Restauration, parachèvement, prouesses. Un portrait d’Henri IV en bâtisseur
p. 341-359
Texte intégral
1Les monuments ont parfois des destinées étranges en marge des destructions et des remaniements qui font aussi l’histoire de l’art. Qui aurait pu penser que les quatre allégories royales de la Pyramide des Jésuites, dressées depuis 1595 dans le ciel de Paris (Fig. 1), finiraient du vivant d’Henri IV dans la pénombre d’une grotte artificielle ? Pour signifier publiquement sa réconciliation avec la Compagnie de Jésus, le roi ordonna en mai 1605 la démolition du monument expiatoire qu’il avait fait élever dix ans plus tôt, face au Palais de la Cité, la commémoration de l’attentat manqué de Jean Châtel. On sait par les archives que l’édifice fut démantelé avec soin de façon à récupérer toutes les pierres, les marbres et les « figures » qui furent portés au Louvre et déposés sous la Petite Galerie1. On peut penser que les dalles sont venues se fondre tôt ou tard dans la décoration du Louvre ou des Tuileries. Quant aux statues, elles durent gagner rapidement le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye où, au prix peut-être de quelques retouches, elles vinrent compléter un ensemble décoratif déjà constitué, celui de la grotte d’Orphée. Dès 1609, André Duchesne signalait dans les niches de cette salle, dont le décor célébrait la gloire et les bienfaits de la dynastie des Bourbons (Fig. 2), des « déesses admirables en forme de demi colosses2 » qu’un voyageur allemand, Abraham Gölnitz désigne dans son guide (1631) comme les « quatre vertus cardinales en marbre blanc qui ornaient jadis la Pyramide des Jésuites devant le Palais de Paris3 ».
RÉEMPLOIS, IMITATIONS ET PASTICHES SUR LES CHANTIERS ROYAUX
2Si l’affaire de la Pyramide des Jésuites a encore le don de nous surprendre, c’est parce qu’elle met en lumière toute l’importance et la valeur des réemplois dans le contexte très privilégié des chantiers royaux. La récupération de matériaux, le déplacement d’objets ou d’édifices et leur remontage dans des compositions nouvelles sont des pratiques fréquentes et fort anciennes, bien connues des archéologues, mais que les historiens de l’art sont moins enclins à considérer. L’une des raisons est que la notion de réemploi s’accorde assez mal avec la théorie moderne de « l’œuvre d’art » qui suppose une unité profonde entre la conception d’un ouvrage, le choix des matériaux et son exécution. Ce qui nous frappe à la grotte d’Orphée, c’est en effet le caractère hétérogène, accumulatif et en partie fortuit d’une composition où les œuvres de récupération faisaient apparemment bon ménage avec un décor de rocaille entièrement neuf et l’hydraulique la plus sophistiquée (Fig. 2). On est aussi surpris d’apprendre que les allégories sculptées, vingt-cinq ans après leur installation dans une grotte, pouvaient encore être présentées aux visiteurs comme les reliquats d’un monument royal, comme si cette réunion d’objets avait acquis, du fait de sa provenance et de son histoire, un statut comparable à celui d’un trésor de reliques ou d’une collection d’objets rares ! Le réemploi n’est pas ici un simple expédient : si les statues complètent à point nommé le décor, elles participent aussi au culte de la dynastie régnante pour des raisons qui ne tiennent pas seulement à leur forme et leur iconographie, mais d’abord à la mémoire politique qui semble avoir été attachée aux vestiges.
3De telles pratiques, même si elles demeurent marginales, mettent en évidence le caractère composite de l’architecture royale au temps d’Henri IV et la valeur rétrospective qu’assument souvent les créations les plus savantes de la seconde école de Fontainebleau. On sait qu’Henri de Bourbon, à mesure qu’il prenait possession du royaume de France, a entrepris dans ses résidences des travaux considérables, pour ne pas dire inconsidérés et ruineux dans le contexte très troublé des guerres civiles4. Le roi conquérant semble avoir d’abord cherché sur les chantiers de ses prédécesseurs une nouvelle manière de manifester publiquement sa bravoure et sa propre légitimité5. Quelques semaines après son entrée dans Paris le 22 mars 1594, il ordonnait ainsi la restauration du palais des Tuileries, puis l’achèvement de la Petite Galerie du Louvre6. Tandis que la guerre se poursuivait en province, les premières commandes royales résonnaient déjà à Paris comme une marche triomphale, l’œuvre de pierre devant préfigurer une victoire qui se voulait complète et définitive7. L’observation des bâtiments et des décors, complétée par la lecture des dédicaces, montre toutefois que la relance des chantiers royaux a été conçue dès l’origine comme un acte de restauration monarchique. Pour Henri IV, qui n’a jamais dissimulé son ambition en matière de bâtiments, la conduite des chantiers royaux était une vocation personnelle, autant qu’une question de politique générale. À Blois, dès 1592, comme plus tard à Fontainebleau, au Louvre et aux Tuileries, les travaux visaient non seulement à restaurer ou à reconstruire les anciens bâtiments, mais aussi à agrandir et orner prodigieusement les résidences royales qui étaient reconnues par le souverain comme l’un des premiers symboles de la monarchie.
4À Fontainebleau, la reprise en main des bâtiments aura débuté au printemps 1594 par un remaniement partiel de la cour de la Fontaine. Le même marché de construction, passé le 18 avril 1594, prévoyait de reconstruire la galerie à arcades supportant au nord la terrasse de la Galerie François Ier (Fig. 3, pl. XV, p. XLVII) et d’aménager au sud un jardin du côté de l’Étang8. En doublant visuellement la superficie de la cour (Fig. 4), ce grand jardin révolutionnait entièrement l’orientation et la perception générale des lieux9. Les bâtiments encore disparates de la maison des Valois venaient se fondre dans un nouveau dessin, unifié stylistiquement et de nouveau centré sur l’aile de la Galerie François Ier dont la restauration était célébrée par l’ordonnance triomphale de la nouvelle galerie, le décor sculpté et une emblématique très insistante10. Le même parti de rénovation, qui associait l’extension du château à une modernisation ciblée des parties anciennes, fut appliqué, à partir de 1601, à la cour du Donjon (Fig. 5, pl. XV, p. XLVII). La création à l’est d’un nouvel accès, appelé à devenir l’entrée principale du château, devait entraîner le redressement d’une grande partie de l’aile nord, le déplacement et le remontage à l’identique de l’ancien degré du Roi (portique dit de Serlio), ainsi que le prolongement au sud de la façade de la salle de Bal, et ce dans le plus grand respect des bâtiments de François Ier11. Dans le même temps fut aménagée à l’est une porte triomphale, précieux monument à la gloire d’Henri IV et de la nouvelle dynastie dont la composition joue à plein sur la rhétorique des styles, tout en faisant appel à des réemplois (Fig. 6, pl. XV, p. XLVII). Ainsi dressée à l’entrée de la cour, entre deux pavillons pastiches de style François Ier et dans l’axe du donjon médiéval, la porte Dauphine est le point de convergence d’une vaste composition scénographique qui semble traduire dans la pierre la généalogie du roi, proclamer la permanence de la monarchie et manifester sa renaissance de saint Louis à Henri IV12.
5De la récupération des œuvres, ou des matériaux, à la requalification d’ensembles déjà constitués au sein d’un nouveau programme, le réemploi, l’imitation stylistique et le pastiche sont des pratiques complémentaires et le plus souvent signifiantes qu’il convient d’interroger dans le contexte de la reconstruction du royaume et de la fondation par Henri IV d’une nouvelle dynastie. Ce qui peut apparaître aujourd’hui comme une facilité matérielle, un défaut d’invention ou une forme de docilité à suivre la tradition, fut sans doute conçu à l’époque comme l’expression d’une volonté souveraine qui entendait s’approprier les lieux, les formes et les symboles de l’ancienne monarchie. Au lendemain des guerres civiles, l’héritage politique et culturel des Valois demeurait en effet incontournable, sa recomposition indispensable pour refonder autour des Bourbons la tradition monarchique. La reconnaissance et la domestication de cet héritage au sein de créations nouvelles ayant pour mission d’exalter le nouveau pouvoir, tout en soulignant la continuité des liens avec le passé (quitte à renouer parfois avec des traditions beaucoup plus anciennes), durent constituer un enjeu majeur dans l’entourage du roi.
RENAISSANCE D’UN CHANTIER ROYAL : LE CHÂTEAU-NEUF DE SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
6La construction du Château-Neuf nous paraît représentative d’une politique générale des bâtiments qui ne visait rien de moins que le parachèvement des résidences royales13. Ce chantier très précoce, qui se double de l’aménagement d’un grand jardin (Fig. 7) fut aussi l’un des plus personnels du règne, Henri IV aimant particulièrement le séjour de Saint-Germain-en-Laye qui comptait, avec Fontainebleau, parmi ses résidences favorites.
7Henri de Bourbon connaissait depuis l’enfance le domaine royal de Saint-Germain-en-Laye où il avait résidé avec sa mère, puis durant sa captivité à la cour de Charles IX, avant d’y revenir en conquérant lors du siège de Paris14. Le domaine, proche de la capitale, était apprécié des souverains pour son bon air, sa forêt giboyeuse et son grand parc de chasse. En outre, il pouvait accueillir à tout moment le roi de France et toute sa cour dans le grand château que François Ier avait fait bâtir à l’emplacement d’un château médiéval15. La restauration de ce « Château-Vieux », dont Henri IV pouvait difficilement se passer, semble avoir commencé en 1592 par la réfection des couvertures en terrasse16. Mais, dès son retour en 1594 à Saint-Germain, le roi semble avoir jeté son dévolu sur ce qui n’était à l’origine qu’une maison de plaisance, bâtie à deux cent cinquante mètres environ dans le parc, en bordure d’un plateau boisé d’où l’on jouissait d’une vue exceptionnelle sur la vallée de la Seine. La « maison du théâtre et baignerie » (Fig. 8), ce petit joyau d’architecture conçu par Philibert Delorme pour Henri II, n’avait guère avancé dans sa construction depuis le décès prématuré du roi en 1559. L’analyse des documents montre qu’au printemps 1594, la cour était à peine commencée, la toiture incomplète, le logis inhabitable17. Autant parler d’une ruine, mais Henri IV, qui dut apprécier la qualité du site, y vit sans doute la promesse de séjours calmes et discrets. En moins de dix ans, la maison du théâtre fut non seulement restaurée, mais ses bâtiments furent aussi poursuivis selon un nouveau plan ramifié et symétrique qui devait transformer la maison en un grand château royal (Fig. 9). Le Château-Neuf était une demeure basse, de style rustique, largement ouverte sur les cours et les jardins : une forme de villa à la française dont les portiques, les nombreuses galeries et les terrasses répondaient au goût du roi pour la promenade et les jardins18. Le plan du logis fait apparaître deux grands appartements symétriques réservés au couple royal, laissant bien peu de place pour la vie de cour et pratiquement aucune pour l’entourage du roi. Dès les premiers travaux, soit bien avant le mariage avec Marie de Médicis, le Château-Neuf semble avoir été conçu comme la maison personnelle du roi à Saint-Germain-en-Laye. Celle-ci fonctionnait en complément du Château-Vieux où Henri IV continuait de recevoir et de loger ses courtisans. À partir de 1601, il y installa à demeure le dauphin Louis, bientôt rejoint par les autres enfants royaux19, mais il réserva toujours le « Bâtiment-Neuf » à son propre usage.
8La construction du Château-Neuf a-t-elle été conçue comme la reprise et le parachèvement d’un projet initié par les Valois ? Cette question, qui intéresse d’autres chantiers contemporains, reçoit un début de réponse à Saint-Germain-en-Laye dans la construction de la cour du Château-Neuf et la réactivation d’un projet de liaison entre les deux maisons royales.
Les galeries de la Victoire et de la Paix
9Pour marcher à couvert d’une résidence à l’autre, Philibert Delorme avait prévu d’édifier un long passage composé de deux galeries parallèles qui auraient profité d’une double exposition au nord et au midi20. Le projet n’est documenté par aucun dessin, mais on sait par les écrits de l’architecte que ce corridor devait partir de l’extrémité nord-est du Château-Vieux, au niveau de la descente conduisant au Grand jardin du Roi. Compte tenu des différences d’alignement entre les deux bâtiments, il aurait sans doute fallu bâtir, à l’extrémité orientale de cette galerie, un second passage en retour d’équerre afin de rejoindre sur son flanc nord la « maison du théâtre ». On remarque à ce propos qu’Androuet du Cerceau, dans les dessins des Plus Excellents Bâtiments de France, a représenté de part et d’autre du logis deux ailes symétriques qui n’ont jamais été bâties (Fig. 10). Il s’agit de deux galeries ajourées qui offrent une promenade abritée le long de la terrasse, mais qui auraient pu assurer une fonction de liaison avec la galerie prévue par Delorme21. Ce projet de liaison devait être assez avancé et bien connu de l’Intendance des bâtiments du Roi puisqu’il semble avoir inspiré quarante ans plus tard les architectes d’Henri IV. Le 10 avril 1601, le maçon Mathurin Bougars passait marché envers le roi pour la construction d’un long mur de clôture allant de « l’encoignure du pavillon des offices du bastiment neuf » (soit le dernier pavillon de l’aile nord regardant vers le Château-Vieux) « jusques à la dessente et petit pont du vieil chasteau ». Ce mur devait être « suffisant et capable pour construire et édiffier au dessus d’iceluy une gallerie pour aller à couvert dudit vieil chasteau audit logis neuf22 ».
10La réactivation vers 1600 du projet de liaison entre les deux résidences, au moment où les travaux du Château-Neuf s’achevaient pour le gros œuvre, est bien le signe que le château d’Henri IV a été conçu comme l’amplification monumentale de la maison projetée pour Henri II. Si la grande galerie de Saint-Germain n’a jamais été bâtie, elle trouve un parallèle immédiat et assez éclairant sur le chantier du Louvre à Paris (Fig. 11). La « Grande galerie du bord de l’eau », telle qu’elle fut conçue et réalisée sous le règne d’Henri IV, avait aussi pour fonction d’assurer une liaison monumentale entre la résidence principale du roi et sa résidence satellite, le palais des Tuileries23. Sans entrer nécessairement dans le débat sur les origines du « grand dessein » que certaines sources feraient remonter au règne d’Henri II24, un simple rapprochement entre les projets du Louvre et de Saint-Germain suffit à prouver l’importance de ces galeries monumentales et la valeur symbolique qu’elles semblent avoir assumée dans la conduite des chantiers royaux.
11La propagande officielle, dès le milieu des années 1590, défendait l’idée que le royaume de France était entré dans un nouveau cycle de son histoire. En éteignant les guerres et en réunifiant le royaume, le souverain devait aussi inaugurer une nouvelle ère de prospérité et de paix qui serait synonyme pour la Nation d’un retour aux sources et aux temps les plus lumineux de son histoire25. Les galeries monumentales bâties par Henri IV, dans la mesure où elles forment la clé de voûte de vastes programmes de rénovation visant au parachèvement des résidences royales manifestent avec éclat cet idéal de renaissance monarchique. Au Louvre comme à Saint-Germain, elles consacrent la victoire du roi, le rétablissement de la paix et l’œuvre de restauration initiée par ses soins, en insistant aussi semble-t-il sur sa filiation avec les Valois26. En renouant avec une rhétorique de la grandeur inspirée de l’architecture antique, ces galeries surdimensionnées semblent également soutenir les prétentions d’Henri IV à la monarchie universelle (Fig. 11). D’un seul trait d’architecture, elles rassemblent les membres dispersés des anciennes demeures qui, une fois restaurées et agrandies, semblent avoir été réunies par le roi pour ne former plus qu’une immense et unique demeure palatine. Les façades constellées d’emblèmes, d’allégories et de chiffres couronnés viennent souvent expliciter les prétentions du roi, comme à la Petite Galerie du Louvre dont les frontons sculptés célébraient l’Abondance et la Paix retrouvées sous l’égide de « Sa Majestée impériale27 ».
Parachever les desseins des Valois
12Cette volonté d’inscrire les constructions du règne dans la continuité des projets inaboutis des Valois apparaît avec plus d’évidence encore dans la construction de la cour du Château-Neuf et l’achèvement de l’appartement des bains. La « maison du théâtre et baignerie », comme le soulignent les termes choisis par Delorme pour qualifier son projet, devait son caractère luxueux et antiquisant à la belle cour en forme de « théâtre », inspirée des architectures curvilinéaires des palais romains, ainsi qu’à l’idée d’aménager dans le pavillon sud-ouest un appartement des bains (Fig. 8). Cette « baignerie » ne semble pas avoir été en usage du temps des Valois, les marchés de restauration passés en 1594 donnant l’impression que les pavillons orientaux n’étaient toujours pas achevés28. Quant au « théâtre », il ne semble pas avoir dépassé le stade du « commencement » évoqué par Du Cerceau, soit un début de construction qui correspond vraisemblablement à l’exèdre orientale formant la façade ouest du logis.
13Il faut donc rendre à Henri IV et à ses architectes la décision d’achever les bains et de poursuivre la construction de la cour pour en faire l’ornement principal du château. Le 28 janvier 1600, l’entrepreneur Guillaume Marchand s’engageait ainsi à bâtir pour le roi « ung grand avant portail avec le circuit et closture d’une cour en forme de théâtre », lequel devait prendre place au-devant du logis, entre les ailes des offices déjà construites29. On observe que la construction de la cour est intervenue tardivement dans la chronologie des travaux : la priorité semble être allée à l’extension du logis et à l’aménagement des offices dont la maison primitive était naturellement dépourvue. Mais on peut aussi penser que la construction de la cour a été retardée par la nécessité d’adapter son dessin aux nouvelles dispositions du château. L’observation des vues et des relevés réalisés au XVIIe siècle montre en effet que le projet de Delorme a sans doute été révisé dans son plan comme dans ses élévations (Fig. 12, pl. XV, p. XLVIII). Ainsi, le grand portail, rythmé en façade par un double portique de colonnes toscanes à bossages, était d’un dessin original et entièrement nouveau. Mais le plan de la cour ne semble pas avoir été changé et l’on a sans doute respecté pour l’intérieur la couleur pierre des parements. Les pavillons d’angle et les murs extérieurs de la cour furent en revanche traités en brique et pierre de sorte qu’ils puissent s’harmoniser avec le style du château30.
14La maison des Valois, ainsi restaurée et agrandie pour Henri IV demeurait donc reconnaissable au sein d’une composition nouvelle qui entendait accomplir l’idée d’origine, tout en modifiant le projet dans ses détails (Fig. 8-9). Bel exemple de récupération architecturale par laquelle le nouveau souverain pouvait affirmer, avec orgueil, sa pleine appartenance à une lignée royale qu’il entendait néanmoins dépasser par ses propres réalisations. Comme l’écrivait en 1609 André Duchesne, l’un des historiographes du roi, Saint-Germain devait « l’accomplissement et la perfection de son ornement […] à nostre Roy qui a rendu cette Maison de ses predecesseurs vrayement royalle31 ». Ainsi, du côté du jardin, le corps central et les pavillons d’angle ne semblent pas avoir connu de modification majeure à l’exception des façades où un nouvel appareil de brique et pierre fut imposé à l’ancien décor (Fig. 13, pl. XV, p. XLVIII). Les murs de moellons furent ainsi revêtus d’un parement de briques auquel on appliqua de nouveaux bandeaux et chaînages de pierre. En modifiant l’appareil et en chargeant ainsi le décor, il s’agissait bien entendu d’harmoniser les façades de l’ancien logis avec celles des galeries et des terrasses, tout en redonnant au corps central la place qui lui revenait de droit dans la composition générale. Il convient toutefois d’observer comment le nouvel appareil semblait s’imposer aux formes de l’ancien décor pour former en façade un tableau très expressif. C’est ainsi que les chaînes harpées étaient accolées aux anciens jambages et dédoublées dans les angles où elles se chargeaient d’un bossage en table ; sur les trumeaux, elles croisaient d’épais bandeaux aux formes rudentées qui compartimentaient strictement la façade. Le corps central du logis, correspondant aussi à la partie la plus ancienne du château, devait inspirer un sentiment nouveau de solidité, d’ordre et de puissance qui était à l’image du nouveau pouvoir.
15Quelques années plus tard, on ressentit apparemment le besoin de solenniser l’entrée du logis du côté des terrasses (Fig. 14). L’architecte Louis Métézeau conçut alors un portail classique à deux colonnes ioniques de marbre rouge, montées sur piédestaux, qui fut réalisé en 1605 par le sculpteur florentin Francesco Bordoni32. La transformation de la villa en château et le respect du decorum royal semblent avoir exigé le retour des ordres que Delorme avait soigneusement évité d’employer en façade. Au-dessus de l’entablement, les armes de France et de Navarre étaient entourées de nombreux attributs (couronne, palmes et masses) et encadrées de deux lions couchés tenant des globes, symboles de cette souveraineté universelle à laquelle prétendait Henri IV33. Il faut sans doute imaginer une œuvre à l’architecture un peu massive, mais au décor très raffiné où la préciosité des marbres et des ornements sculptés venait en renfort de l’emblématique pour célébrer la gloire impériale des souverains. Cette entrée luxueuse peut être rapprochée d’une autre composition disparue, celle de la porte de la Galerie de Diane à Fontainebleau dont quelques fragments ont été conservés34.
Les grands décors : aux origines de la monarchie et de l’empire
16Le complet démembrement des appartements royaux dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ne permet plus d’identifier de tels jeux de reprises et de variations formelles dans la décoration intérieure. On sait néanmoins que les deux galeries royales étaient revêtues d’un haut lambris sculpté, peint et doré, surmonté d’un cycle de tableaux qui occupait toute la largeur des trumeaux35. Les galeries étaient couvertes d’une voûte en anse de panier ornée d’allégories, de sujets mythologiques, ainsi que des chiffres, emblèmes et devises d’Henri IV. Les galeries du Château-Neuf pouvaient donc rappeler la galerie François Ier aussi bien que la galerie d’Ulysse à Fontainebleau. La parenté entre les deux résidences devait être d’autant plus sensible que Toussaint Dubreuil, dans l’invention des peintures de la galerie du Roi, avait largement puisé dans l’héritage des dessins du Primatice et des décors bellifontains36. Mais c’est surtout dans le programme des deux cycles peints que venait s’exprimer l’idée d’une renaissance de la monarchie française autour d’Henri IV.
17La galerie de la Reine, qui prolongeait au sud l’un des deux appartements du Château-Neuf, était jadis ornée d’une suite de vues topographiques réunissant, autour de quelques villes de l’ancien empire carolingien, des cités très antiques ainsi que des comptoirs orientaux qui devaient évoquer les intérêts commerciaux et la politique expansionniste du roi37. Le décor le plus ambitieux demeure toutefois celui de l’appartement nord, réservé au roi, qui débutait apparemment dans la chambre et se poursuivait dans la galerie d’apparat. Ce cycle, réalisé vers 1602 par l’atelier de Toussaint Dubreuil, avait pour sujet l’histoire du héros Francus, le fils d’Hector et d’Andromaque appelé par Jupiter à conquérir la Gaule pour y fonder le royaume des Francs38. Ce mythe historique était toujours d’actualité à la cour de France à la fin du XVIe siècle, bien qu’il fût critiqué depuis longtemps par les historiens39. Si la thèse des origines troyennes des Francs était presque aussi ancienne que la monarchie française, la trame du décor était particulièrement originale, puisqu’on avait choisi pour l’illustrer un poème de Ronsard, la Franciade. De cette longue épopée monarchique écrite avec le soutien de Charles IX, seuls les Quatre premiers livres avaient paru en 1572, l’année de la Saint-Barthélemy40. D’autres poèmes épiques avaient été publiés depuis l’avènement d’Henri IV, tels que la Henriade de Sébastian Garnier (1593) ou le Chant de Protée de Jean Godard (1594) qui rendaient un hommage personnel et circonstancié au roi41. Le choix d’un texte inachevé et quelque peu daté a donc de quoi surprendre, bien qu’il s’avère à l’usage singulièrement judicieux : il venait conforter la légitimité d’Henri IV en proclamant son ascendance héroïque et royale, tout en soulignant son attachement personnel à la dynastie des Valois (Fig. 15). Le poème de Ronsard est riche de péripéties, guerrières et amoureuses, qui entrent en résonnance avec la vie d’Henri IV. Il s’achève en outre par la vision prophétique de la descendance des rois francs qu’il suffisait de poursuivre jusqu’à saint Louis pour réaffirmer l’ascendance royale des Bourbons42. En demandant à son peintre d’illustrer le poème inachevé de Ronsard, Henri IV semble enfin vouloir inscrire son mécénat dans la continuité de celui de Charles IX : son œuvre répare et poursuit ce qui fut brisé en 1572, comme on a pu le soutenir plus tard. Bien que le portrait mythologique connaisse alors un vif essor à la cour de France43, on observe que Francus n’emprunte jamais les traits d’Henri IV sous le pinceau de Dubreuil. Son personnage ne ressemble ni à l’éphèbe blond de l’épopée, ni vraiment au roi. Il reste l’ancêtre mythique et idéal des rois francs, père fondateur du royaume et modèle de toute une lignée de princes auquel Henri IV entendait s’identifier.
UN JARDIN À LA MESURE DU ROI : LES TERRASSES DU CHÂTEAU-NEUF
18L’extension du logis entraîna la création, à partir de 1594, d’un vaste jardin en terrasses (Fig. 7) qui devait faire la renommée du Château-Neuf avant de précipiter sa ruine dans le dernier tiers du XVIIIe siècle44. Aucun héritage à administrer cette fois, la « maison du théâtre » devant primitivement s’achever à l’est par une simple terrasse. Le jardin monumental bâti pour Henri IV était d’une conception entièrement nouvelle et libre de toute référence aux autres résidences royales. La Nature elle-même semble avoir guidé l’invention en la présence d’un grand coteau fluvial dont la transformation en un délicieux jardin, agrémenté de grottes et de fontaines, fut décrite par les contemporains comme un exploit « herculéen », digne du nouveau roi45.
L’Antiquité rêvée du premier roi Bourbon
19Dès les premiers travaux qui furent entrepris au mois d’avril 1594, on regarda semble-t-il du côté des jardins italiens, à commencer par cette petite Italie française qui prospérait depuis un demi-siècle dans les jardins de Meudon, ainsi que dans les propriétés des Gondi à Noisy et à Saint-Cloud46. Mais la hauteur du coteau et la majesté du site appelaient une solution beaucoup plus radicale. Après des hésitations, un nouveau parti fut adopté en 1599 dont les modèles n’étaient plus seulement italianisants, mais antiques et « romains ». Le sommet du plateau fut alors traité comme un vaste socle architectural à l’exemple des palais du Palatin et du sanctuaire hellénistique de Préneste dans le Latium47 (Fig. 16). Dans l’axe du château, les architectes du Roi conçurent un développement de terrasses monumentales, renforcées de galeries qui répondaient certainement aux vœux d’Henri IV : la galerie dorique et la galerie toscane, aux extrémités desquelles furent aménagées entre 1599 et 1609 quatre grottes artificielles. Ce jardin terrassé, dont l’ordonnance était étroitement liée à celle du logis, conférait au Château-Neuf sa physionomie définitive qui était celle d’une villa à l’antique à la magnificence impériale.
20Les terrasses du Château-Neuf privilégiaient les perspectives ininterrompues, plantées de bosquets et de parterres, mais pratiquement dépourvues de statues (Fig. 7). Les fabriques étaient peu nombreuses en comparaison des grands exemples italiens, soit quatre grottes, un nymphée et cinq fontaines qui furent aménagées à partir de 1598-1599 par les Francini (Fig. 2 et 18). L’iconographie des fontaines, dont la cohérence reste à prouver, était relativement pauvre et conventionnelle. La comparaison avec les jardins de la Villa d’Este, que l’on a avancée dès 160548, est tout à fait rhétorique : Tivoli est pris pour référent par Palma Cayet parce qu’il est alors le plus célèbre des jardins italiens, connu par des descriptions écrites et par la vue gravée d’Étienne Dupérac (1573) et ses nombreuses copies49. Dans les premières décennies du XVIIe siècle, il semble cependant qu’on ait tenté d’enrichir le jardin en recourant, une fois de plus, à des remplois. Un Mercure en bronze, œuvre originale de Giambologna50, fut installé sous le règne d’Henri IV en bas de l’escalier en hémicycle, au centre de la première fontaine qui ne comportait à l’origine qu’un grand jet d’eau. Une statue d’Hercule brandissant sa massue était peut-être prévue entre le grand parterre et le Jardin en pente, comme le suggère la vue gravée de Michel Lasne d’après Alessandro Francini (Fig. 751). Enfin, un grand cheval de bronze fut remarqué en 1625 par Peter Heylyn52 en bas du jardin où l’on envisageait certainement d’ériger un monument en l’honneur de Louis XIII ou du roi défunt53. Les rampes du jardin ayant été conçues pour être gravies à cheval, le jardin des Canaux était le lieu idoine pour installer une statue équestre qui aurait marqué le début d’un parcours ascensionnel vers la maison du roi. Un tel monument aurait aussi souligné le caractère impérial des lieux, car il n’aurait manqué de rappeler aux contemporains les statues équestres des imperatores sur le Forum romain, ainsi que le parcours monumental de la via sacra en direction du temple de Jupiter capitolin (Fig. 17).
Prouesses et merveilles des temps modernes
21Les terrasses du Château-Neuf offraient l’image d’une Antiquité nouvelle, bâtie de toutes pièces par les architectes du roi, dont les merveilles hydrauliques avaient surpassé, disait-on, les plus hautes réalisations des Anciens54. Plus que les décors rustiques, les contemporains venaient admirer dans les grottes les mouvements des automates, produits d’une technologie de pointe importée d’Italie, mais aussi les multiples jets d’eau ainsi que l’efficacité du système hydraulique (Fig. 2, 18 et 20). Sachant que le plateau de Saint-Germain était naturellement pauvre en eau, la domestication des sources environnantes et la distribution des eaux dans les grottes étaient en elles-mêmes un véritable exploit55. Ce fut la tâche principale des frères Tommaso et Alessandro Francini, ingénieurs et scénographes employés précédemment à Pratolino par le Grand-Duc de Toscane, que de concevoir en une dizaine d’années toute l’hydraulique, la mécanique et la scénographie des grottes du Château-Neuf.
22L’aménagement de grottes qui puissent rivaliser avec celles des jardins médicéens semble avoir été pour Henri IV une priorité absolue56. On constate que cet ensemble manque franchement d’unité sur le plan de l’iconographie et des décors. Pourtant, d’une galerie à l’autre, l’architecture et le goût s’affinent, les Francini perfectionnent leur technique, les exigences iconographiques se clarifient. Les premières grottes ont été construites à la hâte, en 1599, à un moment où le chantier du jardin connaissait un grand coup d’accélération57. En moins de huit mois, on bâtit la galerie dorique et avec elle le nymphée du Dragon, face à l’entrée, ainsi que deux vastes salles, ouvertes sur le jardin, destinées à abriter les grottes artificielles. Le décor de ces salles était simple, leur architecture rudimentaire et les principaux automates, aussi plaisants fussent-ils, ne méritaient qu’une mention honorable en comparaison de ceux de Pratolino. D’un côté, une grotte entièrement rustique et très humide, dont l’attraction principale était le triomphe du dieu Neptune dont la scénographie s’achevait par une pluie diluvienne. De l’autre côté, la grotte très architecturée et même meublée de la Demoiselle (Fig. 18), un grand automate en habit de cour qui jouait d’un orgue hydraulique58. La conception d’ensemble était assez commune : le Déluge était un thème inaugural, très attendu, dans l’iconographie des grottes et des fontaines ; quant à l’orgue hydraulique, il était devenu un mustdu jardin à l’italienne à la fin du XVIe siècle. On remarque par ailleurs que les sujets et les machines inspirés (ou directement imités) de Pratolino étaient très nombreux : la présence d’un dragon à l’entrée, évoquant peut-être le jardin des Hespérides ; les deux arbres chargés d’oiseaux mécaniques ; la forge miniature ainsi que le globe traversé de jets d’eau, soulevant une couronne ; jusqu’à la table d’eau dont les ajutages pouvaient imiter, comme dans la grotte de la Samaritaine à Pratolino59, les objets manufacturés les plus variés (Fig. 18). On hésite à parler de poncifs ou de lieux communs face à une telle accumulation d’objets et de modèles « importés » de Toscane. La conception du nymphée et des deux premières grottes du Château-Neuf nous semble plutôt participer de l’anthologie : il s’agit pratiquement d’une collection d’automates et de fontaines, d’inspiration florentine, reconstituée à Saint-Germain pour le plaisir du roi60.
Allégorie et mise en scène du pouvoir
23Les grottes d’Orphée et de Persée, sous la galerie toscane, étaient d’une conception plus exigeante61. Les deux salles étaient ornées de rocailles, mais strictement réglées par un décor de pilastres, excluant toute allusion à la ruine ou à une nature trop sauvage. Ce retour à l’ordre architectural s’accompagnait d’un redéploiement de l’iconographie royale désormais présente à tous les niveaux – fleurs de lys sur les frises, armes et chiffres royaux dans la rocaille, statues des vertus dans les niches de la grotte d’Orphée, mais aussi dans les sujets des principaux nymphées. Dans la grotte de Persée, le combat du héros contre le monstre marin et la délivrance d’Andromède étaient représentés au-dessus d’un bassin par trois automates de grande taille62. Le Persée du Château-Neuf ne présentait apparemment pas les traits du roi, sans quoi les visiteurs l’auraient sûrement signalé. L’allégorie politique demeurait toutefois implicite et sans doute comprise des visiteurs, le thème ayant été largement exploité dès 1594 par la propagande henricienne63 (Fig. 19). Le combat d’Henri-Persée pour délivrer la France-Andromède pouvait prendre une signification plus large, d’ordre cosmologique, une fois mis en relation avec son pendant de la grotte d’Orphée. Cette grotte semble avoir eu pour thème principal l’harmonie universelle, incarnée et garantie par la personne héroïque et sacrée du roi. Sur le côté de la grotte se trouvait en effet la fontaine d’un Bacchus assis sur un tonneau – figure de l’abondance et autre poncif de la décoration des jardins maniéristes. Il répondait à un grand nymphée qui comportait plusieurs registres d’automates, de petits bronzes, un orgue hydraulique ainsi qu’un théâtre dont les toiles peintes et les figures de métal, éclairées par des flambeaux, étaient régies par des manœuvres de changements à vue64 (Fig. 2).
24Les Francini semblent avoir appliqué toutes leurs compétences de techniciens, de scénographes et même d’éclairagistes au service d’un spectacle total qui était une épiphanie du pouvoir royal. Au premier plan, la nature entière était charmée par la musique d’Orphée qui conférait à toute chose son principe, sa place et son mouvement. Sur la gravure de Bosse (vers 1623-1624), l’automate d’Orphée semble interprété comme un portrait mythologique du jeune Louis XIII, en relation avec la scène de couronnement qui se joue à l’arrière-plan. Il s’agit de la scène finale du théâtre d’automates, dont les quatre tableaux offraient comme un condensé des spectacles de cour, mais se distinguaient avant tout par la très grande diversité des thèmes, des registres et des modes de représentation. L’emblème, la mythologie, l’héroïque et le trivial, la scène de cour, la fable et la scène de genre étaient ici réunis et associés avec la plus grande liberté. Ainsi, par une forme de mise en abyme, les jardins du Château-Neuf, associés à la thématique du locus amoenus, étaient représentés au troisième tableau, le roi et le dauphin étant montrés à la promenade avec des courtisans65. La composition finale, qui fut choisie pour la gravure66, décrivait le couronnement d’un dauphin par deux tritons, en présence de Jupiter et de la cour des dieux (Fig. 20). Une scène de sacre par anticipation, doublée d’une épiphanie divine, qui devait s’adresser en premier lieu à la petite troupe des enfants royaux réunis depuis 1604 à Saint-Germain.
25Restauration, parachèvement, prouesses : rarement l’architecture royale aura été aussi éloquente qu’en ces temps de reconstruction et de fondation dynastique. La transformation de la « maison du théâtre » en un grand château royal, dominant de ses terrasses monumentales la colline des « merveilles » de Saint-Germain-en-Laye, n’exprime pas seulement les goûts du nouveau roi en matière de bâtiments. Elle fait aussi apparaître les enjeux politiques de la reconstruction, avec les préoccupations dynastiques et les ambitions impériales qui caractérisent le règne d’Henri IV. À l’image du conquérant, soigneusement entretenue par les édifices et leurs décors, le premier roi Bourbon a toujours eu soin d’associer celle de l’héritier légitime de la couronne de France, prince et « père » de la Nation qui accueille et reçoit, en sa personne, la totalité de l’héritage monarchique. Poursuivant les desseins de ses prédécesseurs qu’il devait néanmoins surpasser par ses propres réalisations, Henri IV parvint ainsi à se poser en restaurateur de la monarchie du lys jusque dans la conduite de ses bâtiments. Son programme de restauration des résidences royales est la parfaite illustration du caractère patrimonial – et même patriarcal – de l’État absolutiste, qui trouvait son organe central dans la « Maison du Roi67 ». Il montre à quel point le premier roi Bourbon, dans sa relation à l’architecture et aux arts, se situe historiquement à mi-chemin entre François Ier et Louis XIV : plaisir ou nécessité, le fait de bâtir était déjà pour lui un acte proprement monarchique.
Notes de bas de page
1 Marchés du 16 mai 1605 passés par le maçon Robert Pierre et le voiturier Pasquier Dutrou envers le roi pour la démolition et pour le transport des matériaux de la Pyramide des Jésuites (Paris, AN, MC, XIX, 353, fos 123-124).
2 A. Duchesne, Les Antiquitez et recherches des villes, chasteaux, et places plus remarquables de toute la France…, Paris, 1614, p. 224.
3 A. Gölnitz, Ulysses belgico-gallicus…, Louvain, 1631, p. 182.
4 L. Hautecœur, Histoire de l’architecture classique en France, Paris, 1943, t. I, vol. II, p. 513-522 ; J.-P. Babelon, Henri IV, Paris, 1982, p. 808-827.
5 L’idée est clairement formulée par les historiographes du Roi : « Il y a eu entre plusieurs merveilles de sa vie cela d’admirable, qu’il a basty et fait la guerre en mesme temps […]. Il acheva au plus fort des guerres, et tempestes estrangeres ce qu’eux avoient entrepris en la plus grand bonace du siecle » (P. Mathieu, Histoire de France et des choses mémorables advenues aux provinces estrangères durant sept années de paix du règne du roy Henry IIII…, Paris, 1606, p. 265).
6 J.-P. Babelon, « Les travaux de Henri IV au Louvre et aux Tuileries », Mémoires de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France 29, 1978, p. 67-69 et 86-87 ; G. Fonkenell, « La Petite Galerie avant la galerie d’Apollon », in G. Bresc-Bautier (éd.), La galerie d’Apollon au palais du Louvre, Paris, 2004, p. 24-29 ; Idem, Le palais des Tuileries, Arles-Paris, 2010, p. 49-69.
7 La dédicace de la Petite Galerie du Louvre est particulièrement éclairante : « Cette galerie commencée jadis par Charles IX au temps d’une paix profonde, Henri IV, roi très chrétien de Gaule et de Navarre, l’a achevée heureusement, au milieu de la fureur des guerres civiles, en l’an 1596 de son règne le septième » (A. Berty, Topographie historique du vieux Paris, Paris, 1868, t. II, p. 60).
8 Paris, AN, MC, XVI 12 (R) ; acte publié par C. Grodecki, in F. Boudon et J. Blécon, Le château de Fontainebleau de François I er à Henri IV. Les bâtiments et leurs fonctions, Paris, 1998, p. 275-278, no 10.
9 Sur la rénovation dela cour et la création du jardin de l’Étang, voir F. Boudon et J. Blécon, op. cit., p. 74-75, n. 8 ; V. Droguet, « Cadre architectural et jardins », in Henri IV à Fontainebleau, Un temps de splendeur, cat. expo., Paris, 2010, p. 14-15.
10 E. Lurin, « Les “Basiliques et palais du Roi” : architecture et politique à la cour de Henri IV », Bulletin monumental, 170, 3, 2012, p. 240-242.
11 Sur la reconstruction de la cour du Donjon, voir C. Samoyault-Verlet et J.-P. Samoyault, « Le Château de Fontainebleau sous Henri IV », Le Petit Journal des grandes expositions 61, 1978, p. 2 ; Boudon et Blécon, op. cit., p. 78-80, n. 8 ; Droguet, op. cit., p. 16-17, n. 9.
12 Lurin, op. cit., n. 10.
13 Sur l’architecture du Château-Neuf, voir M. Kitaeff, « Le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye », Monuments et Mémoires publiés par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 77, 1999, p. 73-136 ; E. Lurin (éd.), Le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, Saint-Germain-en-Laye, 2010 (avec bibliographie).
14 La présence d’Henri IV à Saint-Germain, avant son entrée dans Paris, est attestée en 1561, 1573-1574, 1589 et 1594 (11 mars). Cf. J.-C. Cuignet, L’itinéraire d’Henri IV, Bizanos, 1997, p. 37, 57-58, 89, 98 et 179.
15 G. Houdard, Les Châteaux Royaux de Saint-Germain-en-Laye. 1124-1789, Saint-Germain-en-Laye, 1911-1912 ; M. Chatenet, « Une demeure royale au milieu du XVIe siècle. La distribution des espaces au château de Saint-Germain-en-Laye », Revue de l’art 81, 1988, p. 20-30.
16 Lurin, op. cit., p. 18, n. 13-14.
17 Seuls les deux pavillons orientaux semblent avoir été couverts du temps des Valois (Kitaeff, op. cit., p. 81-87, n. 13). Le marché de maçonnerie du 24 avril 1594 laisse penser que ces pavillons étaient toujours inachevés. Le 18 septembre, un marché de couverture fut passé avec le charpentier Pharon Vinier.
18 E. Lurin, « Le Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, une villa royale pour Henri IV », Bulletin des Amis du Vieux Saint-Germain 45, 2008, p. 123-147.
19 J.-P. Babelon, « Saint-Germain, un lieu de retraite pour Henri IV et la nursery de ses enfants », Bulletin des Amis du Vieux Saint-Germain 45, 2008, p. 49-55.
20 Ce projet, déjà signalé par Kitaeff (op. cit., p. 81), est mentionné par Delorme, in les Nouvelles Inventions pour bien bastir et à petits fraiz (1561, livre I, chap. XIII, fo 31vo). L’auteur y décrit une immense salle de festin, si large qu’il avait décidé d’y « mettre au premier est age une muraille par le milieu qui eust esté pour servir à deux galleries, desquelles l’une eust esté chaude pour l’hyver et l’autre fraiche pour l’esté, à raison des parties qu’elles regardoient, une le Midy, l’autre Septentrion. Et le dessus eust esté chose de si grande largeur, qu’on eustvoulu. […]. I’avois deliberé ainsi faire à Sainct Germain en Laye à la grande gallerie que la Maiesté du feu Roy Henry avoit commandé faire pour aller du pont qui est au chasteau du costé du parc à la maison du Theatre & baignerie, que i’avois commencé à edifier de neuf, regardant sur le port au Pec « (P. De L’Orme, Traités d’architecture, présentés par J.-M. Pérouse de Montclos, Paris, 1988).
21 Londres, British Museum, Prints and Drawings, Inv. 1972, U.821-U.822. Cf. F. Boudon et C. Mignot, Jacques Androuet du Cerceau. Les dessins des Plus Excellents Bâtiments de France, Paris, 2010, p. 86-89.
22 Marché passé par Mathurin Bougars envers le roi pour la construction du mur de séparation entre l’avant-cour et le pré du Château-Neuf et le parc du Château-Vieux (Paris, AN, MC, XIX, 343, acte inédit).
23 Sur le grand dessein du Louvre et la construction de la Grande Galerie, voir Berty, op. cit., p. 57-108, n. 7 ; Babelon, op. cit., n. 6, ainsi que l’Histoire du Louvre, G. Bresc-Bautier (dir.), à paraître.
24 Le 5 janvier 1624, Louis XIII annonçait sa décision de poursuivre les travaux du Louvre selon les plans et desseins « qui furent faits et arrêtés, après bonne et mûre délibération, du règne du roi Henri II » (Paris, AN, O1 1669 et Xia 8650, fo 136vo). Cf. L. Batiffol, « Le Louvre et les plans de Lescot », Gazette des Beaux-Arts I, 1910, p. 273-298.
25 Voir à ce sujet l’excellente étude de A. Becherer, Das Bild Heinrichs IV. (Henri Quatre) in der französischen Versepik (1593-1613), Tübingen, 1996, p. 415-420.
26 « Les Galleries du Louvre regnent maintenant jusque sur son front, embellies partout des honneurs de la paix », écrivait vers 1609 André Duchesne. « On plantoit anciennement les lauriers devant la porte des Cesars ; et la France a gravé les Oliviers sur les portes de cet ouvrage » (Duchesne, op. cit., p. 106, n. 2).
27 Marché du 13 décembre 1601 passé par Jean Mansart pour la sculpture des trois frontons occidentaux de la Petite Galerie (Paris, AN, MC, XIX 345, fo 642). Sur l’abondante sculpture qui ornait le bâtiment, voir Fonkenell, op. cit., p. 27-28, n. 6.
28 G. Marcel, « Marché pour la construction d’une partie du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, 1907, p. 124-126.
29 Paris, AN, MC, XIX, 341, fo 52 ; acte inédit.
30 Lurin, op. cit., p. 37-38, n. 13.
31 Duchesne, op. cit., p. 220, n. 2.
32 Marché du 6 octobre 1605 passé par Francesco Bordoni pour le portail de la grande salle du Château-Neuf (Paris, AN, MC, XIX, 354, fo 248). Cf. G. Bresc-Bautier, « Fontaines et fontainiers sous Henri IV », in Les arts au temps d’Henri IV, Colloque organisé par l’Association Henri IV 1989 à l’occasion du quatrième centenaire de l’avènement d’Henri IV (Château de Fontainebleau, 20-21 sept. 1990), Pau, 1992, p. 109 ; Id., « Francesco Bordoni sculpteur du roi », communication au Colloque Les Médicis et la France, château de Blois, 25 sept. 1999 (actes non publiés).
33 Voir notamment une grande élévation de la façade orientale du Château-Neuf, réalisée vers 1700 (Paris, BnF, Département des estampes et de la photographie, Va 448, Ft G, H 188593-4). Cf. Lurin, op. cit., p. 44-45, n. 13 et p. 56-57.
34 Henri IV à Fontainebleau, op. cit., p. 80-81, n. 9, nos 48-50.
35 J. Magnier, « Les plaisirs et les symboles : le décor de la galerie du Roi et de l’appartement », in Lurin, op. cit., p. 65-67, n. 13.
36 D. Cordellier, Toussaint Dubreuil, Paris, 2010, p. 11-12 et 69-73, nos 32-44.
37 Lurin, op. cit., p. 67-69, n. 13 et p. 82-83.
38 D. Cordellier, « Dubreuil, peintre de la Franciade au Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye », La Revue du Louvre et des Musées de France, 1985, 5, p. 357-378.
39 Becherer, op. cit., p. 416-417, n. 25.
40 P. de Ronsard, Les Quatre premiers livres de la Franciade, Paris, G. Buon, 1572. Pour une analyse du projet épique, voir D. Ménager, Ronsard. Le Roi, le Poète et les Hommes, Genève, 1979, p. 275-316.
41 S. Garnier, Les huict derniers livres de la Henriade…, Blois, Vve B. Gomet, 1593 ; J. Godard, L’Oracle ou chant de Protée…, Lyon, T. Ancelin, 1594. Pour une analyse des poèmes, voir Bescherer, op. cit.
42 Ronsard, op. cit., n. 40, livre IV, v. 873-1790.
43 Voir à ce sujet la belle étude de F. Bardon, Le portrait mythologique à la cour de France sous Henri IV et Louis XIII. Mythologie et politique, Paris, 1971, p. 53-66.
44 Sur l’aménagement du jardin de pente, voir Lurin, op. cit., p. 40-45, n. 13.
45 André Duchesne insiste sur les travaux entrepris par le roi pour transformer la « montaigne » rocheuse et ingrate du Pecq en un nouvel Éden (Duchesne, op. cit., p. 220-221, n. 2).
46 Sur les résidences des Gondi, voir H. Couzy, « Le château de Noisy-le-Roi », Revue de l’Art 38, 1977, p. 28-31 ; M. Decrossas, Le château de Saint-Cloud des Gondi aux Orléans : architecture et décors (1577-1785), thèse de doctorat, EPHE, 2008.
47 E. Lurin, « La belle vue de Saint-Germain-en-Laye. Nouveaux documents sur les jardins en terrasses construits sous le règne d’Henri IV », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 2003, 2004, p. 9-31.
48 « Il [le roi] a faict faire à S. Germain plus de bastiments qu’il n’y en avoit auparavant, et la rendu plus plaisant que Tivoly » (P.V. Palma Cayet, Chronologie septenaire…, Paris, J. Richer, 1605, p. 448).
49 Il sontuosiss.° e ameniss.° palazzo et giardini di Tivoli, 1573, eau-forte. Cf. A.P.F. Robert-Dumesnil, Le Peintre-graveur Français, Paris, 1850, t. VIII, p. 115-116, no 85.
50 Cette statue, fondue à Florence dans l’atelier de Giambologna, a été offerte à Marie de Médicis par son oncle, le Grand-Duc de Toscane. Voir à ce sujet un article d’Alexander Rudigier à paraître en 2016 dans le Bulletin monumental.
51 Portrait des chasteaux royaux de Sainct Germain en Laye, 1614, burin. Cf. Lurin, op. cit., p. 46, n. 13.
52 Au terme de sa visite, Heylyn parvint « à une pelouse qui s’étendait jusqu’au bord de la rivière, et où la plus jolie fleur et la plus plaisante, à mon gré, se trouva être une statue de cheval en bronze, si grande qu’un de mes compagnons et moi pûmes nous tenir sur son cou. Mais descendant de cette monture, nous enfourchâmes les nôtres et dîmes adieu à Saint-Germain ». Cf. G. Roth, « Le château de Saint-Germain-en-Laye en 1625 », Revue archéologique 10, 1919, p. 366.
53 Faut-il voir dans ce cheval de bronze un autre avatar du modèle de Daniele da Volterra pour la statue équestre d’Henri II ?
54 Duchesne, op. cit., p. 221, n. 2.
55 G. Buffa, « Le Grand Cours des eaux de Saint-Germain-en-Laye » et « L’hydraulique et la mécanique des grottes », in Lurin, op. cit., p. 105, n. 13 et p. 113.
56 Les grottes et les automates du Château-Neuf sont cependant les seuls jamais commandés par Henri IV. Au début du XVIIe siècle, les grottes ne semblent pas avoir été perçues à la cour de France comme l’ornement obligé du jardin, sans quoi des installations similaires auraient été prévues à Fontainebleau et aux Tuileries.
57 Lurin, op. cit., p. 108-109, n. 13.
58 Ibid., p. 109-111 et 124-126.
59 Sur les automates de Pratolino, voir L. Zangheri, Pratolino. Il giardino delle meraviglie, Florence, 1987, t. I, p. 114-115 (grotta del Diluvio) et p. 121 (grotta della Samaritana). Les automates du château d’Hellbrunn près de Salzburg offrent aussi un bon point de comparaison. Cf. R. Bigler, Schloss Hellbrunn. Wunderkammer der Gartenarchitektur, Vienne, 1996, p. 61-83.
60 Voir les descriptions très détaillées des grottes publiées par Justus Zinzerling et Abraham Gölnitz au début du XVIIe siècle. Cf. E. Lurin, « Deux voyageurs allemands dans les grottes de Saint-Germain-en-Laye (1616 et 1631) », Jardins 4, 2013, p. 41-49.
61 Leur aménagement, entre 1603 et 1609, fut aussi beaucoup plus long, sans doute du fait des nombreux automates. Cf. Lurin, op. cit., p. 111-114, n. 13 et p. 127.
62 Ibid., p. 112-113.
63 La première représentation mythologique d’Henri IV est une gravure de placard ayant pour sujet La Délivrance de la France par le Persée françois (Paris, J. Le Clerc, avec privilège du roi, 1594). Cf. Bardon, op. cit., p. 39-40, n. 43 et p. 133-135.
64 Lurin, op. cit., p. 111-112, n. 13 et p. 114.
65 Lurin, op. cit., p. 146-147, n. 18.
66 A. Bosse d’après T. Francini, La grotte d’Orphée, vers 1623-1624, eau-forte. Cf. Lurin, op. cit., p. 127, n. 13.
67 N. Elias, La société de cour, Paris, 1985, p. 17-19.
Auteur
Université Paris IV, Paris-Sorbonne
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