Les aménagements architecturaux et paysagers réalisés par Louise de Savoie au château de Romorantin1
p. 61-71
Texte intégral
1Lorsqu’elle entre pour la première fois dans la ville de Romorantin au bras de son époux, Charles d’Angoulême (1459-1496), Louise de Savoie (1476-1531) trouve un habitat seigneurial aménagé au sein d’une forteresse médiévale. En effet, dans un premier temps, Romorantin a appartenu aux puissants comtes de Blois. Ces derniers sont à l’origine des premiers travaux de fortification réalisés dans la ville solognote, tels que la grosse tour (démolie au début du XIXe siècle2), le château et le castrum (fig. 16). Lorsque la châtellenie de Romorantin passe aux mains des comtes d’Angoulême, dans la première moitié du XVe siècle, Jean (1400-1467), le beau-père de Louise de Savoie, entreprend l’aménagement du château en un lieu plus résidentiel.
2Dans les années 1490, la jeune épouse de Charles d’Angoulême découvre donc à Romorantin un château médiéval classique constitué d’une enceinte quadrangulaire d’environ quarante mètres de long, flanquée de quatre tours de huit mètres de diamètre, dont deux demeurent aujourd’hui (fig. 17 et 18), et abritant un logis seigneurial. Entourée sur trois côtés (nord, est et ouest) de fossés larges d’une vingtaine de mètres, l’enceinte est bordée au sud par une rivière, la Sauldre. Le système défensif de cet ensemble fortifié est complété par des archères (fig. 19) percées dans les flancs des tours qui permettent de protéger les courtines. L’entrée du château se situe sur la face est, à l’intérieur du castrum. La position repliée de l’habitat seigneurial dans un angle de l’enceinte du castrum ainsi que la forme des archères dites à étrier nous permet d’attribuer l’ensemble au milieu du XIIIe siècle. Le logis seigneurial prend place à l’intérieur de l’enceinte, dans la cour. Constitué de deux ailes formant une équerre le long des courtines est et sud, il est bâti dans la première moitié du XVe siècle, comme l’indiquent les devis et quittances de maçonnerie trouvés, grâce au catalogue des archives Joursanvault3, aux Archives nationales de France ( = AN), aux archives départementales du Loir-et-Cher ( = AD 41), aux archives départementales du Loiret ( = AD 45) et aux archives municipales de Romorantin-Lanthenay ( = AMR)4. Il subsiste encore de nos jours une partie de ce logis, qui abrite la salle d’audience de l’ancien tribunal de commerce et le logement de M. le sous-préfet5 (fig. 20). À l’origine, ce logis s’étendait le long de la totalité de la courtine sud, sur trois niveaux dont un de combles. Le comte d’Angoulême avait également apporté un peu plus de confort à sa résidence en créant un jardin6. Nous ne disposons malheureusement d’aucune source nous permettant de restituer avec certitude son emplacement. C’est donc un ensemble fortifié dont l’aspect défensif primitif a été complété selon des besoins résidentiels que découvre Louise de Savoie à la fin du XVe siècle. Pourtant, celle-ci va tout de même y entreprendre d’importants travaux tant dans le domaine architectural que paysager.
TRANSFORMATIONS ARCHITECTURALES
3La mère de François d’Angoulême, futur François Ier, travaille dès le début du XVIe siècle à la modernisation de Romorantin puisque c’est à cette période qu’une nouvelle enceinte urbaine est bâtie autour de la ville qui s’est développée au nord du castrum (fig. 16). Elle s’attache plus particulièrement à sa résidence seigneuriale, en y entreprenant d’importants travaux architecturaux dès les années 1510, si ce n’est plus tôt. Louise de Savoie aménage d’une part le château existant en lui apportant plus de confort mais elle projette également de l’agrandir. Elle a donc visiblement l’intention d’y séjourner plus régulièrement, voire plus durablement, et surtout d’y recevoir.
4Nous ne disposons à ce jour d’aucun témoignage écrit évoquant les travaux réalisés dans l’enceinte du château à la fin du XVe ou au début du XVIe siècle. Pourtant, de nombreux éléments tendent à prouver que les changements apportés dans la distribution de l’édifice datent bien de cette période. Plusieurs indices confortent cette hypothèse.
5À partir de l’état des « quarrez, huis, fenestres et chassis qui sont à faire pour l’ostel de monseigneur le conte d’Angolesme, lequel il fait faire en son chastel de Remorantin7 », daté de 1451, nous avons pu reconstituer la distribution du rez-de-chaussée du logis à cette période (fig. 218). Or, cette description ne correspond pas parfaitement à celle qu’il est possible de se figurer grâce à l’état actuel des vestiges (fig. 22). L’adjonction d’un bâtiment non mentionné au milieu du XVe siècle vient en effet la perturber : il s’agit d’une tourelle en briques et pierres, de plan quadrangulaire, accolée à la tour sud-est du château, abritant un escalier en vis (fig. 18). Disposant d’une poterne à sa base, il semblerait que cette construction ait constitué un accès privé, vraisemblablement pour le seigneur, d’une part aux jardins, d’autre part aux appartements du maître de maison. La double ouverture de l’escalier sur le corps principal du logis et la tour viennent confirmer cette hypothèse. Cette dernière a pu à ce moment-là changer de fonction et accueillir la garde-robe alors attenante à la chambre. Toutefois, nous ne possédons aucune trace écrite de l’édification de cette tourelle et donc aucune certitude quant à sa datation ou son commanditaire.
6Quoi qu’il en soit, le matériau employé dans cette construction, postérieure au reste du logis, est particulièrement intéressant. Il se trouve que la construction castrale en brique se diffuse en France seulement à partir des années 1470, et ce sous l’impulsion du roi Louis XI. Cette mode atteint la Sologne très rapidement puisque dès 1480, Philippe du Moulin, seigneur de Lassay-sur-Croisne, fait bâtir son château avec ce matériau, à seulement une douzaine de kilomètres à l’ouest de Romorantin9. Il semble donc logique qu’un seigneur décidant d’investir dans son château solognot emploie les techniques à la pointe de son temps. De plus, l’aménagement du château de Romorantin peut être lié à l’édification du château du Moulin par le biais d’un personnage que mentionnent les archives : Jacques de Persigny. Ce dernier est cité dans les comptes de la ville de Romorantin au début du XVIe siècle10. Il travaille à cette période à la fois au château du Moulin et à la construction de la nouvelle enceinte urbaine de la capitale solognote. Pourquoi ne pas penser qu’il ait également pu œuvrer au château ? Marcel Aubert, en 1925, le qualifie d’« architecte11 » du château du Moulin, toutefois nous n’avons pu corroborer cette fonction. Quoiqu’il en soit, l’utilisation de la brique revêtait certains avantages ici puisque nous sommes dans une région pauvre en matériaux pierreux. Le château des comtes de Blois avait été principalement bâti à partir de moellons de silex appelés « tête de chat ». Si le seigneur décidait de moderniser sa vieille demeure solognote, son choix architectural imposait de passer à des matériaux plus élaborés. Toutefois, le transport de pierres de taille depuis des carrières situées à plusieurs dizaines de kilomètres lui était extrêmement coûteux. La brique offrait une bonne alternative car elle est faite à base d’argile que l’on trouve aisément autour de Romorantin.
7Selon toute vraisemblance, la tourelle de briques et de pierres de Romorantin ne peut donc avoir été réalisée avant les années 1470, lors de la campagne de travaux de Jean d’Angoulême. Le fils de ce dernier, Charles d’Angoulême, aurait certes pu poursuivre ce travail de bâtisseur. Néanmoins, nous avons trouvé en la personne de Louise de Savoie un commanditaire plus probable, et en celle de Jacques de Persigny la figure d’un maçon qui aurait eu les capacités techniques de réaliser l’œuvre au début du XVIe siècle, soit après la mort de Charles d’Angoulême. Cette datation pourrait être appuyée par une donnée historique : en 1501, François d’Angoulême est présenté officiellement comme l’héritier de Louis XII à Blois12. Peut-on imaginer meilleure raison pour Louise de Savoie d’entamer des travaux de rénovation dans sa demeure, située à seulement une quarantaine de kilomètres de la ville royale ? Elle aurait dans ce cas décidé d’épouser la mode architecturale du moment.
8Le deuxième aménagement d’importance réalisé au château de Romorantin concerne les tours de flanquement. Après étude des deux tours subsistantes, nous avons constaté qu’elles avaient subi un profond changement de même ordre. L’espace interne a été transformé de circulaire en quadrangulaire et une travée de croisées a été percée dans leur flanc sur toute la hauteur (fig. 17 et 18). Nous retrouvons l’emploi de la brique dans les pleins-de-travée. Notre étude de la distribution du logis a révélé que le premier aménagement était contemporain des travaux effectués par les comtes d’Angoulême au milieu du XVe siècle. Cependant, l’apport de luminosité par le percement de travées de croisées est une technique couramment employée au début du XVIe siècle. Là encore, la chronologie et les matériaux employés dans ce deuxième aménagement coïncident avec la période durant laquelle Louise de Savoie s’intéresse à Romorantin et au style architectural de l’époque.
9Pourtant, si la mère de François Ier a souhaité moderniser sa demeure solognote en utilisant des matériaux à la mode, il semble que ce ne soit pas uniquement dans un souci de confort. Louise de Savoie a surtout voulu donner plus de prestige à un édifice qui aurait fait pâle figure à côté du projet qu’elle avait par ailleurs entrepris.
10La réalisation architecturale la plus importante de Louise de Savoie à Romorantin consiste en effet en une extension du château qu’elle fait bâtir dans le prolongement de l’aile sud, à l’extérieur des murs castraux et urbains (fig. 23). Cette implantation pourrait surprendre si l’on omet le fait que cette nouvelle construction prenait ainsi place le long de la route d’Amboise, ville où la cour de France s’était établie depuis la première moitié du XVe siècle13. Les nobles faisant le déplacement entre les deux cités étaient donc certains de s’y confronter dès leur premier regard sur la bourgade.
11Ce bâtiment d’une ampleur non négligeable n’a cependant pas survécu aux affres du temps. La compréhension de son emprise nous est parvenue grâce au seul témoignage du plan, réalisé en 1723 pour le compte du duc d’Orléans et conservé aux Archives nationales de France (fig. 2314). Toutefois, le document ne rapporte que les fondations du bâtiment puisque ce dernier est déjà à l’état de ruine à cette période15. L’édifice se présentait sous la forme d’un logis en équerre semblable à celui du château mais de dimensions nettement supérieures. Plus qu’une extension, nous pourrions en réalité parler ici d’un palais annexe, quoiqu’imposant puisqu’il était long d’environ 70 mètres. Aucun autre palais n’atteignait cette taille en 1515. Le dernier gros chantier castral était en effet celui du château royal d’Amboise dans les années 149016. Bien que l’aile François Ier du château de Blois n’existât pas encore17, il est possible d’observer certaines similitudes entre les deux édifices. La position d’une tour demi-hors œuvre au centre de la façade sur jardin de l’extension romorantinaise rappelle notamment l’emplacement de l’escalier à double vis blaisois.
12Le début de la construction de cet édifice est moins mystérieux que les motivations qui ont poussés à le construire. Nous pouvons sans hésitation attribuer la commande à Louise de Savoie dans les années 1510 grâce à une source écrite : le procès-verbal dressé lors de la visite des fondations le 27 septembre 151218. À cette réunion participe entre autres un certain « Nycollas Foyal, escuier, seigneur de Herbault19, conseiller et maistre d’ostel de très haulte et puyssante princesse Madame la comtesse d’Angoulesme, vicomtesse d’Aulnay, dame de Romorantin et Millansay20 » et « Pierre Nepveu, dit Trinqueau, demourant à Emboyse, maistre maçon, conditeur et entrepreneur de l’ouvraige et édiffice encommancé à faire pour madite dame ou chasteau dudictRomorantin21 ». Ce dernier n’est autre que le maçon qui travailla sur les chantiers des châteaux royaux d’Amboise et de Blois22 mais qui, surtout, fut maître d’œuvre du château de Chambord23.
13La distribution de ce palais-extension nous est en partie connue grâce à deux lettres exceptionnelles rédigées par un ambassadeur ferrarais en 1545 et découvertes par Pascal Brioistdans un ouvrage de Carmelo Occhipinti24. L’auteur nous explique que le roi ne logeait pas dans le même édifice que son épouse, Éléonore de Habsbourg, et sa sœur, Marguerite de Navarre :
Sa majesté est arrivée à Romorantin. Elle loge à l’extérieur de la ville dans un Palais en compagnie de Madame la Dauphine, Madame Marguerite, Madame d’Étampes, la comtesse de Vertu et Monseigneur l’Amiral. La Sérénissime Reine et la Reine de Navarre logent elles dans un autre Palais.25
14Le palais-extension était bien plus important que le château car le roi lui-même y logeait. Les deux édifices devaient cependant être reliés. Les fossés en eau se tenant entre les deux, nous avons formulé l’hypothèse d’un pont-galerie, à la mode italienne les reliant, à l’image de celui du château de Blois qui permettait de se rendre dans le jardin de Pacello da Mercogliano à la fin du XVe siècle26. Cet élément aurait été une source supplémentaire de prestige pour la demeure de Louise de Savoie utilisant ainsi des techniques innovantes. Cela n’est pas incongru puisque nous retrouvons un semblant de cette disposition au château d’Herbault, quelques années plus tard. L’ensemble de l’aile sud aurait alors atteint la longueur incroyable pour l’époque de 110 mètres.
15Le seul élément de distribution interne dont nous disposons est mis en avant grâce à une anecdote fort grivoise dont le roi François Ier tient le rôle principal. Ce dernier disposait en effet d’une chambre séparée du dortoir où logeaient les filles de la cour uniquement par sa garde-robe. Évidemment, l’accès en était rendu très aisé, à tel point que l’ambassadeur en personne l’y surpris. Nous retrouvons cependant ici deux des éléments qui forme la configuration tripartite habituelle des appartements royaux à la Renaissance : salle, garde-robe, chambre.
16Nous n’avons aucune indication sur les matériaux employés pour la construction de l’extension mais là encore des indices laissent penser que la brique pourrait y avoir joué un rôle essentiel. C’est en effet un élément récurrent dans le partitionnement de l’espace végétal environnant les constructions seigneuriales.
AMÉNAGEMENTS PAYSAGERS
17Un autre aménagement, qui semble également dater du début du XVIe siècle, révèle une fois de plus la prestigieuse mise en scène qui a été employée au château de Romorantin. Il concerne l’environnement immédiat de l’ensemble castral. Nous avons vu ci-dessus qu’un jardin attaché à la personne du comte d’Angoulême est déjà présent au milieu du XVe siècle. L’espace paysager attaché au château se transforme au début du XVIe siècle puisque l’on crée un accès privé à celuici, pour le seigneur vraisemblablement. Il se traduit par la présence de la poterne à la base de la tourelle en briques et en pierres donnant directement sur les bords de Sauldre et donc les jardins.
18Le journal de Louise de Savoie appuyé par le plan déjà cité du XVIIIe siècle (fig. 23) nous permet de définir plus spécifiquement deux ensembles paysagers d’agrément seigneurial et de les situer : le petit et le grand jardin. Ceux-ci sont séparés par un aménagement à vocation récréative : une fosse aux lions. Lancée au XVIe siècle, cette mode proposait le combat dans des fosses adaptées entre des bêtes sauvages (lions) et domestiques (taureaux27). Par la présence de cette structure à Romorantin, nous tenons là encore une preuve de la volonté du commanditaire d’associer le château aux grandes réalisations royales et impériales de son temps. Nous allons voir qu’il en est de même pour l’aménagement paysager.
19Ainsi les fondations du palais-extension prenant place dans le petit jardin, sa remise au goût du jour semble avoir été nécessaire. Malheureusement, nous n’avons que peu d’informations à ce sujet. Selon le plan du XVIIIe siècle, sa surface étendue entre le fossé ouest du château et la fosse aux lions semble avoir été en partie couverte de canaux, particularité que l’on retrouve dans les jardins italiens renaissants28. Les seules indications dont nous disposons à propos de cet espace paysager sont fournies par la lettre de l’ambassadeur ferrarais, Giulio Alvarotti, datée du 2 mai 1545 :
Il y a un palais, ou plus exactement une demeure plutôt qu’un palais, enserré entre trois parois de briques cuites, chose rare dans cette région, car on n’y construit qu’en pierre dure [silex], ou en roche de montagne [tuffeau], sinon exactement en pierre dure. D’autre part cette demeure est entourée par la rivière Sodre [Sauldre], assurément agréable, mais de petite dimension. Sa Majesté s’est beaucoup affectionnée à ce jardin et à ce cours d’eau.29
20Ce texte confirme en premier lieu la position de la parcelle. D’autre part, il nous permet de définir avec certitude le type de matériaux employés pour la délimiter. L’expression « briques cuites » mérite cependant que l’on s’y intéresse. Les constructions en argile crue n’existant pas dans la région, l’ambassadeur entend par là des briques vernissées30. Son admiration à l’égard de cet aspectdécoratif de la construction est le témoignage du raffinement et de l’attention portés à cet espace, preuve en est l’attachement du roi pour ce lieu. De même, Nicolas Millot mentionne les murs de la fosse aux lions, également montés avec ce matériau31. Ils ont été restaurés depuis mais il est toujours possible d’y observer ces briques vernissées. Pourquoi alors ne pas imaginer que le palais-extension lui-même était bâti d’argile cuite ? Cette hypothèse est corroborée par la mention d’un maçon nommé Macé Olivier. Celui-ci a d’abord travaillé aux côtés de Jacques de Persigny sur l’enceinte urbaine en 1501-150232. Cet artisan est de nouveau cité dans le procès-verbal dressé lors de la visite des fondations de l’extension en 1512 où il est qualifié de « maistre maçon juréz demourans audit lieu de Romorantin33 ». Il a donc pu apprendre des techniques de construction en brique auprès d’un maître tel que Jacques de Persigny dans les années 1500, replacées dix ans plus tard dans le cadre de la construction du palais-extension et de l’aménagement des jardins.
21Ce second espace paysager s’étend au-delà de la fosse aux lions, jusqu’au ruisseau de la Nasse. La parcelle cadastrale porte encore aujourd’hui le nom de « Grand jardin ». Ce terrain nommé « mon bois34 » par Louise de Savoie dans son journal n’est autre que le site du projet de Léonard de Vinci. Nous avons pu émettre une hypothèse quant à son organisation, qui n’est pas sans faire écho aux dessins du maître italien.
22En effet, le seul aménagement anthropique visible sur le plan du XVIIIe siècle (fig. 23) est défini par une allée bordée de charmes et d’ormes, qui, selon M. Bidaut de la Guérinière, s’étend sur la quasi-totalité de la parcelle35. Cet érudit local les date du XVIe siècle mais nous n’avons aucun moyen de confirmer ses dires. Toutefois, ce grand axe délimitant le terrain en deux espaces symétriques n’est pas sans nous rappeler le projet de palais et de ville idéale de Léonard de Vinci pour Romorantin. Selon Jean Guillaume, « le jardin axé est la conséquence des idées italiennes36 ». Ce type de jardin est à mettre en relation avec un désir d’axialisation du paysage. Celle-ci peut prendre la forme d’une allée d’arbres, comme au château de Bonnivet vers 1520, et à tendance à se combiner avec la forêt37. Nous retrouvons à Romorantin deux de ces éléments d’organisation du paysage : l’allée bordée de charmes et d’ormes de M. Bidaut de la Guérinière et le bois de Louise de Savoie.
23Cette hypothèse d’aménagement par la mère de François Ier met au jour une nouvelle perspective sur cet espace. Plus qu’un terrain réservé pour quelques projets mais laissé à l’abandon, il aurait servi à la mise en valeur du site, dès les premiers travaux réalisés sur ce dernier. Plutôt que de le laisser végéter, Louise de Savoie projette dès le début du XVIe siècle d’utiliser le grand jardin, non pas comme un plateau pour la mise en place d’un projet architectural grandiose, ce qui fut le projet de son fils, mais comme un fil conducteur menant à son propre projet, lui-même d’une ampleur exceptionnelle pour l’époque. Cette grande allée arborée au milieu de son « bois38 », témoignage des premières grandes organisations paysagères autour de la perspective, est le vomitoire qui mène à la scène de son théâtre : le palais-extension.
24Si l’on fait le bilan des aménagements effectués par Louise de Savoie au château de Romorantin, il est aisé de s’apercevoir que l’ensemble castral se situe encore à la frontière entre tradition médiévale et innovations renaissantes. Ainsi, le jardin clos de murs côtoie le grand axe central paysager tandis que le palais résidentiel s’appuie sur la forteresse comtale.
25Pourtant, l’entreprise de Madame la comtesse d’Angoulême a permis à la fois une véritable modernisation de l’édifice préexistant et une mise en scène personnelle en bâtissant ce qui semble être plus un deuxième château qu’une extension. Il semble qu’elle ait réussi à transformer une résidence seigneuriale médiévale en un véritable carrefour architectural des techniques développées à la Renaissance. Devant l’ampleur de l’habitat seigneurial obtenu, il est certain qu’avant même le couronnement de son fils, Louise de Savoie avait accordé à la ville de Romorantin une importance qui ne fit que croître dans la décennie suivante par l’intermédiaire de son « César39 ».
Notes de bas de page
1 Cet article fait suite à un mémoire de recherche intitulé Évolution topographique et principales fortifications de la ville de Romorantin des origines au XVIe siècle, rédigé dans le cadre d’un master 2, dirigé par Alain Salamagne, professeur d’histoire de l’art au Centre d’études supérieures de la Renaissance de l’université François-Rabelais de Tours, et soutenu en 2011. L’auteur poursuit actuellement ses travaux de recherches, dans le cadre d’une thèse de doctorat d’histoire dédiée à La diffusion d’une architecture de cour dans un modèle provincial : le cas des demeures seigneuriales solognotes en briques et en pierres entre 1460 et 1560 sous la direction de Pascal Brioist, professeur d’histoire au Centre d’études supérieures de la Renaissance de Tours, et de Monique Chatenet, conservateur en chef honoraire du patrimoine.
2 Dupré Alexandre, Recherches historiques sur Romorantin et la Sologne [1889], Paris, Office d’édition du livre d’histoire, 1994, p. 162.
3 Techener Joseph, Catalogue analytique des archives de M. le Baron de Joursanvault, II, Paris, J. Techener, 1838, p. 201-205.
4 Quittance par Estienne Brau, couvreur, au duc d’Orléans, du paiement par Robin Abisart […] de 100 s. t. en déduction de 10 l. t. dus pour des travaux effectués au château de Romorantin (AD 45, 6 J 24, pièce 44, 1404) ; Devis des ouvrages à faire au château de Romorantin, par E. Brau, couvreur (catalogue des archives Joursanvault, 3327, p. 204, 1404) ; Quittances au comte d’Angoulême […] par Jehan Le Flament […], de 23 l. 3 s. 4 d. t. […] pour un paiement fait aux charpentiers et maçons qui construisent la maison que le comte fait faire en son château de Romorantin (AD 45, 6 J 24, pièce 83, 1450) ; « Ce sont les quarrez, huis, fenestres et chassis qui sont à faire pour l’ostel de monseigneur le conte d’Angolesme, lequel il fait faire en son chastel de Remorantin, sans les quarrez, huis et fenestres qui fauldront es deux tours qui sont es deux coings dudit hostel, ne ceulx de la chapelle, de la viz et galllatas dudit hostel » (AD 45, 6 J 24, pièce 79, 1451 et catalogue des archives Joursanvault, 3331, p. 205, 1451) ; Quittance par Guillaume Touse, menuisier de Blois, au comte d’Angoulême de la somme de 76 l. 10 s. t. payée par Jehan Le Flament, son trésorier et receveur général, pour la réalisation de cette commande (cf. source précédente) ; Œuvres et réparations : […] à Jean Marie et Robin Cottereau, couvreurs, pour avoir découvert la gouttière qui est entre la maison et la chapelle du château (AD 45, A 698, 1462-1463) ; Œuvres et réparations : […] Jean Bernardot, maçon a carrelé le foyer des cheminées du château (AD 45, A 699, 1463-1464) ; Œuvres et réparations : […] Michel Lefèvre, marchand, a charroyé la chaux et le sable destinés à la réparation des cheminées (AD 45, A 699, 1463-1464) ; Œuvres et réparations : à Jean Turreau, tilier, pour avoir carrelé les contre-feux des cheminées du château (AD 45, A 699, 1463-1464).
5 Je tiens ici à le remercier ainsi que son épouse, madame Charvin, pour leur accueil durant mes travaux de recherche.
6 Œuvres et réparations : […] Guillaume Simon, scieur de long, a scié cinq toises de haies, épaisses de deux doigts, en la forêt de Briodan, afin de fabriquer des sièges destinés à être mis dans le jardin du duc à Romorantin (AD 45, A 699, 1463-1464).
7 AD 45, 6 J 24, pièce 79, 1451.
8 Le plan ne présente que la distribution de la partie existante du logis mais nous disposons également de la distribution de la partie démolie au début du XVIIIe siècle par le régent Philippe d’Orléans (extrémité ouest de l’aile sud) grâce à cette source.
9 Aubert Marcel, « Lassay, le château du Moulin », Congrès archéologique de France, 88e session, 1926, p. 190.
10 Payement de douze sous six deniers tournois à maître Jacques de Persigny, maçon, qui « besongne de present au Moulin, et lequel est venu par deça pour veoir descouvrir et pour besongner aux tours qui sont près le puis de la Croix vert, pour avoir baillé le devis des dictes tours par escript pour icelles faire selon le dict devis » (AMR, CC2, 1500-1501) ; Compte des dépenses pour les travaux des tours et murailles neuves : cinquante livres à Jacques de Persigny et Macé Olivier, maçons, pour le portail des deux tours des faubourgs, suivant le devis passé en jugement dans l’assemblée de ville (AMR, CC3, 1501-1502) ; Audit Jacques de Persigny, même somme de cinquante livres pour ses travaux aux deux tours près de la Croix Verte (AMR, CC3, 1501-1502) ; « A Jehan Simon, sergent, pour avoir crié et subasté par plusieurs foiz pour l’ouvraige des tours des faulxbourgs […] et pour 3 chandelles qui furent achaptées quant l’ouvraige d’icelles tours fut baillé et livré au dictde Persigny, 3 sols 4 deniers tournois » (AMR, CC3, 1501-1502) ; Payement de la dépense faite dans l’hôtellerie de Jacquet de la Mothe, le 23 mai 1503, par trois des quatre de la ville, Jacques de Persigny, maçon, Regnault Lembert, peintre, Jean Aragon, Guillaume Couillebault, menuisiers pour le marché fait avec le dit Regnault de la peinture des armes de la ville (AMR, CC4, 23 mai 1503) ; Compte des dépenses relatives à la construction des tours Millon, par le dit de Persigny (AMR, CC4, XVIe siècle) ; Payement de cinq sous tournois à Jacques de Persigny pour avoir habillé le pavé au bout du pont de la porte d’abas (AMR, CC4, XVIe siècle).
11 Aubert M., « Lassay, le château du Moulin », art. cit., p. 192.
12 Chatenet Monique et Girault Pierre-Gilles, Fastes de cour. Les enjeux d’un voyage princier à Blois en 1501, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 42.
13 Demurger Alain, Temps de crises temps d’espoirs. XIVe-XVe siècle. Nouvelle histoire de la France médiévale. 5, Paris, Le Seuil, 1990, p. 130.
14 « Plan du Château Roïal de Romorentin appartenant a S.A.S. Monseigneur le Duc d’Orléans » (AN, N/III/Loir-et-Cher/2, 1723).
15 Lallart Jean-Yves, Histoire du château de Romorantin. De la résidence des rois de France à celle des sous-préfets, Romorantin, Mairie de Romorantin, 1996, p. 53.
16 De Grandmaison Louis, « Compte de la construction du château d’Amboise (1495-1496) », Congrès archéologique de France, 67e session, 1910, p. 284-304.
17 Cette aile est bâtie entre 1515 et 1519.
18 « Visite des fondations det partie du Château » (AN, R4/496, 1512).
19 Nicolas Foyal fit bâtir en briques le château d’Herbault en 1540, à 27 kilomètres au nord-ouest de Romorantin.
20 « Visite des fondations det partie du Château » (AN, R4/496, 1512).
21 Ibid.
22 Bouillet Marie-Nicolas, Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, Paris, Hachette, 1878, p. 1338.
23 Boucher Jean-Jacques, Chambord, Paris, Fernand Lanore, 1980, p. 23.
24 Occhipinti Carmelo, Carteggio d’arte degli ambasciatori estensi in Francia (1536-1553), Pisa, Scuola Normale Superiore, 2001, p. 106-107.
25 Extrait de la lettre de Giulio Alvarotti au duc de Ferrare, Saint-Genoux, 22 avril 1545. Traduction de F. La Brasca.
26 Guillaume Jean, « Le jardin français du XVIe siècle », dans Architecture et jardins, actes du colloque (Garenne Lemot, 19-20 juin 1992), Nantes, Conseil général de Loire-Atlantique, 1995, p. 93-96, spécialement p. 93.
27 Ariès Philippe et Margolin Jean-Claude, Les jeux à la Renaissance, Paris, Vrin, 1982, p. 39.
28 Guillaume J., « Le jardin français du XVIe siècle », art. cit., p. 93.
29 Extrait de la lettre de Giulio Alvarotti au duc de Ferrare, Blois, 2 mai 1545. Traduction de F. La Brasca.
30 Ce sont des briques recouvertes d’une glaçure à la cuisson formant ainsi un vernis, ici de couleur verte.
31 Lallart J.-Y., Histoire du château de Romorantin…, op. cit., p. 40-41.
32 Compte des dépenses pour les travaux des tours et murailles neuves : cinquante livres à Jacques de Persigny et Macé Olivier, maçons, pour le portail des deux tours des faubourgs, suivant le devis passé en jugement dans l’assemblée de ville (AMR, CC3, f° 17, 1501-1502).
33 « Visite des fondations det partie du Château » (AN, R4 496, 1512).
34 Journal de Louise de Savoie, duchesse d’Angoulesme, d’Anjou et de Valois, dans Nouvelle collection des Mémoires pour servir à l’Histoire de France, édité par J.-F. Michaud et J.-J.-F. Poujoulat, t. V : Fleurange, Louise de Savoie, Du Bellay, Paris, Commentaire analytique du Code civil, 1838, p. 89.
35 Lallart J.-Y., Histoire du château de Romorantin…, op. cit., p. 55-56.
36 Guillaume J., « Le jardin français du XVIe siècle », op. cit., p. 94.
37 Ibid., p. 95.
38 Nouvelle collection des Mémoires…, op. cit., p. 89.
39 Ibid., p. 87.
Auteur
Centre d’études supérieures de la Renaissance
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