30 ; J. Plummer et G. Clark, The LastFlowering French Painting…, no 121 (notice de J. Plummer) ; M. Friesen, Der Rosenroman für François I …, t. II, p. 123-125 ; R. Watson, Les manuscrits enluminés…, no 25.
5 M.D. Orth, « The Prison of Love… ».
6 Cod. 149. F. Vielliard, Biblioteca Bodmeriana…, p. 161.
7 Oxford, Bodl. Libr., ms. Rawl. D 591. M.D. Orth, « The Prison of Love… », p. 213, n. 9-10, pl. 27c. Sur l’exemplaire d’Oxford, cf. aussi O. Pächt et J.J.G. Alexander, Illuminated Manuscripts…, no 745.
8 C’est à tort, en dépit de l’identification faite par Durrieu en 1889 (« Les manuscrits à peintures… », no LXXIX), que le manuscrit figure dans le catalogue de vente de 1953 comme ayant été réalisé pour le connétable de Bourbon (Rare Books…, 1953, cat. no 83, lot 159).
9 I. Delaunay, « Le Maître des Entrées parisiennes », p. 55, n. 6.
10 BnF, ms. n.a.fr. 19738. M.D. Orth, « Dedicating Women… », p. 21-22, fig. ; Id. « French Renaissance Manuscripts… », 2001, p. 260, fig. 14 ; Id., « Family Values… », p. 90-92, n. 12-13.
11 BnF, ms. n.a.fr. 25165. J. Porcher, Les manuscrits à peintures…, no 30.
12 J.P. Carley et M.D. Orth, « “Plus que assez”… », p. 338, 343-344, 346-347, fig. 4.
13 BnF, ms. n.a.fr. 25165, f° 3r°. Miniature reproduite dans J. Porcher, Les manuscrits à peintures…, no 30.
14 Bibl. de l’Arsenal, ms. 1175. A. Lelarge, « Louis Aleaume… », p. 166-169.
15 C’est sans doute le cas du feuillet passé sur le marché de l’art chez Christie’s en 2005 (Londres, Valuable Printed Books…, lot 7). Il représente le Christ apparaissant à la Vierge, tandis qu’au premier plan Pierre de Cornibus et une franciscaine, Madeleine Lombarde, sont agenouillés et accompagnés de leurs saints patrons respectifs. On ne sait presque rien de cette Madeleine Lombarde, dont les initiales « M L » incitent à penser qu’elle fut la commanditaire. La vie de Pierre de Cornibus, qui mourut en mai 1549, est mieux documentée : originaire de Beaune, il passa la plus grande partie de sa vie à Paris, dans le couvent des Cordeliers. Notaire apostolique, il assuma aussi le rôle de professeur de théologie à l’Université et acquit une grande réputation en tant que prédicateur (Épitaphier…, t. III, no 1152 ; L. Beaumont-Maillet, Le grand couvent…, p. 159 et 167). Il n’a pas été possible d’obtenir de cliché d’un autre feuillet volant présenté lors de la onzième vente de livres de Montignac (Montignac-Lascaux, 24-26 août 2006, lot 834) ; quant à deux autres livres présentés récemment (Ramsen/Rotthalmünster, Ant. Bib., H. Tenschert, 2009. Cf. E. König, H. Tenschert et I. Nettekoven, Leuchtendes Mittelalter. Neue Folge, t. VI, nos 29 et 30), les propositions d’attribution ou de collaboration sont émises avec beaucoup de réserves, parfois sans cliché à l’appui.
16 BnF, ms. fr. 1537.
17 M.D. Orth, « Les Puys en images… », p. 51-74 ; Id., « French Renaissance Manuscripts… », 2001, p. 258, fig. 12.
18 La Haye, Musée Meermanno-Westreenianum, ms. 10 C 8.
19 L’art du livre…, no 50 ; M.D. Orth, « French Renaissance Manuscripts… », 2001, p. 258. Celle dont la miniature se rapproche le plus a été faite en juillet 1520 (no 23) ; Bade l’utilisera durant toute sa carrière concurremment avec celles de 1507 et de 1529. P. Renouard, Bibliographie…, t. I, p. 42-45 ; Id., Les marques…, nos 22-24.
20 Paris, Galerie Les Enluminures, 2008-2011. Cf. Books of Hours, Paris, Galerie Les Enluminures, BOH no 3 ; Pen to Press…, no 15 ; France 1500…, no 13. Le texte étant incomplet, on ne sait à quel usage étaient destinées ces heures, mais les mentions de sainte Geneviève, saint Claude, saint Denis et saint Fiacre dans le calendrier laissent penser qu’il s’agirait de celui de Paris.
21 BnF, mss fr. 5109, 462 et 4119.
22 Bibl. de l’Arsenal, ms. 5116.
23 Chantilly, Musée Condé, ms. 892 (XIV H 2).
24 BnF, ms. fr. 5109, f° Av°. A.L. Gabriel, « An Illuminated Page… », p. 116.
25 Le reste du décor consiste en une bordure à compartiments qui orne le premier des 485 feuillets du registre transcrits d’une écriture notariée et, au bas du feuillet précédant la table, une miniature de petites dimensions où François Ier, assis sur un trône, est entouré de cinq personnages (f° 477r°).
26 L. Delisle, Le cabinet des manuscrits…, t. II, p. 296. Cf. aussi C. Couderc, Album…, no CX.
27 BnF, ms. fr. 462. François Ier, images d’un roi…, no 17 (notice de P.-G. Girault).
28 L. Delisle, Le cabinet des manuscrits…, t. I, p. 163.
29 Chantilly, Musée Condé, ms. 187 (709).
30 R. Marichal et C. Samaran, Catalogue…, t. I, p. 19. Le traducteur ne fait pas mention de la mort d’Albert Pie, comte de Carpi, survenue en 1531.
31 Chantilly, Musée Condé, ms. 892 (XIV H 2). M.D. Orth, « Dedicating Women… », p. 24, n. 50 ; Id., « French Renaissance Manuscripts… », 2001, p. 257-258. Pour l’ensemble des caractéristiques matérielles de ce volume in-folio, pourvu de 98 feuillets et d’une décoration secondaire importante, on se reportera, outre la notice de M.D. Orth de 2001 (L’art du manuscrit…, no 8), à celle de J. Meurgey, Les manuscrits à peintures…, p. 196-197.
32 BnF, ms. fr. 462.
33 Ce sont évidemment avec ceux qui sont les plus tardifs que les liens formels sont les plus étroits. L’un des deux personnages à droite au premier plan, de profil, évoque, par sa position anatomiquement impossible, l’un des chevaliers du manuscrit Smith-Lesouëf 76 de la Bibliothèque nationale. On retrouve aussi, au second plan à gauche, des clercs fonctionnant par paire, tandis que l’un des membres de la Cour, placé à la gauche du roi, a une attitude similaire au chevalier placé au même endroit dans les Statuts de La Haye. Si le trône est commun aux deux exemplaires des Statuts, c’est en revanche uniquement avec celui de La Haye que le décor de la frise et celui porté sur le dais trouvent leur équivalent.
34 Ce manuscrit demeure singulier. On note une lacune de la fin du chant XI jusqu’à celle du chant XIV, et pour les rondeaux des chants XV et XVII à XX, seul le titre est indiqué, les vers n’y figurant pas. Les enluminures manquent dans les cahiers II à XI.
35 L’autre manuscrit enluminé conservé de cette traduction et comportant une dédicace à Guillaume Gouffier (BnF, ms. n.a.fr. 4530) incite du moins à envisager cette hypothèse : bien que dans les deux cas, la devise du traducteur figure sur le frontispice héraldique aux armes, pour le premier, de Gouffier, et pour le second, de Duprat, le décor est sans rapport d’un point de vue stylistique.
36 A. de Graville, Le beau roman des deux amans Palamon et Arcita… M.D. Orth, « Dedicating Women… », p. 24.
37 Bibl. de l’Arsenal, ms. 5116, fos 71r°-76v° et 77r°-83v°.
38 Les armoiries présentes sur le premier feuillet, non identifiées, ne lui semblaient pas d’origine.
39 Chantilly, Musée Condé, ms. 513 (1570), f° 2v°. M.D. Orth, « Dedicating Women… », p. 24 ; Id., « Family Values… », p. 93-94.
40 R. Cooper, « Dante sous François Ier… » ; M.D. Orth, « French Renaissance Manuscripts… », 2001, p. 255-256.
41 M. François Avril, auquel j’exprime ma profonde gratitude, m’en a récemment signalé deux : un livre d’heures exécuté avec d’autres artistes, conservé à Oxford (Bodl. Libr., ms. Douce 135), et Les Obfuscations du monde de Jean Daniel à Copenhague (Kongelige Bibliotek, ms. NKS 165, 4o), en cours d’étude par Jean-Luc Deuffic (« Det Kongelige Bibliotek NKS 165, 4o… »). En outre, un livre passé en vente récemment n’est peut-être pas de la main même de l’artiste, mais il présente des analogies tellement étroites qu’il ne peut avoir été exécuté que sous son égide (Londres, Sotheby’s, cf. Western Manuscripts and Miniatures, 2011, lot 125).
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Étienne Colaud
Ce livre est cité par
- Gordon, Stephen. (2018) The Three Living and the Three Dead in theHoraeof Galiot de Genouillac (Rylands Latin MS 38). Source: Notes in the History of Art, 37. DOI: 10.1086/697230
Étienne Colaud
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